SEANCE DU 9 MAI 2001


M. le président. « Art. 28 sexies. - L'article L. 4124-6 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En l'attente de la décision définitive prononcée par la juridiction pénale, les sanctions prévues au présent article ne peuvent être prononcées lorsque les procédures disciplinaires ont été engagées du fait du signalement par un médecin de cas de sévices ou privations qu'il a constatés sur le plan physique ou psychique dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques ou sexuelles de toute nature ont été commises. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 365, Mme Beaudeau propose de rédiger comme suit cet article :
« Le dernier alinéa (2°) de l'article 226-14 du code pénal est ainsi rédigé :
« 2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés sur le plan physique ou psychique dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques ou sexuelles de toute nature ont été commises. Le signalement effectué dans ces conditions ne peut faire l'objet de poursuites disciplinaires. »
Par amendement n° 103, M. Huriet, au nom de la commission des affaires sociales, propose de rédiger comme suit l'article 28 sexies :
« L'article L. 4124-6 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues à l'article 226-14 du code pénal.
« Lorsque l'instance disciplinaire est informée de l'engagement, à la suite d'un tel signalement, de poursuites pénales pour violation du secret professionnel ou toute autre infraction commise à l'occasion de ce signalement, elle sursoit à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 282 rectifié, présenté par MM. Flosse, Cornu et Murat, et tendant :
A. - A compléter le texte proposé par l'amendement n° 103 par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - L'article L. 4441-10 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues à l'article 226-14 du code pénal.
« Lorsque l'instance disciplinaire est informée de l'engagement, à la suite d'un tel signalement, de poursuites pénales pour violation du secret professionnel ou toute autre infraction commise à l'occasion de ce signalement, elle surseoit à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale. »
B. - En conséquence, à faire précéder le début du texte proposé par cet amendement de la mention : « I. - ».
La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° 365.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'amendement n° 365 concerne la protection à la fois des mineurs victimes d'abus sexuels et des médecins qui signalent de tels abus.
L'article 28 sexies, de même que les trois amendements qui s'y rattachent, s'inscrit dans une logique non partisane et dépasse largement les clivages politiques traditionnels. Le choix de la rédaction de l'article 28 sexies fait dès lors appel à chacune et à chacun d'entre nous et à la conception qu'il a du rôle et des modalités de protection des médecins qui sont confrontés, dans l'exercice de leurs fonctions, à l'enfance maltraitée et à la pédophilie. Je crois que c'est non pas le code de la santé publique mais bien le code pénal qu'il faut réformer, en l'occurrence son article 226-14, qui délivre, par son second alinéa, les médecins du secret professionnel.
Il ne s'agit pas pour moi de réduire sans fondement les pouvoirs disciplinaires dont jouit le conseil de l'ordre à l'égard des médecins jugés coupables de violation du code de déontologie médicale. Mon objectif est bien plutôt de protéger les enfants victimes de maltraitance, de sévices, de privations, de violences, d'actes inacceptables. Or, pour défendre ces victimes, il faut commencer par défendre ceux qui recueillent leurs témoignages, les analysent, les expliquent et en font part aux autorités judiciaires.
Le but du signalement est d'apporter au procureur des éléments qui vont lui permettre de déclencher une enquête, de qualifier les faits et de tout mettre en oeuvre pour établir la preuve des maltraitances signalées par le médecin. Le rôle de ce dernier est bien de trouver la cause qui est à l'origine des symptômes afin d'établir un diagnostic, que celui-ci relève de symptômes physiques ou de la pédopsychiatrie.
Avec l'amendement n° 365, chacun reste bien à sa place : le médecin signale, mais il appartient toujours - et heureusement ! - au magistrat, d'une part, d'apprécier les conclusions du médecin, d'autre part, de juger de la gravité des actes commis, de la culpabilité de leur auteur et des peines à lui attribuer. Toute alerte de la justice ou de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales par un médecin ne saurait en aucun cas être prise comme un acte d'accusation !
L'amendement n° 365 vise aussi, vous l'aurez compris, à éviter toute dérive, toute sanction abusive de la part des différents niveaux de juridiction du conseil de l'ordre. Je rappelle tout de même que ses membres, bien qu'ils ne soient pas des magistrats professionnels, disposent cependant de pouvoirs considérables. Une seule décision du conseil de l'ordre peut aussi anéantir une carrière, mettre un terme définitif à une vie professionnelle. En cas de crime ou de faute exceptionnellement grave et délibérée, c'est compréhensible mais, dans le cas d'un signalement de mauvais traitement, par exemple, mal rédigé, c'est tout à fait disproportionné.
Sachant, de plus, que le code de déontologie médicale reste fort vague sur les éléments constitutifs d'une faute dans le cadre d'un signalement et que, qui plus est, ce code méconnaît quasi totalement les termes de sévices/privations/maltraitance « psychiques », on ne peut que craindre pour la protection à venir des pédopsychiatres et des enfants ne présentant pas - et c'est là une des clés du problème - de preuves physiques des abus sexuels dont ils ont été les victimes, que cette protection, donc, disparaisse.
Il y a plus d'un siècle, un professeur de médecine légale, Ambroise Tardieu, avait déjà alerté la société sur les sévices, notamment sexuels, subis par les mineurs. Des courants profondément rétrogrades et odieux ont ensuite tout fait pour mettre en cause les travaux de ce professeur, tout mis en oeuvre pour réfuter les vérités décrites par les enfants abusés.
Ne nous laissons pas à nouveau gagner par ceux qui, insidieusement, cherchent à masquer et à taire les violences terribles infligées aux enfants. Ceux qui attaquent les médecins devant le conseil de l'ordre visent - pas toujours, évidemment, mais bien souvent - à faire taire le corps médical et, à travers lui, les mineurs victimes. Les laisser faire, en laissant peser sur les médecins la menace de sanctions disciplinaires très lourdes, produirait sur les enfants victimes des conséquences catastrophiques.
Cet amendement tend donc à améliorer la protection des médecins effectuant des signalements. Il permet à tous les praticiens de cesser de se taire, de signaler librement, sans l'épée de Damoclès de sanctions ordinales tout à fait imprévisibles et disproportionnées.
Enfin, il s'inscrit fondamentalement, je crois, dans le cadre de la résolution du 13 février 1996 du Comité pour les droits de l'enfant de l'ONU, qui recommande, en son article 29, que des mesures soient prises par les Etats « pour protéger pleinement les professionnels qui signalent des abus sexuels sur des mineurs aux autorités compétentes ».
Il s'agit donc, vous le voyez, mes chers collègues, d'une question de très grande importance, et je vous appelle vivement à voter cet amendement.
La parole est à M. le rapporteur, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 365 et défendre l'amendement n° 103.
M. Claude Huriet, rapporteur. L'amendement défendu par notre collègue Mme Beaudeau a un objet identique à celui de la commission : protéger les médecins qui pratiquent des signalements dans le respect de la loi.
Toutefois, la rédaction proposée apparaît trop extensive et susceptible de poser des difficultés juridiques. La rédaction de l'amendement de la commission paraît donc préférable et je demanderai à notre collègue Mme Beaudeau de bien vouloir retirer son amendement, après avoir défendu l'amendement n° 103 de la commission.
L'article 28 sexies, introduit par l'Assemblée nationale, tend à protéger le médecin contre d'éventuelles sanctions disciplinaires qui résulteraient du simple fait du signalement des sévices constatés par lui sur un enfant.
La commission souscrit, je le répète, au principe. Je rappelle cependant que, si le signalement de sévices ne peut en lui-même être reproché au médecin, les conditions dans lesquelles il le fait peuvent relever de la procédure disciplinaire, par exemple en cas d'affirmation non vérifiée sur l'auteur présumé ou de remise d'un certificat à l'un des parents et non aux autorités mentionnées dans le code pénal.
La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale soulevant des difficultés juridiques, je vous propose une rédaction plus précise qui se réfère explicitement aux signalements prévus par le code pénal. Ce dernier stipule que, lorsque des poursuites pénales sont engagées contre le médecin pour violation du secret professionnel ou toute autre infraction commise à l'occasion d'un signalement, l'instance disciplinaire, si elle est parallèlement saisie, doit surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale afin d'éviter toute contradiction dans l'appréciation des faits.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est clair !
M. le président. Le sous-amendement n° 282 rectifié est-il soutenu ?...
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je partage votre appréciation, madame Beaudeau. Toutefois, l'amendement de la commission, identique sur le fond, présente l'avantage non négligeable de ne pas modifier le code pénal. L'amendement de M. Huriet doit donc être préféré, car modifier le code pénal, c'est lourd, difficile et long.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 365.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole, pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je ne mets évidemment aucunement en doute la volonté de M. le rapporteur et des membres de la commission des affaires sociales de s'inscrire dans une perspective de lutte renforcée contre la pédophilie et les auteurs de violences sur les mineurs.
Je crois cependant, monsieur le rapporteur, que l'amendement de la commission à l'article 28 sexies se trompe quelque peu de direction ; je dirai même qu'il se contredit.
Le premier alinéa pose en effet le principe de l'interdiction de toute sanction disciplinaire du fait du signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues à l'article 226-14 du code pénal ; c'est là le principe que je voulais poser par mon amendement n° 365. Dans un second alinéa, cependant, votre amendement anéantit l'interdiction de sanctions disciplinaires en affirmant que la juridiction surseoit à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale saisie pour violation du secret professionnel ou toute autre infraction commise à l'occasion du signalement en cause.
Les sanctions disciplinaires sont donc non pas supprimées, mais bien autorisées, simplement, après jugement au pénal. C'est en quelque sorte reculer pour mieux sauter.
Votre amendement ménage un compromis, mais qui se révèle inefficace, dans la mesure où il suggère un lien entre décision de la juridiction pénale et décision de la juridiction ordinale. Si la première impute au médecin une faute commise à l'occasion du signalement, la seconde infligera bien entendu, elle aussi, une sanction au praticien. Si, en revanche, le juge pénal exonère de toute faute le médecin, le conseil de l'ordre devra-t-il en décider de même ? Je ne le crois pas. Le médecin pourrait donc tout à fait être innocenté au pénal et condamné par sa juridiction ordinale. Cela me paraît, je le répète, pour le moins contradictoire et tout à fait injuste. Voilà pourquoi j'estime que c'est non pas le code de la santé publique mais le code pénal, en l'occurrence son article 226-14, qu'il importe de réformer.
M. Bernard Cazeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. La rédaction de l'amendement n° 103 est meilleure que celle du texte adopté par l'Assemblée nationale. En effet, il nous paraît tout à fait judicieux que l'instance disciplinaire sursoie à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale. Nous sommes donc favorables à l'amendement n° 103.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 365, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 103, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 28 sexies est ainsi rédigé.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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