SEANCE DU 30 OCTOBRE 2001


M. le président. « Art. 2. - La section 7 du chapitre III du titre Ier du livre III du code civil est ainsi modifiée :
« 1° Son intitulé est ainsi rédigé : "Section 4. - Des droits du conjoint successible" ;
« 2° Avant l'article 765, sont insérés une division et un intitulé ainsi rédigés : " 1. - De la nature des droits et de leur montant" ;
« 3° Les articles 765 à 767 sont remplacés par cinq articles 765 à 767-2 ainsi rédigés :
« Art. 765 . - Est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé et contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée.
« Le conjoint successible est appelé à la succession soit seul, soit en concours avec les parents du défunt.
« Art. 766 . - Lorsque le défunt laisse des enfants ou des descendants, le conjoint survivant recueille le quart de la succession.
« Art. 767 . - Si, à défaut d'enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié de la succession. L'autre moitié est dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère.
« Quand le père ou la mère est prédécédé, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant.
« Art. 767-1 . - En l'absence d'enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession.
« Art. 767-2 . - Lorsque le conjoint survivant recueille la totalité ou les trois quarts de la succession, les ascendants du défunt, autres que les père et mère, qui sont dans le besoin, bénéficient d'une créance d'aliments contre la succession du prédécédé.
« Le délai pour la réclamer est d'un an à partir du décès ou du moment à partir duquel les héritiers cessent d'acquitter les prestations qu'ils fournissaient auparavant aux ascendants. Le délai se prolonge, en cas d'indivision, jusqu'à l'achèvement du partage.
« La pension est prélevée sur l'hérédité. Elle est supportée par tous les héritiers et, en cas d'insuffisance, par tous les légataires particuliers, proportionnellement à leur émolument.
« Toutefois, si le défunt a expressément déclaré que tel legs sera acquitté de préférence aux autres, il sera fait application de l'article 927. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par M. Hyest, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi l'article 2 :
« I. - La section VI du chapitre III du titre premier du livre troisième du code civil devient la section II et est ainsi intitulée :

« Section II
« Des droits du conjoint successible

« II. - Les articles 756 à 758 du même code sont remplacés par les dispositions suivantes :

« Paragraphe 1er
« De la nature des droits,
de leur montant et de leur exercice

« Art. 756. - Le conjoint successible est appelé à la succession, soit seul, soit en concours avec les parents du défunt.
« Art. 757. - Si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux.
« Art. 757-1. - Si, à défaut d'enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint recueille la moitié des biens. L'autre moitié est dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère.
« En cas de décès des père et mère ou de l'un deux, la part qui leur serait échue revient aux frères et soeurs du défunt ou à leurs descendants.
« Art. 757-2. - A défaut d'héritiers dans les deux premiers ordres, le conjoint recueille la moitié des biens s'il existe des ascendants dans les deux branches paternelle et maternelle et les trois quarts s'il n'existe d'ascendants que dans une branche.
« Dans chaque branche la dévolution s'opère selon les règles prévues par les articles 747 et 748.
« Art. 758. - A défaut d'héritiers des trois premiers ordres, le conjoint recueille toute la succession.
« Art. 758-1. - Lorsque le conjoint a le choix de la propriété ou de l'usufruit, ses droits sont incessibles tant qu'il n'a pas exercé son option.
« Art. 758-2. - L'option du conjoint entre l'usufruit et la propriété se prouve par tout moyen.
« Art. 758-3. - Tout héritier peut inviter par écrit le conjoint à exercer son option. Faute d'avoir pris parti par écrit dans les trois mois, le conjoint est réputé avoir opté pour l'usufruit.
« Art. 758-4. - Le conjoint est réputé avoir opté pour l'usufruit s'il décède sans avoir pris parti.
« Art. 758-5. - Le calcul du droit en toute propriété du conjoint prévu aux articles 757 à 757-2 sera opéré sur une masse faite de tous les biens existants au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport.
« Mais le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour. »
L'amendement n° 40 rectifié, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
« Après le mot : "recueille", rédiger comme suit la fin du texte proposé par le 3° de l'article 2 pour l'article 766 du code civil : ", à son choix, l'usufruit de la totalité ou la propriété du quart des biens existants lorsque les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d'enfants qui ne sont pas issus du mariage.". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement concerne vraiment les droits du conjoint survivant puisqu'il fixe l'étendue des droits successoraux de ce dernier.
Les modifications apportées au texte de l'Assemblée nationale obéissent à trois principes.
Il s'agit, tout d'abord, d'accroître les droits du conjoint en présence de ses propres enfants, en lui donnant la possibilité, s'il le souhaite, de bénéficier de l'usufruit sur la totalité des biens, qui lui permet, mieux qu'une portion limitée en propriété, de garder des conditions de vie proches de ses conditions de vie antérieures.
Il s'agit, ensuite, de ne pas imposer toutefois à des enfants non communs avec le défunt de supporter l'usufruit du conjoint.
Il s'agit, enfin, en l'absence de descendants, de ne pas écarter la famille par le sang. Il ne revient pas au législateur de présumer que le défunt aurait voulu écarter complètement la famille ou le conjoint. Il importe de garder un équilibre entre les deux, sachant que le défunt peut prendre des dispositions s'il désire avantager l'un ou l'autre.
Dans cet amendement, est bien sûr visée l'assiette de calcul des droits du conjoint. Nous admettons, et cela représente un progrès par rapport à la première lecture, que les droits en propriété soient calculés sur l'ensemble de la succession, mais à condition qu'ils ne s'exercent que dans la limite des biens existants et sur ces mêmes biens. On retrouve ainsi la distinction traditionnelle entre la masse de calcul et la masse d'exercice, qui figure actuellement dans l'article 767 du code civil, relatif à l'usufruit légal du conjoint. Cette solution est favorable au conjoint et elle évite des situations inextricables dans les familles.
En présence de descendants, le conjoint pourra exercer une option entre le quart en propriété des biens ou l'usufruit sur la totalité des biens existants si tous les enfants sont issus des deux époux. Il recueillera automatiquement le quart en propriété s'il se trouve en présence d'au moins un enfant non commun avec le défunt.
Pour ne pas paralyser le cours de la succession, le conjoint pourrait être invité par un héritier à opter dans un délai de trois mois, à l'issue duquel il serait réputé avoir choisi l'usufruit.
En l'absence de père et de mère du défunt, ou de l'un d'eux, la part qui serait revenue à ces derniers, la moitié des biens, revient aux frères et soeurs ou, à défaut, aux grands-parents. Sur ce point, nous sommes en désaccord avec nos collègues du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen. A l'heure actuelle, le conjoint n'a rien ou pratiquement rien. Lui donner plus de la moitié ou les trois quarts, c'est un progrès. Peut-être pourrons-nous aller plus loin encore. Cependant, exclure totalement les frères et soeurs serait une erreur. En outre, les biens concernés sont souvent des biens de famille, auxquels on est attaché, que l'on a parfois hérité de ses grands-parents.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les donations sont faites pour cela !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Selon vous, parce qu'il est possible de faire une donation entre époux, il ne faudrait pas résoudre le problème du conjoint survivant ? Ce n'est pas un raisonnement, mon cher collègue ! En l'occurrence, le droit que nous élaborons est subsidiaire. Il s'applique, bien entendu, en l'absence de dispositions. Il faut donc prévoir un dispositif qui s'applique plus ou moins, c'est vrai, à tous, quand les intéressés n'ont pas pris de dispositions. Ce que nous prévoyons pour le conjoint survivant en matière d'usufruit équivaut pratiquement à la donation entre époux, qui est la situation la plus fréquente. On conseille d'ailleurs aux époux de faire une donation au dernier vivant.
Le dispositif que nous proposons est équilibré. Dans tous les cas, les droits du conjoint seraient supérieurs à ceux dont il jouit à l'heure actuelle, mais ils n'excluraient pas totalement la famille par le sang. On progresse, peut-être pas autant que certains le voudraient. Mais, je le répète, vous commettez une erreur en excluant totalement les frères et soeurs.
M. le président. La parole est à M. Badinter, pour défendre l'amendement n° 40 rectifié.
M. Robert Badinter. Je souhaite d'abord rappeler ce que j'ai déjà eu l'occasion d'énoncer à la tribune, s'agissant de l'ordre que l'on peut qualifier de préférentiel dans le cas où le défunt n'a pris aucune disposition post mortem : dans ce cas, il n'y a aucune raison d'attribuer aux frères et soeurs, par une sorte d'interprétation de volonté posthume, ce que le défunt n'a pas pris le soin de réaliser par la voie testamentaire.
L'amendement n° 40 rectifié vise à opérer une différence, dans le texte proposé pour le 3° de l'article 766 du code civil, selon que des enfants sont ou non issus du mariage.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 40 rectifié ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement, qui tend, en présence d'enfants communs aux deux époux - il s'agit, monsieur Badinter, d'enfants issus du couple et non du mariage, car il peut y avoir mariage après constitution du couple et donc après la naissance d'enfants -...
M. Roland du Luart. Cela arrive, en effet !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... à ouvrir au conjoint survivant une option entre l'usufruit de la totalité ou la propriété du quart des biens existants est en grande partie satisfait par l'amendement n° 2 de la commission ; c'est pourquoi cette dernière demande à M. Badinter de bien vouloir le retirer.
Si, sur un certain nombre de sujets abordés par l'article 2, il existe des options différentes entre le groupe socialiste et la commission, sur ce point, en tout cas, nos souhaits se rejoignent.
M. le président. L'amendement n° 40 rectifié est-il maintenu, monsieur Badinter ?
M. Robert Badinter. Compte tenu de ces explications, et en rappelant ce qu'est notre position sur l'ensemble de l'article, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 40 rectifié est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 2 ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La situation est un peu délicate, car le Gouvernement avait décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 40 rectifié, qui vient d'être retiré, et d'émettre un avis défavorable sur l'amendement n° 2 ! Ce dernier modifie le coeur du dispositif, comme vous l'avez dit. En effet, il touche à tous les sujets sensibles à la fois, c'est-à-dire non seulement à la question de l'option du conjoint survivant entre l'usufruit et la pleine propriété et à celle de la différenciation opérée entre les enfants selon qu'ils sont issus des deux époux ou d'une précédente union, mais encore à la question de l'assiette des droits du conjoint survivant, sujet qui me paraît devoir encore être discuté, et surtout à la question de la place du conjoint survivant dans l'ordre successoral ; sur ce dernier point, la volonté énoncée dans l'amendement n° 2 d'un partage de la succession entre le conjoint survivant et les frères et soeurs du conjoint ne me semble pas conciliable avec l'objectif poursuivi de donner au conjoint sa réelle place au sein de la famille.
L'avis défavorable du Gouvernement se fondait notamment sur le texte proposé par l'amendement n° 2 pour l'article 757-1 du code civil : « En cas de décès des père et mère ou de l'un d'eux, la part qui leur serait échue revient aux frères et soeurs du défunt ou à leurs descendants. » Et au nom de la présomption d'amour, je reste fortement défavorable à cet amendement n° 2. En effet, si l'objectif de la commission est de protéger des biens qu'on appelle « de famille », je considère que les familles, qui savent, dès le départ, la part affective attachée à un bien - cela peut être un meuble, par exemple - peuvent très bien décider par testament que ce bien reviendra à quelqu'un d'autre que le conjoint. Or, pour satisfaire à ce point que je comprends, mais qui peut se régler par voie de testament, la commission déséquilibre le dispositif.
Il faut, à mon avis, privilégier la voie testamentaire.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais constater que la navette sert à quelque chose, ce que tout le monde sait d'ailleurs ici.
J'observe en effet que, dans le texte proposé par la commission, on trouve non plus la mention : « en présence d'enfants qui ne sont pas issus du mariage » - des enfants, qui ne sont pas issus du mariage, peuvent néanmoins être communs aux époux - mais la formule : « en présence d'enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
Nous sommes d'accord avec ce qui est proposé pour l'article 757, qui reprend très exactement, madame le garde des sceaux, les termes de l'amendement de M. Badinter. Nous avons dit pourquoi nous n'étions pas d'accord sur le reste.
Je ne comprends pas, je dois le dire, les considérations de M. le rapporteur, car ce qui compte, c'est la règle courante, celle qui s'impose aux gens qui ne vont pas facilement chez le notaire prendre des dispositions particulières, qui ne font pas de donations, c'est-à-dire la plupart. Et pour ceux-là, en effet, il est assez normal, me semble-t-il, qu'on ne voie plus apparaître, comme dans l'amendement de la commission, les frères et soeurs.
Je voudrais constater cependant ceci : la différence faite à l'article 757 du code civil entre les cas où il y a des enfants communs et les cas où il y a des enfants d'autres lits - on a parlé de premier lit, mais cela peut être deux ou trois ; en tout cas, ce sont des enfants qui ne sont pas communs aux époux - devrait aussi intervenir en d'autres articles du texte. Je m'en expliquerai sur l'article 3.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le raisonnement de M. Dreyfus-Schmidt est exactement inverse du mien : nous n'arrivons pas à nous comprendre !
Mon cher collègue, vous considérez qu'il est difficile, pour les gens, de faire un testament et d'aller chez un notaire, surtout pour des biens de famille. Mme le garde des sceaux, de son côté, déclare que la question des biens de famille peut se régler par testament !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Olographe !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'amendement n° 2 vise à prévoir ce qui se passera en l'absence de dispositions testamentaires ; tout ce qu'on fait, c'est un droit subsidiaire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un testament olographe suffit !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement constituant l'essentiel du dispositif, je demande un vote par scrutin public.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 11:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 207
Contre 112

En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé.

Article 2 bis