SEANCE DU 8 FEVRIER 2001


REVENU MINIMUM D'ACTIVITÉ

Suite de la discussion des conclusions
du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport de M. Philippe Nogrix, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi de MM. Alain Lambert et Philippe Marini portant création du revenu minimum d'activité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, c'est vrai, nous cherchons de bonne foi, honnêtement, objectivement, les solutions pour aller dans le sens de ce que vous appelez « la société de plein emploi ».
Il est également vrai, monsieur le ministre, que nous connaissons une période de croissance tout à fait remarquable. Nous pouvons certes diverger dans l'analyse des causes de cette croissance, mais nous ne pouvons qu'être d'accord sur le fait qu'il faut en tirer au maximum parti alors qu'il en est encore temps, parce qu'elle ne durera pas toujours.
Il est vrai aussi, monsieur le ministre, que, dans notre société, trop de personnes sont laissées sur le bord du chemin, qui pourraient réintégrer une vie de travail et retrouver leur dignité.
Sur tous ces sujets, nous ne pouvons que partager les points de départ de la réflexion mais, ensuite, les méthodes, les solutions peuvent légitimement diverger.
Je vous entendais dire, il y a quelques instants, à propos du revenu minimum d'activité que nous proposons : « ce dispositif soulève trop de réserves pour que le Gouvernement puisse y être pleinement favorable ». Ce sont les mots que vous avez utilisés. Ils sont extrêmement modérés, et je vous en sais gré.
Pour que notre discussion puisse progresser, je voudrais, aussi rapidement que possible, rappeler tout d'abord dans quel cadre s'inscrit cette proposition de loi.
Le Sénat, j'ose le dire malgré la prétention du terme, s'efforce de concevoir sa doctrine sur ces sujets, en tout cas sa réflexion de fond, sa réflexion théorique et pratique, pour aboutir à une réelle et durable amélioration de la situation de l'emploi.
Dans ce cadre, deux dispositifs nous semblent étroitement complémentaires : le crédit d'impôt et le revenu minimum d'activité. Telle sera la première partie de mon propos. Le RMA ne se conçoit que par rapport au crédit d'impôt. De même, nous le rappelions lors de la discussion budgétaire, le crédit d'impôt ne se conçoit que par rapport au RMA.
En deuxième lieu, je veux, à la suite du rapporteur qui l'a très bien exprimé, si bien que mon propos sera bref, redire en quoi le RMA nous paraît être un instrument simple, efficace, souple de lutte contre le chômage structurel.
En troisième lieu, et en conclusion de cette intervention, je veux indiquer au Gouvernement toutes les raisons qu'il a d'envisager de se rallier à notre dispositif, comme il s'est déjà rallié à d'autres dispositifs issus du Sénat. Bien entendu, monsieur le ministre, je sais bien que si vous vous y ralliez, vous changerez l'appellation ! (M. le ministre sourit.)
Vous donnerez une autre dénomination au RMA, de même que vous avez transformé récemment le « crédit d'impôt » en « prime pour l'emploi ». Vous n'avez pas accepté le terme, mais vous avez fait la chose, ce qui est bien l'essentiel.
Mes chers collègues, il faut en effet se souvenir des conditions dans lesquelles nous avons discuté du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2001. Nous avions, à l'époque, exprimé toutes nos objections sur le fond et sur le plan juridique au dispositif que vous préconisiez de ristourne dégressive sur la contribution sociale généralisée et sur la contribution pour le remboursement de la dette sociale.
Nous avions suggéré un autre dispositif, celui du crédit d'impôt. Le Conseil constitutionnel, chacun le sait, a pleinement validé nos analyses, vous conduisant à redéployer complètement votre raisonnement. A la vérité, vous n'aviez engagé cette discussion que pour équilibrer, à l'égard de certains éléments de votre majorité plurielle, le cadeau, excessif selon certains, minime voire symbolique selon d'autres, donné au niveau du taux marginal de l'impôt sur le revenu. (M. Muzeau s'exclame.)
Dès lors, il fallait mettre quelque chose sur l'autre plateau de la balance. Mais ce quelque chose était hâtif, mal étudié, non étayé du point de vue juridique et sans doute contestable sur les plans politique et financier. Vous avez donc dû accepter volens nolens de vous rallier à une autre solution conforme à l'état de droit.
Le crédit d'impôt et le revenu minimum d'activité sont bien, mes chers collègues, deux dispositifs étroitement complémentaires. (M. Muzeau s'exclame de nouveau.)
Le crédit d'impôt obéit à une logique de progression des salariés dans leur vie de travail et vise à lutter contre la « trappe à pauvreté ». Le RMA obéit, lui, à une logique d'insertion des publics les plus en difficulté et vise à lutter contre la « trappe à inactivité ».
Je voudrais d'ailleurs dire, monsieur le ministre, tout le plaisir et l'intérêt que j'ai éprouvés à lire et à étudier, voilà quelques mois, le rapport sur le plein emploi de M. Jean Pisani-Ferry, établi pour le conseil d'analyse économique. Je tiens d'ailleurs à citer quelques commentaires de son auteur parus dans le quotidien Libération du 8 janvier 2001.
« Parce qu'au fur et à mesure que le chômage régresse la poursuite de sa baisse va de plus en plus impliquer le retour à l'emploi de ceux qui en sont aujourd'hui le plus éloignés, parce qu'il n'est pas sain qu'aujourd'hui un tiers des RMIstes qui reprennent un emploi déclarent eux-mêmes n'y avoir aucun intérêt financier, et parce qu'en faisant en sorte que le travail paye on augmenterait l'efficacité des programmes d'accompagnement du retour à l'emploi qui resteront de toute façon indispensables... » Ce sont autant de motifs qui, selon M. Pisani-Ferry, militent en faveur de l'activation des dépenses d'assistance, en d'autres termes de ce que nous appelons, nous, avec notre langage, le revenu minimum d'activité.
Dans le contexte actuel, ce dispositif nous semble véritablement utile, voire indispensable, monsieur le ministre. Certes, vous avez raison de nous citer les chiffres de décrue du chômage, mais le Gouvernement aurait tort de trop s'en vanter, et cela pour deux raisons au moins.
La première concerne l'amélioration de la situation de l'emploi qui, si elle est tout à fait réelle, connaît de nombreuses limites. Le taux de chômage par rapport à la population active, qui est en France de 9,4 % - 9,2 % en décembre -, doit, chacun le sait, être comparé non seulement à la moyenne de la zone euro, qui est de 8,9 %, donc sensiblement inférieure, mais aussi à celle de l'Union européenne, qui est 8,2 %, donc encore un peu plus basse.
Sans parler des pays dont les taux sont vraiment d'un ordre de grandeur beaucoup plus bas, ni sans aller au-delà de la Manche ou de l'Atlantique, je prendrai simplement l'exemple des Pays-Bas, pays de tradition social-démocrate, du moins par l'organisation de ses services sociaux.
Le taux de chômage par rapport à la population active se situe entre 4 % et 5 %. Ce qui est possible pour les Néerlandais est-il vraiment impossible pour les Français ? Peut-on raisonnablement soutenir que nos amis néerlandais vivent dans un régime socio-économique de libéralisme sauvage, débridé, qu'ils n'ont accès à aucune sécurité sociale, à aucun moyen de soins ni à aucun filet de protection ?
L'amélioration de la situation de l'emploi est une réalité. Mais elle peut être plus importante. Le seuil contre lequel nous butons aujourd'hui, c'est bien le niveau élevé du chômage structurel. Tel est le combat qui doit tous nous mobiliser. Pour l'entreprendre, il faut utiliser, d'une manière ou d'une autre, l'incitation au travail. Nous avons la faiblesse de croire que la meilleure est le pouvoir d'achat. Aussi la logique du revenu minimum d'activité est-elle de faire franchir un seuil suffisant de pouvoir d'achat aux personnes qui, jusqu'ici, sont cantonnées dans l'assistance.
La seconde raison concerne les 35 heures, élément sur lequel il nous faut insister, monsieur le ministre.
Selon vous, les 35 heures créent beaucoup d'emplois. Nous ne savons pas combien, aucune statistique ne le dira jamais. Puisque, tout à l'heure, vous avez utilisé l'argument des effets d'aubaine pour les entreprises, permettez-moi de vous faire sourire en vous demandant si, dans le dispositif financier d'accompagnement des 35 heures, aucune entreprise n'a bénéficié d'effet d'aubaine ! Vous savez fort bien que soutenir un tel point de vue ne serait pas réaliste, et vous savez aussi que le dispositif dont je parle se traduit par un coût massif pour la collectivité nationale.
Je rappelle une nouvelle fois, mes chers collègues, parce qu'il faut taper sur un clou pour l'enfoncer, que le financement de cette usine à gaz incompréhensible, et faite pour l'être, qu'est le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, représente en 2001 une somme totale de 85 milliards de francs.
Or cette somme - heureuse coïncidence ! - représente le total de tous les crédits affectés à la sécurité intérieure - la police et les moyens complémentaires, la gendarmerie - et au ministère de la justice, c'est-à-dire à toute l'organisation judiciaire. Refaites l'addition, monsieur le ministre, et vous vous apercevrez que vous aboutissez, à peu de chose près, à 85 milliards de francs. Les aides accordées aux entreprises au titre des 35 heures sont équivalentes à l'effort accompli par la collectivité nationale en une année entière pour la sécurité et la justice. Est-ce bien raisonnable ? Cette somme représente aussi, nouvelle coïncidence, le montant total des investissements civils de l'Etat, c'est-à-dire toutes les routes et les investissements collectifs des budgets civils.
Il suffit, mes chers collègues, pour apprécier de façon équitable et objective la politique budgétaire, financière et même économique de l'Etat sous l'actuel Gouvernement, de garder bien en tête cette règle de « trois fois 85 ». Cela donne une idée de l'efficacité de ce que l'on nous fait faire et révèle cette illusion fantastique qu'est, à mes yeux, la politique des 35 heures. Si celle-ci comporte certains effets favorables qu'il ne faut pas nier, elle a aussi de nombreux effets néfastes et contestables, des effets très incertains sur l'emploi. Comment va-t-on, en effet, distinguer les emplois préservés des emplois créés ? Il n'existera jamais aucune statistique pour relier l'argent investi et l'efficacité sociale du dispositif !
On peut aussi s'interroger à bon droit sur l'impact sur la compétitivité de nos entreprises, sur les risques d'inflation, sur les risques de réduction de la capacité de production et aussi sur l'état d'esprit, la motivation et la mobilisation des différents secteurs économiques dans la lutte pour la compétitivité en Europe. Ce sont des facteurs très difficiles à évaluer, mais nous savons qu'ils existent réellement.
Monsieur le ministre, notre démarche au Sénat vise à dire qu'il faut profiter de la bonne conjoncture pour sortir de schémas tout faits et trop administratifs d'aide à l'emploi. Il convient de s'interroger sur les effets sur l'emploi des politiques publiques que nous appliquons, en particulier lorsque la croissance nous ouvre des marges de liberté qui étaient insoupçonnées jusque-là.
Pourquoi ne pas procéder à quelques expérimentations, surtout lorsqu'elles ne coûtent rien, ni au contribuable ni au cotisant, comme nous le proposons avec le revenu minimum d'activité ? Il suffit de se référer à d'autres écrits, par exemple ceux qui figurent dans un excellent ouvrage collectif, très récent, qui s'intitule Notre Etat, le livre vérité de la fonction publique, écrit sous la direction de Roger Fauroux, ancien ministre d'un gouvernement que l'on n'appelait pas « pluriel », mais qui l'était au moins autant que celui-ci. J'y ai lu avec intérêt un certain nombre de remarques sur les politiques de l'emploi.
Premièrement, « les réglementations protègent des secteurs d'activité ou des segments de population mais freinent en même temps la croissance et l'emploi » ; heureuse conversion !
Deuxièmement, « le développement des dépenses sociales amortit la crise mais favorise le chômage ».
Troisièmement, « les politiques d'accompagnement social sont contre-productives », les pouvoirs publics ayant « utilisé les leviers d'action immédiatement accessibles : la création d'emplois publics et le partage du travail ».
La conclusion s'impose : « Cette création d'emplois non marchands alimente une spirale négative d'accroissement des dépenses et des prélèvements publics qui pèse finalement sur l'activité et la création d'emplois privés. »
Ces remarques ne sont pas d'Alain Madelin. Elles sont signées par un ancien collaborateur de Pierre Bérégovoy ! Monsieur le ministre, partagez au moins avec nous cette réflexion et poursuivons, dans le débat, l'examen d'un dispositif qui nous semble être raisonnable et réaliste.
La proposition de loi que nous avons cosignée, le président Alain Lambert et moi-même, et qui engage la commission des finances du Sénat, vise à assouplir les formes de régulation du marché du travail et à favoriser le retour à l'emploi des personnes qui ont été durablement exclues, retour à l'emploi par l'entreprise et par une activité réelle dans le secteur marchand.
Nous ne prétendons pas que cette proposition est la panacée, mais nous estimons qu'elle a de réels atouts.
Le premier, fort bien mis en valeur par M. Nogrix, rapporteur, est la simplicité, la lisibilité, le fait que ce dispositif soit immédiatement compréhensible par tous, quel que soit le niveau socioculturel de chacun, à la différence du mécanisme d'intéressement introduit par le Gouvernement. La mesure qui consiste à maintenir le RMI dans le cas de reprise d'une activité est bonne et va dans le bon sens, mais, monsieur le ministre, vous qui êtes un élu de terrain comme un certain nombre d'entre nous, connaissez-vous une assistante sociale qui soit en mesure de l'expliquer clairement à la personne qui est devant elle en fonction de la situation réelle de cette dernière ?
M. Roland Muzeau. Mais oui !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Mais non !
M. Philippe Marini. C'est un dispositif qui est intéressant, je le répète, mais quand on a devant soi une personne désespérée par une inactivité qui se prolonge, comment lui expliquer, d'une façon suffisamment mobilisatrice pour la faire revenir au travail, un circuit administratif aussi complexe et aux conditions aussi spécifiques ? Quand une action comporte, comme c'est le cas, un côté psychologique, il faut faire simple, il faut faire lisible ! Je suis bien d'accord avec M. le rapporteur et en désaccord avec vous, monsieur le ministre, il faut un dispositif automatique, tant pour les personnes bénéficiant de revenus d'assistance que pour les entreprises elles-mêmes.
Bien entendu, ce dispositif, qui n'est qu'un cadre, devrait être interprété et mis en place de façon très concrète, branche par branche, par voie conventionnelle. C'est le contrepoint de l'automaticité et c'est l'ensemble qui permet un équilibre.
Le dispositif du RMA prendrait la forme d'une convention tripartite entre le bailleur de fonds public, qui peut être l'Etat ou le gestionnaire du minimum social, les entreprises regroupées au bon échelon de responsabilité et le ou les bénéficiaires qui vont passer de la situation d'allocataires à la situation de salariés.
Notre rapporteur Philippe Nogrix a infiniment raison de dire que, même s'il s'agit pour partie du même argent public, il y a une différence très importante, d'abord dans l'esprit de celui qui est concerné et, ensuite, dans le regard des autres, entre le fait d'être bénéficiaire d'une allocation et celui de recevoir une feuille de paie à la fin du mois, comme tout un chacun. C'est le véritable ressort psychologique sur lequel nous voulons jouer avec un tel dispositif : automaticité, mais mise en place par la négociation.
Nous sommes évidemment prêts à toutes les améliorations. La commission des affaires sociales nous en a suggéré et d'autres sont naturellement à envisager. A ce sujet, nous serions très heureux, monsieur le ministre, de poursuivre une réflexion commune avec vous-même et avec les services du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Dernier atout du dispositif proposé, il ne coûte pas un franc de plus puisqu'il consiste à recycler ce qui existe. M. le président Lambert et moi-même, très sensibilisés, bien sûr, à cet aspect, sommes d'autant plus incités à expérimenter une telle voie que nous n'y voyons vraiment aucun risque. En effet, nous n'allons pas perdre un centime d'impôts ou de cotisations. A la vérité, nous risquons seulement de remettre dans un cycle mobilisateur et vertueux, celui du travail, des personnes qui étaient dans la désespérance.
Combien sont-elles ? Comment établir les limites de ce qu'on qualifie d'un mot affreux - désagréable en tout cas -, « l'employabilité » ? C'est évidemment une inconnue, mais si un tel dispositif permettait de faire reculer le chômage structurel, fût-ce de 0,5 %, de 1 % ou de 1,5 % de la population active, ne faudrait-il pas tenter de le mettre en oeuvre ?
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Eh bien voilà ! Chiche !
M. Philippe Marini. Qu'est-ce que cela coûte ? Il s'agit de réutiliser des moyens budgétaires existants, sans coût supplémentaire pour le budget de l'Etat !
C'est un jeu gagnant pour chacun des partenaires : gagnant pour les budgets publics, gagnant pour les allocataires, gagnant pour les entreprises... C'est vrai : gagnant pour les entreprises, vous aviez raison de le souligner, monsieur le ministre. Mais il ne faut pas s'en attrister ! Comment voudrions-nous créer des emplois dans le secteur marchand, notamment des emplois non spécialisés pour des personnes en difficulté psychique et sociale comme le sont souvent les allocataires de ces revenus, si les entreprises ne sont pas motivées ?
M. Jacques Machet. Bien sûr !
M. Philippe Marini. Il est clair que, pour l'entreprise, jouer ce jeu, c'est faire oeuvre citoyenne,...
M. André Jourdain. Tout à fait !
M. Philippe Marini. ... et la convention traduira cette réalité.
Mais il est clair aussi que l'entreprise doit obtenir une contrepartie raisonnable pour jouer le rôle d'intégrateur social, cela semble aller de soi. Ce n'est pas ce que j'appelle un effet d'aubaine : c'est la conséquence logique de la nécessité d'accompagner une personne qui a besoin d'être aidée pour revenir sur le marché du travail.
Il faut de l'argent pour être motivé, c'est vrai de tout le monde, même de la personne la plus modeste - et je dirai : à commencer par cette personne. Mais il faut aussi un accompagnement - le tutorat, le parrainage, le milieu de l'entreprise - qui permettra à la personne concernée d'obtenir des résultats qui la surprendront peut-être elle-même si le pari est gagné.
Monsieur le ministre, nous vous demandons d'étudier vraiment avec grande attention les propositions que nous formulons.
Pour ma part, en tant que coauteur, avec M. Alain Lambert, de cette proposition de loi, je souscris totalement aux modifications apportées par la commission des affaires sociales, qui, justement, concernent la formation, le tutorat, tout ce qui devra figurer dans les accords de branche, et complètent très utilement notre dispositif.
En effet, nous ne sommes pas des spécialistes de la législation du travail, même si nous nous sommes un peu investis dans ce dossier, mais, bien entendu, nous sommes à l'écoute de toutes les propositions constructives qui pourront être faites.
Enfin, et pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi de m'interroger sur un dernier point.
Il n'y a pas si longtemps, dans cet hémicycle, nous présentions un dispositif de crédit d'impôt. Les membres du Gouvernement qui étaient à votre place ont invoqué nombre d'arguments pour détruire nos hypothèses de travail - pour le vérifier, il suffit de se reporter au Journal officiel. Or, quelque temps après, nous avons vu surgir la prime pour l'emploi, soudain opportune, qui, sous un autre nom, repose exactement sur le même mécanisme intellectuel et pratiquement sur les mêmes modes de calcul que le crédit d'impôt.
M. Alain Lambert. Clonage !
M. Philippe Marini. En effet, on peut parler de clonage... Nous sommes heureux d'être votre source d'inspiration, monsieur le ministre, mais, à la vérité, nous voudrions bien que, parfois, vous nous concédiez quelques petits droits d'auteur (Sourires) et que cette « anomalie », qui s'efforce de travailler honnêtement, en prenant parfois son temps quand cela lui semble nécessaire, soit encouragée à poursuivre sa réflexion.
Autre situation analogue : nous avons voté, il n'y a pas tellement longtemps, une proposition de loi déposée par le président Christian Poncelet visant à réduire le coût du travail sur les bas salaires.
Que n'avons-nous entendu ! Le représentant du Gouvernement a « pulvérisé » cette proposition de loi, stigmatisant, là aussi, les effets d'aubaine : pour ainsi dire, le grand capital allait partir avec un gros magot !
Mais qu'a-t-il fallu faire pour que les 35 heures soient viables économiquement pour de nombreuses entreprises ? En l'occurrence, sans se poser la question des effets d'aubaine, le Gouvernement a étendu la ristourne de charges sociales aux bas salaires compris entre 1,3 et 1,8 SMIC. N'était-ce pas ce que demandait le président Poncelet ? N'était-ce pas le dispositif que le Sénat avait voté ?
Encore une fois, monsieur le ministre, mieux vaudrait reconnaître que le Sénat est une assemblée qui s'efforce de travailler honnêtement pour le bien de la France plutôt que de brocarder notre institution !
Espérons, mes chers collègues, que le même sort attende le revenu minimum d'activité ! Il ne s'agit ni plus ni moins que de favoriser une vraie insertion sociale par l'activité dans le secteur marchand, et ce avec l'aide de la collectivité départementale, partout où elle voudra s'engager.
Il ne s'agit ni plus ni moins que d'en finir, autant que possible pour le plus grand nombre de personnes, avec une assistance non seulement déresponsabilisante, destructrice de liens sociaux, destructrice de la famille, destructrice de tout comportement social, mais aussi, d'une certaine façon, créatrice d'insécurité, aux différents sens du terme.
Monsieur le ministre, il est véritablement de notre devoir à tous de nous attaquer à ce problème. Retrouver un emploi, c'est pour les titulaires de minima sociaux la possibilité de former des projets d'avenir et de construire une nouvelle vie. Aussi, même s'il n'y avait qu'un seul bénéficiaire du dispositif que nous préconisons, nous estimons que cela vaudrait la peine de le mettre en vigueur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui répond à un double objectif : activer les dépenses passives de l'Etat en faveur des bénéficiaires du RMI et réintégrer dans le marché de l'emploi les personnes qui, à l'heure actuelle, en sont totalement exclues.
Ce double objectif, j'avais moi-même cherché à l'atteindre lorsque j'avais déposé, en 1995, une proposition de loi visant à activer les dépenses passives du chômage ; M. le rapporteur a bien voulu y faire allusion.
J'en rappelle brièvement le contenu.
Il s'agissait de permettre aux entreprises qui s'engageaient à créer des emplois nouveaux à hauteur de 10 % de leur effectif de déduire de la totalité des cotisations ASSEDIC le montant des salaires bruts des personnes ainsi embauchées. C'était, en somme, payer en nature les cotisations.
A l'époque, le taux de chômage de notre pays approchait les 14 % et l'activation des dépenses passives du chômage devenait indispensable pour ne pas étouffer le système. D'ailleurs, en commission des affaires sociales, ce texte avait été approuvé de manière unanime par mes collègues, y compris par ceux qui appartiennent aujourd'hui à la gauche plurielle ; tous étaient en effet bien conscients du fait que l'indemnisation passive du chômage arrivait à son terme et ne pouvait enrayer l'exclusion.
Aujourd'hui, le retour de la croissance a entraîné une forte diminution du chômage ; on constate même des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité ou dans quelques zones géographiques. On ne peut, bien sûr, que se réjouir de cette prospérité retrouvée. Cependant, la conjoncture favorable que nous connaissons actuellement met encore plus en lumière la part structurelle de l'exclusion.
En effet, les bénéficiaires des minima sociaux sont encore plus marginalisés dans un contexte où les performances des entreprises et la réduction du temps de travail exigent des emplois qualifiés, emplois qui ne peuvent malheureusement pas être occupés par les personnes dont nous nous préoccupons aujourd'hui et dont se soucient des associations comme ATD-Quart Monde.
A cet égard, la proposition de loi de mes éminents collègues Alain Lambert et Philippe Marini me semble tout à fait légitime. Il est nécessaire aujourd'hui de s'occuper d'une population délaissée, dont le marché estime à tort ne pas avoir besoin. Les responsables de l'antenne d'ATD-Quart Monde dans mon département pensent que seul un dispositif tel que le revenu minimum d'activité, peu importe son nom, en tout cas un dispositif de réinsertion par le travail, peut véritablement favoriser le retour à l'emploi des personnes dont ils ont la charge.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. C'est une bonne observation !
M. André Jourdain. J'ai rencontré des chefs d'entreprise tout à fait prêts à participer à ce dispositif, à faire oeuvre « d'entreprise citoyenne », comme disait tout à l'heure Philippe Marini.
Lors de la rencontre que j'ai eue avec des chefs d'entreprise, nous avons pensé qu'une personne pourrait être embauchée à temps partagé - sujet qui m'est cher - par plusieurs entreprises, afin qu'elle puisse connaître les différentes activités qui s'offrent à elle et, par conséquent, mieux choisir durablement un métier. En effet, il ne faut pas oublier que cette population a été depuis longtemps coupée du monde du travail, parfois elle ne l'a pas connu, et qu'une première expérience qui pourrait être malheureuse risquerait de la plonger à nouveau dans l'exclusion.
Par ailleurs, les entreprises n'ont pas forcément les moyens et le temps de former ces personnes sur la base d'un temps plein. C'est pourquoi l'exercice d'une activité à temps partagé, dans un dispositif très encadré, au sein d'un groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification par exemple, là où c'est possible, me semblerait correspondre aux besoins des futurs employés mais aussi à ceux des employeurs. Cette solution devrait permettre la création d'emplois véritables, c'est-à-dire productifs et pérennes.
Pour conclure, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je renouvelle tout mon soutien à cette proposition de loi, excellement rapportée par Philippe Nogrix, qui a l'immense mérite de satisfaire tous les acteurs de ce système : les entreprises, les bénéficiaires du dispositif, l'Etat et les collectivités qui participent à l'insertion. Elle s'inscrit d'ailleurs dans la philosophie développée par la majorité de notre assemblée, qui est de donner du travail à ceux qui n'en ont pas et ainsi leur rendre la dignité d'être responsables d'eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui se situe tout à fait dans la continuité des textes déjà élaborés et présentés par la majorité sénatoriale. Ces différents textes ont les mêmes fondements, qui ne sont pas simplement économiques : tous semblent inspirés par le choix de centrer l'action politique d'abord et avant tout sur les intérêts des entreprises.
Nous nous demandons en effet, chers collègues, si votre préoccupation principale, que vous exprimez pourtant avec constance, est bien de rendre au salarié condamné au chômage de longue durée sa dignité et de lui assurer un mieux-être. Au demeurant, la perception des minima sociaux ne saurait être considérée comme un facteur d'indignité,...
M. Philippe Marini. Personne n'a dit cela !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... surtout dans le contexte de crise et de croissance exponentielle du chômage que nous avons connue jusqu'en 1997.
En réalité, votre véritable souci, que vous exprimez d'ailleurs sans fard, est de diminuer le coût du travail pour les employeurs...
M. Philippe Nogrix, rapporteur. C'est vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... et d'abaisser le niveau des sommes que la solidarité nationale doit encore consacrer à nos concitoyens les plus défavorisés.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Non, d'augmenter les salaires directs !
M. Nicolas About. C'est cela, la dignité !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je ferai simplement quelques observations, à partir des remarques très éclairantes de notre rapporteur.
J'ai été frappée par la distinction qu'il opère entre les minima sociaux : d'une part, l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation supplémentaire invalidité, l'allocation supplémentaire vieillesse, qui sont perçues par 150 000 personnes dont la réinsertion professionnelle serait difficilement envisageable ; d'autre part, le RMI, l'allocation de parent isolé, l'allocation de solidarité spécifique, l'allocation d'insertion et même l'allocation d'assurance veuvage, qui sont perçus par 1 700 000 personnes, à propos desquelles vous indiquez, monsieur le rapporteur : « On peut penser qu'elles pourraient trouver un emploi dans une entreprise du secteur marchand classique. »
Au passage, pourquoi exclure le secteur public ? Les collectivités territoriales, tout comme les associations,...
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Elles sont déjà servies !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... montrent quotidiennement leur savoir-faire au bénéfice de quelques centaines de milliers de personnes en contrat emploi-solidarité, en contrat emploi consolidé ou en emploi-jeunes.
M. Philippe Marini. Précisément, cela existe déjà !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Mais ce qui est inquiétant dans cette division que vous opérez parmi les minima sociaux et leurs allocataires, c'est que vous paraissez porter une appréciation sur la légitimité à percevoir telle ou telle allocation. Comme s'il existait différentes catégories de chômeurs,...
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Ce sont des interprétations !
M. Philippe Marini. C'est un procès d'intention !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... ceux qui le sont quasiment par nature, et qui doivent être considérés comme victimes d'un sort contraire, et ceux qui le sont du fait des circonstances économiques, et dont la situation serait donc moins légitime !
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Mais non !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Sur ces personnes pèse le soupçon qu'elles portent une part de responsabilité dans ce qui leur arrive de par leur inertie, leur mauvaise volonté ou leur « inemployabilité »...
M. Philippe Marini. C'est une pure invention !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... face à une loi du marché que vous présentez comme devant avoir toujours raison.
M. Philippe Marini. Vous avez des fantasmes, chère collègue ! (Sourires.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. C'est une ligne de fond qui ressort de tous vos propos !
M. Nicolas About. Il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités !
M. le président. Permettez-moi de vous interrompre, madame Dieulangard.
Monsieur Marini, vous vous êtes exprimé longuement, comme c'était votre droit. J'ai remarqué alors que personne ne vous a interrompu, même par M. le ministre, qui, pourtant, était tenté de le faire.
M. Nicolas About. Mais tout était exact !
M. le président. Par conséquent, monsieur Marini, vous serait-il possible d'en faire autant vis-à-vis de Mme Dieulangard ? Je suis convaincu que vous en êtes capable ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Je prie Mme Dieulangard d'accepter mes excuses pour ces interruptions.
M. Nicolas About. Néanmoins fondées !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je vous remercie, monsieur Marini.
De fait, l'immense majorité des allocataires de minima sociaux que vous visez paraissent physiquement aptes à exercer un emploi. Nous estimons, quant à nous, que la plupart d'entre eux vivent mal leur situation de dépendance, la déconsidération et souvent la relégation dans les quartiers difficiles dont ils sont victimes, avec toutes les difficultés qui en résultent au quotidien. Ils souhaitent retrouver un emploi, mais pas n'importe quel emploi.
Les théories sur les trappes à inactivité sont maintenant bien connues, et la réalité de ces trappes est avérée. C'est pourquoi, lors de la discussion de la loi de lutte contre les exclusions, nous avons mis en place un mécanisme, dit « d'intéressement », qui permet à la personne de continuer à percevoir une allocation pendant un certain temps tout en bénéficiant d'un emploi.
C'est pourquoi aussi le gouvernement de Lionel Jospin instaure la prime pour l'emploi, qui permettra l'amélioration de la rémunération du travail pour les plus faibles revenus.
Il existe aujourd'hui un problème manifeste dans la structure du revenu des plus défavorisés, qui n'est pas de leur fait, mais qui est une résultante directe de la crise, des licenciements et de l'absence d'embauche des jeunes par le secteur marchand pendant des années. Sinon, comment expliquer le succès notoire des dispositifs d'aide à l'emploi, notamment des emplois-jeunes ?
Chacun, dans cet hémicycle, sait fort bien qu'il est vain d'espérer que des personnes qui perçoivent un minimum social, plus l'APL, plus différents avantages en nature mis en place par nos collectivités locales, vont abandonner ces prestations garanties pour s'engager dans l'aventure d'un emploi sous-rémunéré et incertain. Reconnaissons-le : nous ne le ferions certainement pas à leur place. Ce n'est pas là faire preuve d'incivisme, c'est essayer de maintenir au quotidien des conditions de vie à peu près décentes, surtout quand il s'agit d'une famille avec des enfants.
Pour autant, nous ne parlerons pas, comme l'a fait l'un des experts que vous avez auditionnés, de « non-emploi volontaire ». Nous nous référerons plutôt à la remarque pertinente d'Alix de la Bretesche, présidente du COORACE - coordination des organismes d'aide aux chômeurs par l'emploi -, que vous citez : « Il y a une réelle mise en danger des personnes qui reprennent un travail par définition précaire au début. Avec le RMI et les APL, au moins on sait où l'on va ! En revanche, avec un emploi précaire, la personne n'a aucune visibilité. »
Pour ma part, je n'hésiterai pas à dire que, avec un emploi à temps partiel rémunéré sur la base du SMIC, même à durée indéterminée, la personne sait trop souvent qu'elle va vers l'incertitude. C'est précisément pour cela qu'elle ne s'y risque qu'avec précaution.
Si le constat est évident à cet égard, c'est sur les remèdes à apporter à cette situation, à la logique absurde, que les opinions divergent.
Tout d'abord, vous ne remettez à aucun moment en cause la faiblesse des salaires ni surtout la précarité, qui sont, de votre propre aveu, largement responsables de cette situation. M. le rapporteur préconise d'ailleurs que votre dispositif ne fonctionne qu'avec des contrats à durée indéterminée.
Quelle cohérence y a-t-il entre vos collègues de l'opposition à l'Assemblée nationale, qui viennent de voter contre les mesures de lutte contre la précarité contenues dans le projet de loi de modernisation sociale, et cette disposition que vous nous proposez aujourd'hui ?
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Eux, c'est eux, et nous, c'est nous !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Vous entendez mettre fin au versement des minima sociaux aux personnes physiquement aptes à travailler et verser directement ces sommes aux entreprises qui les embaucheront. Il s'agit donc d'un transfert direct de l'Etat vers les entreprises, qui, notons-le, vont plutôt bien en ce moment - voyez les carnets de commande ! - les allocataires de minima sociaux étant dès lors sous la tutelle complète de l'entreprise. Je ne suis pas certaine de la parfaite légalité d'une telle opération. Est-il possible de faire percevoir par un tiers, personne physique ou morale, une prestation sociale due à une personne qui n'est ni sous tutelle ni sous curatelle ?
En outre, vous proposez que les entreprises n'aient à verser que ce qui serait alors un complément de rémunération, bien entendu exonéré de cotisations sociales patronales.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. C'est le droit commun !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Cela met le salarié à un prix particulièrement bas pour les employeurs. Rappelons que ceux-ci bénéficient déjà de tout un ensemble d'infrastructures et de services représentant des efforts considérables de la collectivité nationale en faveur de l'économie et de l'emploi.
Le principe de votre RMA étant posé, le texte que vous nous soumettez demeure quelque peu imprécis quant aux modalités de sa mise en oeuvre. Vous vous en remettez d'ailleurs largement aux accords de branches et au Conseil d'Etat, laissant ainsi de côté des questions qui, dans la mesure où elles touchent aux finances publiques, auraient justifié plus de précision.
Par exemple, quel serait le rythme de dégressivité pour le versement du RMI à l'employeur ? Comment le système fonctionne-t-il exactement ? Le RMIste doit-il déposer une demande pour opter pour ce système, ou doit-il répondre à l'offre de l'employeur quelle qu'elle soit ? Sera-t-il frappé par une sanction en cas de refus ou est-ce seulement sous-entendu ?
Les seules précisions que vous apportez concernent une disposition que vous avez souvent combattue lorsqu'elle était présentée par la gauche, à savoir l'interdiction d'embaucher sous RMA dans les six mois suivant un licenciement économique, ainsi que la formation.
En réalité, cette proposition de loi a surtout une valeur symbolique.
Le problème auquel nous nous trouvons confrontés est double. La question des trappes à inactivité et à pauvreté est bien réelle, mais il est beaucoup plus complexe de résoudre l'inadéquation entre les emplois proposés et les salariés potentiels.
Vous êtes d'ailleurs conscients de cette difficulté majeure puisque vous posez comme condition à la validité de ce contrat le suivi d'une formation.
Je crois que la plupart des employeurs qui se plaignent aujourd'hui de ne pouvoir embaucher souhaiteraient réellement pouvoir le faire. Leur problème est, en effet, non pas tant de trouver du personnel que de trouver du personnel directement employable, y compris sur des postes peu qualifiés, dont on sait bien que, de nos jours, ils exigent quand même un minimum de compétences.
Nous avons déjà eu l'occasion de dire, lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Alain Gournac, combien, pour nous, le problème de ces employeurs tient souvent à ce qu'ils proposent des conditions de travail pénibles, des salaires faibles, des horaires démentiels, et qu'ils n'offrent pas d'« investissement humain », c'est-à-dire de formation. Les branches qui nous interpellent le plus vivement sur ce problème sont souvent celles qui ne se sont pas vraiment impliquées pour former des jeunes. Il y a là un progrès notable à accomplir de leur part. Elles en ont conscience et y travaillent désormais.
Pour dire les choses simplement, la solution, aujourd'hui, ne consiste pas à faire payer les entreprises par les contribuables pour qu'elles embauchent, tout en contraignant les allocataires de minima sociaux à accepter n'importe quel emploi plus ou moins bien rémunéré. Ce serait une solution brutale et inadaptée, certainement mal perçue par une majorité de Français et, de plus, parfaitement décalée par rapport à la situation économique actuelle.
Le rôle des pouvoirs publics, en 2001, n'est plus le traitement économique du chômage. Il est - et c'est aussi difficile - de faciliter la mise en adéquation de l'offre d'emplois avec les compétences d'une main-d'oeuvre mieux formée. C'est un investissement de longue durée, qui exige un partenariat entre les différents intervenants : l'éducation nationale, bien sûr, mais aussi les organismes de formation professionnelle, les organismes consulaires et les collectivités territoriales.
Il ne suffit pas de décider que les entreprises vont demain embaucher des RMIstes et que ceux-ci vont occuper les emplois vacants. La réalité est plus complexe, et vous le savez bien.
Les résultats obtenus en matière de baisse du chômage sont déjà inespérés puisque nous comptons 960 000 chômeurs de moins qu'en 1997 et que 1 150 000 emplois ont été créés depuis cette date, dont 915 000 dans le secteur marchand.
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Tiens donc !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il a fallu, pour en arriver là, trois ans et demi, une conjoncture favorable et des dispositifs tels que la réduction du temps de travail et les emplois-jeunes.
C'est une autre étape qui nous attend maintenant, avec la mise en place de la réforme de la formation professionnelle, notamment. Déjà, une véritable révolution est en cours avec la validation des acquis, qui permettra à de nombreux salariés entrés dans le monde du travail sans qualification de voir leurs savoirs reconnus.
Nous ne croyons pas aux solutions miracles ; nous croyons à la mise en oeuvre, dans le dialogue et la concertation, d'une politique de longue haleine visant à réintégrer professionnellement, mais souvent aussi à réinsérer socialement - dimension que votre texte méconnaît gravement (M. About s'exclame) - les allocataires de minima sociaux. Pour notre part, nous refusons de les désigner ainsi comme responsables de leur situation.
Votre proposition de loi est stigmatisante et ne résout rien, ni pour eux-mêmes ni pour les entreprises.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Surtout, elle n'est pas socialiste !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicains et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le chômage diminue peu à peu - moins rapidement toutefois que le retour du thème du plein emploi sur le devant de la scène. Nul doute que ce thème sera au coeur de la campagne pour les élections prrésidentielles.
M. Jospin, d'ailleurs, comme pour s'en convaincre, a déjà annoncé la couleur en commandant à Jean Pisani-Ferry, membre du conseil d'analyse économique, un rapport sur le retour au plein emploi.
Le taux de chômage en France est aujourd'hui de 9 %. La baisse est notable mais ce taux n'en reste pas moins très élevé. Le nombre de personnes en difficulté à la recherche d'un emploi dépasse les deux millions, alors même que notre économie est confrontée à des pénuries croissantes de main-d'oeuvre.
Ce paradoxe tient à la situation des personnes encore au chômage aujourd'hui. Beaucoup manquent des qualifications nécessaires pour postuler aux emplois offerts. Beaucoup aussi, qui ont souffert de l'exclusion, redoutent, légitimement, de perdre leurs allocations en reprenant un emploi et de se retrouver dans un état de précarité angoissant. Le chômage est donc, pour plus de 3 % des chômeurs, très difficilement réductible.
C'est pour remédier à cette situation que nous discutons aujourd'hui de la proposition de loi élaborée par nos collègues, Alain Lambert et Philippe Marini, que je tiens à féliciter pour cette excellente initiative.
L'objectif visé est de promouvoir une nouvelle logique de l'insertion dans le monde du travail, en substituant à l'insertion par l'assistance l'insertion par l'activité.
L'insertion par l'assistance est, en effet, un échec.
Douze ans après sa création par la loi du 1er décembre 1988, le bilan du RMI est essentiellement quantitatif, le nombre de ses bénéficiaires ayant augmenté de manière exponentielle. Sa croissance annuelle moyenne a ainsi été de 15 % jusqu'en 1994. Depuis 1995, le rythme a diminué, mais il s'est maintenu à un niveau proche ou supérieur à 5 % par an, soit une croissance proportionnellement plus élevée que celle du nombre de chômeurs.
Surtout, l'amélioration de la situation de l'emploi depuis trois ans n'a permis qu'une limitation de la hausse des effectifs du RMI, et non une inversion de tendance. Le RMI a ainsi révélé la « part structurelle » du chômage.
Le coût du RMI est devenu de plus en plus lourd pour les finances publiques : il est passé, pour l'Etat, de 8,7 milliards de francs en 1990 à 28,7 milliards de francs en 2000, soit une progression de 230 % en dix ans. Entre 1999 et 2000, la progression a été de 8,7 % alors que la conjoncture économique était favorable.
Une des raisons de cet essor tient à l'échec du volet insertion du RMI, qui n'a pas permis d'enrayer l'exclusion. Le RMI a apporté, c'est vrai, une aide financière indispensable à nombre de ses bénéficiaires, mais il est devenu une troisième composante de l'indemnisation du chômage après l'allocation unique dégressive versée par l'assurance-chômage et l'allocation de solidarité spécifique profitant aux chômeurs ne remplissant pas ou plus les conditions pour bénéficier de l'allocation unique dégressive.
Une analyse similaire peut être faite pour les autres minima sociaux. S'ils permettent à leurs bénéficiaires de disposer du minimum pour vivre, ils ne leur donnent aucune perspective d'avenir autre que l'exercice d'une activité parallèle, le cas échéant au sein de l'économie souterraine.
Cette situation est bien connue depuis longtemps. Nous l'avions même prévue - il suffit de relire les débats législatifs sur le projet de loi instaurant le RMI. Aucun remède efficace n'a encore été trouvé.
La présente proposition de loi vise à promouvoir l'insertion par l'activité. C'est une logique nouvelle.
Les allocataires de minima sociaux se retrouvent souvent dans un « piège à pauvreté ». Ils hésitent à accepter un emploi plus ou moins précaire qui leur ferait perdre leurs allocations et les exonérations qui y sont associées, les aides au logement en particulier.
L'inactivité est en quelque sorte encouragée par le fait que la reprise d'un emploi peut générer une perte de revenus. La proposition de loi vise à casser ce cercle vicieux, en encourageant et en sécurisant quelque peu la reprise d'emploi. C'est cela la grande nouveauté de ce texte et son grand bénéfice.
Le contexte économique actuel est favorable. En diminution, le taux de chômage devrait être de l'ordre de 8 % à la fin de cette année. Des pénuries de main-d'oeuvre apparaissent dans certains secteurs, tels l'informatique, les métiers de bouche, le bâtiment et les travaux publics, l'industrie et les transports.
D'un point de vue politique, l'« activation » des dépenses passives d'indemnisation du chômage est un thème qui rencontre un assentiment à peu près général.
Dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de juillet 1998, le Gouvernement a introduit un mécanisme d'intéressement destiné à inciter les bénéficiaires de minima sociaux à reprendre une activité, leur allocation étant désormais cumulable avec des revenus d'activité. Mais le dispositif est si complexe qu'il n'est pas appliqué.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Nicolas About. A l'inverse, le dispositif proposé par le texte dont nous discutons est simple et lisible. Son mécanisme ayant été parfaitement exposé par notre rapporteur, je rappellerai seulement que le RMA comporte deux aspects.
En premier lieu, une aide dégressive, correspondant au minimum social ou à l'allocation perçue jusqu'alors est allouée au bénéficiaire pendant trois ans - il ne s'agit donc pas de la situation précaire décrite par l'orateur précédent.
En second lieu, le bénéficiaire percevra un salaire négocié, correspondant au salaire proprement dit, qui sera versé au nouvel embauché par l'entreprise.
L'ensemble ne pourra être inférieur au SMIC et les négociations de branches pourront, bien sûr, décider d'établir le RMA à un niveau supérieur, en montant et en durée.
Le nouvel embauché tirera ainsi l'ensemble de ses ressources de son employeur au lieu de bénéficier d'un revenu d'assistance. C'est un des avantages de la formule.
Un de ses autres avantages réside dans le fait que, pour l'Etat et l'UNEDIC, le coût de la proposition de loi est nul. Le RMA est même susceptible d'entraîner des économies budgétaires.
Enfin, le RMA s'inscrit dans la logique d'une responsabilisation accrue des partenaires sociaux. Une large place est en effet laissée à la négociation pour adapter le dispositif aux réalités de chaque secteur d'activité et à la situation familiale des personnes concernées.
Ce dispositif s'inscrit dans la même logique que le crédit d'impôt, logique que le Gouvernement souhaite promouvoir et qui consiste à inciter les personnes à reprendre un emploi. Le Gouvernement devrait donc y souscrire.
Mes chers collègues, je félicite les auteurs de la proposition de loi, je remercie M. le rapporteur de son excellent travail...
M. Philippe Nogrix, rapporteur. Je vous remercie !
M. Nicolas About. ... et je vous assure que les Républicains et Indépendants apporteront leurs suffrages à ce texte novateur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jacques Machet. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

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