Séance du 27 juin 2000






PROTECTION DES TRÉSORS NATIONAUX

Adoption d'une proposition de loi en troisième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en troisième lecture de la proposition de loi (n° 300, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane. [Rapport n° 341 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 4 avril dernier, l'Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture la proposition de loi de M. Serge Lagauche et de Mme Dinah Derycke relative à la protection des trésors nationaux.
L'Assemblée nationale a adopté trois amendements.
L'un est de pure coordination par rapport aux dispositions du futur article 9-1 de la loi du 31 décembre 1992 ; il vise à préciser que le refus de certificat n'ouvre droit à aucune indemnisation, comme votre assemblée l'avait proposé en première lecture, pour le renouvellement du refus de certificat.
Les deux autres amendements tendent à apporter, à l'article 5, des précisions d'ordre technique relatives à la procédure d'acquisition des trésors nationaux.
Le premier concerne l'étendue des compétences du ministre de la culture sur la décision de renouveler le refus de délivrance du certificat de circulation en cas de refus de vente par le propriétaire du trésor national.
L'Assemblée nationale a estimé que, dans cette hypothèse précise, la décision de refus de délivrance du certificat devait être automatique, par souci de cohérence de la procédure d'acquisition.
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner devant l'Assemblée nationale, il me semble que la décision de renouveler un refus de certificat de circulation doit être en effet automatique et ne peut être laissée à la libre appréciation de l'administration. Il s'agit d'un problème de logique juridique de la nouvelle procédure d'estimation et d'acquisition, organisée par la présente proposition de loi.
J'ajoute que la commission des affaires culturelles semble s'être ralliée à ce point de vue, et je m'en réjouis.
L'autre amendement porte sur les conditions dans lesquelles peut être rouverte la procédure d'estimation et d'acquisition après un refus de certificat.
En effet, l'Assemblée nationale a souhaité revenir sur la rédaction qu'elle avait proposée en première lecture.
Le Gouvernement est d'avis qu'après un refus de certificat consécutif à un refus de vente par le propriétaire la procédure d'estimation et d'acquisition doit être rouverte à tout moment au bénéfice du propriétaire, de ses ayants droit ou encore de l'Etat, pour tenir compte à la fois des fluctuations du marché de l'art de nature à modifier la valeur marchande du trésor national ou de tout autre élément patrimonial ou extrapatrimonial ayant pu motiver un refus de vente du propriétaire.
Nos présents débats ne doivent laisser subsister aucune ambiguïté sur cette question.
Je me félicite tout particulièrement du dialogue fructueux et efficace qui s'est instauré entre les deux assemblées à l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi. Cette entente va nous permettre de disposer très prochainement d'un dispositif d'acquisition des trésors nationaux de nature à pallier les lacunes et à remédier aux incertitudes générées par la loi du 31 décembre 1992 à l'expiration de la durée de validité du refus de certificat.
Je suis parfaitement consciente que cette réforme représente un outil juridique qui, pour révéler son entière efficacité au service de la protection de notre patrimoine, doit s'appuyer sur des crédits d'acquisition en relation avec l'importance des intérêts patrimoniaux à préserver.
Bien évidemment, je m'attacherai à ce que le niveau de ces crédits connaisse une amélioration ; mais je reste convaincue que l'enrichissement des collections publiques passe aussi par d'autres moyens, tels que la procédure des dations en paiement, la mobilisation des collectionneurs privés, des sociétés d'amis des musées, mais également par des incitations fiscales indirectes ; je pense, en particulier, au maintien du dispositif d'exonération des oeuvres d'art de l'impôt de solidarité sur la fortune, mais aussi - M. Gaillard l'a évoqué - à l'allégement des taxes à l'importation, qui favoriserait, bien évidemment, le retour d'oeuvres en France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à renouveler mes remerciements à M. Serge Lagauche et à Mme Dinah Derycke, qui, par leur heureuse initiative parlementaire, auront contribué à réformer la loi du 31 décembre 1992 sur la circulation des biens culturels. Je remercie aussi votre commission des affaires culturelles et la Haute Assemblée d'avoir soutenu l'initiative de ces deux parlementaires.
Ce texte, très attendu par les professionnels, doit nous permettre de mettre mieux en oeuvre la protection du patrimoine culturel de notre pays dans un cadre rénové, respectueux des droits des collectionneurs et facilitant la circulation des oeuvres d'art. Pour ma part et où je suis, je m'attacherai à obtenir des moyens financiers à la hauteur de nos préoccupations de protection du patrimoine.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter avant que votre assemblée n'ait à se prononcer sur la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Lagauche, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la protection des trésors nationaux, modifiant la loi du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation, nous revient en troisième lecture.
A titre liminaire, je me féliciterai que le souci d'assurer une protection efficace du patrimoine national ait permis aux deux assemblées de rapprocher leur point de vue sur un texte attendu depuis longtemps et dont la nécessité fait, je crois, l'unanimité.
A l'issue de son examen en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 4 avril dernier, seuls deux des neuf articles de la proposition de loi restent en discussion : il s'agit de l'article 2, qui modifie les dispositions de l'article 7 de la loi de 1992, afin d'améliorer la procédure de délivrance du certificat nécessaire pour exporter un bien culturel, et de l'article 5, dont l'objet principal est d'introduire dans cette même loi un dispositif d'acquisition par l'Etat des trésors nationaux.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait approuvé l'essentiel du dispositif proposé par le Sénat. Ce dispositif - je le rappelle brièvement - satisfaisait deux objectifs.
D'une part, il visait à remédier aux lacunes de la loi de 1992, aggravées par l'évolution de la jurisprudence en matière d'indemnisation versée par l'Etat en cas de classement d'un objet mobilier : en effet, la loi de 1992, qui s'est substituée à la loi douanière de 1941, a mis en place un système très libéral qui ne permet à l'Etat que de retarder la sortie des oeuvres majeures de notre patrimoine sauf à les acquérir, cela à supposer que le propriétaire veuille bien s'en dessaisir.
D'autre part, il tendait à limiter l'incidence économique des mécanismes de contrôle des exportations d'oeuvres d'art.
Si elle a supprimé les dispositions fiscales introduites sur l'initiative de la commission des finances, désormais reprises dans une proposition de loi distincte en cours d'examen, l'Assemblée nationale a porté une appréciation favorable sur la procédure d'acquisition prévue par l'article 5 comme sur les mesures de simplification, au titre desquelles je citerai : l'allongement de la durée de validité des certificats, la modification de la composition de la commission chargée d'émettre un avis sur les décisions ministérielles de refus de certificat ou encore l'impossibilité de classer les oeuvres importées depuis moins de cinquante ans.
En deuxième lecture, le Sénat, tout en retenant plusieurs des modifications introduites par l'Assemblée nationale - certaines précisaient utilement la proposition de loi - avait souhaité en revenir à son texte de première lecture sur trois points.
En premier lieu, nous avons rétabli, à l'article 2, la disposition qui prévoit la publication des avis de la commission consultée lorsque le ministre de la culture envisage de refuser un certificat. Cette disposition avait été supprimée par l'Assemblée nationale au profit de la publication des décisions ministérielles de refus, cette avancée était certes intéressante, mais elle ne répondait pas à notre souci de renforcer l'autorité de cette instance et de donner tout leur sens aux débats qui s'y déroulent.
En second lieu, à l'article 5, le Sénat a réintroduit dans le texte proposé pour l'article 9-1 de la loi de 1992 la disposition supprimé par l'Assemblée nationale précisant que n'ouvre droit à aucune indemnité le renouvellement du refus de certificat, qui n'est possible que dans le cas, je le rappelle, où le propriétaire ne veut pas vendre au prix d'expertise.
Dans ces conditions, le silence de la loi sur ce point risquait d'être interprété par le juge en sens contraire. Il y avait alors fort à craindre que l'Etat ne se trouve dans la même situation que celle qui prévaut au titre de la loi de 1913, ce qui revenait à priver le dispositif proposé de toute efficacité.
Enfin, le Sénat avait souhaité maintenir deux dispositions qui lui semblaient introduire une certaine souplesse dans la procédure d'acquisition : d'une part, la possibilité pour le propriétaire de demander une nouvelle expertise de son bien après un renouvellement du refus du certificat et, d'autre part, la faculté, et non l'obligation, pour l'Etat après un refus de vente de renouveler le refus de certificat.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a repris sur ces deux derniers points son texte de première lecture.
En ce qui concerne les conditions dans lesquelles la procédure d'acquisition peut être relancée après un renouvellement de refus de certificat, nous avions estimé nécessaire que l'Etat, mais aussi le propriétaire, ou, plus vraisemblablement, ses héritiers, puissent prendre l'initiative de demander une nouvelle expertise de l'oeuvre.
La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, quoique peu claire, devrait cependant permettre de répondre à cette préoccupation. Lors des débats de l'Assemblée nationale, le Gouvernement a en effet indiqué que « si la discussion doit être rouverte, elle doit pouvoir l'être sur l'initiative de chacune des parties. »
S'agissant des conditions de renouvellement du refus de certificat, l'Assemblée nationale a repris son texte de première lecture, qui prévoit une procédure automatique. Aucune marge d'appréciation n'est donc laissée à l'administration pour juger au cas par cas de l'opportunité d'une décision de renouvellement d'une interdiction d'exportation. Lors des débats, cette procédure automatique a été justifiée pour le fait que le ministre demeurerait tenu par la qualité de trésor national de l'oeuvre en question. Or telle n'est pas la logique de la loi de 1992, puisque le caractère de trésor national résulte du refus du certificat, décision à laquelle cette loi, pas plus que les termes de la proposition de loi la modifiant ne confèrent un caractère irrévocable.
Quoi qu'il en soit, prévoir le renouvellement automatique du refus de certificat présente en quelque sorte l'avantage de protéger l'administration de la tentation d'autoriser l'exportation d'une oeuvre qu'elle aurait eu les moyens d'acquérir, risque qui est en réalité très mince compte tenu du souci de lutter contre l'exode de notre patrimoine qui anime les services du ministère de la culture !
En revanche, en deuxième lecture, et je m'en félicite, l'Assemblée nationale a pris en considération les arguments du Sénat en ce qui concerne la nécessité de préciser explicitement que le renouvellement de certificat n'ouvre pas droit à indemnisation, se ralliant ainsi à notre texte sur ce point décisif, pour assurer l'efficacité du dispositif prévu par le nouvel article 9-1 de la loi de 1992. Elle a modifié par coordination l'article 2 afin de préciser également que le refus de certificat, comme son renouvellement, ne donne pas lieu à indemnité.
A l'issue de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, la proposition de loi répond aux objectifs qui avaient justifié son dépôt sur le bureau du Sénat.
La navette entre les deux assemblées a permis de préciser ses dispositions et d'en garantir l'efficacité.
Compte tenu de ces observations, votre commission des affaires culturelles vous propose d'adopter la proposition de loi dans le texte de l'Assemblée nationale.
Cependant, je soulignerai que la portée de ce texte dépendra bien entendu non seulement du montant des crédits d'acquisition, mais également de la capacité des responsables des collections publiques à atténuer le climat de méfiance qui prévaut encore trop souvent entre l'Etat et les collectionneurs.
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 2