SEANCE DU 2 DECEMBRE 2000


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'emploi et la solidarité : III. - Ville.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la ville pour 2001 est, une fois encore, annoncé en forte progression de 70 % par rapport au budget de l'année dernière. Mais il ne s'agit que de 3 milliards de francs sur les 40 milliards de francs annoncés.
Depuis déjà plusieurs années, le Gouvernement s'évertue à démontrer le caractère prioritaire de la politique de la ville. Il ne s'agit malheureusement, que d'une politique en trompe-l'oeil, d'un discours de façade qui tend à pallier les lacunes structurelles et budgétaires de cette politique.
Comment mettre en oeuvre une véritable politique de la ville lorsque les crédits strictement affectés à la ville ne représentent que la partie immergée de l'iceberg : 3 milliards de francs sur les 40 milliards de francs annoncés ? En effet, la principale caractéristique de la politique de la ville demeure l'interministérialité. Aussi est-ce là un bon moyen pour le Gouvernement de donner l'illusion d'une action forte en direction de nos banlieues alors que, en réalité, la complexité des structures administratives rend quasiment impossible la réalisation d'actions fortes en cette matière.
Par exemple, votre ministère a constaté que, dans certains territoires situés en contrat de ville, les crédits d'Etat étaient moindres que pour les territoires « de droit commun », l'apport de crédits spécifiques « ville » produisant un effet d'éviction à l'égard des autres ministères. Ce constat est tout simplement édifiant : à quoi sert-il de définir des périmètres spécifiques, d'engager des études préalables coûteuses et de multiplier les annonces si, sur le terrain, l'effet obtenu est contraire à celui qui est attendu ?
Enfin, la multiplication des procédures dites « contractuelles » conduit parfois les différents services de l'Etat à tenir des discours contradictoires aux maires et aux bailleurs sociaux.
On ne pourra concevoir une politique de la ville forte sans une concentration des moyens aux mains du ministère de la ville et une relation beaucoup plus étroite, au niveau déconcentré, entre le maire et le préfet. Ce sont les acteurs de terrain qui doivent définir les priorités au cas par cas et, pour ce faire, une plus grande souplesse est nécessaire.
Aujourd'hui, un constat s'impose : la complexité des structures chargées de mettre en oeuvre la politique de la ville tue la ville. Ce qui reposait sur une bonne approche du terrain, sur le secteur associatif et, au final, sur les élus locaux est désormais étouffé sous l'appareil administratif.
Il convient de faciliter l'utilisation des crédits, d'éviter les lourdeurs administratives et de permettre une meilleure évaluation des actions menées, car c'est peu de chose que de dire que celle-ci est lacunaire : il n'existe aucune évaluation qualitative des résultats obtenus par les différentes politiques.
Une telle situation vous a conduit à remettre en cause dans un premier temps le dispositif des zones franches urbaines, les ZFU, condamnant les « effets d'aubaine » et le coût de cette expérience. Or, devant la levée de boucliers des maires, toutes tendances politiques confondues, vous avez dû, monsieur le ministre, vous rendre à l'évidence : les zones franches, ça marche, et il faut prévoir de prolonger le dispositif au-delà de 2002. C'est pourquoi vous proposez une fusion des zones franches urbaines et des zones de redynamisation urbaine, proposition qu'il faut saluer comme un retour à la raison du Gouvernement.
Que faire alors pour définir une véritable politique de la ville qui soit efficace et qui atteigne des objectifs clairement définis ?
Trois objectifs nous paraissent prioritaires : le logement avant tout, la sécurité et la relance par l'économie.
En premier lieu, le logement : nous avons besoin d'un véritable « plan Marshall » à destination de nos banlieues, ce qui implique notamment un vrai programme de reconstruction-démolition. Lors de la discussion du budget de la ville à l'Assemblée nationale, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que « le tabou de la démolition était levé ». Alors, levons-le, mais pas avec les 10 000 logements prévus pour 2001 ! Prenons de vrais moyens et lançons des opérations de grande envergure.
Il faut construire de nouveaux logements sociaux. A cet égard, le Gouvernement a tenté de donner une réponse forte en imposant, dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, des sanctions pécuniaires pour les communes qui ne construiraient pas assez de logements sociaux.
Cette disposition ne constitue pas une réponse adaptée au problème du logement, et ce pour deux raisons.
Premièrement, les communes riches sont souvent confrontées à des problèmes fonciers importants et préféreront, de toute évidence, payer des pénalités plutôt que de construire des logements sociaux.
Deuxièmement, si ces communes construisent des logements, elles attireront les familles les plus solvables et renforceront ainsi la ségrégation sociale, ce qui va à l'encontre de l'objectif recherché.
Pour résoudre le problème du logement, le Gouvernement s'engage également dans un programme de renouvellement urbain dont le point fort est la mise en oeuvre de cinquante grands projets de ville, appelés à remplacer et à étendre le champ d'intervention des grands projets urbains.
Les moyens qui y sont affectés sont insuffisants. Ils restent modestes puisqu'ils représentent un taux de subvention moyen de 30 %, ce qui va contraindre les communes pauvres à se lancer dans une incertaine tournée des guichets ou à accroître la pression fiscale pour financer les dépenses nécessaires.
On le voit bien, la question du logement est au coeur de la politique de la ville. Elle va de pair avec un autre problème majeur : la question de la sécurité, qui fait l'objet de ma deuxième remarque. Le problème de la sécurité dans les quartiers est l'une des composantes essentielles de toute action en faveur de la politique de la ville : on ne peut « Refaire la ville », comme s'en prévaut le Gouvernement, sans assurer la sécurité dans les quartiers.
Que propose le Gouvernement sur ce point ? Les contrats locaux de sécurité ? Ils sont inefficaces. J'en veux pour preuve le fait qu'il est question de les relancer. Police et justice ne savent d'ailleurs plus quoi faire. En effet, à quoi cela sert-il d'arrêter les responsables de nuisances s'ils sont immédiatement remis en liberté ?
Nous sommes tous interpellés, monsieur le ministre, par le sort complaisant qui est réservé aux « sauvageons ». Tant qu'ils apparaîtront comme des modèles impunis, nos villes ne retrouveront pas la sérénité tant souhaitée.
Enfin - et c'est là le dernier point que je souhaite aborder pour la définition d'une véritable politique de la ville -, il me semble indispensable de donner une inflexion forte en direction de la relance par l'économie. Le Gouvernement a mis en place un fonds de revitalisation. L'intention est louable, mais les moyens ne sont pas, une fois encore, à la hauteur des enjeux. Ce nouveau fonds présentera cependant l'avantage de la souplesse, puisqu'il pourra aussi bien accorder des aides au fonctionnement que des aides à l'investissement pour les petites entreprises implantées dans les zones urbaines sensibles.
Je salue une bonne nouvelle, monsieur le ministre, à savoir la fin de la remise en cause des zones franches par le Gouvernement. Cette décision va dans le bon sens, puisqu'elle reconnaît l'utilité des expériences qui existent depuis quatre ans. On commence d'ailleurs à peine à évaluer les effets bénéfiques des zones franches urbaines. Il est donc souhaitable de pérenniser l'expérience pour qu'elle apporte la preuve de son efficacité.
J'ai pu constater, en visitant des zones franches, l'intérêt d'un tel dispositif permettant de refaire vivre des quartiers qui se transformaient en véritables friches commerciales, de donner du travail à des habitants des quartiers, et de créer une dynamique, à laquelle participent l'ensemble des acteurs concernés. Si des effets d'aubaine existent - et vous les avez d'ailleurs souvent dénoncés, monsieur le ministre - ils sont minimes et ne doivent pas porter préjudice à la grande majorité des acteurs qui ont accepté de relever ce défi courageux de s'implanter dans des zones difficiles. Je pense que cette relance par l'économie est indispensable ; c'est elle qui redonnera vie à nos quartiers et permettra aux jeunes qui, aujourd'hui, sont sans emploi, de retrouver une dignité par le travail.
Il est de loin préférable, monsieur le ministre, d'attirer des entreprises dans les quartiers, plutôt que de développer des dispositifs d'assistance. Mieux vaut quelques exonérations pour les entreprises qui proposeront des emplois aux jeunes plutôt que d'offrir à ces derniers, par exemple, des « adultes-relais ».
Vous le voyez, le projet de budget, tel qu'il nous est présenté, ne répond pas du tout aux problèmes qui se posent, même si un certain nombre d'avancées sont constatées. Que ce soit en matière de logement, de sécurité ou d'emplois réels pour les jeunes, nous constatons sur le terrain que votre politique de la ville, monsieur le ministre, ne marche pas.
Si vos déclarations, comme je le reconnais, sont souvent justes, le Gouvernement ne vous donne ni l'organisation ni les moyens pour réussir.
C'est pourquoi la commission des finances vous propose, mes chers collègues, de rejeter les crédits de la ville pour 2001. (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR.)
M. Roland Muzeau. Incroyable !
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le ministre, après l'exposé très complet de notre collègue Alain Joyandet, vous me permettrez d'évoquer les résultats obtenus dans les zones franches urbaines, puis quelques sujets de portée interministérielle, avant de vous rendre compte de la visite que j'ai effectuée dans la ZFU de Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne, autant de sujets qui me conduiront à vous poser cinq questions précises.
Le nombre d'emplois salariés bénéficiant de mesures d'exonération sociale dans les ZFU est passé de 42 635, en 1998, à plus de 50 000 en 1999, soit une croissance de 18 %. La proportion des salariés résidant en zone franche serait d'au moins 20 %, ce qui répond à l'obligation fixée par le législateur en 1996.
Cependant, la question du devenir des zones franches urbaines est désormais posée. Tous les comités d'orientation et de surveillance consultés sur l'avenir de ces zones ont souligné le risque que représenterait une interruption brutale des régimes dérogatoires d'exonérations et ont proposé un dispositif de transition avant le retour au droit commun.
Le Gouvernement semble avoir la sagesse de conserver le dispositif actuel ; il faut qu'il trouve le courage d'en exploiter toutes les possibilités.
Il y a d'autant plus intérêt à suivre cette direction que les chiffres que vient de nous transmettre l'association des villes ayant des zones franches urbaines montrent que celles-ci sont un réel succès.
Le nombre des entreprises a progressé dans une fourchette allant de 1,4 à 2,8, tandis que le nombre d'emplois a crû dans une proportion qui varie entre 1,6 et 3 par rapport à la situation initiale. Quant aux transferts d'entreprises, le cabinet Ernst et Young, qui a réalisé cette étude pour l'association des villes ayant des zones franches urbaines, estime que « les entreprises issues d'un transfert sont généralement plus importantes en effectifs, plus assurées sur leur marché et prêtes à investir plus durablement que les créations ». Voilà pour le commentaire !
On constate d'ailleurs que, bien souvent, les emplois créés sont non pas des emplois précaires mais des emplois à temps plein, occupés par des personnes peu qualifiées au départ.
J'ajoute que, selon le cabinet d'audit précité, « aucun dispositif d'aide ne semble aussi attractif que celui des ZFU », car il constitue « une aide globale sur longue période », alors même qu'il est nettement moins coûteux par emploi : l'exonération d'un emploi salarié sur un an n'est-elle pas de 49 000 francs pour un contrat initiative-emploi et de 37 000 pour un salaire supérieur au SMIC en zone franche urbaine ? J'en arrive, monsieur le ministre, à ma question : qu'envisagez-vous très clairement de faire, à l'issue de la période de cinq ans, pour les zones franches urbaines ? Nous attendons votre réponse.
M. Roland Muzeau. Il faut en sortir !
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. J'en viens aux sujets « transversaux », sujets essentiels, comme l'est celui de la violence.
Je centrerai mon propos sur le thème de la sécurité, qui est le préalable de toute politique de la ville, si ambitieuse soit-elle.
J'insisterai, en premier lieu, sur la nécessité de lutter contre la délinquance des mineurs. J'aimerais avoir la confirmation que l'exécutif est toujours soucieux de ramener dans le droit chemin ceux que l'un de ses ministres qualifiait, voilà trois ans, de « sauvageons » et qu'Alain Joyandet vient également d'évoquer.
J'observe, au demeurant, que nous sommes confrontés à une évolution des formes de violence de rue : les délinquants sont de plus en plus jeunes ; les agressions de molossoïdes se multiplient et, aujourd'hui, dans la région parisienne celles des singes magots, qui semblent remplacer les molossoïdes.
Monsieur le ministre, ma question est la suivante : pour lutter contre la délinquance juvénile, combien d'unités d'encadrement renforcé le Gouvernement envisage-t-il de créer dans les mois à venir ? Voilà une question précise qui attend une réponse précise !
Je souhaite, enfin, vous présenter les observations faites sur le terrain lors de ma visite à Montereau-Fault-Yonne, cité dont l'origine remonte à la Condate gallo-romaine, et qui n'aurait jamais eu à connaître de la « politique de la ville » si, à la fin des années cinquante, l'Etat n'avait décidé, notamment au travers de ses grands services, d'y construire de grands ensembles, puis de les abandonner, sans y adjoindre les éléments du développement économique.
Le premier problème rencontré est celui du logement. Le parc de logements du quartier de Surville, qui représente près des deux tiers de la population de la ville, ne répond manifestement pas aux attentes des habitants. On dénombre 400 logements vacants. Le taux de vacance au rez-de-chaussée est, dans la plupart des immeubles, de 50 %.
Afin d'améliorer le parc existant, l'office d'HLM local a fait poser, entre 1997 et 1999, pour améliorer la qualité de la vie, 1 400 portes blindées. Voilà un élément positif de la politique de la ville !
Il serait souhaitable, comme le recommande le maire, Yves Jego, de faciliter l'installation de propriétaires privés, de favoriser, ce faisant, la mixité sociale, donc la diversité, dans ce quartier où 90 % des logements locatifs sont collectifs. La présence d'une population de propriétaires serait de nature à rééquilibrer la sociologie du quartier. Comme le disait le maire : « Quand l'ascenseur social fonctionne, ceux qui le prennent quittent le quartier ». Ils s'en vont dans la basse ville ou dans les villages alentour.
C'est cette tendance qu'il faut inverser, en engageant de grandes opérations de démolition-reconstruction, et notamment en reconstruisant autour d'habitats individuels diversifiés, comme le disait Alain Joyandet.
D'où ma question, monsieur le ministre : à partir de l'exemple de Montereau-Fault-Yonne, envisagez-vous, au plan national, d'accélérer le programme de démolition-reconstruction ?
Le quartier de Surville souffre d'un déficit d'image. Selon l'un de mes interlocuteurs, un cambriolage qui serait appelé « fait divers » à Fontainebleau ou à Melun devient un « fait de société » à Surville. Ce phénomène d'ostracisme occasionne de graves dommages et occulte le succès de certains jeunes, à l'instar de ces deux élèves de Surville dont l'une est devenue, il y a quelques mois, docteur en mathématique et en informatique et l'autre pilote de ligne. Personne n'en parle ! Lorsque l'on est jeune en banlieue, on n'est pas forcément un voyou !
Voilà qui me conduit, monsieur le ministre, à vous poser ma quatrième question : envisagez-vous d'encourager les médias à respecter davantage la déontologie lorsqu'ils abordent le sujet de la ville ?
Vous me permettrez, à cet égard, de faire référence à l'amende requise par le parquet, le 15 novembre dernier, contre les éditions Hachette-Filipacchi pour la parution dans le magazine Entrevue d'un reportage où l'on voyait de « faux jeunes » balancer un frigo sur de faux policiers, et dont le titre était : « Banlieues, la chasse aux flics est ouverte ».
Un reportage « bidonné », des interview bidonnées avec des réponses bidonnées, tout cela, naturellement, détruit le travail de reconstruction qu'accomplissent les municipalités, les animateurs, les éducateurs. On ne peut donc pas rester sans réponse, sur le plan de la déontologie, face à de tels agissements.
Oui, les problèmes rencontrés sont très lourds à gérer pour une ville moyenne de 17 600 habitants, dont 12 000 dans le seul quartier de Surville ! Les réponses des services municipaux ne peuvent être calibrées à la dimension des problèmes que pose ce grand ensemble, d'autant que Montereau ne bénéficie d'aucun avantage par rapport aux autre villes ayant des ZFU. Ainsi, la commune ne peut pas recruter un administrateur territorial, dont le barème de rémunération est exclusivement fonction du classement démographique.
D'où ma cinquième et dernière question, monsieur le ministre : eu égard à la complexité des procédures et à la nécessité de disposer d'équipes stables dans leur composition, ne conviendrait-il pas d'instituer un « surclassement démographique » au bénéfice de ces communes de taille moyenne qui ont besoin d'une politique de la ville ?
Le renouvellement urbain, nous l'avons évoqué ; il ne suffira pas, dans ce quartier, de démolir 270 logements. La ZFU Montereau, c'est aussi soixante et une entreprises supplémentaires, correspondant à 230 emplois nouveaux, c'est le transfert de quinze entreprises employant soixante-quinze salariés.
Donc, pour ce qui est des ZFU, le pacte de relance pour la ville, cela marche, et je sais que Nelly Olin, qui conduit sa commune avec le courage et la volonté que l'on sait, en est également persuadée.
Mme Nelly Olin. Merci, mon cher collègue !
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Alors, parce que la politique de la ville doit aussi être transversale, au regard de nos choix, la commission des affaires économiques s'en est remise à la sagesse du Sénat quant à l'adoption des crédits de la ville incrits dans le projet de loi de finances pour 2001. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union cntriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Blanc, rapporteur pour avis.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Le troisième projet de budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, affiche une hausse spectaculaire de 70 %. Il est vrai qu'il enregistre en partie l'effet des nouvelles mesures pour la ville décidées à la fin de 1999 et qui n'avaient donc pu être entièrement transcrites dans le budget pour 2000.
Vous vous souvenez que, l'année dernière, à la même époque, nous regrettions de devoir nous prononcer sans connaître le mesures qui allaient être annoncées lors du comité interministériel des villes, CIV, du 14 décembre 1999. Le Premier ministre a donc annoncé son programme « pour des villes renouvelées et solidaires », nous permettant, enfin, de connaître la ligne d'action du Gouvernement que nous attendions impatiemment depuis 1997.
Monsieur le ministre, la commission des affaires sociales a reconnu que votre projet de budget pour 2001 présentait des aspects positifs, mais, en même temps, elle s'est montrée très réservée sur certains des nouveaux instruments de la politique de la ville.
Parmi les éléments de satisfaction, le fonds interministériel pour la ville, le FIV, qui avait été mis en place en 1995 pour simplifier les procédures interministérielles, atteindra près d'un milliard de francs en 2001. Le seul regret est que les services déconcentrés sur le terrain aient du mal à gérer les délégations de crédit dans un esprit de simplification et de rapidité.
Par ailleurs, ce budget amorce plus clairement le financement des cinquante grands projets de ville, qui amplifient et prolongent les grands projets urbains lancés par Mme Simone Veil en 1993. Ces projets auront des résultats si la démarche ambitieuse qui est proposée est effectivement appliquée.
Enfin, l'augmentation des dépenses de fonctionnement du ministère en 2001 n'est plus consacrée au développement pléthorique des dépenses de communication, que nous avions un peu regretté l'année dernière, elle est utilement orientée vers le renforcement des moyens d'information et de conseil aux chômeurs des quartiers difficiles à travers la mise en place des équipes emploi-formation.
J'apporterai toutefois deux nuances.
La commission a regretté la stagnation, déjà constatée l'année dernière, des moyens consacrés aux opérations « ville-vie-vacances » ; les collectivités territoriales assurant l'accueil des jeunes sont très sollicitées, et elles ne doivent pas être considérées comme une variable d'ajustement.
La commission a également regretté l'absence d'un véritable redéploiement des dépenses de communication du ministère, car elle n'est toujours pas convaincue des résultats.
Mais c'est sur la nouvelle politique proposée en matière de revitalisation sociale et économique que la commission se déclare la plus réservée.
Le bilan du pacte de relance pour la ville de 1996, voulu par MM. Alain Juppé, Jean-Claude Gaudin et Eric Raoult, montre, dans les zones franches urbaines, non seulement que l'hémorragie d'emplois des année quatre-vingt a été jugulée, mais aussi que 40 000 embauches peuvent être réalisées dans des zones réputées sinistrées, comme vient de le dire Gérard Larcher.
Pourtant, le Gouvernement maintient son option d'une sortie progressive du dispositif à compter de 2002, tout en prenant son temps pour informer les entreprises de leur avenir. Tout à l'heure, j'ai entendu dire, à gauche, qu'il fallait en sortir. Je ne crois pas que ce soit la solution !
Les réticences du Gouvernement à l'égard des zones franches urbaines sont excessives, d'autant que l'on peut douter de l'efficacité des alternatives proposées.
S'agissant de l'emploi, le dispositif des adultes relais, largement inspiré des emplois-jeunes, est, en fait, un instrument classique et coûteux de lutte contre le chômage par la création d'emplois parapublics non marchands, qui n'apporteront pas de garantie de réinsertion durable pour les intéressés.
L'autre inconvénient de ces emplois réservés, qui représentent tout de même, au total, 2,8 milliards de francs de dépenses, c'est de laisser penser aux habitants des banlieues difficiles qu'ils sont à part. Comme l'écrit un éditorialiste dans un grand journal du soir peu suspect de sympathie envers la majorité sénatoriale : « La multiplication des médiateurs, des personnes relais ne fait qu'exacerber l'impression de constituer une population à part, à laquelle on ne peut plus s'adresser que par des intermédiaires, comme des Indiens dans leur réserve. »
Concernant le développement économique, le fonds de revitalisation économique met certes en place des moyens nouveaux, mais la commission des affaires sociales est perplexe sur l'efficacité de ce dispositif, qui obéit à une logique dépassée d'économie administrée à l'aide de subventions et qui n'échappera pas au risque de saupoudrage des moyens.
Pour avoir un effet tangible, ce fonds devrait être calculé moins chichement, ce qui ne permettrait pas pour autant de lui assurer la même efficacité qu'un mécanisme d'exonérations fiscales et sociales.
Enfin, monsieur le ministre, vous me permettrez de revenir sur le problème de l'insécurité, que vient d'évoquer mon collègue Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, j'ai été à la fois choqué - je dis bien choqué - et abasourdi à la lecture d'un article paru dans un hebdomadaire hier soir concernant les viols collectifs dans les cités. On ne peut que condamner des actes aussi révoltants.
Je souhaiterais qu'en matière de sécurité des actions vraiment fortes soient engagées pour éviter que de tels actes puissent se produire. La lecture de cet article m'a conforté dans mon opinion et dans l'avis que je dois vous présenter : la commission des affaires sociales est défavorable à l'adoption du projet de budget de la ville pour 2001 transmis par l'Assemblée nationale. Tant que vous n'apporterez pas une réponse à de tels actes, la commission des affaires sociales ne pourra qu'être opposée à ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour vingt-cinq minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Devant l'étendue des problèmes accumulés et exacerbés dans nombre de quartiers, de villes, de zones urbaines, on ne peut que se féliciter de voir, pour la troisième année consécutive, le budget du ministère de la ville en augmentation. Celui-ci passe de 1,4 milliard de francs à 2,4 milliards de francs, soit 70 % de progression d'un exercice à l'autre.
C'est d'autant plus positif que ces crédits s'inscrivent dans un effort de revalorisation des moyens publics dévolus à la politique de la ville qui atteint les 40 milliards de francs en moyens d'engagement, traduisant ainsi une progression de 65 % en trois ans.
Face à ces chiffres, le vote de rejet annoncé par la droite est surréaliste ! Il n'est motivé que par une attitude politicienne et idéologique.
Ce budget traduit la volonté politique du Gouvernement et des années d'initiatives multiformes des élus, toutes tendances politiques confondues d'ailleurs, pour qu'existe enfin une politique de la ville impliquant les partenaires locaux une politique qui ne se contente pas de mettre en place des soins palliatifs pour « empêcher le pire », mais qui commence à aborder le curatif.
Les situations sont si inégales dans notre pays que le ministère de la ville ne peut à lui seul tout régler. Il convient plus que jamais que l'action interministérielle se développe et que tous les efforts soient concentrés dans ces lieux de « mal vie ».
L'adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains constitue un bel exemple en la matière, et il est regrettable que la majorité sénatoriale l'ait si fortement combattue et la combatte encore si fortement.
Des ressources nouvelles doivent être dégagées et réparties en fonction du potentiel fiscal de la commune, du niveau social des populations.
Je souhaite toutefois vous alerter, monsieur le ministre, sur les blocages rencontrés par les collectivités locales.
Les collectivités locales sont parties prenantes d'une politique contractuelle volontariste qui s'attaque aux causes des maux urbains, mais il faut que l'Etat fasse encore plus là où les communes ou les coopérations intercommunales sont dans l'incapacité de monter financièrement les projets dont elles ont pourtant le plus grand besoin. Et je doute que les 13 millions de francs d'aides aux communes les plus pauvres engagées dans les grands projets de ville soient suffisants. Pour nombre d'entre elles, financer 20 % ou 30 % des projets est hors de portée, même en passant par l'emprunt.
Dans ces conditions, comment rattraper les retards accumulés ? Cela s'avère d'autant plus difficile que le retour de la croissance alimente un sentiment où se mêlent l'espoir et la frustration. En effet, si le chômage a tendance à diminuer dans ces quartiers aussi, l'écart existant entre le taux de chômage qui y est enregistré et celui du reste de la commune, du département ou de la nation ne se réduit pas. Cela suscite beaucoup de colère, d'amertume et de rancoeur, et donc de multiples tensions.
La couleur de peau et l'adresse qui figurent sur leur curriculum vitae sont autant d'éléments de discrimination qui, ajoutés au manque de formation, continuent à peser très lourdement au moment de l'embauche. Il faut donc résolument s'attaquer à l'apartheid social et spatial, à l'existence de territoires de non-droits, ces territoires où le droit à la réussite scolaire, le droit à un véritable emploi, le droit aux services publics, le droit à la sécurité sont trop souvent bafoués.
Le risque patent que la croissance s'arrête aux portes des quartiers populaires, avec tous les effets catastrophiques que nous connaissons ensuite, mérite que cette question soit prise à bras-le-corps.
Il est très regrettable à cet égard que les moyens prévus pour l'emploi dans le projet de budget soient en diminution de 1,9 %.
En ce qui concerne la politique contractuelle, les choses vont dans le bon sens, mais les élus se plaignent toujours de la complexité des procédures. Il faut aller plus loin dans la simplification des circuits et des procédures d'agrément des dossiers.
Par ailleurs, l'Etat et les services publics doivent montrer toujours plus l'exemple. Mais interrogeons-nous : tout est-il fait, vraiment fait pour assurer l'égalité de traitement en matière d'établissements scolaires, de présence de guichets postaux, de centres de sécurité sociale et de la CAF, d'antennes de police ? Poser la question, c'est y répondre !
Au sujet de l'éducation nationale, il est insupportable qu'à chaque rentrée scolaire le même constat soit fait : les nouveaux enseignants sont très majoritairement des débutants sortants des IUFM avec, pour corollaire, une absence totale d'expérience pour exercer leur métier dans des classes parmi les plus délicates. Quand cette situation changera-t-elle ?
Enfin, s'il faut admettre que des efforts de simplification des circuits de financement de la politique de la ville ont été entrepris, il reste que les acteurs de terrain, en particulier les associations où les bénévoles assurent un travail souvent exemplaire, ne disposent toujours pas de leurs crédits avant de très longs mois et sont contraintes de déposer de nouveaux dossiers chaque année, sans avoir la garantie qu'ils seront acceptés. Vive la programmation pluriannuelle ! disiez-vous, monsieur le ministre. Qu'elle devienne la règle !
Pourquoi, monsieur le ministre, l'expérience menée à Paris par la Caisse des dépôts et consignations depuis deux ans et permettant d'assurer un fonds de roulement au bénéfice des associations n'est-elle pas généralisée en 2001 dans tous les sites ?
Reconnaissons vraiment le travail des associations et leur statut de partenaires à part entière.
En conséquence, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce bon budget en espérant que ses remarques seront prises en compte et que le dialogue avec les collectivités locales s'amplifiera.
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Je suis très heureuse, au nom du groupe socialiste, de défendre le budget de la ville qui est, une fois encore, un excellent budget. Depuis votre entrée en fonction, monsieur le ministre, le Gouvernement a entrepris une importante revalorisation des crédits destinés à la politique de la ville. Elle s'est traduite par une augmentation de 32 % en 1999 et de 10 % en 2000, elle sera de 8 % pour 2001. En tenant compte des nouvelles mesures concernant le renouvellement urbain et l'emploi, les crédits de ce budget vont croître de 70 %.
Pour la troisième année consécutive, votre budget est donc celui qui bénéficie de la plus forte augmentation. Il me semble également important de souligner que, depuis 1998, l'effort consacré à la politique de la ville a été multiplié par trois. Cette augmentation significative marque une volonté forte du Gouvernemnet de faire de la politique de la ville une priorité et d'inscrire celle-ci dans la durée.
Une telle politique n'est en effet efficace que si elle est durable, car nous connaissons toutes et tous l'ampleur des problèmes.
Lutter contre l'exclusion dans les quartiers est l'objectif principal de votre politique et il ne pourra être atteint que sur la base de projets solides et durables. Ainsi, ce projet de budget qui vise à faire profiter les habitants des quartiers de la croissance, à lancer le renouvellement urbain à grande échelle et à conforter les moyens des nouveaux contrats de ville, permettra de poursuivre et d'amplifier l'effort engager depuis deux ans.
Faire profiter les habitants des quartiers de la croissance est un objectif très important, car il est indispensable de mettre définitivement fin à l'étiquette « foyer de pauvreté et d'exclusion » qui colle encore aux grands ensembles urbains. Six millions de personnes vivent dans des cités de banlieue et beaucoup ont encore bien souvent le sentiment d'être reléguées dans une société de seconde zone. C'est pourquoi vous nous proposez des actions de proximité en vue de résorber le chômage qui perdure dans les cités.
A cet effet, cent cinquante équipes emploi-insertion articulées avec le service public de l'emploi seront mises en place dans les quartiers. Il s'agit là d'une excellente initiative.
Je souhaite citer en exemple un dispositif équivalent dans mon département. Dans le cadre du précédent contrat de ville de l'agglomération thionvilloise, des espaces citoyens ont été créés. Ces structures ont pour objet de faciliter l'accès à l'information et à la recherche d'emploi, et d'organiser un relais avec les structures déjà en place. Ces dispositifs sont très appréciés, et personne ne saurait en contester l'efficacité. Vous avez, vous-même, pu le constater, monsieur le ministre, lors de votre visite en Moselle voilà deux ans. Je suis donc très optimiste quant aux résultats de ce dispositif nouveau sur l'emploi.
Pour ce qui est du programme concernant les « adultes-relais », il contribuera lui aussi à redonner à certaines personnes leur chance sur le marché du travail. Les nombreux bénévoles déjà en place dans des structures telles que les commissions locales dans le cadre des contrats de ville ou Vie Libre oeuvrent dans ce sens et leur reconnaissance en tant qu'« adultes-relais » ne pourra que favoriser davantage le dialogue entre les habitants et faciliter la réinsertion des exclus.
Concernant l'objectif visant à conforter les moyens des nouveaux contrats de ville, il est, lui aussi, essentiel, car il permettra aux élus et aux associations de s'impliquer davantage dans la politique de la ville au travers des subventions qu'ils recevront en vue de mener à bien leurs projets. J'ai récemment rencontré des acteurs locaux qui appliquent et font mettre en oeuvre la politique de la ville au quotidien. Ils se félicitent d'une telle orientation car elle leur permettra de conforter les initiatives prises en faveur des jeunes et de les développer.
Ainsi en sera-t-il par exemple pour le projet Mob-emploi, récemment mis en place dans le cadre du contrat de ville, en vue d'aider les jeunes dans leurs déplacements. Pour l'instant, il s'agit de la mise à disposition de mobylettes pour effectuer des démarches en faveur de l'emploi et pour se rendre au travail, car de nombreux jeunes ayant trouvé un emploi n'ont pas les moyens de se déplacer. Beaucoup de projets fleurissent autour de cette idée : location de voitures, aides au permis de conduire, co-voiturage, garages associatifs, etc.
En fait, l'imagination et les idées ne manquent pas, et le fait de conforter les moyens alloués permettra donc à beaucoup de projets, comme celui que je viens de citer en exemple, de se développer.
Le fonds de participation des habitants qui permet de soutenir des micro-initiatives au sein des quartiers a été reconduit, et c'est une très bonne chose. Les acteurs présents sur le terrain sont tout à fait acquis à cette idée, mais certains sont encore un peu démunis quant aux modalités techniques qu'elle demande. C'est pourquoi il me semble important de communiquer davantage sur ce plan, monsieur le ministre.
Certains critiquent la part de votre budget réservée à la communication. En ce qui me concerne, je ne la trouve pas excessive, au contraire. Il faut communiquer et informer plus. La demande émane du terrain, les acteurs ont beaucoup d'idées et ils attendent les informations et, surtout, les éléments techniques nécessaires à la mise en oeuvre de leurs projets.
Pour ce qui est du financement, le guichet unique est une avancée réelle, mais le versement des subventions est quelquefois tardif et il peut retarder la mise en oeuvre de certains projets dont les initiateurs ne possèdent pas les fonds suffisants. L'objectif de raccourcir encore les délais répond tout à fait aux attentes des intéressés, mais ne serait-il pas possible d'aller encore plus loin en avançant à certaines associations les fonds nécessaires à la réalisation de leurs projets en début d'année ? Ce point particulier ne pourrait-il pas faire l'objet d'une réflexion avec le ministre des finances ?
Monsieur le ministre, les crédits de la ville ont « explosé » et les projets fleurissent de toutes parts. Il est nécessaire de coordonner les initiatives. A ce sujet, je souhaite vous interroger sur la revalorisation de la fonction des sous-préfets pour la ville, chargés de mettre en oeuvre votre politique dans les départements les plus concernés. Suivront-ils à l'avenir une formation particulière ? Pourront-ils passer outre les sous-préfets d'arrondissement pour prendre des décisions ? Seront-ils des coordinateurs et les animateurs des équipes intervenant dans le cadre des maîtrises d'oeuvre urbaines et sociales ?
Pour ce qui est de ces dernières, monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur le statut des chargés de mission et des chefs de projets recrutés dans ce cadre. Malgré le rapport rendu cet été par Mme Claude Brévan, il semble que leur statut reste inchangé et que ces personnes restent confinées dans la précarité de leur poste, à savoir un recrutement contractuel reconductible d'une année sur l'autre, sans avancement ni plan de carrière. Connaissant leur implication dans la politique de la ville et l'efficacité de leur travail, je pense qu'il est grand temps, puisque le Gouvernement a décidé d'inscrire son action dans la durée, de s'interroger sur la professionnalisation des chargés de mission et des chefs de projet.
Concernant toujours les contrats de ville, vous connaissez, monsieur le ministre, le rôle que jouent les appelés du contingent dans la politique de la ville et l'apport significatif qu'ils représentent pour les petites associations. Ils sont de moins en moins nombreux et vont totalement disparaître avec la professionnalisation des armées et la fin de la conscription le 31 décembre 2002. Aussi faudra-t-il les remplacer. La première « solution » qui me vient à l'esprit est de les relayer par des emplois-jeunes. Mais un problème peut se poser pour les associations qui n'ont pas les moyens de couvrir les 25 % du salaire qui reste à la charge de l'employeur. Ce financement résiduel pourrait-il être assuré par les crédits consacrés à la politique de la ville ? Les associations concernées pourraient-elles déposer un dossier, dans le cadre des contrats de ville, en vue d'obtenir, en plus de la part de l'Etat, le financement résiduel de ces contrats, dans la mesure où l'action effectuée par ces emplois-jeunes relève des priorités de la politique de la ville ?
Avant de conclure, je dirai quelques mots sur le programme national de renouvellement urbain, qui est aussi un volet important de votre politique.
Il s'illustrera, dans les années qui viennent, par des investissements massifs pour transformer certains quartiers dont l'urbanisme est dépassé. Ces investissements pourront se traduire non seulement par une amélioration du cadre de vie, mais aussi par la réalisation d'équipements nouveaux, culturels et sportifs, qui structurent la vie des cités et contribuent à une meilleure qualité de vie au coeur des banlieues.
Ce programme s'illustrera également par le renforcement des services publics, qui ouvrent le quartier à toute la ville. Je ne cesserai d'affirmer l'importance d'une telle politique. La présence massive de services publics de qualité au sein des grands ensembles, qu'il s'agisse de la poste, des transports publics ou des écoles primaires, est une condition nécessaire pour que le quartier urbain ne vive pas en circuit fermé. Ces services sont autant de « passerelles » vers la ville, d'ouvertures vers le monde et de moyens pour enrayer l'exode des habitants.
Monsieur le ministre, l'orientation de votre politique est excellente, la coordination doit être à la hauteur. Nous vous faisons confiance, à vous-même et au Gouvernement, pour atteindre ces objectifs ambitieux. C'est pourquoi le groupe socialiste votera ce projet de budget sans hésiter. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Monsieur le ministre, le Gouvernement a affiché la priorité qu'il entend donner à la politique de la ville. Nous ne pouvons pas contester l'augmentation significative de votre budget. Toutefois, je regrette qu'elle ne soit pas à la hauteur de votre ambition. Connaissant votre volonté de redresser nos villes, je reste persuadée que vous partagez mes regrets.
Cela dit, vous vous en doutez, de nombreuses remarques s'imposent, les mêmes, pour la plupart, que l'an passé, je le déplore, car nous n'avons pas l'impression d'être souvent entendus.
Le processus de délégation des crédits au préfet s'inscrit dans un mouvement de déconcentration de l'Etat ; c'est une bonne chose, car les décisions seront ainsi prises plus près du terrain.
Toutefois, ce progrès est assombri par la forte intensification des exigences, en termes de procédures et de contrôles, que les acteurs locaux et les maires que nous sommes comprennent d'autant moins que ces procédures de plus en plus laborieuses et longues constituent un handicap certain pour l'aboutissement des dossiers. Quant aux moyens, s'ils sont, certes, en augmentation, ils sont extrêmement difficiles à mobiliser.
Les mécanismes traditionnels de la politique de la ville permettent une bonne concertation entre les services de l'Etat, les élus et les associations. Il est dommage que l'amplification des exigences de contrôles administratif et financier donne aux élus le sentiment bien décourageant d'être en faute, de jouer le rôle de quémandeurs quelque peu irresponsables dont l'Etat devrait réfréner la tentation qu'ils ont d'utiliser de manière inconsidérée les deniers publics.
Monsieur le ministre, ce sont pourtant bien les élus - je sais que vous en avez conscience et que vous le reconnaissez -, en contact permanent avec les acteurs locaux, qui peuvent juger s'il est bon de placer des animateurs dans tel quartier ou de financer telle association.
Ce que nous gagnons aujourd'hui en déconcentration des décisions, nous le perdons en lourdeur des règles d'instruction et de notification des financements.
L'engagement et la motivation des services locaux de l'Etat ne sont pas en cause ; ils sont, eux aussi, confrontés aux difficultés que nous rencontrons.
Je suis donc amenée à vous demander s'il existe une réelle volonté au niveau national de voir se concrétiser sur le terrain les crédits de la politique de la ville.
Il est grand temps que l'Etat modernise son fonctionnement et ses procédures. Il y va de la crédibilité de l'action publique dans son ensemble.
Monsieur le ministre, lorsque cette dernière est mise en péril par les lourdeurs de l'Etat, ce sont les élus qui sont en première ligne pour faire face au mécontentement et au découragement bien légitimes de nos concitoyens.
Les maires éprouvent donc de grandes difficultés à concrétiser sur le terrain les projets du Gouvernement, fussent-ils positifs.
Je prendrai pour exemple les grands projets de ville, qui succèdent aux grands projets urbains. Sur un même projet, le financement peut provenir à la fois de l'Etat, de la région, du département, de l'Europe et, bien sûr, des collectivités locales qui, pour certaines, ne se sont toujours pas prononcées sur leurs intentions et leur mode d'intervention.
Les grands projets de ville restent, on l'a dit, financés pour une part par les communes qui n'en ont pas toujours les moyens puisqu'ils s'adressent par définition à des villes en difficulté ! La part communale reste encore bien trop lourde, et nombreux sont malheureusement les projets mis en attente faute de moyens.
La complexité du système de financements croisés nous amène parfois à faire appel à de véritables bataillons de spécialistes pour préparer et suivre les mêmes dossiers dans un dédale de circuits administratifs dont je renonce à vous décrire l'ampleur !
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. C'est vrai !
Mme Nelly Olin. Au demeurant, ces spécialistes coûtent fort cher aux villes. On serait mieux avisé de les utiliser pour ce qui est leur fonction première !
Ce système est d'autant plus générateur de déperdition de temps, d'énergie et de compétences que l'Etat s'est avisé, depuis peu, de demander systématiquement les preuves écrites des accords des autres financeurs avant de confirmer son propre accord.
Vous imaginez, monsieur le ministre, à quoi cette nouvelle rigidité risque de conduire si chaque financeur se met à exprimer les mêmes exigences ! Les décisions n'étant jamais simultanées, chacun pourra différer à l'infini son engagement en s'abritant derrière les lenteurs des autres !
A force de complexité et de délais trop importants dans le processus d'élaboration et d'instruction des dossiers, les actions sont engagées en fonction non plus du seul intérêt général, qui devrait être le seul guide, mais des aléas et des mécanismes opaques inhérents au fonctionnement des services !
La concertation et le dialogue avec les citoyens s'apparentent aujourd'hui à un véritable exercice de haute voltige pour lequel les élus doivent présenter des actions et prendre des engagements sans en maîtriser la faisabilité dans le temps, celle-ci étant subordonnée aux mécaniques totalement aléatoires des processus de financement de l'Etat.
Monsieur le ministre, comment la démocratie locale peut-elle fonctionner si un maire n'est pas en mesure de donner la moindre information quant au délai dans lequel des travaux de réhabilitation d'un centre social - c'est un exemple parmi d'autres - seront effectivement autorisés par la trésorerie générale ?
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Eh oui !
Mme Nelly Olin. Quelle crédibilité les élus ont-ils vis-à-vis des habitants et des entreprises si les projets les plus simples traînent des mois et des mois avant d'être finalement rejetés pour des raisons que seuls des spécialistes aguerris peuvent comprendre ? Malheureusement, ces spécialistes ne sont plus là quand il faut s'expliquer dans les réunions de quartier et prendre de nouveaux engagements devant les citoyens ou les entreprises !
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. C'est vrai !
Mme Nelly Olin. Chacun comprendra que la simplification s'impose d'urgence, car la politique de la ville doit être souple, rapide et efficace pour trouver une application concrète sur le terrain.
Monsieur le ministre, votre projet de budget, certes ambitieux, n'est pas assez imaginatif, et l'incitation à la mobilisation des acteurs privés demeure le parent pauvre, ce qui, j'en suis convaincue, pénalise bon nombre de grands projets.
Le problème des zones franches urbaines ayant été abordé, je ne serai pas redondante.
La mise en place du pacte de relance par Alain Juppé a bien fonctionné. Je constate que, d'ailleurs, vous revenez sur vos propos des débuts, qui m'avaient profondément choquée puisque vous attaquiez les zones franches. Il en est qui marchent bien. Je sais que vous êtes un honnête homme...
MM. Gérard Larcher et Paul Blanc, rapporteurs pour avis. Oh oui !
Mme Nelly Olin. ... et que vous saurez reconnaître ce qui va et ce qui ne va pas.
Aujourd'hui, vous connaissez l'inquiétude des entreprises, celles qui sont déjà en zone franche comme celles qui voudraient y venir, et des élus qui en bénéficient. Quelles mesures allez-vous, d'une manière précise, nous annoncer ?
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Nelly Olin. Dans les villes où le dispositif relatif aux zones franches a bien fonctionné c'est-à-dire dans la plupart d'entre elles, nous devons poursuivre le redressement du volet économique qui, seul, permettra de résorber le chômage des jeunes dans nos quartiers.
Il faut savoir aussi que les entreprises privées garantissent aujourd'hui des emplois durables, mais les moyens que vous leur accordez ne sont pas à la hauteur des enjeux.
La politique de la ville a besoin de toutes les énergies ; elle ne peut pas se limiter au champ clos des acteurs publics. Il faut l'ouvrir largement aux acteurs privés et savoir dépasser les préjugés des gouvernements de gauche qui veulent faire croire que l'argent public est forcément mal utilisé, voire dévoyé, par les acteurs privés.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial, MM. Gérard Larcher et Paul Blanc, rapporteurs pour avis. Très bien !
Mme Nelly Olin. Pour la première fois en Ile-de-France, les fonds structurels européens vont être mobilisés au profit d'opérations privées contribuant à l'intérêt des quartiers.
Le gouvernement français devrait s'inspirer des institutions européennes et ouvrir la possibilité, aujourd'hui exclue, de mobiliser des subventions comme incitations aux projets privés et ainsi augmenter la richesse et les emplois au profit des quartiers en difficulté et de leurs habitants. L'Etat et les collectivités, mais surtout les populations, s'y retrouveront, ainsi qu'en témoigne la réussite des zones franches.
Ne soyons pas hypocrites, nul n'a envie de se promener dans un quartier sans vie. Ce ne sont, hélas ! ni les adjoints de sécurité, ni les agents de médiation, ni les « adultes-relais » qui feront revivre, par exemple, nos centres commerciaux.
Toutefois, il y a des évolutions positives, et je me réjouis que certains tabous soient tombés s'agissant des opérations de « démolition-reconstruction ».
Je mettrai cependant un bémol : je souhaite que les opérations de démolition ne s'accompagnent pas systématiquement d'opérations de reconstruction. Ne répétons pas les erreurs du passé ! L'échec des quartiers de nos banlieues trouve sa cause dans une urbanisation massive. Aujourd'hui, ayons le courage de dire quand il faut démolir et ne nous sentons pas obligés de reconstruire.
Ayons recours aussi aux « résidencialisations pieds d'immeuble », qui, à mon avis, permettent de rendre les quartiers difficiles plus attrayants pour leurs habitants.
Si nous voulons que la politique de la mixité sociale réussisse, nous ne devons pas pérenniser les erreurs du passé.
Monsieur le ministre, compte tenu de ces observations fondées sur des constats et de ces interrogations sur des simplifications du système - et je crois avoir attiré votre attention de manière alarmiste - ainsi que des attentes de nombreux maires, je me rangerai à la position de sagesse de la commission et, à titre personnel, je m'abstiendrai sur ce projet de budget, qui, s'il affiche une volonté certaine, manque encore d'ambition et de moyens. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, c'est le troisième budget que vous nous présentez. Les années se suivent et chacune d'elles apporte des mesures nouvelles et des moyens fortement majorés.
En 1999, les crédits spécifiques de votre ministère progressaient de 32 %, franchissant ainsi le cap symbolique du milliard de francs.
En 2000, la nouvelle progression étant de 10 %, votre budget était celui qui augmentait le plus. Mais certains de nos collègues restaient dubitatifs : cela allait-il durer ou ne s'agisssait-il que d'un effet d'annonce ?
Ils devraient trouver, dans le projet de budget que vous présentez pour 2001, des réponses à leurs attentes. En effet, il progresse de 70 % pour atteindre 2,4 milliards de francs. Jamais il n'a connu une telle progression ! Jamais la volonté de promouvoir et de réaliser une politique de la ville n'a été aussi active !
La commission des affaires sociales et son rapporteur, notre collègue Paul Blanc, en ont été troublés et ont demandé un temps de réflexion. Comment pourraient-ils rejeter un tel budget ? C'est difficile...
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Non !
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Il va y arriver !
M. Gilbert Chabroux. ..., d'autant que M. le rapporteur reconnaît que, « pour la première fois, ce budget va de pair avec la mise en oeuvre d'orientations et de mesures nouvelles au titre de la politique de la ville par le gouvernement de M. Lionel Jospin ». Notre collègue Paul Blanc a donc souhaité se concerter plus avant avec les rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires économiques avant de donner un avis définitif.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux. S'il y a eu autant d'hésitations, c'est la preuve, monsieur le ministre, que votre budget va dans le bon sens et, mieux, que c'est un bon budget.
Ce budget marque un tournant de la politique de la ville en associant renouvellement urbain et revitalisation économique. Il convient de l'analyser en tenant compte aussi de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU, qui devrait s'appliquer dès le 1er janvier prochain.
Ainsi que le constate notre collègue Paul Blanc,...
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Encore !
M. Gilbert Chabroux. Je cite les bons auteurs...
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Je vous en remercie !
M. Gilbert Chabroux. Comme le constate notre collègue Paul Blanc, disais-je, avec cette loi, le Gouvernement disposera de tous les instruments de sa nouvelle politique de la ville.
Je n'interviendrai pas sur le volet du renouvellement urbain car beaucoup de choses ont déjà été dites sur ce sujet, particulièrement par Gisèle Printz.
Je voudrais en revanche insister sur le développement économique des quartiers sensibles. Nous savons tous que la croissance a du mal à pénétrer dans ces quartiers. Elle ne profite que très peu aux publics les plus en difficulté. De ce fait, le fossé se creuse avec le reste de la population et le risque est grand d'engendrer de fortes tensions.
Nous ne pouvons pas laisser sur le bord de la route ces publics, jeunes et moins jeunes, qui ont le droit, eux aussi, de profiter de la croissance retrouvée. Il ne peut pas y avoir de ville à deux vitesses, il faut lutter contre la fracture urbaine. Il y a un problème de cohérence sociale au niveau de chaque agglomération.
Bien sûr, tout le monde tient à peu près le même discours, mais les moyens divergent. La droite ne voit de salut que dans les zones franches urbaines et les allégements de fiscalité.
Mme Nelly Olin. Eh oui, c'est la réalité !
M. Gilbert Chabroux. Certaines zones franches, il est vrai, ont favorisé la création d'emplois. La croissance y a sans doute eu une part importante, mais l'implantation d'entreprises dans ces zones est toujours bénéfique, surtout si cette implantation est accompagnée d'un recrutement local. Toutefois, dans l'ensemble, force est de reconnaître que la situation ne s'est pas sensiblement améliorée et que, trop souvent, les habitants des quartiers n'ont pas réellement profité des avantages très importants concédés aux entreprises.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. C'est faux !
M. Gilbert Chabroux. Vous proposez, monsieur le ministre, de nouvelles actions pour favoriser la revitalisation économique des quartiers avec, sans doute, des aides fiscales mais aussi des aides sociales.
Seront ainsi accordées une prime supplémentaire pour toute embauche d'un demandeur d'emploi habitant le quartier de même que des exonérations pendant trois ans de 50 % des charges sociales pour les emplois créés en zone de redynamisation urbaine. En outre, un fonds de revitalisation économique est créé pour aider le commerce de proximité, les artisans, les entreprises déjà installées dans le quartier. Nous devrions tous être d'accord avec de telles mesures !
De même, nous devrions l'être avec la création et la mise en place d'équipes emploi-insertion qui auront pour mission de rétablir le lien entre les habitants et les services d'appui à l'emploi en portant l'information au coeur des quartiers et en créant un partenariat étroit avec les différents acteurs qui oeuvrent au quotidien pour l'insertion dans la ville.
Enfin, toujours pour développer l'accès à l'emploi et le lien social, vous proposez de recruter, sur trois ans, 10 000 « adultes-relais ». Ces postes sont destinés aux chômeurs hommes ou femmes, de plus de trente ans habitant dans les quartiers. Le rapporteur de la commission des affaires sociales a vu dans ce dispositif « le risque de conduire à un enfermement des banlieues sur elles-mêmes, comme des Indiens dans une réserve ». C'était une citation, mais elle pouvait être révélatrice d'une certaine attitude par rapport aux populations des quartiers défavorisés. Ainsi que vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous avons, en fait, une dette envers ces populations qui ont été lourdement touchées par la crise et qui ont été, en quelque sorte, assignées à résidence. Les « adultes-relais » devraient permettre de favoriser le dialogue, créer un lien social, résoudre les conflits mineurs de la vie quotidienne et améliorer la qualité de vie sociale dans ces quartiers.
Ce dispositif présente, en outre, le très gros avantage de s'appuyer sur les associations et les organismes comme les offices d'HLM, qui auront la responsabilité de recruter. Il est important de mobiliser les associations qui agissent au plus près de la réalité des quartiers.
Une autre critique porte sur la part de financement qui incombe aux collectivités territoriales, par exemple pour les opérations « ville-vie-vacances ». Les collectivités locales seraient considérées par l'Etat comme « une variable d'ajustement » pour combler les dépenses.
Mais comment les villes pourraient-elles ne pas participer au financement de projets ou d'actions qui les concernent au premier chef, surtout au moment où elles revendiquent une plus grande autonomie ? De plus, l'échelle qui est maintenant celle de l'agglomération tout entière permet de faire jouer la solidarité intercommunale. Les départements même ont souhaité s'associer à la politique de la ville et participent à son financement. Et n'oublions pas les régions et les contrats de plan Etat-régions, qui jouent un rôle déterminant !
Il faut aussi souligner que la dotation de solidarité urbaine s'est fortement accrue ces dernières années. Elle a augmenté de 45 % en 1999 et de 14 % en 2000. Elle devrait augmenter encore, car c'est une dotation de péréquation. L'Etat devrait mieux dimensionner son aide et la moduler, en prenant en compte l'importance relative des problèmes locaux.
Monsieur le ministre, la politique de la ville date d'une bonne quinzaine d'années, de vingt ans même. Elle avait fini par s'essouffler. Vous avez su, en trois années, nous présenter des budgets d'impulsion et d'innovation, des budgets pour un nouvel élan. Non seulement les crédits sont en très forte hausse, mais des projets se dessinent et se réalisent. Ils doivent permettre de faire de la ville un lieu d'échanges et de bien vivre, une ville faite pour l'homme.
Mme Nelly Olin. C'est cela !
M. Gilbert Chabroux. Bien entendu, le groupe socialiste salue l'action que vous menez ; il vous apportera tout son soutien pour que vous puissiez mettre en oeuvre cette politique et donner une nouvelle ambition aux villes. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le ministre, ce sont les crédits de votre ministère qui connaissent la plus forte progression même si, en valeur absolue, les moyens financiers dont vous disposez en propre restent malgré tout modestes par rapport à l'ampleur des problèmes posés.
Les acteurs de la politique de la ville sont, en principe, en ordre de marche, puisque, à l'issue d'une concertation qui aura été longue, coûteuse et complexe, les 247 contrats de ville, le 50 grands projets de ville et les 30 opérations de renouvellement urbain sont tous signés ou en voie de l'être.
Et pourtant, il faut bien en convenir, les acteurs de terrain restent sceptiques.
Ils restent sceptiques, parce que, au quotidien, ils voient autour d'eux s'aggraver les tensions et se multiplier les problèmes.
Ils restent sceptiques, encore et surtout, à cause de la lourdeur des dispositifs, du rôle excessif qu'y joue l'appareil administratif, de la très faible marge de manoeuvre laissée aux véritables artisans de la reconquête de la ville, de l'échelle souvent peu pertinente à laquelle on entend résoudre les problèmes, à cause enfin, des solutions trop stéréotypées proposées pour des situations dont la diversité est considérable.
Le problème de fond qui se trouve posé est, en fait, celui de la maîtrise d'oeuvre de la conduite de la politique de la ville.
Dans le dispositif mis en place, tout démontre qu'il n'y a, de la part de l'Etat, ni véritable volonté de subsidiarité, ni même parfois de confiance suffisante.
L'Etat réussit-il tellement mieux dans les domaines qui relèvent de sa pleine compétence ?
Réussit-il en matière d'enseignement, de sécurié, de justice, de santé publique, de gestion des prisons ?
Et n'oublions pas que les énormes ensembles immobiliers, qui nous posent tant de problèmes, sont l'héritage d'une période du tout-Etat en matière de réalisation de logements sociaux !
Les réussites en matière de reconquête urbaine sont toujours le résultat d'une détermination et d'un engagement exceptionnels des élus locaux et des acteurs de terrain.
C'est à eux qu'il conviendrait de donner, à travers des mesures de simplification, de liberté, de responsabilité, les moyens de réussir là où - il faut bien le reconnaître -, l'Etat a largement échoué.
C'est à eux aussi qu'il faudrait laisser l'évaluation de l'échelle de leur action qui, certes, doit s'inscrire dans une certaine cohérence par rapport à un large bassin de vie, mais qui est d'abord du « cousu main », au jour le jour, et au plus près, loin des aréopages pléthoriques où le verbe est roi, où l'on empile les études et où l'on fait dans la prospective alors que l'actualité se nourrit surtout de l'imprévisible.
Il convient d'évoquer aussi les énormes obstacles que continuent de rencontrer celles et ceux qui se battent sur le front de l'insertion professionnelle des personnes en grande difficulté alors que l'embellie économique est en train de creuser dramatiquement les écarts.
Les contrats emplois-solidarité et les contrats emplois consolidés sont de plus en plus difficilement accessibles. Dans mon département, leur nombre a été réduit de 30 % en une année.
Quant aux entreprises d'insertion - outils remarquables pour accompagner vers « l'employabilité » des personnes qui en sont éloignées - elles se débattent dans des difficultés énormes. Les services de l'Etat recensent vers le mois d'octobre leurs besoins en matière de financement. Ces services ne sont en mesure de leur indiquer leur dotation pour l'année en cours qu'au second semestre, alors que le versement des fonds n'intervient qu'à la fin de l'année, voire au début de l'année suivante. Les actions ont donc été conduites et préfinancées par des entreprises qui travaillent dans des conditions suffisamment difficiles pour que ne s'y ajoutent pas encore cette incertitude et cette précarité.
Je voudrais souligner, ensuite, le paradoxe qui a conduit à mettre en place des programmes intercommunaux de l'habitat et des conférences intercommunales du logement, alors même que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains conduit à apprécier le quota de logements sociaux commune par commune.
Outre le fait que, dans certains cas, la loi sera inapplicable pour de simples raisons matérielles, elle accélérera des effets pervers, dont certains se produisent dès à présent.
Dans les ensembles les plus difficiles, les familles qui auront, grâce à la reprise, vu s'améliorer leur situation s'empresseront de quitter le quartier, où elles seront remplacées par de plus démunies. On verra donc s'accentuer encore la ghettoïsation et, ce qui est souvent son corollaire, le communautarisme.
Aussi convient-il de saluer comme une mesure positive l'accroissement des crédits destinés à la démolition, puisque son rythme doit passer à environ 10 000 opérations par an.
Il n'en reste pas moins que ces opérations chirurgicales lourdes laissent à la charge des communes - souvent les plus pauvres - des montants résiduels considérables.
Dans notre ville, deux tours de soixante logements chacune ont été libérées, puis démolies. La dette communale s'en trouve accrue de 15 millions de francs, soit l'équivalent annuel du produit cumulé de la taxe d'habitation et de la taxe foncière de la ville.
Comment, avant de conclure, ne pas évoquer les problèmes de violence urbaine pour lesquels, manifestement, le dispositif existant n'apporte aucune amélioration.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Daniel Eckenspieller. Dans la communauté urbaine de Strasbourg, malgré une intercommunalité totalement intégrée, malgré un contrat de ville, malgré un contrat local de sécurité, les incendies de voitures ont augmenté de 36 % en un an : si on les plaçait pare-chocs contre pare-chocs, les 1 600 voitures incendiées depuis le début de l'année feraient une file de plus de six kilomètres de long !
Les vols avec violence ont augmenté, pendant la même période, de 32 %.
Il faudrait également évoquer la violence dans les établissements scolaires, dans les transports en commun, dans les stades, dans les centres commerciaux et autres lieux publics.
Quelle idée peut se faire, de la protection qui lui est accordée par la puissance publique, le citoyen ou la citoyenne qui découvre, chaque matin, dans son quotidien, le récit des exactions de la nuit précédente ?
Quelle est, en l'occurrence, la réponse de l'Etat ? Quinze centres de placement immédiat pour tout le territoire national, des adjoints de sécurité pour remplacer, au moins provisoirement, les policiers partant à la retraite.
Qui peut croire que la reconquête de la paix civile se suffira de tels moyens ?
Que l'Etat remplisse d'abord pleinement et efficacement les missions qui sont les siennes et qu'il donne, pour le reste, aux responsables locaux les moyens de conduire, de la manière qui leur paraît la plus adaptée à la situation du lieu et du moment, les actions à travers lesquelles se renoue le lien social, se construit l'intégration, se réinsèrent les personnes en déshérence et se retrouve l'équilibre de nos cités ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Lagauche applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le contexte nouveau de croissance et la volonté du Premier ministre ont profondément changé le sens de la politique de la ville que je coordonne au sein du Gouvernement. De politique de solidarité conçue pour amortir dans les quartiers populaires les effets de la crise dans les quartiers populaires, elle devient une politique de développement pour remettre à niveau les territoires à la dérive et prévenir l'émergence de nouveaux ghettos.
Cette nouvelle ambition de développement solidaire bénéficie depuis deux ans de moyens qui sont davantage à la mesure des enjeux, et les premiers résultats sont déjà visibles.
Le premier budget que je vous ai présenté proposait pour 1999 une augmentation de 32 %, de façon à ajuster les moyens mis à la disposition des acteurs des contrats de ville, restés stables pendant des années malgré la progression de l'exclusion sociale et urbaine.
Le budget de 2000, à travers une nouvelle augmentation de 40 %, visait à la fois à simplifier des financements jusque-là éparpillés sur les budgets de plusieurs ministères, - mais je reconnais qu'il reste beaucoup à faire en la matière - et à préparer le changement d'échelle de la politique de la ville programmé dans les contrats de ville 2000-2006.
Pour 2001, je vous propose de consolider ces acquis à travers une hausse de 8 %, à périmètre constant, des moyens consacrés au « coeur de métier » du ministère, à savoir les actions menées dans le cadre des contrats de ville et destinées à améliorer la vie quotidienne des habitants des quartiers les plus en difficulté.
En plus de cette augmentation, de nouveaux dispositifs vont compléter la palette d'intervention de mon ministère en matière de renouvellement urbain, d'emploi et de revitalisation économique. Il vous est donc proposé d'accroître mon budget de 70 %, pour le porter à 2,4 milliards de francs.
Ces moyens permettront de poursuivre et d'amplifier l'effort engagé depuis deux ans, qui est conforté par de premiers indices de réussite.
J'aimerais revenir sur les trois objectifs principaux de cet effort : conforter les acteurs de la politique de la ville ; lancer le renouvellement urbain à grande échelle ; faire profiter les habitants de la croissance.
Conforter les moyens des acteurs dans les quartiers est ma première priorité, car il ne faut jamais oublier que cette politique repose d'abord sur des milliers d'élus, de fonctionnaires, de travailleurs sociaux, de professionnels de terrain ou de bénévoles associatifs. Il s'agit donc d'ajuster les moyens des nouveaux contrats 2000-2006, pour intensifier les actions en matière de sécurité ou d'éducation, par exemple. Ces moyens sont donc accrus de 89 millions de francs, enregistrant ainsi une augmentation de 8 %.
Cet abondement permettra également de répondre à la nécessité de concentrer les moyens dans les quartiers où les problèmes sont particulièrement aigus, tout en prenant en compte la dimension intercommunale nouvelle de cette politique.
Cet objectif se traduit également par la création d'une nouvelle ligne de 15 millions de francs pour favoriser les innovations sociales, dans des domaines clés pour la politique de la ville comme la santé, la famille ou la culture.
Je poursuivrai avec ténacité le chantier de la simplification des procédures en 2001, afin de permettre aux acteurs locaux, notamment les associations, de bénéficier plus rapidement des crédits disponibles. Je vous sais, comme moi, particulièrement attentifs à ce point. A ma demande, une mission parlementaire vient d'ailleurs d'être confiée par le Premier ministre au député Jean-Claude Sandrier sur le partenariat avec les associations. Ses propositions prendront un relief particulier l'année où nous célébrerons le centenaire de la loi de 1901.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Claude Bartolone ministre délégué. Les professionnels de la politique de la ville continueront également d'être confortés, à travers l'action de la délégation interministérielle à la ville, dont les moyens sont stables, et la création de l'Institut des villes, qui sera l'instrument des élus et de l'Etat pour faire avancer la réflexion sur la gouvernance urbaine dans notre pays.
De nouveaux intervenants sont apparus dans la politique de la ville au cours des deux dernières années, par exemple à travers le programme emploi-jeunes, mais aussi avec le développement progressif du programme adultes-relais ou l'installation de délégués de l'Etat dans les quartiers, de délégués du Médiateur de la République et, prochainement, de volontaires civils.
Les missions de chef de projet de contrat de ville et, demain, directeur de grand projet de ville nécessitent des profils de plus en plus complets. Parallèlement, les travailleurs sociaux ou les agents des services publics ont été amenés à faire évoluer sensiblement leurs pratiques professionnelles.
Ces « nouveaux métiers » ont fait l'objet d'un rapport confié à Claude Brevan et Paul Picard. Leurs propositions, qui m'ont été remises il y a quelques semaines, pour mieux les reconnaître, les pérenniser et les professionnaliser, seront mises en oeuvre. Les efforts de formation seront intensifiés pour ces professionnels, et de manière particulière pour les agents publics de l'Etat. C'est ainsi que le programme de formation interministérielle et partenariale de mon ministère bénéficiera de 25 millions de francs de moyens nouveaux en 2001.
Je voudrais revenir un instant sur la philosophie du programme de 10 000 « adultes-relais », qui mobilisera 300 millions de francs dans le budget de mon ministère en 2001. Il ne s'agira en aucun cas d'une mesure de traitement social du chômage comme il a pu en exister par le passé ; il ne s'agit pas non plus d'« emplois-vieux », comme il y a des emplois-jeunes. L'enjeu est de conforter les processus de médiation et de développer la présence des adultes et des parents dans ce que l'on pourrait appeler une « veille éducative ».
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de m'attarder quelques instants sur les divers métiers de la médiation, tous les métiers de la médiation : « adultes-relais », agents locaux de médiation sociale, délégués du Médiateur.
La politique de la ville ne vise pas du tout à confiner les habitants dans une réserve. Elle est au contraire à l'avant-garde, dans l'ensemble du pays, d'un renouveau du mode de régulation des problèmes sociaux. Dans un certain nombre de quartiers, qui sont socialement équilibrés, les difficultés sont moindres y compris au regard de la médiation, simplement parce que, lorsqu'on maîtrise la langue, lorsqu'on est mieux intégré dans notre culture, il est beaucoup plus aisé d'aller rencontrer son sénateur, son député, son maire, son conseiller général. En revanche, dans d'autres de nos quartiers populaires, pour celles et ceux qui sont le plus en difficulté sociale, ce simple geste en direction des élus, ou en direction des guichets de toutes sortes, représente un énorme effort. Je crois que l'ensemble des métiers de la médiation permettront de réintroduire ce lien social dans ces quartiers-là.
Lancer le renouvellement urbain à une vaste échelle sera la deuxième grande priorité de mon action.
Le programme national de renouvellement urbain, lancé lors du conseil interministériel des villes du 14 décembre 1999, permettra d'amplifier et de coordonner les efforts dans cinquante sites en grand projet de ville, ou GPV, et dans trente sites bénéficiant d'une opération de renouvellement urbain.
La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui vient d'être votée, donne à ce programme la perspective politique de rééquilibrer nos agglomérations pour renforcer la mixité sociale, casser les ghettos qui se sont formés dans notre société urbaine et prévenir en amont les pulsions séparatistes qui la travaillent.
Le tabou de la démolition est en train de sauter, et c'est une première satisfaction pour moi. En effet, si la destruction d'une tour ou d'une barre signe l'échec d'une forme inadaptée d'urbanisme, elle devient aussi, pour les habitants, la promesse d'une vie meilleure.
Pour que cette promesse ne soit pas trop lointaine, j'ai insisté sur la nécessité de prévoir, dans la phase de préparation et de mise en oeuvre, des formes nouvelles de participation des habitants et de combiner les interventions sur l'urbanisme avec des actions à plus court terme sur la vie quotidienne des habitants. Les élus et les acteurs de terrain ont su produire dans des délais très courts des projets ambitieux et de qualité.
Dans ces conditions, le programme de renouvellement va prendre très vite l'ampleur nécessaire. Je vais signer dans les prochains jours les premières conventions de sites en GPV, et les crédits de mon budget - 485 millions de francs d'autorisations de programme,78 millions de francs de crédits de paiement et 90 millions de francs de fonctionnement - seront immédiatement disponibles. Ces crédits prennent également en compte les besoins en ingénierie, ainsi qu'une aide spécifique de 70 millions de francs au bénéfice du budget des communes les plus pauvres.
Enfin, la priorité de mon action restera de faire profiter les habitants de la croissance, mais ce budget tend à la renforcer. Le risque était grand, en effet, pour les habitants des quartiers populaires, de voir redémarrer sans eux le train de la croissance. C'est donc devenu l'axe prioritaire de ma politique dès 1998, à travers, par exemple, l'objectif de 20 % des emplois jeunes et 25 % des parcours TRACE pour les quartiers, le développement des plans locaux d'insertion par l'économique ou la lutte contre les discriminations. Cet effort commence à produire des résultats depuis quelques mois, et le chômage baisse dans la plupart des quartiers dans les mêmes proportions que sur le reste du territoire.
J'ai demandé aux missions locales et aux différents services de l'emploi de me remettre un rapport. Tous reconnaissent aujourd'hui que, si ce sentiment n'existait pas voilà encore un an dans les quartiers, depuis le mois de mai dernier, les choses bougent, et parfois de manière très spectaculaire.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. La mission locale et l'ANPE de Stains, en particulier, me signalent un recul de 30 % du chômage.
Les choses bougent, y compris dans les têtes. J'étais voilà quelques jours à Strasbourg. Le préfet m'a signalé que le conseil économique et social d'Alsace, qui se préoccupe aujourd'hui des emplois non pourvus, a réalisé une étude tout à fait intéressante dans laquelle, pour la première fois, sont mis en avant les problèmes terribles de ségrégation à l'embauche qui se posent dans cette ville et dans toute la région.
Monsieur Eckenspieller, j'ai bien entendu ce que vous avez dit sur les violences inadmissibles que connaît aujourd'hui Strasbourg. Je ne veux pas spécialement mettre en avant des excuses psychologiques ou sociales, mais vous conviendrez avec moi que, lorsque dans une région ou dans une ville comme la vôtre le taux de chômage global approche 4 %, alors que, dans certains quartiers de la même ville ou de la même région, il reste à 30 %, il y a tout de même un problème ! De tels chiffres portent en eux les germes de la violence.
J'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec le préfet. Celui-ci est conscient que, au-delà des postes de policiers supplémentaires, qui sont nécessaires, il faut aussi réfléchir, en particulier avec les conseils généraux, aux problèmes spécifiques que pose le fait que les auteurs d'actes de délinquance sont de plus en plus jeunes ! En réalité, ce sont surtout des postes de travailleurs sociaux qu'il faut créer, parce que la réponse à apporter, notamment dans le cas de ces très jeunes délinquants, ne peut être seulement celle de l'enfermement. Mais je reviendrai sur ce point à la fin de mon intervention.
Pour s'attaquer au noyau dur du chômage et résorber ainsi l'écart préoccupant qui demeure dans les taux d'emploi, il faudra aller encore plus loin en 2001. C'est le sens de mesures comme la mise en place dans les quartiers de 150 équipes emploi-insertion, articulées avec le service public de l'emploi, qui bénéficieront de 20 millions de francs en 2001, et la poursuite des efforts de formation, notamment en direction des plus jeunes, et de lutte contre les discriminations.
La revitalisation économique des quartiers sera une dimension nouvelle de la politique de la ville à partir de 2001, pour diversifier des quartiers conçus comme des cités-dortoirs, contribuer au développement de l'activité, redonner une valeur aux territoires les plus défavorisés et attirer les investisseurs privés dans le sillage des investissements publics.
La panoplie à la disposition des acteurs reposera désormais sur deux types d'outils : des exonérations fiscales et sociales dans un dispositif unique et simplifié seront mises en place à partir de 2002 dans les 416 zones de redynamisation urbaine, offrant ainsi une suite au dispositif des zones franches urbaines ; un fonds de revitalisation économique, créé par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, permettra, dans une géographie plus large, d'aider les créateurs d'entreprise, les investisseurs et le tissu économique existant. Ce fonds sera doté de 500 millions de francs en 2001, dont 375 millions de francs de subventions disponibles.
La diversité des outils de revitalisation économique permettra de répondre aux besoins spécifiques de chaque projet de territoire. Je voudrais rappeler, à ce sujet, que le Gouvernement n'a pas souhaité mettre fin avant le terme prévu à l'expérience des quarante-quatre zones franches.
Effectivement, j'ai été dur avec les zones franches, mesdames, messieurs les sénateurs, mais il fallait que je le sois compte tenu de l'état dans lequel j'ai trouvé ce dispositif. La première année, nous l'avons « moralisé ». Nous avons demandé, comme l'avait réclamé le Sénat, des rapports qui nous permettaient de savoir exactement ce qui ce passait dans les zones franches. De l'examen effectué par ces trois commissions différentes il est ressorti - ce qui est significatif - que, sur ces 44 sites 14 fonctionnaient mieux que les autres et un tiers ne connaissait aucune modification, mais il s'agissait de ceux qui avaient su faire de ces zones franches l'un des outils de la politique de la ville. Les élus qui ont su conjuguer ces zones franches avec des interventions sur le bâti, l'amélioration de la sécurité et les actions sociales ont obtenu des résultats.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant votre commission et ici même à la tribune, il n'était pas question pour moi d'adopter un comportement manichéen : la politique de la ville et ses acteurs ont besoin de temps et de durée.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Mais il était indispensable pour le Gouvernement de corriger les défauts de ce dispositif en tenant compte de ses aspects positifs afin d'essayer de les intégrer aux mesures que j'ai eu l'occasion de présenter dans le cadre du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. On a voté le fonds de péréquation !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. En ce qui concerne les zones franches, monsieur Gérard Larcher, le dispositif sera prolongé de façon dégressive pendant trois ans. Le système que le Gouvernement prépare permettra à plus de territoires de bénéficier des acquis de la politique d'exonération, tout en disposant d'outils plus ciblés, qui ont fait défaut dans les zones franches pour impulser de véritables dynamiques de développement. Ces nouveaux outils seront promus à l'occasion d'une campagne nationale de mobilisation qui s'ouvrira en janvier prochain et associera le secteur privé.
Madame Olin, même si, dans un premier temps, il a fallu rééquilibrer cette politique, lui donner enfin les moyens qu'aucun gouvernement avant celui-là ne lui a donné, cette année, il me semble indispensable d'associer le secteur privé à cette réflexion, parce que, en termes à la fois de terrain, de bras et d'intelligence, les quartiers populaires sont parties prenantes.
Il est un point sur lequel je veux être très clair aujourd'hui. La semaine dernière, un grand hebdomadaire a rouvert le débat sur l'immigration : « Faut-il ou non reprendre l'immigration ? » Ce débat me paraît indécent eu égard au taux de chômage qui existe encore dans nos quartiers populaires.
Il faut que les entreprises comprennent que si elles ont besoin de bras, s'il faut changer les modes de formation, nous le ferons avec l'intervention des régions et des pouvoirs publics. Mais on ne peut pas continuer à entendre ce discours sur le manque de salariés quand autant de jeunes diplômés, quand autant de jeunes motivés, quand des femmes et des hommes, parce qu'ils habitent des quartiers populaires, parce qu'ils ont des parents issus de pays étrangers, ou encore parce qu'ils ont une couleur de peau différente, donneraient l'impression d'être condamnés à tout jamais au chômage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. Vous n'avez pas le monopole en la matière !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Je ne pense pas que ce soit une question de monopole ! Lorsque je lis dans le journal Le Monde un article de l'ancien premier ministre, M. Juppé, qui est paru voilà quelques mois, attirant l'attention de la collectivité nationale sur ce sujet, j'applaudis aussi ! En effet, cela prouve que, sur un point comme celui-là, les lignes bougent et qu'il y a une volonté non pas de se servir de la population immigrée ou de leurs enfants comme repoussoirs, mais de renforcer la citoyenneté et la collectivité nationale.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. On est tous d'accord sur ce point !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Au-delà du seul budget de mon ministère en 2001, l'effort public global en faveur de la politique de la ville, tel qu'il est récapitulé dans le « jaune », traduit une nouvelle étape dans la prise en compte par les pouvoirs publics de la crise urbaine. Cet effort dépassera 40 milliards de francs en 2001. Il aura ainsi doublé depuis 1997, ce qui vous montre le chemin parcouru.
Je suis un ministre de la ville qui souhaite renforcer ses moyens propres, mais je ne veux pas donner l'impression aux autres grands ministères que l'on augmente mes moyens à leurs dépens. En effet, le véritable gisement de la politique de la ville, ce sont les crédits de droit commun. Notre objectif commun, élus ou ministre de la ville, doit être de faire comprendre au ministère de l'éducation nationale, au ministère de l'intérieur et au ministère de la justice qu'ils doivent travailler d'une manière différente, en intégrant la problématique urbaine. Croyez-moi, l'avancée des contrats éducatifs locaux, la mise en place des contrats locaux de sécurité, l'émergence d'une intelligence partagée en matière de culture urbaine sont pour moi un grand réconfort, car c'est là que réside le véritable gisement de la politique de la ville.
C'est le signe que les acteurs publics, Etat - collectivités locales ou Europe - ont enfin pris la mesure des défis urbains auxquels notre société est confrontée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les moyens de la politique de la ville sont davantage proportionnés aux enjeux, et les premiers résultats sont encourageants. Mais la bataille ne sera gagnée que lorsque les habitants des quartiers, notamment les plus jeunes, et ceux dont les familles ont connu l'immigration, se sentiront les bienvenus dans notre société. Il reste encore beaucoup à faire, beaucoup d'attitudes héritées de la crise à changer, pour que ce message soit entendu.
Mon propos ne serait pas complet si je n'apportais pas des réponses plus précises à certaines questions, notamment à celle qui a été posée par M. Gérard Larcher en ce qui concerne le programme de développement des unités d'encadrement éducatif renforcé.
Cinquante unités sont prévues. Le programme sera mis en oeuvre progressivement en fonction de la montée en puissance des moyens, en particulier en matière de formation. Mais le Gouvernement entend surtout diversifier l'offre en privilégiant des lieux non fermés mettant l'accent sur un accompagnement éducatif renforcé.
Je vous en livre deux exemples : le développement des centres de placement immédiat après les décisions qui ont été prises par les centres de santé intégrés, les CSI, et le recrutement, pour la première fois depuis dix ans, d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Il sera procédé à plus de deux cents recrutements l'année prochaine !
M. Gilbert Chabroux. Très bien !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Vous vous rendez bien compte, monsieur le sénateur, que cette politique d'embauche et de formation est indispensable ! Quels que soient les problèmes que ces jeunes aient pu poser, on ne peut pas les placer dans des structures pour essayer de les réinsérer s'ils n'ont pas face à eux des adultes formés pour leur permettre de retrouver ce chemin de la réinsertion.
C'est à l'aune de cette remarque que je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de porter une attention soutenue à ce programme de dix mille « adultes-relais ». Ce n'est pas simplement pour fournir un emploi à des adultes de valeur que j'ai voulu instaurer ce programme d'« adultes-relais ». Il est important que ces jeunes puissent retrouver dans les quartiers l'image de l'adulte référent qui se lève le matin pour se rendre au travail, qui a des horaires de l'adulte qui est considéré comme un médiateur, comme un intervenant dans leur propre vie, pour rompre avec ce sentiment que leurs parents sont condamnés à tout jamais à offrir l'image de l'adulte au chômage.
C'est aussi la raison pour laquelle mille de ces « adultes-relais » seront spécialisés s'agissant du lien à établir entre les jeunes et l'école : là encore, il me paraît important de mener une action, notamment en direction des parents qui sont le plus éloignés de l'institution scolaire, pour que cette institution puisse, en ayant un intérêt plus marqué aux yeux des parents, être mieux considérée par leurs propres enfants.
Monsieur Gérard Larcher, j'ai, à mon tour, une demande à vous faire. Vous avez évoqué le rapport de Ernst et Young qui a été commandé par l'Association sur les zones franches urbaines. Pouvez-vous user de tout votre talent et de votre influence pour que je sois destinataire de ce rapport que, depuis plusieurs semaines, je réclame avec véhémence ? J'ai l'impression qu'il est marqué du sceau « secret défense nationale » parce que, pour le moment, malgré toutes mes suppliques, je n'ai pas pu l'obtenir. Cela me permettrait de comparer les remarques formulées dans le rapport de Ernst et Young avec celles qui figurent dans les rapports que j'ai eu l'occasion de consulter jusqu'à présent.
Madame Printz, comme vous, je suis attentif à la professionnalisation des chefs de projet et des directeurs de projet, en particulier pour les grands projets de ville. C'est pourquoi nous avons créé sept centres de ressources dans les régions, qui devront essayer de nous donner plus de moyens en ce qui concerne ces sujets. Les sous-préfets de ville suivent une formation spécifique quand ils sont nommés. Il est par ailleurs essentiel qu'ils travaillent en harmonie avec les sous-préfets d'arrondissement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette intervention, je souhaite vous remercier les uns et les autres, que vous ayez approuvé ou contesté ce projet de budget. Mais, croyez-moi, au-delà du soutien manifesté par les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste, je sens comme un hommage ou une volonté de soutenir cette action dans les hésitations qui ont marqué la prise de position de M. Blanc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, avant qu'il n'annonce cette position. Je vois également dans l'abstention de Mme Nelly Olin comme un encouragement à poursuivre. Je sais qu'elle suit particulièrement ce dossier et je connais l'intérêt qu'elle manifeste en ce qui concerne la politique de la ville. Cette abstention est peut-être une hirondelle qui annonce le printemps ! (Sourires et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Larcher, rapporteur pour avis.
M. Gérard Larcher, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, en référence à vos derniers mots, je dirai qu'avec la présence de Nelly Olin c'est toujours le printemps ici. (Sourires.) Je tiens à souligner le courage avec lequel Nelly Olin conduit sa cité. Je me souviens des difficultés qu'elle a rencontrées lors de son intervention auprès de l'Etablissement d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, l'EPARECA, à propos d'un centre commercial dégradé dans sa commune.
Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord vous promettre que je transmettrai votre supplique. Vous recevrez sans aucun doute ces rapports, même si je n'appartiens pas à cette association.
Par ailleurs, cette année, l'une de nos requêtes a été couronnée de succès : la transmission du « jaune » à temps. Auparavant, le « jaune » arrivait après le « blanc ». C'est l'histoire de l'oeuf et de la poule ! (Sourires.) Et la réponse de vos services a été très complète.
Enfin, en ce qui concerne la campagne que vous allez conduire avec les entrepreneurs privés, je souhaite qu'elle ne s'arrête pas le 18 mars prochain : en la poursuivant tout au long de l'année, vous manifesterez ainsi votre volonté de développer les zones franches et les zones de redynamisation urbaines.
Je ne sais pas si c'est un hommage, mais je crois que la politique de la ville est capable, à certains moments, de dépasser les clivages. Dans le même temps, un certain nombre de choix que vous opérez ne sont pas ceux que nous ferions si nous avions la responsabilité de l'exécutif. C'est aussi ce que souhaite dire la majorité sénatoriale ; mes deux collègues rapporteurs partagent ce sentiment.
M. Paul Blanc, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant la ville.

ÉTAT B

EMPLOI ET SOLIDARITÉ
III. - Ville

M. le président. « Titre III : 25 000 000 francs. »