SEANCE DU 18 DECEMBRE 2000


M. le président. « Art. 19 ter . - I. - Dans les I et II de l'article 21 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998), l'année : "2001" est remplacée par l'année : "2002".
« II. - Dans les articles 750 bis A et 1135 du code général des impôts, l'année : "2000" est remplacée par l'année : "2001". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 56, M. Charasse propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 21, M. Marini, au nom de la commission, propose de compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« III. - Le Gouvernement présentera au Parlement dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° du ) un rapport analysant l'impact des mesures prévues aux articles 750 bis A et 1135 du code général des impôts sur le règlement des indivisions successorales en Corse. »
La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 56.
M. Michel Charasse. Voilà deux ans, nous avons rétabli le régime normal des droits de succession en Corse. L'année dernière, on nous a demandé de reporter d'un an l'application de ce régime normal et, aujourd'hui, on nous demande de la reporter encore.
Moi, je ne vois aucune raison qui justifie qu'un millionnaire de Paris soit imposable sur les successions et qu'un milliardaire d'Ajaccio en soit exonéré.
L'imposition des successions en Corse, compte tenu du jeu des abattements de droit commun et de la valeur des biens situés en Corse, ne concernerait que les plus grosses fortunes. C'est ainsi que 52 % des successions sont exonérées sur le continent, alors que l'application du droit commun en Corse aboutirait à exonérer 80 % des successions.
C'est bien la preuve que, en Corse, seules les plus grosses fortunes seraient imposées sur les successions, et notamment celles dont les détenteurs n'ont pas vraiment envie qu'on sache comment ils les ont constituées...
Pour ces raisons, je propose de supprimer cette mesure scélérate. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 56 et pour présenter l'amendement n° 21.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout cela, monsieur Charasse, me semble quelque peu excessif !
M. Michel Charasse. Il y a un préfet qui est mort, quand même ! On l'oublie un peu vite !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur Charasse, ne faisons pas d'amalgame ! Ce régime fiscal date tout de même de 1799 ! On peut lui attribuer le meilleur comme le pire de ce qui s'est passé en Corse depuis cette date ! Mais je ne crois pas utile d'établir une relation directe entre ce drame épouvantable qu'a été l'assassinat du préfet Erignac et le régime né des arrêtés Miot.
M. Michel Charasse. Pour moi, ceci explique cela !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Etablir une telle relation peut, bien sûr, produire un effet de séance flatteur pour son auteur, mais, franchement, il ne s'agit pas du même sujet.
Il faut rappeler que nous allons prochainement examiner un texte global portant, au-delà du statut fiscal de la Corse, sur certains aspects de son statut de droit public, et c'est un sujet important tant pour la Corse que pour toute la France.
Faut-il aujourd'hui, au détour du collectif budgétaire, remettre en cause un élément assez pacificateur, lié aux discussions en cours ? Et je crois me faire ainsi l'interprète fidèle de l'appréciation de tous les élus de l'Ile de Beauté toutes tendances confondues.
Le sujet est bien connu, et depuis longtemps. D'ailleurs presque chaque année, au cours de la discussion budgétaire, nous revenons sur l'échéance du régime des arrêtés Miot, ces derniers temps, pour en décider le report.
Nous savons bien que le régime de l'indivision qui perdure en Corse est un régime très spécifique. Il est d'ailleurs loin de n'avoir que des conséquences favorables pour l'île.
M. Michel Charasse. C'est un régime rétrograde !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En vérité, le problème est complexe.
Il concerne à la fois les patrimoines privés et le dynamisme des transactions dans les deux départements en question.
Du point de vue des patrimoines privés, ce régime tend à les dévaloriser. Du point de vue de l'environnement en Corse, en revanche, il faut le reconnaître, ce régime a eu des effets très protecteurs.
Sans disconvenir a priori du bien-fondé des arguments invoqués par Michel Charasse quant au respect des règles républicaines, je crois qu'il n'est pas opportun d'ouvrir ce débat aujourd'hui, dans des conditions psychologiques qui feraient rebondir bien des controverses.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des finances demande le rejet de l'amendement n° 56.
M. Michel Charasse. Pour faire gagner du temps au Sénat, je le retire, monsieur le président, mais je voterai contre l'article.
M. le président. L'amendement n° 56 est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'en arrive donc à l'amendement n° 21.
Je viens d'évoquer la situation spécifique dans laquelle se trouve la Corse pour des raisons à la fois historiques et culturelles. Il est vrai que le partage des biens n'a pas été souvent effectué en Corse et que, pour de nombreuses générations, les successions consécutives n'ont pas été liquidées. Tout cela devient certes inextricable.
Or, pour que les successions futures puissent être déclarées, il faut que celles qui les ont précédées aient été préalablement réglées, ce qui représente une somme de travail absolument impressionnante.
Afin de faciliter le règlement du problème de l'indivision en Corse, le Parlement avait, lors de la discussion de la loi de finances pour 1986, adopté deux dispositions, devenues les articles 750 bis A et 1135 du code général des impôts.
L'article 750 bis A exonère les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires établis entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 1991 du droit d'enregistrement de 1 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse.
L'article 1135 exonère de toute perception au profit du Trésor les procurations et attestations notariées après décès dressées entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 1991 lorsqu'elles sont établies en vue du règlement d'une indivision successorale comportant des biens immobiliers situés en Corse.
Ce sont donc des dispositifs relativement - très relativement - incitatifs au règlement des indivisions.
Ces deux dispositifis ont été prorogés une première fois jusqu'au 31 décembre 1997, puis une deuxième fois jusqu'au 31 décembre 2000.
L'article 19 ter du présent projet de loi propose de les proroger jusqu'au 31 décembre 2001.
En outre, selon les informations que la commission a pu obtenir, l'article 45 de l'avant-projet de loi sur la Corse proposera de repousser la date d'expiration de ces mesures au 31 décembre 2015.
M. Michel Charasse. On proroge, on proroge !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pour autant, aucune étude d'impact n'a été commandée pour vérifier que ces dispositions contribuent réellement à régler le problème des indivisions. Y a-t-il moins d'indivisions ? Depuis 1986, a-t-on vraiment progressé ? On peut sérieusement se poser la question.
M. Michel Charasse. Cela n'a rien changé !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Plutôt que de proroger des mesures inutiles, mieux vaut sans doute faire le recensement de la situation existante.
Je propose donc, par cet amendement, de demander au Gouvernement de remettre un rapport sur l'impact des mesures prévues aux articles 750 bis A et 1135 du code général des impôts sur le règlement des indivisions successorales. Il s'agira notamment d'appréhender l'évolution du nombre d'actes de partage de succession et d'attestations notariées après décès depuis le 1er janvier 1986 jusqu'à aujourd'hui.
Dans la mesure où le Parlement devrait être saisi du projet de loi sur la Corse au cours du deuxième trimestre 2001, ce rapport devra être remis au Parlement dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi.
Ainsi, mes chers collègues, lorsque nous examinerons le texte sur la Corse, nous saurons au moins si la prorogation de ce dispositif est pertinente ou non.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, vous le savez, les actes établis en vue du règlement des indivisions successorales qui comportent des biens immobiliers situés en Corse sont exonérés des droits d'enregistrement et de timbre. Ces dispositions, vous l'avez dit, datent de plus de quinze ans.
Dans ces conditions, leurs effets sont difficilement mesurables puisqu'il est extrêmement délicat de comparer la situation des indivisions actuelles avec celles qui existaient il y a plus de quinze ans.
La vérité oblige cependant à reconnaître que ces mesures, certes utiles, ont eu un très faible effet. Je le déplore, mais cela doit être mis en rapport avec les vicissitudes des retours ou non retours au droit commun. Il faut bien admettre que, pour cette raison, ce dispositif n'a pas été très incitatif.
Il me semble donc peu utile de vouloir analyser des dispositions qui sont en sursis puisqu'elles ont vocation à être profondément réformées lors de la discussion prochaine du projet de loi relatif à la Corse, qui comporte des dispositions permettant le retour progressif au droit commun en matière de successions en Corse.
M. Michel Charasse. Réjouissons-nous !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Michel Charasse considère que c'est un report de plus.
Mais je tiens à préciser qu'il s'agit là de l'ultime report.
M. Michel Charasse. Oui, mais à 2015 !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. En effet, le projet de loi relatif à la Corse comprendra des dispositions permettant le retour au droit commun dans la transparence.
M. Michel Caldaguès. Ça, c'est une nouvelle !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Nous avons un objectif précis ; nous avons une perspective concrète, qui est de cheminer vers un dispositif répondant aux spécificités de la Corse - je ne les détaillerai pas, vous les connaissez mieux que personne - mais aussi aux principes de l'Etat de droit.
A la lumière de ces explications, je souhaite le retrait de l'amendement n° 21.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je le maintiens !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 19 ter, ainsi modifié.
M. Michel Charasse. Je vote contre, et à deux mains : vive la République !

(L'article 19 ter est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Paul Girod.)