SEANCE DU 1ER DECEMBRE 2001


M. le président. Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant le ministre des anciens combattants.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 24 minutes ;
Groupe socialiste, 21 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 6 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 8 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 5 minutes.
Je rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le devoir de mémoire est un impératif.
Votre propre département ministériel, monsieur le secrétaire d'Etat, comme les fondations privées ou les associations, initient et favorisent à différents niveaux les témoignages indispensables sous les formes les plus diverses : reconnaissances statutaires, manifestations de recueillement, récits enregistrés ou délivrés par des acteurs encore présents. Il est indéniable que ces pans de notre histoire doivent être présents dans les esprits.
C'est bien, mais ce n'est pas suffisant ! Chaque année, monsieur le secrétaire d'Etat, on souligne les diminutions des effectifs relevant de votre responsabilité. En conséquence, les questions litigieuses, les dossiers en souffrance sur des problèmes de fond, les demandes insatisfaites devraient eux aussi fondre d'année en année. Et, même si des avancées sont enregistrées, il faut convenir qu'elles sont obtenues un peu au forceps et que bien des revendications perdurent.
Le devoir de mémoire est indissociable du droit à réparation. Il a été acquis, il est imprescriptible ! Pourtant, on enregistre des replis, des reprises de ce qui est dû. A mon tour de dire que, depuis sept ans, ne cesse de diminuer la prise en charge des frais d'hébergement dans les stations thermales pour les curistes assurés sociaux et leurs ayants droit relevant de l'article 115 du code des pensions militaires et des victimes de guerre. Pourtant, le contenu de cet article est précis : « L'Etat doit gratuitement aux titulaires d'une pension d'invalidité attribuer au titre du présent code les prestations médicales, paramédicales,... »
Pour justifier ce désengagement, vous précisez, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il s'agit d'une « aide à l'hébergement » et non d'une aide aux soins, et que, par ailleurs, la gratuité existait parce que l'armée disposait alors de centres d'hébergement pour les curistes venant de ses rangs. Une fois ces lieux fermés, il fallait trouver une solution. Ainsi, vous avez demandé au juge du droit de dire le droit, et ce dernier a estimé qu'il n'y avait pas de texte sur lequel on pouvait s'appuyer.
A mon sens, il est tout à fait inconvenant, dans l'obligation de réparation, de distinguer le soin, qui ne peut être délivré que dans une unité spécialisée, de l'hébergement qui est connexe. La blessure reçue ou la maladie contractée a bien ouvert le droit à pension, mais des frais incontournables pour l'ayant droit seront laissés à sa charge.
Ce point que je me suis attaché à développer a valeur d'exemple dans l'attitude parcimonieuse opposée à nombre de nos concitoyens qui, eux, n'ont pas compté quand la nation les a appelés.
Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, toute dépense doit recevoir l'aval de Bercy, qui semble insensible à vos demandes et se fait parfois menaçant. La dernière réunion de la commission des finances du conseil d'administration de l'ONAC, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, a pu déjouer la tentative du représentant du secrétariat d'Etat au budget de conserver les 60 millions votés pour l'Office. Un peu d'humanité et de décence seraient les bienvenues !
Comment peut-on augmenter les crédits qui iront aux actions de reconnaissance, de solidarité et de mémoire tout en rognant les droits acquis ?
On ne peut nier, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il y a à la fois une diminution des ressortissants de votre département et des crédits qui y sont affectés. Le rapport est plus modéré cette année, mais rien ne devrait le justifier, au contraire ! Le volant supplémentaire autorisait des avancées plus significatives et la réalisation de demandes anciennes. Faire de l'arithmétique avec des vies laisse un goût amer.
M. Michel Pelchat. Absolument !
M. Bernard Joly. L'attribution de la retraite du combattant dès soixante ans à tous les bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité profite à environ 30 000 personnes. Le champ est réduit par rapport aux attentes. En effet, bon an, mal an, le gros des anciens combattants arrive à cet âge.
En corollaire de l'achèvement du processus de dégel des pensions des grands invalides, il convient de citer l'augmentation de la pension des veuves de ces derniers. Pleinement fondée, cette compensation s'inscrit au regard de grands dévouements, souvent de sacrifices qui s'ouvraient sur des situations de dénuement, Mais, ici, le contrepoint existe : les veuves d'anciens combattants.
Sur l'ensemble des veuves ressortissantes de l'ONAC, un peu plus de 8 % d'entre elles seulement étaient pensionnées au 1er janvier 2000, ce qui signifie qu'elles bénéficiaient de la pension d'invalidité de leur époux décédé. Il me semble urgent d'assouplir les conditions de réversion des pensions d'invalidité et d'introduire une possibilité de réversion de la retraite du combattant. Certes, le terme « retraite » est impropre s'agissant d'une prestation de reconnaissance ou de droit à réparation ; mais, comme pour les frais d'hébergement liés aux cures thermales, il me paraît particulièrement déplacé d'ouvrir une querelle de sémantique sur des souffrances de tous ordres.
L'augmentation du plafond majorable de la rente mutualiste du combattant portant l'indice de référence de 110 à 115 points marque une étape vers l'objectif des 130 points que les associations demandent. Ici encore, on peut se demander si, avec un maintien des crédits, une accélération n'aurait pu avoir lieu.
Reste un problème entier, celui de la décristallisation : 1 400 000 de ressortissants d'anciens territoires venus combattre à nos côtés pour défendre la République attendent toujours un signe. Cette dette s'enlise, actuellement, dans un examen en commission qui, je l'espère, ne sera pas, selon l'expression consacrée, « un comité théodule ». L'image de la France, que l'on voudrait rayonnante, passe naturellement par une reconnaissance qui se fait attendre.
La repentance, si elle est nécessaire, serait inutile si la réparation que l'on doit s'exerçait du vivant des acteurs. Elle apparaît, en effet, comme un vecteur de bonne conscience quand les carences ont perduré faute de volonté d'aboutir dans la réparation. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Flandre.
M. Hilaire Flandre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'insertion des services chargés des anciens combattants au sein du ministère de la défense a eu pour conséquence une modification du périmètre du budget des anciens combattants qui rend difficilement lisible et comparable le montant total des crédits alloués par l'Etat au monde combattant. Par conséquent, si, à périmètre constant, les crédits des anciens combattants semblent relativement stables, ils sont en réalité en diminution de 2 %. On peut donc s'interroger sur la réalité de l'effort accompli par le Gouvernement s'agissant des nouvelles mesures annoncées dans le projet de budget pour 2002 ; cet effort semble en effet bien relatif.
Cependant, nous nous félicitons des mesures qui, bien que partielles, vont dans le bon sens : il en est ainsi de la dernière étape de rattrapage concernant l'unicité du point de pension pour les grands invalides, qui marque la fin d'une grande injustice émanant du gouvernement de 1991, de l'augmentation de la majoration de pension servie aux veuves des grands invalides, de l'attribution, dès l'âge de soixante ans, de la retraite du combattant aux bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité, de l'augmentation à 115 points d'indice de la pension militaire d'invalidité du plafond majorable de la rente mutualiste du combattant et, enfin, de la rédaction d'un rapport sur les psychotraumatismes de guerre, qui nous permettra de mieux connaître ces phénomènes sans toutefois se substituer à la nécessité d'améliorer leur prise en charge.
Nous apporterons donc notre soutien à ces mesures.
Néanmoins, le projet de budget pour 2002 ignore encore bien des revendications légitimes du monde des anciens combattants.
S'agissant, par exemple, de l'anticipation de l'âge de versement de la retraite du combattant, il y a une certaine urgence à satisfaire cette revendication puisqu'elle perd naturellement de sa pertinence au fil du temps, un nombre important d'anciens combattants dépassant d'ores et déjà l'âge de soixante ans. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas choisi le projet de budget pour 2002 pour engager le mouvement.
De même, le montant de la retraite du combattant est actuellement calculé sur l'indice 33 des pensions militaires d'invalidité. Les associations d'anciens combattants souhaiteraient que ce montant puisse être réévalué afin de permettre aux personnes concernées de disposer de revenus plus décents.
Je souscris pleinement à cette revendication. Compte tenu du coût d'une revalorisation des indices de pensions, je pense qu'il convient de procéder par étape afin d'amorcer cette réforme tant attendue et d'atteindre à terme l'indice 48.
La situation des veuves mérite également toute notre attention. L'augmentation de la majoration des pensions des veuves de grands invalides est pour nous une très bonne mesure en faveur de près de 15 000 femmes qui se trouvent dans une situation de grande précarité, alors même qu'elles se sont bien souvent dévouées sans compter pendant toute leur vie auprès d'un mari très atteint.
J'espère que ce dispositif pourra être amplifié et intégré dans une réforme plus globale à venir. Il est en effet indispensable que des propositions concrètes soient faites pour améliorer la situation de toutes les veuves.
Il est nécessaire de rappeler que, au 1er janvier 1998, 1 750 000 veuves étaient ressortissantes de l'ONAC et que moins de 150 000 d'entre elles étaient pensionnées au 1er janvier 2000, c'est-à-dire bénéficiaient de la pension d'invalidité de leur époux décédé.
Ces veuves sont pourtant confrontées de plus en plus régulièrement à de graves difficultés financières. J'en veux pour preuve l'intervention de plus en plus fréquente des services départementaux de l'ONAC. Ainsi, en 2000, ces services ont dispensé une aide financière à 8 068 veuves pour un montant global de 19 millions de francs, soit une augmentation de 6,3 % du nombre de bénéficiaires et de 15 % du montant des dépenses par rapport à l'exercice 1999.
Sans délai, il est impératif de trouver une solution, ainsi que l'a formulé précédemment la commission des affaires sociales, par l'assouplissement des conditions de réversion des pensions d'invalidité, par l'introduction d'une possibilité de réversion de la retraite du combattant, ou encore par la revalorisation des pensions des veuves.
S'agissant du plafond majorable de la retraite mutualiste du combattant, le projet de budget pour 2002 prévoit un relèvement de cinq points du plafond majorable au 1er janvier 2002, pour 15 millions de francs. Il s'agit certes d'un progrès, mais ce dernier reste limité au regard des aspirations du monde combattant, qui milite depuis plusieurs années pour une réévaluation à 130 points. Il m'apparaît donc nécessaire de plaider en faveur d'un relèvement plus substantiel du plafond de la rente mutualiste afin d'atteindre à terme l'indice 130. Une telle réforme nécessite un effort financier qui n'est pas trop important et que le Gouvernement devrait juger supportable.
En ce qui concerne la campagne double, monsieur le secrétaire d'Etat, votre prédécesseur avait pris la décision de confier une nouvelle mission aux services en vue d'affiner l'évaluation du coût de cette mesure. Pouvez-vous nous faire connaître le résultat de cette étude ?
Quant à la question de la décristallisation des pensions et des retraites des anciens ressortissants des pays antérieurement placés sous la souveraineté française, je pense que l'on pourrait faire mieux, et surtout plus rapide. L'année dernière, une commission d'étude - une de plus ! - chargée de faire des propositions sur la revalorisation des pensions a été créée. Elle ne s'est réunie que très récemment. J'insiste, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que cette commission rende ses conclusions le plus rapidement possible afin de rétablir les droits à la retraite des anciens combattants de l'Union.
J'attire aussi votre attention sur l'importante question de l'indemnisation des orphelins de déportés.
Comme beaucoup d'autres, je me suis réjouis de la décision d'indemniser les orphelins des déportés juifs partis de France pendant la Seconde Guerre mondiale, car il était urgent d'exprimer une reconnaissance concrète de la spécificité de la Shoah pour que jamais ne soit oublié le caractère absolu de ce crime.
Plus d'une année s'est écoulée depuis la parution du décret du 13 juillet 2000 portant indemnisation des enfants dont les parents sont morts lors de ces persécutions.
Dès sa parution, nous avons été nombreux à dénoncer la différence de traitement qu'il introduisait en matière d'indemnisation des orphelins de déportés et à interpeller votre prédécesseur sur cette discrimination, qui provoque la colère des personnes concernées devant l'inégalité flagrante des traitements qui leur sont appliqués. Je regrette que le budget des anciens combattants pour 2002 n'ait pas apporté la réponse attendue par les familles de déportés non juifs, les familles de ceux qui se sont aussi sacrifiés pour que vive la France.
Il est également urgent de clore au plus vite la question de l'indemnisation des incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes, les RAD - Reichsarbeitsdienst - et le KHD - Kriegshilfsdienst .
Malgré l'accord intervenu le 25 juin 1998 au sein de la fondation Entente franco-allemande, rien n'est inscrit dans les crédits pour l'année 2002. En effet, la fondation a précisé qu'elle conditionnait le versement d'une allocation indemnitaire à la participation de l'Etat français. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous préciser quelles sont vos intentions dans ce domaine afin de respecter la légitime revendication des personnes concernées ?
Quant à la prise en charge des soins et des appareillages, il y a réellement nécessité de mettre en place un dispositif élargissant les possibilités en faveur des anciens combattants.
En outre, ainsi que l'a remarqué le rapporteur, nous ne pouvons que déplorer que le plafond de remboursement des frais d'hébergement pour les invalides de guerre relevant de l'article 115 du code des pensions militaires d'invalidité effectuant une cure thermale ait été abaissé.
Une telle mesure, qui n'a fait l'objet d'aucune concertation, est très décevante, car elle remet en cause le droit à réparation. J'invite le Gouvernement à revenir sur cette décision sans doute un peu rapide.
Je tiens également à attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la situation des maisons de retraite d'anciens combattants, en particulier sur celle de Carignan, dans les Ardennes - je suis moi-même ardennais - et sur son avenir, qui inquiète le monde combattant de ce département.
Quant à la reconnaissance officielle de la date du 19 mars 1962 comme journée du souvenir, de la mémoire et du recueillement à l'égard de l'ensemble des anciens combattants et des victimes de la guerre d'Algérie, il s'agit d'un sujet sensible. Bien entendu, j'approuve le principe de la fixation d'une date du souvenir, mais, comme vous ne l'ignorez pas, le 19 mars est loin de faire l'unanimité parmi les associations des anciens combattants et victimes de cette guerre. Bien des personnes ont perdu des êtres chers après cette date, les combats n'ayant pas totalement cessé. Ainsi que vous nous l'avez déclaré, « cette date doit être débattue en dehors des traditionnels clivages politiques et exige un consensus pour ne pas diviser le monde combattant ». Je souhaite bien sincèrement que le souvenir et le recueillement l'emportent sur les divisions.
Une association d'anciens combattants d'Algérie milite avec beaucoup de ténacité, pour que soit retenue la date du 19 mars.
Elle s'appuie pour cela sur une récente étude de l'IFOP d'où elle tire la conclusion hâtive, à mon avis, que trois Français sur quatre seraient d'accord avec ce choix.
Je ne vous apprendrai rien, monsieur le secrétaire d'Etat, en disant que les sondages ont une constante, celle d'apporter des réponses conformes aux souhaits de ceux qui les ont commandités et payés. Pour arriver à ce résultat, il suffit de choisir les questions qui appellent spontanément les réponses attendues.
En outre, si on observe les résultats de ce sondage de plus près, on constate que si, effectivement, sept enquêtés sur dix préfèrent la date du 19 mars à celle du 16 octobre, sachant qu'aucun autre choix de date ne leur était proposé, ils ne sont plus que cinq sur dix lorsque l'on interroge ceux qui ont soixante-cinq ans et plus, c'est-à-dire lorsque l'on interroge ceux qui ont effectivement vécu ces moments difficiles et qui sont, me semble-t-il, les premiers concernés.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais m'insurger de la façon la plus véhémente contre une campagne calomnieuse, née de déclarations de prétendus intellectuels ou historiens qui, bien souvent, ont en commun de n'avoir pas vécu ces événements sur le terrain et voudraient accréditer l'idée que l'armée française et ses appelés pratiquaient au quotidien la torture, les exécutions sommaires et des exactions de toutes sortes.
Le procès actuel d'un général sans doute en recherche d'une célébrité que ses faits d'armes ne lui ont pas donnée et la publication de ses écrits par des éditeurs motivés par d'autres intérêts sont prétexte à amplifier cette campagne de mépris à l'encontre de tous mes compagnons d'armes.
J'ai servi moi-même en Algérie en 1958 et 1959. Je n'ai jamais été témoin de telles actions. Je ne l'aurais d'ailleurs pas supporté. Je ne nie pas cependant qu'elles aient pu exister, mais je proteste contre les généralisations trop simplistes. Je peux témoigner au contraire de l'action menée par mes collègues, entre deux opérations, en matière de construction de mechtas et de routes, de scolarisation des enfants ou de soins sanitaires à la population.
On pourrait certes rester indifférent et peut-être même sourire des excès de ces thuriféraires de la culpabilisation et de la repentance, mais ce serait leur donner raison puisque, selon l'adage, qui ne dit mot consent.
Non, mes chers collègues, je ne rougis pas de mon attitude en Algérie, et je n'ai pas l'intention, n'en déplaise aux bonnes âmes, de faire je ne sais quelle action de repentance. Si un regret me tourmente, c'est d'avoir vu notre pays abandonner à leur triste sort les harkis, qui avaient fait le choix de la France.
Cette campagne ne fait pas que ternir l'action qu'ont accomplie en Algérie, où les ont envoyés les gouvernements successifs et légitimes de notre pays, dix classes d'appelés ou de rappelés. Elle jette aussi le trouble dans les jeunes esprits, et j'ai eu la tristesse d'entendre, cette semaine, mon petit-fils de dix ans poser cette question angoissée à sa mère : « Dis, maman, quand papy était en Algérie, est-ce qu'il a tué des gens ? ».
Laisser se répandre la calomnie, c'est semer le doute et l'angoisse. Je suis pour que la vérité soit dite, mais toute la vérité.
Devant ce budget qui ne répond qu'imparfaitement et d'une façon très incomplète aux légitimes revendications du monde combattant, le groupe du RPR ne pourra que s'associer à l'avis défavorable émis par les commissions des affaires sociales et des finances et voter contre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget des anciens combattants connaît cette année des avancées significatives, permettant de répondre au devoir de mémoire et de solidarité auquel nous sommes tous très attachés.
Sénateur du Bas-Rhin, j'ai été particulièrement sensible, comme tous mes collègues sénateurs alsaciens et mosellans, à la reconnaissance de particularités issues de l'annexion de l'Alsace-Moselle lors du dernier conflit mondial.
Néanmoins, il subsiste encore quelques dossiers en souffrance, et nous espérons que l'année 2002 en verra enfin le règlement.
Je pense notamment à la délicate question de l'indemnisation des anciennes et des anciens du RAD et du KHD, qui constitue l'un des derniers contentieux alsacien-mosellan issus de la Seconde Guerre mondiale.
L'an dernier, j'avais déposé avec mes collègues alsaciens un amendement à cette fin. Je ne vais pas manquer, monsieur le secrétaire d'Etat, de le présenter à nouveau cette année, et j'espère qu'il sera enfin adopté, avec un avis favorable du Gouvernement.
Les engagements que votre prédécesseur, M. Masseret, avait pris concernant l'indemnisation des incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes, par alignement sur la situation des incorporés de force dans l'armée allemande, n'ont toujours pas été tenus. Le recensement a pourtant été effectué depuis plus de deux ans et la quasi-totalité des 10 000 demandes d'indemnisation reçues en 1998 ont été examinées.
Cependant, la fondation Entente franco-allemande est prête à financer en grande partie cette indemnisation, sous réserve que le gouvernement français s'engage lui aussi.
Le problème, c'est que le Gouvernement français ne s'estime pas tenu à cet engagement. Ce qui fait que la fondation ne bouge pas et que les principaux intéressés attendent toujours depuis des années. Cette situation n'est plus admissible parce que trois éléments fondamentaux attestent du droit à l'indemnisation des anciens incorporés de force dans le RAD et le KHD.
Premier élément : la France a reconnu que l'incorporation de force par voie d'appel dans le service allemand du travail devait être assimilée à l'incorporation de force dans l'armée allemande. En effet, la loi du 31 décembre 1953, devenue l'article L. 239-2 du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre, dispose que les « Alsaciens et Lorrains incorporés de force par voie d'appel dans le service allemand du travail et leurs ayants cause sont assimilés aux incorporés de force dans l'armée allemande ».
Deuxième élément : l'Allemagne a, elle aussi, pris en compte l'incorporation de force dans le RAD et le KHD. Après avoir été astreint à six mois de services au Reichsarbeitsdienst RAD, le personnel féminin était affecté, dans la plupart des cas connus, au Kriegshilfdienst KHD, conformément au décret du 29 juillet 1941. Ces deux périodes de deux fois six mois d'obligation de service sont reconnues en Allemagne comme services effectués à la suite des forces armées ou services paramilitaires et ouvrent droit au calcul de l'indemnité compensatrice en complément d'une pension de retraite au sens du paragraphe 3 des législations concernant les pensions de la République fédérale d'Allemagne. Il est notamment stipulé, sous la rubrique du paragraphe 3 desdistes lois, que le Reichsarbeitsdienst est considéré comme paramilitaire.
Troisième élément enfin : le rapport de MM. Moeller et Hoeffel du 9 février 1979, qui a débouché sur l'accord franco-allemand du 31 mars 1981 concernant la question relative à l'enrôlement des ressortissants français de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin pendant la Seconde Guerre mondiale, précise que la fondation Entente franco-allemande aura pour objet de contribuer aux solutions des problèmes sociaux des anciens incorporés de force.
Ces différents éléments montrent bien que les anciens incorporés de force dans le RAD et le KHD ont droit à une indemnisation. M. Jean Laurain, président de la fondation Entente franco-allemande, le sait. Il l'a reconnu et écrit dans le rapport qu'il a présenté au comité directeur de la fondation Entente franco-allemande, le 25 juin 1998.
Lors de l'examen du budget des anciens combattants à l'Assemblée nationale, le 7 novembre dernier, vous avez reconnu, monsieur le secrétaire d'Etat, que les intéressés sont surtout des femmes - c'étaient des jeunes filles, à l'époque - victimes d'une politique misogyne qui les a empêchées de bénéficier de cette légitime réparation.
Vous avez indiqué que le Gouvernement s'engagerait à trouver les moyens nécessaires pour compléter les fonds si la fondation Entente franco-allemande ne disposait pas de moyens suffisants. Puisque la fondation a indiqué de son côté qu'elle était prête à financer une grande partie de l'indemnisation, n'est-il donc pas possible au Gouvernement français de s'entendre avec elle et de faire un premier pas pour débloquer cette situation qui devient offensante pour les intéressés ?
J'indique à mes collègues qu'il ne s'agit que de quelques milliers de francs pour quelques milliers de personnes. Il ne s'agit pas de sommes astronomiques, et je suis vraiment triste de constater que, plus de cinquante ans après les faits, un sénateur né après la guerre doive encore soumettre ce genre de problèmes au Parlement.
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Eh oui !
M. Francis Grignon. Je présenterai donc mon amendement, lors de l'examen des crédits, monsieur le secrétaire d'Etat, en espérant très vivement de votre part, puisque vous êtes nouveau dans cette fonction, une compréhension toute particulière, et surtout la volonté de voir réglé ce dossier une fois pour toutes afin que notre pays puisse remplir son devoir de mémoire jusqu'au bout, sans discrimination aucune. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Gisèle Printz, applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi, avant de vous souhaiter la bienvenue, de saluer l'action de votre prédécesseur, M. Jean-Pierre Masseret, qui est redevenu un de nos collègues sur les travées de la Haute Assemblée.
Quels qu'aient pu être nos points de désaccord, notamment sur le vote de ce budget, j'ai toujours eu pour lui la plus haute estime. Je reconnais et loue son action tenace au service du monde combattant et son sens très fin du dialogue. Par rapport à ses prédécesseurs, son bilan est éloquent. Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous saurez de même être à l'écoute des attentes du monde combattant.
Je ne reviendrai pas sur les quatre nouvelles mesures prévues pour 2002, ni sur les amendements qui ont enrichi le texte à l'Assemblée nationale.
Je me réjouis notamment du rétablissement de l'unicité de la valeur du point de pension des plus grands invalides de guerre, de l'effort réalisé en direction des veuves, de l'augmentation des crédits consacrés à la mémoire, qui devraient permettre de lancer la construction du futur centre européen du déporté résistant au Struthof et de réaliser le mémorial national de la guerre d'Algérie.
Je salue par ailleurs votre décision, monsieur le secrétaire d'Etat, de donner votre accord à l'institution d'une journée nationale de la Résistance, le 27 mai de chaque année.
Je déplore cependant que, comme chaque année, le budget qui nous est proposé soit en baisse. La population des ayants droit décroîtcertes plus rapidement - c'est l'argument immuable du Gouvernement - mais le simple maintien des crédits à la hauteur de l'an passé en francs constants aurait permis de satisfaire l'essentiel des demandes des anciens combattants.
Je veux également parler des revendications du monde combattant qui sont les grandes absentes de ce budget : la retraite du combattant à soixante ans pour tous, sa nécessaire revalorisation, les droits des anciens combattants des ex-colonies françaises, le remboursement des cures thermales, qui feront tout à l'heure l'objet de mes amendements.
Ce budget me semble également se situer dans un contexte préoccupant qui pourrait être interprété - c'est ainsi que je le ressens vraiment - comme une atteinte au droit imprescriptible à réparation, même si, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez proposé devant l'Assemblée nationale de faire établir un « code du droit à réparation » en recensant les textes existants.
Parmi les exemples les plus édifiants, je citerai d'abord la décristallisation des pensions des soldats de l'ex-Union française, qui n'avance pas. Il faut, à notre sens, légiférer au plus tôt afin de lever cette dernière forclusion.
Je mentionnerai ensuite la réduction de 40 % du remboursement forfaitaire des cures thermales, inacceptable pour tous ceux qui vivent douloureusement dans leur chair les conséquences de leur engagement pour la nation.
Que dire encore du décret du 13 juillet 2000, qui instaure une différence de traitement entre les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites et les autres catégories d'orphelins ? Sur ce point, mon groupe et moi-même avons d'ailleurs déposé une proposition de loi.
N'est-il pas regrettable que la commission nationale CVR, qui attribue la carte de combattant volontaire de la Résistance, ne se soit pas réunie depuis de longs mois, alors que les candidatures de résistants éminents ont été présentées et n'ont toujours pas été agréées ?
Et puis, monsieur le secrétaire d'Etat, j'attendais de vous, je dois le dire, quelques efforts supplémentaires pour améliorer les conditions de vie des anciens combattants et de leurs ayants droit.
N'est-il pas urgent, en effet, de faire bénéficier de l'allocation différentielle du fonds de solidarité et de l'allocation de préparation à la retraite les titulaires du titre de reconnaissance de la nation de moins de soixante ans - certains sont demandeurs d'emploi - pour la période du 2 juillet 1962 au 1er juillet 1964 ? Les instructions ont été données voilà six mois. Avez-vous, oui ou non, obtenu l'aval de Bercy ?
Ne serait-il pas juste d'abaisser pour les anciens combattants le bénéfice de la demi-part d'impôt de soixante-quinze ans à soixante-cinq ans, même de façon progressive, afin de pallier le fait qu'ils ne bénéficient pas de la mesure fiscale que constitue la prime pour l'emploi ? Je sais toutefois que cela ne rentre pas dans le cadre du budget que nous examinons.
La progression de cinq points, de 110 à 115, du plafond majorable de la rente mutualiste est un bien petit pas. Nous sommes encore loin du plafond demandé, et promis, à 130 points.
Je voudrais également attirer votre attention sur l'attribution de la carte du combattant aux appelés et rappelés ayant servi au Maroc et en Tunisie. La plupart ont fait trois mois, trois mois et demi de présence avant la date butoir de mars 1956 et encore trois mois après 1956. Il y aurait un geste à faire, sachant que la médaille commémorative a été attribuée par le ministère de la défense jusqu'au 5 mai 1958.
Quant aux veuves, l'article 62 vise à majorer la pension de réversion seulement pour les veuves des plus grands invalides. Un effort reste à faire pour les autres, qui vivent souvent dans des conditions difficiles. Elles devraient pouvoir percevoir des avantages sociaux plus importants en provenance de l'ONAC en leur qualité de veuve d'ancien combattant titulaire de la carte du combattant ou du titre de reconnaissance de la nation.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître l'évolution de la réflexion sur le rapport constant. Le groupe de travail qui a été constitué a-t-il enfin élaboré des propositions ?
Nous déplorons qu'aucune enveloppe budgétaire n'ait été prévue pour l'indemnisation des incorporés de force dans les formations paramilitaires nazies.
J'évoquerai encore un souci dont il m'a été fait part quant au texte à paraître sur le renouvellement des conseils d'administration de l'Office national des anciens combattants et des offices départementaux. Pouvez-vous m'assurer que ce décret est en cours de contreseing, ainsi que vous l'aviez laissé entendre le 7 novembre dernier devant l'Assemblée nationale ? Ce serait la moindre des choses pour concrétiser le « nouvel élan pour l'office » voulu par votre prédécesseur.
Je voudrais clore mon propos en évoquant l'officialisation de la date du 19 mars 1962 comme journée nationale du souvenir et du recueillement pour la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc, qui ont coûté à la nation 30 000 morts et plus de 200 000 blessés.
Vous avez, me semble-t-il, fait preuve de sagesse en vous engageant à faire examiner par le Parlement avant la fin de la législature les propositions de loi déposées tout en requérant une très large majorité pour vous permettre de trancher.
Après avoir contribué à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, mon groupe et moi-même avions déposé une proposition de loi dans ce sens dès le 6 avril 2000.
Je suis convaincu, pour ma part, que le respect mutuel et la tolérance finiront par l'emporter et que nous pourrons nous enorgueillir d'avoir enfin mis un terme à ce débat à l'occasion symbolique du quarantième anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie. Nous aurons ainsi contribué à conforter la mémoire historique de ce dernier conflit du XXe siècle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à l'instar des députés communistes, nous voterons votre budget, en souhaitant demain prolonger le dialogue pour satisfaire les nombreuses attentes du monde combattant. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes. - M. Grignon applaudit également.)
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ils vont plus loin que nous dans leurs revendications et ils votent le budget !
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est le premier budget que vous présentez au Sénat. Mais nous savons tous avec quelle attention et quelle vigilance vous avez suivi les précédents budgets des anciens combattants à l'Assemblée nationale.
Nous savons aussi combien votre sensibilité, votre histoire personnelle et familiale vous attachent au ministère dont vous avez aujourd'hui la charge.
Comme le rapporteur de la commission des affaires sociales, notre collègue Marcel Lesbros, l'a dit et redit, ce budget est le dernier de la législature. Il nous offre l'occasion de dresser le bilan de l'action qui aura été menée au cours de ces cinq années, d'abord par Jean-Pierre Masseret - dont nous saluons tous l'implication et l'engagement - et maintenant par vous-même.
Ce bilan doit être, bien sûr, objectif, juste et sincère. Il doit mesurer les avancées qui ont été réalisées et faire la part des difficultés qui peuvent subsister.
Lors de la discussion de précédents budgets, notre commission des affaires sociales avait émis un avis favorable ou s'en était remise à la sagesse de notre assemblée. C'est bien qu'elle considérait que la politique menée en faveur des anciens combattants était dans la bonne voie. Je m'étonne donc qu'aujourd'hui le bilan lui apparaisse comme négatif.
M. Raymond Courrière. On approche des élections !
M. Gilbert Chabroux. Il manque, dans le jugement que vous portez, un peu d'objectivité et de sincérité. Les prochaines échéances électorales y sont sans doute en effet pour quelque chose.
On peut ainsi s'interroger sur le nouveau mode de calcul choisi par la commission pour mesurer l'évolution des crédits budgétaires depuis 1997.
Certes, nous avions tous souhaité que ces crédits puissent être maintenus, année après année, alors qu'ils ont diminué de 2 % environ par an. Le nombre de pensionnés a, lui, baissé de 4 % chaque année. En revanche, il y a, relativement, de plus en plus - près de dix fois plus - de ressortissants de l'ONAC qui ne sont pas des pensionnés. Mais les sommes versées sont sans commune mesure, nous le savons bien. Et, monsieur Lesbros, vous n'avez pas raison de vouloir faire une moyenne sur 4,3 millions de personnes qui sont dans des situations très différentes les unes des autres.
Nous avons tous reconnu, les années précédentes, que l'évolution était positive, même si elle pouvait paraître insuffisante. Pourquoi changez-vous le mode de calcul ? Et pourquoi le faites-vous cette année ?
M. Raymond Courrière. Parce que c'est la droite !
M. Gilbert Chabroux. Faisons donc le point, mes chers collègues, avec un peu d'objectivité, sur les principaux dossiers.
Il y a cinq ans, le contentieux le plus lourd concernait les anciens d'Afrique du Nord. Il fallait savoir reconnaître officiellement la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc. Cela a été fait. Il fallait aussi élargir les conditions d'accès à la carte du combattant et au titre de reconnaissance de la nation. Cela a été fait également. Que peut-on faire de plus pour l'accès à ces titres ? Faut-il accorder la carte du combattant au-dessous de douze mois de présence ?
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. Certainement pas !
M. Gilbert Chabroux. Cela ne paraît pas justifié. Dans le projet de budget pour 2002, vous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, que la retraite du combattant soit versée à partir de soixante ans pour les titulaires d'une pension militaire d'invalidité. C'est une mesure très intéressante, en précisant bien que cette retraite, liée au droit à réparation, ne doit pas se transformer en une prestation sociale modulable avec l'âge et les revenus.
Mais cela ne suffira pas. Il faudra faire plus et, d'abord, revaloriser sensiblement le montant de cette retraite. Le nombre de bénéficiaires va se stabiliser en 2003 ; ce doit être l'occasion de franchir une étape significative.
Toujours par rapport à la guerre d'Algérie, nous apprécions que la discussion à l'Assemblée nationale ait permis une avancée sur le dossier, difficile et sensible, des psychotraumatismes de guerre. Il faut mettre en place des centres de traitements adaptés à ce type de traumatismes.
Nous étions nombreux à souhaiter que le mémorial national de la guerre d'Algérie soit inauguré pour le quarantième anniversaire du cessez-le-feu. Ce sera malheureusement un peu plus tard.
Mais le problème de la date commémorative de la guerre d'Algérie se pose de plus en plus, et je pense comme vous que le moment est venu d'en débattre le plus sereinement possible.
Comment envisagez-vous de procéder sachant que les Français considèrent très majoritairement, à 72 %, que la date qui convient le mieux pour organiser cette cérémonie est celle du 19 mars ? Comment envisagez-vous les cérémonies qui seront organisées le 19 mars 2002 ?
Les anciens d'AFN ont besoin d'une reconnaissance morale et de justice à un moment où certains pourraient mettre en cause leur honneur et leur dignité en évoquant la torture et le viol en Algérie.
Il y a un problème d'information, en particulier par rapport aux nouvelles générations. La position du Gouvernement a été tout à fait claire. Comme l'a dit M. le Premier ministre et comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut « appeler à un travail de lucidité sur les moments sombres de la guerre d'Algérie ». Mais en aucun cas il ne peut y avoir de généralisation outrancière à l'égard de la majorité des participants à cette guerre et de repentance.
Il y a sans doute beaucoup de questions à se poser sur la guerre d'Algérie, mais il faut d'abord répondre à celles que nous adressent les jeunes : pourquoi a-t-on fait cette guerre ? Où se situent les responsabilités ? Pourquoi a-t-elle duré si longtemps ? Il y a, je le répète, un vrai problème d'information.
D'autres dossiers ont également beaucoup progressé au cours des dernières années. Je pense notamment, bien sûr, à la réunification de la valeur du point pour les grands invalides, même s'il a fallu du temps pour y parvenir.
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. Trois ans !
M. Gilbert Chabroux. Certes, mais il fallait le faire et cela a été fait !
Vous allez prolonger, en quelque sorte, ces dispositions en prévoyant, en 2002, une augmentation de la majoration de pension dont bénéficient les veuves des grands invalides. C'est une mesure d'équité, sachant dans quelle situation peuvent se trouver ces veuves, sachant aussi qu'elles ont occupé une fonction dans la nation.
Sur le plan de la solidarité et de la reconnaissance, il faut souligner la nouvelle progression du plafond majorable de la retraite mutualiste. Il est vrai que l'on peut souhaiter plus pour atteindre plus vite l'objectif des 130 points. Mais l'augmentation de 1998 à 2002 aura tout de même été de 20 % alors qu'elle n'avait pas dépassé 11 % pour la période de 1993 à 1997. Il faut par ailleurs se féliciter que ce soient bien les mutuelles d'anciens combattants qui gèrent cette retraite et non le secteur marchand.
Les crédits sociaux de l'ONAC ont été augmentés lors de la discussion à l'Assemblée nationale. Cela devrait permettre de mieux venir en aide aux veuves d'anciens combattants qui sont dans des situations difficiles. Mais, sur ce dossier aussi, il conviendra d'aller plus loin, avec des critères adaptés et des mesures ciblées.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez fait part de votre intention d'allouer des moyens supplémentaires aux associations concernées pour essayer d'apporter une solution au douloureux problème de l'indemnisation de tous les orphelins des victimes du nazisme. Une solution égalitaire est infiniment souhaitable. Il s'agit du droit à réparation, qui doit être égal pour tous. Avez-vous avancé dans les négociations ?
Dans un tout autre domaine, avez-vous trouvé une solution pour résoudre le problème du remboursement des cures thermales ? Il serait souhaitable, là aussi, qu'il s'agisse bien d'un droit à réparation et non d'action sociale.
Au sujet des crédits de l'ONAC, nous approuvons tous le geste qui est fait pour rétablir le droit à réversion de pension pour les veuves dont l'époux ancien combattant des ex-pays coloniaux était titulaire d'une pension militaire d'invalidité.
Ce n'est pas véritablement la décristallisation que nous appelons de nos voeux, mais c'est un signe encourageant en attendant le projet de loi que vous devez présenter. Il est vrai que la situation créée par la cristallisation est indigne, et M. Lesbros a raison de le dire. Mais qui en est responsable ? Qui a cristallisé ?
M. Raymond Courrière. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Enfin, j'ajouterai quelques mots sur la politique de la mémoire.
Je m'étonne qu'elle puisse être décriée. De nombreuses initiatives ont été prises les années précédentes avec, par exemple, les adjoints-mémoire, et les crédits vont encore augmenter de 20 % en 2002.
Le budget accorde une place particulière à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et à celle de la guerre d'Algérie. Parmi les propositions qui ont été évoquées, il en est une qui m'apparaît très intéressante, celle qui porte sur l'institution d'une journée nationale de la Résistance. De nombreuses villes organisent déjà des cérémonies le 27 mai, en souvenir de l'unification de la Résistance et du Conseil national de la Résistance.
Pour terminer sur le bilan, je voudrais rappeler, mes chers collègues, les menaces qui pesaient, il y a quelques années, sur les institutions du monde combattant, à commencer par le département ministériel dont vous avez maintenant la charge, monsieur le secrétaire d'Etat, et dont il fallait d'abord assurer la pérennité.
Les mêmes questions se posaient pour l'ONAC, voire pour l'institution nationale des Invalides. Tous deux ont su s'engager dans un processus de réforme et de modernisation qui conforte leur place. Le rôle qu'ils jouent est irremplaçable. Le Gouvernement a su conduire ce processus et cela fait partie de son bilan.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Le groupe socialiste a toujours été convaincu que la politique menée par le gouvernement de Lionel Jospin en faveur des anciens combattants se situait dans la bonne voie. Elle donne des résultats très positifs et elle doit nous permettre de progresser encore.
Nous vous apporterons donc, monsieur le secrétaire d'Etat, tout notre soutien pour franchir avec vous une nouvelle étape, et d'abord en votant le budget que vous nous présentez. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. C'est la méthode Coué !
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de budget des anciens combattants pour 2002 s'inscrit dans la continuité. Il a été réduit de 2 % par rapport au budget de 2001, le nombre des bénéficiaires se réduisant dans le même temps de 4 %.
Les Français de l'étranger, que je représente, sont souvent d'autant plus attachés aux grands problèmes de notre pays qu'ils en vivent éloignés.
J'examinerai d'abord les problèmes relatifs aux anciens combattants de l'étranger, Français ou originaires d'anciens territoires français. Je reprendrai à cette tribune les voeux exprimés en septembre dernier par le Conseil supérieur des Français de l'étranger, le CSFE, lors de sa dernière assemblée plénière.
J'évoquerai, d'abord, la cristallisation des pensions de retraite des anciens combattants de nos anciens territoires. Celles-ci avaient été fixées lors de la proclamation des indépendances, il y a en général plus d'un demi-siècle. Leurs montants en francs ont été lourdement dévalorisés par l'inflation et la dépréciation des monnaies. Certaines pensions - c'est le cas en Indochine - sont devenues si faibles qu'elles ne justifient plus le déplacement de leurs bénéficiaires pour aller les toucher aux consulats de France.
L'idée a même été exprimée de les remplacer par une somme forfaitaire attribuée comme solde de tout compte une fois pour toutes. Ne serait-il pas possible, monsieur le secrétaire d'Etat, d'affecter ces pensions d'un coefficient de revalorisation qui serait mis à jour à certaines échéances ?
Par ailleurs, la disparité des montants de ces pensions dans les anciens territoires français est tout à fait irrationnelle. La commission que vous avez récemment mise en place ne pourrait-elle pas vous présenter des mesures concrètes dans des délais raisonnables ?
Le CSFE avait aussi demandé que l'âge de la retraite soit fixé à soixante ans, en particulier pour les invalides de guerre, les pensionnés militaires d'invalidité de nos ex-territoires, si mal traités par la cristallisation. En outre, leurs veuves, pour des raisons de solidarité tout à fait justifiables, devraient percevoir une allocation équivalente à une réversion de 50 % des pensions.
Le CSFE a également demandé que la rente viagère prévue par la loi du 30 décembre 1999, accordée aux harkis et aux supplétifs de la guerre d'Algérie, soit complètement réversible à leurs veuves à titre de reconnaissances de la nation. Cette disposition, prévue dans la loi de finances de 2000, honore nos 150 000 compagnons d'armes harkis morts pour avoir aimé la France. Elle correspond bien à l'hommage national aux harkis rendu par le Président de la République le 25 septembre dernier, en votre présence, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'hôtel national des Invalides.
J'ajoute que la date du 19 mars, si elle était officiellement retenue comme journée nationale, constituerait pour tous les harkis morts après ce jour de 1962, et qui sont plus nombreux que ceux qui sont disparus antérieurement, un deuxième sacrifice et une insulte à leur mémoire. (MM. Cleach et Joly applaudissent.)
Enfin, le CSFE a demandé que les blessures et traumatismes subis au cours de missions en opérations extérieures soient considérés comme imputables au service.
Je terminerai mon exposé en parlant de la mémoire historique.
Merci, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir augmenté de 20 % les crédits qui lui sont alloués. Votre action doit être renforcée par le ministère de l'éducation nationale et passer par l'école pour que la mémoire historique reste vivante dans les nouvelles générations. Les anciens accords entre les deux ministères doivent être réactualisés.
Dans cette optique, les pélerinages dans les cimetières militaires doivent être encouragés. Ils se développent beaucoup à partir des pays lointains ayant participé très activement aux guerres mondiales, les Etats-Unis d'Amérique, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, mais aussi à partir de l'Allemagne. On ne peut que regretter, à ce sujet, que la médaille interalliée de la guerre 1914-1918 n'ait pas été reprise en 1939-1945 pour tous les militaires étrangers ayant contribué à la victoire.
Nombre de cimetières militaires constituent des sites remarquablement aménagés, comme le cimetière du Bois Beleau, où les Américains ont regroupé tous leurs nationaux morts depuis la Première Guerre mondiale. De nombreux cimetières anglais évoquent aussi des espaces de paix, véritables jardins anglais où le gazon est une English mixture et où les roses proviennent d'Angleterre. Nous sommes loin de nos « carrés français » où nous regroupons nos soldats non identifiés !
Il faut dire que les Anglais dépenseraient, semble-t-il, chaque année 150 francs par tombe, les Allemands de même, alors que votre secrétariat d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, ne dépense toujours que 8 francs par tombe.
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Mais non ! C'est une légende !
M. Hubert Durand-Chastel. Cela se voit au Chemin des Dames, aux Eparges, à Villeroy.
Les Français auraient-ils la mémoire plus courte que leurs voisins, qui savent développer un tourisme de la mémoire en pleine progression ? La France, pays du tourisme par excellence, qui accueille 80 millions de touristes par an, ne devrait-elle pas aussi s'y intéresser ? A moins que M. Jean-Claude Gayssot ait eu une prémonition en choisissant Chaulnes, dans la Somme, comme troisième aéroport parisien !
Je vous remercie par avance de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Cleach.
M. Marcel-Pierre Cleach. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de budget suscite des appréciations mitigées : il s'inscrit en effet dans la continuité des budgets précédents, tous marqués par des réponses partiellement positives, mais généralement raisonnables, aux revendications du monde combattant.
Nos rapporteurs et les collègues qui m'ont précédé à la tribune ont fait leur choix parmi les plus et les moins. Je ne reviendrai pas sur les insuffisances signalées plusieurs fois, ni sur les avancées reconnues en faveur des plus grands invalides ou de leurs veuves et des titulaires d'une pension militaire d'invalidité. Mais, comme l'ont souligné MM. les rapporteurs, plusieurs orateurs, et comme nous le faisons chaque année, je tiens à vous dire combien nous souhaiterions voir enfin initié le processus de décristallisation pour lequel votre prédécesseur avait fait d'intéressantes propositions.
La France, aujourd'hui si critiquée, si attaquée, appelée de-ci, de-là à la repentance, s'honorerait en faisant ce geste en faveur de ses anciens combattants d'outre-mer. C'est notre devoir de mémoire et de reconnaissance.
Toutefois, le budget, avec ses qualités et ses insuffisances, est un acte politique. C'est l'occasion pour moi, ancien d'Algérie, membre d'une association nationale d'anciens d'Afrique du Nord, de vous dire mon sentiment sur le problème du choix d'une date commémorative de la fin de ce que nous sommes convenus, à l'unanimité des parlementaires des deux chambres, d'appeler la guerre d'Algérie. Je tiens à y consacrer l'essentiel de mon intervention.
A ma connaissance, deux associations d'anciens combattants sont à l'origine de cette demande. Toutes deux souhaitent que le 19 mars, date anniversaire du 19 mars 1962, elle-même date théorique, date juridique du cessez-le-feu en Algérie, soit retenu pour commémorer nos morts, penser à ceux qui, survivants, ont cependant payé un lourd tribut et surtout, « fêter » la fin de la guerre, car il est vrai que ce fut un soulagement pour beaucoup de combattants, appelés ou militaires de carrière, et leurs familles.
Il s'agirait de faire du 19 mars, si j'ai bien compris, un autre 8 Mai, un autre 11 Novembre.
Vous savez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le monde combattant est particulièrement et profondément divisé sur cette question. L'un de vos prédécesseurs avait réuni, en septembre 1981, trente et une associations regroupant les anciens d'AFN : sur ces trente et une associations, vingt-neuf s'étaient alors opposées au choix du 19 mars comme date d'une quelconque commémoration.
La situation n'a pas évolué depuis. Les associations, résolument et définitivement opposées à ce choix, le sont pour plusieurs raisons.
La première concerne la vérité historique. En effet, les hostilités ne se sont pas arrêtées le 19 mars 1962. A partir de cette date, et tout au long de l'année 1962, malgré les stipulations des accords d'Evian garantissant le respect des anciens combattants d'origine algérienne ayant servi sous le drapeau français - les harkis, les supplétifs, etc. - près de 150 000, dit-on, de ceux-ci furent exécutés par le FLN dans des conditions atroces. Et s'ils ne furent que 60 000, comme le prétendent d'autres sources, ils furent 60 000 de trop, exécutés après l'armistice, alors que nous respections, nous, les accords engageant notre pays.
Au cours de la même période, l'armée française eut 152 tués, 422 blessés et 162 disparus. Ce n'était donc pas la fin de la guerre d'Algérie.
La deuxième raison a trait à la tradition la France ne célèbre que des victoires ou des actes exceptionnels de bravoure. Célébrons-nous le 22 juin 1940, date de la signature par le maréchal Pétain de l'Armistice consacrant la défaite de la France ? Célébrons-nous le 21 juillet 1954, date de la signature des accords de Genève mettant fin à la guerre d'Indochine et, par là même, à la présence françaisse en Indochine ? Non, nous célébrons avec ferveur le 8 Mai, date de la victoire sur l'Allemagne nazie et le 11 Novembre, date de la victoire de la Première Guerre mondiale.
La troisième raison tient à la décence. Nous devons imaginer l'épreuve morale que représenterait, pour les anciens d'Algérie - en tout cas pour beaucoup d'entre eux - le fait de célébrer le souvenir de leurs morts le même jour que l'Algérie indépendante - et c'est son droit ! - fête sa victoire. Le 19 mars est devenu en Algérie la fête de la victoire. Pour les anciens d'Algérie, il est particulièrement inacceptable, compte tenu du nombre de morts survenues postérieurement au 19 mars, et notamment chez les harkis, de célébrer quoi que ce soit en ce jour anniversaire.
Choisir cette date du 19 mars, c'est raviver les pires souvenirs de tous ceux, militaires du contingent et professionnels, qui, séjournant en Algérie après cette date, ont constaté, impuissants, toutes les exactions commises par le FLN et les malheurs frappant la population tant européenne que maghrébine.
Ces sentiments sont restés très forts, monsieur le secrétaire d'Etat. Je vous assure que ceux qui les partagent - et j'en suis - n'accepteront jamais de donner au 19 mars le caractère d'une journée nationale du souvenir. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Où sera le recueillement quand, dans un même village, une partie - une partie seulement - des anciens d'Algérie ira se recueillir devant le monument aux morts ?
Comment expliquerons-nous à nos enfants cette division, ce ressentiment entre anciens du même combat ?
Il est inconcevable, tristement inconcevable, que le monde combattant se divise sur une telle question, se déchirer pour le choix d'une date est dérisoire.
Vous êtes le secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants, de tous les anciens combattants ! Vous devez tout faire pour les rassembler et ne rien faire qui puisse ajouter à leurs divisions.
Que chacun ait sa vérité, son interprétation des causes et des événements de la guerre d'Algérie ; oui, bien sûr ; que les historiens fassent leur travail en toute transparence, oui ; que les excès soient condamnés, mais dans les deux camps ; oui, bien sûr ; qu'il soit tenu compte des horribles circonstances de cette guerre aussi mais que les anciens d'Algérie, qui ont fait leur devoir, tout simplement, ne soient pas tous écoutés sur une question aussi symbolique, non !
Les anciens combattants d'Algérie doivent rester unis pour la mémoire de ceux qu'ils ont perdus et pour expliquer aux enfants de France ce que furent leurs combats, ce que signifiaient pour eux l'esprit civique, le devoir, le patriotisme, quelle que fût leur appréciation personnelle de la situation.
Mais les faits sont là : il n'y a pas unanimité sur le choix d'une date de commémoration. Il y a même, hélas ! une très grave division entre les anciens combattants d'Algérie. Appartient-il à leur secrétaire d'Etat de prendre parti et de prendre le risque d'une plus grande division encore ? Appartient-il seulement au Parlement d'y participer ? N'est-ce pas plutôt aux intéressés eux-mêmes, unis sur bien d'autres plans, de rechercher ensemble une solution ? (M. le secrétaire d'Etat s'exclame.) Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une telle décision appartient d'abord aux anciens combattants concernés et qu'elle requiert l'unanimité ?
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cleach. J'avais, avec quelques autres sénateurs, décidé de proposer une autre date pour cette commémoration. Nous n'avons pas déposé notre proposition pour éviter d'alimenter la querelle ; nous n'avons pas voulu ajouter à la division. (M. Courrière s'exclame.)
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer lors de la discussion de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la guerre d'Algérie, il convient de trouver une solution qui rallie l'ensemble des anciens d'Algérie ; je sais qu'elle n'est pas simple. Alors, et alors seulement, nous pourrons dignement rendre hommage à toutes les victimes, sans distinction de race ni de religion, celles qui sont tombées avant comme celles qui sont tombées après le 19 mars 1962, sans oublier ceux qui ont été blessés, qui ont souffert ou qui souffrent encore, ainsi que les ascendants, veuves ou orphelins de nos camarades morts pour la France.
Nous attendons de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous y aidiez. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le secrétaire d'Etat, avant d'aborder mon propos sur le dernier budget de la législature concernant les anciens combattants, je souhaite saluer l'action menée par votre prédécesseur, Jean-Pierre Masseret, aujourd'hui réélu au Sénat et siégeant à nos côtés. En effet, nous avons eu en lui, pendant plus de quatre ans, un homme de dialogue. Ses qualités d'écoute et sa volonté de répondre aux attentes du monde combattant ont été unanimement appréciées. Je ne doute pas que vous-même, ancien combattant ayant beaucoup travaillé sur le sujet, poursuiviez l'action qu'il a menée.
Aujourd'hui encore, monsieur le secrétaire d'Etat, les différentes associations du monde combattant se posent un certain nombre de questions, malgré le travail important accompli, et même si de nouvelles mesures sont proposées apportant de nouvelles avancées : le relèvement de 110 à 115 points d'indice de PMI du plafond majorable des rentes mutualistes ; le rattrapage - c'est la dernière étape - concernant l'unicité du point de pension pour les grands invalides ; l'attribution à soixante ans de la retraite du combattant pour les titulaires d'une pension militaire d'invalidité ; l'augmentation de la majoration de pension servie aux veuves des grands invalides - cent vingt points ; le renforcement de la politique sociale de l'ONAC ; l'augmentation des crédits consacrés à la mémoire et en particulier aux fondations de la Déportation et de la Résistance ; sans oublier les nouvelles décisions prises à la suite des débats de l'Assemblée nationale, comme la levée de la forclusion pour les veuves des anciens combattants de nos ex-colonies. Malgré tout cela, un certain nombre de points achoppent.
Je veux, encore une fois, insister sur un problème particulier lié à l'Alsace-Moselle : vous l'avez bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit des anciens incorporés de force dans les organismes paramilitaires allemands, c'est-à-dire le RAD et le KHD.
Le 25 juin 1998, le comité directeur de l'Entente franco-allemande décidait l'attribution d'une allocation aux anciens du RAD et du KHD en conditionnant sa participation à celle de l'Etat. Je rappelle qu'au début des années quatre-vingt la fondation avait écarté les anciens incorporés de force dans le RAD et le KHD de l'indemnisation prévue dans le cadre de l'accord du 31 mars 1981 entre le Gouvernement de la République française et celui de la République fédérale d'Allemagne.
Depuis lors, les anciens du RAD et du KHD attendent et souhaitent connaître les intentions de l'Etat.
De son côté, l'Etat demande à l'Entente de procéder au versement qu'elle aurait dû normalement effectuer, puisque, au départ, aucune distinction n'aurait dû être faite entre les incorporés de force dans la Wehrmacht et ceux qui l'ont été dans des organismes paramilitaires.
Nous en sommes là : chacun se renvoie la balle et rien ne bouge. Cette situation de blocage est désespérante et tragique pour les personnes concernées, âgées et fragiles.
L'enveloppe budgétaire nécessaire pour clore ce dossier serait d'environ 20 millions de francs, somme qui pourrait être répartie sur trois ans. Cette somme ne semble vraiment pas être en mesure de remettre en cause les grands équilibres économiques de la France et elle permettrait d'effacer l'une des dernières séquelles de la Seconde Guerre mondiale, cinquante-cinq ans après, en respectant ce qui a été une grande souffrance pour nos concitoyens alsaciens-mosellans.
Le deuxième problème qui me tient particulièrement à coeur est celui des veuves d'anciens combattants.
Cette année, le projet de budget pour 2002 voit l'achèvement du processus de dégel des pensions des grands invalides, processus engagé depuis deux ans et qui s'accompagne d'une mesure en faveur des quinze mille veuves des grands invalides, faisant augmenter leur pension de cent vingt points.
Nous attendions cette mesure, monsieur le secrétaire d'Etat. Il s'agit d'une compensation apportée au dévouement de ces femmes qui ont, la plupart du temps, sacrifié leur vie personnelle et professionnelle pour s'occuper de leur époux et qui se trouvent, à la dispariton de celui-ci, dans des situations souvent très difficiles.
Mais cela ne résout pas le problème d'ensemble des veuves d'anciens combattants. En effet, au 1er janvier 1998, 1 750 000 veuves étaient ressortissantes de l'ONAC. Pourtant, au 1er janvier 2000, seulement 150 000 bénéficiaient de la pension d'invalidité de leur époux. Les services départementaux de l'ONAC sont amenés, de plus en plus fréquemment, à intervenir en leur faveur. C'est bien la preuve que ces femmes rencontrent plus qu'avant des difficultés financières au décès, souvent précoce, de leur époux.
Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, ne serait-il pas possible de trouver rapidement une solution pour qu'existe, sous certaines conditions de ressources, une possibilité de réversion de la retraite d'ancien combattant ou de la pension d'invalidité pour les veuves les plus démunies ou, si cela n'est pas possible juridiquement, que l'on remplace celle-ci par une allocation équivalente ? C'est un principe de solidarité nationale que j'ai l'honneur de vous exposer.
Le troisième point qui me tient aussi très à coeur est celui de la décristallisation.
En effet, un arrêté rendu par le Conseil d'Etat en novembre 1999 a infirmé l'interprétation administrative selon laquelle la cristallisation gelait à la fois la valeur des pensions et retraites à la date d'indépendance des Etats et l'accès aux droits nouveaux.
Cette nouvelle interprétation juridique a eu pour conséquence l'inscription dans la loi de finances de 2001 - il s'agit des articles 109 et 110 - de la levée, à compter du 1er janvier 2001, de la forclusion concernant les demandes de retraite du combattant présentées par des ressortissants originaires de l'ancienne Union française, d'une part, et l'institution d'une commission d'étude chargée de proposer des mesures d'ordre législatif et réglementaire permettant la revalorisation des rentes, retraites et pensions des anciens combattants, d'autre part.
Depuis l'an dernier, la commission a été mise en place et elle s'est réunie. Ses conclusions sont attendues avec impatience, car il est juste que ces soldats qui ont servi la France, comme leurs compatriotes de la métropole, puissent enfin toucher ce qui leur est dû.
S'agissant de la levée de la forclusion pour la retraite du combattant, tout se passe bien pour les anciens combattants d'Afrique et d'Afrique du Nord, mais il n'en est pas de même pour les anciens combattants de l'ex-Indochine. En effet, la loi ne fait référence qu'aux textes régissant la cristallisation pour les Africains et les Nord-Africains ; elle omet de citer l'ordonnance de 1958 qui fonde la forclusion pour les ex-Indochinois, rendant ainsi la mesure inapplicable pour ceux-ci.
Vu la modicité de la dépense - il n'y a plus que 1 530 ayants droit - le problème devrait pouvoir se régler rapidement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous comptons sur vous pour que, dans ce projet de budget, les différents points que je viens d'aborder trouvent enfin une solution.
Les diverses avancées apportées au monde combattant dans la loi de finances pour 2002 font que la politique entamée en 1997 se poursuit et que le Gouvernement prend en compte les revendications du monde combattant progressivement.
Nous poursuivrons donc, à vos côtés, le travail qui a été entrepris et nous voterons votre budget. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe communiste républicain et citoyens.)
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai bien noté le satisfecit que vous vous êtes accordé en présentant le budget des anciens combattants pour 2002 lors de vos diverses interventions à l'Assemblée nationale et en commission au Sénat et, plus généralement, le bilan du Gouvernement concernant votre département ministériel.
Je crois honnête de reconnaître, en effet, que des mesures favorables au monde combattant ont été prises. Je reconnaîtrais même, d'ailleurs, que votre prédécesseur, qui a rejoint notre assemblée, a oeuvré en ce sens, et de cela, je tiens aujourd'hui à lui rendre hommage.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Pelchat. Toutefois, trop de revendications légitimes, et d'importance, demeurent aujourd'hui sans réponse pour que l'on puisse se satisfaire de la situation.
A structure constante, le budget des anciens combattants est, encore une fois, en baisse, si l'on ne tient pas compte des sommes, en provenance du budget des charges communes et du budget de la défense, qui sont transférées à ce budget.
Alors que la diminution de ce budget était déjà de 1,32 % dans la loi de finances pour 2001, elle est de près de 2 % pour 2002. Je ne peux donc que relever la diminution continue du budget des anciens combattants depuis 1997, année, d'ailleurs, de votre arrivée au pouvoir et où la baisse avait été de 5 %.
Alors, je vous le demande, monsieur le secrétaire d'Etat, peut-on exprimer de la satisfaction quand la politique à l'égard du monde combattant et le financement des nouvelles mesures dont vous vous targuez ne sont échafaudés que sur des calculs prévisionnels macabres, à savoir une diminution moins rapide, en pourcentage, des crédits du secrétariat d'Etat par rapport à la réduction « naturelle » du nombre des bénéficiaires potentiels ?
C'est d'autant plus déplorable à souligner que le maintien à un niveau constant des crédits du secrétariat d'Etat par rapport à l'an dernier aurait permis, chacun le sait, de satisfaire une grande partie des légitimes revendications des anciens combattants qui demeurent, année après année, sans réponse. C'est un constat que nous pouvons tous faire.
S'agissant du budget que vous nous présentez ce soir à proprement parler, je ne reviendrai pas sur les quatre avancées qu'il comprend. Les rapporteurs les ont très clairement exposées, comme ils ont, à juste titre, déploré leur caractère partiel.
Je souhaite, pour ma part, insister, cette année encore et bien malheureusement, sur le dossier de la décristallisation de la retraite des anciens combattants de nos anciens territoires d'outre-mer.
Cette douloureuse question n'a toujours pas trouvé de réponse. Or, ne l'oublions pas, le dispositif dit de « cristallisation » est applicable depuis 1958 !
J'avais exprimé quelque satisfaction, l'an dernier, devant l'avancée, certes timide, mais avancée tout de même, que constituait la levée de la forclusion sur l'attribution de droits nouveaux s'agissant de la retraite de ces anciens combattants. Mais ce petit pas est resté sans suite ! Il était d'ailleurs inachevé, comme nous le verrons tout à l'heure.
Une commission d'étude de la revalorisation des pensions avait été instituée par la loi de finances pour 2001, qui avait pour mission de proposer, dans les six mois de son installation, des mesures permettant la revalorisation des rentes, retraites et pensions des anciens combattants de l'outre-mer.
Or, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est que le 19 octobre dernier que l'arrêté portant nomination des membres de cette commission est paru au Journal officiel . Ne croyez-vous pas que l'on se moque un peu de nous, dans cette affaire ?
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. On en parlera !
M. Michel Pelchat. Quand je pense aux dizaines de milliers de soldats du Maghreb, d'Afrique noire, d'Indochine et de Madagascar qui ont cru en nos valeurs au point de se battre pour la France, reprenant les propos de mon ami Marcel Bigeard, je dirai : « J'ai mal à la France. »
Il me semble que la politique sur le « devoir de mémoire », citée à tout-va et à plus ou moins bon escient, est un peu trop sélective. Au lieu de donner des leçons d'histoire à d'autres nations, la France serait bien inspirée de faire préalablement son propre examen de conscience dans ce domaine.
Il n'est pas trop tard pour rendre justice à ces anciens soldats, qui méritent, convenez-en, monsieur le secrétaire d'Etat, au moins autant qu'un ouvrier étranger qui a travaillé en France, par exemple, dans une entreprise automobile, et qui, une fois retourné dans son pays d'origine, perçoit une pleine pension sans aucune distinction avec ses collègues français qui ont travaillé à ses côtés. En revanche, celui qui s'est battu pour la France, celui-là, on le sanctionne !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Eh oui !
M. Michel Pelchat. Avouez, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il s'agit là d'une drôle de méthode !
Par ailleurs, toujours au sujet de ces soldats, j'ai déposé, au mois de mai 2000, sur le bureau du Sénat, une proposition de loi qui a été cosignée par un très grand nombre de mes collègues, et dont l'objet est de permettre l'attribution de la nationalité française aux ressortissants des ex-territoires d'outre-mer ayant combattu dans une unité de l'armée française et ayant été gravement blessés au combat. Ce serait un minimum ! Nous l'avons fait pour des soldats de régiments étrangers qui ont combattu sur notre sol. A nos anciens combattants ressortissants des ex-territoires d'outre-mer, nous pourrions, pour le moins, accorder le même droit.
Malheureusement, cette proposition de loi n'a pu être discutée durant la dernière session, mais j'espère qu'elle sera inscrite dans une prochaine fenêtre parlementaire et qu'elle sera adoptée.
Comme vous avez pu l'entendre, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis loin d'afficher de la satisfaction, même si je garde cependant espoir de voir les problèmes afférents au monde des anciens combattants résolus un jour.
Globalement, monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de budget manque cruellement de volonté politique d'honorer dignement tous nos anciens combattants. C'est pour cela et pour toutes les autres raisons évoquées que je ne voterai pas le projet de budget que vous nous présentez ce soir ; mais je voterai les articles rattachés. (Applaudissements sur les través des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, montant pour la première fois à cette tribune, je ressens particulièrement l'honneur qui m'a été fait par le Président de la République et le Premier ministre en me nommant secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Car de cette tribune illustre, sans doute l'un des plus prestigieux lieux du Parlement, se sont exprimés les grands noms de la République. Comprenez que celui qui gravit ces marches pour la première fois ressente une légitime émotion.
Permettez qu'à cette occasion je salue mon prédécesseur, votre collègue Jean-Pierre Masseret, qui a choisi de revenir siéger à la Haute Assemblée après avoir, pendant plus de quatre ans, assuré la défense du monde combattant avec ténacité, avec courage, avec savoir-faire aussi, sans jamais se départir de sa grande courtoisie et sans cesser d'être à l'écoute. Au juste hommage que vous lui avez les uns et les autres rendu, et sur toutes les travées, je me devais, ce soir, de m'associer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les orateurs qui sont montés à cette tribune pour présenter le budget - et pas toujours pour le défendre, mais c'est la règle du jeu, n'est-ce pas, messieurs les rapporteurs ! - en ont fait une analyse qui me laisse penser que, dans le fond, ils n'en sont pas si mécontents.
Quand on est, comme vous, des tenants de l'opposition au Gouvernement, et des opposants de qualité, car vos arguments sont forts et servis par des propos qui permettent la réflexion, on ne peut manquer de reconnaître, une fois constaté le manque de lisibilité du budget, qu'il comporte cependant quelques avancées. Mais plus qu'à une analyse de ce budget, le dernier de cette législature, c'est à un bilan qu'ont procédé M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis, un bilan presque satisfaisant pour le Gouvernement. Presque, parce que vous n'avez pas été au bout des choses, messieurs les rapporteurs. J'aurais aimé entendre que ce que le Gouvernement avait accompli en ce domaine était de qualité et que, ce faisant, il avait en grande partie rempli la mission qui lui avait été confiée, à savoir la défense des intérêts matériels et moraux du monde combattant.
Vous avez souligné, à juste titre, la continuité dans l'effort. Il n'y a jamais eu, depuis 1997, de récession. Tous les budgets qui ont été présentés par Jean-Pierre Masseret comportaient des avancées, et c'est encore le cas de celui que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
M. Raymond Courrière. C'est exact !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Certes, ces avancées sont toujours insuffisantes. Sans être un très vieux parlementaire, je compte tout de même vingt années de Parlement derrière moi : j'ai vécu des moments dans la majorité et des moments dans l'opposition, et je connais le positionnement que l'on adopte quand on s'exprime sur le budget. On a toujours tendance à dire que l'on pourrait faire mieux et plus.
Oui, on devrait faire mieux et plus. Mais il y a les impératifs budgétaires, notamment de l'équilibre du budget, les impératifs autres que ceux du budget propre que l'on défend, ou que l'on attaque, ou que l'on propose ; il y a l'impératif général des finances de l'Etat, des finances de la République.
C'est au nom de ces impératifs que, parfois, des arbitrages sont pris qui ne satisfont pas. Souvent, le responsable d'un département ministériel n'y trouve pas son compte et sait qu'il ne pourra pas répondre aux questions qui lui sont ou qui lui seront posées, bref, qu'il devra se contenter d'une part moindre que celle qu'il espérait. Mais cela fait partie aussi de la règle du jeu !
Cela étant, dans le budget des anciens combattants, il y a bien autre chose que des questions de gros sous, bien autre chose que des considérations d'argent et de comptabilité publique. Il y a aussi toute une série de problèmes qui ne relèvent pas d'un crédit budgétaire ou qui n'en relèvent que de manière accessoire ; je veux parler de ce que vous avez appelé très justement le devoir de mémoire.
A cet égard, je suis inquiet. En effet, les textes sur lesquels nous nous fondons pour faire appliquer un certain nombre de propositions que le Parlement a adoptées sont de vieux textes législatifs, qui ont été votés après la Grande Guerre, quand Clemenceau a pu dire : « Ils ont des droits sur nous. »
Ce fut le tout début d'un droit nouveau, un droit à réparation en faveur des anciens combattants. Oui, ceux qui s'étaient battus pour la patrie avaient des droits sur la nation ; la grande loi de 1919, notamment, est claire sur ce point. Or, petit à petit, au fil des ans, au fil des majorités, des ministères et des gouvernements, sont venus s'ajouter aux lois de nombreux textes réglementaires, circulaires et instructions ministérielles.
Mais, dans un pays de droit, c'est la loi qui s'applique, c'est la loi qui traduit la responsabilité d'une décision politique. Le reste, ce n'est que l'application de la loi. Dans un pays de droit, quand on demande au juge du droit, tribunal administratif ou Conseil d'Etat, de regarder comment est appliquée la loi, sur quoi telle ou telle décision se fonde, le juge du droit fait son travail et regarde sur quelle base législative la décision s'appuie.
Or, dans ce dossier délicat du remboursement de l'hébergement des cures médicales - dossier dont j'ai hérité tout à fait normalement et dont j'assume pleinement la responsabilité - sur quoi s'appuyait-on ? Sur une vieille pratique qui datait du temps où il y avait des établissements thermaux militaires qui accueillaient les anciens combattants. C'est une simple lettre circulaire consacrant un accord entre le ministère de la défense et le ministère des anciens combattants qui permettait aux anciens combattants d'être accueillis dans ces établissements militaires : la loi de 1919, qui pose le droit aux soins et à la cure, ne dit mot de l'hébergement ! Vous le savez bien, vous qui êtes le législateur : la puissance des mots dans la loi est d'importance fondamentale.
Pendant des années et des années, le système a fonctionné sans heurts. Puis les établissements thermaux militaires ont été supprimés, et ce qui ressemblait à un droit à l'hébergement pour les anciens combattants, qui était acquis de par l'histoire, a été remplacé par une indemnité s'élevant à cinq fois celle qui est accordée aux autres curistes par la sécurité sociale et que l'on appelle « unité », soit à peu près 5 000 francs.
Un ancien combattant, mécontent de ce qu'il touchait, a demandé au juge de dire le droit, et le juge a dit le droit : il a consulté les textes et constaté que le terme « hébergement » n'y apparaissait pas. Ce n'est donc pas le Gouvernement, et vous le savez, qui a proposé la diminution de la somme allouée pour l'hébergement ; c'est le juge du droit qui, ne s'appuyant que sur les textes législatifs, a tranché en la ramenant au niveau du droit commun, soit une unité.
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. C'est le Gouvernement qui a signé l'arrêté !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Un arrêté ne suffit pas, il faut une nouvelle loi !
C'est pourquoi Jean-Pierre Masseret, après ce jugement, a entamé des pourparlers, au cours de négociations normales entre les services du secrétariat d'Etat au budget et les nôtres, afin de déterminer ce que nous pouvions accorder dans le cadre de la loi de finances.
Le niveau de trois unités qui a été retenu est insuffisant : il ne correspond pas à la réalité des besoins. On essaye aujourd'hui de compenser cette situation par des versements complémentaires effectués par l'ONAC sur ses propres crédits, mais il ne s'agit plus tout à fait du droit à réparation ; de ce point de vue, vous avez raison.
C'est pourquoi j'ai proposé, à l'Assemblée nationale - j'avais déjà évoqué cette possibilité avec les représentants des grandes associations d'anciens combattants - de reprendre tous les textes existants pour envisager, sur cette base, une codification du droit à réparation et pour que vous, sénateurs, avec vos collègues députés, puissiez légiférer sur les points sur lesquels les textes sont insuffisants, de façon qu'il n'y ait plus d'ambiguïté. Ensemble - et il n'y a plus de droite, de gauche ou de centre qui tienne, parce que c'est une question d'équité - nous devons combler les lacunes de la loi sur le droit à réparation pour que celui-ci ne soit pas remis en cause.
L'un d'entre vous le remarquait tout à l'heure, les plus jeunes de nos concitoyens comprennent parfois mal notre attachement à ce droit particulier. Certes, dans le milieu des anciens combattants, certes, dans le milieu des législateurs, surtout parmi ceux qui s'intéressent particulièrement à ces problèmes, on sait ce que ce droit signifie ; mais je suis loin d'être certain qu'il soit définitivement acquis aux yeux d'une grande majorité de nos concitoyens. C'est encore plus vrai pour les plus jeunes d'entre eux, et c'est ce qui est difficile à accepter.
C'est la raison pour laquelle j'ai entrepris ce travail, dont les résultats vous seront bientôt présentés. Nous avons besoin de faire le point et d'exprimer clairement, fortement, notre position sur ce sujet, car l'enjeu, je le disais, est de savoir si le droit à réparation restera définitivement acquis aux anciens combattants.
En tant que représentant du Gouvernement, j'affirme que le droit à réparation doit continuer d'exister.
M. Michel Pelchat. Il le faut !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. C'est pourquoi je vous ai exposé les difficultés : il est inutile que nous nous jetions à la figure de mauvais arguments alors que l'occasion s'offre à nous de réaliser un travail important.
Le projet de budget pour 2002 se traduit-il par une progression, par des avancées ? Ce n'est pas moi qui vous dirai le contraire !
M. Marcel-Pierre Cleach. Ce serait gênant !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Est-il suffisant ? Certes non ! Compte tenu de l'ensemble des demandes, d'importants budgets supplémentaires auraient été nécessaires si cela avait été possible. Mais c'est ce que dit chaque gouvernement !
L'important, cependant, est que chaque ayant droit ne voie pas sa part diminuer. Et l'on peut faire tous les calculs que l'on veut sur le nombre des ayants droit, des pensionnés, des personnes qui émargent au budget des anciens combattants, il reste que, entre 1997 et 2002, nous passons de 45 195 francs à 51 168 francs par personne. L'augmentation est irréfutable, et c'est cela qui compte.
Vous avez insisté avec juste raison sur quelques points qui nous permettront de mieux servir un certain nombre d'ayants droit.
D'abord, nous mettons fin à l'injustice qui frappait les grands invalides en réglant cette malheureuse prise de position qui était - je l'avais dit lorsque j'étais parlementaire, je le répète très clairement - inconvenante, pour ne pas utiliser d'autre mot.
Nous relevons donc, plusieurs d'entre vous l'ont souligné, la majoration de pension servie aux veuves de grands invalides, et ce n'est là, je crois, que juste reconnaissance de la nation envers cette catégorie de population.
Cette augmentation est exprimée en points. Nous savons, ici, ce que cela représente. Mais qu'est-ce que cela signifie pour nos concitoyens ? Pas grand chose ! Il faut donc parler en francs.
L'augmentation décidée est tout de même de moins de 10 000 francs par an. Le geste est fort, certes, mais il n'est pas exagéré. Je le souligne, car nombreux sont ceux qui ont craint que le crédit correspondant ne soit trop important. Cela représente moins de 780 francs par mois ! Si l'on estime qu'une augmentation de 780 francs par mois pour les veuves qui ont servi la France en s'occupant de leurs grands invalides, c'est trop, alors, il y a abus de langage ! Cependant, la somme est suffisamment importante pour être prise en considération.
Nombre d'entre vous ont évoqué la question de l'augmentation de la retraite du combattant et son attribution dès l'âge de soixante ans. Pourquoi pas ? Ces demandes ne sont pas illégitimes, d'autant que, il faut le rappeler, cette retraite s'élève à un peu moins de 2 800 francs par an, et non par mois, comme je l'ai entendu dire. Ce n'est donc pas exagéré.
Certes, le nombre de bénéficiaires augmente. Pourquoi ? Parce que les anciens d'Afrique du Nord commencent à percevoir cette pension, tandis que les anciens de 1939-1945 sont encore parmi nous. Ils disparaissent plus vite aujourd'hui, puisqu'ils ont tous atteint un âge honorable et vénérable, mais ils sont encore nombreux à la toucher.
Dans l'état actuel des choses, comme il fallait - excusez le terme - « amorcer la pompe » pour que la retraite, un jour ou l'autre, puisse être versée à tout le monde à soixante ans, mais comme nous ne pouvions faire le geste que pour certains, nous avons pensé que tous les titulaires d'une pension militaire d'invalidité pourraient être les premiers à en bénéficier à soixante ans. Cela nous permet de maintenir le droit à réparation : ce n'est pas un nouveau droit social, puisque nous ne tiendrons pas compte du revenu des allocataires.
Un certain nombre d'inquiétudes se sont manifestées au sujet de la décristallisation des pensions des ressortissants des anciennes colonies françaises, de nos camarades anciens combattants.
Mais faisons tout de même un petit effort de mémoire : s'il est question de décristallisation, c'est qu'il y a eu cristallisation !
M. Michel Pelchat. Tout à fait !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Nous avons commis cette erreur historique au moment où nos anciennes colonies ont acquis l'indépendance ; c'était peut-être une forme de sanction, c'était en tout cas une mesure injuste.
M. Michel Pelchat. Tout à fait !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Ensemble, il nous faut donc essayer de réparer cette injustice. Je le dis du haut de cette tribune : entre 1981 et aujourd'hui, la gauche a été au pouvoir, la droite aussi ; ni l'une ni l'autre n'a fait beaucoup pour redresser les choses, même si quelques corrections ont été apportées.
Aujourd'hui, il nous faut décider si nous sommes prêts à faire, ensemble, un geste suffisant pour la décristallisation des pensions.
Voilà dix-huit mois, alors que j'étais député, j'avais déposé, à la demande de M. Jean-Pierre Masseret, une proposition de loi concernant cette question et visant à trouver les moyens de mesurer la parité de pouvoir d'achat. En effet, ce problème - juste ou injuste - nous était opposé, en particulier, par les gouvernements des pays actuellement indépendants, qui nous demandaient que la parité de pouvoir d'achat joue sur ce titre de pension. Peut-être ! Il existe, dans l'arsenal international de la mesure de parité des monnaies, un indice, publié chaque année par les Nations unies et reconnu par la France, qui permet d'appliquer aux pensions décristallisées cette mesure de parité de pouvoir d'achat.
Une commission d'étude a été mise en place, certes avec beaucoup de retard - vous l'avez souligné à juste titre, monsier Pelchat - et ses membres, parlementaires, mais aussi représentants des grandes associations, se sont mis au travail. Ils avancent plus vite que nous ne le pensions, et je recevrai dans quelques jours le conseiller d'Etat chargé d'animer cette commission, M. Anicet Le Pors.
Nous serons peut-être en mesure, d'ici à quelques semaines, de faire le point sur certaines propositions, ce qui nous permettra, à nous, Gouvernement, mais aussi à vous, assemblées, de réfléchir aux moyens que nous pourrons mettre en oeuvre pour que les 30 000 pensionnés, les 62 000 bénéficiaires de la retraite du combattant puissent voir leur pension, leur allocation, revalorisées de façon significative. Car la France se déshonore, se déshonore même beaucoup en ne franchissant pas un pas nouveau.
M. Marcel-Pierre Cleach. Tout à fait !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat. Un serpent de mer a également été évoqué auquel je voudrais couper le cou une fois pour toutes : j'ai nommé le fameux rapport constant.
Longtemps, certains se sont demandé qui était ce « M. Constant » qui publiait régulièrement un rapport. (Sourires.) Foin de plaisanterie ! Nous disposons aujourd'hui des moyens de calculer l'évolution de pension de façon convenable et correcte ; nous disposons des moyens de mesurer la richesse produite par l'ensemble des Français et sa répartition ; nous disposons de grands indices qui permettent de mesurer cette évolution. Il en est un que je propose de prendre pour référence : l'indice qui mesure l'évolution des rémunérations brutes de la fonction publique, qui, précisément, prend en compte l'évolution des richesses. Et je ne vois pas pourquoi les pensions augmenteraient plus vite, ou moins vite, que les salaires de la fonction publique !
Cet indice est maintenant publié tous les mois, et il pourrait être appliqué en continu aux pensions sans qu'il soit nécessaire de procéder à ces savants calculs de rattrapage qui coûtent si cher aux services. Car il faut calculer d'abord, il faut notifier ensuite... Cette année, on en est à 0,04 % de rattrapage, ce qui est - j'allais parler comme mes petits-enfants - « nul » rapporté au travail fourni pour le calculer, alors qu'on a les moyens de faire évoluer les pensions et retraites de façon convenable grâce à un indice que nous pourrions tous admettre. Et quand je dis « tous », je pense à la fois aux associations d'anciens combattants, au Parlement et au Gouvernement.
Encore faut-il que nous disposions d'une base de calcul pour établir la réévaluation, et c'est sur ce point que la commission doit formuler une proposition. Je pense que nous pourrions trouver un accord. Quoi qu'il en soit, cessons de nous référer à ce fameux huissier de troisième catégorie qui a aujourd'hui disparu de la grille des salaires de la fonction publique ! On concevrait mal qu'une administration digne de ce nom se fonde sur l'indice d'une catégorie supprimée pour calculer la revalorisation des pensions des anciens combattants ! Il faut sortir du folklore pour revenir à des choses saines et sereines. Je pense que, dans quelque temps, la commission pourra proposer, à l'issue de ses travaux, une solution non pas pleinement satisfaisante pour tout le monde, mais convenable et acceptable.
S'agissant du devoir de reconnaissance, il est exact que nous disposons de crédits permettant d'envisager de prendre des mesures relatives à la retraite du combattant. Il est vrai que le nombre des titulaires de celle-ci a augmenté, mais plusieurs intervenants ont expliqué les raisons de cette évolution.
En outre, deux orateurs ont évoqué la question des incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes, le RAD et le KHD. Pour l'homme de l'Ouest que je suis, elle était un peu difficile à comprendre, mais je m'exprimerai plus longuement tout à l'heure sur ce sujet à l'occasion de la présentation d'un amendement. Toutefois, j'indique dès à présent que j'ai essayé de me faire ma propre philosophie sur cette question récurrente ; à mon avis, si l'on en a vraiment la volonté, il sera possible de trouver une solution immédiate.
En ce qui concerne le dispositif de solidarité, j'en ai parlé à propos des veuves des grands invalides, mais nous devrons aussi examiner la situation de l'ensemble des veuves de guerre et des veuves d'anciens combattants. Il est nécessaire de faire le point de temps à autre, car cela permet de mesurer les progrès qui restent à accomplir et d'étudier quelles nouvelles actions pourraient être entreprises.
S'agissant de la politique de mémoire, nous disposons certes, aujourd'hui, de crédits supplémentaires à ce titre. Un effort important a été consenti en faveur du patrimoine, et certains d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont parlé à raison de tourisme de mémoire.
M. Pelchat a par ailleurs attiré notre attention sur des problèmes préoccupants et délicats à exposer, ainsi qu'à résoudre.
Nous avons souhaité que soient reconnues toutes les souffrances liées à nos guerres. Ainsi, comme M. le rapporteur spécial l'a souligné, j'ai demandé à tous les maires, à toutes les communes de notre pays - villes, bourgs, villages - de rendre hommage aux veuves de guerre.
Cela n'avait jamais été fait, sauf dans la seule commune de France ayant érigé un monument qui leur soit dédié. Pourtant, au cours du xxe siècle, les différents conflits qu'a traversés ce pays ont fait 800 000 veuves et 1 500 000 orphelins de guerre ! Oui, 800 000 femmes ont vu leur vie brisée ! Il s'agissait d'ailleurs de jeunes femmes, parce que les combattants de 1914-1918 qui ont laissé des veuves étaient de jeunes hommes âgés de vingt à trente-cinq ans. Le même drame s'est répété lors de la guerre de 1939-1945 et des conflits sur les théâtres extérieurs. Qui sait, par exemple, que la guerre d'Algérie a commis - j'emploie ce verbe à dessein - 2 500 veuves de jeunes combattants, pour la plupart appelés ou rappelés ?
La nation doit se souvenir de ces femmes. Leur consacrer une simple plaque dans chaque commune ne coûtera pas très cher à nos concitoyens : s'il faut saluer le sacrifice des combattants, celui de leurs veuves doit aussi être reconnu, parce qu'il est important pour la mémoire collective.
C'est aussi parce qu'il est nécessaire de maintenir cette mémoire que le grand service public de la défense - l'expression pourra choquer certains - ne doit pas être coupé de la nation. Je suis, en tant que secrétaire d'Etat à la défense, notamment chargé des relations entre la nation et son armée. Au moment où celle-ci se professionnalise, il faut sauvegarder le lien fort que représentait la conscription. De 350 000 à 450 000 jeunes passaient chaque année sous les drapeaux ; aujourd'hui, de 750 000 à 800 000 jeunes filles et garçons participent aux journées de préparation à la défense, 20 % d'entre eux souhaitant un autre contact avec l'armée.
Nous allons donc essayer d'ouvrir à ces derniers les unités militaires, c'est-à-dire les régiments, les compagnies, etc., qui pourraient accueillir chaque année un certain nombre de jeunes. Ainsi, l'année prochaine, près de 3 000 jeunes gens les rejoindront pour des stages rémunérés de trois semaines à un mois, au titre des emplois-jeunes.
Par ailleurs, nos 36 000 communes et nos 500 000 conseillers municipaux sont une force pour la démocratie. Pourquoi ne pas les solliciter ? On prétend souvent que la France compte trop de communes, mais ce que nous perdons peut-être en efficacité - je ne suis pas persuadé que cela soit la réalité - nous le regagnons sur le plan de la démocratie. Dans chaque commune, en effet, un conseiller municipal pourrait être le correspondant de la défense, comme il existe des conseillers municipaux chargés des affaires sociales, de l'urbanisme ou des écoles. Ce correspondant recevrait des informations du ministère de la défense, qu'il répercuterait auprès de la population. Si nous disposions d'un tel réseau de 36 000 citoyens déjà bien avertis de la chose publique, parce que membres d'un conseil municipal, peut-être le lien entre la nation et son armée serait-il alors garanti.
Je voudrais maintenant évoquer quelques problèmes soulevés par différents orateurs.
Nous aurons les moyens de financer l'année prochaine la construction du centre européen du résistant-déporté, dans l'ancien camp de Natzwiler-Struthof, du mémorial de l'annexion de fait de l'Alsace-Moselle, à Schirmeck, d'un nouveau monument au Mont-Valérien, ainsi que du monument rappelant le souvenir de la guerre d'Algérie et des combats au Maroc et en Tunisie. Ainsi, les Françaises, les Français et tous ceux qui aiment la France pourront se recueillir devant ces monuments.
A cet égard, la France a rendu hommage à tous ceux, que l'on appelle les Justes, qui ont sauvé la vie de juifs français ou étrangers vivant sur notre territoire.
Mais nous avons aussi amorcé une réflexion sur la journée du 27 mai. Pour ma part, je suis favorable à ce qu'une journée rappelle l'esprit de résistance qui animait tous ceux qui se sont levés, entre 1939 et 1945, pour sauvegarder l'honneur de la France et pour montrer aux Françaises et aux Français qu'ils pouvaient résister à l'oppression, qu'ils pouvaient défendre les valeurs de la démocratie et de la liberté, les grands idéaux de la République. Je pense que nous devons inculquer cet esprit aux jeunes générations, leur faire connaître cette dimension de notre histoire.
J'ai vécu ma petite enfance pendant la guerre : j'ai vu mon père partir ; mon grand-père est mort dans un camp de concentration. Mais beaucoup, malheureusement, ne comprennent pas toujours qu'il a fallu que certains hommes et certaines femmes se dressent contre l'occupant.
Avant-hier, j'assistais à la présentation d'un très beau livre sur les femmes résistantes et les femmes déportées. On ne parle pas souvent du combat des femmes pendant la guerre de 1939-1945. Je crois que cet ouvrage permettra de leur rendre hommage.
Cependant, quelle est la signification de tout cela pour les jeunes générations ? Les anciens résistants que j'ai rencontrés, tous ceux qui sont porteurs du message que j'évoquais ne souhaitent pas l'instauration d'une journée de commémoration ; ils désirent que l'on parle de leur esprit de résistance, ils veulent pouvoir apporter une contribution pédagogique. C'est la raison pour laquelle nous allons proposer, avec le ministère de l'éducation nationale, que le 27 mai soit un jour d'explication de la Résistance dans toutes les écoles, tous les collèges et tous les lycées, au cours de laquelle les derniers anciens résistants encore vivants pourront témoigner.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propositions que je souhaitais formuler sur cet important sujet.
S'agissant toujours de la mémoire, M. Flandre a fait référence à la journée d'hommage national aux harkis. Pourquoi ne pas prolonger cette initiative, sans pour autant organiser tous les 25 septembre une manifestation de caractère aussi large et aussi officiel que celle qui a eu lieu cette année et qui était importante parce qu'elle a permis à l'ensemble des Français de reconnaître le fait harki, de reconnaître le malheur de ces personnes, de reconnaître que la France les avait abandonnées, de reconnaître qu'il y avait eu faute ? J'ai considéré que la commission composée de représentants des harkis devait être maintenue.
Toutefois, cette population, qui compte aujourd'hui, en incluant les descendants de harkis, près de 400 000 personnes, se regroupe dans cinq cents associations : comment s'assurer de la représentativité de celles-ci ? Certaines rassemblent simplement les harkis vivant dans un même village ou appartenant à quelques familles. La difficulté est réelle, mais la journée du 25 septembre a quand même montré que certains membres de la communauté pouvaient prétendre représenter cette partie de la population française et souhaitaient continuer à travailler avec la puissance publique. Nous poursuivrons dans cette voie !
Enfin, divers sujets sensibles et difficiles ont été abordés avec une grande franchise, ce dont je remercie le Sénat.
Je voudrais évoquer tout d'abord le décret du 13 juillet 2000, qui devait concerner 17 000 orphelins victimes des persécutions antisémites pendant la dernière guerre. Ce décret a été élaboré pour faire suite à la demande qui avait été formulée par la commission Mattéoli de réparation des spoliations. L'écriture restrictive du décret fait qu'il ne peut s'appliquer qu'aux victimes de la Shoah, et uniquement à celles-ci.
Le Conseil d'Etat a reconnu le bien-fondé de cette discrimination positive, mais nous avons reçu des demandes émanant de juifs devenus orphelins pendant la guerre, dont les parents sont morts non pas en déportation mais fusillés par les Allemands pour faits de résistance. Comment pourrait-on leur répondre qu'il aurait mieux valu que leurs parents aient été déportés, car cela seul leur aurait permis de percevoir la pension supplémentaire ou le crédit qu'ils sollicitent ? Ce serait inconvenant, insupportable ! D'autres personnes encore nous ont écrit pour nous signaler que leurs parents étaient morts à Drancy. Or Drancy n'était pas un camp de concentration : doit-on répondre à ces personnes que leurs parents sont morts trop tôt ?
En fait, le décret issu de l'étude menée par le président Mattéoli a conduit à une espèce d'injustice que les uns et les autres nous reconnaissons.
Mais, pour ma part, je ne suis pas partisan de modifier ce décret. Appliquons-le aux victimes strictes de la Shoah, et étudions avec les autres parties - c'est ce que j'ai commencé à faire avec les grandes associations de déportés et les grandes associations de résistants, ainsi qu'avec les deux fondations que sont la Fondation de la Déportation et la Fondation de la Résistance - comment trouver une autre solution.
La plupart de ceux qui nous écrivent font part de leur souhait d'être reconnus comme orphelins de résistant ou comme orphelins de déporté, certains d'entre eux ajoutant même qu'ils ne veulent pas d'argent. Compte tenu de ce désir de reconnaissance, voyons comment cette dernière peut leur être accordée. Peut-être faudra-t-il trouver des fonds.
En tout cas, ne mélangeons pas les genres. Ceux qui ont été victimes de la Shoah ont été victimes d'une barbarie particulière. Par conséquent, il nous faut, pour satisfaire la demande d'une juste revendication, trouver un autre moyen que la modification du décret.
Enfin, plusieurs d'entre vous ont parlé du problème difficile et délicat - il me concerne d'ailleurs aussi, car je suis de cette génération - d'une journée de recueillement, de souvenir en mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.
Sur ce point - et je le regrette - le débat entre les grandes associations n'a pas pu aboutir, certaines proposant des dates différentes et d'autres ne proposant pas de date du tout. Pourtant, avec beaucoup de bonne volonté, beaucoup de savoir-faire, de connaissances historiques et une écoute plus grande des autres, nous aurions pu ensemble trouver une solution au débat. Mais ce dernier est maintenant tellement engagé qu'on y associe les politiques, c'est-à-dire les représentants de la nation que vous êtes - la preuve, c'est que vous en parlez ! - à qui l'on demande de trancher, comme si c'était au législateur de statuer dans un domaine qui pourrait n'être qu'historique !
En réalité, le domaine est plus qu'historique : il touche au profond de nous-mêmes, de notre histoire, de l'histoire de la France, de l'histoire des Françaises et des Français, et c'est bien pour cela que sénateurs et députés sont maintenant chargés de dire leur mot.
Des textes ont été déposés, sur lesquels il faut réfléchir et ouvrir un vrai débat. Mais, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut décider par une simple majorité politique ou politicienne : que signifierait une décision prise à 51 % des votants ? Lorsque le texte relatif à l'utilisation du terme : « guerre » pour l'Algérie, à l'origine duquel je suis, a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, nous avons alors vu, dans les tribunes, les anciens combattants se lever et applaudir : soyez assurés que nombre d'entre nous avaient alors les larmes aux yeux, car ce vote nous touchait et permettait des avancées.
De la même manière, nous devrions donc pouvoir mener un débat sage et raisonnable sur la question d'une date éventuelle de souvenir et de recueillement. Mais saurons-nous le faire ? Les uns et les autres, nous savons avancer les arguments nécessaires et nous savons qu'il y a des moments historiques ; mais ces derniers sont-ils suffisamment forts pour nous imposer une date ? Telle est la question qu'il faut se poser. Que de chagrins, de deuils, de moments de bonheur et de malheur peut-on trouver derrière une date !
Au point où nous en sommes, le Parlement va devoir débattre de cette question. Mais le secrétaire d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants, que je suis considère que, en l'absence d'une majorité d'au moins 70 % des votants se dégageant sur une date, en l'absence d'une espèce de consensus de caractère national sur un sujet de cette importance, il sera de notre devoir de redemander à l'ensemble tant des partis et groupements politiques que des associations d'anciens combattants représentatives des anciens combattants d'Afrique du Nord de débattre à nouveau sur le sujet et de prendre position. Nous ne sommes pas à quelques jours près. Pour l'instant, puisque le débat est sur la place publique, c'est aux représentants de la nation de se saisir de cette question et de dire le droit sur ce sujet.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire sur le budget des anciens combattants. Peut-être n'est-il pas aussi satisfaisant que vous l'auriez souhaité, pas aussi important que vous l'auriez aimé. En tout cas, il est suffisamment équilibré pour que vous puissiez le voter ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère des anciens combattants et figurant à l'état B.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 721 857 euros. »