SEANCE DU 18 OCTOBRE 2001


COUVERTURE DES NON-SALARIÉS
AGRICOLES

Rejet d'une proposition de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi (n° 19, 2001-2002), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. [Rapport n° 23 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission, le rapporteur, M. Bernard Seillier, étant retenu dans son département.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Bernard Seillier, rapporteur. Mes chers collègues, permettez-moi d'abord de saluer M. le président et de lui dire que c'est un honneur pour moi d'être le premier orateur à m'exprimer lors de sa première présidence de séance. (Applaudissements.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a constamment apporté sa pierre à l'amélioration de la protection des exploitants et des salariés agricoles. Dans un passé récent, il est à l'origine d'une grande partie du volet « protection sociale agricole » de deux textes législatifs : la loi d'orientation agricole et le projet de loi de modernisation sociale.
C'est dire s'il attendait avec impatience une réforme de l'assurance accidents du travail des exploitants agricoles. C'est dire s'il était prêt à un véritable dialogue républicain, dépassant les traditionnels clivages. C'est dire, enfin, combien il s'est efforcé de proposer en première lecture un texte original et équilibré, reposant sur un « scénario partenarial » entre les différents acteurs de la protection sociale agricole.
Malheureusement, la réunion de la commission mixte paritaire, le 10 octobre dernier, à l'Assemblée nationale, s'est achevée sur un constat d'échec.
Pourtant, nos deux assemblées s'accordent non seulement sur le constat de départ - le système actuel de l'assurance obligatoire des exploitants agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles est déficient - mais également sur les trois grands principes devant guider la réforme de cette assurance : l'universalité de l'assurance - aucun exploitant agricole ne doit plus échapper à cette obligation - l'amélioration des garanties proposées - les rentes d'inaptitude à la profession agricole doivent être relevées - et, enfin, la définition d'une politique de prévention, une telle politique étant seule en mesure de diminuer le nombre d'accidents du travail en agriculture.
Cette politique de prévention nécessite une connaissance statistique approfondie du risque accidents du travail. En conséquence, le Sénat a, non sans débat, confirmé, en première lecture, la séparation entre les accidents de la vie privée et les accidents du travail.
Pour autant, la disparition du régime concurrentiel, souhaitée par l'Assemblée nationale en première et en nouvelle lecture, n'était pas la seule voie pour améliorer la couverture sociale des exploitants agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.
En effet, deux techniques s'opposent.
Il s'agit, d'une part, de la création d'une branche classique de la sécurité sociale, où les cotisations seraient fixées par arrêté ministériel et les prestations définies par la loi ; c'est la voie que l'Assemblée nationale a choisie. Son choix aurait d'ailleurs été plus logique si elle avait laissé à la seule Mutualité sociale agricole, la MSA, le soin de couvrir l'assurance obligatoire ; or la pluralité d'assureurs a été conservée.
Il s'agit, d'autre part, du maintien d'un régime concurrentiel, où les prestations minimales seraient strictement définies par la loi, mais où la liberté de cotisation serait préservée.
La création d'une branche accidents du travail et maladies professionnelles pour les exploitants agricoles, dans les mêmes conditions que les branches existantes, est incontestablement cohérente avec l'organisation de notre protection sociale.
Le Sénat s'est simplement posé la question suivante : est-ce le meilleur moyen d'assurer l'intérêt général et l'intérêt des exploitants agricoles ?
Les longs débats parlementaires qui ont permis le vote de la loi de 1966 avaient été marqués par deux soucis qui expliquent le choix finalement retenu d'un mécanisme d'assurance : le souci de ne pas grever les charges publiques, d'une part, le souci de ne pas augmenter les charges des exploitants agricoles, d'autre part.
Le Sénat a estimé, en première lecture, que les termes du débat étaient aujourd'hui strictement identiques.
Nous avons constaté que le financement du nouveau régime reposait sur des estimations fragiles, variables et contestables. Le montant des futures cotisations AAEXA, assurance des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, à la charge des exploitants agricoles, a été ainsi réévalué à trois reprises depuis le mois de mai.
Nous souffrons ici du défaut de la procédure utilisée par le Gouvernement : une proposition de loi, ce qui empêche l'examen du texte par le Conseil d'Etat mais également la réalisation d'une étude d'impact.
La transformation de cotisations librement définies en cotisations fixées par arrêté du ministre de l'agriculture aura mécaniquement pour effet d'augmenter le volume des prélèvements obligatoires.
La création, dans ces conditions, d'une quatrième branche a également pour effet d'augmenter les dépenses publiques et les charges des agriculteurs.
Il apparaît certain que des dépenses mises aujourd'hui à la charge de l'AMEXA, l'assurance maladie, invalidité et maternité des exploitants agricoles, sont en fait du ressort de l'AAEXA. Il est toutefois difficile d'en apprécier le montant exact.
Les compagnies d'assurances ne contestent pas l'existence d'un tel transfert. Elles estiment, cependant, qu'il est limité aux dépenses hospitalières et de nature transitoire, un certain temps s'écoulant entre le moment où les frais d'hospitalisation sont effectivement engagés et le moment où la MSA présente sa demande de remboursement à l'assureur AAEXA.
S'il est mis fin, demain, à un tel transfert, il sera nécessaire de prévoir des recettes, donc des cotisations des exploitants agricoles, à hauteur, naturellement, des dépenses de l'AAEXA. En effet, le nouveau régime est « auto-équilibré » : il n'y a pas de participation du budget de l'Etat.
Dans le même temps, il sera impossible de réduire le taux de cotisation de l'AMEXA, qui a été défini en référence à celui qui existe dans le régime général. L'augmentation des dépenses de l'AAEXA ne sera pas compensée par la baisse des dépenses d'assurance maladie.
De toute façon, nous assisterons à un mouvement en sens inverse ; les accidents de la vie privée, aujourd'hui pris en charge par l'AAEXA, seront désormais du ressort de l'AMEXA : le Gouvernement estime ce transfert de charges de 220 à 320 millions de francs, à partir d'une transposition du coût des accidents de la vie courante dans le total des prestations maladie du régime général.
Un autre effet sur les dépenses publiques semble avoir été insuffisamment pris en compte : les prestations d'assurance accidents vont être fortement revalorisées, alors qu'elles resteront très faibles en assurance maladie. En conséquence, il sera difficile, à terme, de maintenir en assurance maladie des pensions d'invalidité aussi faibles : moins de 25 000 francs par an. Le coût d'un alignement des pensions invalidité sur le niveau des prestations accidents du travail s'élèverait à 500 millions de francs en coût brut et à 400 millions de francs en coût net, compte tenu des économies réalisées par le fonds spécial invalidité, le FSI.
Cette tendance à la hausse des prestations de l'AMEXA aura pour conséquence inéluctable, bien que non chiffrée par le Gouvernement, une augmentation des charges publiques, le régime de protection sociale des exploitants agricoles étant, compte tenu de sa situation démographique particulière, pris en charge par la solidarité nationale à hauteur de 80 %.
Le financement des rentes, dans un contexte de diminution des actifs cotisants, posera inévitablement un problème à long terme, même si le texte prévoit un fonds de réserve bénéficiant de provisions. De ce point de vue, la technique assurantielle apparaît incontestablement mieux armée que la « logique sécurité sociale » pour répondre à ce défi.
En conséquence, le Sénat a souhaité le maintien d'un régime concurrentiel ; il a estimé que les primes ou cotisations versées par les assurés devaient être librement fixées par les organismes assureurs, ce qui permet une véritable concurrence entre les différents acteurs.
Notre assemblée a toutefois souhaité que deux garde-fous soient posés à cette liberté de tarification : d'abord, les cotisations correspondant aux garanties minimales obligatoires ne pourraient pas excéder un plafond fixé par arrêté du ministre de l'agriculture ; ensuite, les cotisations seraient modulées par le classement des exploitations dans des catégories de risques. Ce mécanisme, présent dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, est apparu tout à fait pertinent.
Le Sénat a proposé de maintenir un régime concurrentiel non pas par idéologie, mais par pragmatisme, monsieur le ministre. Il importe que les charges des agriculteurs restent à un niveau modéré. Or le système proposé par l'Assemblée nationale présente pour les agriculteurs l'inconvénient d'être un carcan, en prévoyant l'intégralité des garanties prévues dans le régime général.
Si le relèvement des pensions d'invalidité et l'inclusion d'indemnités journalières dans le régime obligatoire sont souhaitables, il n'en va pas de même des rentes servies aux ayants droit. Naturellement, un tel dispositif est généreux, mais il risque de peser progressivement d'un grand poids sur le régime. Il nous a semblé qu'il convenait de ne pas se précipiter et d'observer comment le nouveau régime monterait en charge, quitte à ajouter, dans quelques années, cette garantie dans le champ de l'assurance obligatoire.
Le maintien d'un régime concurrentiel n'était pas incompatible avec la plupart des nouvelles missions confiées à la Mutualité sociale agricole. Le Sénat a confirmé son rôle clef dans trois domaines : le contrôle de l'obligation d'assurance, l'animation de la prévention et le contrôle médical.
En bref, le Sénat a tenté, en première lecture, de chercher une troisième voie. Bien évidemment, le texte que nous avions adopté était techniquement perfectible. Je tiens toutefois à souligner que son organisation générale a été approuvée par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, et le Centre national des jeunes agriculteurs, le CNJA. Notre texte a même été qualifié par Groupama de « texte de compromis »... (M. le ministre rit.) Ne riez pas, monsieur le ministre !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Un compromis Groupama !
M. Nicolas About, rapporteur. ... « de nature à satisfaire l'ensemble des acteurs concernés, agriculteurs, MSA, assureurs », et pas seulement Groupama !
L'enjeu était, avant tout, de faire bénéficier les exploitants agricoles d'une meilleure protection sociale, au meilleur coût, et de diminuer le nombre d'accidents du travail.
Notre texte attendait une réponse de l'Assemblée nationale ; je suis sûr que, sur la partie relative aux prestations, nous aurions pu rapprocher nos points de vue. Je pense, notamment, à la distinction entre l'incapacité, retenue par les députés, et l'inaptitude à la profession agricole, qui avait notre préférence en première lecture.
Mais l'urgence déclarée par le Gouvernement sur ce texte, qui est pourtant une propositoin de loi, ainsi que ses certitudes concernant l'échec de la commission mixte paritaire, en ont décidé autrement.
Il est tout de même curieux que le Gouvernement ait réuni, le 18 septembre dernier, le Conseil supérieur des prestations sociales agricoles pour lui demander de se prononcer sur des projets de décret élaborés sur la base du texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture ! C'est dire si le Gouvernement anticipait l'échec de la commission mixte paritaire. Je n'oserai dire qu'il l'avait décidé. (M. le ministre proteste.)
Le 10 octobre dernier, le désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat a porté principalement sur la liberté de cotisations. Je crois que le choix retenu de cotisations fixées par le ministère de l'agriculture est une grave erreur. Non seulement il ne correspond pas au souhait majoritaire des exploitants agricoles, mais il ne laisse aucune possibilité de vivre au système concurrentiel. C'est peut-être ce que vous souhaitez ! La pluralité d'assureurs, il faut bien le dire, n'est qu'une pluralité d'affichage.
Le texte adopté, même dans sa logique, est loin d'être parfait.
Tout d'abord, il passe sous silence d'importantes questions. En effet, il repose sur une convention signée entre la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole et le groupement d'assureurs. Le texte de cette convention fait encore débat. Par ailleurs, la MSA et les organismes assureurs sont en désaccord sur la procédure selon laquelle les assurés choisiront leur organisme d'assurance.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture passe également sous silence la question de l'indemnisation des organismes assureurs. L'Assemblée nationale a refusé un amendement prévoyant un simple rapport du Gouvernement sur cette question. Vous-même, monsieur le ministre, vous êtes contenté d'affirmer qu'une réduction des marges bénéficiaires des assureurs ne pouvait valoir préjudice, tandis que M. Jacques Rebillard, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, renvoyait au Conseil d'Etat le soin de décider s'il y avait lieu d'indemniser ou pas. Il suffisait de transformer le texte en projet de loi pour avoir l'avis préalable du Conseil d'Etat !
Le Gouvernement prend ainsi un véritable risque juridique, qui peut s'avérer coûteux à l'avenir.
Ce texte est, ensuite, empreint d'effets pervers ; j'en citerai au moins deux.
Nous avons approuvé la séparation entre accidents du travail et accidents de la vie privée ; mais une telle séparation nécessite un alignement des prestations servies en assurance maladie sur les prestations servies en assurance accident. Il y aura bientôt un écart de un à trois entre les pensions d'invalidité de l'AMEXA et les pensions de l'AAEXA ! Or, selon le ministère de l'agriculture, cet alignement n'est pas envisageable « à court terme ».
Je ne suis pas non plus persuadé que l'exclusion du champ de l'AAEXA des retraités participant occasionnellement aux travaux de l'exploitation soit justifiée. Comment pourra-t-on expliquer à un retraité victime d'un accident qu'il dépendra de l'AMEXA, qu'il bénéficiera à ce titre de prestations moins élevées et qu'il devra s'acquitter, en plus, d'un ticket modérateur ?
Enfin, il appartenait au législateur de trouver la voie d'un consensus entre les différents acteurs. Je ne pense pas que les agriculteurs aient à gagner quoi que ce soit dans cette « guéguerre » entre les organismes de MSA et Groupama.
Au-delà de l'assurance obligatoire, correspondant à la protection de base, nous savons que cette assurance est un produit d'appel pour l'assurance complémentaire. Les acteurs de la protection complémentaire, déjà échaudés par la couverture maladie universelle, voient avec inquiétude entrer sur leur territoire l'organisme chargé du régime de base.
Notre tentative de parvenir à un texte de consensus s'est soldée, il faut le reconnaître, par un échec. Dans ces conditions, à partir du moment où seul le Sénat a souhaité le dialogue et où l'Assemblée nationale a entendu dire son dernier mot dès la nouvelle lecture, la commission des affaires sociales ne peut que vous proposer, mes chers collègues, l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines tracées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'adresser à mon tour mes plus vives félicitations à M. Serge Vinçon, qui, ce matin, assure sa première présidence de séance dans cet hémicycle. (Applaudissements.)
Nous ne pouvons aujourd'hui que regretter que la commission mixte paritaire n'ait pu s'entendre sur un texte de loi qui, a n'en pas douter, constituait un réel progrès pour le monde agricole.
A l'évidence, la réécriture pratiquement intégrale de la proposition de loi lors de son premier passage au Sénat et le gommage d'appréciables avancées sociales ne nous engagaient guère sur la voie d'un quelconque compromis.
Pourtant, le triple constat de la déficience d'un système après plus de trente ans de fonctionnement avait emporté l'unanimité.
La faiblesse des prestations et l'insuffisance des garanties de couverture en cas d'accident, l'absence de politique de prévention des risques professionnels et, enfin, le caractère non universel de l'assurance amenaient logiquement à repenser globalement le système de protection sociale des non-salariés agricoles face aux risques d'accidents et de maladies professionnels et à promouvoir une totale refonte de l'actuel système concurrentiel, qui n'a pas réussi à faire ses preuves, dans un milieu, il est vrai, soumis à de dures épreuves.
Ce ne sont donc ni les faits ni le diagnostic, incontestables et d'ailleurs incontestés, qui ont constitué la pierre d'achoppement de la commission mixte paritaire et qui ont conduit l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, à se rapprocher, par voie d'amendements, de la teneur initiale du texte de la proposition de loi.
La majorité des députés et le Gouvernement ont persisté dans leur choix de créer une quatrième branche de la sécurité sociale fondée sur un dispositif de cotisations et de prestations sociales égales pour tous, dispositif assis sur une mutualisation des ressources gérées par la MSA, qui assure désormais le rôle essentiel de caisse pivot.
Ce choix est incontestablement celui qui contribue à une meilleure justice sociale. Il pouvait satisfaire la majorité sénatoriale, puisque la pluralité des assureurs était maintenue et que leur rôle traditionnel de prestataires de services n'était aucunement contesté.
Mais la majorité sénatoriale semble vouloir persister dans ses convictions et ramener à de simples dysfonctionnements la défaillance de l'actuel système d'assurance, qui, moyennant quelques garde-fous, devrait être préservé.
Poser des garde-fous ? L'expression est parlante, mais, paradoxalement, elle convient merveilleusement bien en matière de concurrence et de laisser-faire !
Des garde-fous, dites-vous ? Qu'on en juge : on fixe un plafond que les cotisations correspondant aux garanties minimales obligatoires ne pourraient dépasser ; on prévoit une modulation des cotisations en fonction des différentes sortes de risque afférant aux divers types d'exploitation, et, surtout, on évite une démarche qui fixerait, suivant un principe de justice sociale, les cotisations en fonction des revenus des exploitants !
Votre souci, mes chers collègues, est avant tout de maintenir un système privé - donc, des intérêts privés - système dont l'efficacité supposée reposerait sur son caractère concurrentiel.
Or l'efficacité est douteuse puisque, plusieurs orateurs l'ont fait remarquer, l'écart entre le montant moyen des primes perçues et celui des prestations reversées permet à quelques compagnies d'assurances d'engranger, certaines années, de substantiels bénéfices.
Oui, l'efficacité d'un système dit « concurrentiel » est douteuse, alors qu'une compagnie d'assurances détiendrait à elle seule plus des deux tiers du marché de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des exploitants agricoles, l'actuelle AAEXA.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, en l'occurrence, il s'agit d'une situation de quasi-monopole, génératrice de rentes, comme l'est toute situation d'abus de position dominante.
Dans le cas d'un monopole public, on a de bonnes raisons de penser qu'un effet redistributif aura lieu sous une forme ou sous une autre, ce qui n'est pas le cas, on vient de le signaler, dans le cas d'un monopole privé.
D'un point de vue économique, l'absence de réelle concurrence et l'insuffisance de l'actuel système justifieraient à elles seules la réforme de fond envisagée par les auteurs de la proposition de loi dans sa première version.
Bref, l'inefficacité d'un système qui laisse sans couverture 20 % des exploitations agricoles est criante !
Mes chers collègues, depuis vingt ans, les inégalités sociales n'ont cessé de croître, à tel point que l'INSEE vient de créer une nouvelle catégorie statistique, celle des « travailleurs pauvres ». Les exploitants agricoles sont fortement concernés par ces nouvelles formes de pauvreté et d'exclusion sociale. Dans une récente enquête, l'INSEE estime que 22 % des agriculteurs font partie de cette nouvelle catégorie et que 40 % des exploitations agricoles dégagent un revenu inférieur au SMIC, tandis que, selon la dernière étude de l'Institut national de la recherche agronomique, plus de 40 000 paysans tirent mensuellement de leur exploitation des revenus inférieurs à la moitié du SMIC !
Ainsi, malgré d'énormes gains de productivité, la croissance relativement ferme d'hier n'aura pas empêché un renforcement de la disparité des revenus.
Dans de telles conditions, on peut aisément comprendre que certains se livrent, quand ils ont réellement le choix, à ce douloureux exercice d'arbitrage entre assurer leur propre personne face aux risques de leur profession ou préserver leur exploitation, avec, dans le second cas, et lorsque l'accident ou la maladie grave surviennent, tous les drames sociaux qui font basculer des familles entières dans l'insécurité sociale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étions favorables à la création d'une quatrième branche « accidents du travail » de la sécurité sociale et nous aurions souhaité un système plus égalitaire qui intègre dans les cotisations sociales cette disparité des revenus en faisant jouer le principe de solidarité et une réelle mutualisation des risques. La proposition de loi, bien qu'en deçà de nos exigences, nous apportait certaines satisfactions.
La majorité sénatoriale refuse tout compromis, sous prétexte de la disparition de l'actuel système privé d'assurance et d'un accroissement des charges et des dépenses publiques. Sachez, mes chers collègues, qu'un accroissement des charges publiques dans un souci d'une meilleure égalité sociale n'est pas forcément, sur le plan macroéconomique, contre-productif.
Les dépenses publiques à destination des populations les plus pauvres ont un effet immédiat sur la dynamique de la croissance, car elles sont directement absorbées par la consommation, ce que beaucoup d'entre vous se refusent toujours à admettre.
Votre texte a été qualifié par Groupama de « texte de compromis de nature à satisfaire l'ensemble des acteurs concernés : agriculteurs, MSA, assureurs ». Je n'ai pas eu, pour ma part, de tels échos du monde agricole.
Ne se satisfaisant pas de ce compromis de circonstance, le groupe communiste républicain et citoyen votera donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, qui transforme la couverture des agriculteurs contre les accidents du travail en une nouvelle branche de la sécurité sociale, aura, selon moi, des conséquences néfastes non seulement pour le monde agricole et pour ses assureurs, mais également pour le système qui sera ainsi créé.
Le Sénat avait, sur ce texte, adopté, au printemps, une position qui me semblait assez consensuelle. Mon groupe est, vous le savez, particulièrement sensible au consensus.
Le texte pouvait, certes, être encore amélioré juridiquement. Nous comptions sur le travail de la commission mixte paritaire pour le parfaire. Cette commission fut un échec, ce que je déplore.
Cet échec fut la conséquence d'une dissension profonde entre deux conceptions antagonistes : d'un côté, la volonté d'une socialisation du régime, de l'autre, la volonté de laisser s'exercer le jeu régulateur de la concurrence.
Je m'oppose, comme je l'ai fait au printemps dernier, au texte tel qu'il nous est présenté, parce qu'il dénote une mauvaise connaissance du monde agricole, de la diversité de ses activités, de l'esprit qui le caractérise.
Je m'en étonne, monsieur le ministre, car vous avez montré en maintes circonstances par le passé que vous aviez une connaissance excellente et très fine du milieu agricole.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. N'en faites pas trop, monsieur le sénateur !
M. Jacques Pelletier. Le transfert d'un régime concurrentiel dans une nouvelle branche de la sécurité sociale ne reçoit absolument pas les faveurs des agriculteurs, du moins, de leur grande majorité, qui restent fermement attachés à leur liberté de choix en matière d'assurance.
Certes, le régime nécessitait une réforme urgente. Les assureurs ainsi que la Fédération française des sociétés d'assurance se sont accordés pour faire évoluer le système.
Le texte nous revient sans changement de l'Assemblée nationale.
Je ne suis pas favorable à la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale « accidents de travail », qui n'inclura pas les accidents privés et qui sera gérée par la MSA.
Les exploitants agricoles craignent, légitimement, que les assureurs se voient retirer la possibilité de fixer les cotisations.
Le régime concurrentiel permet de faire baisser les prix et donne la possibilité aux exploitants agricoles de s'assurer en fonction de leurs besoins réels et non pas au titre d'une catégorie de risques arrêtés arbitrairement.
La profession me semble déjà suffisamment sinistrée, surtout si l'on songe à son avenir proche - je pense à la réforme de la PAC - pour ne pas l'accabler davantage.
Le système ainsi créé risque de devenir rapidement déficitaire parce que le nombre d'agriculteurs ne fait que diminuer, avec, pour conséquence, l'augmentation des cotisations qui leurs seront réclamées.
Cette nouvelle législation séparera les accidents privés des accidents professionnels. Or la réalité quotidienne de la profession est aux antipodes d'un tel système. Les agriculteurs travaillent seuls une grande partie de l'année, mais, seuls, ils ne peuvent plus le rester quand arrivent les saisons de la moisson, de l'arrachage des betteraves, des vendanges ou de la cueillette.
Le recours à une main-d'oeuvre ponctuelle est une nécessité ; elle préserve les agriculteurs du stress, de la course, et donc des accidents. Qui mieux qu'un fils d'agriculteur ou une retraitée de la profession peut donner le coup de main nécessaire dans ces occasions ?
Le monde agricole est, dans sa grande majorité, opposé à cette socialisation de la gestion des risques.
La profession souhaite réformer le régime des accidents du travail des exploitants agricoles issu de la loi du 22 décembre 1966, mais elle souhaite avant tout conserver le régime assurantiel et concurrentiel existant.
Les propositions de notre assemblée en première lecture allaient dans le bon sens et évitaient les surcoûts, tant pour l'assuré que pour l'Etat.
Le Sénat s'était, en effet, prononcé en faveur d'une amélioration des garanties pour les non-salariés agricoles - sans augmentation pour les assurés comme pour l'Etat -, d'une amélioration de la couverture des assurés, avec le maintien des accidents privés au sein du régime AAEXA et le maintien des personnes couvertes, et pour une revalorisation des prestations actuelles avec doublement des rentes, introduction d'un capital-décès et revalorisation des indemnités journalières.
Hélas ! le Gouvernement y est resté insensible et le blocage actuel en est la conséquence évidente.
Je ne pense pas qu'il soit judicieux de basculer dans un régime de sécurité sociale uniquement parce que le système se doit d'être réformé. Certes, il nous appartient de le réformer, afin qu'il couvre de la meilleure manière possible l'ensemble de la profession. Néanmoins, l'AAEXA doit rester, à mon avis, une couverture obligatoire de base, les exploitants agricoles restant libres de souscrire à une assurance complémentaire, encadrée par le code rural, en faisant appel aux assureurs de leur choix.
Je ne peux, aujourd'hui, souscrire à la proposition de loi qui nous est proposée. En outre, je regrette que l'on ait déclaré l'urgence sur un texte dont l'adoption définitive n'était tout de même pas à un ou deux mois près.
Toutefois, par principe viscéralement hostile aux questions préalables, je m'abstiendrai sur la motion qu'a déposée la commission.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, je m'exprimerai tout à l'heure lors de l'examen de la motion.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable