SEANCE DU 25 AVRIL 2001


M. le président. « Art. 32. - Il est inséré, après l'article L. 431-5 du code du travail, un article L. 431-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 431-5-1 . - Lorsque le chef d'entreprise procède à une annonce publique portant exclusivement sur la stratégie économique de l'entreprise et dont les mesures de mise en oeuvre ne sont pas de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi, le comité d'entreprise se réunit de plein droit sur sa demande dans les quarante-huit heures suivant ladite annonce. L'employeur est tenu de lui fournir toute explication utile.
« Le chef d'entreprise ne peut procéder à une annonce publique dont les mesures de mise en oeuvre sont de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi des salariés, qu'après avoir informé le comité d'entreprise.
« Lorsque l'annonce publique affecte plusieurs entreprises appartenant à un groupe, les comités d'entreprise de chaque entreprise ainsi que le comité de groupe et, le cas échéant, le comité d'entreprise européen sont informés.
« Le chef d'entreprise qui méconnaît les dispositions qui précèdent est passible des peines prévues à l'article L. 483-1. »
Par amendement n° 108, M. Gournac, au nom de la commission des affaires sociale, propose de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté pour cet article pour L. 431-5-1 du code du travail :
« Le chef d'entreprise est tenu de communiquer aux membres du comité d'entreprise dans les meilleurs délais et au plus tard à la réunion suivante du comité d'entreprise toutes les informations utiles, dès lors que l'entreprise a procédé à une annonce au public portant sur une modification substantielle de sa stratégie économique. »
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. L'article 32 vise à étendre le droit d'information du comité d'entreprise aux annonces publiques du chef d'entreprise en distinguant celles qui concernent la stratégie de celles qui peuvent plus particulièrement avoir des conséquences sur l'emploi.
Notre amendement prévoit une nouvelle rédaction du texte proposé pour le premier alinéa de l'article L. 431-5-1 du code du travail, relatif aux annonces au public concernant la stratégie économique des entreprises.
Outre des précisions rédactionnelles indispensables, cet amendement substitue une procédure systématique de communication aux membres du comité d'entreprise des informations relatives auxdites annonces à la faculté reconnue au comité d'entreprise par le texte de l'Assemblée nationale de se réunir de plein droit dans les quarante-huit heures. Ce dernier dispositif apparaît en fait particulièrement difficile à appliquer alors même qu'il ne présente pas le caractère d'automaticité de l'information que prévoit en revanche l'amendement qui vous est proposé.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ? Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'émets un avis défavorable sur cet amendement qui a pour objet de limiter l'information du comité d'entreprise, qui ne donnerait plus lieu à une réunion particulière.
Aux termes de l'article 32, l'information des représentants du personnel doit suivre immédiatement toute annonce importante de l'employeur pour éviter de laisser les salariés dans une situation d'incertitude. Elle ne peut donc être reportée à une réunion habituelle du comité d'entreprise. Parce qu'ils sont indissociablement liés à l'entreprise, les salariés ont le droit d'être informés de la stratégie de l'entreprise, et non pas simplement des modifications de cette stratégie.
J'ajoute que l'amendement proposé par la commission pourrait être source de contentieux en ce qu'il vise les seules modifications substantielles qu'il appartiendra au juge de définir.
Je suis donc très défavorable à cet amendement.
J'en profite pour dire à M. Delaneau que j'ai été heureuse, voilà un instant, de l'entendre dire qu'il aurait le temps de procéder aux consultations nécessaires. Nous aurions pu, dès lors que l'urgence n'était pas prononcée, ne pas proposer au Sénat ces amendements du Gouvernement (M. le président de la commission des affaires sociales opine) et les présenter seulement à l'Assemblée nationale. Nous avons, par égard pour le Sénat, voulu vous proposer ces amendements pour que nous puissions avoir un débat, sachant que vous aurez de toute façon une deuxième lecture, ce qui vous laissera la possibilité de consulter les partenaires sociaux, qui pourront ainsi voir satisfaites leurs préoccupations que M. le rapporteur a lues tout à l'heure.
Le Gouvernement a voulu faire preuve de courtoisie. Cela montre bien que les reproches adressés voilà quelques instants n'étaient pas du tout à fait fondés.
Vous allez avoir tout le temps de discuter, de peaufiner vos réactions, peut-être même d'améliorer vos propres amendements. Vous allez pouvoir consulter toutes les personnes que vous souhaiterez entendre.
En tout cas, s'agissant de cet amendement, je n'y suis pas favorable car, en réalité, il est contraire à la philosophie qui est la nôtre, à savoir donner des vraies possibilités aux représentants des salariés et, dès qu'un projet est pensé par le chef d'entreprise, leur permettre de discuter de la stratégie proposée par ledit chef d'entreprise.
M. le président. Madame le ministre, le Sénat vous est reconnaissant de l'attention que vous portez à la contribution éventuelle qu'il peut apporter, à travers les travaux de la commission, à l'évolution de ce texte.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 108, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 109, M. Gournac, au nom de la commission des affaires sociales, propose de rédiger comme suit le deuxième alinéa du texte présenté par l'article 32 pour l'article L. 431-5-1 du code du travail :
« Le chef d'entreprise est tenu d'informer et de consulter le comité d'entreprise dès lors que l'entreprise a procédé à une annonce au public dont les mesures de mise en oeuvre sont de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi des salariés. »
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Cet amendement vise à substituer une procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise à l'issue d'une annonce au public concernant l'emploi à une procédure préalable d'information qui apparaît difficilement applicable. La rédaction proposée par cet amendement représente, par ailleurs, une réelle avancée de nature à moraliser les pratiques de certaines entreprises qui manquent manifestement de considération envers leurs salariés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne suis évidemment pas favorable à cet amendement, puisque nous proposons que l'information et la consultation puissent se dérouler avant l'annonce publique.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Bien sûr !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 109.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Cette explication de vote vaudra également pour l'amendement n° 108 - le débat est allé un peu vite - et pour l'amendement n° 110.
Le groupe socialiste votera évidemment contre les amendements présentés à l'article 32 par la commission et son rapporteur. Comme l'a dit à l'instant Mme la ministre, ils vont dans le sens exactement inverse de ce que nous souhaitons voir mettre en application.
A ce point du débat, nous voulons aussi souligner l'apparition, dans le droit du travail, d'un concept nouveau, celui d'« annonce au public » ou d'« annonce publique ». Cela nous paraît dangereux, dans la mesure où l'on semble prendre acte, à l'intérieur de la relation employeur-salarié, qui est en principe la raison d'être du code du travail, de l'irruption du « public ». Ne nous dissimulons pas que, derrière cette notion, se trouvent en réalité le marché, les actionnaires, et particulièrement les plus importants d'entre eux. (M. Bernard Murat s'exclame.)
Nous assistons à la mise en place d'un impérialisme boursier - qui est non pas un droit, même s'il s'en donne l'apparence, mais bien un commerce de nature purement spéculative - sur des notions aussi fondamentales, tout au moins pour des parlementaires socialistes, que le droit du travail, et l'ordre public social qui en fait partie. L'apparition de cette notion symbolise donc ce que nous devons absolument éviter.
Telle était d'ailleurs la motivation de notre amendement précédent. En l'espèce, particulièrement s'il s'agit de mesures de nature à affecter de manière importante les conditions d'emploi et de travail des salariés, le comité d'entreprise et les délégués du personnel dans les petites entreprises doivent avoir une priorité absolue d'information et de consultation.
Accepter que le marché soit prioritaire constituerait pour nous un abandon grave dans la protection que l'Etat, je dirai même la République, porteuse de valeurs, doit à ses citoyens, qu'ils soient ou non salariés. En toute hypothèse, nous ne pouvons accepter que l'on réduise ainsi des personnes à des entités économiques et que l'on fasse passer leur sort après la satisfaction du marché. A notre place de législateur, nous ne pouvons en aucun cas nous y résigner.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Je ne reprendrai pas l'excellente et remarquable analyse que vient de faire Mme Dieulangard sur ce pas significatif que fait la majorité du Sénat, passant par-dessus bord un siècle de discussions, de dialogue social, d'élaboration du code du travail, pour se conformer aux nouvelles pratiques que veut nous imposer un certain capitalisme anglo-saxon.
Mes chers collègues, si vous votez ces deux amendements - et vous en avez déjà voté un ! - il faut alors avoir le courage de dire que vous approuvez la méthode de Marks & Spencer, car vous décrivez exactement ce qui s'est passé.
Mme Nicole Borvo. Absolument !
M. Gérard Delfau. Dès lors que vous l'approuvez, allez jusqu'au bout : interdisez au juge d'imposer le respect d'une norme législative et réglementaire.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Bien sûr !
M. Gérard Delfau. Je pense, mes chers collègues, que vous ne vous rendez même pas compte de l'énormité de ce que vous voulez faire passer par ces textes.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. C'est vraiment énorme !
M. Gérard Delfau. En tout cas, je vous mets au défi de trouver une tribune publique où vous pourriez le soutenir devant un parterre de citoyens. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Mme Dieulangard a parlé tout à l'heure de l'ordre public social. Elle a raison. En effet, le code du travail comporte une série de dispositions qui garantissent l'équité aux partenaires sociaux. Toutefois, chère collègue, notre législation ne comporte pas que le code du travail.
Mme Nicole Borvo. Ah !
M. Philippe Marini. Il faut se référer à l'ensemble des lois en vigueur, en particulier à tous les textes qui constituent l'ordre public économique et financier. Ces textes existent. Il faut les prendre en compte au même titre que le droit du travail.
Lorsque la commission propose un dispositif de nature à permettre aux partenaires sociaux de s'exprimer dans le cadre des organes légaux en fonction de l'ensemble de l'ordre public, je crois qu'elle a raison.
Mes chers collègues, quels que soient vos sentiments ou les doctrines auxquelles vous affirmez votre fidélité, vous devez constater qu'il existe de très nombreuses sociétés dont le capital est en bourse, qui sont cotées et qui obéissent aux dispositions du droit boursier. Ces dispositions font bien partie de l'ordre public économique et financier que la République a adopté et, à leur place, elles garantissent également une certaine équité en ce qui concerne la bonne exécution des contrats et des transactions.
Les divulgations d'informations peuvent perturber la vie du marché et créer des risques, comme le disait très justement tout à l'heure notre collègue Bernard Murat, de délits d'initié, de manipulation des cours. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Odette Terrade. Les salariés sont responsables !
M. Philippe Marini. C'est bien une réalité. Si la commission se situe au-delà de l'annonce au public, c'est bien pour éviter, mes chers collègues, que ces risques ne se manifestent. Je me permets de vous rappeler que ces risques sont bien prévus dans notre code pénal, puisque les manquements d'initié ou délits d'initié sont passibles de peines très lourdes. Il ne faudrait pas qu'avec des dispositifs aventureux on place, le cas échéant, des élus des salariés dans la situation où ils pourraient être suspectés de violer des textes du droit boursier. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Croyez-moi, ce n'est pas une hypothèse théorique.
Tout à l'heure, nous évoquions le texte récent sur les nouvelles régulations économiques. Le souci de préciser la loi en matière d'information des salariés lorsque surviennent des offres publiques d'achat et des offres publiques d'échange a, en effet, figuré au coeur des préoccupations du texte du Gouvernement, et Mme le ministre avait tout à fait raison de le rappeler. Nous avons dû traiter un problème difficile qui était précisément de concilier ces deux ordres de législation : la législation boursière et financière, d'un côté, et la législation sociale, le droit des relations du travail, de l'autre.
Mme Nicole Borvo. Quel déséquilibre !
M. Philippe Marini. Ce fut un travail délicat, que l'on s'est efforcé de mener de manière à éviter les risques, d'un côté comme de l'autre. Nous avions dit - souvenez-vous-en - que l'on se situait quelque part entre le délit d'initié et le délit d'entrave aux compétences et aux prérogatives du comité d'entreprise.
Mes chers collègues, je crois que seule la proposition de la commission est de nature à bien concilier tous les éléments du droit économique et social. Pour ma part, je suis tout à fait surpris que plusieurs collègues qui siègent à gauche dans cet hémicycle s'étonnent de choses qui sont de véritables évidences et ne veuillent considérer qu'une partie de la législation au détriment de toute une autre qui, au même titre, forme le droit positif tel qu'il faut bien l'appliquer et tel que les tribunaux, en particulier les juridictions pénales, l'appliqueront.
Mme Nicole Borvo. Pour l'instant, le droit est bien déséquilibré !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 109, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heure trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)