SEANCE DU 26 OCTOBRE 2000


M. le président. « Art. 3. - Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-3 ainsi rédigé :
« Art. 72-3. - Une loi organique fixe l'organisation et les compétences des collectivités territoriales. Les projets de loi ayant cet objet sont soumis en premier lieu au Sénat. »
Sur l'article, la parole est à M. Charasse, en espérant qu'il a cette fois-ci le bon texte. (Sourires.)
M. Michel Charasse. Cette fois-ci, oui, monsieur le président !
S'agissant de cet article 3, je veux remercier la commission des lois d'avoir recherché une formulation un peu moins brutale que celle de la proposition de loi initiale, laquelle opérait purement et simplement un retour au régime de la IIIe République, avec l'égalité des deux chambres sur pratiquement tous les sujets, ce qui n'a pas laissé le souvenir d'une réussite exceptionnelle, en tout cas à partir du lendemain de la Première Guerre mondiale jusqu'à ce qui s'est passé piteusement à Vichy.
De ce point de vue, la rédaction proposée pour l'article 3 me paraît plus sage.
M. le rapporteur ne m'en voudra cependant pas de dire - je m'en suis ouvert à lui verbalement...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. Michel Charasse. ... que je suis très préoccupé par le renvoi de tout ce qui concerne l'organisation et les compétences des collectivités locales à la loi organique.
Cela signifierait en effet, mes chers collègues, qu'à l'occasion de l'examen des nombreux textes législatifs qui défilent dans cette maison et qui peuvent conduire à poser la question d'une adaptation du droit local, du droit communal notamment, nous serions dans l'impossibilité d'agir par voie d'amendement puisque nous serions dans le domaine de la loi organique.
C'est un verrouillage absolument terrible qui nous est proposé ! Ce n'était d'ailleurs certainement pas ce que souhaitait la commission des lois, qui aurait préféré un autre système que celui qu'a proposé M. le président Christian Poncelet. Mais, avec votre texte, on aboutit à une quasi-impossibilité de légiférer.
Monsieur le rapporteur, imaginez le nombre d'amendements qui sont déposés tout au long de l'année sur des textes législatifs ordinaires et qui apportent une adaptation mineure, plus ou moins importante mais nécessaire, du droit local ! Nous ne pourrions plus le faire parce que la loi serait organique ?
Je me pose, au demeurant, la question de savoir pourquoi vous n'avez pas choisi le système d'une loi ordinaire soumise à des règles particulières de vote, comme celles qui, par exemple, s'imposent, aux termes de l'article 46 de la Constitution, aux lois organiques qui ne recueillent pas l'accord du Sénat et pour lesquelles l'Assemblée nationale ne peut trancher en nouvelle lecture ou en ultime lecture qu'à la majorité constitutionnelle absolue de ses membres. Je considère que cela aurait été beaucoup plus prudent !
De ce point de vue, je pense que le renvoi à la loi organique est une mesure beaucoup plus contraignante qu'il n'y paraît, sans offrir nécessairement la garantie que nos collègues souhaitent certainement trouver dans ce texte constitutionnel.
Ceux qui me connaissent et au côté desquels je siège, soit au comité des finances locales, soit à l'Association des maires de France ou en d'autres enceintes, savent que je suis très attaché au principe de la liberté des collectivités locales. Mais je suis également très attaché à l'Etat, à son autorité et à sa continuité !
Autant je pense qu'il est certainement bon d'apporter des garanties aux collectivités locales et de cesser ce combat incessant, nourri de suspicion permanente, à l'égard du Gouvernement quel qu'il soit - et il faudra sans doute le faire au cours de l'année 2001, M. le ministre l'a plus ou moins laissé entendre, lorsque nous débattrons des propositions de la commission Mauroy - , autant, lorsqu'on entre dans le domaine constitutionnel, il faut savoir prévoir l'éventualité de la suspension d'un certain nombre de principes.
Ainsi, en présence d'une crise financière grave, d'une crise qui met en cause la stabilité, l'autorité, le poids de la nation, le respect de ses engagements internationaux - sans même aller jusqu'à recourir à l'article 16, qui est une mesure énorme - il me paraîtraît regrettable que la loi de finances ne puisse plus, à cause de ces dispositions constitutionnelles, procéder au minimum d'ajustements nécessaires que l'Etat s'imposerait à lui-même.
En effet, les collectivités locales ne sont pas des électrons libres qui tournent toutes seules autour de la République : elles font partie de la République et elles sont, qu'on le veuille ou non, assez largement subordonnées à l'Etat dans un certain nombre de domaines, ne serait-ce que parce qu'elles sont aussi - je pense aux communes et aux maires - un élément de l'Etat.
Par conséquent, que l'on n'ait pas prévu, dans cette proposition de loi constitutionnelle, la soupape de sûreté qui permettrait, le moment venu, de préserver l'essentiel - sauf à recourir à la disposition majeure de l'article 16, qui n'intervient que dans des circonstances extrêmement graves - je considère que c'est un peu dommage.
Telles sont, monsieur le président, les observations que je voulais faire à propos de l'article 3 et de la philosophie d'ensemble de ce texte.
Défendons les collectivités locales, mais il n'y aura pas de liberté locale solide sans un Etat fort, puisque le premier garant des libertés, dans ce pays, est et restera toujours l'Etat.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. La soumission systématique au Sénat de tous les projets de loi relatifs à l'organisation et aux compétences des collectivités locales selon la procédure retenue pour les lois organiques n'est, à mes yeux, pas acceptable.
L'Assemblée nationale et le Sénat examinent nécessairement ces projets dans l'ordre qui est fixé par l'article 48 de la Constitution pour les lois de finances, et dans l'ordre qui est choisi - et c'est logiquement de sa compétence propre - par le Gouvernement dans le cadre des autres projets de loi.
Ces dispositions permettent à chacune des deux assemblées de donner son avis, d'amender, d'adopter ou non les projets de loi ou propositions de loi qui lui sont présentés en premier ou en second lieu.
Les accords ou les désaccords sont fréquents, quelle que soit la nature du texte en question. C'est le rôle du Parlement, et c'est très bien ainsi, comme je le disais tout à l'heure pour faire écho aux propos de M. Marini, mais aussi de M. Vasselle ce matin, et de M. Charasse à l'instant.
J'estime qu'il n'y a rien à modifier en la matière.
Je note cependant la profonde différence qui existe entre le texte initial, qui instituait - je veux le dire ici pour le souligner - un droit de veto pour le Sénat, et celui que vient de rapporter M. Gélard et qui se contente, si j'ose dire, de soumettre en premier lieu au Sénat les textes concernés et de requérir l'adoption à la majorité absolue par l'Assemblée nationale en cas de désaccord entre les deux chambres.
Je ne sais pas si les débats en commission ont été difficiles, mais ils ont manifestement eu lieu et il est très bien que des réserves aient été exprimées. Il fallait en effet y réfléchir à deux fois, et je vous appelle d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, à y réfléchir encore un peu.
Pour être très clair, je ne suis pas favorable a cet article 3, et je demande donc au Sénat de ne pas l'adopter dans l'état actuel du débat. Il y va quand même, dois-je le rappeler ici au Sénat, de l'équilibre des institutions de la Ve République !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je voudrais formuler quelques brèves observations à l'intention de M. Charasse.
Nous avons précisement tenu compte de sa dernière remarque : pour tout ce qui concerne les finances locales, nous n'avons pas touché à l'équilibre institutionnel, et l'Assemblée nationale sera saisie en premier, car c'est la procédure des lois de finances qui sera adoptée et non pas la procédure de la loi organique, qui ne concernera, elle, que les compétences et l'organisation des collectivités.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Certes, mais vous avez pris l'exemple de difficultés économiques qui pourraient survenir et qui auraient des incidences financières.
M. Michel Charasse. Au regard des articles 1er et 2 !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En réalité, nous ne touchons pas au privilège de l'Assemblée nationale en matière de lois de finances, ni aux règles qui leur sont applicables. Sur ce point les choses sont claires.
Par ailleurs, dans la pratique constitutionnelle de la Ve République - je ne parle pas de la IVe République, car le Conseil de la République n'avait pas véritablement de pouvoir, si ce n'est consultatif -, tous les gouvernements, à quelques rares exceptions près, ont toujours saisi en premier le Sénat des textes législatifs concernant les collectivités territoriales. Il y a eu des exceptions, c'est vrai, mais il s'agit quand même d'une pratique constitutionnelle et je ne vois pas en quoi nous dessaisirions le Gouvernement de ses prérogatives ou en quoi nous porterions atteinte à l'équilibre institutionnel si nous faisions en sorte que le Sénat discute en premier d'un tel texte de loi.
M. Michel Charasse. Pas de problème sur ce point !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Enfin, monsieur Charasse, la rédaction de notre proposition de loi pourrait être en effet améliorée, afin de ne pas conférer réellement et formellement à ces textes le caractère d'une loi organique,...
M. Michel Charasse. Ah !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... ce qui permettrait alors de les amender sans problème et éviterait une procédure trop lourde.
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est un peu l'idée que j'avais, mais nous avons eu une discussion en commission des lois et je n'ai pas gagné sur ce point.
Quoi qu'il en soit, personnellement, je ne vois pas pourquoi le Conseil constitutionnel serait systématiquement saisi, et je ne vois pas pourquoi nous serions forcément obligés de respecter l'intégralité du texte relatif aux lois organiques. Les trois premiers alinéas suffisent !
M. Michel Charasse. La navette règlera ce point ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Oui : la navette nous permettra effectivement d'améliorer la portée de l'article 3 et d'aboutir à un texte susceptible de recueillir l'assentiment de tous. N'est-ce pas monsieur le ministre ? (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 3.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je souscris aux propos de M. le rapporteur, même si mon état d'esprit est quelque peu différent.
On a brocardé la proposition initiale de M. Poncelet en disant qu'elle avait fait un « flop », que la commission des lois lui aurait, en quelque sorte, infligé un démenti.
Ce n'est pas du tout cela ! Il est simplement arrivé ce qui arrive pour toute tentative de réforme : il y a une avant-garde, et il y a le gros de la troupe. L'avant-garde, comme son nom l'indique, va de l'avant. Quant au gros de la troupe, il a une attitude plus prudente et plus réservée, ce qui est logique.
La proposition de M. Poncelet, c'était l'avant-garde. Elle n'avait pas tort, au demeurant, et, si nous ne l'avons pas suivie, c'est que nous avons essayé d'élaborer un texte raisonnable et acceptable.
C'est une caricature que d'affirmer que cette proposition serait une sorte de provocation destinée à créer l'événement avant la publication du rapport de la commission Mauroy ! Personne ne savait quand la commission Mauroy accoucherait de son rapport ! Tout cela n'est pas très sérieux.
En réalité, nous avons cru raisonnable d'adopter une attitude prudente, et donc de voter un texte acceptable - et je crois que ce texte est acceptable.
Certes, je le reconnais, cela pose un problème : s'agissant de questions financières, il est parfois difficile, techniquement parlant, de démêler ce qui concerne les collectivités locales de ce qui relève de l'ensemble du budget ; il y aurait là quelque chose qui pourrait ainsi contredire le principe général selon lequel, en matière budgétaire et financière, c'est la chambre dite basse qui a le dernier mot.
Outre la prudence dans la démarche, il y avait donc une difficulté technique, et c'est pourquoi nous avons retenu la solution plus sage présentée par M. Gélard.
Quant à dire que cela porterait atteinte à l'équilibre des institutions de la Ve République, laissez-moi rire ! En effet, les uns après les autres, nous corrigeons ce qui est la réalité de la Ve République, à savoir un fâcheux déséquilibre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

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