SEANCE DU 5 AVRIL 2001


PROTOCOLE ADDITIONNEL
AU PROTOCOLE DE SANGATTE

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 220 rect., 2000-2001) autorisant l'approbation du protocole additionnel au protocole de Sangatte entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la création de bureaux chargés du contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni. [Rapport n° 240 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Union européenne exerce sur les pays du tiers-monde une attraction d'autant plus forte que l'Europe constitue un véritable pôle de stabilité et de prospérité. Ainsi, l'évolution des phénomènes migratoires que l'on peut observer depuis plusieurs années concerne l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, même si la pression s'exerce différemment de l'un à l'autre.
Au début des années quatre-vingt-dix, la guerre en Bosnie a conduit vers l'Allemagne des flux massifs de réfugiés. Aujourd'hui, c'est plutôt vers la Grande-Bretagne que se dirigent les immigrants venus d'Afghanistan d'Albanie, de Chine, du Sri Lanka ou encore de Somalie : le nombre de demandeurs d'asile y est passé de 45 000, en 1998, à 76 000 en 2000. Même si, comme le souligne avec justesse votre rapporteur, ces chiffres doivent être appréciés avec une certaine prudence, ils sont, je le crois, significatifs.
Cette situation s'explique notamment par le caractère attractif des conditions d'accueil qui leur sont offertes. Elle a d'ailleurs conduit les autorités britanniques à réviser à la baisse aussi bien les avantages sociaux et financiers que les facilités d'accès au marché du travail dont bénéficiaient ces personnes.
Le flux d'immigration illégale vers la Grande-Bretagne emprunte des voies multiples, dont, notamment, la liaison ferroviaire transmanche et, par conséquent, des trains ayant leur point de départ en France. Selon les autorités britanniques, le nombre d'étrangers ayant, en 2000, gagné illégalement leur territoire en utilisant l'Eurostar s'élève à 6 971. Ce chiffre n'est pas réellement négligeable !
Comme vous le savez, la Grande-Bretagne, arguant de la spécificité que lui confère son insularité, avait décidé lors de la négociation du traité d'Amsterdam de ne pas participer aux accords de Schengen, qui organisent la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l'Union européenne et la mise en place d'une politique commune dans les domaines des visas et de l'immigration.
La pression migratoire croissante à laquelle la Grande-Bretagne se trouve aujourd'hui confrontée l'a conduite à demander au Conseil de l'Union européenne, le 26 avril 2000, de pouvoir participer à certaines dispositions de Schengen, cependant qu'elle s'engageait, pour sa part, à faire son possible pour répondre aux besoins des Etats membres, sur le plan opérationnel, dans l'exécution des opérations d'observation transfrontalières. Comme le suggère votre rapporteur, la Grande-Bretagne se présente même, aujourd'hui, comme le meilleur défenseur d'une politique européenne harmonisée dans ce domaine !
La France, qui est elle-même frontière extérieure de l'Union, ne pouvait, à la vérité, que se réjouir de ces excellentes dispositions. Nous avons donc accédé à la requête de Londres de fournir une assistance pour réduire le nombre d'immigrants clandestins arrivant en Grande-Bretagne après avoir transité par le territoire français.
L'entrée en service de la liaison ferroviaire transmanche, en 1994, s'est accompagnée de la mise en place des mesures de contrôles frontaliers négociées avec la Grande-Bretagne dans le cadre du protocole de Sangatte, signé en 1991.
Aux termes de cet accord, les contrôles sont exercés conjointement dans des bureaux de contrôle nationaux juxtaposés, situés de part et d'autre du tunnel. Il s'agit là d'un dispositif classique qui a déjà fonctionné avec tous les pays frontaliers autres que le Royaume-Uni jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention d'application de l'accord de Schengen.
Ces contrôles ont lieu avant l'embarquement pour les passagers qui utilisent les trains circulant uniquement dans le tunnel. Ils ont lieu à bord des trains en circulation - ce sont les contrôles dits « embarqués » - pour les passagers des trains ayant leur point de départ à Paris ou à Londres, c'est-à-dire, en clair, pour les passagers de l'Eurostar. Cette solution aurait été dictée par des raisons commerciales, car il n'apparaissait pas souhaitable alors, pour un moyen de transport dont l'atout principal était la rapidité, de procéder à des contrôles avant l'embarquement, susceptibles de retarder celui-ci.
Cependant, l'expérience a montré que ce dispositif était insuffisant. En effet, les contrôles embarqués permettent de constater des infractions, mais pas d'y remédier, la réglementation n'autorisant pas à faire descendre des trains les auteurs desdites infractions. L'insuffisance du dispositif a été mise au jour lors de l'afflux de réfugiés somaliens, en 1998. Il est alors apparu que la solution résidait dans les contrôles avant l'accès aux trains.
C'est précisément l'objet du protocole additionnel soumis aujourd'hui à votre approbation, qui crée six bureaux de contrôle des personnes, c'est-à-dire un pour chaque gare de départ des Eurostar.
Ce texte prévoit que les passagers disposant d'un billet indiquant qu'ils franchissent la Manche seront soumis, pas les agents de l'Etat de départ, à un contrôle de sortie, afin de vérifier qu'ils peuvent bien quitter le territoire, ainsi qu'à un contrôle d'entrée, effectué par les agents de l'Etat d'arrivée, afin de vérifier qu'ils disposent bien des documents requis et qu'ils remplissent toutes les conditions pour entrer dans cet Etat.
Le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, qui a été déposé récemment sur le bureau de l'Assemblée nationale, devrait donner sa pleine efficacité à ce protocole en permettant de soumettre l'ensemble des passagers à ce double contrôle, quelle que soit leur destination. En effet, certains d'entre eux, censés ne circuler que sur le territoire français, peuvent ne pas descendre à Lille ou à Calais et entrer de façon irrégulière en Grande-Bretagne.
La suite concrète que nous entendons ainsi donner au protocole additionnel ; par le moyen d'un texte législatif, traduit l'engagement pris tout récemment par les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du sommet franco-britannique de Cahors, le 9 février 2001.
Reste le contrôle des trains de fret, qui n'est pas couvert par ce protocole, comme n'a pas manqué de le relever, avec sa sagacité habituelle et sa vigilance, M. le rapporteur, dont nous connaissons la parfaite maîtrise des questions relatives à l'espace Schengen. C'est bien à la commission transmanche, dont la création a été décidée lors du sommet franco-britannique - ce qui n'a pas échappé non plus à l'attention de M. le rapporteur - qu'il reviendra d'examiner cette question.
Le protocole additionnel prévoit par ailleurs que les demandes d'asile faites sur le territoire d'un Etat seront examinées par cet Etat, que la demande ait été faite auprès des agents de cet Etat ou auprès des agents de l'autre Etat, et ce jusqu'à fermeture définitive des portes du train.
Cette disposition renforce la convention de Dublin de 1990, qui prévoit que, dans le cas où une demande d'asile est formulée auprès des autorités britanniques mais sur le territoire français, les autorités françaises ne sont chargées que de la détermination de l'Etat responsable de l'examen de cette demande d'asile. Désormais, les autorités françaises deviennent, de par le protocole, également responsables de l'examen au fond de la demande d'asile.
Contrairement à ce que l'on pourrait craindre, il n'apparaît pas que cette disposition soit susceptible d'accroître notablement les demandes d'asile formulées auprès de la France. En effet, la Grande-Bretagne demeure dans ce domaine une destination privilégiée entre toutes, tant pour des motifs économiques et linguistiques qu'en raison de l'implantation dans ce pays - M. le rapporteur l'a souligné de la façon la plus claire - d'une partie des communautés ethniques concernées par l'actuel courant d'immigration.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole additionnel au protocole de Sangatte, fait à Bruxelles le 29 mai 2000, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, le protocole dont vous venez de nous présenter les principales dispositions obéit, vous l'avez souligné, à plusieurs considérations de nature très différente.
Certaines sont de circonstance et justifient, chacun l'a compris, les délais très brefs dans lesquels le Sénat a été appelé à examiner le texte. D'autres dépassent les arguments d'opportunité et concernent la sécurité de l'espace Schengen ; je vous sais gré de l'avoir rappelé, monsieur le ministre, car on oublie parfois que la Grande-Bretagne n'est pas dans l'espace Schengen et que c'est la France qui contrôle, pour le compte de ceux qui ont ratifié le traité, la limite de cet espace vers l'ouest. Enfin, d'autres considérations s'adressent à des observateurs attentifs, qui s'attardent sur l'examen de l'évolution des phénomènes migratoires dans l'Europe pour les années qui s'ouvrent. Elles mériteraient, me semble-t-il, un autre débat, car c'est un sujet très vaste et fort inquiétant.
Mon propos - rapide, vous le comprenez, dans le cadre de ce débat restreint - est technique et il le restera. Mais il faudra comprendre que ce thème, à lui seul, ne remplit pas l'espace concerné par ce protocole, car, ne l'oublions pas, il s'agit, pour beaucoup, de la misère du monde dans les années à venir.
Quelles raisons ont conduit la France et le Royaume-Uni à compléter, sous la forme d'un protocole additionnel, les dispositions qui avaient été arrêtées en 1991 pour la surveillance des liaisons empruntant le tunnel sous la Manche ? Dix ans, c'est peu. Faut-il déjà modifier ce qui avait été prévu alors que la technique était parfaitement au point et que l'on savait que ces moyens ultramodernes de transport engendreraient des phénomènes migratoires ?
Observons d'abord la lenteur du processus. La construction du tunnel a été décidée en 1986. Trois ans ont été nécessaires pour que la première disposition soit signée. Les négociations qui sont à l'origine du protocole additionnel faisant l'objet du projet de loi que nous examinons ont été engagées dès 1998, la signature dudit protocole étant intervenue à Bruxelles en 2000. Tout cela est très long et sensiblement inadapté aux problèmes qui se posent.
Deuxième observation : le Royaume-Uni est particulièrement pressé et demandeur. Pourquoi ceux qui supportaient des lenteurs, des adaptations, sans trop de contraintes, se prennent-ils d'un coup à sauter l'obstacle et à trahir la procédure diplomatique, habituellement plus sage et plus prudente ? Sans doute pour des raisons de circonstances, et l'on peut penser au processus électoral qui s'engage en Grande-Bretagne. Certainement aussi en raison de l'accroissement très significatif de la pression migratoire que connaît le Royaume-Uni et de la nature de la demande qui, pour partie, tourne autour de cette notion d'asile, mais qui nourrit aussi un courant de clandestinité qui s'accroît et qui inquiète l'opinion publique en Grande-Bretagne, comme ailleurs.
Observons, vous l'avez dit, monsieur le ministre, que le nombre de demandeurs d'asile au Royaume-Uni est passé de 45 000, en 1998, à 76 000 en 2000, malgré de récentes dispositions visant à restreindre le dispositif d'accueil initial très libéral que connaît ce pays. Ce phénomène est naturel. L'anglais est une langue universelle et les pauvres gens qui cherchent à bénéficier du concours de l'Occident vont là où ils comprennent le rudiment de ce qui permet une intégration espérée, plutôt que dans des pays où la langue est plus difficile pour eux. L'accueil en Grande-Bretagne est excellent, par tradition, par éthique. L' habeas corpus conduit à la suppression de tout contrôle dès lors que l'on est sur le sol du Royaume-Uni. Quoi de plus rassurant pour un immigrant que de savoir qu'une fois en Grande-Bretagne il n'aura plus à subir de contrôle d'identité, ni de vérification de son passeport ? Enfin, on peut y travailler plus facilement que dans d'autres pays, même quand on n'a pas de titre d'asile. Et si, d'aventure on est débouté, les procédures sont telles qu'il n'y a pratiquement jamais ni expulsion ni reconduite à la frontière.
Par conséquent, cela se sait. Les filières s'emparent de ce processus, exploitent la misère, la demande et l'on voit les immigrants s'accumuler. A Sangatte, on peut effectivement voir ces misérables qui vivent dans un camp de la Croix-Rouge, dans des conditions sordides et qui, par tous les moyens, bien sûr les plus illégaux, parfois les plus dangereux, sont décidés à passer en Grande-Bretagne, à franchir le bras de mer. A voir les bateaux circuler, ils se mettent à espérer en ce qui représente pour eux la liberté.
Quand on est Britannique, comment ne pas considérer que c'est en France que tout se passe et que c'est par une certaine carence française que les difficultés surgissent sur le sol du Royaume-Uni ? Certes, ce n'est pas ce qui se dit, ce n'est pas ce qui s'écrit, mais c'est souvent ce qui se pense. En tout cas, cela apparaît dans les conversations, privées bien sûr, que nous pouvons avoir. On y souligne que la France ne pratique pas à l'égard de la Grande-Bretagne une politique de rigueur, alors qu'elle devrait pourtant donner l'exemple, car c'est elle qui, a certains égards, défend l'espace Schengen et a la responsabilité de la surveillance, tout au moins dans un sens, du flux migratoire que représentent ceux qui entrent chez nous.
Les mesures qui sont proposées sont des mesures policières. Elles sont simples. On ne sait pas si elles donneront des résultats probants. On peut penser qu'elles seront insuffisantes, d'autant plus que l'essentiel du flux migratoire passe non pas par le train mais par la voie maritime. Le contrôle que le protocole prévoit de mettre en place ne concerne pas les trains de marchandises. Or c'est par les trains de marchandises, donc non visés par le protocole, qui ne sont pas contrôlés de la même façon, que s'effectue l'essentiel du flux migratoire qui a lieu par le rail.
En l'état, nous devons considérer ce protocole additionnel comme une bonne chose. La commission des affaires étrangères a adopté, à l'unanimité, le projet de loi visant à autoriser la ratification de celui-ci.
Grâce à ce texte, peut-être pourrons-nous mieux honorer nos engagements vis-à-vis de nos collègues de l'espace Schengen. Il est quelque peu paradoxal de constater que les contrôles approfondis prévus par la convention et qui s'appliquent à l'ensemble de l'espace Schengen étaient superficiels, et parfois inexistants.
Le fait que nous disposions de moyens supplémentaires en terre britannique, comme le fait que nos collègues anglais auront des policiers en terre française, nous permettront de mieux assumer cette responsabilité.
Observons que d'autres questions restent en suspens, notamment le problème - vous l'avez évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre - de la surveillance du transport, sur le territoire français, de voyageurs qui pourraient être contrôlés lorsqu'ils prennent un billet à la gare du Nord à destination de Calais. Sur ce point, un dispositif complémentaire sera soumis au Parlement prochainement. A cet égard, nous pourrions nous interroger sur l'opportunité de ce transfert de souveraineté et nous demander s'il n'existe pas d'autres solutions.
Enfin, je rappelle, pour terminer, que, pour l'essentiel, les flux d'immigration clandestine empruntent aujourd'hui la voie maritime. A cet égard, d'autres dispositions devront être prises. Les pénalités financières dont nous serons exonérés pour le trafic des voyageurs si le système fonctionne comme nous l'entendons seront-elles aussi levées pour les wagons de fret ou pour le transport routier ? Je ne le pense pas. La coopération doit être renforcée. La commission transmanche, instituée lors du sommet de Cahors, abordera-t-elle ce problème ? Pourrons-nous, grâce à cette commission, saisir l'attention nouvelle que les Britanniques apportent aux problèmes d'immigration et de clandestinité ? Cette réflexion commune portera-t-elle ses fruits ?
L'expérience démontrera sans doute une fois encore - souhaitons-le ! - que les accords bilatéraux ou régionaux restent les formules les plus efficaces pour contrôler les phénomènes migratoires de pauvreté auxquels l'Europe sera confrontée dans les années à venir.
Sans doute les traités sont-ils nécessaires et même indispensables dans une action commune. Mais les Britanniques, toujours très pragmatiques, mettent en oeuvre cette expérience dans les contacts qu'ils entretiennent à l'heure actuelle avec les pays des Balkans et l'Italie. Ils ont compris que les arrangements bilatéraux, signés et approuvés, sont quelquefois plus rapides et plus efficaces que les grandes « aventures » juridiques, quel que soit leur intérêt intellectuel, car celles-ci ne portent pas toujours de fruits sur le terrain. Il y aurait intérêt, me semble-t-il, à passer à la vitesse supérieure.
Ces quelques considérations générales - veuillez m'en excuser, monsieur le ministre, mes chers collègues - ne sont pas directement en rapport avec le sujet, mais vous estimerez, comme nous, qu'outre les quelques fonctionnaires de police placés de part et d'autre de la Manche sur les quais de la gare à Waterloo ou de la gare du Nord, notre réflexion doit porter sur de nombreux autres points, car il s'agit d'un phénomène que nous ne pouvons pas uniquement traiter sur un plan juridique, diplomatique, voire policier.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d'approuver le présent protocole. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du contrôle des étrangers qui, chaque année, par dizaine de milliers, franchissent la Manche pour se rendre au Royaume-Uni, mériterait un débat plus approfondi. Mais qu'il me soit permis de livrer deux réflexions.
Premièrement, en fait de clandestins, il s'agit essentiellement de demandeurs d'asile, comme le soulignent tant l'exposé des motifs du projet de loi de ratification que le rapport de notre collègue M. Masson : « Depuis plusieurs années, nous est-il rapporté, le Royaume-Uni connaît un flux d'immigration clandestine important constitué essentiellement de demandeurs d'asile ».
Cet amalgame devenu « naturel » entre clandestins et demandeurs d'asile est d'autant moins acceptable ici que tant les études menées par les associations que le constat de certains parlementaires montrent bien que les personnes qui « empruntent » ce chemin, sont, pour la très grande majorité, des personnes ayant subi ou risquant de subir des persécutions dans leur pays. Elles font d'ailleurs rarement l'objet de procédures pour séjour irrégulier ou de renvoi en centres de rétention.
Je me permets de vous lire, sur ce point, des extraits du rapport budgétaire de M. Mermaz, à la suite de sa visite au camp de Sangatte, fin 1999 : « Le matin de la visite, quatre-vingt-dix-neuf personnes, tentées par l'aventure britannique, avaient été interpellées au port de Calais : Irakiens, Iraniens, Kosovars, Afghans, Turcs, Sri Lankais, Yougoslaves, Roumains, Albanais... La plupart d'entre eux ne sont pas reconductibles dans leur pays d'origine, compte tenu de la situation politique qui y prévaut. Dans cette hypothèse, ils sont conduits au centre d'accueil de Sangatte...
« Le centre de Sangatte n'est ni une zone d'attente ni un centre de rétention. C'est un lieu d'hébergement... qui accueille des personnes pour la plupart en situation irrégulière mais non reconductibles, et donc libres de leurs mouvements...
« La preuve est faite de l'inanité du slogan " immigration zéro ". On estime qu'en moyenne la population de Sangatte se renouvelle entièrement tous les vingt jours. Où sont les réfugiés ? En Angleterre pour la plupart. »
En résumé, ces personnes sont considérées comme en situation de danger dans leur pays, mais, plutôt que de leur accorder la protection prévue par nos engagements internationaux, on les accueille, le temps pour elles de gagner, en moyenne dans les trois à quatre semaines, le Royaume-Uni, dont la législation, jusqu'en mars, était particulièrement « accueillante ».
Je ferai une seconde remarque : en fait de demandeurs d'asile, il s'agit majoritairement de Kurdes d'origine irakienne, iranienne, mais aussi, souvent, d'Afghans. A l'heure où la communauté internationale s'émeut du sort des femmes afghanes, et encore plus de la destruction d'un patrimoine culturel de l'humanité, on peut s'étonner que les réfugiés afghans continuent d'errer dans l'espace européen à la recherche d'un pays d'accueil.
Je ne peux m'empêcher de rappeler ici qu'hier M. le ministre des affaires étrangères recevait avec bien des égards le commandant Massoud, leader islamiste de l'opposition au régime des talibans afghans, qui s'exprime aujourd'hui devant le Parlement européen. Ne pourrions-nous pas attendre des pays de l'Union européenne, et singulièrement du nôtre, la même « ouverture d'esprit » vis-à-vis de l'ensemble de ces réfugiés ?
Parce qu'ils refusent de s'inscrire dans une politique européenne en matière d'asile fondée sur des droits a minima et parce qu'ils veulent marquer leur inquiétude face aux violations persistantes des droits élémentaires des demandeurs d'asile dans les zones d'attente - nous savons ce qu'il en est de Roissy, et mon collègue Robert Bret, qui a pu le constater de visu, peut en témoigner - les sénateurs communistes ne s'associeront pas au vote de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux interventions de M. le rapporteur et de Mme Borvo.
Mme Borvo s'est inquiétée de l'amalgame qui serait fait - en l'occurrence, ce n'est pas le cas, mais cet amalgame est souvent fait, c'est vrai - entre clandestins et demandeurs d'asile.
Sur ce point, je puis vous rassurer, madame : il n'y a, en tout cas dans notre esprit, aucune confusion de ce type. La situation est même très claire : les personnes dont vous parlez et qui sont hébergées à Sangatte ne souhaitent pas, dans leur grande majorité, déposer de demande d'asile, et l'on ne peut pas les y contraindre. Elles veulent, au contraire, se rendre au Royaume-Uni pour déposer leur demande là-bas, car c'est justement dans ce pays qu'elles veulent s'établir pour les raisons qu'a soulignées M. Masson. Si elles déposaient une demande en France, elles devraient alors y rester ; c'est la logique même du mécanisme.
S'agissant des Afghans, ils sont peu nombreux à demander l'asile à la France ; mais soyez assurée, madame, que nous accordons à ces demandes une attention particulière et que le taux de réponses positives est beaucoup plus élevé, en pratique, que pour d'autres nationalités. Nous sommes en effet bien conscients des difficultés que connaît la population de ce pays. Vous avez d'ailleurs noté l'accueil que la France a réservé au commandant Massoud.
Plus généralement, nous faisons des efforts très concrets pour aider la population afghane, notamment sur le plan humanitaire.
Mais je ne veux pas m'éloigner de notre sujet, même si celui-ci est important : la question de l'asile est effectivement essentielle aujourd'hui en Europe, comme l'a souligné M. Masson, et méritera donc des débats plus approfondis.
Vous avez mentionné le projet de directive que la Commission européenne vient d'adopter quant à l'harmonisation des conditions d'accueil des demandeurs d'asile.
Ce texte, très important et très attendu, n'a pas encore été transmis formellement au Conseil. Nous n'en connaissons donc pas tous les détails. Mais grâce à l'initiative qu'avait prise la présidence française d'organiser un débat politique en amont afin que la Commission dispose des éléments utiles pour préparer ce texte, nous en devinons tout de même la teneur.
Nous pouvons d'ailleurs nous réjouir, car nos principales préoccupations semblent - je suis prudent - avoir été prises en compte. Il s'agit notamment de l'idée d'un accueil dans des conditions de dignité pendant toute la durée de la procédure d'asile, de l'option laissée aux Etats membres entre une aide en nature ou une aide en espèces de l'accès aux soins médicaux et de l'accès des enfants au système scolaire.
S'agissant de l'accès au travail, qui est un sujet très controversé, la Commission a retenu l'idée que les demandeurs d'asile ne peuvent avoir accès au marché du travail qu'au terme d'un délai de six mois dans des conditions qui resteront à déterminer par les Etats membres. Cette solution est, en réalité, proche de celle que nous avions nous-même préconisée dans nos discussions à Quinze : principe de non-accès au travail, mais exceptions possibles si la procédure d'asile n'est pas conclue dans un délai raisonnable.
La tenue d'un premier débat au niveau des ministres en amont de la rédaction du projet de texte par la Commission aura permis de prendre en compte les sensibilités des Etats membres, notamment les nôtres, et cela ne pourra que faciliter le débat sur le texte lui-même. Il est important que la discussion de ce texte aille assez vite, car il répond, nous le voyons bien, à un besoin urgent.
Je saisis cette occasion pour remercier le Sénat, notamment la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, son président et son rapporteur, pour la rapidité avec laquelle il a procédé à l'examen du texte qui va, je l'espère, être adopté.
M. Masson a lui-même souligné les motifs pour lesquels nous devions aller vite.
C'est une bonne chose, car cette exigence de rapidité s'impose si nous voulons lutter efficacement et effectivement contre l'immigration clandestine, phénomène qui existe et ne doit pas être confondu avec d'autres.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur, de regretter les délais parfois très longs de ratification et d'entrée en vigueur des textes négociés à Quinze ; nous sommes bien placés pour le constater. Mais soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que, dans le domaine que nous examinons aujourd'hui, tous les Etats membres sont désormais conscients de l'urgence qu'il y a à intervenir. En même temps, nous savons qu'il s'agit de sujets sensibles et complexes pour lesquels il convient de faire les choses avec soin si nous voulons respecter les droits des personnes.
En l'occurrence, je me réjouis donc vivement que le Sénat ait accepté cette procédure très rapide.
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisée l'approbation du protocole additionnel au protocole de Sangatte entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la création de bureaux chargés du contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni, signé à Bruxelles le 29 mai 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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