SEANCE DU 8 DECEMBRE 2000


Sur ces crédits, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du projet de budget du ministère des finances nous offre l'occasion de revenir sur le très grave conflit social que ce ministère a connu en 1999 et en 2000.
Ces événements sont encore présents dans les esprits. Les leçons doivent en être tirées pour éviter le retour à des décisions hâtives et brutales, qui ne manqueraient pas de se produire à terme, si la réforme-modernisation était enterrée.
D'emblée, je dirai mon accord avec l'esprit général des analyses et des conclusions de l'excellent rapporteur spécial, notre collègue Bernard Angels.
Revenons un instant sur le passé.
La réforme Sautter était inacceptable, dans la procédure et dans le contenu. Elaborée à partir du rapport d'un haut fonctionnaire, tenant à l'écart le Parlement, qui a pourtant son mot à dire dès lors qu'il s'agit de la collecte de l'impôt, incapable de nouer un dialogue confiant avec les représentants des personnels, cette tentative technocratique fut conduite d'un bout à l'autre de façon maladroite. L'arrivée de M. Fabius a ramené le calme et évité une crise majeure. Nous lui en savons gré. M. Fabius, Mme Parly et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez en même temps confirmé la nécessité d'adapter les missions et les effectifs du ministère des finances aux réalités d'aujourd'hui : elles sont plus techniques avec l'internationalisation des entreprises ; elles sont plus européennes avec la monnaie unique et la progression de l'Union européenne.
Comme vous le savez, je mène un combat inlassable en faveur du service public en ces temps de libéralisme exacerbé et de privatisations de pans entiers de notre société. Mais je n'oublie pas que l'école des juristes du service public, à l'aube du XXe siècle, avait mis en avant la notion d'« adaptabilité » pour caractériser, entre autres, ce type d'intervention financée sur le budget de la nation et servie par des agents de l'Etat.
Oui, les personnels du ministère des finances ont le devoir, aujourd'hui, d'accompagner les réformes qui s'imposent et, d'ailleurs, ils acceptent de tenter ce pari.
Inversement, cette évolution ne peut se faire sans eux, encore moins contre eux. De plus, son cadre doit en être défini dans un dialogue incluant le Parlement.
Dès son installation à Bercy, M. Fabius a ouvert un certain nombre de sites expérimentaux, ce qui était de bonne méthode.
Le débat budgétaire est l'occasion pour nous, sénateurs, de connaître vos premières conclusions. Plus largement, il permet de préciser les grandes orientations de cette refondation du ministère, l'une des premières depuis l'action exemplaire de Joseph Caillaux, dans le cabinet Clemenceau. Ces deux noms, comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, évoquent beaucoup de choses dans cet hémicycle ! (M. le secrétaire d'Etat acquiesce.)
Pour ce qui me concerne, parmi ces orientations j'en distinguerai quatre : l'aménagement du territoire ; l'accessibilité de tout contribuable à un site unique et de proximité en matière d'assiette et de recouvrement ; le regroupement en une même entité de tous les services de recouvrement, y compris sans doute de l'URSSAF, et de tous les services annexes enfin, le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, celle des grandes fortunes et des grosses entreprises tout particulièrement. Je ne détaillerai pas ces orientations ; ce n'est pas le moment, même si, sur chacune, comme nombre de mes collègues, j'aurais bien des choses à dire.
Je soulignerai seulement deux points qui m'importent.
D'abord, si j'ai réagi durement contre la réforme Sautter, c'est parce que j'ai eu l'impression qu'elle consistait à éloigner l'administration fiscale des citoyens, sous prétexte de rationalisation. Je veux redire ici que le réseau des perceptions est un maillon essentiel du bon recouvrement de l'impôt et du bon fonctionnement de la nation.
En ces temps où le tissu social se défait, le receveur de nos villages et de nos villes moyennes ne se borne pas à percevoir l'argent public. Il participe à l'encadrement ; il incarne la norme. Il a, de surcroît, un rôle éminent à jouer comme conseil auprès des collectivités locales sans cesse guettées par les dérives en matière de marchés publics ou en proie au risque d'une judiciarisation de la vie publique. Traditionnellement, on appelle cela la mission d'aménagement du territoire, mais la formule me paraît bien restrictive.
Avec le bureau de poste, dont les fonctions doivent évoluer chaque fois que nécessaire vers des Maisons de services publics, avec l'école et la mairie, la perception ou l'hôtel des impôts, peu importe, doit être l'un des maillons de la puissance publique sur nos territoires.
Il faut, monsieur le secrétaire d'Etat, déplacer les agents de votre département ministériel vers la population et non l'inverse, et utiliser les nouvelles technologies pour faciliter le contact et les réponses au public au lieu d'en faire un instrument d'éloignement et d'anonymat. Telle doit être votre préoccupation et celle des organisations syndicales, dont je salue la représentativité dans le dialogue qui s'est noué autour de ce grand chantier.
Ma seconde remarque touche à la lutte contre la fraude fiscale.
Si votre département ministériel n'obtient pas des résultats encore plus éclatants dans ce domaine, si le citoyen à faible ou à moyen revenu a le sentiment que ceux qui spéculent en bourse, ceux qui détournent la loi pour éviter l'impôt, ceux qui blanchissent l'argent sale demeurent à l'abri ou impunis, alors il faut se faire du souci pour notre démocratie !
Je sais que M. Laurent Fabius, Mme Parly et vous-même en avez une conscience aiguë. Vous venez d'obtenir, d'ailleurs, un véritable succès dans la négociation sur l'harmonisation fiscale avec nos partenaires européens.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Delfau.
M. Gérard Delfau. Grâce à l'effort du gouvernement Jospin, nous touchons enfin au but.
Sachez que, sur tous ces sujets, vous avez notre soutien le plus total. En tout cas, dans l'immédiat, sur votre budget, vous pouvez compter sur le vote positif des sénateurs radicaux. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. M. Delfau rejoint les préoccupations qui ont déjà été exprimées ce matin par M. le rapporteur spécial. Il me donne l'occasion de revenir sur un sujet majeur, que j'ai abordé très rapidement tout à l'heure, à savoir la réforme du ministère.
Je tiens à vous redire ici combien j'ai apprécié le rapport de qualité que vous avez rédigé en 1999, monsieur le rapporteur spécial.
La conviction du Gouvernement, affirmée très clairement par M. Fabius lors du comité technique paritaire ministériel du 28 avril dernier, est que le service public doit placer l'usager au coeur de la réflexion et de l'action des pouvoirs publics.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. C'est une assurance de cohésion sociale. C'est un instrument privilégié de solidarité nationale. Ce rapport à l'usager doit donc être renforcé, clarifié et faire l'objet de l'attention de toute réforme.
C'est un choix politique, parce que l'Etat doit faire oeuvre de justice sociale et d'aménagement du territoire en répondant aux besoins de l'usager, aux besoins du citoyen et, plus particulièrement, de celui qui est le plus démuni ou en situation difficile.
Un service public de qualité favorise le développement économique, un développement équilibré, solidaire, durable de notre économie, et c'est évidemment dans ces termes que nous trouvons la clé de la lutte pour l'emploi.
Tel est l'objectif de la réforme-modernisation du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il s'agit d'une démarche qui concerne toutes les directions et qui s'appuie sur cinq principes : simplification, transparence, adaptation-formation aux nouvelles technologies, dialogue avec tous -, organisations syndicales, agents, usagers, élus locaux ou nationaux et, enfin, dernier principe - principe qu'il est sage de mettre en exergue de toute réforme -, expérimentation avant la généralisation et évaluation continue de l'application de la réforme elle-même.
Plusieurs chantiers ont été ouverts. J'ai évoqué ce matin les projets de l'interlocuteur fiscal unique avec la mise en place du compte fiscal unique du contribuable, qui est l'un des principaux axes de cette réforme.
D'autres projets portent sur l'interlocuteur économique des entreprises, dont on parle peu ; aussi, je souhaite m'y arrêter quelques instants.
Le ministère de l'économie et des finances, grâce à ses différentes compétences, offre un ensemble très complet d'informations et de services particulièrement utiles au développement des entreprises.
Afin de faciliter aux petites entreprises, voire aux très petites entreprises, l'accès à l'ensemble de ces données, il a été décidé de mettre en place un interlocuteur économique unique des entreprises, qu'on appellera désormais IEU.
L'objectif est, à terme, que l'entreprise puisse solliciter au sein des services territoriaux du ministère, un réseau d'interlocuteurs compétents, organisés de manière qu'un seul contact permette à l'entreprise d'obtenir l'ensemble des informations et conseils qu'elle attend.
Cette mise en réseau utilisera notamment les immenses possibilités ouvertes par les nouvelles technologies de l'information et de la communication - Internet, Intranet, téléprocédures - permettant de faire travailler ensemble des services à l'échelon local, sans modification des structures ni des champs de compétence.
Pour mieux cerner les attentes des entreprises et les modalités pratiques de fonctionnement de l'IEU, des expérimentations concrètes ont été lancées, avec un premier bilan prévu courant 2001. Cette expérience a été lancée dans les départements de la Meuse et du Doubs, ainsi que dans les régions Centre et Pays-de-la-Loire.
Avec ces chantiers, la réforme du ministère se trouve résolument relancée, sur la base de l'expérimentation, du dialogue, de la concertation et de l'évaluation.
Cette réforme du ministère est, ainsi que vous l'avez noté, monsieur Delfau, un volet essentiel de la réforme de l'Etat. Je vous suis très reconnaissant, ainsi qu'à M. Angels, d'avoir apporté votre soutien à notre démarche, qui est à la fois ambitieuse et pragmatique.
Vous avez, par ailleurs, appelé de vos voeux un renforcement de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales en soulignant le rôle important joué par la France - il y a quelques jours encore, M. Fabius est intervenu en ce sens au Conseil européen - dans l'effort d'harmonisation, au sein de l'Union européenne, de la fiscalité des valeurs mobilières, afin de faire cesser les pratiques moralement répréhensibles.
C'est effectivement la France qui tient le flambeau à cet égard, et je vous remercie de l'avoir souligné devant le Sénat.
J'espère d'ailleurs que ce grand axe, parmi d'autres, de l'action du Gouvernement au cours des prochaines années va connaître un nouvel élan à l'occasion du sommet de Nice en recueillant l'accord de l'ensemble de nos partenaires.
Les réformes dont vous avez justement relevé l'importance, monsieur le sénateur, témoignent en elles-mêmes de l'accent que met le Gouvernement, et que vous mettez certainement au Sénat, sur le caractère novateur de la démarche engagée au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, démarche exemplaire quant au nouveau rôle que doit assumer l'Etat dans ses rapports avec les agents économiques et avec le citoyen. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
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