SEANCE DU 26 NOVEMBRE 2001


M. le président. L'amendement n° I-50, présenté par M. Chérioux, est ainsi libellé :
« Après l'article 4 ter , insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - La première phrase du premier alinéa du II de l'article 158 bis du code général des impôts est complétée in fine par les mots : "ou une fondation reconnue d'utilité publique".
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet amendement a pour objet de faire bénéficier les fondations reconnues d'utilité publique du régime des personnes physiques en matière d'avoir fiscal.
Nous avons déjà évoqué ce problème l'année dernière, mais peut-être y a-t-il eu, alors, une confusion. Nous partions, il est vrai, d'une situation nouvelle, créée par votre majorité, madame la secrétaire d'Etat, et par le Gouvernement. Il avait, en effet, été décidé de soumettre les associations au même régime que les autres personnes morales, un régime moins avantageux. Le Sénat avait essayé de rétablir la situation ante et vous ne l'aviez pas accepté.
Je dois reconnaître que l'argument que vous nous aviez opposé, et qui a été repris à l'Assemblée nationale, pouvait, dans une certaine mesure, être compris. Par définition, en effet, les associations n'ont pas pour but de gérer des fonds, je le comprends très bien. Mais il existe une exception : ce sont précisément les fondations, qui reçoivent une dotation parfois très importante. Prenez l'exemple de cette fondation qui est en cours de constitution, si elle n'est pas déjà créée, pour la mémoire de la Shoah : elle sera dotée de trois milliards de francs. C'est considérable ! D'où la nécessité de gérer cet argent au mieux pour assurer la pérennité de cette personne morale dont l'objet est toujours favorable à l'intérêt général, en tout cas jamais en contradiction, loin de là, avec ce que souhaitent les pouvoirs publics.
Je rappelle, à cet égard, que la procédure de reconnaissance d'utilité publique implique un contrôle au moment de la création et, ensuite, la présence au sein du conseil d'administration de personnalités éminentes qui représentent certains ministères ou quelquefois des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, ces fondations reconnues d'utilité publique, vous les connaissez : il s'agit de la Fondation de France, de la Fondation pour la recherche scientifique, de la Fondation pour la recherche médicale, et bien d'autres qui ont un objet particulièrement important et dont il faut assurer la pérennité.
Il convient, par conséquent, que leurs fonds soient bien gérés. Il ne s'agit pas de faire de la spéculation boursière. Certains auraient d'ailleurs pu être tentés d'en faire avant les récents événements, mais, aujourd'hui, c'est moins évident : les gestionnaires sont plus calmes ! Il n'en demeure pas moins qu'une gestion suppose une certaine division des risques ; on ne peut donc pas refuser aux fondations reconnues d'utilité publique la possibilité de placer une partie de leurs fonds en actions.
Cependant, si ces fondations font des placements en actions, la situation est extravagante : alors qu'elles ont le même statut que les personnes physiques en ce qui concerne les actions étrangères et européennes, en revanche, en ce qui concerne les actions françaises, la législation en vigueur ne leur autorise que 15 % d'avoir fiscal, au lieu de 50 %. Un tel régime peut les détourner des placements en actions françaises, ce qui est dommage non seulement pour l'économie, dans une certaine mesure, mais aussi et surtout pour les fondations elles-mêmes.
Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, et pour ne pas donner le sentiment de vouloir revenir, de manière générale, au régime antérieur - vous voyez que je vais au devant de ce que vous souhaitez, madame la secrétaire d'Etat -, j'ai pensé que le plus simple consistait non pas à créer une exception au régime des associations - on sait que toute exception ouvre une brèche - mais à traiter le sujet à part. C'est ainsi que, aux termes de cet amendement, les fondations reconnues d'utilité publique sont traitées d'une façon distincte et bénéficient du régime des personnes physiques. Cela permet de circonscrire le dispositif.
Madame la secrétaire d'Etat, cet amendement n'est pas très coûteux pour les finances publiques, mais ce sont autant de sommes et donc de moyens dont disposeront ces fondations. Je serais heureux que le Gouvernement accepte ce dispositif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission est très favorable à cet amendement. Elle s'était d'ailleurs prononcée en faveur d'un amendement similaire, mais d'une portée plus large, qui avait été présenté l'année dernière et que le Sénat avait adopté.
A fortiori , elle ne peut que soutenir avec plus de force encore ce dispositif plus étroit, qui ne vise plus que les fondations reconnues d'utilité publique.
Il est tout à fait clair, madame la secrétaire d'Etat, que l'abaissement du taux de l'avoir fiscal pour toutes les personnes morales a pénalisé les fondations reconnues d'utilité publique, tout comme d'ailleurs les autres gestionnaires d'actifs financiers. Il est donc, à notre sens, regrettable qu'une exception n'ait pas été prévue en faveur de fondations que l'on veut, par ailleurs, encourager parce qu'elles se substituent à l'utilisation de fonds publics et mobilisent un capital pour des causes d'intérêt général. Tout, dans ce cas, repose sur la bonne gestion de ce capital. Il faut donc optimiser cette bonne gestion, ce qui justifie la suggestion qui est faite par notre collègue.
Madame la secrétaire d'Etat, je me permets d'insister pour que vous réserviez un accueil favorable à cette démarche. A notre sens, avoir confondu les fondations reconnues d'utilité publique avec les autres gestionnaires d'actifs financiers est une erreur technique : on n'a pas pu vouloir pénaliser les fondations reconnues d'utilité publique. Au surplus, cette disposition ne représenterait pas un coût financier important.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce serait faire oeuvre extrêmement utile que d'adhérer à la démarche de notre collègue Jean Chérioux, à laquelle la commission des finances est très favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur Chérioux, nous avons eu ce débat l'année dernière. Vous souhaitez cette année que l'avoir fiscal dont bénéficient les fondations reconnues d'utilité publique soit porté de 25 %, ce qui est le taux actuel, à 50 %, alors que, aux termes de l'article 158 bis du code général des impôts, ce taux est ramené à 15 % à compter du 1er janvier 2002.
Comme vous le savez, la réduction du taux de l'avoir fiscal est le fruit d'une évolution qui a été amorcée dans le cadre des trois précédentes lois de finances et qui pourrait se poursuivre, le moment venu, par une réforme plus globale. Comme vous le savez aussi, les fondations reconnues d'utilité publique connaissent déjà une situation doublement dérogatoire par rapport aux règles de l'avoir fiscal.
M. Denis Badré. C'est justifié !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Premièrement, ces organismes peuvent utiliser l'avoir fiscal alors même qu'ils ne sont pas imposés sur les dividendes correspondants. Deuxièmement, ces entités peuvent obtenir la restitution de l'avoir fiscal qu'elles n'ont pas pu imputer sur leur impôt sur les sociétés, alors que cette possibilité de remboursement est, en principe, réservée aux personnes physiques.
Monsieur le sénateur, j'ai bien noté que, cette année, vous proposiez un amendement relevant d'une philosophie différente, qui consiste à assimiler en quelque sorte les fondations à des particuliers. Cependant, même si je salue votre recherche d'une solution de conciliation, le dispositif que vous proposez contribuerait encore à augmenter les particularismes des fondations reconnues d'utilité publique.
Au risque de vous décevoir, je me vois dans l'obligation, monsieur le sénateur, de renouveler un avis défavorable. J'ai bien conscience du fait que cet amendement n'est pas de même nature que celui que vous aviez déposé l'année dernière, mais il contribue à accroître les spécificités par rapport à un régime déjà très dérogatoire, ce que le Gouvernement ne souhaite pas.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'exprimerai ma déception, mais pas ma surprise : madame la secrétaire d'Etat, votre réponse est vraiment sectaire ! Le régime des fondations reconnues d'utilité publique est fait pour être dérogatoire parce que ces fonds sont employés au profit de l'intérêt général. Comme, pour vous, ce n'est pas un emploi, par l'Etat, d'argent récolté par les impôts, ce n'est pas bon. Telle est votre vision des choses. On ne peut aujourd'hui qu'en prendre acte, sachant que les personnes qui se consacrent à la gestion des fondations reconnues d'utilité publique sauront apprécier à sa juste valeur votre réponse !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-50.
M. Denis Badré. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Notre dernier débat, vendredi soir, très approfondi, dense et responsable, portait sur le rôle des associations régies par la loi de 1901 et sur la capacité des Français, dans notre société d'aujourd'hui, à s'engager de manière désintéressée.
Je trouve symboliquement très fort que, dans une parfaite continuité, nous ouvrions ce matin nos travaux sur le rôle des fondations reconnues d'utilité publique pour soutenir la générosité des Français. Nous démontrons ainsi tout l'intérêt que notre assemblée porte à ce genre de préoccupations qui font l'honneur de notre société en particulier et d'une société humaine en général.
Il me semble dès lors que le vote de cet amendement serait l'occasion d'exprimer une volonté politique, et tel est bien notre rôle. Certes, on peut rencontrer des difficultés à faire entrer une telle disposition dans les « clous » d'une législation fiscale quelque peu compliquée. Mais nous devons marquer cette volonté politique, et je suis certain, madame le secrétaire d'Etat, que, avec le talent qui est le vôtre et avec celui que vous apportent vos collaborateurs, vous parviendrez à rendre cette mesure compatible avec notre législation sans qu'elle remette en cause la loi et les prophètes.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je suis très déçu, non seulement par le contenu de votre réponse, madame la secrétaire d'Etat, mais surtout par sa formulation. Pour des raisons de catégories, pour des raisons strictement techniques et technocratiques, vous refusez à ces fondations le régime avantageux qui était le leur auparavant ! Comme si ces considérations étaient plus importantes que l'aide à apporter aux fondations pour qu'elles puissent développer leurs actions, financées certes par des fonds privés, mais placées sous le contrôle de l'administration. Et Dieu sait que la reconnaissance d'utilité publique n'est pas facile à obtenir et que les contraintes qu'elle exige sont pesantes !
Votre réponse me déçoit profondément sur le plan intellectuel. Opposer que l'on ne veut pas créer de catégorie différente, ce n'est pas faire une réponse, car la vraie question est de savoir si l'on veut continuer ou non d'aider et de favoriser les fondations. Je constaste, hélas ! que vous ne souhaitez pas le faire, et tous ceux qui gèrent les fondations en sont extrêmement désolés. C'est d'autant plus triste que le Gouvernement lui-même encourage les fondations comme celle qui va être créée et dédiée à la mémoire de la Shoah : elle aura trois milliards de francs à gérer, mais votre refus l'amputera d'une partie de ses revenus ; c'est bien triste, surtout compte tenu de son objet.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. J'ai noté que le Gouvernement, comme Denis Badré le soulignait tout à l'heure, se préoccupait beaucoup de ceux qui dirigent les associations et qui les servent, mais semblait moins se soucier de la finalité que se sont fixée les associations ou les fondations reconnues d'utilité publique.
Quels que soient les moyens et la nécessité de les soutenir, madame la secrétaire d'Etat, n'oublions jamais la finalité. En la circonstance, aider la finalité de ces fondations est le premier devoir du Gouvernement. Il est dommage qu'il ne le comprenne pas en cet instant.
M. Philippe Nogrix. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-50, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4 ter.

Article 4 quater