SEANCE DU 5 OCTOBRE 2000


ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 357, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'archéologie préventive. [Rapport n° 482 (1999-2000).]
J'informe le Sénat que la commission des affaires culturelles m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à remercier M. le rapporteur et la commission pour l'importance et la qualité de leur travail que j'apprécie à sa juste valeur.
Votre assemblée est saisie du projet de loi sur l'archéologie préventive dont vous aviez eu à débattre en première lecture le 28 mars dernier.
Je me réjouis du chemin parcouru depuis le dépôt du projet initial sur le bureau du président de l'Assemblée nationale le 5 mai 1999. Je me félicite également des améliorations apportées au fil des lectures à un texte, dont l'Assemblée nationale et le Sénat, notamment grâce à la qualité des travaux effectués en commission, ont montré qu'il était perfectible.
La participation active et constructive à l'écriture de la loi démontre que la représentation nationale souhaitait légiférer sur un sujet laissé trop longtemps en déshérence par le politique.
L'examen par le Parlement est désormais bien avancé et il est raisonnablement permis d'espérer que notre pays, conformément aux engagements auxquels il a souscrit en ratifiant la convention de Malte, disposera enfin du cadre juridique indispensable à l'exercice de compétences qui relèvent à l'évidence de la sphère publique. Il sera ainsi l'un des premiers à s'être doté d'une législation et d'outils réellement opérationnels permettant d'assurer, dans des conditions optimales, la protection de son patrimoine archéologique.
Le Gouvernement estime que ce texte a désormais trouvé son équilibre. Il n'en demeure pas moins attaché à la poursuite d'un débat qui permettrait son enrichissement. Il est donc ouvert à toute contribution susceptible d'accroître l'efficacité d'un dispositif qu'il a la volonté de mettre en place le plus rapidement possible. C'est dans cet état d'esprit que je m'apprête, au nom du Gouvernement, à défendre le projet de loi relatif à l'archéologie préventive dont vous allez avoir à débattre.
Le texte qui vous est présenté n'est pas neutre. Il est le résultat de choix politiques forts, qui ne visent pas à donner satisfaction à telle ou telle chapelle : il se veut être l'expression de l'intérêt général.
Les choix opérés par le Gouvernement - et il a été suivi en cela par l'Assemblée nationale - reposent sur la conviction que l'archéologie relève pleinement d'une activité de service public.
J'observe avec satisfaction que cette idée fait sonchemin.
Ainsi, personne ne conteste la nécessité pour l'Etat de se voir doté des pouvoirs nécessaires à l'exécution de ses missions. Les édictions de prescriptions, qu'il s'agisse de mesures de conservation ou de sauvegarde par l'étude du patrimoine archéologique, les pouvoirs de contrôle scientifique sur l'exécution des opérations de terrain, ainsi que sur l'exploitation des résultats relèvent, à l'évidence, de missions d'Etat. Le projet de loi l'affirme très clairement.
De la même façon, le principe du financement des opérations d'archéologie préventive par les aménageurs dont les travaux sont susceptibles de porter atteinte au patrimoine archéologique ne fait pas débat. Cette règle se situe d'ailleurs dans le droit-fil des engagements pris par la France sur le plan européen. Il serait paradoxal que cette règle soit aujourd'hui contestée à l'occasion de l'examen de ce projet de loi.
J'observe enfin que la redevance mise en place par le projet de loi et qui, du fait de son caractère forfaitaire, permet une mutualisation du risque financier auquel certains aménageurs seraient immanquablement confrontés dans un système de paiement « à l'acte » souhaité par certains recueille une large adhésion. J'en prends acte avec satisfaction.
Fallait-il, pour la réalisation des opérations préventives, envisager d'autres voies que celle d'un établissement public de recherche à caractère administratif doté de droits exclusifs ? En première lecture, votre assemblée n'a pas fait ce choix, préférant une ouverture au marché. En toute connaissance de cause, le Gouvernement a clairement choisi une autre voie et, soyons francs, il n'envisage pas de la remettre en cause.
L'Etat est comptable de la consommation du sous-sol archéologique dont la rareté, le rythme de destruction et surtout le caractère non renouvelable impose un contrôle étroit de la puissance publique sur les conditions de sa conservation en vue de son étude, avec des moyens plus performants, par les générations futures, ou, s'il ne peut en être autrement, de son étude avant disparition.
L'archéologie appartient au domaine de la recherche en sciences humaines. Il s'agit, à travers les traces enfouies du passé, de mieux comprendre l'histoire de l'humanité. Comme pour toute activité de recherche, les conditions de sa réalisation ne peuvent être soumises exclusivement à des lois économiques et, surtout, à des impératifs de rentabilité. Les besoins financiers et humains nécessaires à sa protection et à son étude échappent à une logique qui serait celle de la loi de l'offre et de la demande.
Le caractère scientifique de cette activité justifie que le Gouvernement confie des droits exclusifs à un établissement dont le statut exclut une démarche tournée vers la rentabilité économique. Qu'il s'agisse de l'intervention de terrain ou de l'exploitation des données, qui lui est indissociablement liée, ce modèle d'organisation est le seul qui nous paraisse garantir les ambitions affichées en matière de protection du patrimoine archéologique. Il est d'ailleurs permis de s'interroger sur la viabilité d'un autre type d'organisation, s'agissant d'un secteur d'activité qui, à l'évidence, ne relève pas d'une logique marchande.
Le système proposé ne signifie en aucune manière repli sur soi, enfermement ou exclusion. Le projet de loi qui vous est soumis est parfaitement explicite en la matière.
Je n'évoque pas la question des rapports que devra entretenir, disons de façon quotidienne, l'établissement public avec les organismes publics de recherche en archéologie, en particulier avec le CNRS et les universités. Le ministère chargé de la recherche s'est d'ores et déjà très activement engagé, avec le ministère de la culture, sur les principes comme sur les moyens de cette collaboration.
Réunis au sein d'unités de recherche dont le contour juridique reste à préciser - il conviendra de s'assurer de la couverture de l'ensemble du territoire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui -, les chercheurs et scientifiques appartenant à ces institutions auront à travailler ensemble sur des thèmes communs de recherche. Je ne doute pas que les autorités de tutelle sauront veiller à ce que ces structures se mettent rapidement en place et à ce que les travaux menés permettent une meilleure exploitation scientifique des résultats des opérations d'archéologie préventives.
S'agissant des relations de l'établissement public avec les services archéologiques des collectivités territoriales, les choses me paraissent très claires.
Le projet de loi prévoit de façon parfaitement explicite la collaboration de l'établissement avec ces services dès lors que ceux-ci sont agréés selon les modalités qui devront faire l'objet d'une large concertation. Cette collaboration pourra se traduire par la désignation, comme responsable d'opération, de l'archéologue de la collectivité territoriale ou, d'ailleurs, des regroupements de communes.
Elle pourra, le cas échéant, prendre la forme d'une association du service territorial à tout ou partie d'une opération préventive liée à un aménagement dont la collectivité serait maître d'ouvrage. Je fais d'ailleurs observer que le dispositif d'exonération applicable aux collectivités locales devrait favoriser ce type de coopération.
Je note, enfin, que le concours des services de collectivité est également requis pour la réalisation de la carte archéologique nationale.
Malgré la clarté du projet de loi sur cette question, j'ai pu me rendre compte, au cours de mes déplacements, que des inquiétudes subsistaient. Je souhaite très sincèrement qu'elles soient levées. C'est pourquoi, dans les limites des principes posés par le projet de loi et qui fondent la démarche du Gouvernement, je suis prêt à examiner avec attention tout amendement qui permettrait de clarifier la situation dans ce domaine. Le moment venu, j'apporterai ma contribution à ce débat sous forme d'une proposition d'ajout au projet de loi.
Je tiens cependant a être parfaitement clair sur le sujet. Je rappelle que, faute de solutions alternatives, l'administration a été amenée à créer, dans les années soixante-dix, une association para-administrative, l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, chargée d'assurer la réalisation des fouilles préventives prescrites par l'Etat.
Le projet de loi vise à mettre un terme à une situation qui a été dénoncée à juste titre et que la plupart des acteurs de l'archéologie préventive considèrent comme malsaine. Dans cette affaire, l'Etat a pris ses responsabilités. J'observe que les services de collectivités territoriales susceptibles d'être agréés sont aujourd'hui encore peu nombreux, malheureusement, quelques dizaines au total. L'absence de missions propres confiées par la loi à vos services explique sans doute, pour partie, cette situation. Elle trouve également son origine, dans un certain nombre de régions, dans l'existence d'organisations relevant pour la plupart du statut associatif et employant indifféremment salariés et bénévoles.
Les collectivités font volontiers appel à de telles structures pour la réalisation d'opérations préventives. Après avoir essuyé de si nombreuses critiques quant à « l'obscure clarté » du traitement de l'archéologie préventive, le Gouvernement entreprend d'en définir les contours, d'en tracer les modalités, notamment en régularisant la situation de l'AFAN et de ses personnels.
Dès lors, on ne saurait bien évidemment pas envisager que, par principe, le nouvel établissement public collabore avec ces associations dont les missions et le rôle reflètent certes un engagement fort sur le patrimoine archéologique, mais attestent aussi d'un souci pragmatique de gestion. Cependant, le futur établissement interviendra en tenant compte de l'existence de ces structures et pourra collaborer avec elles sur une base ponctuelle. Il conviendra donc aussi que les collectivités prennent leurs responsabilités en ce domaine. Bien entendu, le Gouvernement - et j'en prends l'engagement - devra être à l'écoute des difficultés que pourrait poser la régularisation de cette situation.
Parmi les préoccupations que vous avez exprimées figure également celle des délais de réalisation des diagnostics et fouilles préventives. Cette question avait été largement évoquée en première lecture par votre assemblée. Le Gouvernement avait exprimé un avis défavorable sur l'amendement que vous aviez adopté et qui visait à fixer dans la loi les délais maximaux susceptibles d'être laissés aux archéologues pour intervenir avant prise de possession du terrain par l'aménageur.
Pour répondre à cette préoccupation partagée également par vos collègues de l'Assemblée nationale, un système reposant sur un conventionnement obligatoire entre l'aménageur et l'opérateur archéologique est prévu par la loi. Ce dispositif a l'avantage de la souplesse. Je suis persuadé qu'il évitera de nombreux contentieux qu'un système trop rigide ne manquerait pas de générer.
Je rappelle que ce dispositif contractuel fonctionne actuellement à la satisfaction générale. J'ajoute qu'il est conforme à l'esprit de la convention de Malte, laquelle dispose que les parties s'engagent à assurer « une consultation systématique entre archéologues, urbanistes et aménageurs afin de permettre l'octroi du temps et des moyens suffisants pour effectuer une étude scientifique convenable du site ».
Sur ce point également, je suis prêt à prendre en compte tout amendement qui permettrait d'apporter aux aménageurs les garanties que vous souhaitez en matière de délai. Au moment de la discussion des articles, j'apporterai ma propre contribution sur ce point.
A l'occasion des débats devant votre Haute Assemblée et devant l'Assemblée nationale, la question du statut des objets et vestiges issus des fouilles est venue en discussion, une discussion parfois passionnée, car l'enjeu est d'importance.
Grâce au travail des deux assemblées, je crois que nous avons progressé, même si des désaccords subsistent.
Je regrette - je suis bien obligé de le dire - que la commission des affaires culturelles ait décidé, sur proposition du rapporteur, de supprimer l'article 5 ter introduit par l'Assemblée nationale pour régler le cas, non traité par notre droit, des inventeurs de vestiges archéologiques immobiliers. J'y reviendrai lors de la discussion des articles, car nous risquons de manquer une chance historique, celle qui nous permettrait d'éviter que des affaires aussi désastreuses que celle de la grotte Chauvet ne se reproduisent.
Je suis bien placé pour savoir tout le mal qu'ont eu les services de l'Etat et deux ministres successifs de la culture pour régler les difficultés nées, certes, de l'incompréhension de la dimension humaine de cette affaire, mais aussi, et peut-être surtout, du vide juridique dans lequel sont plongés les inventeurs de vestiges immobiliers, comme la grotte Chauvet.
Je regrette donc la suppression de l'article 5 ter par votre commission des affaires culturelles, car cet article constitue une avancée à laquelle le Gouvernement attache beaucoup d'importance, à l'instar de celle qu'il faut accorder à l'article 716 du code civil pour les inventeurs des objets mobiliers.
Je me félicite, en revanche, que votre commission ait accepté la solution retenue, sur ma proposition, par l'Assemblée nationale pour les objets mobiliers. Elle consiste à prévoir, pour l'établissement public en cas de fouilles d'archéologie préventive et pour l'Etat en cas de fouilles conduites par lui, un droit de garde des objets mobiliers issus des fouilles le temps nécessaire à leur étude scientifique, ce qui est le principal. Votre assemblée a étendu ce droit de garde à l'hypothèse des objets découverts fortuitement, ce que nous avions oublié de prévoir ; c'est une excellente chose.
En conclusion, sur la question des objets et vestiges issus des fouilles, nous avançons positivement, même s'il reste un désaccord majeur sur les vestiges archéologiques immobiliers.
Ce sont là les points que le Gouvernement souhaite mettre en évidence dans la perspective de notre discussion.
J'aimerais ajouter que ce projet de loi a considérablement évolué - je l'ai évoqué - grâce aux débats parlementaires et que le Gouvernement est sensible au souci exprimé de tracer enfin les termes d'un statut de l'archéologie préventive et de ses moyens, statut articulé tant à la dimension scientifique de l'archéologie préventive qu'à son inscription dans les territoires. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.- M. Maman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'archéologie préventive nous revient aujourd'hui en deuxième lecture.
Force est de constater que l'Assemblée nationale n'a guère pris en compte les modifications apportées par le Sénat en première lecture, modifications dont je vous rappellerai brièvement l'esprit.
Le Sénat n'avait pas contesté la nécessité de réformer la loi du 27 septembre 1941, dont les mécanismes se sont révélés mal adaptés aux opérations de fouilles archéologiques lorsque celles-ci sont imposées par la réalisation de travaux d'aménagement.
Il convenait, en effet, de mettre fin à la fiction selon laquelle ces fouilles sont exécutées en vertu des dispositions du titre II de la loi de 1941, qui autorise l'Etat à exécuter des fouilles sur des terrains qui ne lui appartiennent pas, alors même qu'il ne les réalise pas plus qu'il ne les finance.
Aujourd'hui, les aménageurs payent les fouilles à un opérateur avec lequel ils contractent, opérateur qui, dans la plupart des cas, se trouve être l'AFAN, structure para-administrative mise en place sur l'initiative de l'Etat dès 1973.
Une réforme de ces mécanismes s'imposait ; le Sénat en était convenu, mais il avait souhaité que cette réforme permette de concilier deux impératifs également légitimes : d'une part, protéger le patrimoine et, d'autre part, permettre les aménagements imposés par le développement économique.
Or le projet de loi présenté par le Gouvernement, dont l'Assemblée nationale n'avait pas modifié la logique, ne nous avait pas semblé de nature à assurer un équilibre satisfaisant entre ces deux impératifs.
Le projet de loi vise deux objectifs : d'une part, pérenniser l'AFAN en la transformant en un établissement public à caractère administratif et en lui attribuant le monopole de l'exécution des fouilles préventives et, d'autre part, instaurer un nouveau mécanisme de financement fondé sur un impôt perçu sur les aménageurs destiné à financer le nouvel établissement public.
Sans remettre en cause le principe de création d'un établissement public, qui s'avérait en fait inévitable, ni celui d'une redevance, qui présentait l'avantage de mettre fin aux débats sur la charge du financement de l'archéologie, le Sénat avait toutefois apporté de profondes modifications au dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Ces modifications répondaient à trois préoccupations.
Première préoccupation : établir une distinction très claire entre l'autorité qui prescrit les fouilles et celui qui les réalise. La confusion entretenue sur ce point par le projet de loi créait en effet entre les services de l'Etat et l'établissement public, dont l'équilibre dépend du nombre des opérations archéologiques prescrites, une « consanguinité » aux conséquences éventuellement fâcheuses.
C'est dans cette perspective que le Sénat avait souhaité, à l'article 1er, réaffirmer les prérogatives de l'Etat et, à l'article 1er bis, préciser le cadre dans lequel étaient prescrites les opérations archéologiques : c'est à l'Etat, et à lui seul, qu'il revient de prescrire des fouilles, l'établissement ne devant intervenir qu'au titre de l'exécution des opérations de terrain.
Deuxième préoccupation : garantir l'efficacité économique et scientifique du dispositif. A cet égard, le monopole concédé à l'établissement nous a paru poser plus de problèmes qu'il n'en résolvait.
En premier lieu, les incertitudes pesant sur le produit de la redevance comme les rigidités induites par le statut de l'établissement risquaient de se traduire par des dysfonctionnements préjudiciables au bon déroulement des opérations d'aménagement.
Par ailleurs, en dépit des précautions rédactionnelles prises par l'Assemblée nationale, rien ne garantissait que d'autres opérateurs, qu'il s'agisse d'établissements de recherche ou de bénévoles, puissent être associés aux fouilles, ce qui ne pouvait, à terme, que nuire à la qualité des fouilles qui, de plus en plus, exigent une approche pluridisciplinaire.
Les droits exclusifs compromettaient également le développement des services archéologiques des collectivités territoriales, auxquels l'Assemblée nationale reconnaissait un rôle auxiliaire en dépit de l'intérêt incontestable qu'ils sont susceptibles de présenter pour assurer, au plus près du territoire, l'exploitation des découvertes comme pour conseiller les élus, notamment lors de l'élaboration des documents d'urbanisme.
Pour ces raisons, le Sénat avait donc supprimé le monopole. Par ailleurs, afin d'accorder à l'établissement public la souplesse de gestion nécessaire à l'accomplissement de sa mission mais aussi afin d'éviter certaines dérives financières, vous lui aviez conféré un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial.
Enfin, troisième préoccupation : conférer à la redevance, dans le cas de terrains très riches en vestiges, un caractère dissuasif en instaurant un « super taux » dans un souci bien compris de protection du patrimoine afin de dissuader les aménageurs d'y réaliser des travaux.
L'Assemblée nationale, si elle a pris en considération certaines des objections du Sénat, est revenue pour l'essentiel au texte qu'elle avait adopté en première lecture.
S'agissant des dispositions relatives au cadre législatif dans lequel s'exercent les compétences dévolues à l'Etat pour assurer la protection du patrimoine archéologique comme des dispositions relatives à la réalisation des opérations de terrain, l'Assemblée nationale a rétabli son texte qui encourt, de la part de la commission, les mêmes critiques qu'en première lecture.
L'Assemblée nationale, au travers des modificatios mineures qu'elle y a apportées, semble cependant avoir pris conscience des risques d'un système articulé autour d'un établissement public doté de droits exclusifs.
Mais ces aménagements, qu'il s'agisse de la limitation du rôle de l'établissement public dans la procédure de désignation du responsable de fouilles ou de la disposition prévoyant la signature de conventions entre les aménageurs et l'établissement public afin de prévoir les modalités de réalisation et la durée des fouilles, s'ils vont incontestablement dans le bon sens, sont privés de portée par le rétablissement du monopole.
Les risques de collusion entre les services régionaux de l'archéologie et l'établissement ne sont pas vraiment écartés : le déséquilibre qui prévaut actuellement entre ces services, faiblement dotés, et un opérateur doté de fortes capacités d'expertise ne pourra qu'être accentué.
La pertinence des prescriptions archéologiques n'est donc pas garantie, pas plus que ne l'est la possibilité pour d'autres organismes de participer à des chantiers de fouilles : l'établissement est en pratique libre de collaborer avec qui il le souhaite.
L'association des services archéologiques des collectivités territoriales reste donc hypothétique.
Enfin, les inconvénients du statut d'établissement public à caractère administratif demeurent.
Compte tenu de ces observations, la commission vous proposera, pour ces dispositions, de revenir au texte adopté par le Sénat en première lecture. La suppression du monopole ne revient pas - je le souligne - à ouvrir l'archéologie à la concurrence ni à laisser la réalisation des fouilles à des entreprises peu scrupuleuses. Il ne s'agit pas de permettre aux aménageurs de choisir leur opérateur de fouilles. C'est à l'Etat qu'il reviendra de le désigner, et à lui seul. A ce titre, il veillera à ce qu'il présente toutes les compétences scientifiques pour conduire les opérations prescrites.
J'en viens maintenant à l'examen des dispositions nouvelles introduites par l'Assemblée nationale en deuxième lecture qui concernent, d'une part, les modalités de calcul de la redevance, d'autre part, le régime de propriété des découvertes archéologiques.
Je dois le dire, les modifications apportées à l'article 4 relatif à la redevance ont inspiré à la commission la plus grande perplexité. Voilà le troisième dispositif que le Gouvernement nous propose en nous assurant qu'il permet de garantir le financement des opérations d'archéologie préventive. Ces modifications successives - et qui ne sont pas de notre fait - ne peuvent que susciter de légitimes inquiétudes sur la cohérence d'ensemble du dispositif, cela d'autant plus que l'absence de données statistiques interdit de réaliser véritablement des simulations fiables.
Sans entrer dans les détails d'un dispositif qui, au fil des lectures, devient de plus en plus complexe, j'indiquerai que, outre une extension de l'assiette de la redevance, les modifications apportées par l'Assemblée nationale visent essentiellement à une nouvelle répartition de la charge fiscale entre les opérations de diagnostic et les opérations de fouilles, afin d'alléger le coût des premières, grâce à un alourdissement de la redevance prévue sur les secondes.
A modifier à nouveau les tarifs de la redevance, il y a, me semble-t-il, de plus en plus de risques d'aboutir à un impôt qui rapporte trop ou pas assez, résultats également préoccupants. Un impôt qui rapporte trop : cette hypothèse est d'autant plus probable que les calculs du Gouvernement se fondent sur un objectif à atteindre de 700 millions de francs, alors que le budget de l'AFAN, l'association pour les fouilles archéologiques nationales, est de l'ordre de 400 millions de francs.
Que cela signifie-t-il ? La redevance doit-elle servir à financer d'autres actions que les opérations de fouilles préventives ? S'agit-il de trouver les moyens financiers qui font actuellement défaut à la politique de protection du patrimoine archéologique conduite par le ministère de la culture ? Dans ce cas, nous ne serions pas loin d'une astucieuse opération de débudgétisation aux frais des aménageurs.
Un impôt qui ne rapporte pas assez : cette hypothèse n'est pas à exclure non plus ; le risque serait alors de voir se créer des phénomènes de file d'attente, l'établissement ne pouvant répondre aux demandes des aménageurs faute de moyens suffisants.
Toutefois, en dépit de ces incertitudes sur son rendement, la commission, comme en première lecture, ne vous proposera pas de supprimer la redevance, qui répond à la demande des aménageurs comme des archéologues de voir fixé un barème national mais qui permet aussi d'assurer une mutualisation du coût de l'archéologie préventive.
Cependant, les atermoiements du Gouvernement constituent à l'évidence un motif supplémentaire de s'opposer au monopole. Refuser d'accorder à l'établissement public des droits exclusifs apparaît comme le seul moyen de se prémunir contre le risque d'asphyxie du système.
Mais le dispositif doit être corrigé, et il importe de remédier à ses inconvénients les plus manifestes.
Ainsi, les taux retenus par l'Assemblée nationale suscitent deux effets pervers, sur lesquels j'attire votre attention, mes chers collègues.
En premier lieu, la diminution de la redevance pour diagnostics, quoique légitime, risque d'aboutir à une augmentation des prescriptions de fouilles justifiées moins par des exigences patrimoniales que par des considérations financières. En effet, il faudra bien boucler le financement du système. Cette dérive éventuelle constitue une raison de plus pour marquer dans la loi une très nette séparation entre l'autorité qui prescrit les fouilles et l'opérateur qui les réalise et qui est financièrement intéressé à les réaliser.
Par ailleurs, la nouvelle formule de calcul applicable aux terrains non stratifiés ne confère pas à la redevance, dans l'hypothèse de sites particulièrement riches en vestiges, un caractère réellement dissuasif pour des aménageurs dotés de fortes capacités contributives. Dans ces cas, l'Etat devra donc choisir entre deux solutions peu satisfaisantes : soit faire supporter à l'établissement des fouilles dont le coût ne sera pas couvert par la redevance, soit classer le terrain, ce qui se traduira par le gel du projet d'aménagement et une dépense pour les finances publiques de l'indemnisation due en application de la loi de 1913. Afin d'éviter cette alternative, la commission vous proposera de rétablir les formules de calcul adoptées par le Sénat pour les sites non stratifiés.
J'en arrive maintenant aux dispositions introduites par l'Assemblée nationale relatives au régime de propriété des découvertes archéologiques.
Je vous rappellerai que, après débat, le Sénat avait adopté un amendement précisant que les objets mobiliers exhumés à l'occasion des fouilles préventives étaient propriété de l'Etat.
Cette disposition, introduite à l'article 2 du projet de loi, répondait au constat de l'inadaptation des règles de la loi de 1941 à la nature de ces vestiges. En effet, dans la pratique, la loi de 1941, qui prévoit un partage des découvertes entre le propriétaire du terrain et l'inventeur, n'est pas appliquée : les objets, qui, en général, ont peu ou pas de valeur marchande, n'excitent guère la convoitise des aménageurs et, une fois les fouilles achevées, sont conservées dans des conditions peu satisfaisantes, au sein de dépôts archéologiques relevant de l'Etat ou des collectivités territoriales.
A la solution proposée par le Sénat, l'Assemblée nationale a substitué un dispositif qui maintient les règles actuelles, mais ménage la possibilité, pour une durée qui ne peut excéder cinq ans, de confier les vestiges à l'Etat afin de permettre leur étude scientifique. Ce dispositif, sans être la panacée, présente deux avantages : il répond à la préoccupation du Sénat d'assurer une meilleure exploitation des résultats des fouilles et ne remet pas en cause les règles de dévolution en vigueur. Je vous proposerai donc de vous y rallier. Vous voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Sénat ne s'oppose pas toujours à l'Assemblée nationale !
L'appréciation de la commission a été, en revanche, plus sévère sur l'article 5 ter introduit par l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement afin de remédier aux difficultés auxquelles donnent lieu les découvertes archéologiques immobilières et d'éviter que ne se reproduisent des imbroglios juridiques comparables à celui sur lequel avait débouché la mise à jour de la grotte Chauvet.
La loi de 1941 ne comportait aucune précision sur le régime de propriété applicable aux découvertes immobilières. En l'absence de dispositions spécifiques, s'appliquaient les règles de l'article 552 du code civile attribuant au propriétaire du fonds la propriété du « dessus et du dessous ». Toutefois, l'Etat disposait de la possibilité de classer le vestige ou d'exproprier le terrain sur lequel il se trouvait. Par ailleurs, il disposait, en vertu du titre II de la loi de 1941, de la possibilité d'occuper temporairement le terrain afin d'y exécuter des fouilles.
Le Gouvernement avait, en première lecture à l'Assemblée nationale, pris l'engagement de proposer un dispositif répondant à deux objectifs : prévoir des dispositions claires et respecter le principe constitutionnel de propriété. Il semble que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne satisfasse pas plus l'un que l'autre.
L'économie de ce dispositif, à la rédaction elliptique, est la suivante : les vestiges archéologiques immobiliers sont soustraits du champ d'application de l'article 552 du code civil. L'Etat dispose sur les propriétés voisines d'un droit d'accès aux vestiges. Enfin, lorsque les vestiges font l'objet d'une exploitation commerciale, l'exploitant verse à l'inventeur une indemnité calculée en fonction de l'intérêt archéologique des vestiges.
La seule lecture de ces dispositions ne suffit pas pour en comprendre les implications.
Compte tenu des précisions qui ont été fournies à la commission, il semble qu'il faut considérer que s'appliqueront aux vestiges immobiliers les dispositions de l'article 539 du code civil relatives aux biens vacants. Sauf preuve contraire, qui en pratique ne pourra que rarement être rapportée, l'ensemble des vestiges immobiliers seraient considérés comme propriété de l'Etat.
L'opportunité d'un tel dispositif n'apparaît pas clairement au regard de ses conséquences tant juridiques que pratiques.
Le texte opère en réalité un transfert de propriété au profit de l'Etat sans indemnisation : le propriétaire d'un terrain dans lequel est découvert un vestige, qui en est actuellement présumé propriétaire, ne le serait plus demain.
Cette nouvelle règle, dont la conformité à la Constitution fait à l'évidence problème, risque, par ailleurs, de susciter un important contentieux sur la nature immobilière ou mobilière des vestiges.
Enfin, on peut se demander s'il est nécessaire que l'Etat devienne propriétaire de tous les vestiges immobiliers, quelle que soit leur valeur historique ou scientifique.
Reconnaître des droits à l'inventeur d'un vestige immobilier comme à celui d'un vestige mobilier relève d'une légitime préoccupation d'équité. Cependant, la solution retenue par l'Assemblée nationale s'inscrit dans la logique d'un dispositif qui n'accorde aucun droit au propriétaire du terrain. A supposer même que ce dernier puisse apporter la preuve qu'il est propriétaire du vestige et qu'il exploite le vestige, le texte revient à le priver d'une partie des fruits de sa propriété, ce que le Gouvernement voulait expressément éviter, monsieur le ministre.
Enfin, à supposer que l'on accepte la logique du dispositif, les modalités de calcul retenues pour le calcul de l'indemnité versée à l'inventeur apparaissent pour le moins ambiguës.
A l'évidence, l'article 5 ter n'est pas de nature à remédier aux difficultés soulevées par l'application des règles du code civil aux découvertes immobilières ni à en combler les lacunes en ce qui concerne la rémunération des inventeurs.
Les découvertes exceptionnelles étant très rares, il serait, je crois, regrettable de légiférer dans la précipitation. Certes, il faudra légiférer, mais en l'occurrence on légifère vraiment trop vite.
La commission vous proposera donc de supprimer l'article 5 ter . La réflexion sur la rémunération des inventeurs doit se poursuivre, mais dans le sens d'un plus grand respect des droits des propriétaires des terrains renfermant des vestiges immobiliers.
Sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai, je vous propose, mes chers collègues, de voter en deuxième lecture le projet de loi relatif à l'archéologie préventive. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la deuxième lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à l'archéologie préventive, tout en respectant la philosophie du texte initial, a permis de nombreuses avancées.
Le rôle des différents acteurs de l'archéologie, que ce soit les services archéologiques des collectivités territoriales, les universitaires ou les associations, a été réaffirmé. Le Gouvernement va même plus loin dans le sens d'une meilleure association des collectivités territoriales ou de leur groupement, puisqu'il défendra, à l'article 2, un amendement visant à rendre obligatoire la conduite des travaux par les collectivités disposant de service archéologique.
La majorité sénatoriale n'a donc, en vérité, plus de raison de s'opposer à la constitution d'un établissement public à caractère administratif et aux droits exclusifs que lui confère le texte.
Concernant la question complexe du respect des délais, nous ne pouvons pas nous permettre de fixer a priori des délais contraignants qui risqueraient, le cas échéant, d'aboutir à l'interruption des recherches, voire à la destruction de vestiges archéologiques. Or c'est tout à fait ce que propose la majorité sénatoriale.
Le système de contractualisation introduit par les députés permet de responsabiliser chaque partie. Il offre l'avantage de la souplesse : les délais pourront être fixés au cas par cas, suivant la spécificité de chaque terrain et de chaque opération de fouilles. Il assure la prévisibilité des délais et la transparence dans leur fixation. Il détermine les conséquences, notamment financières, pour les parties en cas de dépassement des délais conventionnellement fixés.
Le Gouvernement prévoit en outre l'intervention de l'Etat en cas de désaccord entre l'aménageur et l'établissement public sur les délais de réalisation des opérations de fouilles, ajoutant ainsi une garantie supplémentaire à ce dispositif.
La navette a également permis d'affiner le calcul de la redevance afin de la rendre plus proche de la réalité du coût des opérations. La redevance diagnostic a été abaissée, pour répondre aux préoccupations des exploitants de carrière et des aménageurs oeuvrant plus particulièrement en milieu rural.
A l'inverse, elle a été augmentée pour les fouilles stratifiées et non stratifiées afin de prendre en charge le traitement des terres archéologiquement stériles. En outre, sont exclues du régime de plafonnement de la redevance les constructions de parkings ou de garages réalisées dans un but lucratif. C'est donc un mode de financement plus équitable qui nous est présenté.
Les différentes lectures ont d'ores et déjà permis d'aboutir à un consensus sur un certain nombre de points essentiels : l'activité de service public que constitue l'archéologie préventive et la compétence de l'Etat qui en découle ; la création d'un établissement public et son financement par une redevance.
Aujourd'hui, le Gouvernement apporte des réponses complémentaires aux observations du Sénat. Les différents ajustements qu'il nous propose permettent d'aboutir à un texte plus équilibré, et qui donne aux archéologues les moyens nécessaires pour mener à bien leurs travaux, tout en conciliant les intérêts des aménageurs, qu'ils soient publics ou privés.
Cette lecture devrait donc, normalement, voir se rapprocher les différents points de vue.
Malheureusement, après avoir suivi les derniers travaux de la commission des affaires culturelles et entendu à l'instant les propos de M. le rapporteur, j'avoue être moins optimiste. Bien sûr, la navette est une excellente chose mais, dès lors que l'Assemblée nationale, prenant acte de ses divergences avec le Sénat, est allée largement dans le sens de celui-ci, tout en maintenant son point de vue sur ce qui lui paraît essentiel, elle n'a plus d'utilité : il faut savoir arrêter une navette.
Il serait dommageable, en effet, que chaque assemblée campe irrémédiablement sur ses positions, retardant ainsi l'adoption d'un texte très attendu par les acteurs de l'archéologie préventive.
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette deuxième lecture du projet de loi relatif à l'archéologie préventive apportera, j'en suis convaincu, de nouvelles avancées dans un domaine qui est figé depuis quarante ans. Il n'est nullement besoin de rappeler les propos qui ont été tenus en mars dernier touchant à l'importance pour la mémoire collective de ce que peuvent mettre au jour des fouilles correctement menées, traitées, analysées, conservées et mises à disposition dans des lieux publics.
L'essentiel a déjà été introduit dans la réforme proposée. Les dispositions adoptées ont enfin tenu compte de la réalité et balayé une solution équivoque, où l'Etat était autorisé à exécuter des fouilles sur des terrains qui ne lui appartenaient pas, fouilles dont, par surcroît, il n'assumait ni le financement ni la réalisation.
Les différentes missions ont été séparées. La confusion était préjudiciable.
En revanche, il faut regretter que la démarche n'ait pas été plus globale. Une approche environnementale de l'archéologie aurait dû être privilégiée. Il convenait de replacer cette réforme dans le cadre des dispositions de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, de façon à répondre à l'exigence de territorialisation et de décentralisation de l'archéologie.
Cette discipline n'est pas une activité économique ; c'est une activité de recherche scientifique, et elle est de plus en plus environnementaliste. La mission préventive domine puisqu'une grande partie de ce qui est fouilléressortit au non-monumental. Elle contribue à laconnaissance de la dynamique des territoires et offre ainsi des matériaux concourant à l'adéquation recherchée pour les aménagements.
La connaissance du passé et sa conservation contribuent à la réalisation de projets qui, en prenant en compte les enseignements retirés, répondent plus précisément aux spécificités d'une nature intégrée.
L'objectif social de l'archéologie méritait d'être plus présent dans le texte qui nous est soumis. Il apparaît aujourd'hui qu'elle peut et même devrait contribuer à l'évaluation des politiques publiques, à la réalisation des études d'impact et à la définition des projets d'aménagement dès lors que ceux-ci s'inscrivent dans la dynamique du rapport des sociétés avec leur espace.
Or on constate que l'absence de réflexion vient aussi du fait qu'il n'y a pas de services territoriaux de l'archéologie dans toute les collectivités régionales. Ainsi, l'organisation territoriale, qui correspondrait pourtant à une logique, souffre d'un retard qui limite la portée de la réforme entreprise.
En conséquence, je présenterai un amendement susceptible d'ouvrir la voie vers cette dimension environnementale et cette gestion décentralisée.
Enfin, je regrette que l'on soit revenu sur la disposition qui prévoyait que le mobilier archéologique issu des opérations d'archéologie préventive appartiendrait à l'Etat. Il ne me semble pas qu'il y ait là une appropriation sans indemnité assimilable à une expropriation contraire aux principes constitutionnels, comme nous l'a indiqué Mme la ministre de la culture. La loi de 1941 le prévoyait déjà en deux circonstances, et le Conseil d'Etat avait donné son accord en 1945 pour qu'il en soit ainsi.
Au-delà de la notion d'intérêt général, on peut considérer que le mobilier archéologique est une chose quasi vacante et sans maître jusqu'au moment de son exhumation. Dès lors, son attribution ne dépend pas des règles communes en matière d'acquisition de la propriété énoncées aux articles 711 et 712 du code civil. Peut-être la commission m'entendra-t-elle...
La convention de Malte a été un premier pas et a constitué l'embryon d'un cadre juridique. Toutefois, le statut de l'archéologie préventive au sein de l'Union européenne manque totalement d'homogénéité. Un travail d'harmonisation doit être mené au niveau intergouvernemental, en partenariat avec l'association des archéologues européens puisque c'est cette dimension qui prévaut maintenant. Telles sont les quelques réflexions que je souhaitais formuler à l'occasion de cette deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Renar. M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec beaucoup d'attention que nous avons suivi l'élaboration du texte qui nous est soumis.
De manière résolument volontaire, le Gouvernement a souhaité réaffirmer le rôle de l'Etat en matière d'archéologie, et notamment en matière d'archéologie préventive.
Au cours des différentes lectures de ce texte, qui résulte aussi pour une très large part de la volonté des personnels de l'archéologie publique dans leur diversité, chacun a tenté d'apporter sa contribution à un édifice juridique situé dans un domaine qui n'est pas, nous le savons, étranger à certains intérêts économiques.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont apporté des modifications de fond à ce projet de loi.
L'Assemblée nationale est revenue sur la rédaction de l'article 1er bis, notamment pour ce qui concerne le délai nécessaire à l'exécution des fouilles archéologiques.
Cette mesure permettrait, mieux que ne saurait le faire celle qu'avait retenue la Haute Assemblée - la commission nous proppose de réintroduire le délai d'un mois pour la réalisation des sondages ou diagnostics - de concilier les intérêts de l'archéologie et les besoins d'aménagement.
En effet, plutôt qu'un délai fixé a priori, sans prise en compte de la réalité du terrain archéologique, l'Assemblée nationale a préféré la mise en place de conventions entre l'établissement public et les personnes réalisant des opérations d'aménagement, mesure que nous jugeons plus adaptée.
Cela dit, nous souhaitons apporter trois correctifs au dispostif adopté par l'Assemblée nationale.
Le premier concerne l'organisation de l'établissement public chargé de la recherche en archéologie préventive. Compte tenu de la diversité de la composition du conseil d'admnistration de cet établissement, qui rassemblera en son sein personnalités scientifiques et personnalités qualifiées, il serait opportun d'indiquer que la réparttiion des compétences au sein de cet établissement sera dévolue au pouvoir réglementaire, afin de pouvoir ajuster dans la durée la compétences des uns et des autres, et aussi de bien séparer les fonctions de président et celles dedirecteur.
En outre, nous souhaitons préciser le régime juridique des découvertes mobilières faites à l'occasion de fouilles préventives.
En l'état actuel de la législation, les objets découverts à l'occasion de fouilles réalisées par l'Etat doivent être partagés entre le propriétaire du terrain et l'Etat. Peut-être y a-t-il lieu, d'une part, d'harmoniser cette disposition avec celle qui s'applique dans la plupart des pays européens en prévoyant que les opbjets archéologiques issus des fouilles préventives sont propriété de l'Etat ou des collectivités territoriales, d'autre part, de faire en sorte qu'ils seront conservés avec toutes les garanties sur le territoire, donc déposés par priorité dans le musée classé ou contrôlé le plus proche. Cette solution avait d'ailleurs été retenue par la Haute Assemblée lors du premier examen de ce texte.
Notre troisième amendement porte sur une modification de l'article 4, qui traite du régime des redevances d'archéologie. Pour éviter tout risque de contentieux, nous avons souhaité réparer une lacune de l'actuelle rédaction de cet article concernant la réalisation de travaux d'aménagement par lots. Il est en effet important que la loi précise qu'en cas de réalisation par lots le redevable reste la personne publique ou privée qui fait réaliser le projet d'aménagement.
Ces observations étant faites, je souhaite attirer brièvement votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la spécificité de l'archéologie dans notre pays.
En effet, il appartiendra au Gouvernement de veiller à ce que, dans les décrets d'application qui accompagneront le texte que nous allons examiner, tout soit mis en oeuvre pour que de multiples synergies se fassent jour dans le domaine de l'archéologie.
Il est en particulier indispensable que les scientifiques des universités, les collectivités locales, les associations et l'ensemble des structures compétentes en matière d'archéologie soient associées aux travaux menés par l'établissement public créé par la loi.
La force de l'actuel projet de loi réside, pour une large part, dans la réaffirmation du rôle de l'Etat en matière archéologique ainsi que dans l'effort fait pour concilier les besoins de la recherche scientifique, ceux de l'aménagement de notre territoire et le rôle des collectivités locales.
Bien des questions se poseront encore concernant, notamment, le montant de la redevance, son plafonnement ; ce sont autant de dispositions sur lesquelles nous serons peut-être amenés à revenir.
L'important était et reste de réaffirmer le rôle moteur de l'Etat en matière de patrimoine archéologique, et plus spécialement d'archéologie préventive. Ces principes sont réaffirmés par le texte et il faut en prendre acte de façon positive.
Certes, un certain nombre d'articles font l'objet d'analyses très différentes dans l'une et l'autre assemblée. Pour autant, nous pensons qu'il est plus que temps d'adopter le texte qui nous est soumis pour doter notre pays d'un dispositif public moderne d'investigations archéologiques, dans l'intérêt même de la diffusion du savoir archéologique.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur, je répéterai une nouvelle fois que j'apprécie la qualité de votre travail. Mais il comporte toute une série de conclusions auxquelles je ne souscris pas - cela ne vous surprendra pas !
Il ne me paraît pas nécessaire d'allonger le débat en rappelant des réponses qui ont déjà été formulées lors de la première lecture. Cependant, les propos qui ont été tenus m'obligent à préciser quelques données au sujet du financement.
Je vous ai bien entendu, monsieur le rapporteur : vous nous accusiez presque de possibles manoeuvres visant à dégager des recettes bien supérieures à celles qui auraient été nécessaires. Nous n'avons pas de telles arrière-pensées ! Les propositions qui ont été faites résultent d'études extrêmement sérieuses et suivies.
Il s'agit, cela est clair, d'une question difficile.
Si le premier dispositif proposé par le Gouvernement n'a pas été retenu, ce fut à la demande de l'Assemblée nationale. Celle-ci, il faut le reconnaître, relayait les critiques des aménageurs, qui jugeaient ce dispositif difficile à mettre en oeuvre. Le Gouvernement a accepté ces objections, et l'on ne peut pas nous accuser de varier ou de ne pas être certains de nos analyses : nous cherchons à être le plus convaincants possible et au plus près de la réalité.
Nous avons donc proposé un nouveau dispositif, qui a été accepté par l'Assemblée nationale et qui, depuis, n'a pas été modifié. Les amendements déposés aujourd'hui ne sont en fait que des ajustements qui traduisent la prise en compte des propositions formulées tant par les parlementaires que par les aménageurs et les archéologues.
Comment avons-nous travaillé ? Je rappellerai que l'évaluation du coût de l'archéologie a été effectuée à partir d'une base de données nationale établie pour l'année 1998. Nous nous sommes fondés sur 2 177 opérations - ce qui représente tout de même un champ suffisamment large ! - 1 681 diagnostics et 481 fouilles. Pour chaque opération, les données enregistrées ont permis de mesurer la complexité des sites et des interventionspréventives.
Pour l'établissement du régime de redevance, la disparité des situations a rendu nécessaire de distinguer nettement deux types d'opérations d'archéologie préventive. D'une part, pour les diagnostics, je le rappelle, la redevance est calculée sur la base de la surface du projet, avec un taux au mètre carré de 1,94 franc. Ce taux correspond au coût moyen du diagnostic enregistré. D'autre part, pour les fouilles, l'établissement d'un coût moyen unique est beaucoup plus complexe, en raison de la grande disparité des coûts constatés en 1998.
Ainsi, nous n'avons pas tenu des raisonnements abstraits ou sommaires ; nous nous sommes fondés sur les réalités rencontrées au cours des années précédentes. Une telle complexité s'explique par la diversité des types de sites et par l'extrême variété des moyens, des compétences et des délais qu'ils exigent.
S'agissant des fouilles, il a paru nécessaire, dans un souci de clarification, de procéder à une distinction permettant de différencier les sites dits « stratifiés » et les sites « non stratifiés ».
Le texte peut sembler technique, mais c'est en menant un travail extrêmement sérieux, sur la base des réalités, que nous en sommes arrivés à ce résultat. Ne nous accusez pas d'arrière-pensées ou d'éventuelles manipulations des chiffres !
Je voudrais remercier les orateurs. J'ai bien entendu M. Joly, et je veux lui redire que je partage son souci environnementaliste. Mais il était difficile de l'intégrer dans la loi elle-même.
Il s'agit avant tout, pour nous - j'y insiste de nouveau -, de parvenir à faire partager ces préoccupations par les collectivités territoriales, avec lesquelles nous souhaitons vivement entretenir une collaboration très active et soutenue : sans rendre les collectivités territoriales responsables des manques éventuels, nous désirons avoir des partenaires les plus fiables et les plus nombreux possible.
En effet, la diversité des statuts des services archéologiques territoriaux et la multiplicité des missions dont, souvent, ils sont chargés rendent difficile jusqu'au recensement exhaustif de ces services.
D'après les données de 1998, quatre-vingts communes, dans une trentaine de départements, sont actuellement dotées d'un service archéologique, ce qui, sur un nombre total de 292 personnes, représente 176 archéologues. Il est facile d'en déduire que la moyenne est de moins de deux archéologues par site, ce qui complique évidemment les explications générales et ne facilite pas la prise de décisions qui, à partir des textes eux-mêmes, engageraient l'ensemble des collectivités. Tout cela demande un travail assidu et un grand pragmatisme. Il faut faire en sorte que ce processus nous amène au moins à des rapprochements.
Je veux remercier MM. Dreyfus-Schmidt et Renar de leur soutien.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous avez bien mis en valeur les enrichissements du texte.
Vous nous avez fait part, monsieur Renar, des soucis qui sont les vôtres. Je connaissais votre préoccupation au sujet de la répartition des compétences au sein du conseil d'administration, et nous irons dans votre sens.
Vous avez émis des craintes, monsieur Dreyfus-Schmidt, sur la possibilité d'améliorer aujourd'hui le texte, et vous souhaitez que la navette ne soit pas inutile. Il est évident que je soutiens totalement votre démarche ! Le Gouvernement présente plusieurs amendements, dont l'adoption enrichirait indiscutablement le texte, qui visent à préciser les responsabilités des services territoriaux et qui leur donneraient pleine satisfaction, me semble-t-il.
J'espère que la réécriture de certains articles ne conduira pas au rejet de ces amendements, ce qui provoquerait une grande déception. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er