SEANCE DU 17 OCTOBRE 2000


M. le président. Par amendement n° 209, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, avant l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« La première phrase du troisième alinéa de l'article L. 461-3 du code du commerce est ainsi rédigée :
« Le rapporteur général, le ou les rapporteurs généraux adjoints et les rapporteurs permanents sont nommés par les membres du Conseil, selon les modalités déterminées par son règlement intérieur. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Dans la même logique que précédemment cet amendement tend à renforcer l'indépendance du Conseil de la concurrence. Il vise à prévoir que « le rapporteur général, le ou les rapporteurs généraux adjoints et les rapporteurs permanents sont nommés par les membres du conseil... », c'est-à-dire qu'ils tirent leur légitimité non pas de l'administration, mais du conseil. Il s'agit là d'une différence importante.
S'agissant de l'efficacité du dispositif actuel - c'est en effet bien cela l'essentiel - et même si, au sein du conseil, siègent des personnalités tout à fait éminentes dont l'apport au droit de la concurrence est considérable, il faut rappeler, monsieur le ministre, que le Conseil de la concurrence reçoit, chaque année, de 130 à 150 saisines, soit un volume d'affaires supérieur à ce qu'il peut traiter. D'après le rapport d'activité du Conseil de la concurrence lui-même et selon les informations données par sa présidente, le stock de dossiers en cours dépasse aujourd'hui le nombre de 400, soit plus de deux années d'activité. Est-ce sérieux ? Veut-on poursuivre ainsi ? Est-ce ainsi que l'on sert la crédibilité internationale de notre pays ? Telles sont les questions que je pose.
Il faut reconnaître que les régulateurs se comparent les uns aux autres en termes d'indépendance, de financement et d'efficacité, et que l'on ne peut en aucun cas, comme vous le faites, monsieur le ministre, se satisfaire du statu quo.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Comme je l'ai déjà indiqué, et pour les raisons précédemment exposées, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur le rapporteur, le projet de loi de finances pour 2001 renforce les moyens, notamment matériels et humains, du Conseil de la concurrence pour lui permettre de faire face aux nombreuses requêtes dont il est saisi.
Plus particulièrement, et au-delà de l'explication générale que j'ai donnée sur le Conseil de la concurrence, je dirai que l'amendement n° 209 reviendrait, en fait, à accroître le lien entre les personnes chargées de l'instruction devant le Conseil et les membres du Conseil chargés de juger les affaires contentieuses, ce qui serait contraire au principe de séparation entre les fonctions d'instruction et de jugement et à la jurisprudence européenne en matière de droit de la défense. Je pense donc, monsieur le rapporteur, que vous serez sensible à cet élément concernant la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et à une jurisprudence selon laquelle les fonctions d'instruction doivent être distinguées des fonctions de jugement, les rapporteurs chargés de l'instruction ne devant pas dépendre, au travers des procédures de nomination, des membres du Conseil chargés du jugement.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je suis, bien entendu, sensible à vos propos, monsieur le ministre, mais, s'il en était vraiment ainsi, comment aurait-on pu récemment publier un décret qui s'applique, si je ne me trompe, à la Commission des opérations de bourse et qui concerne le partage des tâches entre son président et son directeur général, sachant qu'il y a bien un lien entre l'un et l'autre ? Comment a-t-on fait ? Eh bien, on a spécialisé leurs fonctions, car ce n'est pas le mode de nomination qui est en cause.
Aussi, pour respecter les principes auxquels nous sommes, comme vous-même, très attachés et que vous avez opportunément rappelés, il faudrait effectivement, dans le règlement intérieur du conseil, faire en sorte qu'il ne puisse pas y avoir d'interférence entre le rapporteur d'une affaire et la formation appelée à délibérer de celle-ci et des suites à donner au rapport.
Si l'on prenait des risques à ce sujet, il est clair que l'on se placerait dans le cadre de la jurisprudence que vous avez rappelée et qui veille à la bonne application de la convention européenne des droits de l'homme.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 209, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 32.
Par amendement n° 211, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, avant l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 461-1 du code de commerce est ainsi rédigé :
« Art. L. 461-1. I. - Le Conseil de la concurrence comprend dix-sept membres nommés pour six ans :
« 1° Deux magistrats désignés par le vice-président du Conseil d'Etat, deux magistrats désignés par le premier président de la Cour de cassation, deux magistrats désignés par le premier président de la Cour des comptes ;
« 2° Deux personnalités choisies par le président du Sénat, deux personnalités choisies par le président de l'Assemblée nationale, deux personnalités choisies par le président du Conseil économique et social, en raison de leur compétence en matière de droit ou d'économie de la concurrence et de la consommation ;
« 3° Cinq personnalités, choisies par les magistrats visés au 1°, sur une liste de dix noms présentée par les personnalités mentionnées au 2°, exerçant ou ayant exercé leurs activités dans les secteurs de la production, de la distribution, de l'artisanat ou des services, ou des profession libérales.
« II. - Le président et les trois vice-présidents sont élus par l'ensemble des membres du conseil, le premier parmi les magistrats visés au 1° du I ci-dessus et chacun des vice-présidents à raison d'un au sein de chacune des trois catégories de conseillers distinguées par ce même I.
« III. - Le mandat des membres du Conseil de la concurrence est renouvelable. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est l'amendement de principe de la commission. Chacun comprendra bien que nous souhaitions exprimer notre préférence pour une orientation, pour un objectif.
Nous estimons donc, au sein de la commission des finances, que l'on ne peut pas maintenir le rôle, les missions, la composition du Conseil de la concurrence dans le statu quo .
Il faut affirmer l'autorité du conseil, qui doit devenir un organe de régulation à part entière. De ce point de vue, il serait naturellement souhaitable que ses moyens soient accrus. M. le ministre a évoqué l'affectation de financements dans la prochaine loi de finances ; je me réjouis de cette information.
Le Sénat ne pourrait, compte tenu des dispositions de l'article 40 de la Constitution et de l'article 42 de l'ordonnance organique, prononcer lui-même l'affectation d'une ressource supplémentaire à une dépense. Donc, nous ne pouvons qu'exprimer notre souci.
S'agissant de la composition, nous nous sommes efforcés de la concevoir de manière que le conseil puisse travailler efficacement et soit suffisamment divers : deux magistrats venant du Conseil d'Etat, deux magistrats venant de la Cour de cassation, deux magistrats venant de la Cour des comptes et - nous y tenons - des personnalités exprimant une certaine logique démocratique ou de représentation. Cela existe aujourd'hui dans la Commission des opérations de bourse et existera, probablement, dans la future autorité de régulation des marchés financiers.
Nous estimons que deux personnalités doivent être choisies par le président du Sénat, deux, par le président de l'Assemblée nationale, deux, par le président du Conseil économique et social en raison de leurs compétences en matière de droit ou d'économie de la concurrence et de la consommation.
Cette disposition est symétrique de celle qui existe aujourd'hui, et ce depuis 1996, pour la Commission des opérations de bourse et qui, si j'ai bien compris, devrait être maintenue dans le projet du Gouvernement concernant la future autorité unique de régulation des marchés financiers.
Nous avions estimé, à l'époque, qu'il était utile et nécessaire que, dans les régulateurs, figurent des personnalités compétentes, mais dont la présence traduise un lien avec les organes constitutionnels de la démocratie.
En effet, s'agissant des marchés financiers, il faut représenter les épargnants, et comment les représenter sinon par des personnalités désignées par les présidents des assemblées constitutionnelles ? Dans le domaine du droit de la concurrence, il faut représenter les consommateurs, et comment mieux les représenter qu'en ayant recours aux autorités constitutionnelles, qui, par définition, sont issues du principe démocratique et dont les électrices et les électeurs, à la base, constituent bien l'ensemble du monde de la consommation ?
De plus, nous estimons - ce faisant, nous ne faisons qu'adapter le dispositif actuel - qu'aux deux premières catégories doit s'en ajouter une troisième de personnalités particulièrement qualifiées, exerçant ou ayant exercé leur activité dans les secteurs de la production, de la distribution, de l'artisanat, des services ou des professions libérales.
Selon nous, la désignation de ces personnalités - sur ce point, on peut n'être pas d'accord avec nos propositions - ne doit pas être à la discrétion du Gouvernement ; elle doit être le fait des magistrats de la première catégorie et des personnalités désignées par les présidents des assemblées constitutionnelles de la seconde catégorie, les uns et les autres se réunissant dans un premier temps pour coopter la troisième catégorie, donc les cinq personnalités en question, selon un processus qui peut paraître un peu complexe, mais qui nous semble de nature à bien garantir l'indépendance du Conseil de la concurrence.
De plus, il convient que le président et les trois vice-présidents émanent du conseil lui-même. Et pour s'assurer que l'on est bien en présence d'un régulateur public offrant toutes les garanties nécessaires, nous ajoutons que le président du Conseil de la concurrence devrait, selon cette formule, émaner des seuls magistrats du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes formant la première catégorie des dix-sept membres du nouveau Conseil de la concurrence.
Monsieur le ministre, la commission des finances estime que le dispositif qu'elle propose est équilibré. Il permettrait au Conseil de la concurrence de prendre de l'avance, alors que, ces dernières années, malgré toute la bonne volonté et tout le talent de ses membres, il a plutôt pris du retard, tant dans le délai d'examen des affaires qui lui sont soumises que dans les comparaisons internationales.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Le Gouvernement, je le répète, n'est pas favorable à une modification du mode de désignation des membres du Conseil de la concurrence.
Je crains que le système qui vient d'être exposé par M. Marini, avec une longue argumentation, n'introduise une plus grande complexité et une plus grande rigidité dans le mode de désignation des membres du conseil, sans apporter de véritable amélioration, et c'est pourquoi le Gouvernement n'est pas favorable à son adoption.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 211, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 32.

Article 32 (priorité)