SEANCE DU 16 OCTOBRE 2001


M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 1130, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je tiens à vous faire part, monsieur le président, du grand plaisir non seulement personnel, mais aussi politique que j'éprouve à vous voir ce matin au fauteuil de la présidence.
M. le président. Merci infiniment, madame.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Avec plus de 20 millions d'usagers dans le pays, des encours financiers s'élevant à plus de 1 220 milliards de francs, les services financiers de La Poste constituent un des piliers du secteur public et semi-public financier.
Ils ont joué et continuent à jouer un rôle essentiel dans l'accès pour tous à des services financiers de qualité, où qu'on habite, quelle que soit sa situation personnelle, suivant le principe de l'égalité de traitement de chacun.
Ils jouent un rôle décisif dans l'aménagement du territoire, avec leur réseau unique de 17 000 points de contact.
Ils contribuent, en opposant une logique de service public à la logique du profit maximal, à limiter, dans un marché hautement concurrentiel, les prétentions des banques vis-à-vis de leurs clients et, bien sûr, à prévenir l'exclusion bancaire.
Enfin, ils représentent une source de financement extrêmement importante pour répondre aux besoins publics et sociaux de la nation avec, entre autres, les quelque 300 milliards de francs de collecte du livret A, qui sont destinés au financement du logement social.
Tout cela, tout ce qui constitue la mission de service public des services financiers de La Poste est aujourd'hui menacé.
Depuis plusieurs années, au fil des « restructurations », se dessine en effet la perspective de la banalisation des activités financières de La Poste, de leur soumission aux marchés financiers et à des objectifs de rentabilité financière à court terme, mutation qui va naturellement de pair avec une détérioration, non seulement des conditions de travail et d'emploi des personnels, mais aussi des services rendus aux usagers, notamment de ceux qui ont de « moindres potentialités financières ».
C'est cette évolution que dénoncent et combattent les salariés de La Poste, avec leurs organisations syndicales, à travers notamment les luttes qu'ils impulsent.
Je ne citerai que quelques-unes des réformes récentes qui me semblent témoigner de la dégradation des services aux usagers : la baisse de la fréquence des relevés de CCP ; le ralentissement du traitement des dossiers ou la fermeture de centaines de bureaux en zone rurale pendant l'été.
Les usagers peuvent également constater que, de plus en plus, La Poste aligne ses facturations sur celles des banques.
Concernant l'épargne, La Poste fait le choix de privilégier le développement de nouveaux produits liés aux marchés financiers et plutôt destinés à des épargnants aisés. La nouvelle filiale Sogeposte, spécialisée dans la gestion de portefeuilles connaît ainsi un essor accéléré.
Dans le même temps, la direction de La Poste enclenche le démantèlement de la Caisse nationale d'épargne, chargée de la collecte des livrets A, B et d'épargne populaire, et annonce par exemple la fermeture du site du sixième arrondissement à Paris et la suppression de 944 postes.
Toujours à propos du livret A, sa « dématérialisation », opérée cette année avec le lancement de la carte « postépargne », en fait une sorte de compte courant rémunéré - voire éventuellement négatif ! - ce qui est en contradiction avec l'esprit même de ce produit financier d'épargne populaire.
Une autre mutation de taille est mise en oeuvre avec le détournement d'une partie des encours de La Poste vers des marchés financiers spéculatifs. C'est le cas avec le transfert progressif de la gestion des 180 milliards de francs des comptes de dépôt des chèques postaux, du Trésor, vers la filiale Efiposte, de type privé, créée en 1998.
On annonce également la fermeture des comptes chèques postaux des grandes entreprises nationales, dont les montants considérables vont échapper à toute gestion financière publique.
Enfin, des milliers de postes de fonctionnaire ont été supprimés et le recours à l'emploi précaire ne cesse de s'étendre.
L'ensemble de ces restructurations ressemble bien, monsieur le secrétaire d'Etat, à une offensive de la logique du privé dans toutes les activités des services financiers de La Poste. Ces restructurations laissent présager une modification radicale du statut de l'entreprise. A plusieurs reprises, les perspectives de transformation en société anonyme, de filialisation des services financiers et de création d'une « banque postale » ont été évoquées. Le projet soft de la direction ne prépare-t-il pas le terrain à l'éclatement de l'unité de ses activités ?
Cela rendrait possible ce que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie annonçait en juin, ce sur quoi nous savons d'ailleurs peu de choses, à savoir que les services financiers de La Poste « ne seraient pas écartés » de la nouvelle « alliance » entre la Caisse des dépôts et consignations et la Caisse nationale des caisses d'épargne. On évoque déjà l'entrée de la Caisse des dépôts et consignation à SF 2, société en participation de La Poste.
La perspective d'intégration des services financiers de La Poste dans cet holding confirme le danger pour la pérennité de leurs missions de service public.
L'alliance entre la Caisse des dépôts et la Caisse nationale des caisses d'épargne est en effet conçue comme la constitution d'une banque d'investissement concurrentielle et entièrement tournée vers les marchés financiers, au mépris de la vocation d'intérêt général de ses composantes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les personnels de La Poste, les usagers et les citoyens veulent connaître les intentions du Gouvernement concernant l'avenir des services financiers de La Poste. Je vous demande donc de bien vouloir me les préciser de façon explicite.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Madame la sénatrice, en l'absence de M. Laurent Fabius, je vais vous donner connaissance des éléments de réponse à votre question qu'il m'a prié de vous transmettre.
Les services financiers de La Poste se portent bien. Leur chiffre d'affaires a connu un développement très significatif au fil des derniers exercices : proche de 21 milliards de francs, soit 3,2 milliards d'euros, en 1997, il dépasse les 24 milliards de francs, soit 3,66 milliards d'euros, en 2000, ce qui représente une progression de l'ordre de 15 %. L'année 2001 marquera de nouveaux et substantiels progrès.
Les performances de La Poste sur des marchés tels que l'assurance vie sont, à cet égard, tout à fait remarquables. Sa gamme de produits d'assurance vient d'être étendue à de nouveaux produits tels que l'assurance-décès ou l'assurance-perte d'emploi.
Le contrat d'objectif et de progrès conclu en 1998 apportait une innovation majeure en mettant fin à la centralisation des fonds des CCP au Trésor public ; La Poste prend progressivement en charge la gestion de ces fonds au moyen d'une filiale dédiée : Efiposte.
Vos remarques sur l'évolution profonde du paysage des institutions financières françaises sont tout à fait pertinentes. Les travaux qui s'engagent en vue de préfigurer le prochain contrat de plan de La Poste permettront de dresser un état des lieux de la situation de ses services financiers et de déterminer la place que doit prendre La Poste dans ce paysage, dans le respect de ses missions historiques.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, il est évident que les services financiers de La Poste se portent bien, et même très bien, avec un chiffre d'affaires en progression de 15 % et de nouveaux progrès attendus pour 2001.
Ces services font donc bien leur travail et il faut les garder. Je regrette que la réponse que vous m'avez apportée ne comporte pas plus d'éléments sur les choix stratégiques de La Poste et du Gouvernement, choix dont la représentation nationale n'est absolument pas informée. Quant aux personnels et aux syndicats, ils sont également totalement mis à l'écart !
Vous n'avez pas répondu en particulier sur la banque postale qui serait en préparation et qui est, nous le savons, un des objectifs de la direction de La Poste. Cette création nous inquiète, surtout quand on sait que la Postbank , en Allemagne, désormais cotée en Bourse, a évidemment renoncé à toute logique de service public, a fermé de multiples points de contact et a supprimé 11 000 emplois en huit ans, 4 000 autres suppressions étant encore attendues dans les prochaines années !
Par conséquent, il serait bon que nous en sachions plus sur l'avenir des services de La Poste. Les salariés sont extrêmement sensibles sur cette question. Quant à nous, nous ne laisserons pas faire, et j'espère que la réponse très insuffisante que vous venez de m'apporter contribuera à mobiliser encore largement le personnel !

MAINTIEN DES FOYERS DE LA POSTE EN ILE-DE-FRANCE