SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2000


M. le président. « Art. 1er. - Le développement économique, l'aménagement du territoire et l'emploi dans les départements d'outre-mer constituent, en raison de leur situation économique et sociale structurelle reconnue notamment par l'article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, des priorités pour la Nation. »
« Ces priorités sont mises en oeuvre par la présente loi qui vise également à promouvoir le développement durable de ces départements, à valoriser leurs atouts régionaux, à compenser leurs retards d'équipement, à assurer l'égalité sociale et l'accès de tous à l'éducation, la formation et la culture ainsi que l'égalité entre les hommes et les femmes. Elles impliquent l'accroissement des responsabilités locales ainsi que le renforcement de la décentralisation et de la coopération régionale.
« La présente loi a également pour objet de poursuivre, avec les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, la rénovation du pacte qui unit l'outre-mer à la République.
« A ce titre, elle reconnaît à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion la possibilité de disposer à l'avenir d'une organisation institutionnelle qui leur soit propre. Respectant l'attachement des Réunionnais à ce que l'organisation de leur île s'inscrive dans le droit commun, elle accorde aux assemblées locales des départements français d'Amérique la capacité de proposer des évolutions statutaires. Dans ce cadre, elle pose le principe de la consultation des populations sur les évolutions qui seraient envisagées. »
Sur l'article, la parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. J'interviens sur l'article 1er pour dire combien je me félicite de la rédaction nouvelle que le Gouvernement a proposée lors de la nouvelle lecture du projet de loi d'orientation à l'Assemblée nationale. Ainsi, le Gouvernement précise bien ses intentions et renforce l'article 39, dont j'ai souligné tout à l'heure, dans mon intervention liminaire, le caractère absolument fondamental.
J'avais moi-même déjà proposé, en première lecture, que soit inscrit, dès cet article 1er, l'objectif fondamental qui consiste à ouvrir aux départements d'outre-mer des perspectives d'évolution, non seulement d'ordre institutionnel, mais également d'ordre statutaire. Et la nuance a toute son importance, j'en veux pour preuve le fait que, précisément, la commission des lois du Sénat souhaite faire disparaître le mot « statutaire ». Ce n'est certainement pas sans raison.
Je déplore donc que notre commission des lois ait décidé d'amender cet article pour supprimer ce que je considère, moi, comme essentiel, à savoir l'ouverture réalisée à l'Assemblée nationale en faveur de la prise en compte d'éventuelles évolutions institutionnelles et statutaires.
Je déplore encore davantage que, dans la foulée, comme si de rien n'était, la commission des lois en arrive à remettre en cause le principe de la consultation des populations sur les évolutions qui seraient éventuellement envisagées. Certes, M. le rapporteur nous a affirmé tout à l'heure qu'il était pour la consultation des populations. D'ailleurs, j'ai entendu plusieurs autres intervenants, hostiles à la procédure prévue à l'article 39, hostiles à l'inscription, dès l'article 1er, du principe de la consultation, dire qu'ils étaient pour cette consultation. Alors je m'interroge : cette consultation est-elle réellement souhaitée ? Les amendements déposés par la commission des lois ainsi que les positions affichées en première lecture, et encore tout à l'heure, me paraissent bien contradictoires. Le Sénat va-t-il continuer à se complaire dans ses contradictions ? J'espère que, malgré tout, la raison et la sagesse finiront par l'emporter !
M. le président. Par amendement n° 1, M. Balarello, au nom de la commission, propose de supprimer le troisième alinéa de l'article 1er.
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la disposition introduite par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, qui précise que « la présente loi a pour objet de poursuivre, avec les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, la rénovation du pacte qui unit l'outre-mer à la République ».
Nous avons considéré que cette notion de « pacte » n'avait pas de signification juridique. En outre, ce terme pourrait rappeler, certes, involontairement, mais néanmoins fâcheusement, le « pacte colonial », qui désignait, aux xviiie et xixe siècles, le système réservant à la métropole le marché colonial, ce qui irait manifestement à l'encontre des intentions des rédacteurs du texte. Nous tenions tout de même à en faire part au Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Il a tenu à introduire dans la loi un objectif à ses yeux essentiel, qu'il est donc important de mentionner dès l'article 1er. C'est cet article qui donne un cap à ce texte et qui en fait véritablement un projet de loi d'orientation. La rénovation du pacte républicain est, tout au long de la législature, en effet, l'un des fils conducteurs de l'action de ce gouvernement. Ce pacte, à la fois de développement et de solidarité, entre la République et l'outre-mer, me paraît avoir toute sa place dans le texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. L'article 1er est, à nos yeux, significatif de l'évolution positive apportée au texte du projet de loi lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez déposé, au nom du Gouvernement, un amendement qui marque la volonté de donner aux départements d'outre-mer une perspective d'évolution institutionnelle réelle.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut que soutenir cette ouverture permettant, enfin, une réflexion sur une évolution statutaire différenciée de chacun des DOM dans le respect de leur diversité, d'autant plus que nous avions fortement reproché à votre prédécesseur, M. Jean-Jacques Queyranne, le manque d'ambition en matière d'évolution institutionnelle du projet de loi qu'il présentait en première lecture. Ce texte était bien loin, en effet, des enjeux et des attentes exprimées par les populations des DOM. Leurs aspirations à la responsabilisation et à l'émancipation sont réelles et s'affirment toujours plus fortement.
Il y a urgence - nous l'avions déjà souligné lors du précédent débat - à trouver des réponses novatrices pour résoudre la très grave crise structurelle que connaissent ces régions aujourd'hui.
La rénovation du « pacte » - même s'il eût été plus judicieux d'employer un autre mot - unissant l'outre-mer à la République que vous avez proposée dans votre amendement à l'article 1er est un premier pas important dans cette voie.
Les populations domiennes doivent avoir les moyens de définir elles-mêmes les nouvelles formes d'un développement durable et autocentré indispensable pour l'avenir de leurs territoires, et ce dans la diversité des approches et des situations locales, vous l'avez rappelé il y a un instant, monsieur le secrétaire d'Etat.
L'affirmation du principe de la consultation des populations sur les évolutions statutaires contenue dans cet amendement est également intéressante dans cette optique. Malheureusement, la commission des lois du Sénat a proposé des amendements à l'article 1er modifié qui vident l'amendement gouvernemental d'une grande partie de son apport.
Notre groupe ne votera pas ces amendements déposés par la commission des lois du Sénat, qui, de notre point de vue, vont à l'encontre des aspirations formulées par la majorité des populations des départements d'outre-mer.
Il faudrait, au contraire, pour répondre à ces attentes, aller plus loin et permettre que soit précisé le contenu des possibilités d'évolution.
En effet, si nous soutenons le contenu de l'article 1er tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, il y reste néanmoins des imprécisions et un certain flou qui devront être rapidement corrigés au moyen de propositions concrètes.
Je me situe, vous l'aurez compris, dans la perspective d'une réinsertion de la totalité de votre amendement, monsieur le secrétaire d'Etat, lors du prochain passage du texte à l'Assemblée nationale. Nous sommes convaincus que cela est possible et nous prendrons, en tant que parlementaires communistes, dans la prochaine période, toutes les initiatives pour que la parole et les propositions des populations domiennes soient entendues sur ce sujet. Je pense, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous partagez cette ambition et vous pouvez compter sur notre entier soutien dans cette tâche. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je prends la parole en cet instant pour me rallier aux propositions de notre rapporteur. Je m'y rallie d'autant plus volontiers que les termes utilisés dans le débat qui précède me paraissent d'une imprécision juridique gravissime.
Tout d'abord, le mot « pacte » que vous avez utilisé, monsieur le secrétaire d'Etat, est tout à fait inadapté. D'une part, il rappelle fâcheusement le pacte colonial et, d'autre part, il rappelle non moins fâcheusement les fameux « pactes » que Gorbatchev avait voulu mettre en place avec les collectivités qui constituaient l'URSS. C'est un mauvais terme qui n'a pas sa place dans les relations qui unissent à l'heure actuelle la métropole et les départements d'outre-mer.
Il est un second terme sur lequel je ne suis pas d'accord : le « statut » ne correspond pas à la situation. Tout d'abord, un statut s'oppose à la loi ; un statut, c'est le statut de la fonction publique, c'est le statut d'une entreprise anonyme ou d'une association ; ce ne peut être le texte qui régit les départements d'outre-mer, c'est trop médiocre. C'est la raison pour laquelle je pense que la réflexion sur le texte rédigé par l'Assemblée nationale a été bâclée.
Je me rallie donc naturellement à ce que propose M. le rapporteur de la commission des lois.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Les deux amendements suivants sont présentés par M. Balarello, au nom de la commission.
L'amendement n° 2 tend à rédiger comme suit la première phrase du dernier alinéa de l'article 1er : « Dans le cadre de la République, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion ont la possibilité d'évoluer à l'avenir vers des organisations institutionnelles qui leur soient propres. »
L'amendement n° 3 vise à supprimer les deuxième et troisième phrases du dernier alinéa de l'article 1er.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les amendements n°s 2 et 3.
M. José Balarello, rapporteur. A la simple lecture de l'amendement n° 2, on comprend qu'il s'agit d'ouvrir la possibilité pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion d'évoluer à l'avenir vers des organisations institutionnelles qui leur soient propres dans le cadre de la République.
Quant à l'amendement n° 3, il s'agit d'une coordination avec la suppression du congrès proposée à l'article 39.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2 et 3 ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Les deux alinéas que ces amendements tendent à supprimer sont, à mes yeux, des pièces essentielles de cette loi d'orientation qui ont été apportées dans le débat parlementaire par un amendement déposé par le Gouvernement en nouvelle lecture, à l'Assemblée nationale.
Il s'agit d'affirmer le principe d'une évolution différenciée et d'une évolution choisie par les départements d'outre-mer. Il s'agit également - c'est en quoi je suis un peu surpris car rien, dans l'intervention de M. le rapporteur, ne préparait à de tels amendements - de distinguer entre, d'une part, les départements français d'Amérique, où l'aspiration à une évolution statutaire existe depuis de nombreuses années et, d'autre part, l'île de la Réunion, où la demande de maintien dans le droit commun fait en effet l'objet d'un consensus qui, sur ce point au moins, ne s'est pas démenti tout au long des débats.
Il y a donc quelque contradiction à reconnaître, comme M. le rapporteur tout à l'heure, et je suis d'accord avec lui, ainsi que le Gouvernement, qu'il s'agit de mettre au point des évolutions sur mesure pour les départements d'outre-mer et, dans le même temps, alors que cet article tend à affirmer la possibilité d'une évolution différenciée, à faire disparaître cette mention.
Alors que l'on a indiqué à plusieurs reprises - et encore vous-même, monsieur le vice-président, tout à l'heure - que la consultation des populations est essentielle lorsque l'on veut engager une évolution statutaire, il me paraît également dommage que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale soit supprimée par l'amendement n° 3. Là encore, si l'on veut une évolution différenciée et une évolution choisie, la rédaction actuelle me paraît apporter toutes les garanties.
Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. José Balarello, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. La commission des lois s'est rendue dans tous les départements d'outre-mer, à l'occasion de deux voyages. Nous sommes allés d'abord aux Antilles, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et en Guyane, puis, quelques mois plus tard, à la Réunion, profitant de cette mission pour nous rendre à Mayotte puisque j'étais le rapporteur du texte sur l'évolution institutionnelle de cette collectivité territoriale.
Grâce à ces missions, nous nous sommes rendu compte que l'on ne pouvait adopter une structure commune à tous les départements d'outre-mer et qu'il fallait, selon la formulation que j'avais employée devant M. Queyranne en commission des lois, « faire du cousu main ».
L'évolution du projet de loi le montre. Dans l'article 1er, il n'y avait rien sur ce point dans le texte initial, et il n'y avait toujours rien après le passage en première lecture à l'Assemblée nationale. C'est à la suite du passage devant le Sénat, et grâce à l'intervention de plusieurs de nos collègues, de votre rapporteur et du président de la commission des lois, que l'Assemblée nationale et le Gouvernement ont pris en compte ce désir d'évolution institutionnelle en introduisant un amendement à l'article 1er.
Il faut cependant avouer que la référence au pacte, M. Gélard l'a dit beaucoup mieux que moi, est totalement inadaptée. Il y a des références qu'il vaut mieux éviter et, de surcroît, du point de vue juridique, celle-ci ne signifie absolument rien. C'est la raison pour laquelle la commission des lois a « bâtonné », si je puis utiliser cette expression qu'emploient souvent les juristes, le terme de « pacte ».
Notre amendement n° 2 le précise bien : « Dans le cadre de la République, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion ont la possibilité d'évoluer à l'avenir vers des organisations institutionnelles qui leur soient propres. » Cela signifie ipso facto que, si la Réunion ne veut pas évoluer ou souhaite maintenir ses institutions, elle est bien évidemment libre de le faire.
Je crois donc que nous faisons très clairement référence à l'évolution institutionnelle dans l'amendement n° 2.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je tiens une nouvelle fois à circonscrire les désaccords, du moins à ne pas en aggraver la portée, et à répondre aussi à M. le vice-président de la commission des lois qui craignait tout à l'heure que je n'aie pas perçu la volonté réformatrice du Sénat s'agissant du statut des départements d'outre-mer.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. Vous avez des excuses, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Effectivement, puisque je n'étais pas encore membre du Gouvernement lorsque le Sénat a examiné ce texte en première lecture.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. C'est pourquoi je disais que vous aviez des excuses !
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. J'ai cependant pris connaissance de vos interventions, notamment de celle du président de la commission, M. Jacques Larché, à qui je souhaite un prompt rétablissement afin qu'il puisse reprendre ses travaux à vos côtés.
Monsieur le rapporteur, en fait, vous amputez la rédaction actuelle et vous proposez une nouvelle rédaction. Certes, vous ne niez pas aux départements d'outre-mer la possibilité d'une évolution. Je vous donne acte. D'ailleurs, au sein de toutes les forces politiques de notre pays, de l'Assemblée nationale et du Sénat, s'exprime depuis des mois sinon des années une volonté convergente, qui se manifeste très clairement ce soir.
Nous allons plus loin, en proposant que cette évolution soit différenciée. A ce titre, il est nécessaire, si l'on veut être précis et donner une véritable orientation à ce texte, de différencier les départements français d'Amérique et la Réunion. A défaut, on crée parfois la confusion, voire la peur, qui n'est pas la meilleure conseillère s'agissant de sujets aussi essentiels.
Par ailleurs, votre proposition ne reprend pas l'idée que cette évolution doit être choisie. En effet, votre rédaction ne fait pas état de la consultation des populations, dont l'Assemblée nationale, en reprenant l'amendement du Gouvernement, a souhaité avec force poser le principe.
Encore une fois, concevez qu'il y a là quelques différences qui ne me permettent pas d'adhérer totalement aux amendements que vous proposez.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2