SEANCE DU 26 OCTOBRE 2000


LIBRE ADMINISTRATION
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Discussion des conclusions du rapport
d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 33, 2000-2201) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi constitutionnelle (n° 432, 1999-2000), de MM. Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières.
Je rappelle que cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette séance consacrée à l'ordre du jour réservé est un peu inhabituelle. En effet, nous abordons aujourd'hui l'examen d'une proposition de loi constitutionnelle. La discussion d'un tel texte n'est pas fréquente. En effet, si de nombreuses propositions de lois constitutionnelles sont déposées, peu sont examinées en séance publique, à l'Assemblée nationale ou au Sénat.
Par ailleurs, ce qui est assez exceptionnel aujourd'hui, c'est la qualité des signataires de la présente proposition de loi : tout d'abord, M. le président du Sénat, qui, depuis qu'il exerce sa fonction, a montré - et avec quel dynamisme ! - l'intérêt qu'il porte aux collectivités territoriales et combien il est attaché au rôle du Sénat dans la défense des collectivités territoriales ; M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France, des quelque 36 000 maires de France ; M. Jean Puech, président de l'Assemblée des départements de France, de la centaine des départements de France ; M. Jean-Pierre Raffarin, président de l'Assemblée des régions de France, de la bonne vingtaine de nos régions françaises ; M. Jean-Pierre Fourcade, président du comité des finances locales. Une certaine presse du soir a qualifié ces signataires d'« éléphants du Sénat ». (Sourires.) Cela démontre l'importance de ceux qui ont signé la présente proposition de loi.
Je souligne que cette proposition de loi est particulièrement opportune, car elle vient couronner une série de déclarations ou de travaux publiés récemment. Tout d'abord, les conclusions des travaux de la mission d'information Delevoye-Mercier, malheureusement trop ignorés par la presse. Cette mission d'information a fait un travail remarquable sur l'état actuel de la décentralisation et les problèmes que celle-ci pose à l'heure actuelle au fonctionnement de l'Etat. Plus récemment, la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par notre collègue M. Mauroy, a formulé une série de propositions pour relancer la décentralisation. Certaines d'entre elles figurent d'ailleurs dans la présente proposition de loi constitutionnelle. Puis, a été solennellement réaffirmé le rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités territoriales, rôle souligné par le Conseil constitutionnel dans sa récente décision de juillet 2000 sur le mode d'élection des sénateurs. Tout cet ensemble conforte l'intérêt et l'actualité de la présente proposition de loi contitutionnelle.
Il est un constat que nous devons dresser : la décentralisation engagée en 1982 est actuellement en panne. Nous assistons à une certaine crise de la décentralisation et de l'autonomie locale. Elle a ses raisons que nous allons tenter d'expliquer. Mais des solutions, dont la recherche a peut-être été trop longtemps retardée, pourraient être dégagées.
Cette nécessité d'examiner l'étendue de notre autonomie locale doit également nous amener à un travail de comparaison. Que se passe-t-il actuellement chez nos voisons de l'Union européenne ? Sur ce point, je ne reprendrai pas ce qui figure dans le rapport écrit qui a été déposé par la commission des lois. Je tiens tout de même à souligner que nos voisins italiens ou espagnols et, tout récemment puisque cela date d'à peine quinze jours, nos voisins belges se sont dotés de lois modernes, récentes, sur la fiscalité locale, garantissant pour une longue période l'autonomie et l'indépendance des collectivités locales. Ces Etats ont établi des règles claires, strictes, simples en ce qui concerne l'autonomie locale et l'autonomie financière.
Cela n'exclut pas, bien sûr, les nécessaires répartition et compensation des inégalités que doit effectuer l'Etat. Cela n'exclut pas non plus la nécessité pour ce dernier de percevoir une certaine forme de revenu, qui sera redistribué sous forme de dotations aux collectivités territoriales.
Cependant, force est de constater que, à l'heure actuelle, nous assistons à une dérive visible : l'autonomie locale n'est plus réellement garantie du point de vue financier, pour plusieurs raisons.
La première : notre Constitution, en son article 72, aux termes duquel les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi » pose un grand principe, mais qui n'a pas de contenu. En effet, quand on examine la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on constate que celui-ci a simplement appliqué le deuxième alinéa de l'article 72 précité mais qu'il n'a pu fixer un seuil en deçà duquel l'autonomie locale serait en péril.
Or cette autonomie locale est en péril en matière fiscale. En effet, alors que, en 1995, 54 % des ressources locales provenaient des impôts locaux, à l'heure actuelle, la part des impôts locaux dans les ressources est tombée à 37 % pour les régions, à 43 % pour les départements si on tient compte de la suppression de la vignette automobile et à 48 % pour les communes. En d'autres termes, alors que voilà cinq ans toutes les collectivités territoriales bénéficiaient de ressources fiscales propres qui représentaient plus de 50 % de leurs ressources, cette proportion approche dangereusement le seuil de 30 %.
Pour autant, cela ne signifie pas que les collectivités territoriales ont toujours perdu en termes de recettes. Il ne s'agit pas de jeter la pierre au Gouvernement, qui n'aurait pas totalement tenu ses engagements quant à la compensation de la disparition de ressources fiscales par des dotations. En effet, il y a eu des dotations. Je rappelle que la loi de décentralisation, transposée dans le code général des collectivités territoriales, prévoit qu'un transfert de compétences doit s'accompagner d'un transfert de ressources.
Cependant, la dotation n'a pas tout à fait la même nature que les ressources fiscales. Tout d'abord, elle dépend du bon vouloir de l'Etat, qui peut, selon ses possibilités ou en fonction de la conjoncture économique, progressivement la réduire. La pérennité de la dotation n'est donc pas garantie. Puis, selon une tendance naturelle, dans un premier temps on compense totalement les déséquilibres dus aux transferts de compétences ou à la suppression d'impôts locaux et, au fur et à mesure que les années passent, la dotation fond lentement pour se rapprocher de zéro, surtout si les ressources des collectivités territoriales, là encore en raison de la conjoncture, ont tendance à croître.
Il est donc nécessaire, à côté de cette compensation par l'Etat des transferts de compétences ou de suppression des impôts locaux, de mettre en place des garde-fous, des barrières qui garantissent, par-delà ces transferts, une véritable autonomie des collectivités locales.
A l'heure actuelle, les collectivités locales assument les trois quarts des investissements publics. De plus, les budgets des collectivités locales sont en parfaite harmonie avec les critères de Maastricht et la gestion financière de l'ensemble de nos collectivités territoriales est saine. Cela signifie qu'il serait peut-être bon que, de temps à autre, l'Etat s'inspire du mode de gestion des collectivités territoriales afin que les grands équilibres soient également respectés à l'échelon national.
Par ailleurs, l'évolution actuelle selon laquelle l'impôt local disparaît progressivement au profit des dotations conduit à un certain nombre de paradoxes.
L'un d'entre eux, c'est que les collectivités locales perdent leur lisibilité aux yeux des citoyens qui vivent sur leur territoire. De plus en plus, un certain nombre de nos concitoyens considèrent que la collectivité territoriale est exclusivement un prestataire de services et que, quel que soit l'endroit où ils habitent, ils doivent bénéficier des mêmes prestations de services. Or, une commune importante, une commune - centre qui dispense bien sûr beaucoup de services publics - ne peut pas irriguer nos campagnes les plus profondes.
En effet, on a perdu le contact par l'impôt entre les citoyens et la collectivité territoriale. De plus en plus, certains de nos concitoyens ne paient plus l'impôt dans les collectivités territoriales. De plus en plus, l'Etat apparaît partout comme le premier contribuable local - celui qui paie le plus de taxe d'habitation, le plus de taxe professionnelle - au point de faire perdre progressivement toute lisibilité de l'action de la collectivité locale pour le citoyen qui réside dans cette dernière.
Il faut, à mon avis, arrêter cette dérive et faire en sorte que les collectivités locales soient responsables de leurs actes et donc de l'impôt qu'elles lèvent. Or, cela n'est possible que dans la mesure où on ne les prive pas de l'essentiel de leurs capacités d'action en matière de recettes.
Si, à partir de ce constat, nombre de solutions peuvent être prises, il importe cependant de soulever encore un certain nombre de problèmes, parmi lesquels la carence des gouvernements successifs et peut-être aussi, mais dans une moindre mesure, celle du Parlement, carence qui apparaît nettement dans notre incapacité absolue à réformer notre système fiscal, en particulier le système fiscal local, dont on sait maintenant à quel point il est devenu inadapté, obsolète, injuste et inégalitaire.
Il faut repenser la façon dont nos finances locales doivent fonctionner. Cela nécessite une grande loi, qui ne sera toutefois possible que si l'on affirme constitutionnellement un certain nombre de principes.
Voilà qui me permet tout naturellement d'en venir à la proposition de loi constitutionnelle et à son contenu.
La proposition de loi constitutionnelle comprend, en réalité, trois grands principes.
Premier principe : il n'y a pas d'autonomie locale sans autonomie financière, laquelle doit être assurée à 50 % au moins par des ressources propres, c'est-à-dire des ressources dont les collectivités locales fixent elles-mêmes le montant.
Il faut naturellement y assimiler les redevances des services publics locaux ou les redevances du domaine privé.
En revanche, un tel calcul doit se faire globalement, c'est-à-dire au niveau de toutes les régions, de tous les départements, de toutes les communes, et non pas individuellement, commune par commune ou département par département. Une péréquation sera donc nécessaire, et l'Etat devra bien évidemment compenser les inégalités dues à la géographie, à la démographie et au sous-développement économique.
Ce premier principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales figure dans le texte proposé pour l'article 72-1 de la Constitution, lequel laisse d'ailleurs la porte ouverte à des possibilités dans la mesure où il prévoit que « les collectivités territoriales peuvent percevoir le produit des impositions de toute nature », comme c'est le cas dans les Etats voisins.
J'en viens au deuxième principe. Contenu dans le texte proposé pour l'article 72-2 de la Constitution, il reprend, en réalité, le principe développé dans la loi sur la décentralisation, intégré dans le code général des collectivités territoriales, mais en l'étendant et en précisant que le transfert de compétences doit nécessairement s'accompagner de transferts de ressources, lesquelles doivent être pérennes, stables, et ne pas diminuer avec les années. Lors de la discussion au sein de la commission des lois, nous avons également développé l'idée que le transfert des charges, et non pas des compétences, devait être compensé lorsque ces charges sont « imposées » par l'Etat aux collectivités territoriales.
Les deux premiers principes sont donc de nature financière et fiscale. Le texte n'entrant naturellement pas dans le détail, il faudra, par la suite, compléter ces principes par des lois, par de nouvelles dispositions en matière fiscale, notamment par la refonte de notre système fiscal local, qui est d'ailleurs toujours en panne. A partir de quel moment va-t-on cesser d'agir au coup par coup, ici ou là, et véritablement réévaluer les bases de façon à mettre en place un système objectif de calcul des bases des impôts locaux ? Alors que l'Etat perçoit depuis longtemps une taxe ou un impôt pour l'établissement des rôles qui aurait dû permettre la réévaluation de ces bases, cela n'a jamais été fait, et voilà donc encore une question qui reste sans réponse depuis des années !
Le troisième et dernier principe contenu dans la proposition de loi n'est plus de nature fiscale. Il vise à réaffirmer le rôle éminent du Sénat dans la défense des collectivités territoriales.
La commission des lois a examiné avec beaucoup d'intérêt et de sympathie le texte initial de la proposition de loi, qui visait à donner en matière d'administration locale les mêmes pouvoirs au Sénat et à l'Assemblée nationale. Mais elle n'est pas allée aussi loin, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, on ne peut pas remettre en cause le système d'adoption des lois de finances. Ces dernières, visées à l'article 47 de la Constitution, sont ce quelles sont. L'Assemblée nationale, tout naturellement, est saisie en premier et a, tout naturellement aussi, le dernier mot. Or, la libre administration des collectivités territoriales passe tout de même, également, par la dimension financière. La commission des lois a donc considéré qu'on ne pouvait pas aller jusqu'à créer une seconde loi de finances qui obéirait à d'autre règles et qui concernerait exclusivement le financement des collectivités territoriales.
En revanche, s'agissant des compétences et de l'organisation des collectivités territoriales, il était bon d'affirmer le rôle éminent du Sénat.
La commission des lois a tout d'abord prévu que tous les projets de loi concernant « l'organisation et les compétences des collectivités territoriales » devront être « soumis en premier lieu au Sénat ». Je précise d'ailleurs que, dans la plupart des cas, cette solution a été adoptée par le Gouvernement. En effet, celui-ci a presque toujours déposé les projets de loi concernant les collectivités territoriales d'abord sur le bureau du Sénat. Par conséquent, la proposition de la commission des lois revient à constitutionnaliser une pratique constitutionnelle remontant aux débuts de la IIIe République.
Mais il fallait aller plus loin, et c'est la raison pour laquelle la commission des lois a proposé que, à l'avenir, l'organisation et les compétences des collectivités territoriales soient fixées par une loi organique, et non plus par une loi ordinaire. Cela ne signifie pas qu'il y aura une possibilité de blocage de la part du Sénat. Simplement, en cas de conflit entre l'Assemblée nationale et le Sénat - sur des questions aussi importantes que la décentralisation, cela ne devrait se produire qu'exceptionnellement - l'Assemblée nationale devra statuer, en dernier lecture, à la majorité absolue des membres qui la composent.
En conclusion, le rapporteur de la commission des lois estime que la proposition de loi aujourd'hui examinée est particulièrement pertinente et actuelle. Elle pose de vrais problèmes qui, jusqu'à maintenant, avaient été esquivés, même s'ils avaient fait l'objet de rapports de commissions présidées par les membres les plus éminents de notre assemblée. En effet, il faut aller plus loin, il faut que l'opinion publique se rende bien compte que, si l'on ne fait rien, la décentralisation va dériver au point de devenir encadrée, dirigée et imposée par l'Etat,...
M. Pierre Fauchon vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, de règlement et d'administration générale. C'est déjà fait !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... comme cela apparaît déjà très largement, par exemple, dans les tout récents contrats de plan Etat-région.
Il faut donc mettre un point d'arrêt à cette dérive, faire en sorte que la décentralisation retrouve un second souffle. La commission des lois et son rapporteur sont conscients que cette proposition de loi ne résout pas, dans l'immédiat, tous les problèmes. Elle ne s'attaque pas, notamment, à la nécessité de réformer la fiscalité totale, de l'asseoir sur des bases nouvelles et, par delà la fiscalité locale, de réviser l'ensemble de notre fiscalité. Le grand chantier qui nous attend est le même que celui qui, au début du siècle, avait retenu le Parlement pendant plus de trois années : il s'agissait alors d'élaborer le grand impôt sur le revenu et de fixer les bases principales de notre fiscalité moderne.
Cette fiscalité date de près d'un siècle, et c'est toujours sur cette base que nous fonctionnons. Il est donc temps de penser à la rénover, à la révolutionner et à l'adapter aux conditions du monde moderne.
M. François Autain. Toujours les grands mots !
M. Patrice Gélard, rapporteur. La proposition de loi est ce qu'elle est. Elle pose les vrais problèmes. Elle met l'accent sur les dysfonctionnements et les dérives. Il était tout à fait dans le rôle de la Haute Assemblée d'aborder en premier ces questions, de proposer des solutions amendables et perfectibles qui, grâce à la navette, seront soumises au dialogue entre les deux assemblées.
Je tiens à féliciter les auteurs de cette proposition de loi d'avoir su, si opportunément, la déposer aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. Poncelet, président du Sénat.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Cher président, je suis en cet instant un sénateur parmi les sénateurs, qui travaille avec eux à l'amélioration de notre législation, surtout lorsqu'elle concerne les collectivités territoriales.
« Conférer une valeur constitutionnelle à l'indispensable autonomie fiscale des collectivités territoriales », tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objet principal de la proposition de loi que MM. Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons déposé en juin dernier - cette date est bien évidemment à retenir pour la suite du débat - et dont vous nous faites l'honneur de débattre aujourd'hui.
« Affirmer la nécessaire autonomie fiscale des collectivité territoriales », tel est d'ailleurs l'intitulé de l'une des 154 propositions du rapport que vient de rendre public notre collègue M. Pierre Mauroy - je me réjouis d'ailleurs de le voir participer aujourd'hui à notre débat - père, en sa qualité de Premier ministre de l'époque, de la relance de la décentralisation dans les années quatre-vingt.
Un tel consensus, même en ces temps de cohabitation, propices à la recherche du plus petit dénominateur commun, est suffisamment rare et éclatant pour constituer la preuve, ô combien évidente, de l'authenticité du problème posé et - j'ai la faiblesse de le considérer ainsi - de la pertinence de la solution proposée.
En effet, la réalité et la gravité de la menace qui pèse sur l'autonomie fiscale des collectivités territoriales sont telles qu'il n'est plus possible de se contenter de déclarations d'intention, aussi vertueuses soient-elles, ou de proclamations incantatoires, bien souvent non suivies d'effet.
L'heure est venue, s'il n'est pas déjà trop tard, de réagir et d'emprunter la voie, certes solennelle mais nécessaire, d'une révision constitutionnelle pour inscrire dans notre loi fondamentale une ligne jaune que le législateur ne devra pas franchir.
Certes, il faut reconnaître que le processus de « grignotage » de l'autonomie fiscale des collectivités locales n'est pas récent : tous les gouvernements, depuis le début des années quatre-vingt, ont en effet tenté de corriger les défauts les plus criants des impôts locaux qui ne sont pas de bons impôts.
De ravaudage en raccommodage, d'abattement en exonération, de dégrèvement en réduction, plus ou moins compensés par des dotations budgétaires, l'Etat est très vite devenu le premier contribuable local.
Aujourd'hui, ce dépérissement de la fiscalité locale connaît une brusque accélération et, surtout, un tour nouveau.
En effet, des pans entiers de la fiscalité locale ou de la fiscalité transférée disparaissent avec la mise en extinction de la part « salaires » de la taxe professionnelle, le dépérissement des droits de mutation, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et la disparition récente du produit de la vignette.
En trois ans, ce sont 80 milliards de francs de ressources propres des collectivités locales qui se sont évanouis.
En trois ans, l'autonomie fiscale des collectivités locales aura ainsi été amputée et dépouillée de 20 % de sa substance.
Ce processus de démantèlement évident de la fiscalité locale est dangereux, car il présente, à terme, deux inconvénients majeurs.
En premier lieu, il distend le lien entre les collectivités locales et leurs administrés en supprimant cette fonction de régulation entre le souhaitable et le possible qu'exerce fort justement l'imposition locale.
En second lieu, ce processus déresponsabilise les élus locaux, qui ne seront plus incités à améliorer l'efficience de leur gestion, car ils deviendront, en quelque sorte, de simples distributeurs de dotations octroyées par l'Etat.
Une telle métamorphose, qui réduirait l'autonomie locale à la seule liberté pour les élus de proximité de dépenser sans avoir de compte à rendre, en quelque sorte, aux contribuables locaux et sous la pression des seuls usagers - qui sont, nous le savons bien par expérience, adeptes du « toujours plus » - irait à l'encontre de l'esprit même de la grande réforme qu'est la décentralisation.
En effet, l'apport essentiel de la gestion de proximité, en termes d'efficience de l'action publique, réside dans la recherche constante par les élus locaux de la meilleure allocation possible des recettes issues de l'impôt local, c'est-à-dire des sacrifices consentis par les citoyens-contribuables, et ce sous leur regard direct.
Confronté à ce risque de dérive pernicieuse, le protecteur de l'autonomie locale qu'est le Conseil constitutionnel n'a pas encore - même s'il s'en approche, c'est vrai - défini le point en deçà duquel la restriction des ressources fiscales deviendrait une « entrave à la libre administration des collectivités locales. »
C'est pour l'aider dans cette recherche que nous proposons d'inscrire dans la Constitution le principe de prépondérance des ressources fiscales au sein des ressources des collectivités locales.
Parachèvement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette consécration de l'autonomie fiscale, qui est une dimension consubstantielle de la libre administration des collectivités locales, a donc pour objet de donner un coup d'arrêt au processus d'étatisation des ressources des collectivités locales.
Qu'on ne se méprenne pas ! Il s'agit, tout simplement, de fixer un minimum incompressible - 50 %, comme l'a rappelé à l'instant M. le rapporteur à cette tribune - pour la part des recettes fiscales et, en aucun cas, d'amorcer un mouvement de reflux des dotations en prônant leur remplacement par de nouveaux impôts.
Les dotations sont et demeurent nécessaires, dans la mesure notamment où elles permettent une péréquation, encore bien insuffisante, entre les collectivités locales. C'est important, et cela a d'ailleurs fait l'objet de débats ici même, lorsque nous avons voté les grandes lois de décentralisation des années quatre-vingt.
De même, le principe de prépondérance des recettes fiscales, qui s'apprécie catégorie par catégorie, n'interdit pas à une collectivité locale - par exemple une commune - qui se trouve dans une situation sociologiquement difficile de disposer de ressources provenant pour l'essentiel de dotations allouées par l'Etat.
Qu'on ne se méprenne pas ! La présente proposition de loi ne préconise pas le « tout impôt », comme je l'ai entendu dire ici et là, mais elle refuse, dans le même temps, le « tout dotation » qui trouverait d'ailleurs très vite ses limites financières.
A cet égard, les contre-arguments issus de la faiblesse des ressources propres des collectivités locales et, corrélativement, de la prédominance des dotations versées par l'échelon central dans les pays à forte tradition décentralisée comme l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne ou l'Italie ne sauraient emporter notre conviction.
En effet, dans ces pays à structure fédérale ou régionalisée, les règles présidant au partage du produit des impôts entre l'échelon central et les niveaux locaux sont, dans la plupart des cas, fixées et protégées par la Constitution, ce qui n'est pas le cas en France.
En outre, l'exception française, qui s'alimente aux sources de l'histoire de notre pays et de sa forme d'Etat unitaire en voie de décentralisation, avec une répartition des impôts entre impôts d'Etat et impôts locaux, rend nécessaire la consécration dans notre loi fondamentale de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Notre éminent collègue Pierre Mauroy ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit, dans son rapport, que « l'autonomie fiscale est une dimension essentielle de la démocratie et du principe français de la libre administration des collectivités locales », principe qui figure d'ailleurs à l'article 72 de notre Constitution et que nous voulons davantage préciser.
Destinée à endiguer les tentations recentralisatrices en matière financière, cette proposition de loi constitue l'un des deux préalables à la relance de la décentralisation que tous, dans cet hémicycle, nous appelons de nos voeux.
En effet, bien qu'inachevée, hélas ! la décentralisation, ou plutôt la nouvelle donne entre l'Etat et les collectivités locales, s'est avérée une réforme bénéfique pour au moins trois raisons : elle a libéré les initiatives et les énergies locales ; elle constitue un facteur d'efficience de l'action publique ; elle donne corps et âme à la démocratie de proximité, qui est l'avenir de la démocratie dans un monde globalisé.
Le premier préalable à l'indispensable relance de la décentralisation réside dans l'ardente obligation de mettre un terme à ce que j'ai appelé l'immaturité congénitale des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales par l'édiction d'un code de bonne conduite.
La présente proposition de loi contribue de trois manières à la réalisation de ce préalable.
D'abord, en posant le principe d'une coexistence harmonieuse, au sein des ressources des collectivités locales, entre les recettes fiscales propres et le produit des dotations.
Ensuite, en conférant une valeur constitutionnelle au principe de la compensation concomitante et intégrale des charges transférées, posé par les lois de décentralisation mais que, j'ai le regret de vous le dire, mes chers collègues, aucun gouvernement n'a jamais appliqué : « Tout transfert de compétences doit être accompagné d'un transfert de moyens financiers à due concurrence. »
Enfin, en ouvrant la voie à une urgente nécessité, celle de la rénovation de la fiscalité locale par l'inscription dans notre loi fondamentale du principe du remplacement des impôts existants par l'attribution de ressources fiscales équivalentes.
Le second préalable à toute relance de la décentralisation est constitué par l'absolue nécessité de consolider et de conforter ce que nous appelons le socle humain de la démocratie de proximité.
Après avoir tenté, mes chers collègues - avec quelque succès je crois - d'enrayer le processus de pénalisation excessive de l'action publique par l'élaboration et l'adoption de la loi Fauchon, dont les premières applications sont conformes à l'objectif recherché - je parle sous le contrôle de l'initiateur de la loi -, il reste maintenant à doter les élus locaux, ces « nouveaux hussards de la République », d'un statut enfin digne de ce nom.
Une telle entreprise passe par une revalorisation des indemnités des maires et des adjoints des petites et moyennes communes, par la consécration d'un véritable droit à la formation, par l'octroi d'une protection sociale accrue et par l'édiction de garanties de retour à l'emploi afin de promouvoir un égal accès de tous aux mandats locaux.
Mes chers collègues, nous devons constater, pour le regretter, que les Français ne sont pas égaux devant l'accès aux responsabilités par la voie élective. Que l'on vienne du secteur public ou du secteur privé, il existe une très grande différence dans le statut de l'élu ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Bret. Surtout pour les salariés !
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Une fois ces préalables réunis, il nous sera alors possible de bâtir, sur ce socle consolidé, une véritable « République territoriale », ou encore une « République d'en bas », pour reprendre l'expression de notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
Cette contruction, pour être solide et durable, devra, par son architecture, respecter deux principes.
En premier lieu, il convient d'évacuer toute querelle sur le nombre des étages, c'est-à-dire sur l'existence de trois catégories de collectivités territoriales. Or je sais que ce point nourrit actuellement nombre de conversations, en particulier chez les experts.
Le département est devenu une donnée immédiate de notre paysage institutionnel. A cet égard, je me félicite que le rapport Mauroy préconise une réaffirmation de son rôle, tout en regrettant que cette démarche positive soit assombrie par les menaces qui affectent l'avenir du canton.
Plutôt que de discourir, à perte de vue et de temps, sur un éventuel échelon surnuméraire, il me semble préférable de clarifier d'urgence les compétences et de généraliser la formule de la « collectivité chef de file » pour les opérations nécessitant des financements croisés : aujourd'hui, le contribuable ne sait plus, sauf peut-être au niveau de la commune, qui fait quoi et comment il le fait.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Très juste !
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Enfin et surtout, le temps est venu de passer de l'incantation à l'action et de mettre en chantier la réforme de l'Etat par application du principe de subsidiarité. Puisque nous l'avons fortement défendu au niveau européen, pourquoi donc ne pas l'appliquer chez nous ? Je me souviens ainsi qu'un ministre de l'éducation nationale a dit, quelques années après l'application de la loi de décentralisation : « Les départements font plus et mieux aujourd'hui que l'Etat hier s'agissant de la construction et de l'entretien des collèges. » Or ce ministre n'était autre que M. Lionel Jospin, aujourd'hui Premier ministre.
Ce vaste programme implique donc l'ouverture aux collectivités locales, ces gestionnaires efficients de la proximité, de nouveaux territoires d'intervention par le transfert de nouvelles compétences - dûment compensé - en matière, notamment, d'éducation, de formation professionnelle, de culture et d'environnement.
Pour conclure mon propos, je voudrais, monsieur le ministre, mes chers collègues, me féliciter de l'actuel contexte de bouillonnement intellectuel propice à une relance de la décentralisation. Saisissons tous ensemble cette opportunité !
Le Sénat, dont le « bonus constitutionnel » de représentant des collectivités territoriales de la République vient d'être confirmé - et avec quel éclat ! - par le Conseil constitutionnel, a pris une part active dans la renaissance de ce débat.
Le Sénat, qui a montré sa capacité à rassembler, à fédérer et à mobiliser les élus locaux, devrait, à l'évidence, se voir reconnaître un rôle accru dans l'élaboration des lois relatives aux collectivités locales, comme l'a fort bien exposé à l'instant M. le rapporteur, notre collègue Patrice Gélard.
Une telle extension de ses compétences, qui découle tout naturellement de sa vocation constitutionnelle, serait le gage d'une bonne législation au service de cette République territoriale dont l'avènement doit être et sera le catalyseur d'une France que nous voulons moderne, dynamique et solidaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour examiner ensemble les dispositions d'une proposition de loi constitutionnelle déposée par MM. les sénateurs Poncelet, Raffarin, Puech, Delevoye et Fourcade que nous sommes réunis ce matin au Sénat.
Avant d'entrer dans le détail des dispositions contenues dans les trois articles de cette proposition de loi, je souhaite vous livrer le fond de ma pensée sur ce débat.
Si l'on se réfère à son exposé des motifs, cette proposition de loi trouve son origine dans le fait que la libre administration des collectivités territoriales serait menacée par le Gouvernement et qu'en conséquence l'autonomie fiscale, telle qu'elle la définit, devrait être inscrite dans la Constitution, dans le marbre.
Selon le texte qui nous est présenté, la notion d'autonomie fiscale serait inséparable de celle de libre administration, qui serait aujourd'hui menacée.
Enfin, il nous est proposé que le Sénat soit, en tant que « protecteur » des collectivités locales, saisi en première lecture de tout projet de loi portant sur l'organisation des collectivités locales et de leurs compétences, selon la procédure suivie pour les lois organiques.
Je vais répondre point par point sur ce que l'on pourrait considérer comme des malentendus.
D'abord, je suis, tout comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, attaché à la libre administration des collectivités locales, et la majorité à laquelle j'appartiens et le Gouvernement dirigé par Lionel Jospin n'ont pas, me semble-t-il, de leçon à recevoir en matière de décentralisation. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
Les grandes lois de décentralisation ont été votées sur l'initiative du Premier ministre Pierre Mauroy et grâce au travail d'élaboration et de proposition de Gaston Defferre, et, à ce moment là, le Sénat et sa majorité avaient voté contre la décentralisation.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Pourquoi ?
M. François Autain. On ne le rappellera jamais assez !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il ne me semble pas que la majorité nationale entre 1986 et 1988 ou, plus récemment, entre 1993 et 1997 ait à son bilan les actes les plus fondateurs de la décentralisation, même si elle a fini par s'y rallier, ce dont je me réjouis.
Je ne me souviens pas non plus avoir constaté le transfert d'impôts aux collectivités locales pendant ces mêmes périodes. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Robert Bret. C'est même le contraire qui s'est passé !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Depuis 1997, grâce notamment à l'action de Jean-Pierre Chevènement et à la loi du 12 juillet 1999 sur l'intercommunalité, le Gouvernement a fait faire à la décentralisation un grand pas en avant, en réformant, par une révolution tranquille, les fondements de notre organisation locale.
Je vous rappelle également que l'installation de la commission pour l'avenir de la décentralisation a résulté de l'initiative du Premier ministre et que le rapport qui lui a été remis le 17 octobre dernier comprend 154 propositions concrètes, pragmatiques, mais également, contrairement à ce que j'ai pu entendre de certaines réactions, profondément rénovatrices. C'est sur ces propositions que le Gouvernement va s'appuyer pour lancer et construire une nouvelle étape de la décentralisation.
Demain, à Lille, le Premier ministre en présentera les grandes lignes. Il proposera au Parlement un débat sur l'avenir de la décentralisation, et nous pourrons alors avoir un débat au fond sur ce sujet très important pour la société française, débat qui ne se limitera pas au seul aspect de l'autonomie fiscale.
Examinons cependant maintenant au fond cette proposition.
Je veux tout d'abord rappeler que la libre administration des collectivités locales ne se réduit pas à la seule autonomie financière.
Je ne m'étendrai pas sur les exemples fournis par les collectivités locales de nos voisins, certes aux institutions et à l'histoire différentes des nôtres, mais pas nécessairement moins librement administrées que les collectivités locales françaises, avec des ressources qui ne leur sont pas toujours propres. Je sais que leur exemple ne nous est pas forcément transposable et que nos institutions ne sont pas toujours comparables, mais convenez qu'en la matière le principe d'équivalence entre libre administration et autonomie fiscale paraît déjà bien peu solide.
En effet, qu'est-ce que la libre administration des collectivités locales ?
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président du Sénat, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Monsieur le ministre, les ressources propres des Länder allemands, structure fédérale, bien que venant de l'Etat, sont inscrites dans la Constitution allemande. Par conséquent, on ne peut pas y déroger, les gouvernements ne peuvent pas, chaque année, grignoter ces ressources. Voilà ce qui est important ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cela ne m'avait pas échappé, monsieur le président, mais nous légiférons ici dans le cadre du Parlement français.
Quels sont, disais-je, les éléments qui caractérisent cette libre administration des collectivités locales ?
Le pouvoir budgétaire, par exemple, et notamment le fait de pouvoir décider librement de l'emploi des crédits dans le respect de règles ou contraintes que l'Etat connaît également. Faudrait-il, au nom du principe de libre administration, supprimer la liste des dépenses obligatoires prévues par le code général des collectivités territoriales ou l'élever, la graver, elle aussi, dans le marbre de la Constitution ? Je ne vous le suggérerai pas.
Le fait de pouvoir décider des emprunts et d'emprunter auprès de n'importe quelle banque. Ce pouvoir financier devrait-il être inscrit dans la Constitution pour ne pas subir le risque d'être remis en cause par le Gouvernement ? Personne n'y pense.
Le fait d'être, depuis les lois du 2 mars 1982, soumis non plus à la tutelle a priori mais au contrôle a posteriori par le représentant de l'Etat. Peut-être faudrait-il, là encore, élever au niveau de règles constitutionnelles précises les procédures de contrôle budgétaire et de légalité !
Le fait de pouvoir exercer des compétences et, pour les départements et les régions, de se voir transférer certaines compétences par les lois de 1983, compétences qui leur ont permis d'être mieux identifiées par la population, comme le souligne d'ailleurs un sondage récent sur la décentralisation.
Le fait de pouvoir créer des établissements publics de coopération intercommunale pour exercer des compétences que les communes ne peuvent assurer du fait de leur émiettement et, trop souvent, de l'insuffisance de leur richesse fiscale.
Alors - et je n'ai pas été exhaustif, loin de là - faudrait-il inscrire tout cela dans la Constitution ? Faudrait-il que je reprenne cette énumération, voire que je la complète, en répétant après chaque phrase : « A inscrire dans la Constitution » ?
Faudrait-il que nous allions à Versailles, que vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, alliez à Versailles très régulièrement pour inscrire ces facultés ou ces contraintes dans la Constitution, car ces dispositions pourraient s'avérer rapidement obsolètes et devraient alors être modifiées en permanence ? Je ne le crois pas, mais, puisque les auteurs de la proposition de loi reprochent au Gouvernement un mouvement de recentralisation, pourquoi ne vont-ils pas jusqu'au bout de leur démarche ?
Nous ne devons pas oublier que le fait de lever l'impôt, de le définir, de le préciser et de le voter est, depuis plus de deux siècles, l'un des fondements de notre démocratie confié au Parlement. C'est le Parlement qui doit voter l'impôt et le voter annuellement.
M. Lucien Neuwirth. Le Parlement ne vote pas 10 % du budget !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je ne suis pas l'auteur de la Constitution de 1958, monsieur Neuwirth ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Lucien Neuwirth. Peut-être, mais je le constate !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Est-ce vraiment en restreignant le pouvoir du législateur que nous ferons un grand pas en faveur de la démocratie en général et de la démocratie locale en particulier ? Pour ma part, j'en doute.
L'examen, article après article, des dispositions et principes - de valeur constitutionnelle, selon eux - que les auteurs de cette proposition de loi voudraient promouvoir au rang de règle quasi intangible soulève les mêmes préventions.
Ils nous disent, en effet, que cette proposition de loi se justifie par les suppressions successives par l'Etat de certains droits de mutation à titre onéreux, de la part salariale de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation, puis, dernièrement, de la vignette automobile et leur remplacement par des dotations. Cela justifierait le garde-fou constitutionnel qu'ils souhaitent instituer.
Mais ce garde-fou constitutionnel existe déjà, et les décisions du Conseil constitutionnel, notamment celle du 12 juillet 2000, ont toutes jusqu'alors considéré que les règles posées par la loi n'avaient pas restreint les ressources fiscales des collectivités locales au point d'entraver leur libre administration.
Aussi, l'autonomie fiscale que les auteurs de la proposition de loi, selon l'article 1er, estiment garante de la libre administration, en assurant une part majoritaire de recettes fiscales dans les ressources hors emprunt de chaque catégorie de collectivités locales, me paraît plutôt de nature, aujourd'hui, à figer une situation, au risque de gêner les évolutions futures des impôts locaux actuels, qui sont, bien évidemment, à moderniser.
Le fait pour une collectivité de ne pas bénéficier aujourd'hui, et demain si ce texte était adopté, de plus de 50 % de recettes fiscales devrait-il nous signifier que cette collectivité n'est nécessairement pas autonome et donc n'est pas librement administrée ? Non, je ne le crois pas et je suis sûr que vous ne le croyez pas non plus, car ce serait faire injure à de très nombreux maires de collectivités défavorisées.
Aussi, vous comprendrez que je préfère garder pour unique référence celle de l'article 72 de la Constitution, qui, dans sa rédaction en vigueur, est remarquable de précision et de concision : « Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».
En tout état de cause, la proposition que nous examinons aujourd'hui ne règle pas la situation que je viens d'évoquer, en introduisant un ratio moyen par catégorie.
Ce qui est plus important, au fond, c'est de moderniser les impôts locaux d'aujourd'hui, afin que les collectivités locales puissent disposer de ressources justes, équitables, mieux réparties et assurant un lien fort entre le citoyen, le contribuable et les élus.
M. Alain Lambert. Et la croissance !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Pour cela, il faut impérativement travailler tous ensemble pour revoir la fiscalité locale actuelle, notamment en suivant les pistes ouvertes par la commission dite « Mauroy ».
Nous sommes tout à fait prêts à étudier la faisabilité, comme l'indique la commission, de la rénovation des assiettes, de la spécialisation des impôts locaux ; à ce titre, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation pourrait d'ailleurs être considérée comme un pas dans ce sens. Nous pourrons, enfin, envisager tout autre dispositif pertinent en la matière.
Comme je vous l'ai indiqué précédemment, comme je l'ai dit à chacune de mes interventions publiques, je suis attaché à une fiscalité locale juste et plus responsabilisante, assurant un lien étroit entre le contribuable et la collectivité locale, entre le citoyen, là encore, et l'élu.
Mais l'autonomie fiscale ne doit pas être le « cache-nez » de l'égoïsme des collectivités riches. Comment, en effet, remédier à la mauvaise localisation des bases d'imposition actuelles, si ce n'est par la péréquation, c'est-à-dire par une répartition générale des ressources fiscales nationales, et donc par des dotations ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
La concurrence acharnée entre collectivités par des moyens fiscaux réservés aux plus riches ne me paraît pas compatible avec cette responsabilité fiscale que nous souhaitons tous.
Je n'ai pas de désaccord de fond avec vous en la matière, en tout cas je le pense. Mais, si je suis persuadé que la réflexion sur les ressources des collectivités locales et les actions à mener doivent être mises en oeuvre rapidement, je suis persuadé également qu'elles ne doivent pas se faire dans la précipitation et certainement pas non plus être inscrites dans la Constitution. Cette précipitation me semble d'autant plus manifeste que les modifications que la commission des lois a apportées à la proposition de loi, à la suite de l'important travail du rapporteur, sont considérables.
Le débat doit être plus ouvert que celui qui est proposé aujourd'hui avec ce texte. Je peux annoncer, au nom du Gouvernement, qu'un premier rapport sera déposé par le Gouvernement au Parlement d'ici à la fin de l'année 2001, afin de préparer les voies et moyens d'une réforme d'ensemble des ressources des collectivités locales.
Ces réformes que nous engagerons à la suite de ce rapport, ou de ces rapports, vont demander un travail considérable du Gouvernement, du Parlement, du comité des finances locales et des associations d'élus. Alors, prenons garde aux réformes mal engagées et qui obéreraient cet avenir !
Dans le droit-fil de cette idée forte, je peux également vous annoncer que le Gouvernement proposera de prolonger d'un an le contrat de solidarité et de croissance qui définit l'évolution globale des grandes dotations de l'Etat aux collectivités locales. Ce contrat, adopté par le Parlement, pour les années 1999 à 2001 a, je le rappelle, avantageusement remplacé le pacte de stabilité du gouvernement précédent.
Il est également demandé, à l'article 2, que soit inscrit dans la Constitution le principe d'une compensation intégrale des transferts de compétences aux collectivités locales par des ressources stables, pérennes et évolutives, j'ajouterai, si vous le permettez, des ressources, donc, semblables à la dotation générale de décentralisation d'aujourd'hui, en fait.
Il est proposé que ce principe, inscrit dans les lois de décentralisation, soit complété également par la compensation des charges imposées par l'Etat aux collectivités locales. Seraient peut-être notamment visées les évolutions des dépenses de personnel des collectivités locales et les charges afférentes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Exact !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce gouvernement, depuis 1997, a toujours respecté ce principe ainsi que le démontre l'évolution favorable des compensations inscrites dans la dotation générale de décentralisation pour l'année 2001, à savoir 3,42 %, ce qui est nettement au-dessus de l'inflation.
Je le souligne avec d'autant plus de force que votre commission, dans sa sagesse, a renoncé à la référence au seul PIB, qui figurait dans la proposition initiale.
Pourquoi y a-t-elle renoncé ? Tout simplement parce que l'indice de progression de la DGF et donc de la DGD est, en fait, protecteur pour les collectivités locales en cas de retournement de conjoncture économique et que, lorsqu'il était bas ces dernières années, celui de la croissance économique nationale l'était plus encore.
La compensation des transferts de compétence n'est pas faite unilatéralement. Le montant est examiné et soupesé par la commission consultative d'évaluation des charges dont la mission, depuis 1983, est d'estimer avec précision les dépenses de l'Etat avant tout transfert.
Maintenant, s'agissant de l'évolution ultérieure des charges transférées, vous conviendrez avec moi que tout transfert de compétence ne peut que s'accompagner d'une responsabilité totale de la collectivité bénéficiaire et, ce faisant, des conséquences financières de ses décisions ultérieures.
S'agissant des responsabilités des élus locaux en matière de fonction publique territoriale, notamment en matière salariale, nous étudierons là-encore avec beaucoup d'attention les propositions de la commission Mauroy et leurs conditions de mise en oeuvre.
Mais l'unité de la fonction publique dans ses trois composantes - Etat, hospitalière et territoriale - nécessite un traitement unitaire en termes de possibilité d'évolution de carrière, d'évolution de rémunération et de conditions de travail.
M. Jean-Pierre Fourcade. Et de retraite !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. C'est la conception même de la fonction publique dans notre pays, que pour sa part le Gouvernement n'entend en aucune manière remettre en cause. La décentralisation ne saurait se faire au détriment des fonctionnaires.
Enfin, à l'article 3, dernier article de votre proposition de loi, est proposée la reconnaissance du rôle du Sénat de garant des collectivités locales en lui confiant en première lecture tous les projets de loi relatifs à l'organisation des collectivités locales.
Le Gouvernement, quel qu'il soit, doit pouvoir choisir librement, pour des raisons qui lui appartiennent en propre, de déposer en premier lieu les projets de loi relatifs aux collectivités locales devant l'Assemblée nationale ou le Sénat. Restreindre sa marge d'appréciation en la matière, en lui imposant constitutionnellement de saisir en premier lieu le Sénat, en « recentralisant » au Sénat la procédure, ne paraît ni envisageable, ni même souhaitable. L'Assemblée nationale et le Sénat ont un rôle que leur confère la Constitution ; il n'est pas souhaitable de la modifier aujourd'hui.
D'ailleurs, la procédure actuelle permet un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, comme l'ont illustré deux textes récents particulièrement importants pour les collectivités locales, la loi du 12 juillet 1999 sur l'intercommunalité et celle du 15 avril 1999 relative aux polices municipales. La commission mixte paritaire fut ainsi une réussite dans ces deux occasions.
En conclusion, et avant que s'engage la discussion sur chacun des articles, je voudrais insister sur les principaux points suivants.
Le Gouvernement s'est engagé dans une action résolue au service de la population et donc de la population de nos collectivités, action qui passe par une nouvelle étape de la décentralisation, plus proche du citoyen qu'aujourd'hui. Le citoyen doit être au centre de notre réflexion et de nos actions.
Cette nouvelle étape nécessite, à partir des propositions de la commission présidée par Pierre Mauroy, d'examiner toutes les questions intéressant les collectivités locales, y compris leurs ressources et leur autonomie fiscale et financière. C'est dans cet esprit que je vous ai annoncé la remise, d'ici à la fin de l'année prochaine, d'un premier rapport du Gouvernement au Parlement sur les ressources des collectivités locales, rapport préalable à une réforme d'ensemble de cette fiscalité.
L'inscription dans la Constitution du principe de l'autonomie fiscale ne peut être, nous l'avons vu, la solution à des problèmes sur lesquels nous devons, tous ensemble, travailler et retravailler tout au long de l'année 2001. C'est de cette concertation que naîtront les conditions et les mesures favorables à une nouvelle phase de la décentralisation.
L'inscription du principe d'autonomie fiscale dans la Constitution ne serait, je vous le dis, qu'une solution d'apparence. Le Gouvernement choisit, quant à lui, de se consacrer aux réalités mêmes de la décentralisation.
Le Gouvernement vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas adopter la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui, même si, évidemment, il apprécie, et j'en suis personnellement très heureux, de participer à cette discussion dont vous êtes à l'origine, monsieur le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Je n'en doute pas !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes.
Groupe socialiste, 50 minutes.
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes.
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes.
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes.
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes.
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de paraître un tantinet obsessionnel, je dois dire que nous aurions, mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, eu toutes les raisons du monde de déposer une question préalable sur le texte qui nous est soumis aujourd'hui.
Une fois de plus, obnubilée par la crainte de se voir « doublée » dans sa mission de défenseur des collectivités territoriales, la majorité sénatoriale veut faire adopter une proposition de loi dans la précipitation, en bâclant le travail.
Cela nous rappelle étrangement un autre scénario, qui s'est déroulé voilà quelques mois à peine dans cette même enceinte, sur la question des délits non intentionnels, sauf qu'aujourd'hui on a droit, en bonus, à la grosse artillerie : une proposition de loi constitutionnelle, cosignée par les éminents présidents de l'association des maires de France, l'AMF, du Comité des finances locales, de l'Assemblée des départements de France, l'ADF, et de l'Assemblée des régions de France, l'ARF ainsi que par le président du Sénat ! Excusez du peu...
Je vous replante brièvement le décor déjà éprouvé.
D'abord, il fallait jouer l'effet de surprise, avec le dépôt inopiné d'une proposition de loi à quelques jours du dépôt d'un rapport officiel,...
M. Christian Poncelet, président du Sénat. A quelques mois !
M. Robert Bret. ... afin de couper l'herbe sous le pied des « concurrents », pour surtout ne pas apparaître à la remorque ! Il s'agissait, à l'époque, du rapport du groupe de travail Massot sur la responsabilité des décideurs publics et il s'agit aujourd'hui de celui de la commission Mauroy. Mais il est vrai, messieurs, que vous connaissiez déjà les grandes lignes du rapport de cette commission puisque vous étiez un certain nombre à en être membres, avant d'en partir à grand fracas.
Ensuite, il convenait de prendre tout le monde de vitesse pour faire adopter le plus rapidement possible, avant le congrès de l'AMF, un texte de circonstance dont on attend un gain politique immédiat dans un contexte que nous connaissons tous - les élections municipales ne sont pas loin - quitte d'ailleurs à susciter, bien inutilement, des tensions. Je rappellerai pour mémoire la montée au créneau des associations de victimes d'accidents du travail ou d'accidents collectifs dont on n'avait pas su entendre à temps les réserves.
Mais, apparemment, on n'a toujours pas compris que faire la décentralisation sans le citoyen, revient à faire la décentralisation contre le citoyen : la proposition de notre collègue Fauchon avait pu donner le sentiment d'une loi d'impunité pour les élus...
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Monsieur Bret, puis-je me permettre de vous interrompre ?
M. Robert Bret. Même si je présume que vous allez parler des délits non intentionnels, je vous en prie, monsieur Fauchon.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je suis obligé, en tant que vice-président de la commission des lois, de signaler à M. Bret qu'il vient de tenir un propos qui est démenti tout simplement par la réalité des faits : la proposition de loi de M. le président du Sénat a été déposée le 22 juin dernier. Qu'en est-il donc de cette prétendue précipitation pour prendre de vitesse le dépôt des conclusions de la commission Mauroy ?
Je vous indique, par ailleurs, monsieur Bret, que nous nous soucions constamment, comme l'a très bien dit M. le président du Sénat, du problème des collectivités locales, notamment du problème de leur autonomie qui est de plus en plus menacée. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'au mois de juin dernier cette proposition de loi, cosignée par les autorités les plus qualifiées pour le faire, ait été déposée.
Quant à votre rapprochement avec la proposition de loi que j'ai moi-même déposée l'année dernière sur les délits non intentionnels, laissant entendre que je m'étais précipité pour devancer la commission Massot, je vous invite à vous renseigner, monsieur Bret, avant de tenir de tels propos !
Je sais bien que la vérité vous soucie peu, je l'ai d'ailleurs déjà remarqué à bien des occasions, mais je suis obligé de vous dire la vérité : cette proposition de loi était déjà en forme avant même que la commission Massot se réunisse. Pour ma part, j'ai plutôt l'impression inverse que, étant informés de l'existence de cette proposition de loi, déposée en octobre de l'année dernière, le Gouvernement s'est hâté de mettre en place la commission Massot, à l'instar de ce qu'il a fait en bien d'autres circonstances ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes !)
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Tout à fait ! M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Alors, je vous en prie, monsieur Bret, je veux bien vous entendre avec beaucoup de patience - et il en faut souvent ! - mais pas lorsque vous énoncez des contre-vérités ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Robert Bret. C'est votre vérité, mon cher collègue !
M. François Trucy. C'est la vérité !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret. Votre proposition de loi, monsieur Fauchon, avait pu donner le sentiment d'être une loi d'impunité au bénéfice des élus, et cette proposition de loi constitutionnelle risque d'apparaître aujourd'hui au mieux - certains l'ont évoqué en commission des lois et sous votre contrôle - comme la possibilité pour les élus de se libérer des contraintes fiscales, au pire comme une loi « prétexte » pour renforcer le poids du Sénat. Je fais référence à l'article 3.
Vous comprendrez dès lors que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen refusent de s'inscrire dans ce débat biaisé.
L'examen attentif du contenu de la proposition de loi, même modifié en commission des lois, ne peut que nous conforter dans cette attitude : de démocratique et d'ambitieuse, la proposition n'a que les apparences qu'en donne l'exposé des motifs.
Qui pourrait, en effet, ne pas adhérer à l'hommage rendu à la décentralisation « qui a permis une éclosion des initiatives locales, un rapprochement entre l'élu et le citoyen et une amélioration de l'efficacité de l'action publique », selon les termes mêmes de l'exposé des motifs ?
Certainement pas nous, élus communistes républicains et citoyens, qui avons été les farouches partisans et défenseurs des réformes de 1982 et 1983 - bien plus que vous, au demeurant, comme l'a rappelé M. le ministre.
Comment ne pourrions-nous pas être d'accord avec l'idée d'une autonomie financière et fiscale des collectivités locales, condition nécessaire d'une autonomie réelle des collectivités locales, avec le principe de prépondérance des ressources locales qui a été évoqué par M. Poncelet ?
Nous en sommes convaincus depuis longtemps : la tradition centralisatrice de la France est telle qu'on ne peut concevoir un système à l'allemande, l'Etat central ayant toujours la tentation de maintenir sous sa tutelle les entités locales.
Mais une fois que l'on a dénoncé la perversion d'un système dans lequel, par voie de compensations, l'Etat devient « le premier contribuable local », nous disent M. le rapporteur et M. le président Christian Poncelet, encore faut-il proposer des solutions effectives ! Permettez-moi, mes chers collègues, d'être plus que sceptique quant à l'efficacité du dispositif que vous préconisez ici.
La solution avancée par la proposition de loi constitutionnelle et reprise par la majorité de la commission des lois consiste en la constitutionnalisation du principe de l'autonomie fiscale ainsi que de celui de la compensation concomitante et intégrale des charges transférées.
Ces principes ont déjà valeur législative, la Constitution, dans son article 72, ne faisant actuellement que consacrer, sous forme de garantie de procédure il est vrai, le principe de libre administration des collectivités territoriales locales.
Cette constitutionnalisation permettrait, si j'ai bien compris, de se prémunir contre les tentations centralisatrices de l'Etat ou du législateur, en mettant les principes consacrés hors de sa portée : autrement dit, la décentralisation restant finalement bien peu « naturelle » à notre tradition, il faut se faire violence pour l'imposer.
Il est vrai que, si l'on se réfère aux lois votées ces dernières années sur la question de la fiscalité locale, vous avez, messieurs de la droite, toutes les raisons de vouloir vous protéger de vous-mêmes, vous qui avez voté la réduction de la taxe professionnelle en 1986, la réforme de la DGF de 1993, la non-compensation intégrale de la TVA sur les investissements, la suppression de la DGE des communes de plus de 20 000 habitants, la régularisation Auberger, vous qui avez accepté le pacte de stabilité en 1995, approuvé l'intercommunalité et agréé la fin progressive de la part salariale de la taxe professionnelle en 1999.
Il serait d'ailleurs bienvenu ici de demander effectivement ce que toutes ces ressources ont ôté comme moyens et donc comme autonomie aux collectivités locales.
Ainsi, pour la seule dotation de compensation de la taxe professionnelle, qui était censée couvrir les moins-values nées de l'alignement transitoire de 1986, on peut estimer la perte actuelle à 20 milliards de francs. Cette perte n'a d'ailleurs fait que croître et embellir sans qu'en termes d'emplois et d'investissements l'allégement ne fasse la démonstration de son utilité.
En effet, 20 milliards de francs, cela fait tout de même plus du quart de la taxe d'habitation, 20 milliards qui manquent peut-être à l'application de la révision des valeurs locatives, serpent de mer de la fiscalité locale...
La constitutionnalisation permettra-t-elle, comme vous le soutenez, d'assainir la gestion financière des collectivités locales en lui donnant un base libre et pérenne ? On est en droit d'en douter. Les propositions qui nous sont faites sont même, à mon sens, dangereuses à un double point de vue.
D'une part, la proposition de loi reste étrangement silencieuse - M. le ministre l'a rappelé - sur le rôle dévolu à l'Etat : rien sur la péréquation. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une référence implicite, comme c'est le cas dans le texte adopté par la commission des lois au travers de l'affirmation de l'appréciation par catégorie de collectivités de la part des recettes fiscales locales.
Tout le monde s'accorde à dire pourtant combien le rôle régulateur de l'Etat est nécessaire, indispensable si l'on ne veut pas que disparités régionales riment avec inégalités. La reconnaissance de ce « rôle de solidarité », comme le nomme le rapport de notre collègue M. Mauroy, est, selon nous, le corollaire indispensable de l'autonomie financière des collectivités locales.
Permettez-moi de reprendre à mon compte l'avis récent du Conseil économique et social sur « la décentralisation et le citoyen » : « S'il s'avère en revanche que la ressource principale des collectivités locales françaises doit rester tirée de l'impôt, il importera de veiller à la fois à ce que celui-ci ne produise ni une injustice entre les citoyens, ni une inégalité entre les territoires et à ce qu'il constitue une ressource dynamique ».
D'autre part, en réduisant la problématique des finances locales à la question de la fixation d'un seuil en deçà duquel il n'y aurait plus d'autonomie locale - la barre des 50 % fatidiques - et en constitutionnalisant cette règle, le texte que vous nous proposez d'adopter, messieurs de la droite, hypothèque toute réforme en profondeur des finances locales en figeant, pour l'avenir, les termes du débat.
Si l'on y regarde d'un peu plus près, nous ne sommes d'ailleurs pas loin de ce seuil aujourd'hui. Quand on fait la somme des dotations incluses dans l'enveloppe du pacte de croissance et de solidarité et de celles qui sont inscrites hors de cette enveloppe et que l'on met en regard les recettes issues de l'application de la fiscalité, on se demande si votre proposition ne consiste pas à dire : assez de réformes au coup par coup, arrêtons tout !
Mais comment tenir l'équilibre, ensuite ?
Est-ce en réduisant les crédits d'intervention, donc les dépenses publiques déconcentrées dans les différents ministères ? Est-ce en laissant courir la pression fiscale, notamment le foncier bâti, impôt de loin le moins corrigé ? Est-ce en freinant la progression de la DGF forfaitaire, ce qu'apprécieront certainement les milliers de maires pour qui elle constitue la première ressource budgétaire ?
Que les choses soient claires : s'il s'agit de tenir un équilibre global mal assuré couvrant disparités et inégalités criantes, alors dites-le ! Mais sans nous !
A plusieurs reprises, dans votre rapport, monsieur Gélard, vous insistez sur la nécessité de procéder à une réforme en profondeur de la fiscalité locale, imputant à juste titre la situation actuelle à un renoncement des gouvernements successifs de mettre cette question en chantier. Vous l'avez d'ailleurs rappelé voilà un instant.
Cette observation rejoint d'ailleurs et l'avis du Conseil économique et social et les conclusions de la commission Mauroy. N'était-ce pas par là qu'il aurait fallu commencer ?
Cette question des finances locales ne méritait-elle pas la remise à plat complète d'un système complexe - pour ne pas parler « d'usine à gaz » - qui devient ingérable ? Cela nécessiterait que nous abordions les problèmes non seulement du seuil, mais également de la nature, du taux et de l'assiette de la fiscalité locale.
S'agit-il de créer de nouveaux impôts ? Si oui, encore faut-il savoir sur quelle base ! Pour notre part, nous avons fait des propositions solides concernant par exemple la taxation des actifs financiers des entreprises, forme grandissante d'utilisation de la richesse créée.
A ce propos, nous ne pouvons qu'agréer la position défendue par M. Delevoye, président de l'Association des maires de France, qui avait indiqué que « notre fiscalité devait prendre en compte le fait que la richesse était aujourd'hui d'abord financière au lieu d'être, comme jadis, foncière ou industrielle ».
Il est grand temps que les entreprises accumulant le capital et qui sont aujourd'hui largement dispensées du paiement de la taxe professionnelle en raison de son assiette présente, soient enfin mises à contribution.
L'inégalité des entreprises devant l'impôt local impose cette salutaire et nécessaire réforme afin de pénaliser la spéculation financière qui est menée au détriment de l'emploi, de l'investissement productif et, donc, du développement économique.
Faut-il réformer en profondeur la taxe d'habitation qui paraît, à bien des égards, désuète et profondément inégalitaire ?
Nous estimons qu'il serait nécessaire de mettre en oeuvre, dans les conditions de garanties qu'offre d'ailleurs aujourd'hui le système de plafonnement issu du collectif de printemps, la révision des valeurs locatives qui traîne depuis 1990 et n'a, en fait, pas été mise en oeuvre depuis 1970. En trente ans, notre pays a trop changé pour que l'impôt local n'en tienne pas compte.
Je vais même plus loin : nous ne pensons pas que le choix d'une seule redistribution de la charge fiscale entre taxe d'habitation et foncier bâti, retenu dans la plupart des simulations effectuées, soit le plus pertinent.
Ne doit-on pas repenser entièrement le système de dotations de l'Etat et aborder la question du contrôle financier par les chambres régionales des comptes, allant ainsi bien au-delà du texte que le Sénat a examiné récemment ?
A ce titre, force est de constater que l'économie de la réforme de la dotation globale de fonctionnement de 1993, que vous avez portée sur les fonts baptismaux est passablement mise en cause. Ainsi, le rapport Carrez, présenté au comité des finances locales, indique que la progression des concours dépend, depuis 1997, de l'abondement exceptionnel des dotations de solidarité.
Il est grand temps que la réforme de 1993 soit remise en question et que l'évolution de la dotation soit plus dynamique qu'aujourd'hui en dépit des efforts accomplis ces dernières années.
Enfin, le problème pourtant fondamental de la lisibilité des finances locales pour le contribuable reste entier. Cette lisibilité est pourtant indispensable à la démocratie locale sur laquelle devrait pourtant reposer toute la légitimité d'une réforme de la fiscalité locale.
Finalement, faute d'aborder ces questions, la proposition de loi devient inutile. Il est d'ailleurs aberrant que nos collègues de la commission des finances n'aient pas eu à connaître d'une telle proposition et qu'on ne leur ait pas demandé leur avis. C'est, selon nous, tout à fait révélateur du « coup politique » qui sous-tend le dépôt du texte.
On doit donc conclure que c'est l'article 3 qui constitue le ferment de la proposition de loi constitutionnelle est vraiment inquiétant. Il contient, en effet, une disposition profondément antidémocratique, fort heureusement rejetée, même par vos propres collègues de la commission des lois, messieurs les auteurs de la proposition de loi.
Qu'on en juge : la proposition de loi constitutionnelle, dans sa rédaction initiale, visait à imposer le « vote dans les mêmes termes par les deux assemblées » sur tous les textes relatifs à l'administration des collectivités locales.
Si je traduis, les sénateurs, élus pour neuf ans incompressibles au suffrage indirect, auraient la possibilité de faire obstacle à la volonté démocratique de l'Assemblée nationale, issue directement du suffrage populaire pour cinq ans et soumise à la dissolution, sur quasiment tous les textes. Voyez la formulation retenue !
En fait, on nous propose de revenir à un système oligarchique, la légendaire sagesse du Sénat venant « équilibrer » l'insouciance - ou l'inconséquence ! - de l'Assemblée nationale.
Quel que soit le rôle joué par le Sénat vis-à-vis des collectivités locales, qu'il soit consacré comme « émanation de ces collectivités » par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2000, rien - et je pèse mes mots - ne justifie une telle atteinte à nos principes constitutionnels, démocratiques et républicains, qui consacrent la prééminence naturelle de la chambre élue au suffrage universel direct.
Nous avons pu lire dans la presse qu'il se serait agi d'une simple « provocation » à l'égard du Premier ministre. Cette plaisanterie pourrait coûter cher à la démocratie et nuire gravement à l'image de notre Haute Assemblée.
M. Gélard lui-même, qui est fort prolixe lorsqu'il s'agit de la question des finances locales, devient bien silencieux lorsqu'il s'agit d'apprécier le système envisagé par la proposition de loi. Mais ses propositions reviennent à le condamner purement et simplement.
Son prérapport ptévoyait d'ailleurs une rédaction bien plus modérée que celle qui a été finalement adoptée par la commission. Il recommandait simplement que les lois relatives à l'organisation et aux compétences des collectivités locales soient « votées et modifiées dans les conditions prévues aux trois premiers alinéas de l'article 46 », c'est-à-dire selon la procédure des lois organiques : délai de 15 jours entre le dépôt et la discussion en séance publique et adoption à la majorité de l'Assemblée nationale en cas de désaccord du Sénat. Voilà des habits certes plus démocratiques, monsieur le rapporteur !
En revanche, le texte qui nous est proposé aujourd'hui préconise d'ériger au rang de lois organiques les lois relatives à l'organisation et aux compétences des collectivités locales.
Il s'agit là d'une sorte de préconstitutionnalisation des compétences, comme dans les constitutions espagnole, belge ou allemande, mais ces deux dernières sont des constitutions fédérales.
Ce glissement comporte bien des conséquences qu'il n'est pas admissible de traiter de cette façon, sans débat de fond sur la remise à plat de la répartition des compétences.
Nous nous refusons à approuver l'article 3, même ainsi rédigé, d'autant plus qu'il ne rompt pas avec la logique qui sous-tendait la proposition de loi initiale : la décentralisation comme cheval de Troie d'un Sénat en manque de pouvoir et qui semble oublier qu'en démocratie il n'y a pas de pouvoir sans responsabilité.
Au vu de ces remarques, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre le texte tel qu'il ressort des travaux de la commission des lois.
Le bilan de la décentralisation est à l'ordre du jour avec la mission d'information du Sénat qui a réalisé un important travail de fond, monsieur Mercier, et avec le rapport remis au Premier ministre et qui devrait trouver des prolongements sous la forme de propositions concrètes, comme nous l'a rappelé voilà un instant M. le ministre. Il faut que la réflexion puisse être approfondie.
A cet égard, je ne suis pas certain que ceux qui soutiennent la proposition plaident mieux la cause qu'ils prétendent défendre.
La question est d'autant plus cruciale que la réflexion sur la décentralisation s'inscrit dans le cadre plus général de la réforme de l'Etat et de la démocratisation des institutions afin de rapprocher effectivement l'élu du citoyen.
Je conclurai en espérant, mes chers collègues, que vous aurez aujourd'hui la sagesse de ne pas suivre ni les auteurs de la proposition de loi ni les conclusions de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Monsieur le ministre, j'ai entendu avec plaisir que vous confirmiez le lancement d'un grand débat sur le thème de la décentralisation. Il sera d'ailleurs engagé dès demain, à Lille, par le Premier ministre lui-même.
Je vois bien l'importance que l'on accorde à ce thème dans cet hémicycle puisque M. le président du Sénat siège aujourd'hui dans l'hémicycle.
Il serait très facile de céder à la tentation de la perplexité en abordant le débat d'aujourd'hui. Nous pourrions souligner le moment choisi pour inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour de la Haute Assemblée, une semaine, presque jour pour jour, après la remise au Premier ministre du rapport de la commission sur l'avenir de la décentralisation, que certains de nos collègues ont quittée.
Certes, cette proposition de loi a été déposée en juin, mais quel plaisir d'engager un tel débat aujourd'hui ! Et s'il s'agit d'une coïncidence, ...
M. Robert Bret. Du calendrier !
M. Pierre Mauroy. ... prenons-la comme telle. Mais faut-il voir là une réplique qui se voudrait audacieuse ?
On pourrait aussi se pencher sur l'histoire de la décentralisation - d'autres l'ont fait avant moi - et rappeler que la majorité sénatoriale d'alors, fidèle aux positions du RPR et de l'UDF, n'a pas voté les lois de 1982.
On pourrait également se replonger avec la même perplexité dans les débats de l'époque, monsieur le président du Sénat et rappeler vos appels à la prudence pour éviter « qu'elle ne se réalise au détriment de l'unité nationale ». Mais vous étiez alors dans le ton de l'époque, tout au moins pour ceux qui partageaient votre point de vue, et vous étiez même modéré. Pourtant, je crois qu'il faut résister à la tentation de trop polémiquer.
Une proposition de loi dont le premier signataire est M. le président du Sénat et dont certains autres signataires ont participé à notre réflexion commune, et non des moindres - je les retrouve dans cet hémicycle -, une proposition de loi non pas ordinaire ni même organique mais constitutionnelle, une proposition de loi qui a pour thème la décentralisation et pour objet la défense du principe de l'autonomie fiscale, une telle proposition de loi mérite un débat de fond, sérieux, argumenté, voire passionné.
Nous allons donc mener ce débat, mais, je veux le dire d'emblée au nom du groupe socialiste, si nous sommes favorables au principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales, nous voterons contre cette proposition de loi et, à défaut d'espérer convaincre la majorité sénatoriale, je veux néanmoins expliquer les fondements de cette opposition.
D'abord, nous avons une vision plus vaste du principe de libre administration.
Ensuite, nous avons une vision plus progressiste de la fiscalité locale.
Enfin, nous avons une vision plus réformatrice du rôle du Sénat.
Reprenons les arguments dans l'ordre.
Oui, nous avons une vision plus vaste du principe de libre administration.
Je l'ai dit : nous partageons la volonté de garantir l'autonomie fiscale des collectivités locales, à tel point d'ailleurs que ce principe figure comme une des cent cinquante-quatre propositions défendues dans le rapport remis au Premier ministre.
Cette position n'allait pas de soi. Les exemples étrangers montrent qu'il n'existe pas nécessairement une corrélation entre autonomie locale et autonomie fiscale ; mieux encore, vous le savez, les pays dans lesquels l'autonomie locale est la plus forte, notamment certains Etats fédéraux, sont aussi ceux dans lesquels l'autonomie fiscale est, quelquefois, la plus faible.
Mais la France est la France ! Elle a son histoire. Elle a ses traditions. Elle a sa conception de la responsabilité politique. Et cette histoire, cette tradition, cette conception plaident dans le même sens : une véritable démocratie locale suppose qu'un lien fiscal fort soit maintenu entre les collectivités et les citoyens, c'est-à-dire entre les services rendus et les impôts acquittés.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois Nous sommes d'accord !
M. Pierre Mauroy. Jusque-là, oui !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Vous allez bientôt voter le texte ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Dont acte !
M. Pierre Mauroy. En même temps, le principe de la libre administration ne saurait se résumer ou se limiter à l'autonomie fiscale. A vrai dire, nous avons une vision beaucoup plus vaste des réformes à entreprendre, et c'est là le véritable débat et peut-être la véritable opposition entre nous.
J'ai entendu, voilà une semaine, les formations politiques de l'opposition réagir à l'unisson - ce qui, j'en conviens, n'est pas si courant - derrière un mot d'ordre : « Audace, audace, audace ! ». Mais un mot d'ordre n'est pas un programme et une incantation n'est pas l'expression de la réalité. Tant s'en faut !
M. Pierre Fauchon, vie-président de la commission des lois. C'est un plaisir de vous entendre !
M. Pierre Mauroy. Et quand je regarde les positions que vous avez défendues au sein de la commission sur l'avenir de la décentralisation, au-delà des très nombreuses convergences que vous faites semblant d'oublier, ce sont vos divisions et non votre unité, ce sont vos prudences et non votre audace, dont les membres de la commission qui ne sont pas descendus du train juste avant son entrée en gare ont le souvenir. (Sourires.)
Une évolution profonde du département ? Pas question ! Je reconnais que les avis sont assez partagés, mais c'est ainsi.
Un remodelage des régions ? Sûrement pas, pour la majorité d'entre vous, à quelques exceptions peut-être.
Une limitation du cumul des mandats ? Hors de propos !
Une vraie réforme du Sénat ? Plus tard !
Et la liste n'est pas exhaustive !
Mais je ne veux pas m'abriter derrière vos prudences réelles pour expliquer la timidité supposée que vous prêtez au rapport. Car cette timidité, je la récuse totalement. Il faut lire le rapport - mais vous l'avez lu - le mettre en perspective, imaginer ce que sera la France dans dix ans quand ces propositions seront mises en oeuvre.
Si l'on veut comprendre que les réformes institutionnelles sont forcement longues et progressives, qu'il s'agit non pas d'échafauder un schéma idéal, souvent inapplicable d'ailleurs, mais de lancer un processus, on mesure alors que les cent cinquante-quatre propositions nous emmènent loin, au point de changer en profondeur la carte administrative et institutionnelle de notre pays.
M. Robert Bret. Et cela mérite débat !
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Elles s'appuient, pour l'amplifier, sur la révolution silencieuse que nous vivons depuis un an : la révolution intercommunale, qui constitue la clé de voûte de la prochaine étape de la décentralisation.
Elles touchent les sujets les plus divers : création d'un véritable statut de l'élu, adoption d'un mode de scrutin moderne au service d'un véritable conseil départemental, élection au suffrage universel direct des intercommunalités, maillage complet du territoire en intercommunalités dès 2007, mise en place de conseils de quartier dans toutes les communes de plus de 20 000 habitants, instauration du droit de vote des étrangers aux élections municipales, transfert de compétences notamment au profit des régions, identification d'un chef de file pour chaque bloc de compétences, développement de la coopération transfrontalière, évolution du rôle du préfet de région, sans oublier le renouvellement intégral, tous les six ans, du Sénat.
Ce ne sont là que quelques orientations, mais elles montrent l'ampleur des changements proposés qu'une conférence annuelle de la décentralisation, réunie sous l'égide du Premier ministre, évaluera chaque année. On pourra y discuter de la marche de la décentralisation ainsi que de cette fameuse ligne jaune entre les dotations de l'Etat et les impôts votés par les collectivités territoriales.
Je n'oublie pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui et qui marque une deuxième différence entre nous.
Oui, nous avons une vision plus progressiste et plus souple de la fiscalité locale.
Disons-le d'emblée, là encore : nous sommes, bien sûr, attentifs aux effets des réformes fiscales pour les collectivités locales, mais nous sommes tout autant, et sans doute même d'abord, attentifs aux effets des réformes fiscales pour l'ensemble des Françaises et des Français.
J'ai entendu M. Poncelet lui-même reconnaître que la tendance à la recentralisation des impôts locaux était partagée par tous les gouvernements, quelle que soit la couleur politique. Il a raison, et il faut y voir les effets d'un Etat qui reste centralisé et centralisateur et nous ne souhaitons d'ailleurs pas qu'il devienne un état fédéral ! Il faut donc savoir rééquilibrer, en permanence, une dérive quasi naturelle, pour vous, la droite, comme pour nous, la gauche !
Mais, pour ma part, je n'oublie jamais le contenu même des réformes. Aussi, je n'hésite pas à le dire ici, les réformes de la fiscalité locale engagées depuis juin 1997 - je vais être d'une sincérité totale - sont des réformes utiles pour la France et qui ont été très appréciées par les Françaises et les Français.
Sur tous les bancs, en 1997, nous avons critiqué l'assiette de la taxe professionnelle, souligné son absurdité économique et ses effets dévastateurs sur l'emploi. Eh bien, quand le Gouvernement choisit purement et simplement de supprimer la taxe professionnelle sur les salaires, notre premier mouvement est simple : nous nous en réjouissons, même si notre second mouvement (exclamations sur les travées de l'Union centriste) est d'être vigilants sur les modalités de compensation !
M. Alain Lambert. Il faudrait inverser les mouvements !
M. Pierre Mauroy. De la même manière, mes chers collègues, nous avons critiqué la taxe d'habitation, dont la rénovation toujours promise a été retardée, au point de devenir le symbole d'un impôt injuste. Quand le Gouvernement choisit, trois années durant, d'alléger le poids de cet impôt pour les plus modestes de nos concitoyens, notre premier réflexe est clair : nous applaudissons, même si nous avons le second réflexe (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées), bien entendu !
Alors, vous me direz - et vous me le dites déjà : « Et la vignette ? » J'ai dénoncé, vous le savez, la méthode de sa suppression.
M. Michel Mercier. C'est bien !
M. Christian Poncelet, président du Sénat. C'est vrai !
M. Pierre Mauroy. Mais je dois dire aussi tout de même que, lorsque l'Etat supprime un impôt, conçu d'ailleurs à l'origine comme temporaire, il faut savoir aussi l'en féliciter, et surtout, au final, il faut savoir raison garder : on peut s'opposer à la suppression de la vignette - chacun défend les causes qui lui tiennent à coeur devant les Français - mais on ne peut de bonne foi considérer que la décentralisation serait remise en cause par cette suppression.
C'est ainsi que le motif que vous avez choisi pour quitter la commission apparaît pour ce qu'il est : un mauvais prétexte ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mais je conviens que, si ces mesures sont individuellement défendables, prises globalement, elles réduisent excessivement l'autonomie fiscale des collectivités locales. (Nombreuses marques d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Dont acte !
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très bien !
M. Pierre Mauroy. D'où la nécessité de la compensation et, beaucoup mieux - c'est ce vers quoi il faut s'orienter - d'une réforme profonde des finances locales dans le sens de la spécialisation et de la modernisation de nos impôts et dans le sens aussi de la justice fiscale.
Chers collègues, j'ai la conviction que ce qui menace l'autonomie fiscale c'est, d'abord et surtout, l'archaïsme de nos impôts locaux et, sur ce point, j'ai conscience d'avoir, hélas ! sans vous, montré le chemin. Il reste beaucoup à faire sur ce point.
C'est là que l'on en vient aux mesures précises dont nous débattons aujourd'hui. Pour préserver le principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales, mieux, pour assurer la prépondérance des recettes tirées des impôts sur les ressources issues des dotations, faut-il en passer par une révision de notre Constitution ?
Je passe d'un mot sur ce paradoxe, d'aucuns diraient cette contradiction, qui voit la Chambre Haute, toujours prompte à regretter les révisions à répétition de notre Constitution, se saisir de la première occasion pour engager une révision supplémentaire, laquelle, qui plus est, devrait peut-être s'achever par un référendum !
Sauf si l'objectif est de faire oublier le taux d'abstention du référendum du 24 septembre dernier par un nouveau record, on ne comprend pas le sens d'une telle démarche !
J'en viens aux arguments politiques et techniques.
D'abord, nous sommes attachés aux dotations de l'Etat. Il faut le dire, car elles permettent, par la péréquation, de corriger les inégalités entre les territoires. La péréquation nous paraît essentielle.
De plus, la décentralisation nous conduira à de nouveaux transferts de compétences - pour ma part, je le souhaite -, entraînant arithmétiquement des dotations plus importantes.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Voilà !
M. Pierre Mauroy. Le système que vous proposez est impraticable, car il est trop rigide et peut se retourner, dans quelques années, contre la décentralisation elle-même.
Comment pourrait-on accepter que, de manière mécanique et automatique, le Conseil constitutionnel soit amené à censurer un gouvernement et un Parlement au seul motif que la barre fatidique serait franchie ?
On peut débattre du principe de prépondérance, mais on ne peut pas sans danger placer une matière aussi mobile dans le réfrigérateur constitutionnel. Cela d'autant moins quand, dans le même temps, la même majorité - c'est-à-dire la vôtre - laisse non pas dans le réfrigérateur, mais carrément dans le congélateur, toute velléité de réformer nos institutions et plus particulièrement le Sénat. Telle est notre troisième divergence. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Oui, nous avons une vision plus réformatrice du rôle du Sénat.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Mais non !
M. Pierre Mauroy. J'ai bien noté l'évolution entre le texte qui est arrivé à la commission des lois et celui qui en est sorti, monsieur le rapporteur, et je vous ai écouté avec attention.
La commission a eu la sagesse de proposer un recul - même si c'est en bon ordre, c'est un recul -, voire un double recul (Rires et applaudissements sur les travées socialistes) en réduisant le champ à l'administration et aux compétences des collectivités locales, en se contentant d'un premier examen devant le Sénat en lieu et place d'un droit de veto.
Vous avez reculé et nous en prenons acte : les précédents récents et malheureux, en matière de cumul des mandats ou d'indépendance de la justice, nous incitent, en effet, à la plus grande vigilance, vous pouvez le comprendre.
Je dirai même qu'ils nous incitent à l'audace quant à la réforme du Sénat ; nous ne sommes pas du tout dans votre logique qui est d'obtenir par grignotages successifs un accroissement des pouvoirs du Sénat et du plus négatif des pouvoirs, celui de blocage.
Le débat doit être ouvert sur les missions du Sénat, sa légitimité, son mode d'élection et la durée du mandat. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Cette réflexion, nous ne l'aurons pas aujourd'hui mais sûrement demain ; en tout cas, comptez sur nous pour la conduire dans cet hémicycle, courtoisement, comme devant l'opinion.
Quant à l'avenir de la décentralisation, là aussi nous vous donnons rendez-vous. Le Premier ministre indiquera cette semaine à Lille - M. le ministre l'a confirmé - les suites qu'il entend donner au rapport que je lui ai remis. Il a déjà annoncé l'organisation d'un débat d'orientation dans les deux assemblées ; vous l'avez également confirmé, monsieur le ministre.
Nous vous retrouverons avec plaisir, monsieur le ministre ; quant à vous, chers collègues de la majorité sénatoriale, nous vous disons « à bientôt ». (Sourires sur les travées socialistes.) La France a besoin d'un acte II de la décentralisation, et nous sommes décidés à conduire au succès cette réforme. Nous ne cesserons pas de vous en reparler.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Nous aussi !
M. Pierre Mauroy. Je pense que c'est un débat qui sera essentiel pour la France. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. le vice-président de la commission des lois et Mme Luc applaudissent également.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je voudrais dire brièvement à M. Mauroy que la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons peut permettre, à mon sens, la mise en oeuvre très rapide de quatre des propositions de son rapport, qui, autrement, risque d'attendre 2001, 2002 ou on ne sait quelle échéance.
La proposition n° 135 de votre rapport, monsieur Mauroy, tend à affirmer la nécessaire autonomie fiscale des collectivités territoriales. Or c'est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi.
La proposition n° 148 prévoit d'introduire dans le mode d'indexation de la dotation globale de fonctionnement un critère tenant compte de l'évolution des coûts salariaux dans la fonction publique territoriale. Or c'est l'objet de l'article 2 de la proposition de loi.
La proposition n° 152 de votre rapport vise à compenser intégralement les nouveaux transferts de compétence, y compris les coûts de mise aux normes des équipements. Là encore, cette disposition est prévue par l'article 2 de la proposition de loi.
Enfin, la proposition n° 153 porte sur la nécessité de veiller à la mise à niveau des sommes consacrées par l'Etat aux compétences transférables, compte tenu des normes en vigueur. C'est toujours l'article 2 de la proposition de loi.
Grâce à cette proposition de loi, on pourrait agir tout de suite en 2000, et gagner un an, sans attendre les déclarations du Gouvernement pour la fin 2001.
M. Claude Estier. Il n'y a pas besoin de réviser la Constitution pour cela !
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Ne vous donnez pas tant de mal : je sais bien tout cela ! Mais alors, nous aurions très bien pu travailler tous ensemble au sein de la commission, présenter des propositions, en discuter avec le Gouvernement, et arrêter celles qui pouvaient être reprises. Pour cela, il n'est pas besoin d'une proposition de loi constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de féliciter le président du Sénat, M. Christian Poncelet, ainsi que les cosignataires de cette proposition de loi. Cette heureuse initiative arrive, à mon sens, à point nommé. Elle était devenue nécessaire eu égard aux dysfonctionnements constatés dans l'application des lois de décentralisation.
J'ai écouté avec intérêt les propos de M. Mauroy. Mais, en définitive, j'ai le sentiment qu'il ne nous a rien appris. Sur tous les sujets qu'il a évoqués, que ce soit l'autonomie fiscale, la compensation ou le contenu d'une partie de la mission dont il a la responsabilité, aucune des mesures qu'il a énoncées n'ont un caractère novateur.
En effet, qu'il s'agisse de l'élection au suffrage universel des représentants et des présidents des structures intercommunales, de la notion de chef de file, de la possibilité donnée aux étrangers de participer aux élections municipales, du raccourcissement du mandat sénatorial à six ans ou encore du transfert des compétences nouvelles aux régions, je ne vois rien de nouveau, monsieur Mauroy !
M. Claude Estier et Mme Dinah Derycke. Eh bien !
M. Alain Vasselle. Vous voulez donner le sentiment que c'est la première fois que l'on parle de tout cela.
M. Marcel Debarge. Il ne suffit pas d'en parler !
M. Alain Vasselle. Cela fait bientôt neuf ans que je siège au Sénat. J'ai participé personnellement, au même titre que d'autres collègues, à la commission spéciale sur l'aménagement du territoire qui s'était mise en place lors de l'examen du projet de loi sur l'aménagement du territoire de M. Pasqua ; je peux vous dire que tous ces sujets y ont été évoqués.
M. Guy Vissac. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. J'ai seulement constaté qu'au sein de cette commission il n'a pas été possible de dégager une position majoritaire quelles que soient les sensibilités politiques.
L'opposition que vous semblez faire valoir entre la gauche et la droite sur ces sujets n'est pas aussi tranchée que vous voulez bien le dire ou alors les élus socialistes ou les élus communistes ont évolué par rapport à l'époque où siégait cette commission spéciale, à laquelle, d'ailleurs, vous ne participiez pas, monsieur Mauroy.
En fait, vous donnez le sentiment de réchauffer de vieux plats froids sans rien apporter de nouveau. Simplement, par le discours et l'affichage, vous voulez faire croire aux Français que la majorité actuelle a l'intention d'engager des réformes structurelles importantes en ce qui concerne nos institutions afin d'assurer un meilleur fonctionnement de notre démocratie.
M. Guy Vissac. Très bien !
M. Alain Vasselle. J'espère en tout cas que, lorsque les médias se pencheront sur les propos que vous avez tenus tout à l'heure et qu'ils examineront le contenu de votre rapport, ils s'apercevront qu'en définitive rien de réellement novateur n'est proposé.
En revanche, l'initiative prise par M. Poncelet, avec MM. Raffarin, Puech et Delevoye, a sans aucun doute un caractère un peu révolutionnaire et très constructif ; et c'est ce qui vous gêne ! Nous faisons en effet des propositions constructives sur le rôle du Sénat, ainsi que sur l'équilibre qui devrait exister, dans le cadre du bicamérisme, entre le rôle joué par l'Assemblée nationale et celui qui est joué par le Sénat en ce qui concerne les lois relatives aux collectivités locales.
Il semblait utile qu'à un moment donné soient soulignés les dysfonctionnements et les incohérences qui foisonnent dans nos collectivités locales depuis le vote des lois de décentralisation.
J'en citerai brièvement un certain nombre en n'y ajoutant pas de commentaire car le temps dont nous disposons est trop court pour nous permettre d'aller au-delà d'une simple citation.
Je voudrais simplement insister sur trois points, car la proposition de réforme qui nous est soumise à la veille des élections municipales permet, à mon sens, de relancer le débat sur ces trois points essentiels auxquels aucun gouvernement de droite ni de gauche - de ce point de vue je rejoins M. Mauroy lorsqu'il évoque l'insuffisante initiative prise à l'égard de la compensation - ne s'est concrètement ni structurellement intéressé : je veux parler des conséquences des lois de décentralisation sur le rôle du Sénat, sur la réforme structurelle des finances locales et sur la clarification des compétences.
S'agissant du rôle du Sénat, je fais partie de ceux qui pensent que la proposition de loi de M. Poncelet ne va pas encore assez loin. Elle est trop timide.
Il me semble - sans doute puis-je avoir tort, mais le moment est venu d'ouvrir le débat sur cette question - que, pour avoir un bicamérisme équilibré et pour garantir une plus grande lisibilité du fonctionnement de nos institutions nationales, il serait souhaitable que, pour toutes les questions de société, le dernier mot, comme c'est le cas aujourd'hui, revienne à l'Assemblée nationale alors que, en revanche, pour tout ce qui est du ressort de nos collectivités locales et des institutions locales, ce soit le Sénat qui ait le dernier mot et non pas l'Assemblée nationale.
Si nous arrivions à ce résultat par une réforme constitutionnelle, nous obtiendrions, à mon sens, un meilleur équilibre entre nos deux assemblées et un fonctionnement beaucoup plus pertinent du pouvoir législatif. Il serait beaucoup plus lisible pour les Français. Le Sénat retrouverait ainsi aux yeux de l'opinion un rôle et une fonction sur le plan législatif, alors que, pour le moment, ce rôle est dévalorisé, ce qui fait que les Français ne s'intéressent pas autant qu'ils le devraient à l'activité sénatoriale. Bien entendu, l'Assemblée nationale l'emporte très largement dans le domaine de la communication sur le Sénat.
Le deuxième point concerne la réforme structurelle des finances locales. C'est le véritable monstre du Loc Ness ! Jusqu'à maintenant, aucun gouvernement, aucune majorité, aucune opposition, personne n'a jamais présenté une réforme de fond sur ce sujet. Toutes celles qui ont été engagées - M. Mauroy en a cité quelques-unes - n'ont été que des réformes partielles, mise à part la loi sur l'intercommunalité, réforme beaucoup plus importante qui permet de préparer l'avenir.
En revanche, nous assistons à un véritable festival de mesures d'origine gouvernementale et étatique dont les collectivités et les contribuables locaux sont souvent les victimes.
Je me contenterai d'énoncer, sans être exhaustif, quelques exemples de transferts de charges non compensés, d'allègements et d'exonérations fiscales à peine ou insuffisamment compensés.
Rappelez-vous, mes chers collègues ce qu'a été le déclassement des routes nationales, pour nos collectivités locales et pour les départements !
Rappelez-vous l'insuffisance des dotations qui ont accompagné le transfert des collègues aux départements et des lycées aux régions, transfert qui a fait exploser la fiscalité directe locale sans que la pression fiscale nationale baisse pour autant ; rappelez-vous l'insuffisance, voire le non-transfert des personnels, qui sont restés dans les rectorats au moment où les collèges et les lycées ont été transférés aux départements et aux régions !
Rappelez-vous la mascarade des contrats de plan Etat-région !
J'ai siégé pendant quelques années comme premier vice-président du conseil régional de Picardie. Je me souviens des discussions que nous avions sur les contrats de plan, quand les interventions financières des collectivités locales représentaient les deux tiers ou les trois quarts pour alléger la part de l'Etat dans ses domaines de compétences, alors que, dans le même temps, l'Etat accordait une part parcimonieuse aux collectivités dans des domaines qui relevaient de leurs compétences.
Voilà un exemple qui vient démentir complètement les propos tenus tout à l'heure par M. Mauroy.
Vous avez parlé, monsieur Mauroy, des abattements de taxe professionnelle au profit des entreprises et de la taxe sur les salaires. Nous savons bien comment cette dernière va évoluer, comment l'indexation va se faire. Elle ne sera pas du tout à la hauteur des espérances et des attentes des collectivités.
Je citerai aussi la disparition des droits de mutation, la suppression du foncier non bâti au niveau de la région et du département, et plus récemment - vous n'en avez pas parlé - l'institution de la couverture maladie universelle, la CMU, dont un grand nombre de départements ont été victimes en raison de son mode de calcul, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et de la vignette, la mise en place de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP. On sait bien ce qu'il en est et qu'une bonne part des crédits vont à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, sans profiter aux collectivités locales.
Ajoutez à cela, mes chers collègues : les rigidités liées à nos finances locales, comme celles qui résultent du lien des taux, contraire au grand principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales ; l'inadéquation des ressources fiscales au regard des charges auxquelles doivent faire face les collectivités, résultats de leurs nouvelles compétences - c'est le cas de la non-révision des bases de valeurs locatives ; le poids devenu excessif des normes ; les mesures prises dans le cadre du statut de la fonction publique - je pense notamment aux sapeurs-pompiers, dont on n'arrête pas d'améliorer le statut sans mesurer les conséquences financières qui en résultent pour les collectivités locales, et cela vaut pour les équipements publics, les écoles, le sport, les routes.
Mes chers collègues, j'espère que, à l'évocation très rapide de ces différents points, vous mesurez les difficultés auxquelles se trouvent confrontés les communes, les départements, les régions et les structures intercommunales.
Il est bien facile pour le Gouvernement de prendre des mesures populaires d'allégement de l'impôt ou des mesures normatives sécurisantes qui s'imposent à nos collectivités, sans avoir à en supporter l'incidence financière parce qu'il laisse à ces dernières le soin de répercuter cette charge sur les impôts locaux.
Monsieur Mauroy, vous pourriez avoir la courtoisie d'écouter les orateurs qui s'expriment à la tribune. Ce n'est pas parce que l'on a été Premier ministre et que l'on a une notoriété nationale que l'on peut se dispenser d'écouter ce qu'a à dire un sénateur de base ! (Protestations sur les travées socialistes.) Je suis particulièrement choqué du manque d'attention que vous manifestez envers mes propos sous prétexte que je représente la piétaille, alors que vous vous considérez sans doute comme faisant partie de ceux qui occupent une place nationale importante et qui méritent d'être écoutés.
M. Marcel Debarge. Qu'est-ce qui vous autorise à dire cela ?
M. Alain Vasselle. J'exprime simplement ce que je ressens en cet instant !
M. Pierre Mauroy. Vous ne pouvez pas savoir si je vous écoute ou non !
M. Alain Vasselle. Je vois bien que vous avez un petit aparté à quatre ou cinq et que vous n'écoutez pas ce que je dis !
M. Marcel Debarge. Ce n'est tout de même pas une obligation !
M. Alain Vasselle. Pour cet ensemble de raisons, l'initiative de M. Poncelet et de nos collègues, si elle est suivie d'effet, sera une bouée de sauvetage pour nos collectivités et mettra fin à une dérive de non-compensation que subissent leurs finances locales. Voilà trente ans que cette dérive s'est amorcée et, depuis, aucune solution structurelle n'a été apportée.
Je termine en évoquant la clarification des compétences, qui n'est pas traitée dans le texte. Elle est devenue une nécessité absolue, car l'enchevêtrement des compétences devient de moins en moins supportable.
Chaque collectivité, pour des motifs tout à fait légitimes, tente d'empiéter sur les compétences du voisin. C'est notamment vrai pour l'Etat, les régions et les départements. Ça l'est moins pour les communes. Le besoin d'exister ou d'être présent est fort. Il est souvent devenu une nécessité en raison des insuffisances de l'Etat ; je pense là, en particulier, à l'enseignement supérieur et à l'environnement.
Les communes, quant à elles, en raison de la faiblesse de leurs ressources et du caractère insuffisamment évolutif de celles-ci, se voient contraintes de faire appel, de plus en plus, à des financements croisés, faute desquels leurs investissements seraient stoppés ou ralentis, ce dont l'économie et l'emploi auraient à en souffrir.
Le poids de l'impôt est devenu insupportable pour nos concitoyens. Songez, mes chers collègues, que se cumulent aujourd'hui l'impôt de la commune, celui de l'intercommunalité, celui des départements, celui des régions, celui des actions interrégionales, auxquels il faut ajouter le poids de l'impôt de l'Etat et la contribution au fonctionnement de l'Europe ! Comment la masse des prélèvements obligatoires ne deviendrait-elle pas, dès lors, insupportable pour la majorité de nos concitoyens ? C'est si vrai que, de plus en plus souvent, nous sommes confrontés - je le constate dans ma commune - à des impayés d'impôts locaux et de services que nous offrons à notre population. Il faudra bien que nous mettions un terme à cette situation, et la proposition de loi de M. Poncelet va dans ce sens.
C'est pourquoi il est urgent, à mon sens, d'associer la réforme des finances locales et la clarification des compétences en informant les Français du devenir de nos institutions. A cet égard, M. Mauroy a eu raison de poser le problème des couples région-département, commune-intercommunalité et France-Europe. Personne n'a jamais apporté une réponse aux questions que se posent les Français sur le devenir du département par rapport à la région, de la commune par rapport à l'intercommunalité, de l'Etat par rapport à la Communauté européenne. Cette réponse, il faudra un jour la leur fournir.
Monsieur le président du Sénat, vous avez ouvert un champ de réforme passionnant, qui nécessitera beaucoup de courage politique. A nous d'en faire preuve en sachant agir et convaincre nos concitoyens. Nous y sommes prêts et, en ce qui me concerne, comme, j'en suis persuadé, la très grande majorité des membres de la Haute Assemblée, je voterai cette proposition de réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de la solennité qui préside habituellement à une discussion sur un texte à caractère constitutionnel, il est difficile de l'appréhender par les comptes. Cependant, en raison des fonctions que j'occupe, j'espère pouvoir bénéficier de votre bienveillance pour me permettre de l'aborder sous cet angle.
Je prendrai des exemples concrets, car c'est une garantie de clarté. En deux années, 1999 et 2000, les dépenses en faveur des collectivités locales auront augmenté de 37 milliards de francs. Sur ces 37 milliards de francs, 30 auront servi non pas à accroître les ressources des collectivités locales mais à remplacer d'anciennes recettes fiscales par des dotations de l'Etat. Autrement dit, ces 30 milliards de francs n'auront en rien servi à réduire la pression fiscale dans notre pays : ils auront été l'objet d'un simple jeu d'écriture par lequel un prélèvement du contribuable local aura été transféré vers le contribuable national.
Et 30 milliards de francs, ce n'est pas une petite somme ! C'est comme si l'on avait voulu doubler les moyens de la police nationale ou si l'on avait cherché, ce qui aurait d'ailleurs été une très bonne chose, à réduire le déficit budgétaire de 15 %.
La question qui nous est posée, mes chers collègues, est donc de savoir si tous ces jeux successifs auxquels on nous demande de nous livrer chaque année en valent la chandelle. Eh bien, s'agissant de l'Etat, y compris pour lui-même, j'en doute.
Vous le savez, au sein de la commission des finances, nous espérons qu'un jour l'Etat ne financera plus ses dépenses de fonctionnement par l'emprunt. C'est pourquoi nous nous inquiétons tant de voir gonfler ses dépenses de fonctionnement dites « incompréssibles ».
J'ajoute que je ne comprends pas la logique qui pousse le Gouvernement à persévérer dans la voie du remplacement des ressources fiscales locales par des dotations budgétaires. Je suis sûr, d'ailleurs, que, pour les collectivités locales elles-mêmes, c'est une orientation malsaine, voire dangereuse.
Le mouvement de suppression des impôts locaux constitue une remise en cause incontestable du principe de libre administration des collectivités locales et de l'esprit de décentralisation qui prévaut dans notre pays : c'est un retour en arrière, contrairement à ce que l'on a pu tenter de dissimuler.
Cela ne revient-il pas, au fond, à rétablir une tutelle sur les recettes ? Les chiffres du rapporteur montrent, je crois, que c'est clairement le cas.
Pourquoi faut-il, par exemple, vingt ans après que les collectivités locales ont acquis le droit de voter le taux de leurs impôts, que cette faculté soit retirée aux départements lorsqu'ils s'agit des droits de mutation ?
Pourquoi faut-il, alors que nos voisins latins - je pense à l'Italie et à l'Espagne - rénovent leur système de financement local en transférant des impôts modernes aux collectivités locales que nous allions, nous, exactement dans le sens inverse, alors même que nous étions plutôt en avance en matière d'autonomie fiscale des collectivités locales ?
Monsieur le ministre, tout à l'heure, en vous écoutant avec beaucoup d'attention - j'espère bénéficier de la même attention en retour - j'ai trouvé que le Gouvernement ne semblait pas se préoccuper suffisamment de ces questions, alors que, sur le terrain, je puis vous l'assurer, les gestionnaires locaux, eux, s'inquiètent.
Certes, tout n'a pas été bouleversé du jour au lendemain, d'autant que, grâce à la bonne conjoncture, les recettes fiscales ont conservé un niveau tout à fait convenable malgré l'amputation des assiettes. Mais les effets les plus pervers de la suppression progressive des impôts locaux vont apparaître les uns après les autres.
Les gestionnaires locaux, croyez-moi, comprennent de plus en plus difficilement les bouleversements dans la répartition des dotations de l'Etat, dont nous savons qu'ils résultent largement des effets sur le potentiel fiscal de la réforme de la taxe professionnelle élaborée au cours de l'été 1998.
A Paris, on croyait avoir supprimé une partie de l'assiette d'un impôt. En réalité, sur le terrain, on a déstabilisé l'ensemble des finances locales. Des indicateurs de richesse tels que le potentiel fiscal et l'effort fiscal, qui sont au coeur des dispositifs de péréquation, sont désormais faussés, même si l'on s'applique - et la commission des finances s'y emploie chaque année ! - à bricoler sans cesse des correctifs pour éviter que ne se produisent des effets que nous avons bien du mal à maîtriser.
Des inquiétudes se font jour : comment équilibrer la section de fonctionnement si les charges explosent, si les dotations stagnent, si la fiscalité ne peut plus servir d'ajustement ? Comment planifier des investissements si les ressources mobilisables en cas de tension financière tendent à disparaître ?
Se manifeste alors - c'est ce que je sens, en tout cas, auprès des maires que je rencontre, mais il est vrai que je suis provincial et qu'à Paris on s'en rend moins compte - une sorte de découragement : comment oser développer des équipements si l'on risque, le lendemain, d'être privé d'une partie des ressources fiscales y afférentes ?
Vous me pardonnerez ce que, peut-être, vous avez considéré comme une trivialité à travers ces exemples, mais un système de financement local n'est pas fait pour être techniquement ou théoriquement beau ou pur ; il est avant tout censé être efficace et stable sur le terrain. Je l'affirme sans hésitation, le système que nous voyons supprimer progressivement était plus efficace, mieux adapté aux besoins des gestionnaires locaux que celui dans lequel vous nous engagez.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Alain Lambert. Monsieur le ministre, je crois que vous l'avez dit sous une autre forme tout à l'heure, à moins que ce ne soit M. Mauroy, la décentralisation, c'est la responsabilité des acteurs locaux. Les collectivités locales ne doivent pas être vues comme une sorte de mosaïque de circonscriptions électorales où gauche et droite s'affronteraient, tandis que les vraies décisions seraient prises par les préfets ou les services déconcentrés de l'Etat.
Non, la démocratie, c'est la confrontation des idées politiques, y compris à l'échelon local, qui débouche sur l'élection d'exécutifs qui ont des ambitions pour leur territoire, qui font des choix de développement.
Or la fiscalité est au coeur de leurs responsabilités, d'abord parce qu'elle leur offre plus de souplesse dans la gestion mais aussi parce qu'ils sont jugés par leurs électeurs sur leurs choix fiscaux. Supprimer la possibilité de mener une politique fiscale à l'échelon local, c'est faire reculer le champ de la décision politique à ce même échelon, c'est faire reculer la démocratie locale.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Très juste !
M. Alain Lambert. Les élus locaux ne veulent pas être jugés sur la manière de répartir des crédits entre différentes enveloppes, surtout quand cette répartition est de plus en plus décidée, à Paris, par l'Etat.
L'un de nos collègues, Jean-Pierre Raffarin, lors de la discussion du collectif budgétaire au printemps, disait : « Nous devenons des quasi-préfets : nous gérons des dotations, nous appliquons des circulaires. Au fond, il ne nous manque plus que les casquettes ! »
Derrière cette boutade, l'essentiel me paraît dit.
Dans le respect de l'unicité et de l'indivisibilité de notre République, les collectivités locales sont-elles des partenaires adultes de l'Etat ou sont-elles de simples auxiliaires du pouvoir central ?
Soyons clairs : mon propos n'est pas d'encourager une forme de rivalité entre les collectivités locales et l'Etat. Ce serait stérile puisque, de toute façon, s'agissant des comptes en tout cas, les autorités communautaires ne voient que des administrations publiques. Au niveau européen, les comptes de l'Etat et ceux des collectivités locales sont agrégés. Dès lors, il doit y avoir complémentarité, interdépendance, mais sûrement pas opposition entre elles.
Il s'agit, en réalité, de savoir qui fait quoi et avec quels moyens.
M. le président Christian Poncelet pose le problème s'agissant des recettes, et il a raison ; il faut le faire aussi s'agissant des dépenses.
Qui fait quoi, disais-je, et avec quels moyens ?
Eh bien, en théorie, les choses sont claires puisque la loi définit précisément les compétences locales. S'agissant des compétences transférées par les lois de décentralisation, elle prévoit même des financements correspondants. Lorsqu'elles le souhaitent, les collectivités peuvent aller au-delà des compétences légales puisqu'elles bénéficient d'une clause de compétence générale.
En pratique, le jeu est quelque part faussé dans la mesure où l'Etat ne respecte pas un principe simple, de bon sens et conforme à son honneur et à sa dignité : le principe suivant lequel celui qui a compétence, et qui donc commande, assume les dépenses qui sont liées à l'exercice de cette compétence.
Les universités, les routes,... la liste est longue des dépenses décidées par l'Etat et financées par les collectivités locales, et je suis tenté de dire que cette liste est aussi longue que celle des actions prévues par les contrats de plan.
L'Etat se défausse sur les collectivités locales, et il ne prend parfois même plus le temps de les associer à des décisions qui ont pourtant des incidences financières pour leurs budgets ! Je pense ici, chacun l'aura compris, à la question des rémunérations de la fonction publique. Dans ce domaine, les décisions de l'Etat remettent en cause la politique de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités locales.
L'article 2 de la proposition de loi est à cet égard opportun. Cet article ne dit pas que toutes les augmentations de dépenses des collectivités locales doivent être compensées par l'Etat ; il ne prévoit pas de mettre en place un guichet ouvert pour les collectivités. Il s'agit simplement pour l'Etat d'assumer les conséquences financières des décisions qu'il prend.
Du point de vue des collectivités locales, l'article 7 de la charte européenne de l'autonomie locale, signée en 1985 par les Etats membres du Conseil de l'Europe, traduit ainsi ce principe : « Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences. »
La France a signé cette charte mais elle ne l'a pas ratifiée. J'y vois un signe supplémentaire de la méfiance de l'Etat à l'endroit des collectivités locales, méfiance qui apparaît singulièrement caricaturale dans un débat comme celui que nous avons aujourd'hui.
Mes chers amis, comparons maintenant les performances respectives de l'Etat et celles des collectivités locales en matière de gestion financière et de services rendus aux usagers. Nous pouvons, en toute bonne foi, en tirer au moins trois conclusions.
D'abord, il n'est plus nécessaire que les services de l'Etat doublonnent les administrations locales dans les départements et les régions.
Ensuite, il n'est pas nécessaire de supprimer la fiscalité locale pour prétendre réduire le poids des prélèvements obligatoires en France.
Enfin, les compétences sont exercées plus efficacement par les collectivités locales que par l'Etat, dès lors que les collectivités bénéficient des ressources nécessaires à leur exercice.
Mes chers collègues, j'arrête d'égrainer ce qui, pour vous, n'est que banalité ou affaire de simple bon sens. Mais gardons à l'esprit que le Gouvernement, lui, ne semble pas être convaincu par ces arguments de simple bon sens.
Je partage le sentiment de M. le président Christian Poncelet : il n'est pas bon de modifier trop souvent notre loi fondamentale, cela a été rappelé par plusieurs orateurs, mais, si aucune issue n'est possible, il faudra s'y résoudre.
S'il a fallu l'article 40 de la Constitution de 1958 - et, mes chers collègues, je conclurai sur ce point - pour mettre fin à certaines dérives du parlementarisme, il faudra peut-être les nouveaux articles 72-1 et 72-2 pour créer les conditions d'un dialogue constructif et réinstaurer un nécessaire respect de l'Etat à l'endroit des collectivités locales, qui restent le ciment de notre nation. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, allons à l'essentiel : la République ! Est-elle bien portante ? Je ne le crois pas, ni sur le terrain des valeurs, ni sur le terrain de l'efficacité, ni sur le besoin d'ouverture.
Sur le terrain des valeurs, notre devise « liberté, égalité, fraternité » tient-elle ses promesses ?
La liberté ? Elle se trouve de plus en plus limitée, de plus en plus entravée, d'autant que de nouveaux freins y sont mis en permanence. Récemment, on a décidé que, pour la chasse, la liberté du mardi n'est pas la liberté du mercredi, et ainsi de suite !
L'égalité ? On constate de plus en plus aujourd'hui que le système éducatif, qui devrait être égalitaire, nie l'équité et le mérite.
Et la fraternité dont nous avons tant besoin ? Nous vivons dans une société de l'information qui génère plus de solitude que de fraternité !
On ne peut continuer à laisser notre République s'abîmer. Comment la tonifier ? Comment lui redonner vie ?
Il faut lui redonner vie par la démocratie et, principalement, par la démocratie locale, où les valeurs ont de la crédibilité.
Il faut aussi lui redonner une dynamique par l'efficacité. Voyons la concentration des pouvoirs aujourd'hui : quatre ministres à Bercy et, encore mieux, cinq aux affaires sociales ! Les « mammouths » sont de plus en plus forts ! Concentration et gigantisme sont les nouvelles valeurs de la République et, derrière elles, se dissimule l'inefficacité.
Ceux qui ont dû affronter les conséquences de la tempête ont bien conscience de l'impuissance de la machine étatique.
M. Christian Demuynck. Ah oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. Quelle honte de voir, comme ce fut le cas dans ma propre région - où l'on a dû faire appel à des bûcherons roumains - comment ont été traitées les victimes des intempéries : la tempête a eu lieu le 27 décembre 1999 mais, au mois d'octobre 2000, elles n'ont toujours pas reçu un franc d'indemnisation ! (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
Les procédures sont tellement inefficaces que l'Etat atteint la limite du déshonneur !
M. Christian Demuynck. Parfaitement !
M. Jean-Pierre Raffarin. Il faut donc changer d'organisation, inventer une nouvelle gouvernance pour redonner à la République son efficacité.
Il faut donc s'engager dans la voie de la décentralisation, avec la volonté de l'efficacité mais aussi avec la volonté de répondre à l'urgence.
Le débat d'aujourd'hui ne porte pas sur ce thème mais, dès lors que l'on parle de décentralisation, on doit rappeler la nécessité d'une réforme de l'Etat. Plus l'Etat concentrera les pouvoirs, plus il sera difficile d'avoir une organisation véritablement décentralisée d'une part, véritablement déconcentrée de l'autre. Des modifications doivent être apportées à la structure même de l'Etat. Beaucoup de ses appareils se crispent aujourd'hui plutôt que de répondre à ce que veulent nos concitoyens : plus de proximité.
Réforme de l'Etat, mais aussi autonomie financière : c'est le sujet de la proposition de loi de M. le président du Sénat.
L'autonomie financière est fondamentale. Inutile de développer après d'autres le thème du besoin de responsabilité, mais il est clair que notre société se bureaucratise, s'étatise.
Je lisais récemment les circulaires relatives à la création d'entreprises. On a eu la bonne idée de créer un prêt à la création d'entreprise, mais ce prêt n'est accessible qu'aux entreprises déjà créées, c'est-à-dire qu'il ne sert pas vraiment les créateurs potentiels !
La bureaucratisation veut, Alain Lambert l'a dit, que nous gérions des dotations financières. Mais le problème c'est qu'elles sont souvent accompagnées de circulaires, de procédures. Les collectivités locales en arrivent ainsi à se trouver dans une situation aberrante : nous avons compétence pour la formation professionnelle mais, en permanence, les services de l'Etat se crispent sur leurs propres responsabilités ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Le résultat, c'est un gâchis d'argent public.
MM. Christian Demuynck et Paul Masson. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Dans notre pays, les entreprises ne trouvent pas les jeunes qui leurs sont nécessaires parce que notre système de formation n'a pas été décentralisé, comme nous le voulions, n'a pas été régionalisé, comme nous le proposions. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Enfin, dans la proposition de loi de M. le président du Sénat, il y a la volonté de moderniser notre République, notamment de moderniser le Sénat. Mais quelle démagogie que de faire accroire en permanence que le problème ne peut être abordé que par le biais de la durée du mandat ! Bien sûr, cette discussion est ouverte, et sans aucun complexe, on a vu cependant qu'elle ne passionnait pas tant les Français. Le problème, c'est celui de notre propre efficacité, de notre légitimité vis-à-vis de nos électeurs, c'est-à-dire les conseillers municipaux, les maires. Le problème, c'est de faire en sorte que notre puissance législative soit renforcée lorsqu'il s'agit de textes qui concernent nos collectivités locales.
Si tel était le cas, aligner notre mandat sur celui de nos électeurs ne soulèverait pas de problème, mais il faudrait alors parler de l'efficacité, au lieu de s'en tenir au virtuel et au superficiel.
Certes, le débat sur la durée du mandat est ouvert, mais ce n'est pas la durée d'un mandat qui lui donne sa légitimité. La légitimité du Sénat, pour être renforcée, a besoin d'une puissance législative elle-même renforcée.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Telle est la proposition de M. le président du Sénat, proposition que j'approuve totalement.
J'ai écouté avec déception M. Mauroy tout à l'heure. En quittant la commission que vous présidiez, monsieur Mauroy, nous pressentions ce qui allait se passer.
Nous avions formulé deux critiques importantes à l'égard de vos propositions.
La première portait sur votre manque d'exigence. Au fond, pendant que nous réfléchissions sur l'avenir de la décentralisation, les textes recentralisateurs continuaient à affluer. La commission était considérée comme une chambre d'enregistrement. Nous avons même vu un ministre - M. Gayssot - venir devant la commission, alors que le jour même il déposait devant le conseil des ministres le texte sans doute le plus recentralisateur qui soit. Je veux parler de la réforme du ferroviaire : on garde au niveau national les bénéfices du TGV, on régionalise les déficits du TER, et on annonce les beaux résultats de la SNCF ! D'un côté, les dettes à RFF ; de l'autre, le déficit aux régions : vive la décentralisation !
Nous, les provinciaux, nous qui avons une vision autre que la vision strictement métropolitaine, alors qu'est recherché un équilibre avec des villes à taille humaine, nous nous sommes demandé quelle confiance accorder aujourd'hui à un parti politique ayant pour projet le « tout agglo ».
Connaissez-vous un mot plus laid dans la langue française ? Il est révélateur de ce gigantisme et de cette concentration qui sont à l'opposé de l'humanisme que nous défendons.
Cependant, lorsque la décentralisation a été attaquée, la commission Mauroy a fait preuve d'indulgence et nous avons regretté son manque d'exigence.
Mais aussi, monsieur Mauroy, il y a eu un excès de manoeuvres. A cet égard, les propos tenus en commission par mon collègue Jean Puech ont été pertinents. Nous avons tout compris après la réunion du parti socialiste à Clermont-Ferrand : l'idée principale, c'était que les bonnes réformes sont celles qui servent à gagner les élections !
Nous, nous travaillions dans une perspective à vingt ans et dans l'intérêt général, et nous avons vu le parti dont vous êtes membre réaliser un travail à court terme !
Vos propos m'ont surpris par leur engagement assez partisan. Vous êtes intervenu en tant que chef du groupe socialiste et vous avez exprimé ses convictions.
M. Pierre Mauroy. Et vous, qu'êtes-vous donc ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Moi, je ne préside pas !
Vous employiez un ton patelin en commission. Heureusement, que nous avons quitté celle-ci car nous nous serions embarqués dans un train bien vite décoré de la rose et du logo du parti socialiste. Ce manque d'exigence et cet excès de manoeuvres nous avaient laisser pressentir en fait votre refus de l'obstacle et du passage à l'acte, mais je n'accablerai pas votre rapport, mon cher collègue, car il a le grand mérite de laisser le champ libre à l'imagination.
Je remercie M. le président du Sénat, qui nous permet, par cette proposition de loi constitutionnelle, de mettre en oeuvre nos convictions.
Monsieur Mauroy, il n'y a pas d'audace dans le virtuel. En démocratie, la réforme, c'est le vote ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d'entendre une série d'exposés très remarquables, à laquelle j'associe celui de M. Mauroy. En revanche, j'ai eu le sentiment que le ministre était peu ouvert à nos propositions, et hésitant quant à ce qu'il fallait faire.
Je me borne pour ma part à traiter deux questions. Premièrement, faut-il constitutionnaliser l'autonomie financière des collectivités locales ? Deuxièmement, quelles seraient à l'avenir les conséquences de cette constitutionnalisation ?
Lorsque le président Poncelet m'a proposé de m'associer à la proposition de loi constitutionnelle qu'il a déposée avec un certain nombre de nos éminents collègues, je me suis demandé si ce texte pouvait prendre une juste place dans l'évolution des rapports entre l'Etat et les collectivités locales, rapports que j'observe au poste qui est le mien depuis maintenant vingt ans.
J'ai connu nombre de ministres de l'intérieur, de premiers ministres, de directeurs généraux des collectivités locales. J'ai tempêté parfois contre certains prélèvements sur la CNRACL ou sur le fonds de compensation de la TVA, et j'ai même gagné devant le Conseil d'Etat s'agissant de ce fonds ; j'ai contesté certaines mesures et je me suis demandé s'il était opportun de constitutionnaliser cette autonomie. Pour moi, en effet, l'autonomie financière des collectivités locales, qui est l'autre face de la libre administration des collectivités locales, repose sur trois piliers, que nous devons avoir présents à l'esprit à l'occasion de ce débat.
Le premier pilier, c'est la possibilité de disposer de ressources fiscales dont les collectivités peuvent déterminer les taux, de manière à adapter ces recettes à leurs dépenses.
Le deuxième pilier, c'est la possibilité de recevoir des compensations lorsqu'il y a transfert de charges et que ces compensations soient à la fois calculées, évolutives et pérennes.
J'en viens au troisième pilier : lorsque l'Etat remplace, par sa décision et celle du Parlement, une part d'impôt local par une compensation, la dotation de l'Etat doit être, elle aussi, indexée et pérenne. Monsieur le ministre, la malheureuse affaire de la dotation de compensation de la taxe professionnelle qui s'élevait au départ, en 1987, à une vingtaine de milliards de francs et qui, aujourd'hui, sans doute compte tenu de l'évolution des prix, représente un peu moins de 10 milliards de francs puisqu'elle a servi de variable d'ajustement est, pour tous les élus locaux, tous ceux qui font leur budget chaque année, une expérience amère qu'ils ne voudraient pas voir se répéter pour les autres dotations de compensation. Nous sommes quelque peu effrayés à l'idée de voir se multiplier ces dotations de compensation. Si toutes subissent le sort de cette malheureuse DCTP, il est clair que, dans quelques années, nos collectivités locales n'auront plus d'autonomie financière et ne pourront plus librement gérer leurs activités.
C'est la première des raisons pour lesquelles j'ai cosigné la présente proposition de loi.
Deuxième raison : j'ai constaté, depuis vingt ans, que le Conseil constitutionnel a une position très restrictive sur la libre gestion des collectivités locales, principe qui est inscrit dans la Constitution et dont les conditions sont définies par la loi. Tout en posant quelques principes sur l'autonomie, le Conseil constitutionnel accepte chaque limitation à cette autonomie au motif que l'Etat verse des compensations. Cependant, le Conseil constitutionnel n'a jamais regardé l'évolution dans le temps des compensations. S'il l'avait fait, il aurait constaté que le remplacement d'un impôt local par une dotation finit par être un faux-semblant ou une supercherie. Or, jamais son raisonnement prospectif n'est allé aussi loin. Il faut donc l'inciter à examiner l'évolution des dotations et à tenir compte des trois piliers qui fondent l'autonomie locale.
Troisième raison : un certain nombre d'initiatives du Gouvernement depuis quelques années ont été malvenues. L'idée selon laquelle on va réduire la pression fiscale globale, les 45,6 % ou 45,7 % d'impôts et de charges qui pèsent sur nos concitoyens, en s'occupant essentiellement de la fiscalité locale et en ne touchant ni aux cotisations sociales ni aux impôts d'Etat est une idée un peu sommaire. En ce qui concerne les réformes intervenues, qu'il s'agisse de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle ou de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, il est clair que l'on aurait pu faire d'autres choix, si l'on avait discuté, si une phase de concertation avait précédé les décisions.
S'agissant de la taxe professionnelle, tous les experts savent que ce qui pose problème pour l'emploi, c'est non pas la part salariale, mais la fixité des investissements et le fait que la taxe professionnelle repose sur une base historique, et non sur une base assortie des amortissements. Là est la réforme qu'il fallait faire pour alléger le poids de la taxe professionnelle sur les entreprises et pour faciliter la création et le développement des entreprises. Or, personne ne nous a rien demandé, car M. Strauss-Kahn, qui avait la science infuse, a considéré que la suppression de la part salariale était essentielle.
Quant à la taxe d'habitation, voilà dix ans, mes chers collègues, que les gouvernements qui se sont succédé, de gauche et de droite, évitent d'appliquer la révision des valeurs locatives qui a eu lieu à la suite d'un vote du Parlement. On a dépensé 11 milliards de francs pour alléger la taxe d'habitation. Or, avec seulement la moitié de cette somme, on aurait pu financer et lisser la révision des valeurs locatives et la révision des bases. Cela aurait introduit plus de justice, monsieur Mauroy, et permis d'éviter que les bases des valeurs locatives du département du Nord n'atteignent que la moitié de celles du département des Hauts-de-Seine, ce qui est inexplicable. Cela explique, vous en conviendrez, la grande différence de taux entre le département du Nord et le département des Hauts-de-Seine.
On a donc préféré faire d'autres opérations telle la suppression de la part régionale. Là aussi, il y a eu absence totale de concertation, méconnaissance des problèmes concrets du terrain, absence de dialogue et mise devant le fait accompli parce qu'un chef de bureau du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a pensé qu'il était plus intelligent de supprimer telle ou telle part d'un impôt local. Je crois que nous avons arrêté la deuxième vague de l'opération - M. Mauroy le sait parfaitement - qui consistait, monsieur Puech, à supprimer la part départementale de la taxe d'habitation. En effet, telle que la machine était lancée, c'est dans ce sens que l'on allait. Il faut se prémunir contre les réformes mal engagées et malvenues.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Fourcade ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président du Sénat, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Je vous remercie, monsieur Fourcade, de m'autoriser à vous interrompre.
La question que je souhaite vous poser, je la pose aussi, très respectueusement, à M. le Premier ministre Mauroy. Dans les propositions qu'il a faites, s'agissant de l'affectation des recettes fiscales à différents niveaux de collectivités, il affecte la taxe d'habitation aux communes. Comment peut-on, nous communes - je parle aux maires - appliquer la réforme de la taxe d'habitation, en actualisant les valeurs locatives pour tenir compte de la révision des bases, alors que plusieurs gouvernements qui se sont succédé n'ont pas réussi à le faire ?
On nous affecte un impôt que nous ne pourrons utiliser. En effet, ce que le Gouvernement n'a pas pu faire, nous n'y parviendrons pas non plus, pour les raisons que vous savez. Je crois que c'est une mauvaise spécialisation. Cela vaut aussi pour le département s'agissant de l'affectation du foncier bâti et du foncier non bâti, dont les bases ont été actualisées mais que, bien sûr, personne n'a voulu appliquer par la suite. Il en est donc de même s'agissant de la taxe d'habitation pour les communes : personne n'a voulu mettre en oeuvre la révision des bases. On dit maintenant aux collectivités locales : il n'a pas été possible de le faire, mais, vous, faites-le. Vous savez bien que c'est impossible !
Plusieurs sénateurs du RPR. Eh oui !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je n'entrerai pas dans ce débat, qui est important et...
M. Pierre Mauroy. Vous avez répondu à M. Poncelet !
M. Jean-Pierre Fourcade. Non, je n'ai pas répondu à M. Poncelet !
M. Pierre Mauroy. Il faut procéder à la révision des bases !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'ai dit qu'avec la moitié de la somme qui a été dépensée cette année on aurait pu réviser les bases en facilitant les transferts et sans surcharger certaines catégories de contribuables.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Et voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. On a manqué cette occasion. C'est la troisième raison qui me conduit à soutenir la proposition de loi constitutionnelle.
Enfin, quatrième raison - qu'il faut vous rappeler, monsieur le ministre ; vous venez de prendre vos fonctions, vous êtes un élu parisien - aujourd'hui, les collectivités locales de l'an 2000, aux quatre niveaux - régions, départements, intercommunalité et communes - financent les trois quarts des investissements de la vie collective de notre pays, une très grande partie des politiques d'aide sociale et des politiques de lutte contre l'exclusion, ainsi qu'une très grande part - pas suffisante, selon M. Jean-Pierre Raffarin - des actions de formation professionnelle et de lutte pour le développement de l'emploi.
Il ne faut donc pas avoir une conception rétrogade du rôle des collectivités locales, qui s'occuperaient seulement de l'état civil et de la régulation des cérémonies locales. Aujourd'hui, les collectivités locales, avec 700 milliards de francs de dépenses annuelles et les 150 milliards de francs d'investissements qu'elles financent, sont devenues le véritable régulateur de l'activité de notre société. Elles ne peuvent bien sûr pas fonctionner si l'on supprime peu à peu l'ensemble de leurs impôts pour les remplacer par des dotations dont personne ne peut garantir qu'elles seront adaptées, indexées et pérennes.
Telles sont les quatre raisons pour lesquelles j'ai accepté de cosigner la proposition de loi de M. le président du Sénat.
Quelles seront les conséquences de ce texte ?
A l'évidence, si nous sanctuarisons l'autonomie financière des collectivités locales, on ne pourra pas s'arrêter là. Il en résultera deux conséquences essentielles.
D'abord, il faudra réviser cette fiscalité et la moderniser. Tout à l'heure, un orateur a dit que l'on n'avait jamais touché à la fiscalité. Il n'en est rien. En ce qui me concerne, j'ai conduit la réforme de la taxe professionnelle et sans cette réforme, mes chers collègues, la décentralisation de 1982 aurait été un échec. Essayez d'imaginer comment auraient pu être financés les collèges, les lycées, l'ensemble des investissements que nous faisons aujourd'hui si on s'était appuyé sur la patente ! Il y aurait eu une révolution fiscale. C'est la création de la taxe professionnelle, avec sans doute des défauts - c'est un impôt trop grossier - qui a permis de financer la décentralisation. Ne l'oublions pas, mes chers collègues, chaque fois que nous hésitons à faire une réforme d'ensemble.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Cette révision, il faudra la faire en ce qui concerne tant la taxe d'habitation que les taxes foncières. S'agissant de la taxe d'habitation et des taxes foncières, au lieu de laisser jouer la recentralisation que l'on nous propose, il faut, au contraire, augmenter le pouvoir des collectivités locales.
M. le président du Sénat a très justement dit que l'on ne pouvait pas non plus aller jusqu'à modifier les valeurs locatives locales, car ce serait trop fort. Mais pourquoi ne pas faire sauter ce seuil de 15 %, qui nous oblige à avoir des taux d'abattement uniformes sur tout le territoire ? Pourquoi ne pas nous permettre de mener une politique familiale en allant plus loin que l'abattement de 25 % ? Pourquoi ne pas nous permettre, en matière de taxes foncières, de prendre pour base une valeur réelle, et non pas la valeur cadastrale ? Pourquoi faut-il que 25 000 fonctionnaires de la direction générale des impôts s'occupent, à l'heure actuelle, de l'assiette et du contentieux de nos impôts locaux, alors que nous sommes tenus à l'écart de l'ensemble des grands impôts ?
J'ai proposé à la commission Mauroy, qui n'a pas retenu cette suggestion, d'attribuer aux départements une taxe additionnelle à la CSG, car ceux-ci assument une charge considérable en matière de politique sociale. La CSG est acquittée par la quasi-totalité des contribuables, elle frappe aussi bien les revenus financiers que les revenus du travail. Pour financer la politique sociale des départements, ce serait, à hauteur d'un demi-point ou d'un point selon les besoins des départements, une ressource moderne, qui permettrait d'adapter le dispositif et de prendre en compte l'un des points essentiels soulevés par M. le président Poncelet : quand l'Etat supprime un impôt, il doit le remplacer par un autre. Je ne suis pas un défenseur acharné de la vignette automobile, qui était certainement un impôt obsolète, mais dont les collectivités avaient la maîtrise. Il faut la remplacer non pas par une dotation budgétaire, mais par un autre impôt. C'est le sens de la proposition qu'a faite M. le président Poncelet.
La seconde conséquence essentielle, c'est la réorganisation du système de péréquation entre les collectivités. Pour ma part, je suis partisan de la théorie de l'Etat régulateur : c'est l'Etat qui doit compenser les différences de situation, de richesse, de dynamisme économique, de développement entre les collectivités. Par conséquent, c'est par le biais de la dotation globale de fonctionnement et des subventions que l'on doit pouvoir corriger les déséquilibres régionaux - c'était l'objet de la loi « Pasqua » - modifier un certain nombre de rapports entre les collectivités, développer la dotation de solidarité rurale ou la dotation de solidarité urbaine, mais le principe d'autonomie suppose que l'on ne prélève pas des recettes fiscales sur telle ou telle collectivité et que l'on se serve des dotations et de l'ensemble des répartitions de la DGF pour exercer cette péréquation. Je suis le premier à reconnaître que cette action est nécessaire, mais c'est le rôle de l'Etat.
Hier, lors du colloque réalisé par l'Association des maires de grandes villes, nous avons considéré que la péréquation pouvait intervenir à deux degrés : d'une part, à l'échelon national entre les régions et, d'autre part, à l'échelon régional entre les départements et les collectivités, afin de mieux coller au terrain et de mieux organiser. L'intercommunalité étant appelée à se développer, le nombre de communautés urbaines, de communautés d'agglomération et de communautés de communes va s'accroître. C'est donc à travers elles que nous pourrons mener à bien la péréquation.
La proposition de loi déposée par M. ChristianPoncelet n'est pas du tout hostile à la péréquation. Au contraire, elle aura pour conséquence la modernisation et l'accroissement des responsabilités des collectivités locales, d'une part, et le développement de la péréquation, d'autre part, qui sont, je crois, deux éléments fondamentaux.
Un problème subsiste entre nous, à savoir celui de la spécialisation. Ce thème a été emprunté au débat sur l'intercommunalité, avec la taxe professionnelle unique. Mais, monsieur le ministre, si, chaque année, on s'amuse à modifier les bases de la taxe professionnelle, c'est l'intercommunalité dans son ensemble qui risque de connaître quelques difficultés. Il me semble donc préférable d'intégrer dans la Constitution un certain nombre de mécanismes de garanties plutôt que de laisser le soin au Gouvernement, lors de chaque loi de finances, d'opérer des modifications.
En signant cette proposition de loi, nous avons voulu marquer un coût d'arrêt à la recentralisation quasi biannuelle de l'ensemble de nos impôts. Nous avons voulu ouvrir le débat. La mondialisation dans laquelle nous sommes engagés et la construction de l'Union européenne nous obligent, en effet, à avoir des collectivités compétitives, qu'il s'agisse des régions, des départements, des grandes villes et des communautés intercommunales. Or, ce n'est pas le recours continuel à la pratique du bricolage fiscal ou aux faux-semblants en matière de dotations qui nous permettra de régler l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Telle est la raison pour laquelle j'ai cosigné la proposition de loi du président Poncelet.
Je me rallie, monsieur Gélard, aux propositions sages que vous avez présentées. Peut-être faudra-t-il, un jour, améliorer encore les dispositions proposées. Mais le débat est maintenant ouvert.
En tout cas, mes chers collègues, vis-à-vis des 500 000 élus locaux qui nous regardent, vis-à-vis de tous les maires, présidents de conseils généraux, présidents de conseils régionaux et des nouveaux présidents des intercommunalités qui s'interrogent sur la manière d'élaborer leur budget, de financer leurs investissements et de développer la solidarité à l'intérieur de leur zone, il serait absurde que le Sénat ne réagisse pas contre ce qui se passe depuis quelques années et qu'il n'essaie pas, par le vote d'un texte solennel, de mettre fin à toutes ces espèces de rafistolages qui n'ont aucun sens...
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et qui finiront par écoeurer nos concitoyens, qui sont aussi des contribuables.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est à eux que je pense en terminant cette intervention. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle présentée par M. le président du Sénat et par quatre présidents cosignataires reflète une préoccupation réelle des élus territoriaux à tous les niveaux. L'autonomie fiscale étant une expression forte de la décentralisation, tout ce qui y porte atteinte vide celle-ci d'une partie de sa substance. Et si, aujourd'hui, nous constatons un mouvement vers la recentralisation, c'est parce que l'autonomie fiscale tend à s'estomper. En vingt ans, toutes alternances confondues, vingt-quatre mesures ont contribué à détériorer le lien fiscal entre les collectivités locales et les contribuables locaux. Les cinq décisions les plus récentes concernant la taxe d'habitation, la taxe professionnelle, les droits de mutation et la vignette ont fait passer la part des recettes fiscales payée par les contribuables locaux de 53 % à 41 % dans les recettes totales des collectivités, toutes catégories confondues. Pour certaines régions en particulier, la part de la fiscalité dans les ressources passera, en six ans, de 51 % à 32 %.
C'est parce que ce diagnostic n'est pas contestable que la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui prévoit que « la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources fiscales dont elles votent les taxes » et que « les ressources fiscales représentent la part prépondérante des ressources des collectivités territoriales ».
Et c'est pour les mêmes raisons que la commission Mauroy - et je ne renie pas les aspects auxquels j'ai été associé - affirme ceci : « la légitimité républicaine implique aussi la faculté pour les élus de voter l'impôt et de répondre à son utilisation devant le citoyen. Ceci suppose d'abord que la fiscalité demeure, dans les budgets de chaque collectivité territoriale, une recette prépondérante ».
Tel est encore le constat du rapport présenté au Sénat voilà quelques mois par nos collègues Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France, et Michel Mercier.
Il y a d'autant moins de divergences possibles sur l'objectif à atteindre qu'il n'y a pas de véritable décentralisation sans responsabilité des élus dans le choix et le montant d'une partie essentielle des recettes. Les élus doivent aussi pouvoir compter sur une compensation effective des charges qui leur sont imposées. C'est cela l'expression de l'autonomie de décision des collectivités locales. C'est aussi la possibilité donnée aux contribuables d'identifier clairement les décideurs de l'impôt et de se prononcer sur les choix opérés par ceux-ci.
La décentralisation confère aux élus des responsabilités essentielles dans le choix des investissements, dans le mode de gestion des collectivités et donc dans les arbitrages quant aux recettes, trois facteurs qui sont indissociables les uns des autres. Restreindre leurs responsabilités dans l'un ou l'autre de ces domaines, c'est remettre en cause le principe et l'esprit de la décentralisation.
Telle est peut être d'ailleurs - cela a été évoqué à plusieurs reprises ce matin - la volonté de tel ou tel temple de la centralisation, certaines administrations centrales ne se résignant que difficilement à être dessaisies de leurs prérogatives. Mais je ne pense pas que ce soit la volonté de ceux qui exercent des responsabilités politiques dans notre pays, quelle que soit leur appartenance.
C'est pour éviter toute nouvelle dérive que certains principes devaient être rappelés, en particulier ce matin, et que le président du Sénat et les présidents d'associations représentatives des collectivités territoriales ont jugé le moment opportun pour soumettre au Sénat la proposition de loi constitutionnelle rapportée avec talent par notre collègue Patrice Gélard. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'une proposition de loi qui affiche une grande ambition, signée qu'elle est par des sénateurs particulièrement éminents.
Elle affiche une grande ambition : il s'agit en effet d'une modification constitutionnelle d'importance tendant à inscrire dans notre loi fondamentale les garanties fiscales et financières de nos collectivités territoriales.
Cette proposition de loi a été signée par d'éminents sénateurs, dont le premier d'entre nous, accompagné d'autres, notamment de trois dont le titre de sénateur apparaît curieusement comme secondaire par rapport à leur fonction de président d'une grande association d'élus. Dois-je préciser qu'ils parlent en leur propre nom et non pas au nom des associations qu'ils président ? Il eût peut-être été opportun qu'ils le précisent eux-mêmes.
L'échec de la grande ambition affichée par cette proposition de loi, après le passage de cette dernière devant la commission des lois, n'en est que plus cinglant puisque ce sont les propres amis des signataires, en dépit des discours très lisses tenus ce matin, qui ont réfusé de les suivre sur des chemins hasardeux et aléatoires, ceux d'une véritable République nouvelle dans laquelle le Sénat détiendrait les pouvoirs exorbitants d'un quasi-droit de veto sur les textes essentiels, en particulier sur des pans entiers de la procédure budgétaire.
En effet, le terme d'« administration » des collectivités territoriales, employé à l'article 1er, est extrêmement large. Il inclut l'évolution des différents impôts, la fiscalité locale, le vote des taux mais aussi, par exemple, la fonction publique territoriale, les conventions collectives, les négociations salariales dont les conséquences sont, à un moment ou à un autre, sanctionnées par la loi, notamment par la loi de finances, et tellement d'autres choses que les auteurs de la proposition de loi se sont bien gardés de les énumérer dans l'exposé des motifs de cette dernière.
Bref, la grande ambition orchestrée par une grande campagne médiatique, qui voulait se poser en contre-offensive prétendument dynamique aux conclusions prétendument timides de la commission Mauroy, se transforme en flop retentissant !
Il faut en rendre grâce à la sagesse et à la conscience politique des sénateurs de la commission des lois qui ont compris qu'une telle tentative présentait le double inconvénient de perturber gravement le fonctionnement serein et équilibré de nos institutions, en particulier le bicamérisme auquel nous sommes tous attachés, et de nuire au Sénat. Je rappellerai en effet ici de façon très claire que jamais les socialistes, en particulier le Premier ministre, n'ont remis en cause l'existence du Sénat. Il n'a jamais été dénoncé autre chose qu'un mode de scrutin qui constitue à lui seul - et seulement lui - l'« anomalie parmi les démocraties » évoquée par le Premier ministre.
A trop vouloir en faire et à vouloir s'arroger à peu près les mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale, les auteurs de la proposition de loi ont pris ainsi le risque de nuire au Sénat ou, au moins, à son image. Franchement, il n'a pas besoin de cela !
Heureusement que chacun sait bien - et les auteurs sûrement les premiers - que ce texte qui, comme cela a été rappelé, invite dans la procédure ultérieure à un référendum n'a aucune chance d'aboutir et qu'il ne s'agit donc que d'un coup politique sur un sujet qui, franchement, méritait mieux - M. Mauroy l'a montré tout à l'heure - que le texte excessif, démagogique et mal fagoté que vous nous avez présenté !
Ce texte est excessif, comme je viens de le dire.
Il est mal fagoté, c'est évident. J'en prendrai deux exemples, certes secondaires, mais significatifs.
Comment écrire à l'article 1er, quatrième alinéa, que les collectivités territoriales sont percepteurs de l'impôt ? C'est une nouveauté de la pratique française traditionnelle dont chacun de nous devra au plus vite informer les trésoriers de nos provinces !
Comment peut-on oser inscrire dans la Constitution, texte qui ne saurait être soumis aux critères de choix statistiques de tel ou tel institut, fût-il national, que l'évolution des ressources des collectivités est indexée sur le produit intérieur brut qui, au demeurant, n'offre aucune garantie puisqu'il peut être, hélas ! à un moment ou à un autre, amené à baisser ?
Il est non moins évident que cette proposition de loi est démagogique, et je crois pouvoir le démontrer par un exemple.
Certes, comme M. Mauroy l'a répété, nous sommes tous très attachés à l'autonomie fiscale des collectivités, et la commission présidée par notre collègue l'a réaffirmé avec force. Certes, l'idée d'inclure cette garantie dans la Constitution est a priori séduisante et peut, à quelques semaines d'un grand congrès d'élus, entraîner la satisfaction, voire la reconnaissance de beaucoup.
Mais, à y regarder de plus près, si une telle proposition se justifie par grandes catégories, - et, monsieur le rapporteur, vous avez eu la sagesse de préciser qu'il s'agit bien de catégories - elle est très insuffisante dans le détail. Quelle est l'autonomie fiscale d'une commune forestière, par exemple, qui n'est peuplée que d'habitants âgés souvent dispensés de taxe d'habitation, qui ne perçoit ni impôt foncier non bâti, à cause de l'exonération trentenaire, ni taxe professionnelle ? Ses ressources ne sont constituées que de dotations et de subventions. C'est pourquoi la commission Mauroy a tellement insisté sur le rôle péréquateur du département, notamment à l'égard des petites communes rurales et, sutout, sur l'importance des dotations d'Etat pour assurer cette péréquation et la solidarité entre collectivités.
Cette proposition de loi est donc démagogique, au point qu'on peut se demander si l'essentiel était bien d'assurer l'autonomie des collectivités locales ou, au contraire, s'il ne s'agissait pas d'abord de renforcer les pouvoirs du Sénat, comme divers entretiens dans la presse pourraient le laisser penser.
Tout cela montre bien qu'il s'agit d'un coup politique, et donc d'un « flop » politique, pourtant préparé par une sorte de petite conjuration : l'enseignement de l'histoire m'a montré qu'en quelques circonstances - au demeurant assez rares - la chronologie précise des événements méritait attention ; or c'est au moment où, fin juin, vous déposiez votre texte que certains d'entre vous manifestaient de plus en plus d'impatience face à leur participation à la commission Mauroy.
Les deux événements, même s'ils n'apparaissent pas concomitants, sont en réalité étroitement liés : vous avez déposé ce texte en juin et préparé parallèlement votre sortie, en l'organisant médiatiquement, en septembre, dans le bureau du président du Sénat.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Vous oubliez l'affaire de la vignette !
M. Jean-Claude Peyronnet. A lire la presse politique people - oui, cela existe ! - on constate que plusieurs signataires sont présentés comme des « visiteurs assidus d'un grand palais républicain de la rive droite... ».
De là à penser que les conseillers du Président ont été mis au courant de la démarche, il y a un pas que je ne franchirai pas car, en matière de « flop », ils en préparent habituellement de beaucoup plus somptueux...
Monsieur le rapporteur, vous êtes un homme d'un grand talent, votre rapport le montre. Ainsi, après avoir, page 43 de ce rapport, donné l'impression que vous approuviez la démarche des signataires de la proposition de loi, à l'article 3, par la phrase suivante : « La disposition prévue... étant de nature à permettre au Sénat de jouer tout son rôle pour prévenir l'adoption de dispositions de nature à remettre en cause les principes essentiels de la décentralisation », vous ajoutez, sans autre explication : « Votre commission des lois a néanmoins estimé préférable de privilégier l'application de la procédure applicable aux lois organiques. »
C'est du grand art ! Je n'aurai pas la cruauté de vous demander explicitement pourquoi il est « apparu préférable », pour vous citer encore, d'agir ainsi, encore que vous ayez quelque peu précisé les choses dans votre intervention orale.
Quoi qu'il en soit, vous avez fait de votre mieux avec ce que vous aviez, comblant un trou ici, ravaudant là, rapiéçant ici, racommodant là, pour parvenir à un texte à peu près insipide dont on ne saurait trop vous tenir rigueur mais que nous ne voterons pas et que nous discuterons à peine dans le détail.
Malgré tout votre art, vous n'avez réussi à faire que du « rapetassage », tant il est difficile de fabriquer du foie gras avec du pâté de ragondin. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Voilà qui nous met en appétit ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. Pas pour nous parler de pâté de grive : il est maintenant interdit dans le sud de la France ! (Nouveaux sourires.)
M. Robert Bret. Il s'en consomme pourtant toujours !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je souhaite juste dire à notre éminent collègue Jean-Claude Peyronnet que la réalité qu'il vient de décrire correspond tout simplement au travail normal d'une commission : une commission se doit d'étudier un texte, de le raccommoder, de le ravauder sans cesse, surtout s'agissant d'une proposition de loi ! Je ne vois donc pas pourquoi vous critiquez, dans votre intervention, le travail normal d'une commission du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, en premier lieu, à remercier et féliciter les initiateurs de cette proposition de loi, car ils nous permettent de mettre en évidence une problématique dont nous parlons tous très souvent mais que les gouvernements successifs ont piétinée et piétinent régulièrement : je veux parler de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.
L'autonomie fiscale que nous réclamons n'est pas le fruit d'une « lubie » de quelques élus en mal d'autonomie tout court ! Elle n'a pas, non plus, vocation à être totale.
Les dotations de l'Etat sont et resteront nécessaires aux péréquations que justifie la solidarité nationale. Il n'est donc pas question de les supprimer.
Les impôts locaux et la liberté d'en fixer les taux sont indispensables à une bonne gestion, mais aussi à la responsabilisation des citoyens et des élus.
Monsieur le ministre, au nom de l'Assemblée des départements de France, j'ai animé le groupe de travail qui a préparé la mise en place de la « M 52 », qui va s'imposer comme nouvelle méthode comptable des départements.
M. Michel Charasse. C'est une horreur !
M. Philippe Adnot. C'est le Gouvernement qui l'a mise en place, ce n'est pas moi : personnellement, j'ai seulement travaillé pour améliorer le système.
M. Michel Charasse. Oui, mais c'est une horreur quand même : on n'y comprend plus rien.
M. Philippe Adnot. Nos collectivités vont devoir provisionner la dotation aux amortissements. Comment le faire si l'on n'est pas garanti de disposer d'une ressource et de la marge de manoeuvre nécessaire ? Comment avoir une vision globale de son budget et de son évolution dans le temps si, chaque année, la question de la pérennité des dotations ou des ressources fiscales est posée ?
La diminution ou la suppression de la dotation de compensation de la taxe professionnelle ou de la compensation de la réduction pour embauche et investissements, la REI, sont des exemples probants, et nous allons bien voir la manière dont le Gouvernement va traiter ce qui a été mis en évidence par un maire communiste, avec ce qu'auraient dû percevoir les collectivités au titre de la REI mais qu'elles n'ont pas reçu.
L'impôt local a des vertus et ne ressemble en rien à l'impôt national. Il doit favoriser le lien entre collectivités, citoyens et entreprises. Cela implique qu'il soit lisible : celui qui paie l'impôt doit pouvoir en comprendre l'utilité.
L'impôt doit aussi correspondre à la notion de service : le contribuable qui reçoit un service peut en comprendre le coût, mais celui qui n'en reçoit pas, comme, par exemple, dans une petite commune, trouverait insupportable de payer ce même service alors qu'il doit y subvenir par lui-même. Cela exclut nécessairement la notion de revenu dans l'impôt local.
On peut discuter d'un éventuel encadrement pour éviter les dérives, on peut discuter de la réforme de tel ou tel impôt, mais on ne peut oublier que l'impôt local est un impôt de service, qu'il doit être suffisamment diversifié pour être stable et intéresser toutes les composantes de notre société.
A cet égard, la spécialisation des impôts me paraît une fausse bonne solution, car elle rendrait les collectivités fragiles et, surtout, elle déresponsabiliserait, elle désintéresserait les citoyens, ce qui n'est pas bon : lorsqu'on demande quelque chose, il faut savoir que l'on va participer à son financement.
On ne peut oublier qu'il n'existe pas de bonne gestion sans autonomie, sans responsabilisation et sans lisibilité dans le temps. Or, pour se désendetter, pour maîtriser la renégociation de ses emprunts, il faut être certain d'avoir la capacité financière nécessaire. Ce n'est pas possible à partir de dotations !
Le texte qui nous est présenté nous garantit cette lisibilité, cette sécurité dans le temps. Il est donc le bienvenu. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République est, par nature, le résultat d'un subtil équilibre entre le pouvoir central et l'ensemble des collectivités territoriales. Or cet équilibre est de plus en plus rompu - presque tous les intervenants se sont exprimés dans ce sens ce matin - au détriment des collectivités.
La responsabilité d'une telle évolution incombe essentiellement à l'Etat, qui revient de plus en plus sur les acquis de la décentralisation.
A cet égard, je formulerai trois interrogations.
Premièrement, un Etat qui est dans une situation financière difficile est-il en mesure de faire des réformes fiscales, et même de bonnes réformes tout court ? La question mérite d'être posée, tant vis-à-vis de toutes les catégories de contribuables qui attendent des réformes fiscales toujours promises mais jamais réalisées que vis-à-vis des structures publiques, que ce soient les collectivités ou d'autres organismes qui collectent des ressources importantes, comme les agences de l'eau ou les sociétés d'autoroute, sur les ressources desquelles l'Etat a des visées parfaitement budgétivores.
La France a un niveau de prélèvements obligatoires nettement plus élevé que celui de ses partenaires européens. Elle est également, vous le savez, le pays dont l'endettement s'est accru le plus vite au cours des dernières années, son déficit budgétaire représentant près de 2 % de son produit intérieur brut. Ces données font de notre pays, dans le concert de la classe européenne, l'un des plus mauvaix élèves.
Enfin, nous sommes un pays où les dépenses de fonctionnement augmentent toujours trop vite, ce qui oblige l'Etat à réduire ses dépenses d'investissement ou à transférer sur d'autres opérateurs, dont les collectivités territoriales, de plus amples charges d'investissement, d'intervention ou de gestion.
Il est évident qu'un Etat, qui est ainsi financièrement aux abois, recherche toujours désespérément des substituts et qu'il se retourne inévitablement vers ce vieux réflexe de centralisation qui va pourtant à l'encontre du processus de décentralisation que nous avons engagé depuis trente-cinq ans - et accéléré depuis vingt ans - ainsi que de l'évolution constatée dans tous les autres grands pays développés.
Ce phénomène de centralisation rampante est en marche dans beaucoup de secteurs. Il en est ainsi pour la sécurité sociale, au détriment du partenariat avec les acteurs sociaux ; il en est également ainsi s'agissant des collectivités locales : on en a parlé toute cette matinée, et cela suscite l'irritation compréhensible des élus locaux et du Sénat, qui en est l'émanation ; il en est encore ainsi pour la politique de l'eau - nous en avons déjà débattu mais nous en débattrons encore certainement dans cette enceinte - ou pour la politique menée en matière d'infrastructures de transports, nous le verrons lors de l'examen du prochain projet de loi de finances, avec la suppression du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables.
Dans ce contexte de centralisation rampante et continue, une deuxième question se pose : y a-t-il concordance entre les paroles, les déclarations et les actes ?
Dans le domaine des intentions et des déclarations, j'évoquerai simplement la création de la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par notre éminent collègue Pierre Mauroy. Selon les propos tenus par le Premier ministre lors de son installation, le 17 novembre 1999, cette instance pluraliste devait avoir pour objectif de formuler des propositions sur l'avenir de la décentralisation et de « tracer de nouvelles perspectives », « de nouvelles étapes » afin que « la décentralisation soit plus légitime, plus efficace et plus solidaire ».
Après ces déclarations, quels ont été les actes ? Ce furent les dernières mesures fiscales engagées par le Gouvernement : réforme de la taxe professionnelle, suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, suppression de la vignette des particuliers, et donc des recettes fiscales autonomes correspondantes de certaines collectivités territoriales. Autant de mesures qui portent une atteinte grave à l'autonomie fiscale de nos collectivités, et notamment aux dispositions de l'article 72 de la Constitution, auquel nous avons beaucoup fait référence ce matin. Autant de raisons légitimes, auxquelles s'ajoute le problème de la Corse, qui ont motivé mon départ, comme celui de beaucoup de nos collègues - MM. Fourcade, Puech et d'autres - de la commission Mauroy, dont nous étions membres.
Contrairement à ce qu'a dit l'intervenant qui m'a précédé, ce départ n'a pas été un coup monté, il a été justifié par l'annonce de la suppression de la vignette sans concertation préalable.
M. Raymond Courrière. Vous regrettez la vignette ? Rétablissez-la !
M. Jacques Oudin. C'est une question de principe : supprimer sans consultation un impôt local parce que l'on veut faire un peu de démagogie fiscale, c'est trop facile, et nous ne le souhaitons pas.
Avec ces différentes réformes, la fiscalité locale est progressivement démantelée : 36 % de recettes autonomes pour les régions, 43 % pour les départements, 48 % pour les communes, tout cela devient dérisoire.
La troisième question qui se pose est de savoir si le débat sur l'autonomie locale est, oui ou non, un débat majeur pour l'avenir de nos institutions républicaines. A en croire M. le ministre, le Gouvernement semble penser qu'il s'agit effectivement d'un débat majeur. L'ennui, c'est que les actes des années précédentes vont diamétralement à l'opposé de ce que l'on pourrait souhaiter pour une décentralisation efficace !
Certes, le paysage institutionnel de notre pays est trop complexe et les niveaux d'administration trop nombreux. La coopération intercommunale, qui aurait dû simplifier ce paysage, l'a un peu complexifié : dix-huit mille structures de coopération intercommunale, mille neuf cents groupements à fiscalité propre. Et, au-delà des trente-six mille communes, des départements et des régions, on assiste aujourd'hui à l'émergence de plusieurs centaines de « pays ».
Tout cela nécessite quelques clarifications, que ce soit dans l'exercice des compétences, dans les modes de représentativité ou dans les relations entre les différents échelons de gestion territoriale.
Des débats intéressants ont eu lieu dans le cadre de la commission Mauroy, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient allés au terme de toutes les logiques qu'ils suscitaient.
La libre administration des collectivités locales impose également que celles-ci puissent disposer - tout le monde en convient depuis ce matin - de ressources fiscales et financières susceptibles de leur permettre d'exercer leurs compétences et de répondre aux besoins des populations.
La proposition de loi constitutionnelle dont Christian Poncelet est à l'origine a au moins le mérite immense de constitutionnaliser le principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales. Sans elle, il n'est pas de réelle autonomie, tout le monde - du moins au sein de la majorité dans cet hémicycle - en est convenu ce matin.
Cette autonomie fiscale permettra de rendre nos collectivités garantes du bon fonctionnement des services publics de proximité et du dynamisme de l'économie nationale, de les rendre davantage responsables, davantage efficaces et réellement autonomes.
Mes chers collègues, loin de démembrer la République, cette proposition de loi tend à la consolider sur ses assises territoriales, en donnant aux collectivités la pleine responsabilité financière de leur action et de leur avenir.
La voie tracée par la proposition de loi de M. le président Christian Poncelet, qu'on le veuille ou non, ne se refermera jamais. C'est la raison pour laquelle nous soutenons cette proposition. Je crois que nous bâtirons ainsi une nouvelle république, plus territoriale, plus consensuelle et, à mon sens, plus efficace. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 4 octobre 1958, le Sénat s'est vu confier par l'article 24 de la Constitution une mission spécifique de « représentation des collectivités territoriales de la République ». Fort malheureusement, le constat est lourd pour ces dernières, et c'est bien « le dos au mur » que les élus locaux que nous sommes se retrouvent dans l'obligation d'endiguer les tentatives recentralisatrices et de réagir à la propension persistante de l'Etat à contraindre sans donner en échange.
Monsieur le ministre, conformément à la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui, et pour laquelle je tiens à remercier notre président, M. Christian Poncelet, ainsi que l'ensemble des signataires, il devient impératif de relancer en France notre politique de décentralisation par le renforcement et l'approfondissement de la « densité constitutionnelle » du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui me permet de prendre ici position sur le constat d'une dérive que je résumerai en ces termes et que je développerai en quatre points : on ne peut pas, à la fois, parler de décentralisation et, dans le même temps, supprimer les moyens financiers indispensables aux collectivités locales, et qui trouvent, chaque jour, leur traduction concrète dans la construction de routes, d'écoles, de lycées, dans la protection de l'environnement.
Sur le principe, il s'agit pour moi de défendre, à l'article 1er, une liberté nécessaire pour endiguer les dérives de l'Etat, qui prive les communes, les structures intercommunales, les départements et les régions de recettes réelles et de la possibilité de lever leurs propres impôts. Par le vote de cette proposition de loi constitutionnelle, nous devons mettre un terme à la « tyrannie jacobine » de l'Etat et à son processus constant de démantèlement de la fiscalité locale. C'est pourquoi je voterai le dispositif selon lequel les ressources des collectivités locales doivent être constituées pour moitié au moins de recettes fiscales propres.
Sur la forme, il s'agit pour moi de défendre une réelle autonomie de gestion des collectivités locales, avec le droit reconnu de lever l'impôt. Pour le maire que je suis, l'autonomie fiscale doit s'affirmer aux yeux de tous comme un des fondements essentiels de l'autonomie politique des assemblées locales. En tant que parlementaire, il est aussi de mon devoir de m'inquiéter des risques de tutelle financière que l'Etat fait peser sur les collectivités locales, alors même qu'il devient pressant de définir des règles suffisamment protectrices de leurs ressources financières et fiscales propres.
Je ne peux que condamner, impôt après impôt, comme l'ont fait un certain nombre d'orateurs avant moi à cette tribune, la diminution des recettes fiscales locales que sont la part salariale de la taxe professionnelle et la part de la taxe d'habitation, ainsi que, depuis peu, la suppression de la vignette automobile. Cette mesure démagogique à visée électoraliste est, une fois de plus, un coup dur pour la décentralisation ; elle constitue, à mes yeux, une réelle perte d'autonomie des collectivités territoriales en matière de prélèvement de l'impôt.
S'agissant de l'iniquité du dispositif actuel, l'histoire montre que, chaque fois que l'Etat tente de restreindre l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales, il donne l'impression de compenser intégralement ce qu'il supprime, alors qu'en fait son système de compensation n'est que partiel, puis dégressif dans la durée.
Pas un seul exemple, monsieur le ministre, ne résiste à ce constat et à cette analyse. C'est pourquoi je soutiens avec détermination le transfert effectif des ressources de l'Etat dès lors qu'elles compensent intégralement, de manière permanente, stable et évolutive, les charges attribuées aux collectivités locales et qu'elles progressent au même rythme.
S'agissant de la garantie du dispositif à venir, enfin, c'est pour éviter toute dérive politicienne que je soutiens avec force le dispositif clair de l'article 3 ; visant à ce que les projets ou propositions de loi relatifs au domaine administratif des collectivités territoriales soient adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées parlementaires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai toujours pensé que la décentralisation, dès lors qu'elle vise à rapprocher le pouvoir du citoyen et des territoires qu'il occupe, ne relève ni d'une pensée idéologique à gauche ni d'une opposition politique systématique à droite.
Nous savons tous, ici, qu'il est nécessaire de réduire les inégalités territoriales graves que l'on constate à travers l'ensemble de notre pays. C'est pourquoi, me faisant ici l'avocat d'une vraie autonomie des collectivités locales, je souhaite que les élus locaux puissent agir sur le montant de l'impôt et devenir responsables dans l'évolution des recettes de leur collectivité.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est avec force et détermination que je voterai ce texte fondateur d'une autonomie financière et fiscale renforcée de nos collectivités locales, pour établir une démocratie de proximité plus orientée vers nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Guy Allouche.)