SEANCE DU 11 DECEMBRE 2000


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant le ministère de la justice.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'an dernier, souvenez-vous, j'ai eu beaucoup de mal à faire voter par le Sénat, à l'unanimité, les crédits de la justice.
Cette année, je ne m'y emploierai pas, car je suis persuadé que tant que nous n'aurons pas abordé quant au fond l'ensemble des problèmes concernant le fonctionnement de la justice, nous n'arriverons à rien. Dans cette affaire, ce n'est pas le ministre de la justice qui est en cause, c'est l'arbitre, et même la classe politique tout entière, qui ne veut pas, ou ne peut pas, reconnaître la place de la justice dans notre société.
Par conséquent, la commission des finances a décidé cette année de rejeter les crédits inscrits au projet de budget du ministère de la justice. Certes, ils augmentent, une fois de plus, à hauteur de 3,1 % à structure constante et 1 550 postes sont créés : on n'avait pas vu cela depuis longtemps, c'est vrai, sans parler des 331 postes obtenus par les personnels de l'administration pénitentiaire à la suite de leur mouvement de mécontentement, en octobre dernier.
Mais ces chiffres sont malgré tout trompeurs. Pendant trois années consécutives, de 1998 à 2000, la commission des finances, et tout particulièrement son rapporteur spécial, qui estime que la justice est un sujet trop sérieux pour être utilisé à des fins de politique politicienne, a voté les crédits proposés par le Gouvernement. Il s'agissait alors de saluer l'effort budgétaire qui était consenti à l'égard d'un secteur sinistré, avec l'espoir que cette augmentation des crédits serait accompagnée d'une réforme de l'organisation des méthodes et des procédures, afin de sortir la justice de l'ornière dans laquelle elle se trouve en bien des points du territoire. Puis, madame la ministre, j'ai essayé de convaincre votre prédécesseur, Mme Guigou, qu'une loi de programme était nécessaire. Je n'y suis pas parvenu, peut-être aurai-je plus de chance avec vous !
Hélas, les espoirs ont été déçus, et, alors que les crédits du ministère de la justice ont progressé de 17,8 % en quatre ans, les greffiers sont aujourd'hui en grève - ou, s'ils ne le sont plus, ils le seront dans quelque temps -, les avocats sont dans la rue et les magistrats attendent désespérément, semble-t-il, les prétendus effets bénéfiques du renforcement des effectifs sur leur charge de travail.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Tout d'abord, il convient de relativiser l'impact des créations de postes sur le renforcement des effectifs.
Ainsi, la Chancellerie méconnaît la situation des effectifs, aussi bien dans les juridictions que dans les établissements pénitentiaires. Elle ne tient pas compte des vacances de postes résultant des congés de maladie, des congés de maternité ou de l'absentéisme, des journées de récupération, des décharges syndicales ou encore de la non-compensation des emplois à temps partiel tant que la somme des temps partiels ne constitue pas un équivalent temps plein, sans compter les congés particuliers pour les personnels originaires des départements d'outre-mer.
En conséquence, les postes créés servent d'abord à combler les vacances de postes. Ce problème n'est pas nouveau, et vous n'êtes pas personnellement en cause, madame le garde des sceaux, ni même votre prédécesseur ; il remonte à plus longtemps. Mais on peut difficilement parler de renforcement des effectifs lorsqu'il s'agit de faire en sorte que les effectifs disponibles correspondent à peu près aux effectifs budgétaires.
Par ailleurs, en ce qui concerne les magistrats ou, dans une moindre mesure, les greffiers, il s'écoule - c'est le système qui le veut - de douze à trente et un mois entre le moment où les créations de postes sont annoncées et le moment où les personnels prennent définitivement leurs fonctions.
En conséquence, lorsque Mme Guigou annonçait en commission des finances, le 7 octobre dernier, 237 créations de postes de magistrats et 135 créations de postes de greffiers dans le projet de budget pour 2001 afin d'assurer l'appel en matière criminelle, le respect des délais d'audiencement des procès criminels et la juridictionnalisation de l'application des peines, il était évident que ces créations d'emplois n'auraient aucun impact sur l'année 2001.
Enfin, l'augmentation des effectifs apparaîtra comme une mesure de « replâtrage » tant qu'aucune réflexion d'ensemble sur le rôle de la justice - c'est, à mes yeux, important - n'aura pas déterminé le coeur de ses missions et tracé le périmètre de son champs d'action par rapport aux autres services publics et par rapport à la sphère relevant du domaine privé.
De même, l'augmentation régulière des crédits de la justice sera d'autant plus efficace que la justice maîtrisera son volume d'activités et ses missions.
A cet égard, je tiens à rappeler qu'un ancien garde des sceaux avait chargé le professeur Jean-Claude Casanova, en juin 1996 - il fut remplacé ensuite par M. Alain Lancelot - d'une mission sur la définition des missions de la justice. Je regrette qu'aucun rapport n'ait été publié - cette étude est aux oubliettes - et que le changement de majorité ait mis un terme à cette réflexion, qui me paraîtrait tout à fait salutaire.
Je regrette également que les gouvernements successifs tiennent aussi peu compte des nombreux travaux réalisés par le Sénat sur la justice, qu'il s'agisse du rapport de la commission de contrôle que j'ai présidée et dont notre collègue Jean Arthuis était rapporteur, ou de l'excellent rapport de nos collègues de la commission des lois, Charles Jolibois et Pierre Fauchon, ou encore des rapports sur les crédits budgétaires, qui, chaque année, soulèvent des questions sur les problèmes que rencontre la justice de notre pays et présentent des propositions concrètes.
Depuis plusieurs années, je défends la nécessité d'expérimenter dans quelques ressorts de cour d'appel une rénovation des méthodes des juridictions, en collaboration avec les barreaux, qui s'accompagnerait d'un renforcement des moyens afin que les juridictions soient capables de réduire leurs stocks et de juger dans des délais raisonnables.
A la Cour de cassation, on vous dit : donnez-nous trente conseillers référendaires pendant cinq ans et nous résorberons complètement les stocks. Ce discours peut être entendu dans à peu près toutes les juridictions.
A Strasbourg, par exemple, on nous dit : si vous nous donnez quelques magistrats, quelques greffiers et quelques moyens supplémentaires, nous serons capables de faire face à toutes nos missions.
Pourquoi ne pas dire : essayons ? L'expérimentation est, à mon avis, la meilleure méthode pour réformer la France.
Je me rends souvent dans les juridictions, madame le garde des sceaux, et je peux affirmer que la ressource humaine, tant en magistrats qu'en greffiers, est de grande qualité et qu'on ne peut pas leur demander de fournir plus d'efforts de productivité.
Je propose également, depuis deux ans, que chaque projet de réforme susceptible d'avoir des conséquences importantes sur l'activité des juridictions soit accompagné d'une étude d'impact évaluant son incidence financière et les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre, et que le rapporteur spécial des crédits de la justice donne son avis au moment de l'examen du texte au fond.
Or, s'il existe certes des contrats de juridiction qui visent à résorber les stocks, ils sont encore trop timides. Quant aux études d'impact, elles sont réalisées par la Chancellerie, qui est juge et partie. Ce ne sont pas ses directeurs qui viendront vous dire : on ne peut pas appliquer la réforme parce qu'on n'a pas les moyens.
Souvent, les rapports sont un peu superficiels. Il est ainsi incroyable qu'il faille attendre le 6 décembre, soit moins d'un mois avant la date officielle d'entrée en vigueur de la juridictionnalisation des peines, pour que vous annonciez à la presse - c'est la mode maintenant ; les parlementaires n'ont qu'à lire les journaux ! - que vous envisagiez de demander l'ajournement de certaines mesures, pour quelques mois. Une étude d'impact avait pourtant été réalisée, tandis que le comité de suivi, composé de magistrats et de greffiers en chef, réfléchissait sur les modalités d'application de la loi.
Le principe énoncé à l'époque par Mme Guigou selon lequel elle ne proposerait pas de réforme qui ne puisse être financée semble donc être oublié. Qu'on ne nous dise pas, comme l'a fait ce week-end l'Association professionnelle des magistrats, l'APM, que nous sommes des amateurs. C'est absolument inadmissible, tout comme il est inadmissible, quand on a une casquette de politique, de jeter la vindicte sur certaines décisions de justice. Pour ma part, je ne l'ai jamais fait. Cette attitude est toujours regrettable, parce qu'elle empêche l'apaisement, la sérénité, nécessaire quand il s'agit de rendre la justice, qui est sans doute la mission la plus délicate à assumer actuellement dans notre société.
Je récuse l'argument selon lequel les difficultés d'application de la loi du 15 juin 2000 seraient liées aux dispositions introduites par le Parlement. C'est le droit le plus strict du Parlement d'amender une loi. En réalité, le Parlement, particulièrement le Sénat, a considérablement amélioré le texte en instaurant le recours contre les décisions de cour d'assises, en étendant les attributions du juge des libertés et de la détention, et en renforçant la juridictionnalisation de l'application des peines. Ces réformes ont d'ailleurs été acceptées par le Gouvernement, qui les a jugées suffisamment importantes pour demander que leur date d'entrée en vigueur soit fixée au 1er janvier 2001.
Il revenait donc au Gouvernement de traduire cette volonté politique dans les faits en accordant les moyens financiers et humains nécessaires à la bonne application de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Mais il semble qu'il ait eu d'autres priorités.
Cette remarque vaut pour de nombreux sujets, comme l'aide juridictionnelle ou la rénovation du parc immobilier de la Chancellerie. La loi du 15 juin 2000, qui renforce le rôle des avocats a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Elle a mis en lumière les incohérences du dispositif d'aide juridictionnelle tel qu'il existe aujourd'hui.
Alors que la charge financière de l'aide juridictionnelle est de plus en plus lourde pour le budget de la justice, elle ne permet pas aux plus défavorisés d'accéder au droit et à la justice, et de rémunérer correctement les prestations des avocats. Il est donc urgent de réformer en profondeur ce dispositif. En attendant, une revalorisation substantielle de l'unité de valeur dès le budget 2001 aurait permis d'aborder cette réflexion dans de bonnes conditions, dans la sérénité. Le Gouvernement refuse, pour des motifs financiers.
Faut-il rappeler que, lors du mouvement de protestation des transporteurs routiers, à la fin de l'été, le Gouvernement a rapidement décidé d'assouplir le mécanisme de remboursement dont ils bénéficient pour un coût de 920 millions de francs en 2000 et de 1,5 milliard de francs pour 2001 ! En deux ans, ce dispositif a été révisé quatre fois, au gré des concessions du Gouvernement, pour maintenir une paix sociale décidément bien précaire.
Mais il est vrai qu'une manifestation de camionneurs est beaucoup plus spectaculaire et peut avoir des conséquences beaucoup plus graves pour l'économie qu'une manifestation d'avocats, de greffiers, de magistrats, heureusement, les justiciables ne défilent pas encore ! Les priorités du Gouvernement semblent être établies proportionnellement à la nuisance potentielle des manifestants !
Prenons un autre exemple : la rénovation du parc immobilier de la Chancellerie, qu'il s'agisse des juridictions ou des établissements pénitentiaires.
Le Sénat a constitué une commission d'enquête sur les conditions de détention dans les maisons d'arrêt ; elle était présidée par Jean-Jacques Hyrt. Ses conclusions sont sans concession : personnels insuffisants, vacances de postes insupportables, qui créent de fortes tensions dans les établissements pénitentiaires, locaux délabrés, mal entretenus faute de crédits et de personnels suffisants et qui ne permettent pas de respecter la dignité des détenus.
Cette commission a présenté des propositions concrètes.
D'abord, elle a demandé que les postes budgétaires soient réellement pourvus. Qu'en est-il aujourd'hui ? On nous annonce l'élaboration d'un projet de loi pénitentiaire. C'est bien ! Mais il faudrait qu'il soit accompagné d'une loi de programme afin que les finances suivent.
Les mesures proposées par le Gouvernement sont loin de répondre aux attentes du Sénat.
Ensuite, les crédits votés par le Parlement pour la construction de nouveaux établissements ne sont même pas consommés. Alors que 754,7 millions de francs de crédits avaient été ouverts en 2000 pour le programme spécial de construction de nouveaux établissements, dont la moitié était issue de reports de crédits non utilisés, au 2 novembre dernier, seuls 43,4 millions de francs ont été dépensés. Le Sénat est en droit de savoir ce qui se passe et pourquoi on ne peut pas remédier à cette situation.
Enfin, concernant l'administration pénitentiaire, je voudrais faire remarquer que, pour 2001, l'augmentation réelle des crédits de personnel, à structure constante, s'élève à 121,7 millions de francs, auxquels ont été ajoutés en urgence 57,6 millions de francs supplémentaires après le mouvement de protestation des personnels de surveillance.
Je traiterai maintenant de la sécurité des personnes et de la sûreté des biens.
Voilà deux ans, j'ai fait un rapport intitulé « Les infractions sans suite et la délinquance maltraitée ». Mais il n'a pas été suivi d'effet. La sécurité et la sûreté, n'est-ce pas, pourtant, le premier des droits de l'homme et le premier des devoirs de l'Etat ?
Combien notre pays consacre-t-il à l'application des lois et règlements et à sa justice, pas seulement pénale, bien sûr ?
Le budget de la justice atteint 29,033 milliards de francs, celui de la police, 31,989 milliards de francs et celui de la gendarmerie : 23,776 milliards de francs, soit, au total, 84,798 milliards de francs, c'est-à-dire l'équivalent du financement du fonds de réforme des cotisations sociales patronales.
Certes, le budget augmente mais non seulement il augmente trop peu par rapport aux énormes besoins en matière d'équipements auxquels est confrontée la justice, mais il augmente mal : les annonces de réforme se multiplient, même si certaines - souvent les plus importantes - sont abandonnées, comme la réforme de la carte judiciaire. Il n'existe aucune réflexion de fond sur le rôle et la place de la justice dans notre société, ce qui transforme parfois, aux yeux de certains, le budget de la justice en tonneau des Danaïdes.
Ainsi, malgré les efforts engagés, la justice reste dans l'incapacité de répondre aux attentes fortes de nos concitoyens, notamment des plus démunis. Comment ne pas se révolter lorsqu'on connaît les délais de jugement dans certains domaines et même si des efforts sont faits dans d'autres.
Quant à l'aide juridictionnelle, alors qu'elle accapare 1,54 milliard de francs, un nombre croissant de demandes sont rejetées. Le Gouvernement propose, certes, une revalorisation des plafonds de ressources à partir de 2001, mais ces plafonds restent très bas : 5 175 francs pour l'aide totale et 7 764 francs pour l'aide partielle.
Face à ce constat, la commission des finances ne peut que proposer le rejet de votre budget, madame le garde des sceaux avec regret car nous aurions souhaité pouvoir le voter une nouvelle fois.
Le Parlement ne peut plus cautionner, tant pour le présent que pour l'avenir, les arbitrages budgétaires. Ceux-ci ne répondent pas à l'attente légitime et forte de tout le pays en faveur du bon fonctionnement de sa justice, tant dans les domaines civil, commercial, pénal que social.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, en rejetant solennellement le budget de la justice, c'est la classe politique dans son ensemble qui prend l'engagement ferme de ne plus, à l'avenir, traiter la justice comme le parent pauvre des préoccupations de l'Etat. Ce n'est pas un problème politicien, de gauche ou de droite ; ce n'est pas un problème de majorité au pouvoir ;c'est une question nationale, une question d'Etat. Tel est le sens, le seul sens, que je souhaite donner au rejet du budget de la justice pour 2001. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke, rapporteur pour avis.
Mme Dinah Derycke, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les services généraux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'année dernière, à cette même tribune, je rappelais les propos du Président de la République à l'occasion du 40e anniversaire de l'Ecole nationale de la magistrature : « Notre appareil judiciaire doit sortir de la misère et de la vétusté qui ont été trop longtemps les siennes. »
Ce constat reste unanimement partagé, tant il est vrai que notre justice a toujours été le parent pauvre de l'Etat. Cette situation n'est pas nouvelle. Elle avait justifié, le 6 janvier 1995, le vote d'une loi de programme dont les objectifs ont été largement dépassés au cours de la présente législature. Depuis juin 1997 en effet, l'augmentation des crédits du budget de la justice a, sous l'impulsion de Mme Guigou, connu une progression bien supérieure à la moyenne des budgets civils de l'Etat.
Cette année encore, l'augmentation des crédits à structure constante s'élève à 3,10 %, soit une progression deux fois supérieure à celle de l'ensemble du budget de l'Etat. Cet effort traduit la priorité maintenue en faveur du renforcement des moyens des juridictions.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des chiffres qui sont connus. En revanche, je veux insister sur la hausse substantielle de 7,33 % des crédits consacrés aux services judiciaires et sur le nombre exceptionnellement important des créations d'emplois.
De même, il m'apparaît utile de rappeler que l'effectif réel de magistrats se sera accru de 11,56 % entre la fin 1997 et la fin 2001, soit 680 magistrats supplémentaires effectivement en poste en quatre années. Nul ne peut nier l'importance de cet effort.
Toutefois, force est de constater qu'en dépit de tout cela la situation cette année encore reste caractérisée par des délais de jugement excessifs en matière civile, une régulation de l'activité pénale toujours assurée par le classement sans suite de presque un tiers des affaires dites « poursuivables » et un engorgement préoccupant des juridictions administratives.
Bref, en dépit d'efforts significatifs bien réels, la justice au quotidien demeure insatisfaisante. Cette situation risque de s'aggraver encore avec la prochaine entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, qui suscite actuellement bien des inquiétudes et des polémiques au sein du monde judiciaire, alors que la Chancellerie avait anticipé très en amont cette importante réforme.
Ces inquiétudes apparaissent d'autant plus justifiées que Mme la garde des sceaux propose aujourd'hui d'ajourner la partie de la réforme relative à la juridictionnalisation de l'application des peines. Cette proposition se veut pragmatique après le rapport de l'inspection générale qui, nonobstant le fait qu'un protocole d'accord a été signé avec les représentants des organisations syndicales de fonctionnaires le 1er décembre 2000, conclut à l'impossibilité d'appliquer immédiatement cette loi, sauf à contraindre les magistrats à opérer des choix de contentieux, ce qui aggraverait encore la situation de la justice au quotidien.
La situation actuelle est également marquée par le mouvement de protestation des avocats dû à leur insuffisante rétribution au titre de l'aide juridictionnelle. La revalorisation des plafonds de ressources prévue au budget pour 2001 était nécessaire, mais il est indéniable que le système paraît aujourd'hui inadapté et que l'indemnisation des avocats ne correspond plus à la réalité ni du travail ni des charges de cette profession. Nous souhaitons que Mme la garde des sceaux fasse le point sur les négociations en cours, les grèves des avocats annoncées pour les 12 et 18 décembre étant extrêmement préoccupantes.
Tout en donnant acte des efforts entrepris depuis plusieurs années, la majorité de la commission des lois a considéré que le montant des crédits consacrés à la justice ne permettait pas d'assurer son bon fonctionnement au quotidien ni la mise en oeuvre de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence, et a donc émis un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés aux services généraux du budget du ministère de la justice pour 2001.
A titre personnel, consciente que l'état de misère de notre justice relève de notre responsabilité collective depuis des décennies et ne peut donc être imputé au présent gouvernement, et prenant en compte l'augmentation substantielle et continue des crédits de la justice, j'approuverai ce budget. Mais nous ne pourrons pas faire l'économie d'un large débat public sur l'évolution de notre société vers une judiciarisation toujours grandissante...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Tout à fait !
Mme Dinah Derycke, rapporteur pour avis. ... et sur les rôles et les missions d'une justice vécue aujourd'hui par nos concitoyens comme l'unique moyen de régulation des dysfonctionnements de notre société. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Othily, rapporteur pour avis.
M. Georges Othily, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l'administration pénitentiaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de l'administration pénitentiaire connaîtront en 2001 une progression de 1,22 % par rapport à 2000. C'est peu, alors que l'année qui s'achève aura été marquée par les travaux de deux commissions d'enquête qui ont montré que nos prisons étaient une « humiliation pour la République ».
Des efforts ont été accomplis, c'est incontestable. Cette année encore, 530 emplois seront créés. Pour autant, il faut constater que la situation dans les établissements pénitentiaires ne s'améliore guère et que les annonces récemment faites par le Gouvernement n'auront d'effet concret que dans plusieurs années.
Dans le temps qui m'est imparti, je souhaite formuler quelques observations très concrètes sur la situation de l'administration pénitentiaire.
En ce qui concerne l'évolution de la population pénale, on constate une légère diminution du nombre de détenus, mais cette baisse recouvre des évolutions très différentes en fonction des infractions commises. Le nombre de détenus pour infractions sexuelles augmente de manière impressionnante. A ce sujet, madame la ministre, il est vraiment temps que soient appliquées les dispositions portant sur l'injonction de soins et figurant dans la loi relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, que nous avons votée voilà maintenant plus de deux ans !
En ce qui concerne la situation des détenus, le nombre de suicides en détention demeure très préoccupant. En effet, le taux de suicide dans les prisons est douze fois supérieur au taux de suicide dans la population générale, au lieu de cinq fois en 1980. Il est indispensable de renforcer les actions de prévention et de repérage des comportements suicidaires.
Je souhaite également dire un mot de la situation des femmes détenues. Dans les établissements qui accueillent à la fois des femmes et des hommes, je le constate régulièrement au cours de mes visites, les femmes se voient proposer moins d'activités et moins de perspectives de réinsertion que les hommes. La raison est simple : les hommes sont beaucoup plus nombreux et chaque activité peut concerner un nombre important de détenus.
A la maison d'arrêt d'Agen, que j'ai visitée récemment, les femmes ne peuvent pas bénéficier de la semi-liberté. Ce n'est pas normal, madame la ministre. Les femmes ne doivent pas être pénalisées sous le prétexte qu'elles sont moins nombreuses que les hommes en prison.
S'agissant du placement sous surveillance électronique, voilà trois ans que nous attendons l'application de la loi. Les expérimentations ont enfin commencé, mais elles sont pour l'instant timides, trop timides. Dix bracelets électroniques seulement sont actuellement utilisés. Il faut aller de l'avant, faute de quoi l'échantillon de condamnés en ayant bénéficié ne sera pas suffisant pour que l'on puisse tirer des conclusions de l'expérimentation. Il y a encore des difficultés techniques qui dissuadent les juges de l'application des peines d'utiliser le bracelet électronique. Il est donc nécessaire, madame la ministre, que nos services règlent ces difficultés avec la société qui fournit le logiciel.
En ce qui concerne les personnels de l'administration pénitentiaire, les recrutements ont été importants au cours des dernières années. Néanmoins, il y a encore de nombreuses vacances de postes. En outre, une nouvelle difficulté apparaît aujourd'hui : le nombre de candidats au concours de surveillant diminue, alors que l'administration doit recruter massivement. Il y a un risque de baisse de la qualité du recrutement qui doit être enrayé par tous les moyens.
On assiste par ailleurs à une féminisation croissante du personnel de surveillance, qui peut soulever des difficultés, notamment lors des congés de maternité. Les vacances de postes ont des conséquences plus lourdes dans l'administration pénitentiaire qu'ailleurs. Il faut donc prendre en compte cette féminisation dans la gestion du personnel.
Un mot, madame la ministre, pour évoquer la situation des personnels qui exercent des fonctions de formateur. Il nous apparaît que les personnels de surveillance ne sont pas incités à postuler aux fonctions de formateur parce qu'ils perdent le bénéfice de certaines primes et que leur progression de carrière est plus difficile lorqu'ils sont formateurs. Il me semble nécessaire de modifier cette situation, car il est indispensable que les personnels expérimentés se portent candidats en grand nombre pour participer à la formation de leurs futurs collègues.
A propos des bâtiments de l'administration pénitentiaire, le Gouvernement a multiplié les annonces de construction et de rénovation d'établissements. Il a ainsi récemment annoncé un plan de rénovation de l'ensemble des établissements pour un montant de 10 milliards de francs sur six ans. Un tel montant est impressionnant mais, pour l'instant, nous constatons que les projets en cours prennent du retard et que le taux de consommation des crédits de paiement est très faible, comme l'a d'ailleurs signalé l'excellent rapporteur spécial, M. Hubert Haenel. On nous annonçait, par exemple, l'ouverture des centres pour peines aménagées en 2000. Il semble maintenant qu'elle n'interviendra qu'en 2002. Inscrire des milliards de francs en autorisations de programme ne suffit pas, il faut ensuite que les réalisations suivent. Le Gouvernement nous annonce 10 milliards de francs pour les prisons mais, pour l'instant, le budget ne progresse que de 1,22 %.
Quelques mots, enfin, sur les travaux de la commission d'enquête du Sénat. Je serai bref, car nous avons déjà eu un débat en séance sur ce sujet avec le Gouvernement.
Nous avons proposé des mesures d'urgence qui pourraient être mises en oeuvre rapidement. La loi pénitentiaire dont vous envisagez l'élaboration, madame la ministre, ne doit pas vous empêcher d'agir sans attendre pour améliorer la situation des établissements pénitentiaires.
Il faut donc aller plus vite et transformer en profondeur le fonctionnement de l'administration pénitentiaire. Rien ne serait pire qu'un nouvel oubli des prisons après quelques mois d'effervescence. L'heure des annonces est passée, il faut maintenant agir, et agir rapidement. Dans cette attente, malheureusement, la commission des lois a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gélard, rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, madame le garde des seaux, mes chers collègues, le budget pour la protection judiciaire de la jeunesse qui nous est proposé cette année est en hausse et, apparemment, c'est un bon budget.
Avec 3,4 milliards de francs, soit 12,1 % du budget de la justice, les crédits sont en hausse de 7,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000, ce qui est assez considérable. On assiste également à une hausse importante des crédits pour le personnel, qui seront prioritairement utilisés pour la création de 380 emplois en 2001 et de 500 agents de justice qui devraient être recrutés pour la protection judiciaire de la jeunesse et répartis entre assistants animateurs sportifs et culturels, assistants animateurs scolaires, assistants d'insertion sociale et professionnelle, assistants d'éducation à la citoyenneté.
En revanche, sur le plan des équipements de la protection judiciaire de la jeunesse, les choses vont un peu moins bien.
En effet, on constate un retour des gels de crédits et une baisse des crédits de paiement en investissement relativement inquiétante.
Les crédits de paiement diminuent de 53 % alors que les créations de places accusent un retard tout à fait considérable. Alors que 270 places dont la réalisation a été programmée entre 1997 et 2000 restent à créer, 60 seulement l'ont été. Ce retard inquiétant concerne à la fois les centres de placement immédiat et les centres éducatifs renforcés.
Ce budget aurait été acceptable si les menaces qui pèsent aujourd'hui sur la justice n'étaient pas aussi lourdes, en raison de l'augmentation de la délinquance juvénile. Mais, compte tenu de cet aspect tout à fait inquiétant, il fallait au contraire multiplier les moyens pour faire face à un tel défi.
Permettez-moi, madame la ministre, de vous faire quelques suggestions portant sur des pistes de recherche susceptibles d'améliorer la protection judiciaire de la jeunesse.
Tout d'abord, en ce qui concerne les personnels, il est tout à fait anormal que les éducateurs n'aient pas suivi l'évolution des professeurs des écoles et ressortissent toujours à la catégorie B. Leur seule perspective de carrière est d'obtenir éventuellement un poste de directeur de centre.
Cette situation est d'autant plus regrettable que c'est un métier dans lequel il est particulièrement difficile de « vieillir » ; je veux dire par là que, au-delà d'un âge de trente-cinq ou quarante ans, il devient extrêmement délicat de remplir des fonctions d'éducateurs. Or les possibilités de mobilité professionnelle demeurent peu nombreuses et, souvent, peu attrayantes.
Je crois qu'il est temps de s'attaquer, comme pour les magistrats et les personnels de l'administration pénitentiaire, à la revalorisation de la carrière des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse.
Par ailleurs, si des efforts ont été consentis pour faire en sorte que la protection judiciaire de la jeunesse puisse, par un système contractuel, par une mise en réseau avec la justice, la police, l'éducation nationale, les intervenants sociaux et les familles, mieux s'intégrer à notre tissu social, beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne les relations avec l'éducation nationale.
Un problème aigu se pose également lors du passage de l'état de mineur à celui de majeur.
Enfin, il ne faut pas oublier que ce dont on a peut-être maintenant le plus besoin, c'est de soutien psychologique ou psychiatrique, d'un soutien professionnel. Or, à cet égard aussi, beaucoup reste à faire.
Face à ces défis que sont la montée d'une certaine délinquance, l'inadaptabilité d'un certain nombre de jeunes à la vie dans notre société et le sentiment d'insécurité qui naît chez les personnes vivant au contact des bandes de jeunes, il faut changer de vitesse. On ne peut plus traiter le problème de la jeunesse avec les méthodes qu'on utilisait il y a dix ou vingt ans : il faut inventer, il faut créer.
C'est pourquoi, madame la ministre, je me permets de vous suggérer l'organisation sur ce thème d'un grand colloque qui réunirait tous les intervenants : sociologues, psychologues, juristes, éducateurs, animateurs d'associations. Il leur reviendrait d'inventer véritablement des formules nouvelles afin d'éviter que toute une partie de la jeunesse se retrouve soit exclue, soit marginalisée, soit difficilement intégrable.
Sur ce projet de budget, la commission des lois a adopté le même point de vue que notre rapporteur spécial : nous estimons qu'il est convenable, nous ne mettons pas en cause l'action que vous avez menée, madame la ministre, pour obtenir les sommes qui sont allouées au ministère de la justice, mais nous considérons que, dans la conjoncture actuelle, les moyens demeurent beaucoup trop insuffisants. C'est la raison pour laquelle la commission des lois a émis un avis défavorable sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse. (Applaudissements sur les travées du RPR des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 21 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 16 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ; Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes.
Je rappelle qu'en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser 10 minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est de 40 minutes au maximum.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de très nombreux acteurs de la justice sont, ces derniers temps, « descendus dans la rue » : les surveillants de prison, les avocats, les greffiers. Comment s'en étonner ? La justice, dans toutes ses acceptions, est une grande question de société et, par de nombreux aspects, elle est sinistrée.
Madame la ministre, avec la discussion du budget de la justice aujourd'hui, vous êtes évidemment sur la sellette. Mais cette situation est le résultat de trop nombreuses années d'incurie, et l'on ne peut vous rendre responsable d'un état de la justice qui est bien antérieure à votre accession à la lourde charge de garde des sceaux.
Certes, votre projet de budget connaît une progression notable par rapport à l'ensemble du projet de loi de finances : des crédits en hausse de 3,1 %, 1 550 postes créés et une part de la justice dans le budget de l'Etat qui progresse lentement ; trop lentement, en vérité !
Il me paraît utile, pour apprécier ce projet de budget, d'en dégager la signification à court terme, à moyen terme et à long terme.
A court terme, le report de l'application de la loi, votée le 15 juin dernier, relative au renforcement de la présomption d'innoncence met en question la façon dont a été gérée la réforme : c'est en effet faute d'avoir prévu ou voulu des moyens suffisants que la réforme se révèle aujourd'hui inapplicable.
Cette situation heurte singulièrement nos principes démocratiques et républicains.
Elle heurte, en premier lieu, les principes de la démocratie parlementaire en privant d'application une loi de la République. Le Parlement n'est pas, contrairement à ce qu'on a pu entendre, responsable de cette situation. Sauf à lui dénier tout rôle législatif, il lui appartient de proposer de nouvelles dispositions.
Je me permettrai également de rappeler que la loi a été votée de façon consensuelle, avec l'accord du Gouvernement, que l'institution d'un appel des décisions de cours d'assises s'imposait au regard des exigences de la convention européenne des droits de l'homme et que la réforme de la libération conditionnelle était programmée par la Chancellerie, avec l'institution d'un groupe de travail réuni autour de M. Farge.
La décision de report n'est pas satisfaisante non plus au regard des droits des citoyens, surtout pour ceux qui, précisément, en ont moins que les autres, à savoir les détenus : c'est comme si l'on annoncait à un stagiaire nouvellement embauché sur un contrat à durée indéterminée et à qui l'on a promis une augmentation de salaire : « Désolé, mais on n'a pas les moyens d'appliquer votre contrat avant six mois ! ».
Certes, l'indignation est facile et ne résout pas grand-chose : quand la sonnette d'alarme est tirée par l'ensemble des acteurs chargés de mettre en oeuvre la réforme, magistrats, avocats, greffiers, personnel pénitentiaire, il est nécessaire de privilégier le réalisme.
Faut-il pour cela opérer des choix entre ce qui est décisif, applicable immédiatement et ce qui peut ou doit être reporté ? Vous avez, pour votre part, au vu des conclusions qui vont été remises par l'inspection générale des services judiciaires, opté pour un report partiel, assorti de mesures provisoires, avec, notamment, présence de l'avocat devant le juge de l'application des peines. Faut-il au contraire, comme le suggèrent d'autres, faire le pari de l'application de la loi et mettre en veilleuse des contentieux mettant moins en jeu les libertés individuelles ?
Madame la ministre, nous aurons à débattre de l'opportunité de cette solution lorsque, comme vous l'avez annoncé, vous présenterez votre projet de report de l'entrée en vigueur de la loi. Nous aurions seulement souhaité une réunion préalable de la majorité plurielle sur ce thème ! En tout état de cause, essayer de bricoler ne nous paraît pas souhaitable.
Néanmoins, à l'aube de l'élaboration de la future grande loi pénitentiaire annoncée par le Premier ministre, on peut s'interroger sur le caractère symbolique de l'ajournement de la réforme des libérations conditionnelles, que ne peut évidemment compenser l'annonce du déblocage de 10 milliards de francs pour la réhabilitation des prisons.
A moyen terme, ce projet de budget me semble significatif d'une politique des flux tendus qui provoque une surchauffe des tribunaux.
D'une part, dans la gestion quotidienne des tribunaux, on peut craindre que les améliorations obtenues en matière de délais de jugement ne soient remises en cause au moindre grippage. Les décisions récentes condamnant le service public de la justice appellent la plus grande vigilance : il ne faudrait pas que la recherche de la productivité se fasse au détriment de la qualité.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très juste !
Mme Nicole Borvo. D'autre part, cette politique pose la question de la capacité de la structure judiciaire à assimiler de nouvelles réformes. Je rappellerai que la réforme du droit de la famille est en chantier, au moins jusqu'à nouvel ordre : est-on sûr que les mêmes problèmes ne se reproduiront pas ? On oublie en effet trop facilement que la réforme des prestations compensatoires, qui soulève de gros problèmes au civil, est également responsable du mécontentement général.
Aussi peut-on légitimement penser que l'application de la loi sur la présomption d'innocence ne constitue que le point de cristallisation d'une tendance générale à l'asphyxie. C'est ainsi, pensons-nous au groupe communiste républicain et citoyen, moins la loi en tant que telle qui est en cause que la gestion des finances publiques.
Cela me conduit logiquement à aborder le long terme : avec la part que représente la justice dans le budget de l'Etat, c'est la question de la place de la justice dans l'Etat qui est posée.
Peut-on encore croire que la judiciarisation de la société n'aura aucune conséquence sur la façon dont fonctionne la justice ? Ce phénomène, que pour ma part je déplore, mais qui révèle tout de même l'échec des autres modes de régulation sociale, doit être appréhendé dans toutes ses conséquences.
Il nous semble, en particulier, qu'il implique la consécration d'un droit à la justice et son corollaire indispensable : l'égalité d'accès à la justice.
De ce point de vue, la mise en cause du système de l'aide juridictionnelle tel qu'il fonctionne actuellement est un élément fondamental du débat ; j'y reviendrai ultérieurement. Il suppose nécessairement la mise en place d'un véritable service public de la justice, excluant toute idée de justice privée.
J'insiste particulièrement sur ce point, car nous sommes aujourd'hui confrontés à des tentations réelles de « privatisation » de la justice, selon un modèle anglo-saxon qui risque d'autant plus d'instituer dans notre pays une justice à deux vitesses qu'il s'insère outre-Manche dans une tradition historique et culturelle fort éloignée de la nôtre.
J'en vois des exemples dans l'apparition des expertises privées, qui se veulent des réouvertures de procès effectuées par des cabinets privés ; je pense également à la suggestion de certains de confier l'aide judiciaire aux compagnies d'assurance, avec le risque des bons et des mauvais justiciables.
Face à ces risques, il faut s'interroger sur la signification actuelle du 1,68 % que représente la justice dans le budget de l'Etat.
Il faut réformer la justice, tout le monde l'admet : le Premier ministre en a fait un axe majeur de sa politique dès son arrivée au pouvoir et Mme Guigou en avait fait l'alpha et l'oméga de sa politique. Aujourd'hui, que reste-il de cette réforme ? Si la loi sur l'accès au droit a abouti - et encore les problèmes concernant l'aide juridictionnnelle en modèrent-ils la portée - la réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature est enterrée, en même temps que le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale. Et l'on nous annonce maintenant que la réforme de la présomption d'innocence ne sera pas appliquée à temps.
Je pense qu'aujourd'hui la crédibilité de l'action du Gouvernement passe par la réaffirmation de sa volonté de poursuivre la réforme de la justice - la future loi pénitentiaire est un des rendez-vous - et par le plein exercice de ses responsabilités quant à l'affectation des moyens nécessaires.
Compte tenu de ces remarques, madame la garde des sceaux, nous ne pouvons qu'être réservés sur ce projet de budget tel qu'il est présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur le banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j'interviendrai sur les crédits concernant l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, laissant à mon ami François Marc le soin d'évoquer les services généraux.
« Il y a urgence... il y a urgence depuis 200 ans. » C'est sur ces mots que se conclut le rapport de la commission d'enquête du Sénat concernant les conditions de détention pénitentiaire.
Ce constat sans complaisance prévaut également dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse. C'est bien à partir de ce retard accumulé depuis des décennies qu'il nous faut aujourd'hui pointer les manques et les insuffisances insupportables.
Tout ce qui a été dit par les différentes commissions et écrit dans les divers rapports, notamment ceux de MM. Mermaz et Hyest, est vrai. Ces travaux ont eu le mérite, par delà les clivages politiques, de contribuer à alerter l'opinion sur une situation dans les prisons peu digne - et encore aujourd'hui - de la patrie des droits de l'homme.
Toutefois, mes chers collègues, si nous voulons porter un regard aussi objectif que possible sur ce que nous constatons, nous devons honnêtement nous reconnaître que nous ne découvrons rien, que nous partons de loin et qu'il y aurait quelque paradoxe à condamner les efforts d'aujourd'hui après une aussi longue période d'apathie et d'insuffisance.
Le gouvernement de Lionel Jospin, au sein duquel vous assumez vos responsabilités, madame la garde des sceaux, a fait la démonstration d'une véritable volonté de résoudre en profondeur les problèmes. Je reviendrai dans quelques instants sur l'annonce faite le 9 novembre par M. le Premier ministre d'une grande loi pénitentiaire, mais je note qu'elle vient à point nommé pour appuyer cette orientation.
Le budget que vous nous présentez aujourd'hui, madame la garde des sceaux, s'inscrit bien dans cette logique.
En ce qui concerne les services pénitentiaires, les chiffres sont connus : création de 530 emplois, dont 330 pour le personnel de surveillance, une progression de 210 millions de francs des crédits et l'inscription de 844 millions de francs d'autorisations de programme nouvelles, auxquelles il faut ajouter les 800 millions de francs ouverts au titre du collectif du printemps 2000. Ce programme prévoit l'ouverture de dix établissements neufs dans les cinq prochaines années et la rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt.
Malgré tout cela, comment ne pas voir que la situation des personnels pénitentiaires est des plus difficiles, leurs possibilités de formation insatisfaisantes et leurs conditions de travail éprouvantes ? Comme si cela ne suffisait pas, l'introduction de nouvelles mesures destinées à améliorer la prise en charge des détenus - je pense en particulier aux mineurs, aux toxicomanes et aux nouveaux arrivants - même si elles sont attendues, ne fait qu'ajouter à leurs charges.
Les créations de postes prévues dans ce budget vont dans la bonne direction non seulement par leur nombre, mais également par leur répartition, puisqu'elles font une large place à l'accompagnement des personnels de surveillance qui sont confrontés à de nouvelles tâches. A cet égard, la création de 15 postes de psychologues pour soutenir le personnel de surveillance face aux problèmes de comportement des détenus, et particulièrement pour les assister dans la prévention des suicides, et de 141 postes pour améliorer les conditions de travail est significative.
De même, le renforcement du suivi des personnes en milieu ouvert, notamment pour l'expérimentation du placement sous surveillance électronique, et l'application de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes justifient pleinement la création de 112 emplois de personnel d'insertion.
A cela, il faut ajouter les mesures indemnitaires et statutaires : 10,6 millions de francs sont prévus pour procéder à des modifications indemnitaires ; 8,48 millions de francs sont consacrés à la revalorisation de l'indemnité pour charges pénitentiaires ; 1,8 million de francs sont affectés à l'augmentation.
Enfin, comment ne pas apprécier l'augmentation substantielle des moyens de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire - 40 % en quatre ans - ce qui devrait lui permettre de mieux assurer ses missions de formation et de mieux faire face au recrutement massif de personnels engagés depuis deux ans ?
En ce qui concerne l'équipement pénitentiaire, l'état du parc est particulilèrement dégradé ; les rapports parlementaires ont, à juste titre, dénoncé une situation qui demeure intolérable. Cet état implique de nombreux travaux de rénovation et nécessite la poursuite d'un programme de construction soutenu. J'observe que l'on passe à cet effet de 590 millions de francs en 2000 à 840 millions de francs en autorisation de programme.
Par ailleurs, je rappelle ici que le Premier ministre a annoncé le dépôt d'un amendement au projet de loi de finances, qui prévoit un supplément d'autorisations de paiement de 1 milliard de francs.
Enfin, dans le cadre de la loi de finances, un plan sur six ans sera engagé, qui permettra la mise aux normes de l'encellulement individuel et la rénovation de l'ensemble des établissements pénitentiaires.
Un établissement public sera mis en place pour réaliser ce vaste plan de rénovation, comme l'a souligné le Premier ministre lors de l'inauguration des nouveaux locaux de l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire.
S'il est vrai que la rénovation du parc immobilier n'est pas une condition suffisante, elle est néanmoins nécessaire à la réussite d'une réforme de la vie en détention quand on sait que les conditions de vie quotidienne en prison sont bien un élément déterminant des conditions futures de réinsertion des détenus.
Face au constat accablant de l'état de nos prisons, dont il faut rappeler qu'il s'inscrit au passif de tous les gouvernements depuis des décennies, il n'existe pas de réponses magiques. Mais, depuis 1997, force est de constater que les efforts accomplis pour renverser la situation se retrouvent dans les budgets successifs du Gouvernement non seulement par une augmentation sans précédent des emplois créés et des crédits de modernisation du parc pénitentiaire, mais aussi dans des choix qualificatifs visant à la réinsertion des détenus, à la réduction des inégalités sociales et culturelles à l'intérieur même des prisons et au développement d'alternatives à l'incarcération.
Dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, l'effort consenti n'est pas moindre : 380 emplois, dont 230 d'éducateurs sont prévus. Les orientations fixées par le conseil de sécurité intérieure sont donc respectées.
Globalement, la PJJ bénéficiera, en 2001, de 7 144 postes budgétaires au lieu de 6 768 en 2000, soit une progression notable de 5,6 %. Je constate que les orientations budgétaires pour 2001 s'inscrivent dans la poursuite du plan défini en 1999, qui prévoit une augmentation de 1 000 emplois pour la protection judiciaire de la jeunesse.
En matière de protection judiciaire et de délinquance des mineurs, je veux insister sur la nécessité d'avoir une vision d'ensemble et, à ce propos, saluer les efforts consentis en vue d'une prise en charge des délinquants dès la première infraction. Par ailleurs, il faut insister sur la nécessaire collaboration entre les différents services, ceux de l'Etat et ceux des départements.
Je constate également que 6,9 millions de francs sont alloués aux mesures indemnitaires et statutaires et que les crédits de fonctionnement et d'intervention sont en augmentation de 11,8 %.
Globalement, la protection judiciaire de la jeunesse bénéficie d'une dotation appréciable de 17,8 millions de francs, contre 11 millions de francs l'an passé, ce qui marque bien, me semble-t-il, la volonté du Gouvernement d'en faire une priorité.
Malgré toutes les réserves liées à la situation et aux besoins déjà exprimés, je me dois, en toute logique, de considérer favorablement ce budget, qui doit être apprécié dans une politique d'ensemble, de long terme, soucieuse de créer les conditions d'une justice qui a les moyens de ses responsabilités à l'égard de la jeunesse et qui ne s'arrête pas à la porte de la prison.
Lionel Jospin a annoncé la préparation d'une grande loi pénitentiaire qui sera soumise au Parlement à l'automne 2001. Nous appelons cette loi de nos voeux, parce qu'elle permettra de définir le sens de la peine, les missions de l'administration pénitentiaire, les règles du régime carcéral en encadrant les atteintes aux libertés individuelles et les conditions générales de détention.
Je pense que le budget pour 2001 que vous nous présentez aujourd'hui, madame la ministre, est un bon budget : il prépare de véritables changements dans la prise en compte des difficultés de notre système judiciaire.
Il ne s'agit pas de nier l'ampleur du problème ; il faut se réjouir que la société, longtemps sourde à cette partie obscure d'elle-même, ait été alertée par des voix venues d'horizons souvent très différents. Pourtant, je comprends difficilement, malgré les explications de nos différents collègues, que la majorité sénatoriale, qui a voté les budgets de 1998, 1999 et 2000 qui inscrivaient un effort moindre que celui-là, ne vote pas ce budget pour 2001 : plus 1,77 % en 1997, ce n'est pas mal, mais plus 3,1 % pour 2001, c'est tout de même mieux !
Mais, ne soyons pas naïfs, peut-être les raisons de cette incohérence sont-elles à chercher ailleurs, peut-être les préoccupations derrière ce refus de façade sont-elles d'une autre nature. En tout cas, permettez-moi, madame le ministre, en mon nom et au nom du groupe socialiste, de vous encourager et de vous soutenir dans vos efforts constants pour remettre la justice au coeur de la nation. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, une justice sereine, une justice rapide, une justice efficace, une justice pour tous, voilà ce qu'attendent les Français. Hélas ! ce budget ne répondra pas encore à l'attente de nos concitoyens, même s'il est en augmentation, madame le ministre.
Votre arrivée à la Chancellerie a été marquée par la grogne de bon nombre de professionnels de la justice. Qu'il s'agisse des avocats ou des greffiers, le malaise est persistant et le Gouvernement ne répond guère aux attentes de la profession.
Dans le Val-d'Oise, c'est toute l'activité judiciaire qui a été paralysée par la grève des greffiers. Ces derniers ont d'ailleurs reçu le soutien de nombreux magistrats, dont la présidente même du tribunal pour enfants.
Madame le garde des sceaux, dans le Val-d'Oise, au tribunal de grande instance de Pontoise, cent vingt dossiers sont traités quotidiennement à la chambre civile et quinze à vingt dossiers sont traités en correctionnelle. Cette charge de travail est devenue insupportable et la justice ne peut plus remplir sa mission de service public.
L'égalité des droits au regard de la justice n'existe pas, malgré la présence en France de l'aide juridictionnelle. Le plafond de ressources pour bénéficier de cette aide est excessivement bas. Je rappelle qu'il s'agit d'un véritable accès au droit et à la justice. Malheureusement, ce support n'a jamais eu les moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Il est urgent de revaloriser les indemnités des avocats pour qu'ils puissent, enfin, assurer une défense de qualité pour tous. Je tiens à rappeler que la rémunération horaire des avocats est tellement basse que, dans certains cas, elle ne suffit même pas à couvrir leurs frais de déplacement.
L'aide juridictionnelle souffre du retard pris dans le traitement des dossiers. Dans le Val-d'Oise, ce retard touche toutes les branches : il est de plusieurs mois dans l'enrôlement des dossiers et de plus de six mois dans les conciliations de divorce.
Le tribunal de grande instance de Pontoise souffre d'un grave manque d'effectifs. Ceux-ci sont nettement inférieurs à la moyenne nationale. A titre d'exemple, le département de l'Essonne compte soixante-trois magistrats du siège contre cinquante-cinq au tribunal de Pontoise, pour à peu près la même population.
En d'autres termes, le Val-d'Oise a le ratio nombre de magistrats - nombre d'habitants le plus faible de la région parisienne et cette situation est pire encore pour les fonctionnaires. Pourquoi une telle disproportion ? Pourquoi une telle inégalité ? Le Val-d'Oise est-il considéré comme un département de seconde zone ? Hélas ! tout laisse à penser que c'est le cas, lorsqu'on ajoute à cela les conditions dans lesquelles exercent les magistrats : trois sites dispersés dans des bâtiments vétustes, obsolètes et précaires. Et voilà des années que cela dure ! Ce n'est pas à l'honneur des gouvernements qui se sont succédé.
Madame le garde des sceaux, vous aurez compris que cela ne peut plus durer ; la France ne peut pas continuer à traiter ses justiciables de la sorte.
Certes, vous annoncez la création de nouveaux postes de magistrats, mais nous sommes conscients qu'en dépit de votre bonne volonté ils ne serviront finalement qu'à résorber une partie du retard accumulé.
Nos concitoyens ont une image déplorable de la justice, l'image d'une justice qui a cessé de fonctionner et d'être au service de tous. Bref, nos concitoyens ont presque oublié que la justice était un service public à part entière. Cette image déplorable est, bien sûr, renforcée par le manque de cohérence entre les services de la justice et ceux de la police.
Il est urgent, mes collègues l'ont dit, de mettre en place un système ferme en matière de délinquance juvénile et de cesser d'être hypocrite en parlant d'incivilités, alors qu'il s'agit de véritables agressions. C'est par de tels discours que l'on encourage les « sauvageons » et que l'on décourage police, élus et citoyens.
Les centres de placements immédiats et les centres éducatifs issus du pacte de relance pour la ville d'Alain Juppé doivent jouer leur rôle de réinsertion pour les jeunes délinquants, qui doivent comprendre et accepter une fois pour toutes les règles de la société. Ces centres sont là pour tenter de remettre les jeunes dans le droit chemin. Ainsi, ceux-ci ne retourneront pas, dès leur arrestation, dans leur quartier, s'érigeant en caïds.
Les habitants des quartiers sensibles n'en peuvent plus. Il faut des mesures urgentes, sévères, mais justes, pour que chacun puisse vivre en paix et dans la sécurité, car c'est tout de même un droit pour tous.
Comment pouvons-nous continuer à tolérer de telles choses ? Comment voulez-vous que les victimes aient confiance en une justice qui ne peut plus faire son travail ?
Aujourd'hui encore, de nombreuses affaires sont classées sans suite et je le déplore. Cette méthode, que j'accuse aujourd'hui, n'est qu'un moyen d'éviter de trop grands retards dans le traitement des affaires qui attendent parfois plusieurs années pour être traitées. La justice s'éloigne de plus en plus de son image de « garante de la démocratie ».
Avec ce volume énorme d'affaires classées sans suite, il ne faut pas s'étonner que les victimes, découragées, refusent de porter plainte face à l'impunité dont semblent jouir les auteurs de délits. Une telle situation est inacceptable.
Nous devons arriver dans nos banlieues au niveau de tolérance zéro. Toute faute commise doit être sanctionnée. Il faut désormais que la police puisse faire son travail convenablement et dans les meilleures conditions possibles. C'est la crédibilité de nos policiers qui est en jeu, car si, comme je l'ai dit, les gens ne croient plus en la justice, l'image de la police nationale se dégrade également par manque de suivi des affaires. La justice, tout comme la police, doit être présente partout dans nos quartiers.
Certes, des maisons de justice et du droit ont été créées, notamment dans le Val-d'Oise. Annoncées à grand renfort de presse, il a néanmoins fallu attendre des mois pour qu'elles puissent fonctionner, faute de greffiers. Ce fut notamment le cas à Garges-lès-Gonesse, ville dont je suis le maire : un an d'attente pour avoir un greffier ! A Ermont, où la maison de justice et du droit ouvrira tout prochainement, le greffier sera tout simplement prélevé sur l'effectif du tribunal pour enfants ! C'est particulièrement inadmissible.
Quant au coût, il faut le savoir, la justice paie le greffier, les communes tout le reste, y compris les voitures destinées au greffier !
Madame le garde des sceaux, avec un tel budget, la justice sera encore « en panne » pour de longues années et les citoyens, quant à eux, feront les frais de l'irréalisme du Gouvernement, qui n'a toujours pas compris où se situaient les priorités.
Par conséquent, je ne voterai pas ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi que sur le banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Bien que le budget de la justice pour 2001 augmente de 3,1 %, soit plus que les années précédentes, madame le garde des sceaux, nos commissions proposent au Sénat de ne pas l'accepter au motif que les crédits inscrits lui paraissent, bien sûr, insuffisants et sont peut-être mal répartis.
C'est un paradoxe, d'autant plus que vous venez de prendre vos fonctions et que le Sénat, qui généralement tient compte des bonnes intentions...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Et qui est courtois !
M. Jean-Jacques Hyest. ... et qui est en effet courtois, aurait pu envisager cette année...
M. Georges Othily, rapporteur pour avis. La sagesse !
M. Jean-Jacques Hyest. ... de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
Je rappelle - certains ont signalé ce point - que nous avons voté les budgets de 1988, 1999 et 2000.
M. Pierre Fauchon. Pas moi ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Globalement ! M. Pierre Fauchon a sans doute raison : nous n'aurions peut-être pas dû les voter !
M. Pierre Fauchon. Tous les ans, j'ai sonné le tocsin !
M. Jean-Jacques Hyest. Si nous les avons votés, c'est parce que nous considérions qu'il y avait vraiment une volonté forte de réformes de la justice et d'organisation des moyens permettant de les mettre en oeuvre.
Cette année, par exemple, le nombre de fonctionnaires et de magistrats est effectivement en forte augmentation. Toutefois, s'agissant des magistrats, les postes sont totalement « absorbés » par les réformes, alors qu'il n'est pas encore certains que celles-ci soient appliquées à compter du 1er janvier prochain. En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, là encore, le nombre de postes croît, mais la plupart d'entre eux sont « absorbés » par l'ouverture de nouvelles maisons d'arrêt. Il n'est pas prévu de créer des postes techniques. Bref, tout ce qui est nécessaire au fonctionnement de l'administration pénitentiaire n'est pas réellement mis en oeuvre.
L'année dernière, le budget de la justice représentait 1,62 % du budget de l'Etat. Cette année, il représente 1,63 %. Forte augmentation s'il en est ! Ces pourcentages montrent l'importance que le Gouvernement attache à la justice. En fait, la justice n'est pas une priorité. M. le rapporteur spécial le disait tout à l'heure, en citant le cas des routiers. Mais nous pourrions citer bien d'autres exemples. En effet, on trouve 2 milliards, 3 milliards, voire 4 milliards de francs pour faire face à des urgences.
M. Pierre Fauchon. Et pour les 35 heures !
M. Jean-Jacques Hyest. Et, bien sûr, les 85 milliards de francs pour les 35 heures... Mais je n'ose plus en parler tellement cela paraît disproportionné au regard des tâches prioritaires de l'Etat que sont la justice et la sécurité. De ce point de vue, madame le garde des sceaux, ce budget n'est donc pas satisfaisant.
De surcroît, on note une forte inquiétude du monde judiciaire. On a évoqué longuement le problème de l'aide juridictionnelle. Si les avocats unanimes, quel que soit leur lieu d'exercice, se révoltent contre la non-revalorisation des crédits de l'aide juridictionnelle, les magistrats s'inquiètent, eux aussi, de la possibilité de mettre en oeuvre des réformes sans moyens nouveaux.
On parle peu des juridictions administratives ou de la juridiction civile, madame le garde des sceaux, on parle toujours du pénal...
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Pas moi !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais souvent on parle de la justice pénale. Or, s'agissant de la juridiction administrative, quand un recours pour excès de pouvoir contre le permis construire d'une école ou d'un lycée tarde et que le sursis à exécuter est imposé, le coût économique qui en résulte est considérable. Il en est de même pour tout retard en matière civile. Si on faisait le compte, nous nous apercevrions que le fait de consacrer beaucoup plus d'argent à la justice coûterait moins cher à l'économie, au lieu de laisser se dégrader en permanence les conditions des juridictions.
J'en viens à l'administration pénitentiaire.
Madame le garde des sceaux, j'ai quelque scrupule à aborder ce point car nous avons longuement évoqué la situation de l'administration pénitentiaire à l'occasion de la question orale à laquelle vous aviez bien voulu répondre voilà quelques semaines. Je rappellerai simplement que, en ce qui concerne les effecifs et notamment les postes pour mettre en oeuvre les réformes permettant d'améliorer le suivi des détenus, ce qui est prévu n'est pas suffisant.
De plus, nous souhaitons la mise en oeuvre d'un certain nombre de réformes qui ne nécessitent pas de moyens complémentaires mais qui permettent d'améliorer les conditions de détention. C'est pourquoi mon collègue Guy-Pierre Cabanel et moi-même avons déposé une proposition de loi qui concerne notamment la possibilité de placer des détenus dont le dossier est en appel ou en cassation dans des établissements pour peine. En effet, je le rappelle, les conditions de la détention provisoire sont pires que celles des établissements pour peine. Dans ces derniers, on sait en effet assurer une formation et un meilleur suivi. Ceux qui seront en détention pendant de nombreux mois encore doivent pouvoir bénéficier de ces possibilités.
En ce domaine, il faut une révolution. On a toujours appliqué la règle selon laquelle il y a, d'un côté, les établissements pour peine et, de l'autre, les maisons d'arrêt. Il faut faire évoluer la situation de manière à permettre une réelle insertion des détenus, surtout si par la suite ils sont reconnus innocents.
Par ailleurs, un contrôle externe des prisons s'impose. Il y a les propositions du président Canivet. Dans l'attente d'une grande loi pénitentiaire, qui sera sans doute votée avant la fin de la législature - j'en accepte l'augure - il y a, je crois, des mesures plus urgentes à prendre. Certaines des trente propositions que nous avions faites pourraient être mises en oeuvre facilement, madame le garde des sceaux.
S'agissant de l'application de la loi sur la présomption d'innocence, je m'interroge. Bien entendu, la volonté du législateur s'est exprimée, et elle a été acceptée par le Gouvernement. Toutefois, je ne suis pas sûr que, partout, on ait bien pris conscience des modifications substantielles qu'apporte cette loi. Certains laissent parfois entendre qu'ils s'y opposent. Vous me permettrez de dire que c'est scandaleux lorsqu'il s'agit de magistrats, car ils sont chargés d'appliquer la loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, madame la ministre, garde des sceaux, chers collègues, il est, me semble-t-il, dans la sphère publique des héritages qu'à l'instar de ce qui se passe en droit privé l'on devrait pouvoir n'accepter que sous bénéfice d'inventaire.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Absolument !
M. Christian Bonnet. Cela étant, je vous connais assez, madame la ministre, pour être convaincu que, même si cette possibilité vous eût été offerte, vous ne vous en seriez pas prévalue.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Effectivement !
M. Christian Bonnet. Dieu sait pourtant quelle charge écrasante représente le fait de devoir assurer l'application d'un texte monumental, monumental en ce qu'il apporte au code pénal des modifications profondes, d'en assurer, dis-je, l'application avec les moyens misérables d'un budget courant.
Certes, c'est à bon droit que vous avez fait état, à l'Assemblée nationale, d'une progression plus marquée de vos crédits pour 2001 qu'elle ne l'est pour l'ensemble du budget de la nation, mais cette affirmation mérite d'être aussitôt corrigée par deux observations.
La première est la portion congrue à laquelle demeure condamnée - je dis bien « demeure » car la chose ne date pas d'hier et concerne les gouvernements de toutes sensibilités - la justice tout comme la sécurité, autre attribut régalien, dans les dépenses de l'Etat : à peine plus de 1,20 % du budget de l'Etat pour la justice, hors administration pénitentiaire ; 3,25 % pour la sécurité, police et gendarmerie cumulées.
La seconde remarque est la suivante : à une progression géométrique des textes correspond une progression à peine arithmétique des moyens mis en oeuvre pour les traduire dans la pratique.
Délaissant les propos de caractère général, je vais m'efforcer d'évoquer brièvement in concreto certains des obstacles majeurs - et certains seulement - auxquels va se heurter l'application de la loi sur la présomption d'innocence.
Je me proposais d'en dénombrer trois : la juridictionnalisation de l'application des peines, l'appel des arrêts rendus par les cours d'assises et la création d'un juge des libertés et de la détention.
S'agissant de la juridictionnalisation de l'application des peines, il vous est apparu proprement impossible d'en assurer la mise en oeuvre à la date primitivement prévue, globalement tout au moins.
Et, de fait, l'alourdissement de la charge de travail du juge d'application des peines qui, dans beaucoup de juridictions, assume déjà d'autres tâches, mais aussi le manque de greffiers, faisaient du report dont le Parlement, bien évidemment après la presse - « faisons moderne », comme le disait dernièrement notre excellent collègue M. Charasse, qui n'est jamais en retard d'un bon mot - semble devoir être saisi bientôt une nécessité absolue. Il s'agissait alors du quinquennat, madame le garde des sceaux. L'important disait M. Charasse, hostile qu'il était au quinquennat, c'est de faire moderne : « Les vaches ont voulu faire moderne, elles sont devenues folles ; c'est la même chose pour nous. » (Sourires.) Quoi qu'il en soit, revenons à nos moutons... et non à nos vaches ! (Nouveaux sourires.)
Une autre difficulté - née, je le reconnais, d'une initiative parlementaire, compensée, il est vrai, par la suppression du fol enregistrement de toutes les gardes à vue - est la possibilité de faire appel des arrêts rendus par les cours d'assises.
Prenons, sans attendre les décisions de la Cour de cassation, un exemple concret : la Bretagne, dont nous sommes, vous et moi, les élus. Imaginons que la juridiction d'appel désignée par la Cour de cassation ait son siège à Rennes.
Or, la cour d'assises tient déjà au chef-lieu de région quatre sessions, au cours desquelles sont examinées en moyenne six à huit affaires deux semaines durant. Cette cour serait - mis à part, bien évidemment, le département d'Ille-et-Vilaine, dont les appels seraient jugés ailleurs - en charge des appels enregistrés à l'encontre des arrêts des cours d'assises des Côtes-d'Armor, du Finistère et du Morbihan. Chacune d'entre elles se prononce, bon an mal an, sur vingt-cinq à trente affaires par an, soit au total soixante-quinze à quatre-vingt-dix chaque année. Même si le parquet est privé de toute possibilité d'appel - ce que la magistrature « debout » a d'ailleurs, à juste titre, grand peine à admettre - on estime à quelque 30 % des jugements rendus le nombre des appels dont Rennes aurait à connaître, soit vingt-cinq à trente affaires de plus, mobilisant trois magistrats et un greffier dans un « délai raisonnable », estimé à un an après le renvoi par le juge d'instruction.
La troisième difficulté tient à la création d'un juge des libertés et de la détention.
Partout où un poste ne sera pas créé, la tâche en reviendra à un président de la juridiction ou à un vice-président déjà surchargé et, trop souvent, là où un poste a été créé, l'effectif d'une juridiction est resté le même dans la mesure où une vacance n'était pas pourvue.
Ces trois difficultés d'application ne sont que les plus marquantes, et si j'ajoute que se profile à l'horizon une réforme des tribunaux de commerce, elle aussi gourmande en magistrats, on ne peut qu'être surpris par la déclaration qui vous était prêtée par un grand quotidien du soir dans son édition datée du 7 décembre, et suivant laquelle toute cette affaire se réduirait « à un problème d'ajustement dans le temps » !
En vérité, la boulimie de réformes qui s'est emparée du Gouvernement...
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Et du Parlement !
M. Christian Bonnet. ... - boulimie à laquelle ont particulièrement concouru deux de vos collègues, dont le Premier ministre a contribué à nous rendre familiers les charmants prénoms (Sourires.) - et l'avalanche de textes qui s'est ensuivie ont généré, dans les vaisseaux de l'Etat, une thrombose dont nous n'avons, hélas ! - vous la première, madame la ministre - pas fini de ressentir les très dommageables effets. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Madame la ministre, le Premier ministre vous a choisie pour diriger un ministère très important, essentiel dans un Etat de droit, et qui constitue pour l'opinion publique le ferrement de la démocratie.
Je voudrais, au nom des membres du groupe du RDSE et en mon nom propre, saluer l'oeuvre de votre prédécesseur.
Nous ne doutons pas de votre désir de réforme, madame la ministre ; cependant, interrogeons-nous sur le caractère judicieux du changement de ministre au milieu de la réalisation de réformes fondamentales recouvrant l'ensemble du système de la justice !
Une période de transition ne peut être évitée, quelles que soient les qualités du nouveau ministre. Une telle situation est obligatoirement dommageable, mais votre force, madame, sera la qualité de votre adaptation, et vous nous l'avez prouvée.
Lorsque l'on examine globalement les crédits, le budget connaît, comme l'a rappelé notre rapporteur spécial, M. Hubert Haenel, une augmentation. Toutefois, s'il faut saluer cette évolution, cela ne doit pas faire oublier qu'il représente moins de 2 % du budget de l'Etat. C'est pourquoi j'ai envie de dire, comme Marcel Achard : « La justice coûte cher, c'est pour cela qu'on l'économise. »
Dans le cadre du budget que vous nous présentez, on pourrait approuver la volonté gouvernementale de poursuivre les actions engagées, telles que la réforme des tribunaux de commerce, l'expérimentation du placement sous surveillance électronique, ou l'ouverture des deux premiers établissements pénitentiaires du « programme 4000 ».
Parallèlement, le budget pour 2001 est particulièrement riche en créations de postes, marquant ainsi une volonté d'affecter les moyens nécessaires aux réformes entreprises.
Mais le budget que vous nous proposez, madame la ministre, n'est pas, et je le regrette, à la hauteur des réformes votées par le Parlement.
La loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et le droit des victimes doit connaître sa pleine application dès le mois de janvier 2001. Il semble néanmoins, comme l'a d'ailleurs rappelé M. le rapporteur spécial, que le Gouvernement n'ait pas assez anticipé cette réforme. Le budget de cette année ne permet pas, en effet, de répondre aux nouvelles règles, malgré les efforts considérables qui ont été faits par les magistrats concernés, cette surcharge s'additionnant aux dysfonctionnements permanents et difficilement supportables des services de la justice.
Consciente de cette difficulté, vous proposez au Parlement d'ajourner une partie de la loi, certes, mais au détriment des détenus, ce qui constitue, à nos yeux, une injustice. Cela me semble inacceptable !
Madame la ministre, il n'existe pas de droit sans moyen de l'exercer.
Nous devons, à cet égard, reconnaître votre courage et votre intelligence d'avoir diligenté une mission de l'inspection générale des services judiciaires sur la mise en application de la loi du 15 juin 2000 relative au renforcement de la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes.
Les conclusions sont sans appel dès le premier diagnostic : un aménagement est nécessaire pour le juge des libertés ; un renforcement des effectifs des magistrats et des greffes est indispensable pour le recours en matière criminelle ; enfin, la juridictionalisation de l'application des peines ne paraît pouvoir être assumée par les juges qu'au prix d'une diminution ou d'une cessation de leur participation aux autres activités de la juridiction, d'où la création, dès le 1er janvier 2001, d'un véritable secrétariat-greffe.
S'il est vrai que, dans les délais impartis, les inspecteurs des services judiciaires n'ont eu pour seul objectif que de repérer les difficultés concrètes les plus prévisibles, qu'il me soit permis de compléter leur rapport en attirant, une fois encore, l'attention de votre ministère sur l'inacceptable situation de la justice aux Antilles-Guyane, et plus particulièrement en Guyane.
Si le tribunal de grande instance de Cayenne était une entreprise privée, il serait en état de fermeture depuis longtemps, et le comité d'hygiène et de sécurité aurait agi en conséquence.
Mieux, la dépendance de la cour d'appel de Fort-de-France, située à 2 000 kilomètres, ne peut plus être acceptée. Dix ans de fonctionnement de la chambre détachée de la cour d'appel de Fort-de-France ont montré les insuffisances de ce système !
Le taux de juridictionnalisation est aujourd'hui comparable à ce qu'il est dans les autres DOM-TOM. Or nous avons le sentiment que les problèmes de la justice en Guyane sont perçus à Paris à travers le miroir déformant de la Martinique. Il est peu de dire que les acteurs martiniquais de la justice agissent pour maintenir la justice guyanaise sous leur coupe ! Cela leur permet de faire part égale avec la cour d'appel de Guadeloupe.
La Guyane est le seul département d'outre-mer à ne pas avoir de structure d'appel autonome. Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte en sont dotés !
Le président de la chambre détachée est président de la chambre d'accusation, contrairement au président de la chambre d'accusion en France hexagonale.
La création du juge des libertés et du double degré de juridiction en matière criminelle bloquera totalement le fonctionnement de la justice d'appel en Guyane.
Les juges des libertés ne pourront venir siéger à la chambre d'instruction. Il est difficile d'imaginer que ce sera encore le parquet de la première instance qui viendra représenter le parquet général devant la cour d'assises d'appel !
Faut-il attendre encore dix ans pour créer une cour d'appel de plein exercice, alors que la structure de base existe et que l'inspection des services judiciaires a reconnu l'urgente nécessité de la créer ?
L'évolution générale des institutions de la Guyane commande la création d'institutions autonomes : c'est le cas de l'armée, de la gendarmerie et, récemment, du rectorat.
En définitivve, madame la ministre, si, en France hexagonale, nous rencontrons des difficultés pour appliquer simultanément les trois grandes réformes principales de la loi du 15 juin 2000, en Guyane et à Fort-de-France, elle ne pourra être appliquée, ainsi que je vous l'ai indiqué dans le courrier que je vous ai adressé le 30 novembre 2000.
La revalorisation des plafonds de ressources pour l'admission à l'aide juridictionnelle doit être saluée. Les avocats, pour leur part, demandent une réforme du système existant ; n'oublions pas, cependant, qu'il s'agit non pas de rémunération mais d'indemnisation, et que cette dernière ne doit pas être insignifiante. Qu'envisagez vous précisément dans ce domaine ?
Ainsi que je l'ai indiqué dans mon rapport pour avis sur l'administration pénitentiaire, on sait pourtant que les prisons d'outre-mer, notamment en Martinique et en Guyane, sont de véritables gruyères ! Mais le taux de consommation des crédits consacrés à la construction de nouveaux établissements a été très faible en 2000.
Par ailleurs, la situation préoccupante des prisons exige des mesures d'urgence. La grande loi pénitentiaire annoncée par le Premier ministre sera, j'en suis persuadé, la réponse à la situation d'indignité dans laquelle vivent les prisonniers en France, patrie des droits de l'homme. « Il faut maintenant passer à la vitesse supérieure », a affirmé le Premier ministre lors de l'inauguration de l'école nationale d'administration pénitentiaire !
Le budget que nous examinons ne nous y invite pas !
Ces déclarations me renvoient à 1975, lorsque le secrétaire d'Etat à la condition pénitentiaire, Mme Hélène Dorlhac, promettait de s'attacher à promouvoir sur les plans législatif et réglémentaire des réformes de nature à adapter la répression des infractions aux données de notre temps. Or, vingt-cinq ans après, la situation semble avoir empiré !
Oui, madame la ministre, « seule l'instauration d'une véritable politique pénitentiaire rationnelle et humaine peut-être un facteur de réussite dans un domaine dont l'équilibre est certainement remis en cause à la suite de l'inévitable évolution de la population pénale et des contradictions de l'univers carcéral ».
Certes, la réforme que vous envisagez ne pourra être réalisable si elle ne repose sur une redéfinition des missions du personnel de l'administration pénitentiaire. Mais votre tâche sera extrêmement difficile, car il vous faudra convaincre le ministre de l'économie et des finances et le ministre de la fonction publique pour assurer aux personnels pénitentiaires la place qui leur revient dans la fonction publique.
S'agissant des peines alternatives, on peut saluer l'expérimentation de la loi du 19 décembre 1997 instaurant le placement sous surveillance électronique. Ce système, dû à l'initiative de notre éminent collègue Guy-Pierre Cabanel, avait tardé à être appliqué, alors qu'il avait été accepté par le Parlement dans son ensemble. Ce système a été officialisé par la loi renforçant la protection de présomption d'innocence et les droits des victimes, ce qui est une bonne chose.
Toutefois, l'application de la loi du 15 juin 2000, plus particulièrement la mise en oeuvre du placement sous surveillance électronique, connaîtra certaines difficultés d'application.
En effet, l'article 723-7 du code de procédure pénale prévoit notamment que : « La décision de recourir au placement sous surveillance électronique ne peut être prise qu'après avoir recueilli le consentement du condamné en présence de son avocat. A défaut de choix par le condamné, un avocat est désigné d'office par le bâtonnier. »
Si ce texte recommande la présence de l'avocat à ce stade de la procédure, l'article 722, alinéa 6, du même code prévoit que cette intervention n'est que facultative et que la décision de recourir au placement sous surveillance électronique est prise à l'issue d'un débat contradictoire « au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de l'avocat. »
Indépendamment du caractère contradictoire de ces deux textes, on peut s'étonner que l'assistance d'un avocat soit imposée à un condamné qui ne le désire pas, alors même que le choix de recourir au placement sous surveillance électronique peut aussi bien émaner du procureur de la République ou du juge de l'application des peines lui-même.
Dans ce dernier cas, on ne cerne pas réellement l'utilité de la présence d'un conseil. C'est d'autant plus curieux que celle-ci demeure facultative quand il s'agit d'ordonner le retrait de la mesure, selon l'article 723-13, alinéa 2, du même code, décision autrement plus défavorable aux intérêts de la personne.
Pour conclure, madame la ministre, la grande réforme de la justice apparaît pour l'instant inachevée, à l'instar de certaines symphonies : la réforme constitutionnelle modifiant la composition du Conseil supérieur de la magistrature demeure en attente de Congrès ; le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale n'a pas encore abouti ; les projets de loi sur le fonctionnement du CSM et la responsabilité des magistrats sont reportés à plus tard.
Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quelles sont vos prochaines actions en faveur de la justice, et si les textes cités demeurent encore des priorités pour le Gouvernement ?
L'homme, quand bien même il aurait commis la chose la plus ignoble, mérite plus d'humanité. Pour avoir parcourir les prisons de France, je peux vous affirmer qu'on ne refait pas un homme social dans un cadre asocial. Il faut reconnaître à la prison son vrai rôle, qui est à la fois de protéger la société - notre société ! - et de dispenser un traitement éducatif qui doit permettre au détenu de se réinsérer dans la société, notre société. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, une fois encore, le Gouvernement a placé la justice au coeur de ses priorités budgétaires.
Avec 29 033 millions de francs pour 2001, les crédits du ministère de la justice enregistrent une progression de 3,1 % par rapport à l'exercice 2000. Cette progression est deux fois plus importante que celle du budget général de l'Etat.
Déjà important lors des trois précédents exercices, le nombre des créations d'emplois s'accroîtra encore en 2001. Les effectifs augmentent de 2,2 %, avec la création nette de 1 378 emplois.
Les autorisations de programme s'élèvent à 1 749 millions de francs, soit une progression de 11,3 % par rapport à 2000.
Le groupe socialiste se félicite, madame la ministre, de la continuité de l'effort du Gouvernement en faveur de la justice.
Ainsi, au terme de l'exercice 2001 et en seulement quatre ans, le ministère de la justice aura vu son budget croître de près de 4,2 milliards de francs, soit une augmentation de 16,8 %, ce qui lui permet d'occuper une place croissante dans le budget de l'Etat
Les progressions enregistrées pour 2001 profiteront plus particulièrement aux services judiciaires et aux juridictions administratives, ce qui témoigne du double souci du Gouvernement d'assurer l'application des réformes législatives adoptées ou en cours d'adoption et d'améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien.
La mise en oeuvre de la loi sur la présomption d'innocence suscite, depuis la rentrée, de l'inquiétude dans de nombreuses juridictions. En effet, cette loi de progrès et d'humanisme instaure un double degré de juridiction en matière criminelle, judiciarise la procédure d'application des peines, prévoit l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue et crée un juge des libertés et de la détention. Pour l'application de ces nouvelles tâches, cette loi nécessite l'affectation de nombreux fonctionnaires et de nombreux magistrats.
Le projet de budget prévoit que 237 emplois de magistrat et 135 emplois de greffier seront consacrés à cette réforme, auxquels il faut ajouter les 108 postes de magistrat et les 108 postes de greffier qui avaient d'ores et déjà été inscrits dans le budget de 1999 et dans celui de 2000. Ainsi, ce sont 588 emplois qu'il est prévu de consacrer à cette réforme.
A ces augmentations en personnel, il faut ajouter 350 millions de francs de crédits supplémentaires qui sont budgétés à cet effet pour 2001. Peu de réformes antérieures ont été aussi bien anticipées d'un point de vue budgétaire et ont mobilisé autant de moyens !
Pour autant, ces crédits peuvent, à certains égards, paraître modestes au regard des moyens très importants que la mise en oeuvre progressive de la nouvelle loi conduira à mobiliser.
Madame la ministre, prenant en compte le rapport de l'inspection des services judiciaires sur les conditions d'application de la réforme, vous estimez avoir suffisamment d'outils pour mettre en oeuvre, notamment, l'appel de la cour d'assises.
En revanche, vous vous accordez à penser, comme les magistrats et les fonctionnaires des greffes, qu'un pan de la réforme devra être différé dans son application. Vous avez annoncé, le 6 décembre dernier, que vous alliez devoir reporter de quelques mois le volet du texte concernant l'application des peines.
En effet, à partir du 1er janvier 2001, les mesures d'aménagement des peines devaient être prises après un débat contradictoire et être susceptibles d'appel, alors qu'il s'agit actuellement d'une décision administrative.
Nous appelions de nos voeux cette réforme depuis très longtemps. Or, les greffiers estiment qu'ils ne pourront pas, compte tenu des effectifs actuels, assurer le greffe des nouvelles juridictions d'application des peines qui siègeront en prison pour décider de l'aménagement des peines.
Je regrette, bien entendu, ce report et vous demande, madame la ministre, de bien vouloir nous exposer les mesures transitoires que vous entendez mettre en place en attendant la mise en oeuvre effective de la réforme.
Par ailleurs, pendant cette période, qu'en sera-t-il des libérations conditionnelles pour les longues peines ? Si vous deviez en garder la maîtrise pendant la période transitoire, je souhaiterais que vous usiez de ce pouvoir.
Si je regrette le report de cette partie de la réforme, je comprends toutefois les légitimes préoccupations des greffiers, rouage essentiel du fonctionnement de la justice. Ce sont eux qui ont les contacts les plus fréquents et les plus directs avec les justiciables. Je me félicite que vous ayez trouvé un accord avec cette profession grâce à votre écoute et à votre sens du dialogue social.
J'en viens à l'aide juridictionnelle. Créée, tout au moins dans sa version actuelle, en 1991, cette institution ne correspond plus aux besoins et à la diversification de la profession d'avocat, comme en témoigne le mouvement de grève de cette profession depuis quelques semaines.
L'aide juridictionnelle est un outil d'égalité devant la justice qu'il est essentiel de préserver et d'améliorer, et le souci de garantir à tous les citoyens l'accès à la justice suppose que soient octroyés aux avocats les moyens de défendre convenablement les justiciables les plus démunis, au risque, dans l'hypothèse inverse, d'aboutir à une justice à deux vitesses.
Je me réjouis que vous soyez favorable à une réforme en profondeur de ce système et que vous ayez mis en place un groupe de travail présidé par un éminent avocat, Paul Bouchet, qui devrait rendre ses conclusions avant l'été 2001, afin que le Parlement soit saisi d'une réforme à l'automne prochain. Toutefois, j'espère que vous parviendrez rapidement à un accord avec la profession d'avocat sur les mesures d'urgence qu'il est nécessaire de prendre dans l'immédiat.
Je note avec satisfaction que le budget dont nous discutons aujourd'hui prévoit, pour la première fois depuis 1991, la revalorisation des seuils, afin de combattre l'érosion des admissions constatée ces dernières années. Ainsi, pour 2001, une revalorisation supplémentaire s'ajoutera au système d'indexation annuelle, ce qui permettra une augmentation globale de 4,2 %. Les plafonds de ressources seront fixés à 5 175 francs par mois pour l'aide juridictionnelle totale, au lieu de 4 965 francs en 2000, et à 7 764 francs par mois pour l'aide juridictionnelle partielle, contre 7 440 francs en 2000. Le supplément pour charge de famille passe, quant à lui, de 565 à 588 francs par enfant. Cette mesure pourrait, en définitive, concerner 50 000 foyers et déboucher sur 15 000 dossiers supplémentaires en 2001.
Je voudrais également évoquer la revalorisation de la carrière des magistrats. Nous avons examiné, il y a quelques semaines, le projet de loi organique modifiant les règles applicables à la carrière des magistrats. Ce texte permet d'aligner la situation des magistrats de l'ordre judiciaire sur celle des membres des juridictions administratives et sur celle des magistrats des chambres régionales des comptes.
Cette réforme s'accompagnera d'une profonde modification de la structure budgétaire des emplois, augmentant ainsi significativement le nombre d'emplois d'avancement du premier grade et hors hiérarchie.
Dans les budgets pour 1999 et 2000, des provisions - respectivement de 18 millions et de 20 millions de francs - ont été votées en vue de la mise en oeuvre de cette réforme, qui devrait avoir un coût global de 177 millions de francs. Dans le projet de budget pour 2001, une nouvelle provision de 40 millions de francs est inscrite. Nous nous félicitons, bien sûr, de cette réforme, qui comporte d'indiscutables avancées.
Toutefois, à l'origine, votre prédécesseur avait inscrit cette revalorisation des carrières dans un projet de réforme plus global touchant tous les aspects du statut de la magistrature. L'avant-projet prévoyait de renforcer le régime de responsabilité des magistrats, en créant, notamment, une commission nationale d'examen des plaintes des justiciables. Il imposait également aux magistrats de nouvelles règles de mobilité, les obligeant à changer plus souvent de juridiction.
Nous regrettons que ce texte, qui était conditionné par l'adoption de la réforme constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature, n'ait pu nous être présenté dans sa globalité en raison de l'échec de cette révision constitutionnelle.
Je souhaite enfin, madame la ministre, que vous nous teniez informés de l'état d'avancement de la réforme de la carte judiciaire. Car, si la réforme de la carte judiciaire des tribunaux de commerce est en cours, une réforme de la carte judiciaire dans son ensemble est nécessaire.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est vrai !
M. François Marc. Le groupe socialiste, madame la ministre, votera avec enthousiasme votre budget. En effet, l'importance et la constance de l'effort budgétaire consenti ainsi que le choix des orientations politiques sont significatifs de la priorité que le Gouvernement accorde à la justice et justifient pleinement cet avis favorable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Permettez-moi d'abord, madame le garde des sceaux, de saluer votre courage, qui vous fait assumer devant nous un projet de budget que vous n'avez pas préparé, du fait du jeu de chaises musicales dû au départ de Mme Aubry et au souhait de Mme Guigou d'être en charge de l'emploi et de la solidarité.
La justice est le parent pauvre de la République ; aucun gouvernement n'a réellement eu l'ambition d'engager une vaste réforme de ce ministère, qui touche pourtant à une mission ô combien régalienne !
Dès lors, chacun doit peut-être modérer ses critiques pour constater que la situation d'aujourd'hui n'est que l'héritage des précédentes. Cependant, il est urgent de ne plus attendre.
Et c'est là que le bât blesse dans le projet de budget que nous examinons aujourd'hui, comme le démontrent quelques chiffres.
La France ne consacrera en 2001 que 1,69 % de son budget à la justice ; il aura fallu trente-cinq ans pour gagner 1 point de croissance sur ce chapitre ! Le constat, malheureusement est sans appel.
La présentation de l'évolution en augmentation de 3,31 % de ce même budget devient donc dérisoire, rapportée aux grandes masses : 3,31 % de pas grand-chose ne représenterons jamais qu'un semblant d'évolution !
Une fois encore, c'est la politique du coup par coup qui prévaut. Les magistrats se plaignent ? On jette quelques miettes. Les greffiers grondent ? On offre quelques postes. Les avocats sont dans la rue ? On envisage de débloquer quelques réserves, ce qui, au demeurant, ne satisfait pas la profession.
J'aurai l'occasion de revenir sur ce dernier point, tout à l'heure, lors de la défense d'un amendement. Sur le chapitre de l'aide juridictionnelle, il faut cependant souligner dès à présent que, lorsque l'Etat français alloue 100 francs d'aide juridictionnelle, le Royaume-Uni accorde, lui, 1 000 francs.
Les problèmes de la justice sont structurels. Or, à ces problèmes structurels, on donne des réponses conjoncturelles, ce qui explique le malaise.
On peut dresser un véritable inventaire à la Prévert des dysfonctionnements de notre justice. Je n'en citerai que trois.
Pour souligner, d'abord, le manque de locaux ou leur vétusté, je prendrai pour seul exemple le palais de justice de Saint-Etienne, que je vous invite à venir découvrir, madame le garde des sceaux. Il est indigne de la représentation que l'on peut avoir de la justice : exiguïté, mauvais entretien, fuites, incendies. C'est la sécurité même des personnels qui est en cause. Si j'ose m'exprimer ainsi, c'est le palais des courants d'airs !
J'évoquerai, ensuite, le manque de personnels. Nous n'avons pas de magistrats ! Je dirai, par parenthèse, que cela tombe plutôt bien puisque nous n'avons pas de locaux où les loger ! (Sourires.) Cependant, combien de temps avons-nous dû attendre pour qu'un magistrat soit remplacé au tribunal de grande instance de Montbrison ? Pendant ce temps, la délinquance continue, l'insécurité augmente, le service public n'est plus assuré. Il est alors facile de remettre en cause l'utilité de telle ou telle juridiction puisqu'elle n'a plus les moyens de statuer dans de bonnes conditions !
Enfin, je dirai un mot des délais de procédure. Combien d'arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la France faudra-t-il pour que nous sortions de ce cercle vicieux qui fait que la justice n'est pas rendue dans un délai raisonnable : ving-six mois pour un dossier de cassation, lequel intervient nécessairement après seize mois d'appel et parfois douze mois pour une première instance ? Comment pouvons-nous ne pas en rougir face à nos partenaires européens ?
L'engorgement des juridictions est tel qu'il faut d'urgence réfléchir au moyen de traiter un véritable fléau amputant les citoyens d'une de leurs prérogatives fondamentales.
Je n'ose pas évoquer la situation devant les juridictions administratives, tant le cas semble caricatural. Là encore, les chiffres sont criants : 1 281 000 dossiers en souffrance en 1995 ; 1 420 000 en 1999.
Je ne dis pas, madame le garde des sceaux, que vous êtes responsable de cet état de choses (Ah ! sur les travées socialistes) ; je dis que le budget qui va vous être alloué est manifestement insuffisant.
Lorsque vous proposez 40 millions de francs pour l'amélioration du fonctionnement de la justice quel sens garde cette somme quand on sait qu'elle sera essentiellement affectée à des frais de maintenance et à la construction, ô combien nécessaire, certes, de nouveaux locaux ? Qu'en est-il, dès lors, du fonctionnement quotidien ?
Je dirai un mot de la réforme de la carte judiciaire. Si je suis favorable au principe, je serai vigilant sur sa mise en oeuvre. Or, à ce jour, rien, aucune concertation, aucune mesure ! Où en est-on, madame le garde des sceaux ?
Par ailleurs, on ne peut qu'être étonné et mesurer le degré d'impréparation lorsque l'on observe que le Gouvernement a dû modifier, par amendement, à l'Assemblée nationale, son projet initial pour tenir compte de l'acuité des problèmes pénitentiaires. C'est une constante, dans ce projet de loi de finances pour 2001, puisqu'on l'a déjà observé le même phénomène, notamment sur l'aménagement du territoire.
La loi sur la présomption d'innocence est une bonne loi, et quand le Gouvernement rechigne à trouver les crédits pour financer des mesures prévues par un amendement parlementaire, il n'est pas très respectueux, me semble-t-il, de la représentation nationale.
Il faut faire des choix, et vous semblez les faire : l'urgence, pour vous, ce n'est pas la justice, c'est le financement des 35 heures, c'est l'augmentation du nombre de fonctionnaires.
Dès lors, le Gouvernement devient responsable de la situation et doit assumer les conséquences politiques de ses choix : la rupture des négociations par les barreaux démontre à l'évidence que les personnels de justice ne sont pas dupes.
La justice, madame le garde des sceaux, est aujourd'hui malade ; c'est un édifice qui se fissure de toute part, c'est un bateau qui prend l'eau.
L'attentisme n'est donc plus de mise, la focalisation de la politique gouvernementale sur la seule question de l'indépendance des magistrats ne répond pas à la gravité de la situation : qu'aurons-nous à gagner à avoir des magistrats indépendants qui seront des « SDF du droit », sans palais, sans greffiers et sans avocats pour défendre les citoyens ?
Mme Dinah Derycke. C'est un peu excessif !
M. Bernard Fournier. La dérive est dangereuse, ce budget n'est pas un bon budget, c'est un budget de demi-mesure, c'est un budget de continuité. Or la justice a besoin non pas de continuité, mais d'une réforme profonde. Nous l'attendons, madame le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, vous comprendrez que la commission des lois, qui est aussi chargée des questions constitutionnelles, puisse difficilement aborder ce débat sans dire un mot des accords importants qui viennent d'être conclus cette nuit à Nice.
C'est un lieu commun que de constater que ces accords comportent des avancées non négligeables en même temps qu'ils révèlent, il faut bien le dire, une paralysie s'agissant des questions les plus essentielles. Il faudra bien s'en accommoder, n'est-ce pas, monsieur le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ? (Sourires.)
Ce dont on ne saurait s'accommoder, en revanche, c'est de cet autre lieu commun selon lequel les nationalismes, les chauvinismes, les parlements nationaux, expliqueraient, et en quelque sorte justifieraient, par leur résistance, la médiocrité des résultats. On ne peut s'en accommoder, tout simplement parce que ce n'est pas vrai.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est exact !
M. Pierre Fauchon. Qu'il s'agisse de la plupart des consultations populaires ou de l'expérience de la convention interparlementaire qui a donné naissance à la charte, la preuve est faite que les peuples et leurs représentants directs sont très disposés à faire avancer l'Europe dans toutes les voies de l'avenir : défense, politique de sécurité, politique économique, en particulier alimentaire, politique sociale, politique judiciaire, politique culturelle.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon. La résistance ne vient pas des peuples, elle vient de leurs gouvernements, et plus encore des technocrates, farouchement attachés à des prérogatives dont ils n'imaginent pas pouvoir se priver. La vérité est que l'on n'ose pas consulter les peuples, par crainte d'être débordé et de voir balayer ce fatras de routine, d'idées reçues et de prétentions abusives qui font la trame quotidienne des « affaires européennes ».
Cette réflexion me fournit une assez bonne transition, me semble-t-il, pour aborder la question du budget, qui montre le même écart entre les préoccupations réelles des Français, qui mettent la justice au premier rang des priorités, et le choix de la technocratie gouvernementale, qui les sous-estime manifestement. Je m'exprime à dessein en termes généraux, afin de ne peiner personne en particulier...
A propos de ce budget, on ne doit pas se contenter de le comparer à celui de l'année passée pour enregistrer avec satisfaction un taux de croissance légèrement supérieur à celui de l'inflation, voire supérieur à celui des autres budgets, ce qui, en toute hypothèse, a peu de signification dès lors qu'il ne s'agit que d'un petit budget ; la vraie question est tout autre, comme l'a d'ailleurs précédemment rappelé Mme Borvo : elle est de savoir si ce budget est globalement à la mesure des besoins qu'il est supposé satisfaire.
A cet égard, que les moyens de la justice ne soient pas à la mesure de ses missions, ce n'est que trop évident, tous les intervenants l'ont dit ! La commission des lois l'affirme et le répète inlassablement depuis bien des années, plus particulièrement depuis ce rapport sur les moyens de la justice issu des travaux conduits par notre excellent collègue Charles Jolibois en 1994.
Depuis lors, en dépit du plan Méhaignerie, qui était particulièrement méritoire compte tenu du contexte économique et financier de l'époque, et des améliorations obtenues par votre prédécesseur, qui s'inscrivent elles aussi dans ce budget et sont en elles-mêmes remarquables, sans être aussi méritoires compte tenu d'une conjoncture bien meilleure, il faut tout de même le rappeler, la justice crie misère.
Elle crie misère dans ses prisons, ce dont on ne s'inquiétait guère voilà encore un an, entre nous soit dit ; elle crie misère par ses audiences interminables, qui ne sauraient conduire à de bonnes décisions - il faut bien dire que les malfaçons de décisions ont plutôt tendance à se multiplier, ce qui est quand même un problème ; elle crie misère de par la suppression progressive de la collégialité, considérée depuis toujours comme la meilleure protection contre l'arbitraire, le rapport du CSM de l'année dernière soulignant à plusieurs reprises ce repli et cette quasi-disparition, y compris à l'échelon de l'appel ; elle crie misère de par l'insuffisance des mesures de protection de la jeunesse, de par les délais de procédures - tous les délais de procédures, à tous les niveaux, délais sur lesquels nous sommes fort mal renseignés par des statistiques qu'il faut prendre avec beaucoup de prudence, parce qu'elles sont trop souvent artificielles.
Ce dernier point donne l'occasion de s'interroger sur des statistiques qui ne donnent que des moyennes englobant des données soit hétérogènes, par exemple quand elles mélangent des procédures courtes et des procédures plus longues - que vaut la moyenne d'un tel mélange ? - soit trop différentes pour que la notion de moyenne ait une réelle signification. En effet, la moyenne est intéressante quand elle correspond à des masses, mais quand elle masque de très grands écarts, elle nous renseigne très mal. Les statistiques de ce type sont en réalité assez trompeuses, à supposer même, madame la ministre - je le dis à voix moins haute, mais je connais à peu près les choses dont je parle ! - que la collecte des informations soit tout à fait correcte, ce qui n'est pas garanti, car il arrive aussi que l'on travaille pour la statistique...
Vous le voyez, madame la ministre, ce qui nous paraît être la grande plaie généralisée de la justice, ce n'est pas le problème de l'indépendance des juges, avec lequel on nous a trop longtemps amusés, c'est son manque de moyens, qui témoigne de la trop ancienne méconnaissance des pouvoirs publics à son égard. S'il en était besoin, une seule comparaison illustrerait mon propos, celle que l'on peut établir dans ce budget entre le coût global de la justice, soit 28 milliards de francs, et celui du financement des 35 heures, que notre collègue Bernard Fournier évoquait très justement tout à l'heure : je n'irai pas jusqu'à additionner les dépenses induites par la loi Robien et la loi relative à la réduction négociée du temps de travail pour aboutir à un coût total de 85 milliards de francs, mais le seul coût du passage aux 35 heures s'élève à quelque 38 milliards de francs. Par conséquent, 28 milliards de francs pour la justice, presque moitié plus pour les 35 heures : où sont les priorités du Gouvernement ?
Mme Dinah Derycke. C'est l'emploi !
M. Pierre Fauchon. Cela apparaît d'une manière éclatante et même insolente, et cette réalité est grosse de significations que l'on ose à peine énoncer à cette tribune.
A cette observation globale qui explique et justifie un vote de rejet, qu'il me soit permis d'ajouter deux réflexions brèves et complémentaires.
Ma première réflexion visera à écarter radicalement la critique selon laquelle la justice serait mieux à même de faire face à ses tâches si celles-ci n'avaient été alourdies par des mesures législatives, issues d'ailleurs souvent d'initiatives du Sénat, comme l'appel des cours d'assises. Ainsi, on voit le Gouvernement, et c'est d'ailleurs assez amusant, tantôt s'attribuer les mérites de telles réformes et tantôt les renier quand se pose le problème des moyens.
Il faut ici être très clair et situer les responsabilités de chacun : la définition de la loi relève, officiellement du moins, des compétences du Parlement, et la mise en oeuvre des voies et moyens relève de la responsabilité du Gouvernement. Que chacun fasse donc son travail et ne rejette pas sur l'autre les responsabilités !
Ajoutons d'ailleurs que nous aurions, je crois pouvoir le dire, envisagé de manière positive un certain échelonnement dans le temps de la mise en oeuvre des réformes que nous avions proposées l'année dernière. Mais, à l'époque, la chancellerie n'a formulé aucun souhait de cet ordre.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est vrai !
M. Pierre Fauchon. Elle a même fait preuve d'une singulière et, me semble-t-il, excessive confiance dans son organisation et ses prévisions. Alors, s'il vous plaît, madame la ministre, ne cherchez pas maintenant à vous défaire d'une responsabilité qui reste entièrement de caractère gouvernemental.
Ma seconde réflexion sera pour rappeler une fois de plus que la chancellerie dispose en réalité depuis des années d'un moyen immédiatement efficace et peu coûteux de renforcer les effectifs des juges, à savoir le recours aux magistrats à titre temporaire.
Madame la ministre, je doute que l'on vous ait expliqué quels services pourraient rendre les magistrats à titre temporaire. Accepteriez-vous d'organiser une réunion à cette fin ? Si vous m'invitiez, je me ferais naturellement un plaisir d'y participer.
C'est nous qui avons créé les assistants de justice et les magistrats à titre temporaire, dans un climat généralisé de scepticisme et après le refus opposé par l'Assemblée nationale. Tout le monde réclame maintenant des assistants de justice, y compris la Cour de cassation. Il en irait de même pour les magistrats à titre temporaire, si vous décidiez de recourir à leurs services.
En effet, ils seraient d'une grande utilité, sans perturber l'organisation générale de la magistrature puisque, par définition, il s'agit de personnes qui sont très avancées dans leur carrière et qui n'ont plus que cinq années à faire. Ils ne modifieraient donc pas substantiellement le déroulement de carrière des magistrats. Voilà une ressource qui pourrait être considérable, que les Britanniques utilisent très largement mais que nous, nous refusons, bien qu'elle ait été instaurée par la loi.
On retrouve ici, il faut bien le dire, le même phénomène que pour le bracelet électronique, et l'on se demande où est le vrai pouvoir judiciaire. En réalité, on s'en rend assez bien compte...
Cette dernière considération, qui rejoint d'ailleurs les propos de mon collègue et ami Jean-Jacques Hyest, montre que nous sommes face à un problème non pas seulement d'ordre financier, mais aussi d'adaption, d'imagination, d'innovation et, plus sommairement, de discipline, car, dès lors qu'une loi a été votée, il conviendrait de l'appliquer d'une manière un peu plus sérieuse.
C'est assez dire que la tâche est immense et, en un sens, décourageante ; c'est assez dire aussi, madame la ministre, que le message de refus budgétaire adressé par la commission des lois au Gouvernement s'accompagne, à votre égard, d'un message pressant d'espoir et de confiance dans votre volonté et dans votre capacité d'améliorer le cours des choses. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'évoquer les questions budgétaires relatives au ministère de la justice, je voudrais remercier les rapporteurs pour avis de la commission des lois, Mme Derycke, MM. Othily et Gélard, pour leurs travaux, ainsi que le rapporteur spécial de la commission des finances, M. Haenel, pour son rapport.
Comme cela a été souligné, l'actualité a mis le budget de la justice au centre de plusieurs débats. Je ne présenterai pas l'ensemble des crédits, car il en a été largement traité en commission ces jours derniers, mais je vous donnerai mon point de vue sur les discussions quelque peu désordonnées qui se tiennent sur ces sujets, que l'on doit aborder avec beaucoup de sang-froid et davantage de raison.
On entend aujourd'hui essentiellement trois reproches : le budget de la justice serait insuffisant pour faire face aux besoins de la réforme ; les postes ne seraient pas pourvus avant plusieurs années, car nous n'aurions pas anticipé les besoins ; enfin, la situation se dégraderait dans les juridictions, parce qu'il y a trop de textes à appliquer.
Je voudrais répondre à ces critiques dans l'ordre, pour en montrer peut-être la fragilité ou, tout au moins, les contradictions.
Tout d'abord, s'agissant du budget lui-même, je rappelle que nous avons très largement financé, en termes tant de crédits que de postes budgétaires, la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000. Dans le projet de budget pour 2001, est ainsi prévue la création de 237 emplois de magistrat et de 135 emplois de greffier pour faire suite à la réforme des assises et à l'instauration de la nouvelle procédure d'application des peines. Je rappelle que 108 postes de magistrat, s'agissant des juges des libertés et de la détention, et 108 postes de greffier avaient été inscrits en 1999 et en 2000, avant même que la loi ne soit votée. Au total, sur trois budgets, de 1999 à 2001, nous avons prévu la création de 345 emplois de magistrat et de 243 emplois de greffier, soit 588 emplois, pour assurer la mise en oeuvre de cette réforme.
Nous avons aussi inscrit 350 millions de francs de crédits supplémentaires pour permettre l'application de la loi, dont 73 millions de francs de crédits d'aide juridique pour l'assistance des prévenus devant les cours d'assises et le juge d'application des peines, 92 millions de francs pour l'intervention des avocats dès la première heure de garde à vue, 157 millions de francs de frais de justice, qui comprennent les indemnités journalières des jurés d'assises, l'indemnisation des personnes abusivement détenues et les enquêtes en faveur des victimes, et, enfin, 40 millions de francs pour le fonctionnement des juridictions.
Nous avons donc créé 588 emplois et débloqué 350 millions de francs de crédits : je ne crois pas qu'il y ait eu, par le passé, beaucoup de réformes qui aient mobilisé autant de moyens !
Je sais bien qu'une organisation professionnelle de magistrats a diffusé un chiffrage des besoins, repris par la presse, selon lequel il faudrait le double. Mais - vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs - ce chiffrage a été complètement démenti par le rapport de l'inspection générale.
Voyant que le budget est correct, nos détracteurs passent à d'autres critiques : les fonctionnaires n'arrivent pas sur le terrain car le ministère n'aurait pas anticipé les recrutements et les postes restent vacants.
Je relève, tout d'abord, la contradiction avec l'argument précédent : on nous reproche de ne pas créer assez de postes et, dans le même temps, on nous dit que, même à ce niveau insuffisant, nous ne sommes pas capables de les pourvoir. Comment feraient nos contradicteurs pour pourvoir 1 000 postes par an ? Ils ne répondent jamais à cette question.
Plus sérieurement, la question des recrutements et des arrivées sur le terrain est le vrai sujet qu'il nous faut examiner. On a parlé, à tort, d'un délai de trois ans pour pourvoir les postes. C'est inexact, parce que, chaque année, l'Ecole nationale de la magistrature « produit » une nouvelle promotion de magistrats.
L'effectif des promotions sortantes dépend des postes ouverts aux concours et les concours sont organisés à flux continu. L'accélération des recrutements a été engagée dès 1998, puisque le nombre d'auditeurs est passé de 140 à 185 par promotion. Dans le même temps, deux concours exceptionnels ont été organisés. Ainsi, 100 magistrats supplémentaires en 1999 et 100 en 2000 sont arrivés sur le terrain.
Au total, l'augmentation nette des effectifs de magistrats a été très importante depuis trois ans du fait de la faiblesse des départs en retraite. Les effectifs réels auront ainsi augmenté de plus de 606 magistrats entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2000 pour 422 postes créés.
Nous avons donc pourvu non seulement les conditions d'emplois budgétaires, mais aussi près de 200 postes laissés vacants par nos prédécesseurs.
En 2001, 230 magistrats supplémentaires seront recrutés alors qu'il y aura 50 départs à la retraite. La situation sera la même en 2002 et en 2003.
Comment peut-on, dans ces conditions, oser nous dire que les recrutements de magistrats n'ont pas été anticipé ?
A ceux qui parlent de l'héritage, je rappelle qu'avec 307 créations de postes de magistrats judiciaires, nous parviendrons, en 2001, à un niveau jamais atteint sous la Ve République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. En quatre ans, ce gouvernement, avec Mme Elisabeth Guigou, aura créé 729 postes de magistrats, soit autant, voire plus, que tous les autres ministères entre 1981 et 1997, avec 727 postes.
Tous ces postes seront pourvus, puisque il y aura, sur cette même période, près de 800 arrivées nettes sur le terrain : 1 000 recrutements contre 200 départs à la retraite.
Ces remarques ne valent pas pour les greffiers, comme je l'ai déjà dit. Il nous faudra quelques mois pour accueillir les nouvelles promotions de greffier. Mais, là encore, il faut rappeler quelques chiffres.
C'est ce gouvernement qui a accéléré les recrutements de greffiers dès 1998 : 134 en 1999, 269 cette année et 405 en 2001, ce chiffre étant porté à 500 en 2002. Je rappelle en revanche, que, en 1997, aucun concours de greffier n'avait été organisé par nos prédécesseurs et que 1998 a été une année blanche pour les arrivées de greffiers sur le terrain. Les 200 greffiers manquants auraient bien facilité les tâches des juridictions depuis trois ans et ils vont cruellement nous faire défaut au début de l'année prochaine.
Il était par ailleurs impossible, vous le savez bien, d'anticiper en 1999 des concours pour répondre à des besoins créés par des amendements votés en juin 2000 par le Parlement. Il s'agit au demeurant de bons amendements, d'amendements utiles, qui marquent un grand progrès.
Je réfute donc tous les tenants de discours outranciers les propos qui, après avoir salué des progrès depuis trois ans, voudraient aujourd'hui tout voir en noir.
Là encore, il faut éviter la polémique et les jugements à l'emporte-pièce et traiter avec pragmatisme et sérénité les problèmes de calendrier qui ont été identifiés.
Reste la dernière critique, qui est, à mes yeux, la plus étrange : la multiplication des réformes aurait entravé le fonctionnement des juridictions. Mais de quelle réformes parle-t-on ? Elles ne sont pas encore entrées en vigueur ! Comment auraient-elles pu dès lors peser sur le fonctionnement des juridictions et entraîner dès maintenant une surchage de travail ?
M. François Marc. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La vérité est bien différente ! L'encombrement des juridictions diminue chaque année. Sur les trois dernières années, nous constatons une baisse de 10 % des affaires civiles nouvelles devant les tribunaux de grande instance comme en appel, cette baisse n'étant pas compensée par une hausse de l'activité pénale, qui n'a été, heureusement, que de 2 % au cours de la même période. Ces chiffres figurent dans l'excellent rapport écrit de M. Haenel. A la page 36, M. le rapporteur indique notamment : « Pour la première fois depuis 1990, le niveau des affaires terminées s'est établi bien en dessous de celui des affaires nouvelles. Le stock d'affaires en cours a donc diminué de près de 10 000 par rapport à l'année précédente. » C'est une bonne nouvelle ! Et vous avez bien fait de la confirmer dans votre rapport, monsieur Haenel.
Certes, les juridictions avaient besoin de « souffler » après la terrible période 1992-1996, pendant laquelle le contentieux civil des cours d'appel avait augmenté de 20 %, celui des tribunaux de grande instance de 30%... sans que personne n'ait le souvenir de créations de postes, de recrutements massifs à cette époque.
Vous allez me rétorquer : « Ne faites pas d'autosatisfaction, madame la ministre. Si tout va si bien, pourquoi cette agitation, ces conflits sociaux, cette exaspération des acteurs de la justice, ces manifestations ? »
Je ne crois pas que tout aille bien. Le retard accumulé dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires à une bonne justice n'est pas encore comblé, c'est vrai. Il nous faudra encore bien d'autres budgets pour poursuivre le redressement engagé depuis trois ans. C'est un travail de longue haleine, qui, évidemment, n'est pas achevé mais dont il ne faut pas renier les premières étapes.
Les conflits actuels témoignent, à mes yeux, de nombreuses frustrations accumulées, qui ne demandaient qu'à s'exprimer. Le discours tenu depuis trois ans sur la priorité accordée à la justice est maintenant accepté et crédible. Il y a une vraie prise de conscience nationale de cette priorité, que ce soit pour les juridictions, les prisons ou la délinquance des mineurs. Vous savez comme moi que c'est lorsque les perspectives d'amélioration sont réelles que les revendications apparaissent le plus fortement.
Par ailleurs, j'observe que ces revendications sont contradictoires. Certains manifestent pour que la totalité de la loi du 15 juin 2000 soit appliquée immédiatement, d'autres pour que l'application de cette loi soit reportée d'un an, d'autres pour que la mise en oeuvre d'une partie de cette loi soit décalée. Et ceux-là ne sont pas d'accord entre eux sur ce qu'il faudrait décaler.
Certains encore, plus cohérents avec le discours sur les moyens, soulèvent le problème du juge d'application des peines, et d'autres s'attaquent au juge de la liberté et de la détention alors même que cette partie de la loi est celle qui a été le plus et le mieux anticipée.
Je crains que cette opposition ne soit essentiellement idéologique et qu'elle ne s'empare d'arguments budgétaires que par tactique. Si tous ces contradicteurs avaient le pouvoir de décision, ils seraient bien en peine de s'entendre sur la marche à suivre. Nous l'avons vécu au cours de débats récents !
S'agissant du problème de l'aide juridique, un mouvement de protestation des avocats a été engagé, qui porte principalement sur la revalorisation des tarifs de l'aide juridictionnelle mais qui traduit, au-delà, un vrai malaise de cette profession. Depuis la réforme de l'aide juridique de 1991, qui a été demandée et appliquée par Henri Nallet, le nombre des avocats est passé, en dix ans, de 24 000 à 36 000 ; la population, pendant ce temps, a augmenté de 3 %.
Je rappelle que ce sont les barreaux qui ont la responsabilité de la formation et de l'accès à la profession et qu'il n'existe pas de numerus clausus .
M. Christian Bonnet. Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Ces nouveaux arrivants n'ont pas trouvé tous leur place. Sous une appellation unique il existe, en fait, trois métiers : les avocats d'affaires, dont les revenus sont en très forte augmentation ; les avocats généralistes bien implantés, pour lesquels l'aide juridictionnelle représente une part minoritaire de l'activité ; les avocats du secteur aidé, souvent jeunes, dont l'aide juridictionnelle représente une part importante de la clientèle.
Ainsi, les principes de solidarité d'indemnisation des barreaux sur lesquels était fondé le système de 1991 ne correspondent plus à la réalité sociologique de la profession.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Tous les acteurs concernés estiment que le système de l'aide juridictionnelle doit être repensé pour tenir compte de ses évolutions réelles et, plus largement, du contexte général dans lequel s'inscrit la crise de la profession d'avocat.
C'est pourquoi j'ai annoncé, dès mon arrivée à la Chancellerie, une refonte du système afin de présenter un projet de loi au Parlement avant la fin de l'année 2001. Certains me disent que j'ai annoncé cette mesure trop vite, que c'était pour faire cesser la grève et que j'aurai dû attendre.
Je ne crois pas, quant à moi, à la tactique du suspens ! J'ai donc immédiatement mis en place un groupe de travail, présidé par Paul Bouchet, président d'ATD-Quartmonde, qui a pour mission de faire des propositions de réforme globale du système avant la fin du mois d'avril 2001. A partir du rapport qui me sera remis à ce moment-là, une large concertation s'engagera, qui devrait aboutir, au mois de juillet, à un projet de loi, puisqu'une partie de la réforme sera forcément d'ordre législatif.
En attendant, il faut prendre des mesures immédiates. Une négociation a été engagée et, après un rapprochement qui laissait présager un accord, les négociations ont dû être suspendues pour des raisons que j'analyse mal. Je souhaite que le dialogue reprenne sur des bases réalistes.
Je crois qu'un accord est possible, à condition qu'on ne cherche pas trop à régler tous les problèmes de la profession à travers des mesures transitoires qui n'ont pas vocation à se substituer à une réforme d'ensemble et qui ont surtout pour objet de permettre aux avocats qui ont le plus de difficultés de retrouver la sérénité et de permettre à certains barreaux - on cite toujours celui de Bobigny - retrouver un mode de fonctionnement non pas aisé, mais au moins facilité.
Je rappelle à ce sujet que le projet de budget pour 2001 prévoit 102 millions de francs de mesures nouvelles, dont 72 millions de francs consacrés à l'application de la loi sur la présomption d'innoncence et 30 millions de francs au relèvement des plafonds de ressources. Ceux-ci seront fortement réévalués, puisqu'ils sont en hausse de 4,2 % pour la première fois depuis dix ans.
Je reviendrai tout à l'heure sur les termes de la négociation puisque vous m'avez tous posé des questions très précises à ce sujet.
Concernant l'administration pénitentiaire, les créations d'emplois sont très importantes. C'est la direction qui reçoit le plus : 530 emplois.
J'insiste sur le fait que ces emplois participent tous à l'amélioration des conditions de travail dans les prisons, soit par le renforcement des organigrammes, soit par le renforcement des personnels d'insertion et de probation, qui permet aussi d'alléger les charges de travail en détention.
S'agissant des recrutements et de la formation, vous savez que M. le Premier ministre a inauguré, le 8 novembre dernier, à Agen, les nouveaux locaux de l'ENAP. Cette nouvelle école permettra de faire face aux recrutements massifs engagés depuis deux ans : 1 800 personnes seront formées cette année et plus de 2 000 le seront l'an prochain.
Vous avez eu raison de le dire, et j'y reviendrai : la formation est essentielle pour améliorer la vie pénitentiaire.
Dans le même temps, un grand programme de rénovation des établissements pénitentiaires a été annoncé pour répondre, d'une part, aux critiques des excellents rapports parlementaires sur l'état du parc immobilier et, d'autre part, aux exigences de la loi du 15 juin 2000. Le Premier ministre a tenu à annoncer lui-même son intention d'exécuter un vaste programme sur les six ans à venir.
Il a été dit tout à l'heure que les crédits n'étaient pas consommés. Je tiens à préciser ; comme je l'ai expliqué en commission des lois, qu'avant de lancer une opération comme le programme 4000, il faut, d'abord, bien étudier le dossier, ensuite, respecter la règle des marchés publics et, enfin, tenir compte des lenteurs des appels d'offres, et ce n'est qu'en fin d'exécution que l'on consomme les crédits inscrits dans le budget.
C'est la même chose dans toutes les collectivités territoriales, dont nous connaissons bien le fonctionnement.
Dans ce budget, avec l'accord de Mme le secrétaire d'Etat au budget, nous avons tenu à maintenir tous les crédits, ce qui est une bonne méthode pour réaliser les projets.
Face à ce constat réaliste, nous avons décidé de créer un établissement public administratif pour que le programme de 10 milliards de francs soit accompagné par un « outil » qui permette d'aller vite et, surtout, d'aller bien.
Cet établissement public sera composé non seulement d'un conseil d'administration, mais aussi d'un conseil d'orientation, qui permettra aux parlementaires de suivre le déroulement des opérations.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Il y aura donc de nouveaux espaces de travail, des parloirs dignes, des douches, des sanitaires. Tout ce que vous avez décrit devra disparaître, tant il est vrai qu'on ne pourra sérieusement parler de réinsertion et de resocialisation des détenus tant que leurs conditions matérielles de vie continueront d'aggraver cette désocialisation.
Monsieur Othily, j'ai bien aimé vos propos sur « l'homme social », sur les conditions sociales à l'intérieur de la prison.
Nous avons maintenant une feuille de route qui nous permettra, dans le cadre d'une baisse attendue et souhaitable, comme vous l'avez dit, de la population pénale, de remettre à plat la carte pénitentiaire et d'adapter le parc aux besoins de notre pays.
J'en arrive à la protection judiciaire de la jeunesse.
Le traitement de la délinquance des mineurs est l'une des priorités du Gouvernement. Le budget pour 2001 confirme le changement d'échelle dans les moyens mis au service de cette action.
D'abord, s'agissant des emplois, 380 postes vont, comme en 2000, être créés, contre 150 en 1999 et 100 en 1998. Dans le même temps, les crédits de fonctionnement du secteur public augmenteront de 8,5 % et ceux du secteur associatif habilité de 10,3 %.
Le rythme des ouvertures de centres s'est accéléré : trente centres de placement immédiat seront ouverts avant la fin de l'année - vingt-deux sont déjà en activité - et l'objectif de cinquante à la fin de 2001 est maintenu ; quarante-sept centres éducatifs renforcés seront en activité avant la fin de l'année, treize autres sont en cours d'instruction. L'objectif de cent à la fin de 2001 est également maintenu.
L'un des résultats les plus tangibles de cette politique est la meilleure prise en charge des mesures de réparations ordonnées par les juges. En 1998, il y en avait 7 500 ; en 1999, nous avons passé le cap des 10 000. Nous serons autour de 12 000 cette année. Depuis 1997, les mesures de réparations auront augmenté de 72 %.
Je ne reviendrai pas sur les crédits d'équipement. Si leur cycle d'utilisation est également de cinq ans, il ne faut pas toujours juger la politique menée à l'aune de ce cycle-là, car ils seront tous dépensés avant la fin du programme.
De plus, tout ne va pas mal, monsieur Haenel. Par exemple, pour la cour d'appel d'Orléans, qui s'est donné comme objectif la résorption des stocks, les délais ont baissé en trois ans, passant de dix-sept à treize mois.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. J'ai cité cet exemple dans mon rapport !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. C'était effectivement dans votre rapport !
Il existe de multiples exemples - figurant aussi dans votre rapport - de juridictions qui obtiennent des résultats ! Comme je le rappelais et comme vous l'avez noté, ce sont 10 000 affaires qui ont été déstockées !
Il ne faut pas confondre l'évaluation globale des besoins, qui a été faite dès le printemps 2000, et l'étude de la situation juridiction par juridiction, qui a été lancée dès le vote de la loi. D'aucuns disent que l'on a trop attendu pour engager cette étude, mais il était nécessaire de disposer du texte pour la mener à bien. Par ailleurs, dans la majorité des cas pour lesquels le nombre des créations de postes nécessaires était évident, nous avons anticipé. L'objet de la mission confiée à l'inspection et, en parallèle, au groupe de suivi, était d'examiner juridiction par juridiction où se situaient les besoins les plus importants. Le rapport de l'inspection a ainsi mis en exergue les difficultés les plus graves et permis de « flécher » les créations de poste indispensables.
J'en viens, en suivant l'ordre de vos interventions, à la carte judiciaire.
On ne peut pas procéder à une réforme du nombre des juridictions, comme le demandent ceux qui voient dans une telle réforme un gisement de productivité, et satisfaire dans le même temps ceux qui défendent la justice de proximité dans les zones les moins peuplées. J'ai eu à connaître de ce sujet dans un autre domaine : conceptuellement, on ne peut pas demander une révision drastique de la carte judiciaire tout en déposant partout des motions pour que cette même carte n'évolue pas !
C'est un vrai débat, un débat difficile, qu'il faut peut-être mener régionalement et non plus nationalement pour parvenir à une analyse claire, nette, précise - peut-être faudrait-il engager une étude parlementaire sur ce sujet - et établir un constat réaliste dans les régions. Ce constat permettrait des positionnements eux aussi réalistes ainsi que la sortie « par le haut » d'une situation qui crée trop de tensions dans les territoires.
Mme Borvo a dit après vous, monsieur Haenel, qu'il fallait être prudent vis-à-vis de ceux qui parlaient de productivisme dans la justice. Je crois en effet qu'il faut surtout travailler à la qualité et à l'égalité sur tout le territoire. Les propositions allant dans ce sens que nous vous soumettrons dans les prochains mois devraient être consensuelles, même si je sais par avance que certains ne les voteront pas.
Mme Olin a beaucoup insisté sur Pontoise. Cette ville n'est pas oubliée puisque le chantier est lancé et que l'ouverture des plis a eu lieu en octobre. Je vous rappelle toutefois que l'opération immobilière a été reportée par le précédent gouvernement et non par Mme Guigou - il faut rendre à César ce qui est à César ! - et qu'il en est de même s'agissant du gel des crédits pour Pontoise ! C'est au contraire Mme Guigou qui, en 1998, a levé le gel de 1997 et relancé l'opération. Certes, c'est long,...
Mme Nelly Olin. Quinze ans !
M. Philippe Marini. Un peu de dynamisme !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. ... mais utiliser 380 millions de francs à bon escient demande un travail sérieux.
Vous avez également, madame Olin, souligné les difficultés éprouvées dans le Val-d'Oise.
Il faut saluer le dynamisme de ce département, en particulier pour les maisons de justice et du droit, et la participation des collectivités territoriales, que je n'ai bien évidemment jamais niée.
Mais nous devons aussi prendre en compte les difficultés rencontrées par d'autres ! Je pense, par exemple, à Fleury-Mérogis et au problème de la proximité d'un établissement pénitentiaire.
Par conséquent, nous devons être extrêmement vigilants et tirer des conclusions par rapport non pas à notre propre territoire, celui où nous vivons, mais à l'ensemble des territoires.
M. Gélard m'a surprise en parlant de gel de crédits pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le budget de mon ministère ne fait l'objet d'aucun gel de crédits, et le dernier qui a été opéré par le Gouvernement a été levé en juillet 1997 dès l'arrivée de Mme Guigou au Gouvernement.
Quant à la protection des plus jeunes, que vous avez évoquée, vous étiez sûrement présent aux Assises 2000 de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse à Marseille. Ces trois jours de débat ont constitué un moment fort, un grand moment. Au cours de ces assises, nous avons beaucoup appris sur les différences entre le système français et les systèmes européens et non européens. Nous travaillerons plus au fond les questions difficiles qui ont été abordées à Marseille, comme le déplacement des jeunes après des infractions graves, et qui nécessitent de nombreuses analyses, et, avant d'envisager un deuxième colloque, nous tirerons de ce travail des propositions que vous aurez naturellement à connaître.
Vous avez tous ou presque parlé de misère. Mais il faut faire attention de ne pas noircir le tableau. Parlez de difficultés, pas de misère ! Nous avons à opérer un rattrapage de longue haleine, c'est vrai, mais réalisons-le sans catastrophisme !
Vous n'avez pas tenu compte de l'amélioration des délais dont j'ai parlé tout à l'heure.
Cela dit, je suis aussi d'accord, il faut savoir apprécier les moyennes, qui ne cachent pas de terribles et très durs constats partout. D'un endroit à l'autre - parfois à quelques kilomètres seulement de distance - le délai pour le même type d'affaire peut passer de huit mois à dix-sept mois ! C'est effectivement un vrai problème.
Pour chaque juridiction concernée, il nous faut comprendre pourquoi, à égalité de moyens, la différence entre les délais est si importante. Je mets bien évidemment de côté les territoires dont la population en très grande difficulté est importante, car les problèmes ne sont pas de même nature.
Une juste évaluation nous permettra de tirer les meilleurs enseignements de la situation. Le rapport de l'inspection fait état du travail remarquable qui est accompli par un certain nombre de chefs de cour et qui pourrait servir à d'autres pour améliorer les délais à égalité de moyens.
Monsieur Othily, s'agissant de la lutte contre la terrible recrudescence des crimes sexuels dont vous avez parlé, je voudrais ajouter deux éléments.
Le premier concerne la parole retrouvée, et c'est tant mieux ! En effet, pendant trop longtemps le nombre de ces affaires a été faible en raison du silence qui les entourait.
Le second est la décision récente d'une juridiction de condamner une personne pour des faits commis dans le cadre de ce que l'on appelle - l'expression est horrible - le « tourisme sexuel », cela en dehors de notre propre territoire. La France est fière de cette décision, qui constituera un grand moment de notre droit et aussi un formidable espoir.
En outre, les missions d'identification par empreintes génétiques dans le cadre des procédures judiciaires seront facilitées grâce au fichier national des empreintes génétiques, qui est maintenant prêt. Par circulaire en date du 10 octobre, il est demandé aux magistrats du parquet et aux juges d'instruction de faire effectuer, au fur et à mesure du déroulement des enquêtes, les prélèvements nécessaires à la constitution de ce fichier. C'est une avancée à la fois importante et délicate. Il a donc fallu du temps pour que le système soit efficace sans être pour autant attentatoire à la liberté. Un haut magistrat sera d'ailleurs nommé dans les prochains jours pour continuer à gérer ce dossier.
S'agissant des palais de justice, il n'est pas totalement faux de dire que certains prennent l'eau et que parfois on ne peut même pas y loger les juges ! Mais permettez-moi de rappeler que ceux de Lyon, de Caen, de Montpellier, de Nanterre, d'Aix, de Bordeaux, de Lille, de Melun, de Grasse, de Nice, de Rennes, d'Epinal et de Nantes - pour ne citer que les plus importants - sont terminés ! Il faut ajouter à cette liste ceux de Grenoble, d'Avignon, de Fort-de-France, de Toulouse, de Moulin, de Narbonne, de Thonon, de Roanne et de Douai, dont les chantiers sont aujourd'hui en cours. Certes, ce n'est jamais suffisant, mais c'est beaucoup et cela répond déjà aux besoins les plus criants.
Je ne parle pas, bien sûr, de Paris. Vous avez tous suivi ce dossier, et vous savez que, actuellement, le problème est de régler le foncier. Après, les choses iront assez vite et tous les greffiers de Paris auront un bureau. Je ne parle pas des magistrats, qui partagent le leur dans des conditions parfois difficiles.
S'agissant du taux des classements sans suite, évoqué par Mme Olin, je dirai qu'il est en baisse depuis deux ans, puisqu'il est passé de 35 % en 1998 à 32,5 % en 1999, cela grâce aux mesures alternatives qui ont fortement progressé de 13,7 % en 1998 à 16,9 % en 1999. L'augmentation de la réponse pénale s'accompagne d'une baisse des comparutions immédiates : 38 000 en 1996, 33 000 en 1999, soit une baisse de 13 % en trois ans.
Permettez-moi une parenthèse pour ne pas encourir la juste critique d'avoir informé les journalistes avant les parlementaires, même si, aujourd'hui, tout se fait dans l'urgence. J'ai dit devant le congrès du Syndicat de la magistrature, samedi, que nous devions faire une inspection précise des conditions dans lesquelles se déroulent les comparutions immédiates, car ce que l'on me décrit comme étant « de l'abattage » n'est satisfaisant ni pour les justiciables, ni pour les victimes - qui arrivent parfois à ces comparutions sans même savoir ce qu'elles doivent demander - ni pour les magistrats, ni pour les avocats. On peut très bien juger vite sans pour autant recourir à ces procédures. Nous allons donc, à partir d'un bilan précis et juste, voir ce qu'il convient de faire.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, je vais vous livrer l'état de la négociation. J'ai proposé de doubler, dès 2001, le barème de cette aide pour les audiences correctionnelles, pour les audiences de mineurs, pour les comparutions immédiates, pour le séjour des étrangers, pour les référés concernant les expulsions, et une augmentation de 50 % en deux exercices pour les prud'hommes, pour les divorces pour faute - l'autre jour, j'ai confondu ce taux de 50 % avec le doublement, ce dont je vous prie de m'excuser. Les avocats concernés vont donc bénéficier d'une augmentation oscillant entre 20 % et 25 %, ce qui est quand même significatif et permet de faire face à l'urgence, même si nous savons qu'avec la loi qui fera suite au rapport Bouchet le budget sera beaucoup plus important qu'il ne l'est aujourd'hui.
M. Hyest, qui s'est excusé par avance de devoir s'absenter pour représenter le président à Melun, m'a demandé, à juste raison, l'assouplissement des règles d'entrée en centre de détention pour les détenus qui attendent déjà depuis longtemps. Il est juste de sortir du cadre rigide du droit et d'offrir de meilleures conditions à ceux qui sont en détention provisoire. Nous en sommes d'accord et nous allons y travailler.
Il faut également construire des places supplémentaires, ce que le programme, tel qu'il a été mis sur les rails avec son EPA par la suite, va nous permettre de faire.
M. Bonnet m'a interrogé sur les assises. C'est la chambre criminelle de la cour de cassation qui désigne les assises pour l'appel : il n'y aura pas de répartition automatique. Certaines cours d'assises n'ont à examiner que 20, 30 ou 40 dossiers par an. Les appels seront d'une dizaine ou d'une douzaine par an. Toutes les juridictions de France ne sont pas les assises de Paris ou même de Rennes ! Le travail accompli de bonne façon par la Cour de cassation permettra de parvenir à un équilibre. Je n'ai pas de souci majeur sur ce dossier.
Monsieur Othily, monsieur Marc, vous avez justement rappelé que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et celle des liens entre la Chancellerie et le parquet n'ont pas été menées à leur terme. Mais ce n'est pas de la responsabilité du Gouvernement : c'est lié à l'ajournement du Congrès par le Président de la République. Bien entendu, ces réformes restent des priorités et seront engagées dès que le Congrès aura voté la réforme constitutionnelle. J'espère que le Sénat se joindra à nous pour demander que le Congrès soit réuni, parce que c'est une ardente nécessité.
M. François Marc. Absolument !
M. Philippe Marini. Ce n'est pas si évident !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. C'est mon opinion, monsieur Marini.
Un amendement avait d'ailleurs été déposé par le groupe communiste du Sénat sur le mode d'élection des magistrats appelés à siéger au Conseil supérieur. Je pense qu'il va être repris à l'Assemblée nationale. Il s'agit évidemment de savoir à quel texte une telle disposition peut se raccrocher.
Monsieur Marc, vous avez souligné l'importance de l'accord que nous avons obtenu avec les greffiers et les autres fonctionnaires judiciaires. Je tiens à souligner le courage dont ont fait preuve les responsables des syndicats de greffiers et de fonctionnaires judiciaires, parce qu'il n'était pas évident pour eux d'admettre un accord qui n'est en fait qu'un accord d'ouverture de négociation. La négociation va donc se poursuive pour que nous puissions aboutir à une véritable amélioration. Le projet de budget pour 2001 inclut d'ailleurs déjà une amélioration - certes mineure aux yeux des syndicats de greffiers et de fonctionnaires judiciaires - qui a été apportée à la suite d'une rectification.
En tout cas, les représentants des greffiers et des fonctionnaires ont manifesté un grand sens des responsabilités. Car ce sont eux qui ont mis le doigt sur la grande difficulté de créer ce fameux greffe de l'application des peines, ce qui explique l'impossibilité d'appliquer immédiatement l'intégralité des mesures prévues par la loi que le Parlement a votée en juin. Ce sont eux qui ont demandé le report.
Pour les détenus condamnés à des peines de moins de dix ans, il faudra donc attendre cinq ou six mois avant que l'évolution de la peine - éventuellement la mise en liberté provisoire - puisse faire l'objet d'un débat contradictoire. Tout dépendra évidemment de ce que décidera le Parlement.
En fait, il faudrait attendre la prochaine promotion de greffiers - ils seront 160 - qui interviendra dans les tout derniers jours d'avril. Ils ne seront nommés qu'en mai et on ne peut pas espérer qu'ils puissent véritablement se mettre au travail de façon efficace avant la fin du mois de mai ou le début du mois de juin.
Si l'on veut que les juges de l'application des peines, pour faire ce travail d'audience, soient secondés a minima par des greffiers et des secrétaires, il faut attendre l'arrivée de cette promotion. C'est, en tout cas, la suggestion que je fais au Parlement.
Une seconde promotion de 140 greffiers interviendra en septembre. A ce moment-là, nous atteindrons un niveau, sinon parfait, du moins acceptable.
Parallèlement, nous nous sommes engagés, auprès des greffiers, à poursuivre un mouvement concernant les fonctionnaires judiciaires. En effet, les greffiers nous expliquent que, manquant de personnel de secrétariat, ils sont obligés de prendre aussi en charge des tâches relevant de fonctionnaires judiciaires.
Il faut, à l'image de ce qui a été réalisé pour la magistrature, faire basculer des fonctionnaires de catégorie C vers des postes de catégorie B. Cependant, cela implique que les intéressés suivent une formation, et se retrouvent donc absents pendant un mois ou deux ; d'où une difficulté supplémentaire. Mais il faut savoir gérer ce type de difficultés si c'est le prix à payer pour avancer dans le bon sens.
S'agissant des détenus condamnés à des peines de plus de dix ans, la loi requiert que ce soit une juridiction régionale de l'application des peines qui traite leur cas. En effet, la simple présence de l'avocat, telle que nous la proposons pour les condamnés à des peines inférieures à dix ans, était insuffisante, à notre avis.
Autrefois, le dossier d'un détenu condamné à plus de dix ans de prison arrivait en quelque sorte « tout seul » devant la commission d'application des peines. Désormais, ce dossier sera défendu par un avocat, qui demandera une amélioration des conditions de détention ou, tout simplement, une réduction de la peine.
Les détenus que j'ai pu rencontrer ont fait valoir que leur premier souhait était de voir « quelqu'un » - sans préciser la nature de ce « quelqu'un » - soutenir leur dossier devant la commission. Eh bien, nous proposons que ce « quelqu'un », ce soit un avocat.
Dans ce budget, un crédit est prévu pour l'aide juridictionnelle. Ainsi, même les détenus dépourvus de moyens financiers pourront bénéficer d'un avocat pour défendre leur dossier devant la commission.
En l'occurrence, il ne s'agit pas d'une audience. C'est une sorte de procédure orale qui n'exige pas la présence d'un greffier. Ce sera déjà une grande amélioration, en attendant la promotion de nouveaux greffiers qui nous permettra d'appliquer la véritable juridictionnalisation de l'application des peines.
Je dirai à M. Fournier qu'il faut manier avec précaution la référence au modèle britannique. C'est un système qui n'est pas régulé, qui est coûteux puisque les honoraires sont libres pour les avocats et que tout le monde peut se faire « rembourser » la dépense, quels que soient ses revenus. Ce n'est donc certainement pas l'épure de ce que nous voulons. D'ailleurs, le système britannique va certainement être réformé dans le sens d'une meilleure prise en compte des personnes les plus exclues de l'accès au droit.
A n'en pas douter, la commission Bouchet proposera donc un système très différent de l'actuel système britannique, qui est tout à fait étranger à notre culture juridique, et j'espère qu'elle proposera un système avant tout équilibré.
Je souriais, tout à l'heure, en entendant un certain nombre d'arguments, me souvenant que l'opposition actuelle avait fait droit à une demande un peu comparable. Pour soutenir les petits commerçants, les petits artisans et les petites entreprises, on a créé un fonds alimenté par des prélèvements sur le chiffre d'affaires de la grande distribution. C'est un peu, ici, la même logique, sinon que l'aide juridique ne relève pas, de notre point de vue, d'une solidarité interne à la profession des avocats.
Monsieur Fauchon, je partage tout à fait votre appréciation sur la moyenne des délais, mais je n'insiste pas puisque j'ai déjà répondu sur ce point.
J'espère que le Sénat apportera sa contribution au débat sur la qualité et l'évaluation, qui seront les grands thèmes de travail de mon ministère au cours des prochains mois.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai essayé de répondre au mieux à vos questions. Je dois vous avouer que je suis toujours un peu surprise que l'on ne vote pas un budget en augmentation, mais je suis sûre que vous allez m'éclairer sur vos raisons. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la justice, et figurant aux état B et C.

ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 1 884 662 850 francs. »