Séance du 23 mai 2000






CHASSE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi (n° 298, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la chasse.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la chasse est un espace de liberté, dans une société qui n'en compte pas tellement. C'est aussi un rapport avec la nature, le terroir, dans un monde où l'on vit le plus souvent confiné dans des villes.
Telle qu'elle se pratique, la chasse est aussi, dans nos régions, l'héritière de traditions et de coutumes liées à chaque situation locale, c'est-à-dire qu'elle ne met nullement en cause l'avenir de nos écosystèmes, bien au contraire, puisque les pratiques de chasse se sont élaborées, au fil du temps, précisément en fonction de ces écosystèmes.
Le procès fait à la chasse relève, me semble-t-il, beaucoup moins d'un vrai sentiment de la nature que d'une sorte d'intégrisme qui, comme tous les intégrismes, ne fait pas l'effort d'essayer de comprendre ce qu'il condamne.
Plusieurs sénateurs du RPR. Très bien !
M. Philippe François. La chasse est une liberté vécue, pour des hommes et des femmes qui ne se reconnaissent pas dans l'uniformité imposée, dans la contrainte non fondée, dans des textes européens ne tenant pas assez compte de la diversité nationale et locale, bref, dans une manière de décider qui ne respecte pas les hommes.
Le projet de loi qui nous est soumis s'inscrit dans une certaine lignée législative. Après les lois sur l'aménagement durable du territoire et sur l'intercommunalité, après le projet de loi, actuellement en navette, sur la solidarité et le renouvellement urbains, voici un texte de plus qui méconnaît le monde rural, ses traditions, ses aspirations, ses valeurs humaines.
M. Jean Boyer. Très bien !
M. Philippe François. On ne s'étonnera pas que le bilan de cette politique soit l'asphyxie des communes rurales, la densification de nos grandes agglomérations pourtant déjà saturées et, chez les acteurs du monde rural, le sentiment d'être incompris et délaissés.
Ce projet de loi me paraît témoigner d'une vision à la fois réductrice et erronée de ce qu'est la chasse. Madame le ministre, la chasse ne se résume pas au fait de tuer un animal ; en réalité, parce qu'elle est en prise directe sur la nature, elle concourt au maintien de l'équilibre de la faune et de la flore dans un écosystème.
M. Jean Boyer. Très bien !
M. Philippe François. De même que la jachère non faunistique n'est nullement un facteur de protection de l'environnement, de même l'interdiction de la chasse, ou sa restriction excessive, détruirait des équilibres fragiles.
Le groupe du Rassemblement pour la République ne se reconnaît donc pas dans la philosophie implicite de ce texte. Pour sa part, il se refuse à aborder la législation sur la chasse avec pour principale préoccupation d'arriver à un dosage savant, indexé sur le résultat des dernières élections européennes.
Un sénateur du RPR. Très bien !
M. Philippe François. Notre seul véritable sujet de satisfaction, madame le ministre, est la légalisation, d'ailleurs contre l'avis du Gouvernement, de la chasse à la passée, jusqu'à deux heures après le coucher du soleil et à partir de deux heures avant l'aube.
En revanche, la question - qui, je le reconnais, n'est pas simple - des périodes de chasse aux oiseaux migrateurs n'est toujours pas tranchée. Les dates seraient fixées par les préfets, selon des modalités précisées par décret, avec pour butoirs les dates du 10 août et du 10 février, soit une réduction des périodes de chasse de plus d'un mois.
Au nom de mon groupe, je préfère légiférer dans la clarté. C'est pourquoi nous proposons au Sénat de reprendre les termes de la proposition de loi votée à l'unanimité par le Parlement en 1998, en y ajoutant des dates d'ouverture et de fermeture, une référence aux carnets de prélèvements et la validation scientifique, dans le souci de rendre notre droit compatible avec la directive communautaire.
Mes chers collègues, je vous remercie de m'écouter, car je constate que Mme le ministre ne semble pas s'intéresser beaucoup à ce que nous disons... (Protestations sur les travées socialistes.)
M. le président. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Philippe François. Toujours à propos du temps de chasse, nous proposons également de légaliser la chasse de nuit dans un certain nombre de départements supplémentaires où elle est traditionnelle, afin de respecter pleinement les réalités locales.
Quant au jour de non-chasse, je ne souhaite pas m'étendre sur une telle disposition, qui représente à l'évidence une atteinte grossière à la liberté et à la propriété.
Les questions relatives à l'organisation de la chasse ne sont pas moins importantes que son encadrement dans le temps. Dans ce domaine, nous suggérons un ensemble de modifications qui ont pour objet d'apaiser durablement le climat entre tous les acteurs concernés.
Nous proposons en ce sens de confirmer l'existence du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, et de rétablir, dans son conseil d'administration, de même que dans celui de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, un meilleur équilibre entre les représentants de l'Etat et les chasseurs, afin de favoriser un véritable dialogue.
Nous proposons également de placer l'Office national de la chasse et de la faune sauvage sous la tutelle conjointe du ministre de l'environnement et du ministre de l'agriculture. A cet égard, il faut rappeler que les directions départementales de l'agriculture sont déjà en charge de tous les dossiers locaux concernant la chasse.
Toujours dans le même esprit, nous proposons d'associer les fédérations départementales de la chasse et l'office national sous la forme de conventions spécifiques, et d'associer également aux décisions cynégétiques les agriculteurs, les propriétaires et les exploitants forestiers.
Enfin, nous préconisons l'adoption d'une charte de la chasse en France, qui serait un code de conduite du chasseur et définirait les bonnes pratiques cynégétiques, dans une optique de conservation de la biodiversité.
Pour ce qui concerne la gestion du gibier, nous proposons notamment d'associer les chasseurs, qui connaissent bien le patrimoine cynégétique et qui en ont fait la preuve dans le cadre des fédérations, à l'élaboration du plan de chasse. A ce titre, nous ne comprenons pas que l'Assemblée nationale ait refusé cette consultation, qu'elle a prévue pour d'autres représentants du monde rural.
Enfin, sur le plan des mesures administratives, je souhaite concrétiser l'idée déjà ancienne de créer, au sein de la gendarmerie nationale, des « brigades vertes » chargées de la police de l'environnement.
En effet, seule la gendarmerie nationale, qui a compétence sur tout le territoire, qui est en contact permanent avec les réalités du monde rural, et dont le niveau de formation est reconnu par tous, nous semble à même d'assumer une telle mission.
En commençant mon propos, j'ai dit que la démarche de mon groupe était de préserver un espace de liberté.
Nous n'entendons pas la liberté sans la responsabilité, et nous croyons qu'une gestion décentralisée peut être une gestion efficace et rigoureuse.
Nous pensons que c'est au plus près du terrain que peut s'élaborer cette gestion équilibrée du patrimoine cynégétique, qui doit être l'objectif sincère de toutes les parties en présence.
Grâce au remarquable travail, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, de notre rapporteur, notre collègue Mme Heinis (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également), je ne doute pas, comme vous-mêmes, je le constate, que nous saurons bâtir une loi qui correspondra à l'attente du monde rural, du monde de la chasse et, en général, de nos concitoyens.
Nous ne défendons pas plus les intégristes de la chasse, au reste fort peu nombreux, que les intégristes de la non-chasse.
Nous voulons le débat et la vérité, car nous sommes persuadés qu'il y a dans cet hémicycle, sur toutes les travées, un grand nombre de partisans d'une gestion durable de cet espace rural qui est une des grandes richesses de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues. Passionnel est bien le mot qui caractérise le mieux ce débat relatif à la chasse en France. Bien que passionnel, je ne conçois pas que ce débat ni le présent projet de loi puissent régler les différends qui existent entre chasseurs et mouvement anti-chasse, différends et contentieux provoqués par les anti-chasse qui alimentent les faux clichés réducteurs et vexatoires à l'endroit du monde de la chasse et le clientélisme électoral de CPNT - Chasse, pêche, nature et traditions - et des mouvements écologistes dont les résultats des élections européennes de 1999 ont apporté la preuve.
Les communistes sont particulièrement sereins dans ce débat pour deux raisons : d'une part, nous avons de tout temps défendu la chasse démocratique et populaire et le maintien des chasses traditionnelles ; d'autre part, nous n'avons jamais contribué à créer les conditions de contentieux permanent aujourd'hui entretenu par les « anti-chasse », qui s'appuient sur la législation européenne. En effet, nous n'avons pas voté la directive 79/409, pas davantage les conventions de Washington et de Berne, et encore moins le traité de Maastricht.
Quelle que soit la loi promulguée à l'issue des débats, je ne doute pas un seul instant, à mon grand regret d'ailleurs, que le harcèlement juridique anti-chasse ne se poursuive, l'objectif final étant l'interdiction de la chasse ; les mouvements anti-chasse l'ont d'ailleurs annoncé à l'issue du débat à l'Assemblée nationale.
On ne négocie pas avec ceux qui veulent vous supprimer, on les combat. Aujourd'hui, les mouvements anti-chasse ont plus d'armes que les chasseurs : les directives européennes et leurs interprétations par le droit français leur donnent en effet le plus souvent l'avantage. A l'issue de l'examen de ce texte, si notre Gouvernement a la ferme volonté de négocier au titre de la subsidiarité, nous devrions revenir à une situation plus équitable et plus dissuasive pour les détracteurs du monde de la chasse.
Je veux aussi parler de ce qui va bien dans nos campagnes, même si quelques dizaines de procédures ont réussi à opposer violemment entre elles des catégories de personnes qui, avec un peu de bonne volonté et de bon sens, auraient pu s'entendre.
Je veux parler de ces chasseurs qui donnent régulièrement une pièce de gibier à leurs voisins en rentrant de la chasse, je veux parler de ces banquets conviviaux, à l'issue du plan de chasse, où tous les habitants de la commune sont cordialement invités, je veux parler de ces chasses à courre qui se voient accompagnées par des dizaines de vététistes, de marcheurs et de cavaliers non-chasseurs.
M. Gérard Larcher. Ça, c'est vrai !
M. Gérard Le Cam. Je veux enfin évoquer le rôle associatif et utilitaire des diverses associations de chasseurs, qui ont contribué à enrayer la progression de la rage en France, qui participent à l'entretien des berges des cours d'eau en régulant les populations de ragondins.
M. Louis Althapé. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Les sociétés sont également souvent les fers de lance des journées de printemps de l'environnement, par le biais de la collecte des détritus dans la nature.
M. Michel Doublet. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Oui, la chasse c'est aussi tout cela. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Je préfère situer le débat dans le cadre de l'évolution des moeurs de la société, de ses nouvelles pratiques, de sa prise de conscience environnementale et des conditions de maintien de la chasse, droit acquis sur la seigneurie et la féodalité en 1789.
Cette pratique, certes alimentaire à son origine, est progressivement devenue un loisir, ce qui ne retire rien à sa légitimité, bien au contraire !
A propos de la propriété et des droits et devoirs de chacun, je dois avouer qu'il est assez cocace pour un communiste de parler du droit de propriété. (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt. En effet !
M. Ladislas Poniatowski. C'est intéressant !
M. Gérard Le Cam. Quelques exemples nous montrent que, parfois, l'intérêt général outrepasse le droit de propriété. Je pense à Natura 2000, mais aussi à certains aspects du fonctionnement des ACCA, les associations communales de chasse agréées, qui vont être corrigés par ce projet de loi. A vouloir trop élargir l'intérêt général des divers utilisateurs de la nature, ne risque-t-on pas de voir se multiplier les panneaux d'interdiction, les bannières, les enclos, ce qui n'est pas souhaitable ?
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Gérard Larcher. Absolument !
M. Ivan Renar. Les kolkhozes partout ! (Sourires.)
M. Gérard Le Cam. En revanche, il me semble souhaitable de multiplier et d'encourager, y compris financièrement, les conventions entre propriétaires et associations utilisatrices, afin de baliser correctement les droits et devoirs de chacun.
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Gérard Le Cam. Ce qui se fait déjà dans les forêts domaniales pourrait servir d'exemple au domaine privé.
MM. Gérard Larcher et Henri de Raincourt. Très bien !
M. Gérard Le Cam. L'image de la chasse d'aujourd'hui et les débats qu'elle soulève ont été analysés par la COFREMCA à la demande de l'UNFDC, l'Union nationale des fédérations départementales de chasseurs. En quelques mots, les principales conclusions de cette enquête montrent que la chasse n'est pas un réel thème de conflit et vient loin derrière les réelles préoccupations sociétales que sont le chômage, le SIDA, la guerre, l'exclusion.
M. Paul Blanc. Et la sécurité !
M. Gérard Le Cam. La chasse est considérée comme appartenant au patrimoine culturel et à la mémoire collective. Sa remise en cause apparaîtrait comme une menace potentielle pour d'autres libertés publiques. Placés en victimes, les chasseurs adoptent une attitude de blocage défensif.
L'activité chasse est jugée dangereuse, même si elle fait, en un an, la moitié des victimes de la route d'un seul week-end. Il est vrai qu'un mort est toujours un mort de trop. De nombreuses fédérations ont déjà engagé des mesures pour réduire le nombre d'accidents : règles d'organisation des battues, vêtements fluorescents, vidéos de sensibilisation. Il conviendra de généraliser et d'amplifier ces mesures par la formation et l'information.
La chasse est également considérée comme un milieu fermé et excluant. C'est parfois vrai, mais il ne faut pas en faire une règle. Un amendement du groupe communiste contribuera, s'il est adopté, à ouvrir ce milieu aux citadins, aux jeunes et aux chasseurs sans territoires.
En matière d'institutions cynégétiques, les chasseurs se sentent orphelins de représentants, au plan tant départemental que national. Le projet de loi répond de manière positive à ce déficit par les nouvelles prérogatives des fédérations et le rôle de leur Union nationale.
L'omniprésence de l'argent est un sujet récurrent. La chasse coûte cher, pour l'instant, mais elle ne coûte rien à la société.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Gérard Le Cam. Si, demain, elle est affaiblie, qui paiera les dégâts du gibier, qui assurera la régulation des espèces, qui entretiendra les biotopes ? Eh bien, ce sera le budget de l'Etat, avec l'argent de tous les contribuables ! (Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Si la question de l'argent revient toujours, c'est qu'elle obsède d'abord le chasseur modeste et la chasse populaire qui sont les premiers menacés par les détracteurs de la chasse, lesquels s'appuient sur le droit européen pour l'affaiblir. Au cours du débat, les communistes vont défendre tous les modes de chasse, dont les chasses traditionnelles, avec la farouche volonté non seulement de permettre à tous ceux qui le souhaitent, notamment les plus modestes, de pouvoir encore chasser demain, mais aussi de démocratiser toutes les formes de chasses qui excluent par l'argent. L'Etat ne montre pas l'exemple à ce titre puisque, par le truchement de l'ONF, les chasses domaniales sont louées au plus offrant.
M. Henri de Raincourt. Ça, c'est vrai !
M. Gérard Le Cam. Pour clore sur ce sujet de l'argent et de la chasse, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen condamnent toutes les pratiques spéculatives et d'appropriation privée qui se multiplient aujourd'hui, sur l'initiative et au profit de grands groupes financiers, afin d'assouvir leur corruption publicitaire ou commerciale.
MM. Gérard Larcher et Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Gérard Le Cam. Je souhaite enfin retenir toutes les valeurs positives qui confortent la chasse : la liberté, l'effort physique, l'harmonie, le bien-être, la convivialité, le terroir, la gestion et l'entretien de la nature en harmonie avec le monde agricole. Ces valeurs suffisent à elles seules pour pérenniser cette activité, ce loisir.
Revenons au texte qui nous concerne. A l'Assemblée nationale, le vote de la majorité du groupe communiste s'est tourné vers l'abstention. Une abstention positive et constructive... (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Qu'est-ce qu'une abstention positive ?
M. Gérard Le Cam. Vous allez le voir !
... qui devrait permettre de nouvelles avancées du texte, tant pour les chasseurs que pour l'ensemble des acteurs et utilisateurs du milieu naturel. Les acquis du groupe communiste à l'Assemblée nationale sont loin d'être négligeables : les députés communistes ont en effet permis, par leur travail en commission et par leurs votes, d'obtenir notamment l'officialisation de l'acte de chasse dans la loi, la légalisation de la chasse de nuit dans vingt départements, la chasse à la passée au gibier d'eau deux heures avant le lever du soleil et deux heures après son coucher ; ils ont également contribué à renforcer la démocratisation des élections dans les fédérations, à faire prendre en compte les chasses traditionnelles et, enfin à obtenir de vous, madame la ministre de l'environnement, l'engagement de modifier le décret relatif aux conditions d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs sur les bases d'une ouverture fin juillet et d'une fermeture fin février.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Cela devrait vous permettre une négociation avec la Commission européenne pour obtenir les dérogations nécessaires à la directive CEE 79-409.
Pour autant, le texte de loi peut encore être amélioré afin de pérenniser la chasse, de réduire les contentieux, de décourager ceux qui tentent d'opposer les urbains aux ruraux, les chasseurs aux non-chasseurs. C'est pour aller dans ce sens que nous avons déposé des amendements.
A propos des relations entre l'Office national de la chasse et les fédérations départementales des chasseurs, nous concevons difficilement la séparation totale qui est contraire aux conditions d'une bonne gestion de la chasse héritée de plusieurs dizaines d'années de collaboration. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à favoriser cette collaboration dont les conditions financières restent à préciser.
Comme beaucoup dans cet hémicycle, nous allons défendre une nouvelle composition du conseil d'administration de l'Office national de la chasse par un rééquilibrage en faveur du monde cynégétique.
Nous souhaitons également que les études de qualité menées par l'Office national de la chasse sur la biologie des espèces, la dynamique des populations, la génétique et les problèmes sanitaires puissent trouver plus facilement une application sur le terrain. Y a-t-il, dans ce pays, une réelle volonté d'éradiquer la myxomatose, la coccidiose et le virus VHD ? Pourquoi attendons-nous depuis tant d'années la législation des moyens de traitement de ces maladies qui anéantissent la base même de la chasse populaire ?
A propos des fédérations départementales des chasseurs, nous considérons qu'elles constituent l'échelon de proximité le mieux placé pour prendre les mesures nécessaires au maintien du patrimoine cynégétique, à l'entretien des espaces naturels, à la formation, à la prévention et à la mise en place du schéma départemental de mise en valeur cynégétique. A ce titre, nous défendrons les prérogatives de service public que leur confère le présent projet de loi en attirant l'attention de la Haute Assemblée sur les risques potentiels d'affaiblissement de ces prérogatives que peuvent présenter la question des moyens financiers, les décrets d'application et le rapport de force ou de coopération qui s'établira entre l'Office national de la chasse et les fédérations départementales des chasseurs.
Nous déposerons un amendement tendant à définir les conditions de délégation de pouvoir de vote dans le cadre de l'application du principe « un chasseur, une voix », qui, bien que démocratique en théorie, l'est beaucoup moins en pratique si l'on veut le transposer à la lettre. En effet, quel débat sera possible et quelle sera la participation effective dans une assemblée générale qui devrait regrouper plusieurs dizaines de milliers de participants ?
Nous proposerons que la péréquation en matière de dégâts de gibier soit conditionnée à une bonne prévention et une bonne gestion, et que le fonds de péréquation soit essentiellement destiné aux mesures d'amélioration de la chasse et à la politique d'accueil des chasseurs sans territoire, car le monde de la chasse a, lui aussi, ses « sans droits ».
A propos du mercredi « jour de non-chasse », nous demandons la suppression de cette mesure, même si elle a été atténuée par l'Assemblée nationale.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Je ne serai pas très original en disant qu'il y a dix fois plus de raisons d'interdire la chasse le dimanche que le mercredi, si l'on veut tenir compte de la présence des promeneurs, des vététistes, des cavaliers, des ramasseurs de champignons... dans le milieu naturel. Or chacun sait qu'il n'est pas pensable d'interdire la chasse le dimanche sans tuer définitivement la chasse populaire.
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Pour le ou les jours sans chasse, pratiqués déjà par de nombreuses fédérations, nous proposerons qu'aucune chasse n'ait lieu, à l'exception de la chasse de nuit et de la passée.
En revanche, nous pensons qu'il serait particulièrement utile que les sociétés et associations de chasse informent régulièrement la population des nombreuses journées hebdomadaires où il n'y a pas de chasse.
Viendra aussi le débat autour de la redevance payée par les chasseurs, redevance qui, aujourd'hui, permet de financer le fonctionnement de l'ONC et, par conséquent, celui de la garderie. Les chasseurs veulent bien payer, mais uniquement pour le service rendu. Or, les missions à venir de la garderie vont bien au-delà du monde de la chasse. Je citerai, à titre d'exemple, le contrôle des cirques, ménageries, animaleries dans le cadre de la convention de Washington, la loi « Pitbull » sur les animaux dangereux et la vente de chiots sur les marchés, la loi sur les enseignes et préenseignes, l'application du livre des procédures fiscales sur les alambics, les allumettes et les alcools, la loi sur l'élimination des déchets.
L'ONC reconnaît avoir consacré, en 1999, un budget de 15 à 20 millions de francs à des missions purement environnementales de l'Etat. Enfin, sept postes au ministère de l'environnement, au titre du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, sont également financés par les chasseurs.
Il conviendra donc de répartir cette redevance entre l'ONC et les fédérations, mais aussi d'éviter tout dérapage de la redevance pouvant être lié à l'augmentation des effectifs de l'ONC ou à la baisse des effectifs des chasseurs.
En ce qui concerne les associations communales de chasse agréées, nous reviendrons sur les obligations et les responsabilités des personnes souhaitant faire valoir leur droit d'« objection cynégétique », notamment en matière de destruction des nuisibles, de dégâts du gibier et de respect du statut du fermage et du droit de chasse du fermier.
Je n'ai évidemment pas oublié la très importante question des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs que nous allons tenter de légaliser définitivement.
Je laisserai le soin à mon camarade et ami Pierre Lefebvre, sénateur du Nord, de développer cet important sujet qu'il connaît bien et qu'il a déjà eu l'occasion de défendre dans cet hémicycle.
Avant de conclure, je voudrais verser au débat quelques inquiétudes qui, sans reposer sur des dispositions du projet de loi, risquent néanmoins de peser lourdement sur l'avenir de la chasse en France. Je pense au nombre de chasseurs qui décroît depuis plus de trente ans, aux réglementations sur les armes et la sécurité qui, bien que nécessaires, doivent rester financièrement accessibles pour tous, aux réglementations tatillonnes qui encadrent la réduction des nuisibles, réduction indispensable à une bonne gestion, aux menaces qui pèsent sur les lâchers de gibier et leurs conditions, à l'appropriation des meilleurs territoires de chasse par ceux qui font fortune en dormant ou en exploitant les autres.
En conclusion, nous espérons apporter à ce projet ce qui est nécessairre et indispensable à la pérennisation de ce qui fait l'originalité de la chasse française. Quant à l'apaisement, même si je le souhaite ardemment, je ne rêve pas ! Trop d'intérêts politiques demeurent.
Je veux ici prendre pour exemple le mouvement CPNT, qui, du stade utile de lobby, au départ, est devenu un mouvement politique doté d'élus régionaux et de parlementaires européens. Ce mouvement avance aujourd'hui masqué, pour prendre le pouvoir dans les fédérations qu'il ne détient pas encore. Il y a là un réel danger, une dangereuse dérive que je souhaite dénoncer devant la représentation nationale. Il y a ici confusion entre la politique de la chasse et la chasse des politiques.
Un immense travail de communication sera nécessaire de la part des chasseurs responsables et des politiques en direction de la société si nous voulons être compris et acceptés. Il est vrai que la chasse est une affaire trop sérieuse pour être confiée à ceux qui l'ignorent, à ceux qui la combattent, à ceux qui en font un commerce, qu'il soit politique ou mercantile. Vive la chasse populaire ! Vive la chasse à la française ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Paul Blanc. La chasse aux voix est ouverte ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Bernard Murat. La chasse plurielle !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas la chasse, c'est la pêche !
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat sur la chasse, avec, parfois, le conflit que certains attisent, symbolise les tensions existant entre deux mondes : le monde des Français attachés aux expressions de la ruralité et le monde, tout aussi respectable, des Français ayant du mal à ressentir le caractère affectif de cette pratique identitaire. De plus, le monde rural, qui fait face à des difficultés croissantes et voit sa population diminuer, défend d'autant plus ardemment son identité, liée notamment à la pratique de chasses traditionnelles.
C'est d'ailleurs en tant qu'élu rural que j'interviens, soucieux que je suis de la préservation de cette activité, de cette passion pour l'harmonie et la vitalité de nos campagnes.
Les positions sont antagonistes et même passionnelles, alors que chasseurs et écologistes s'accordent sur la nécessaire préservation de l'environnement. Ils s'accordent aussi sur la protection de ce patrimoine commun qui leur a été transmis et qu'ils devront transmettre à leur tour aux générations futures. C'est là, bien sûr, que pourra être trouvé un terrain d'entente.
Dans ce débat, il est indispensable de sortir des préjugés habituels à l'égard des chasseurs. Ainsi, ces dernières ne constituent pas des privilégiés vivant hors du temps : plus de 1,5 million de Français sont chasseurs. Dans mon département du Gers, département le plus rural de France et dont les habitants ont un niveau de vie modeste, près de 10 % de la population pratique la chasse. C'est dire combien cette tradition est vivace et partagée.
Par ailleurs, les chasseurs ne sont pas des irresponsables, comme tentent de le faire croire des écologistes extrémistes. Les chasseurs veulent avant tout gérer avec un soin minutieux un patrimoine qu'ils savent fragile.
Arriver à faire coexister les hommes et les systèmes est bien l'un des enjeux de la politique, et je suis persuadé qu'il est possible de faire vivre ensemble chasseurs et non chasseurs comme des citoyens aux goûts différents, et ce dans le cadre d'une législation nationale respectueuse du droit communautaire.
Dans l'examen de ce projet de loi, je m'arrêterai sur deux points qui concernent l'article 10 : les périodes de chasse et le jour de non-chasse.
Les périodes de chasse qui nous intéressent particulièrement concernent les oiseaux migrateurs. La polémique est forte sur ce thème, car les périodes d'ouverture et de fermeture sont à la croisée du droit communautaire, de la loi française et des spécificités régionales.
La prise en considération des oiseaux migrateurs au niveau international est ancienne puisqu'elle remonte à 1902 et est fondée sur le pragmatisme. La conférence internationale de cette année-là a débouché sur une convention sur la protection des oiseaux utiles à l'agriculture.
Plus récemment, la directive européenne « Oiseaux » de 1979, tellement contestée, définit un nouveau cadre juridique. L'Europe ne doit pas servir de bouc émissaire sur ce sujet comme dans d'autres. D'une part, les Etats membres ont accepté que, dans la hiérarchie des normes, leur droit soit dans l'obligation de se conformer au droit communautaire. D'autre part, la directive a été adoptée à l'unanimité des Etats membres sous présidence française. Elle a été le fruit de longues négociations.
Alors, comment la France a-t-elle pu accepter cette directive si cette dernière met en cause notre tradition de la chasse ? Les polémiques naissent de la méconnaissance de ce texte. Oui, cette directive a pour but la conservation des oiseaux sauvages en Europe. Oui, elle pose le principe d'une protection complète. Non, cette directive ne fixe pas de dates d'ouverture et de fermeture et laisse, comme il se doit, le soin aux Etats d'établir une législation et une réglementation permettant d'atteindre les objectifs fixés.
M. Michel Charasse. Qui a signé cette directive ? Qui a fait cette connerie ?
M. Aymeri de Montesquiou. Depuis plus de vingt ans, la France n'avait pas satisfait entièrement à la transposition. De deux choses, l'une : soit elle a fait preuve d'une extrême négligence juridique, peu conforme à sa tradition, soit elle ne voulait pas de cette directive. Alors, pourquoi l'avoir signée ?
M. Michel Charasse. On peut se le demander !
M. Aymeri de Montesquiou. Elle pouvait la refuser, par exemple, lors de la création du principe de subsidiarité qui peut être invoqué à juste titre : après tout, Bruxelles ne peut ni connaître ni prendre en compte la diversité de tous les départements ! (M. Charasse s'exclame.)
M. le président. Allons, monsieur Charasse, écoutez l'orateur !
M. Michel Charasse. Justement, je le soutiens ! (Rires.)
M. Aymeri de Montesquiou. Il est vraiment très dissipé !
La seconde hypothèse semble devoir être écartée, la position française ne pouvant se caractériser par une telle incohérence. Le débat se situe donc au niveau de l'interprétation de la directive et non de la directive elle-même.
Le Gouvernement avait la possibilité d'obtenir une dérogation à la directive. A cet effet, la Commission avait demandé le rapport prévu par la loi du 15 juillet 1994 ainsi que deux rapports scientifiques, celui du Musée d'histoire naturelle et celui de l'Office national de la chasse. Pourquoi le Gouvernement a-t-il délibérément attendu d'être forclos pour les remettre, en juin 1998 ? La préservation à tout prix de la pluralité gouvernementale ne doit pas se faire au prix de telles tensions chez les citoyens !
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. La présidence française de l'Union européenne à compter du 1er juillet devrait être un moment fort pour défendre une vision française de l'Europe. Madame la ministre, le Gouvernement va-t-il s'engager à reprendre les discussions avec la Commision sur l'application de la directive « Oiseaux ».
La France, comme d'autres pays de l'Union, doit revenir à des périodes de chasse traditionnelles si elle veut gommer un légitime sentiment d'injustice, particulièrement fort dans les régions frontalières.
Pour faire coexister chasseurs et non-chasseurs, un jour de non-chasse est proposé par le présent projet de loi. Les arguments développés par le député François Patriat dans son rapport au Premier ministre ne sont pas convaincants. En effet, les fédérations ont le plus souvent déjà mis en place ce jour de non-chasse, mais cette possibilité doit rester le choix de chaque département, toujours en fonction du potentiel du gibier et de sa préservation, et ne doit pas s'appliquer aux oiseaux migrateurs, par simple bon sens.
La législation nationale et communautaire vient encadrer de manière de plus en plus restrictive la pratique de la chasse. Si nul ne remet en cause la nécessité de règles du jeu, celles-ci ne doivent pas mettre à mal des pratiques, nées fréquemment avec le droit de chasse, qui se sont adaptées par la seule mise en application du bon sens. Au nom de quoi supprimerait-on une liberté ?
Ni la France ni l'Europe ne peuvent se renforcer en supprimant les particularismes régionaux. N'est-il pas paradoxal que, au moment où les langues régionales retrouvent leur légitimité et leur pratique, où la décentralisation est appelée à s'approfondir davantage, la chasse ne puisse bénéficier de cette dynamique de proximité ?
La conception de la société que je défends est fondée sur deux piliers : liberté et responsabilité. Or, madame la ministre, vous ne semblez pas accorder ces deux vertus aux chasseurs. Au nom de quoi ?
Je ne peux donc accepter de voter le projet de loi tel que nous l'a transmis l'Assemblée nationale. En revanche, après un travail approfondi d'amendement, qui prendra notamment en compte des périodes d'ouverture et de fermeture de chasse respectueuses des traditions locales ainsi que la suppression du jour de non-chasse, si vous considérez les chasseurs comme des partenaires responsables, alors je voterai le texte tel qu'il sera issu de nos travaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, protéger les espèces animales, protéger les biotopes, préserver la possibilité pour chacun de jouir de l'espace rural, nous n'avons pas d'autre obsession. Mais nous souhaitons être entendus, écoutés et associés à toutes les règles en la matière.
Sur ces différents points, les scientifiques ont déjà effectué un certain nombre d'études, mais ils n'ont pas pris en considération - ce que je regrette - l'avis des chasseurs, des connaisseurs, des praticiens de la nature. Parfois, ils ont même détourné quelque peu l'objet de ces études, dans un but... je ne voudrais pas charger le trait...
M. Michel Charasse. Dogmatique !
M. Jean-Louis Carrère. ... dans un but dogmatique, effectivement, mon cher collègue, afin de tenter de réduire la pression qu'exerce le monde de la chasse.
M. Josselin de Rohan. De qui s'agit-il ?
M. Jean-Louis Carrère. Aujourd'hui, on peut entendre ici, au Sénat, quantité de discours qui prennent avec ferveur la défense de la ruralité, la défense de la chasse.
Je m'inscris assez aisément dans cette ruralité : j'en suis issu, j'y vis, j'en partage les valeurs et, je vous l'avoue bien humblement, je ne trouve pas dans l'urbanité beaucoup de règles d'accueil pour les ruraux que nous sommes lorsque nous arrivons dans cette zone de plus en plus dense, peuplée et agressive qu'est la ville.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Ne me faites pas dire pour autant que j'attends des ruraux qu'ils rendent aux urbains par l'agressivité, par la non-prise en compte de leurs aspirations, ce que ceux-ci leur font subir. Au demeurant, nous le font-ils subir volontairement ? Je n'en suis pas sûr ! Mais cela démontre en tout cas qu'il ne faudrait pas non plus que quelques esprits éclairés, quelques esprits passionnés...
M. Michel Charasse. ... quelques esprits honnêtes !
M. Jean-Louis Carrère. ... mais aussi quelques esprits donneurs de leçons édictent un certain nombre de règles qui s'imposeraient à nous sans que nous ayons été consultés, sans que nous ayons été entendus.
M. Raymond Courrière. Il faut qu'ils nous respectent !
M. Jean-Louis Carrère. Nous ne voulons pas rejeter l'autre, pas plus que nous ne voulons mettre à mal les espèces : nous sommes sensés et réalistes.
A partir de là, monsieur le président, madame la ministre, est-il utile de reprendre l'intégralité du déroulement du processus, qui met en évidence l'incapacité de tous les gouvernements à affronter ce problème de la mise en conformité du droit national avec le droit communautaire, à régler le problème juridique de la chasse, à codifier ces pratiques séculaires ? Non, je ne le crois pas utile, et nous savons toutes et tous que cela ne pourrait pas faire avancer notre sujet.
Comment le problème se pose-t-il aujourd'hui à nous ? D'aucuns, sur les travées de la majorité sénatoriale, ont regretté la procédure d'urgence qui encadre ce texte. Qu'ils me permettent de leur dire qu'en ce qui me concerne il y a bientôt cinquante ans que j'entends parler de chasse et que je ne suis donc pas pris au dépourvu. On peut me présenter ce projet en urgence, ou tout ce que l'on voudra, je suis prêt aujourd'hui, comme je l'étais hier ou avant-hier. Et même si je peux admettre que certains la contestent, voire la critiquent, ce n'est pas une procédure qui changera le fond de l'affaire. Donc, inscrivons-nous plutôt dans cette logique, dans cette dynamique.
Je voudrais aussi que l'on rompe, même si cela m'est difficile à moi aussi, avec cette tentation que nous avons en permanence d'opposer les chasseurs aux Verts, les Verts aux chasseurs, en ne présentant aucun thème susceptible de nous faire avancer. Nous sommes des législateurs, nous avons été élus, nous sommes ici au Sénat de la République, nous devons donc faire prévaloir notre point de vue. Essayons, dans ces conditions, de trouver un accord qui coïncide avec la volonté politique que nous exprimons toutes et tous !
Comment trouver un tel accord ? Il y aura, après le vote du Sénat, une commission mixte paritaire. Après cette commission mixte paritaire, il y aura soit un accord, soit un désaccord. S'il y a désaccord, une nouvelle lecture aura lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, puis l'Assemblée nationale aura le dernier mot.
Dans cet hémicycle, mes chers collègues, il semble - mais comme je ne suis pas, et de loin, le dernier orateur, nous pourrons vérifier à l'issue de la discussion générale si tel est bien le cas - il semble, dis-je, qu'une majorité écrasante veuille améliorer le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, sans le dénaturer. Il y aura, bien sûr, ici ou là, quelques velléités de sortir de ce cadre, mais nous devrons réussir à les réfréner car, mesdames, messieurs, si nous voulons rendre service à la chasse française, à la chasse populaire, il n'est pas trop tard. Mais prenons garde à ne pas nous inscrire dans un processus qui, par Conseil constitutionnel interposé, renverrait à plus tard les règlements dont la chasse française à besoin.
Je crois, moi, que nous pouvons avancer tous ensemble, que nous pouvons nous diriger avec quiétude vers la commission mixte paritaire et proposer au pays une vision réaliste et équilibrée de la chasse, une vision compatible avec la directive n° 79-409 et comprise à la fois par nos amis chasseurs et par ceux qui, adversaires de la chasse, devront cependant admettre que nous avons progressé et que l'un de leurs soucis majeurs, à savoir la préservation des espèces, est satisfait.
Allons donc vers ce point d'équilibre, d'autant qu'il est assez facile à situer. Il suffit pour cela d'introduire de la démocratie dans le fonctionnement de certains organismes, selon le principe bien connu « un homme-une voix », que ce soit dans les modalités électives ou dans les modalités représentatives.
L'excellent travail de la commission des affaires économiques, du groupe d'études sénatorial sur la chasse mais aussi du rapporteur de ce texte, Mme Heinis, montre bien qu'il était légitime de conforter, de confirmer, voire d'amplifier le pouvoir des fédérations, non pas - je le dis sans utiliser la langue de bois - pour en faire des suppôts de telle ou telle formation politique, mais pour que la chasse française soit organisée plus démocratiquement.
Sur ce point, le groupe socialiste, au nom duquel je m'exprime en cet instant, soutiendra - au-delà, bien sûr, des amendements qu'il a déposés - certaines propositions qui tendent à conforter le pouvoir des fédérations et des ACCA, qui sont pour nous la cellule de base de l'organisation de la chasse sur une grande partie du territoire français, tout en nous mettant en harmonie avec l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, qui a prévu que s'exprime le droit de non-chasse ou l'objection à la chasse.
Désormais, dans cette assemblée, de nombreux points ne posent plus problème et, vérification faite, ils ne devraient plus en poser avec nos collègues de l'Assemblée nationale, ni remettre en cause l'architecture du texte du Gouvernement.
Reste cependant une préoccupation essentielle pour les ruraux et les chasseurs, à savoir la question des dates d'ouverture et de fermeture. Pourquoi y sont-ils si attachés ? Eh bien ! parce que, année après année, certains arrêtés préfectoraux, pourtant pris conformément aux directives, sont attaqués par des organisations anti-chasse ou surveillant de très près la chasse et, une fois ces arrêtés annulés, les chasseurs doivent subir une fermeture anticipée de la chasse sans autre explication que l'arrêt d'un tribunal administratif.
Permettez-moi de prendre le cas de départements que je connais bien, les Landes, la Gironde et les Pyrénées-Atlantiques. Sur des recours intentés à l'encontre de différents arêtés préfectoraux, des tribunaux administratifs différents ont émis des jugements différents.
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère. Les chasseurs ont alors été obligés de cesser de chasser. Il y a eu appel, et le jugement du tribunal administratif a été ensuite cassé. Il n'est pas possible de continuer ainsi ! Un chasseur, qui est la plupart du temps un homme de condition modeste, qui vit dans des zones relativement déshéritées, pour qui la chasse est une passion, doit d'abord payer son permis de chasse - oh ! je ne vais pas vous faire pleurer - et dresser ses chiens. Et tout cela sans savoir s'il pourra chasser jusqu'au 31 janvier ou jusqu'à une autre date, s'il pourra chasser la bécasse ou non.
Voilà pourquoi, si la loi doit préciser certains points, elle ne doit pas, comme certains le proposent, fixer de manière intangible les dates de la chasse. En effet, si c'était le cas, nous prendrions le risque de porter un coup fatal à la chasse, et je pèse mes mots. Imaginez un seul instant que la fixation de ces dates dans la loi suscite un veto de la part du Conseil constitutionnel ! Mes chers amis, dans ces conditions, l'article 10, qui est l'article fondateur de ce texte de loi, serait mis à mal, et nous reviendrions à la case départ.
Le seul argument que j'entende, pour dire que ce n'est pas possible, n'est pas d'ordre juridique. Pourquoi ? Certains, se fondant sur l'article 34 de la Constitution, qui énonce que le droit de propriété relève du domaine législatif, en déduisent que la chasse, qui relève du droit de propriété, relèverait ipso facto du domaine législatif. Jusque-là, c'est juste.
Mais, selon la même démonstration, l'exercice de la chasse, la fixation des dates relèveraient également, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine législatif. Cela, mes chers collègues, je n'en suis pas si sûr. Je pense même le contraire !
J'en veux pour preuve l'arrêt du Conseil d'Etat intervenu après le texte que nous avons voté ici et les consultations préliminaires que nous avons faites, qui me permettent de penser que nous porterions un coup à la chasse, que nous entendons défendre, si nous suivions ce raisonnement.
Je préfère, de loin, et non pas parce que ses auteurs, qu'ils s'appellent Pastor ou Charasse, sont mes amis, l'amendement que nous proposerons, qui vise à fixer des bornes et qui prévoit que la fixation des dates, à l'intérieur de ces bornes, relève du pouvoir réglementaire.
En tout état de cause, chers collègues, il faut que nous réfléchissions à l'orientation de ce débat, qui pourrait prendre une tournure quelque peu politicienne, alors que nous avons l'occasion politique, sur ce terrain, de faire l'unité du Sénat - cela s'est déjà vu ! - d'entraîner l'Assemblée nationale et de régler la question de la chasse.
Je souhaite également dire un mot du jour de non-chasse et de la rédaction de l'article concerné adoptée par l'Assemblée nationale.
Dans nos régions, nous chassons surtout des oiseaux migrateurs, mais aussi du gibier sédentaire. Depuis plus de vingt ans, deux journées de non-chasse à tir au gibier sédentaire ont été proposées et mises en oeuvre par les fédérations départementales de chasseurs,...
M. Gérard Larcher. Et ça marche très bien !
M. Jean-Louis Carrère. ... et ce dans toute la région Aquitaine.
M. Roland du Luart. C'est pareil chez nous !
M. Jean-Louis Carrère. Je le sais : il en est ainsi dans beaucoup de départements. Mais si, dans certains départements, il est prévu jusqu'à trois journées de non-chasse à tir sédentaire, dans d'autres, il n'en est prévu aucune.
M. Gérard Larcher. Parce qu'ils ont des plans de chasse !
M. Jean-Louis Carrère. A ce propos, je veux dire aussi que les accidents mortels que nous avons, hélas ! eu à déplorer au cours des exercices de chasse ont eu lieu le plus souvent à l'issue d'organisations de battues.
M. Raymond Courrière. Avec tir à balle !
M. Jean-Louis Carrère. C'est donc là qu'il faut, me semble-t-il, faire porter l'effort pédagogique de rationalisation et de signalisation, afin de parvenir à une cohabitation moins dangereuse entre usagers de la nature et des espaces ruraux et ceux qui pratiquent la battue.
Je l'ai dit, je suis chasseur d'oiseaux migrateurs et passionné. Que signifierait, pour un chasseur de palombes, par exemple - même si j'ai vu qu'un amendement prévoit qu'on puisse les chasser par dérogation jusqu'au 15 novembre - qu'on interdise tel jour, arbitrairement ou non, la chasse à ce migrateur ? Chacun sait que ce sont les conditions climatiques, les vents, etc., qui déterminent la migration de ces longs courriers. Ce serait totalement surréaliste, d'autant que ces chasses, que ce soit celle au gibier d'eau ou celle aux colombidés, se déroulent dans des espaces clos ou signalés par des panneaux, si bien que personne ne peut dire qu'il ne sait pas où ces chasses sont pratiquées. On peut ainsi aisément réduire la dangerosité de la chasse.
Il faut donc prévoir un ou plusieurs jours de non-chasse à tir au gibier sédentaire et laisser libre la chasse au gibier migrateur.
Pour conclure sur ce point, le passionné que je suis dira que, même avec un certain nombre de chiens, en prenant un peu d'âge, ce n'est plus sept jours sur sept que l'on chasse la bécasse ! (Sourires.)
M. Roland du Luart. Et pas que ça ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Certes, mais je parle de la chasse aux migrateurs.
De facto, physiologiquement, une régulation se fait, et vous verrez, madame la ministre, qu'il y aura plus d'un jour où parents et enfants pourront se promener en toute quiétude dans la nature ! Je précise d'ailleurs qu'ils peuvent se promener six mois par an.
Nous sommes conviviaux, accueillants et soucieux de rencontrer les gens qui viennent de zones urbaines, car nous savons pertinemment tout le bien, tout l'apaisement que peuvent leur procurer la quiétude, la beauté et la contemplation d'un certain nombre d'espaces ruraux.
Mais il ne faudrait pas, sous prétexte de trouver un texte d'équilibre, que l'on donne l'impression aux ruraux et aux chasseurs qui veulent avancer avec nous en matière de protection des espèces et de partage des espaces que tout se fait, encore une fois, sur leur dos, ou à leur détriment.
MM. Raymond Courrière et Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Ce ne serait pas compréhensible et ce ne serait pas compris.
M. Michel Charasse. Excellent !
M. Jean-Louis Carrère. Madame la ministre, j'attire aussi votre attention, comme l'a fait M. Pastor ce matin, sur le fait que nous sommes, bien sûr, très intéressés par la discussion que vous avez engagée à l'échelon européen. Il nous importe beaucoup que vous puissiez nous dire quelle est votre perception. Pouvez-vous nous confirmer l'impression très favorable que nous avons depuis quelques jours ?
Nous aimerions également avoir des précisions de votre part sur le décret que vous avez évoqué ce matin, avec un contenu scientifique qui pourra faire prévaloir la fixation d'un certain nombre de dates et de dérogations, pouvant aller, si j'ai bien compris, pour les unes jusqu'au 10 février, pour les autres jusqu'au 28 février.
Comprenez bien, en effet, que nous ne pouvons pas, compte tenu - je le regrette - d'une forme de défiance, parfois entretenue, des chasseurs à votre endroit, aller dire à ces mêmes chasseurs que nous avons accepté de revoir un amendement parce qu'il nous a été dit que ... et que ... Non ! Les chasseurs, en général, entendent bien, lisent bien. Si l'on peut leur dire clairement ce que propose concrètement le Gouvernement, ce sera un facteur d'apaisement.
Madame la ministre, si nous n'arrivons pas à dépassionner ce débat, en gardant présente à l'esprit la volonté de donner un signe fort au monde rural, aux hommes et aux femmes qui, souvent dans des conditions difficiles, se battent pour aménager, pour cultiver nos espaces, nous serons sans doute passés à côté du message d'inquiétude qui nous a été adressé à l'occasion de certaines élections, message qui s'est concrétisé par les voix recueillies par un certain nombre de formations nées spontanément ou récemment écloses, si je puis dire.
Je ne peux pas quitter cette tribune, madame la ministre, sans évoquer un court paragraphe de l'article 10, auquel je souscris, qui permet au Gouvernement, conformément d'ailleurs à la directive « Oiseaux » n° 79-409, de déroger pour des prélèvements en petite quantité d'espèces d'oiseaux migrateurs.
Comment le Landais que je suis, ami de toute une génération d'hommes et de femmes qui ont construit de leurs mains des pièges qui, dans ce département, s'appellent des matoles, et qui n'ont jamais tiré un coup de fusil, pourrait-il ne pas vous dire, avec émotion et insistance, qu'il attend du Gouvernement qu'il soutient que, la loi étant promulguée, il déroge, pour permettre aux Landaises et aux Landais qui se sont battus pour la République de capturer le bruant ortolan ?
Madame la ministre, nous serons à l'évidence sensibles, au cours de cette discussion, à la stratégie de rassemblement du Sénat, mais aussi à vos réponses.
Le groupe socialiste a la volonté d'aboutir et il souhaite, pour la chasse, pour la ruralité, pour les espèces, que l'on puisse parvenir à un texte commun. Aussi, je demande à mes collègues de la majorité sénatoriale de faire l'effort qui permettra d'aller dans ce sens.
En tout état de cause, je souhaite bonne chance à la chasse ! (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Branger.
M. Jean-Guy Branger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la chasse fait partie de l'héritage culturel de notre société.
La transformation de la société française, qui, de profondément rurale, est devenue majoritairement urbaine, s'est traduite par des évolutions culturelles contrastées en matière de gestion des espaces naturels.
En effet, les urbains se sont peu à peu éloignés d'un art de vivre et de traditions anciennes modelées par le contact quotidien avec la nature, mais on ne peut nier qu'ils sont animés depuis de nombreuses années maintenant du désir de voir protégés la nature et ses habitants.
Le monde rural, lui, vit concrètement, au jour le jour, ce combat qu'est la gestion de la nature.
Les intérêts des urbains et des ruraux ne doivent pas systématiquement être opposés, dans leurs fins comme dans leurs moyens. Une telle opposition, qui entraîne obligatoirement une fracture entre deux pôles de notre société, ne rend pas compte de ce que doit être, réellement, l'organisation de la protection de la nature dans son ensemble.
La chasse est, certes, un élément culturel qui a permis à notre société de se construire, et c'est également à ce titre que nous souhaitons la défendre. Mais elle est bien plus que cela : elle est une activité incontournable de gestion de l'espace rural et de protection de l'environnement, dans le respect, bien sûr, des droits de chacun.
Les chasseurs, les pêcheurs et tous les utilisateurs de l'espace rural ont un rôle fondamental d'intérêt général à jouer en tant que partie prenante et partenaires de l'aménagement, car ils sont, plus que quiconque peut-être, sensibles à la qualité de leur loisir et à sa pérennité, qui dépend essentiellement de la qualité du milieu.
Ils sont également, tout naturellement, des amoureux de la nature et ils savent que cet amour doit se concilier aussi avec une nécessaire régulation des espèces. Il ne serait pas raisonnable de donner à penser, comme on a pu le faire, que leur seul désir est de tuer toujours plus d'animaux, sans plan de gestion des espèces, sans respect des périodes de reproduction. Les chasseurs n'iraient pas détruire ainsi leur patrimoine !
L'agriculture est aujourd'hui tiraillée entre l'abandon et l'intensification, mais cette situation constitue sans doute une chance pour la chasse.
La chasse représente un poids économique non négligeable, avec 1 500 000 chasseurs. Elle peut participer à l'entretien des espaces, cultivés ou boisés.
Ainsi, en Charente-Maritime, après les tempêtes de décembre dernier, nous avons pu mesurer la mobilisation des chasseurs. Tant à titre individuel que collectivement, ils se sont mis au service de la nature : engagement de nombreux volontaires dans les diverses actions d'urgence, déblayage des chemins forestiers, participation financière et humaine aux opérations de reboisement.
Le texte du Gouvernement ne correspond en rien à la grande réforme d'ensemble de la chasse que nous attendions. S'il est nécessaire de tenir compte de l'évolution d'une société de plus en plus urbaine, où les espaces naturels et ruraux sont de plus en plus vécus comme les lieux d'exercice de loisirs diversifiés, il faut mettre en avant le rôle de la chasse dans la préservation du milieu naturel et confier aux fédérations départementales la mise en valeur de ce patrimoine.
Ce projet de loi est notoirement insuffisant, et nous ne pouvons nous en satisfaire en l'état. C'est pour cette raison que près de 300 amendements ont été déposés par notre Haute Assemblée. La réforme des institutions cynégétiques est inachevée, les fédérations ne se voient confier qu'une responsabilité limitée, la chasse de nuit n'est légalisée que dans la moitié des départements où elle est pratiquée traditionnellement, les dates de chasse aux oiseaux migrateurs ne sont pas inscrites dans la loi mais renvoyées à un décret, qui, loin d'éteindre les contentieux, les attisera.
S'agissant du temps de chasse, le Gouvernement souhaite l'encadrer sévèrement. Sur ce point, le Sénat a adopté à l'unanimité - je vous le rappelle, madame le ministre - le 3 juillet 1998, un calendrier de dates d'ouverture et de fermeture de la chasse par espèces, avec référence aux carnets de prélèvements, ainsi qu'à tout ce qui peut permettre au texte d'être conforme à la directive européenne d'avril 1979. Pourquoi ne pas avoir retenu ces carnets de référence ?
Il est bien évident que, avec mes collègues, nous souhaitons reprendre ce dispositif, et nous avons déposé un amendement en ce sens. Puisque nul ne conteste que les pratiques cynégétiques sont les principaux facteurs de survie des zones humides, facteurs déterminants de l'équilibre de notre écosystème, c'est donc la proposition de loi sénatoriale, votée à l'unanimité, que nous défendrons une nouvelle fois, et ce nonobstant le fait que Mme le ministre, à la suite de ce vote, n'avait pas jugé utile de faire publier les décrets d'application nécessaires à la mise en place de ces mesures, encourageant de ce fait une interprétation jurisprudentielle défavorable à l'activité cynégétique - Conseil d'Etat et Cour européenne des droits de l'homme, 1999.
Les chasseurs tiennent au maintien des dates actuellement en vigueur, estimant, à juste titre, avoir déjà, par des concessions successives au fil des années, réduit les périodes de chasse. Ne vaudrait-il pas mieux instaurer un niveau de prélèvement compatible avec le volume des populations migratoires, avec l'établissement de plans de gestion ?
Se référant à la réglementation européenne, notamment à la directive 79-409 relative à la conservation des oiseaux sauvages, les associations écologiques ont multiplié les actions en justice afin de réduire, une nouvelle fois, les périodes de chasse. Nous ne pouvons nous empêcher de voir là une volonté manifestement et indistinctement « anti-chasse » des mouvements écologiques, alors que nous avions déjà, en 1998, conscients de l'évolution de la jurisprudence, procédé à des aménagements notables, restés sans effet car sans décret d'application.
Madame le ministre, le monde des chasseurs est très sensible à ce problème, car il perçoit tous les dysfonctionnements qui peuvent en résulter à son dépens !
S'agissant de la chasse au gibier d'eau, de nuit et à la passée, elle est pratiquée depuis cent cinquante ans à la tonne, à la hutte, au hutteau ou au gabion, selon les appellations locales, et concerne encore plus de 400 000 chasseurs dans une quinzaine de départements du littoral, dont le mien, la Charente-Maritime. C'est un sujet hautement sensible et c'est un acquis que nous sommes déterminés à préserver.
La chasse à la tonne est une pratique très conviviale. Passer une nuit avec ses amis chasseurs dans une tonne à guetter colverts, sarcelles, pilets, souchets - qui souvent ne viennent pas, il faut bien le dire - voir poindre l'aube et sentir l'odeur du marais au petit matin est un réel plaisir, une saine passion à laquelle nous sommes attachés, de père en fils, depuis des générations et des générations.
MM. Ladislas Poniatowski et Michel Doublet. Très bien !
M. Jean-Guy Branger. C'est pourquoi les chasseurs de gibier d'eau comptent bien obtenir la reconnaissance légale de leur mode de chasse, partout où il se pratique traditionnellement.
Il est anormal d'interdire cette chasse dans des départements qui la pratiquent traditionnellement, et qui sont exclus de la légalisation obtenue pour vingt autres départements. Certes, le projet de loi prévoit qu'un décret pourra compléter la liste des vingt départements autorisés, mais cela créerait un régime juridique à deux vitesses, qui serait difficilement compréhensible par le monde de la chasse. Je défendrai donc un amendement, cosigné par un certain nombre de mes collègues, à l'article 12 du projet de loi, pour que le mode de chasse coutumier soit reconnu comme incontestablement traditionnel dans quarante-deux départements de France. La liste de ces départements est identique à celle qui est annexée à l'instruction de l'Office national de la chasse du 31 juillet 1996, liste qui a été annulée récemment par le Conseil d'Etat.
Le gel au 1er janvier 2000 des installations fixes à partir desquelles la chasse de nuit peut être pratiquée est inacceptable ; il doit être repoussé au 1er juillet 2000.
Quant au mercredi jour de non-chasse, pourquoi ce jour-là ? Il ne correspond à aucune tradition cynégétique dans notre pays. De plus, il empêcherait les nombreux enseignants chasseurs de pratiquer leur loisir un jour fixe par semaine, et il ne permettrait pas aux jeunes de s'initier à la pratique de ce sport. Ce jour « sans chasse » doit relever de la responsabilité des chasseurs eux-mêmes, au plan départemental. Il n'y a aucune nécessité à ce qu'il soit fixe : il pourrait varier selon les saisons, les espèces, comme en Espagne, par exemple, où la communauté de Madrid réserve aux jeudi, samedi et dimanche l'exercice de la chasse au petit gibier. Cette flexibilité serait un outil supplémentaire aux mains des chasseurs dans la gestion de la nature.
La double tutelle du ministère de l'environnement et de celui de l'agriculture serait également souhaitable, car la chasse concerne également le monde agricole et le monde sylvicole.
Les ruraux tiennent à leur mode de vie que les populations urbaines ne comprennent pas toujours. Dans les pays les plus urbanisés, la chasse n'est plus admise. Aux Pays-Bas, il ne reste que cinq espèces chassables, moyennant quoi ce pays est en proie - vous le savez comme moi - à de considérables dégâts de gibiers. Est-ce cela que nous voulons pour la France ? Je vous réponds bien fort : non ! Nous devons trouver une solution équilibrée.
On ne peut se passer de régulation. Si on devait supprimer la chasse en France, il faudrait employer 200 000 fonctionnaires pour réguler les espèces !
Contrairement à ce que d'aucuns disent, la France n'est pas le mauvais élève de l'Europe. La plupart des Etats de l'Union européenne ont maille à partir avec les instances communautaires. En ce qui concerne la chasse aux oiseaux migrateurs, certes la France est le pays où les problèmes sont les plus aigus, mais pour la simple et bonne raison que de nombreuses espèces se croisent chez nous, et que notre pays est un lieu de passage de ces espèces, qui poursuivent ensuite leur chemin sous d'autres cieux, souvent bien plus inhospitaliers d'ailleurs...
Aujourd'hui, certains conflits sont derrière nous, puisque nous allons approuver les dispositions du projet de loi qui respectent les opinions des objecteurs de conscience à l'égard de la chasse. Nous approuvons la réforme de la loi Verdeille et donc le respect du droit de non-chasse.
Ces dispositions devraient permettre de sortir de certains conflits entre chasseurs et écologistes, qui ont abouti le 29 avril 1999 à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. La sauvegarde de la liberté d'association et du droit de propriété, tout particulièrement de son attribut le plus important, l'usage, mettra la France en conformité avec le droit européen.
Une conclusion doit s'imposer à nos esprits, me semble-t-il : il n'y a pas d'avenir pour une gestion plus dynamique de la faune sauvage sans l'accord et la participation effective des propriétaires, des exploitants et des autres utilisateurs de l'espace, chasseurs, ou non-chasseurs, sans oublier les pêcheurs.
Avec mes collègues, je suis persuadé que la chasse pratiquée à des fins de conservation, outre qu'elle présente une importance économique considérable pour de nombreuses régions rurales, et pour l'économie en général, peut jouer un rôle essentiel dans la protection de l'environnement en maintenant un bon équilibre entre les espèces, en empêchant la prolifération excessive de certaines, laquelle peut entraîner des dégâts dans la végétation des zones sensibles, par exemple.
Ce que nous souhaitons, c'est apaiser les tensions et promouvoir l'exercice de la chasse dans des conditions harmonieuses, et ce dans un cadre juridique stable. C'est ce cadre juridique qui évitera tout dérapage et qui permettra à la chasse de trouver sa nouvelle place dans notre société et d'être reconnue comme une activité indispensable à la protection de l'environnement.
La réduction des frictions est d'autant plus nécessaire que les institutions communautaires ont une conception de la chasse ou de l'écologie qui s'écarte parfois sensiblement des conceptions françaises traditionnelles.
C'est pourquoi il faut - d'autres que moi l'ont dit - engager avec nos partenaires européens une réforme du droit communautaire de la chasse. Mais la position ouvertement hostile à la chasse et pour le moins désinvolte dans la gestion des crises du Gouvernement met la France dans une position délicate et affaiblit la voix de ses institutions cynégétiques, permettant à leurs éléments les plus extrémistes de crier parfois trop fort leur colère. Il faut prendre garde à ce que cette colère ne déborde pas de nos campagnes et - je le disais au cours d'un autre débat - il faut rendre à la chasse, tradition séculaire, le rang qui doit être le sien, dans la sérénité et dans l'honneur : lien entre les générations, facteur de cohésion sociale, loisir de gens souvent modestes, facteur de gestion du gibier, de protection des espaces naturels, des zones humides et des habitats de gibier d'eau.
Madame la ministre, mon propos ne vous aura sans doute rien appris de nouveau. Si j'y ai mis tant de conviction, c'est par respect du suffrage universel qui nous a élus et qui s'est exprimé récemment encore pour nous demander d'être son porte-parole.
Je souhaite que de ce débat naisse une réglementation harmonieuse. J'espère que nous pourrons ici, en gens responsables, dans le respect des uns et des autres, trouver des solutions aux problèmes - je le sais parfois difficiles - qui nous sont posés. Mais ce sera tout notre honneur d'y parvenir. Encore faut-il que nous puissions et que nous sachions nous comprendre. C'est ce que je souhaite, et je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'à la préhistoire pour expliquer et justifier la chasse. Il convient cependant de rappeler que c'est une activité qui fait partie de notre héritage culturel, qu'elle fut une conquête de la Révolution française et qu'elle reste aujourd'hui un facteur important de cohésion sociale et un des loisirs les plus populaires dans le monde rural.
Le chasseur contemporain n'a pas à rougir de son activité, qui est à la fois une passion, un sport et un loisir de plein air dûment codifié, prévu par la loi et encadré par des règlements. Il faut rappeler aussi que le milieu rural où s'exerce la chasse est celui des cultures, de l'élevage, de la forêt et des eaux où la vie et la mort se côtoient.
Ces rappels me semblent utiles à une époque où l'habitant des villes considère la nature comme un lieu de ressourcement, oubliant que les animaux y combattent pour survivre ou encore que les aléas climatiques, comme les chutes de neige, les avalanches, les inondations, les feux de forêt, le froid d'hiver, peuvent provoquer des drames.
Je n'oublie pas pour autant que les chasseurs et les pêcheurs ne sont pas les seuls utilisateurs de la nature pour leurs loisirs. Ce qui les distingue des autres - et n'en déplaise à certains intégristes de l'écologie qui les caricaturent et vilipendent la chasse sans la comprendre - c'est que les chasseurs sont les premiers gestionnaires du gibier, des espaces naturels, des zones humides et des habitats des oiseaux d'eau. Car ils ont bien compris qu'il est de leur intérêt, s'ils veulent s'adonner à leur loisir, de protéger les espèces qu'ils chassent ainsi que de veiller à l'intégrité des biotopes et à la conservation de leur environnement.
A la lecture de la première version du texte que nous examinons aujourd'hui, j'ai eu le sentiment que les rédacteurs ne connaissaient pas grand-chose au monde de la chasse. Non seulement la chasse obéit à des plans stricts de prélèvements des espèces chassables, mais elle contribue également à prévenir et à réduire les dommages importants que certains grands animaux peuvent causer aux activités agricoles, à réguler des surpopulations pouvant compromettre l'équilibre d'un écosystème, ou encore à indemniser les dégâts occasionnés par les grands gibiers, charge - je tiens à vous le rappeler, mes chers collègues - que les chasseurs supportent seuls, sans aucun concours fiscal.
Ces mêmes rédacteurs ignorent tout du comportement d'un chasseur hors période de chasse. Madame la ministre, savez-vous qu'un bon chasseur passe beaucoup plus de temps sur son territoire non seulement pour le surveiller, mais également pour observer la faune qui s'y trouve, pour dénombrer le gibier avant et après reproduction, pour évaluer chaque année le prélèvement possible, pour aménager les lieux afin de maintenir, laisser se reproduire et se développer les animaux, pour limiter la prédation, qu'à chasser ? En un mot, il faut donner au gibier la nourriture, l'abri et la quiétude sans lesquels il ne saurait prospérer. La gestion et la protection des habitats sont donc primordiales pour les chasseurs.
Evoquer la chasse et réglementer son activité sans la replacer dans son contexte rural serait ignorer les menaces qui pèsent sur elle. Car la principale menace ne vient pas uniquement des idées fausses savamment entretenues par les détracteurs de la chasse, par ces professionnels de l'utilisation des médias qui considèrent que la chasse est une hérésie et n'a plus lieu d'exister. La menace vient aussi de la vie moderne, du développement, de la concentration urbaine et surtout du bouleversement du monde agricole, un ou deux orateurs l'ont rappelé.
Le nombre des agriculteurs diminue et, bien malgré eux, la part de l'agriculture dans l'économie générale de la nation se réduit. Les actifs agricoles, qui étaient encore près de 2,8 millions en 1970, dépassent à peine le million en 2000. Par ailleurs, c'est dans les communes de moins de 5 000 habitants que vivent 80 % des chasseurs. Si l'agriculture continue à perdre de son poids économique, la chasse perdra de son audience et de son autonomie. La vie du territoire rural et donc son entretien s'en ressentent déjà. Les friches et les jachères jouent un rôle de plus en plus déterminant dans le paysage. Il en va heureusement différemment de la forêt entretenue.
La forêt française, de l'ordre de 11 millions d'hectares à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, atteint aujourd'hui 14 millions d'hectares. Le taux de boisement est passé en France de 20 % en 1950 à 26 % en 2000. Cette croissance, associée à la loi de 1963 sur le plan de chasse du grand gibier, a eu un effet très bénéfique sur les populations de grands animaux, qui n'ont jamais été aussi nombreuses et si bien réparties sur l'ensemble du territoire national.
En trois décennies, le plan de chasse des cervidés a doublé, tandis que celui des chevreuils était multiplié par quatre. Parallèlement, les populations de sangliers connaissaient la même croissance que celle des chevreuils. Cette gestion des animaux, qui concerne aussi les implantations nouvelles - chamois, mouflons, bouquetins - est maintenant étendue au petit gibier. Elle est la preuve que les chasseurs sont en train de gagner le pari de l'administration des espèces. Il leur reste à gagner celui de la gestion des espaces.
La chasse est aussi une activité économique non négligeable, madame la ministre, qu'il serait coupable de condamner, comme s'efforcent de le faire les écologistes anti-chasse les plus virulents. Un gouvernement qui laisserait ces derniers remporter leur combat porterait la responsabilité de condamner de nombreuses régions françaises et de nombreux secteurs économiques.
Le poids financier de la chasse n'a, bien sûr, rien à voir avec la vente du gibier, qui est une activité tout à fait marginale ; c'est surtout celui des services utilisés par les chasseurs et de leur équipement. Les taxes, assurances et cotisations obligatoires, qui permettent de payer les gardes de l'ONC, les agents techniques des fédérations et autres emplois administratifs, sont évaluées à près de 1,5 milliard de francs. Les dépenses de location de territoires de chasse et de gardes particuliers sont évaluées à 2 milliards de francs. Les armes, munitions et équipements de chasseurs représentent un chiffre d'affaires de plus de 2,5 milliards de francs. Le chiffre d'affaires de la cynophilie - achats de chiens, soins, nourriture - dépasse 4,5 milliards de francs. Quant aux dépenses de déplacements et d'hébergement des chasseurs, elles sont évaluées à 3,5 milliards de francs. Les autres dépenses de formation, information, presse, tourisme, taxidermie avoisineraient 0,5 milliard de francs.
Parallèlement à ces dépenses, ce sont près de 23 000 emplois permanents qui sont très directement au service des 1 600 000 chasseurs français. Cela mérite qu'on y réfléchisse avant de condamner totalement la chasse !
Tous ces éléments, madame la ministre, devraient vous faire prendre conscience que ces attaques répétées contre les chasseurs qui défendent leur pratique sont aussi des attaques maladroites contre des millions de Français qui ont le sentiment qu'on s'en prend à leur culture, à leurs valeurs et à leurs traditions.
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Ladislas Poniatowski. Madame la ministre, votre projet de loi, présenté dans le contexte de contentieux que nous connaissons tous, profondément modifié à l'Assemblée nationale, répond à un certain nombre d'attentes, mais laisse un grand nombre d'insatisfaits et de déçus. J'avoue qu'après la publication du rapport Patriat, j'attendais une loi plus ambitieuse, de nature à « redonner à la chasse un statut et une image aujourd'hui brouillés par les clivages idéologiques », comme le précise ce rapport Patriat.
Le projet de loi que nous examinons comporte des avancées. La reconnaissance de l'acte de chasser, la définition des missions de police et des missions scientifiques de l'ONC, la consolidation de la représentativité des fédérations départementales et nationales des chasseurs, le droit de non-chasse, le droit de chasser à la passée, constituent certainement des éléments positifs et répondent partiellement aux problèmes que nous rencontrons. Il reste malheureusement de nombreux points noirs inacceptables pour les chasseurs. Je n'en évoquerai que cinq.
Le problème de la fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs n'est pas tranché dans votre projet de loi. Vous vous contentez de renvoyer la solution à un décret dont l'avant-projet est inacceptable. Vous maintenez ainsi les tensions et les contentieux sur le terrain. Les actes de violence qui se sont produits dans la Somme sont inadmissibles et condamnables ; mais, peut-être parce qu'ils desservent profondément l'image des chasseurs, je vous soupçonne de vous en réjouir un peu. (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Ça ne va pas, non ?
M. Ladislas Poniatowski. Ils desservent la chasse et les chasseurs, c'est pour cette raison que je dis cela.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Réfléchissez bien avant de dire des choses pareilles, monsieur le sénateur. C'est très grave !
M. Ladislas Poniatowski. Je vous dis que c'est un soupçon que j'éprouve vraiment.
En tout cas, c'est dans la loi qu'il faut inscrire ces dates, afin de supprimer tous les contentieux portés devant la juridiction nationale.
L'étalement des dates proposé par la loi du 3 juillet 1998, par département et par espèce, que le Sénat avait adoptée à l'unanimité, avait le mérite de respecter les objectifs fixés par la directive européenne de 1979, qui, de plus, laissait aux Etats membres le choix de la méthode pour déterminer les dates de la période de chasse.
Il faut conserver les termes de ce texte, qui était inspiré par une évaluation scientifique des espèces.
Vos propositions sur la chasse de nuit n'étaient pas davantage admissibles. Les députés y ont remédié partiellement en inscrivant dans la loi vingt départements où elle est admise. C'est insuffisant : il faut étendre cette liste aux onze autres départements où cette chasse traditionnelle est actuellement pratiquée.
En outre, il n'y a aucune raison de « geler » la mise en place des installations grâce auxquelles elle pourra être pratiquée : je rappelle que le Conseil d'Etat ne l'a jamais exigé et qu'aucune directive européenne n'interdit la chasse de nuit, qui est d'ailleurs pratiquée dans six autres Etats membres de l'Union européenne.
Quant à l'instauration d'un jour symbolique de non-chasse - le mercredi - c'est une mesure arbitraire et abusive qui peut poser des problèmes constitutionnels et représente une atteinte au droit de propriété. C'est non pas à la loi, mais aux fédérations de chasseurs que doit revenir le soin de fixer, si elles le souhaitent, un ou plusieurs jours de non-chasse. D'ailleurs, elles le font déjà, comme l'ont rappelé un certain nombre d'entre nous, puisque, dans soixante-dix départements français, les chasseurs, notamment pour des raisons de préservation cynégétique, ont déjà établi un ou plusieurs jours de non-chasse.
Votre approche de la réforme de la loi Verdeille, pour la rendre conforme à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme en instaurant le droit de non-chasse, est une bonne chose. Mais il semble logique que les droits dont jouit le propriétaire qui, par conviction personnelle, refuse l'exercice de la chasse sur sa propriété, s'accompagnent de devoirs, notamment pour les éventuels dégâts causés par le gibier ou les prédateurs issus de son territoire.
Enfin, pour ce qui est des fédérations de chasseurs, il est indispensable de leur conférer un véritable statut associatif en leur donnant une plus grande autonomie pour gérer les activités cynégétiques, à l'instar des fédérations de pêcheurs, et surtout de les libérer de la tutelle administrative et budgétaire, qui ne doit pouvoir s'exercer qu' a posteriori.
Les propositions que je présenterai au nom du groupe des Républicains et Indépendants compléteront les excellentes propositions du rapporteur, Mme Anne Heinis. Elles ont toutes pour objet de défendre la conception de la chasse que je viens de vous présenter, les traditions et la France rurale, ainsi que de remédier aux éléments de ce texte que nous considérons comme insuffisants ou inacceptables. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, je ne connais peut-être pas suffisamment les usages en vigueur dans cette assemblée et il n'est peut-être pas usuel qu'un ministre demande la parole pendant la discussion générale...
M. Henri de Raincourt. Tout ministre peut prendre la parole quand il le souhaite.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... mais je tiens ici à dire que je n'entends pas être la victime d'insinuations malsaines et déplacées, d'autant, monsieur Poniatowski, que j'ai été la victime de ces violences et non l'instigatrice, la personne qui, sournoisement, les aurait souhaitées.
M. le président. Madame la ministre, le Gouvernement peut intervenir à tout moment, quand il le souhaite, même pour interrompre un orateur.
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour présenter mes excuses à Mme la ministre.
M. le président. Compte tenu du motif invoqué, je vous donne bien volontiers la parole.
M. Ladislas Poniatowski. Je condamne ce qui s'est passé dans la Somme, d'autant plus que cela dessert les chasseurs et que cela rend service aux non-chasseurs. Je voulais simplement dire que ceux qui sont contre la chasse se réjouissent de ce qui s'est passé, malheureusement.
Si je vous ai blessée en prononçant ces paroles, je vous prie très sincèrement de bien vouloir m'en excuser.
M. le président. Je vous remercie, monsieur Poniatowski, pour l'élégance de ce geste.
M. Henri de Raincourt. C'est la courtoisie des chasseurs !
M. Roland du Luart. C'est digne de saint Hubert !
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés à ce nécessaire débat sur l'exercice de la chasse dans notre pays.
S'il est certain que la passion n'en sera point écartée - nous venons de le vivre - peut-être la raison et la bonne foi pourront-elles être au rendez-vous. C'est en tous les cas mon souhait. Il me semble d'ailleurs que tel a été le cas pour le rapport de M. François Patriat, pour l'excellent travail de notre rapporteur, Mme Anne Heinis, dont je voudrais souligner à la fois la profonde connaissance de la chasse et l'ouverture à tous, chasseurs et non-chasseurs, y compris aux représentants du ROC, le rassemblement des opposants à la chasse. J'insiste également sur l'atmosphère positive qui a régné lors de l'examen en commission.
Je sais, madame la ministre, que la chasse est un sujet qui ne provoque pas chez vous l'enthousiasme. Mais être le ministre de la chasse, de la pêche, des chasseurs et des pêcheurs, c'est aussi votre attribution ! Je sais que vous voulez l'assumer.
Cette relation à la fois passionnelle et raisonnable que les véritables chasseurs et les véritables pêcheurs - ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne l'imagine en général - ont avec la nature, vous devez essayer de la comprendre. La chasse, ce n'est pas qu'une régulation empirique, analysée aujourd'hui scientifiquement, des fruits vivants de la nature dans le cadre d'un équilibre entre agriculture, pisciculture, forêt et animaux qui vivent sur ou dans des territoires que ces activités occupent ; la chasse, la pêche, c'est un rapport affectif et contradictoire, à la fois amoureux et de capture, avec le gibier ou le poisson, c'est un art fait de transmissions, de savoirs, de sensations...
Celui qui n'a jamais partagé l'arrêt d'un épagneul ou d'un drahthaar devant une compagnie de perdreaux ou une bécasse, celui qui n'a jamais entendu le bruit des ailes au moment où la « belle mordorée » décolle, ne peut pas vraiment comprendre, ce qui amène d'ailleurs quelques chasseurs passionnés ayant le sentiment d'être rejetés à se radicaliser à l'extrême ou à faire un choix politique fondé sur cette seule passion. Celui qui n'a jamais partagé une soirée à attendre l'hypothétique passage de canards avec des ciels incroyables ne peut vraiment comprendre cette alchimie faite d'amour de la nature et de désir de capture, de vie et de mort.
Cher monsieur Le Cam, l'argent n'a rien à voir avec cette sensation-là.
Au sujet du loup et de l'ours... (Exclamations diverses.)
M. Paul Blanc. Attention !
M. Gérard Larcher. ... j'avoue avoir un rêve mythique favorable à leur retour - lié sans doute à mes lectures d'enfant et aux célèbres récits du docteur Courtois - y compris, à terme, comme gibiers soumis à régulation. Mais est-ce possible et conciliable avec l'indispensable maintien du pastoralisme dans notre société d'aujourd'hui ?
M. Louis Althapé. Très bien !
M. Gérard Larcher. Les études se divisent sur cette question ; je m'en tiendrai donc aux conclusions de notre rapporteur.
La chasse, les chiens et les gibiers ! Voilà une « vibration » tellement humaine que c'est le quatrième sujet le plus peint dans l'histoire de l'art, après les dieux et les saints, les batailles et la femme.
Telle est la dimension affective de la chasse.
En fait, les chasseurs, comme les pêcheurs, ont eu peu de chance depuis vingt-cinq ans. A part Huguette Bouhardeau, qui partait pourtant avec handicap - pardonnez-moi cette métaphore hippique, due à mes origines vétérinaires (Sourires) - et Michel Barnier, aucun ministre de l'environnement ne les a vraiment écoutés.
Madame la ministre, j'ai envie de vous demander, par-delà les passions « pour » et « contre » - et, pour ma part, je respecte totalement ceux qui se sentent étrangers à ce sport et à cet art - de les écouter. Essayons aussi de nous écouter. Oui, essayons, ensemble, de bâtir un texte qui, enfin, signe les contours de la chasse de demain, de son organisation, du rôle et de la place qu'elle doit jouer pour cet indispensable lien entre monde rural et monde urbain.
La chasse, c'est aussi la ruralité, mais elle ne doit pas être qu'une ruralité nostalgique ; elle doit aussi être une référence d'accueil pour les valeurs de la société urbaine de demain.
Je voudrais évoquer quatre questions qui sont au coeur du projet et qui, pour certaines, ont été le détonateur.
Il s'agit bien entendu des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs ; il s'agit de l'organisation de la chasse - fédérations, Office national de la chasse, schéma de gestion cynégétique, associations communales de chasse agréés, les ACCA ; il s'agit - on en a déjà beaucoup parlé - du fameux jour de « non-chasse » ; il s'agit enfin - on en a peu parlé - du permis de chasser et de la chasse accompagnée.
Concernant les dates d'ouverture et de fermeture - c'est le fameux article 10 - le dispositif proposé par notre rapporteur me paraît répondre à la nécessité d'y voir clair, d'éviter d'incessants recours contre l'autorité administrative et contre les décrets - annoncés la veille de nos débats ! - et de répondre en même temps aux « objectifs » de la directive 79-409, qui aurait bien besoin d'être revue.
Si nous avions confiance, la formule évoquée par notre collègue Jean-Marc Pastor ce matin serait, elle aussi, envisageable. Certes, aux termes de notre proposition, pour cinq espèces - toutes d'ailleurs en bon état de conservation - sur les cinquante pour lesquelles nous proposons la fermeture à des dates fixées par la loi, les dates peuvent osciller de quelques jours autour de celles que la Commission propose, et il convient de respecter le « fond » de la directive : on ne tire pas d'oiseaux en trajet réel - je dis bien réel - de retour vers la nidification.
C'est pourquoi je vous proposerai une clause de sauvegarde, en cas de circonstances exceptionnelles, qui devrait permettre, au niveau de la région, au représentant de l'Etat de suspendre de manière motivée la chasse de telle ou telle espèce.
M. Jean-Claude Carrère. Tout à fait d'accord !
M. Gérard Larcher. Je souhaite aussi qu'on prenne en compte - point qui n'a pas encore été évoqué depuis ce matin - le fait que la directive n'évoque aucune date butoir. Ces dates sont le fait d'un rapport dit « rapport Van Putten », qui conseillait la date du 31 janvier comme date de fermeture et sur lequel se sont appuyés, directement, la Cour de justice européenne et, indirectement, le Conseil d'Etat français. Aujourd'hui, ce rapport ne fait plus référence ; il a été jugé contestable par la commission spécialisée du Parlement européen.
M. Roland du Luart. C'est toute la différence !
M. Gérard Larcher. Sur ce dossier, il convient, madame la ministre, que vous expliquiez notre situation à Bruxelles et notre analyse, tout simplement, en application de l'article 7 de la directive.
M. Roland du Luart. Oui, c'est ce que l'on attend de vous !
M. Gérard Larcher. Concernant les fédérations, la représentation des chasseurs, l'aide à la gestion des territoires, le permis de chasser et la gestion des dégâts de gibiers sont des missions essentielles. Elles doivent sortir confortées de ce débat.
Avec mon expérience de quinze ans d'administrateur de fédération, dont huit ans de président de la plus importante fédération chassant en milieu strictement péri-urbain, je souhaiterais dire que les rapports critiques des uns ou des autres, y compris de la Cour des comptes, ne doivent pas masquer l'essentiel de l'apport de chacune des fédérations départementales depuis trente ans.
Le plan de chasse réussi, et donc le chevreuil présent partout, les cervidés en progression ce sont les fédérations !
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Gérard Larcher. Le sauvetage de la perdrix dans certaines régions, l'augmentation de la densité de lièvres au travers de la maîtrise d'un plan d'attribution, la première évocation, avant tout le monde, de la nécessité de maîtriser les intrants en agriculture, intitulée « Choisissez et dosez »... ce sont les fédérations !
Les opérations « Sainte-Catherine », la replantation de haies, de boqueteaux, la préservation de nombre d'habitats... ce sont les fédérations, ne l'oublions pas !
Concernant l'Office national de la chasse, pour avoir beaucoup travaillé avec lui, je peux vous dire que ses travaux, ses observations et ses recherches sont, dans le domaine du gibier et de la faune sauvage, particulièrement reconnus, y compris par le fameux Game Conservancy Trust britannique. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.)
M. Roland du Luart. Very good accent !
M. Gérard Larcher. Il restera à l'office à organiser sa garderie nationale, aujourd'hui proposée définitivement distincte des fédérations, pour qu'elle reste proche du terrain, en contact avec les utilisateurs de la nature et avec la préoccupation des espèces gibiers. Pour favoriser ses missions, notamment l'appel à ses compétences, en particulier par contrat, clarifier son positionnement et lui donner de la souplesse, je vous proposerai de réfléchir à sa transformation en EPIC, à l'instar de l'ONF, ce qui ne gênerait en rien le statut de ses personnels, bien au contraire.
Quant à l'idée de la chasse accompagnée, pour l'avoir proposée depuis plus de dix ans, je la trouve naturellement géniale ! L'expérience de la conduite accompagnée dans le domaine de l'automobile nous montre l'importance d'apprendre tôt la réglementation, la sécurité et la biologie des espèces.
Sur la sécurité, je comprends et partage toutes les exigences, mais elle est bien autre chose que l'argument conduisant à la journée de « non-chasse ».
Concernant cette fameuse journée de « non-chasse », examinons la réalité : plus de 70 % des fédérations, depuis vingt ans pour certaines, ont limité le nombre de jours de chasse par semaine. Celles qui ne l'ont pas fait n'en ressentaient pas le besoin, du fait de l'extrême organisation de la chasse dans leur département. C'est notamment le cas des départements de la partie nord de la France.
Alors, je vous le dis : je suis hostile à cette « journée-concession »...
M. Gérard César. Très bien !
M. Gérard Larcher. ... instaurée pour « faire gentil » vis-à-vis des non-chasseurs.
Le partage d'usage de la nature, qui est un vrai sujet...
M. Henri de Raincourt. Un sujet essentiel !
M. Gérard Larcher. ... que nous devons aborder sur le fond...
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Gérard Larcher. ... entre urbains et ruraux, chasseurs et non-chasseurs, mérite mieux que cette mesure d'apparence.
Je pense que le préfet pourra utilement, en liaison avec la fédération, décider d'une éventuelle journée « sans chasse à tir » du gibier sédentaire, en fonction des circonstances locales. Vous savez, en forêt domaniale de Rambouillet, depuis vingt ans, on ne chasse ni le mercredi ni le dimanche, et cela sans jamais avoir eu besoin de légiférer !
En conclusion, je souhaite que place soit laissée à la raison dans ce débat, et la raison c'est que la chasse a aussi besoin d'un lien tutélaire avec le ministère qui a en charge le milieu où se développent les espèces gibiers, à savoir le ministère de l'agriculture.
C'est pourquoi j'appuie sans réserve la proposition de double tutelle : votre ministère, que je ne conteste pas, et celui de l'agriculture. Les espèces gibiers ne peuvent être considérées hors de leurs milieux : la racine du mot « écologie », c'est bien la matière vivante dans un milieu !
Qui a eu raison de la perdrix en moyenne et basse montagne, si ce n'est la disparition de la culture des céréales ?
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Gérard Larcher. Qui a diminué les zones de nidification et d'abris, si ce n'est le remembrement à grande échelle ?
Qui favorise ou défavorise les cervidés, si ce n'est la gestion du taillis et de la forêt ?
En finir avec les cloisonnements, y compris entre ministères, les incompréhensions, les agressions mutuelles, tel pourrait être l'objectif de ce débat, car, vous le savez, qu'il s'agisse des espèces gibiers ou des espèces qui ne sont plus classées gibiers, notre passion est la même.
J'ai vécu la tentative de retour de l'outarde canepetière en région d'Ile-de-France, par cloisonnement par damiers des petits champs, ici de trèfles, ici de luzerne. Nous souhaiterions vivement que l'outarde revienne en nombre suffisant pour qu'un jour nous la régulions par la chasse. Car notre objectif est finalement que le milieu naturel soit suffisamment accueillant pour que les espèces gibiers puissent s'y développer et que, tous ensemble, ceux qui sont attachés à cet art ou ceux qui veulent tout simplement observer, nous puissions partager le bonheur de voir vibrer ces espèces sur un territoire qui soit vivant. C'est aussi cela, la ruralité vivante, et la chasse en est l'une des composantes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après mon ami Gérard Le Cam, je voudrais dire tout l'intérêt que le groupe communiste républicain et citoyen porte à ce que soit adoptée rapidement une loi sur la chasse qui ramène la sérénité dans notre société, libérant cette dernière d'un affrontement permanent et inquiétant entre les chasseurs et les anti-chasse.
Certes, nous ne sommes pas dupes : pour des raisons politiciennes, de défense de fonds de commerce politique, certains trouvent intérêt à entretenir un climat... osons dire le mot, de haine. Mais nous ne confondons pas tout le monde.
Le besoin est fort d'une chasse durable, qui vive en accord avec la société, avec tous nos concitoyens.
Madame la ministre, je voudrais plus particulièrement réserver mon intervention à la chasse au gibier d'eau, aux oiseaux migrateurs, chasse populaire s'il en est. Le projet de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale comporte des avancées qui sont loin d'être négligeables : la légalisation de la chasse de nuit et de la passée, en particulier.
A mon avis - avis partagé, me semble-t-il, pour l'ensemble de mes collègues -, trois grandes questions demeurent préoccupantes et posent problème : les dates d'ouverture et de fermeture, bien évidemment, l'extension de la chasse de nuit aux départements dans lesquels elle est traditionnelle et le jour de non-chasse.
En ce qui concerne les dates d'ouverture et de fermeture, force est de constater que la directive 79-409 n'a pas résolu les problèmes, loin s'en faut ; bien au contraire, elle génère des contentieux nombreux et interminables. Nous pensons donc qu'elle doit être renégociée, modifiée, pour permettre aux Etats de fixer des dates d'ouverture et de fermeture conformes à l'esprit initial visant à conserver un bon état des populations d'oiseaux.
En ce qui nous concerne, depuis des années, le calendrier de dates d'ouverture est établi par le Conseil national de la chasse, à partir de la précocité ou de la tardiveté de la reproduction. Ainsi, les principales espèces de canards constituant la base de la chasse au gibier d'eau ont des effectifs stables, ce qui serait à porter plutôt au crédit d'une chasse intelligente de ce patrimoine par les chasseurs.
Etablir un calendrier national des dates d'ouverture par voie législative est donc possible et nécessaire, en tenant compte de la biologie de reproduction des espèces et de leur statut de conservation, qui permettent une gestion durable.
Les dates retenues par la législation de 1994 sont donc globalement en cohérence avec ces principes et, en outre, n'ont pas donné lieu à litige particulier. C'est le moyen d'éviter la permanence des conflits.
Concernant les dates de fermeture, les indications des rapports scientifiques conduisent à penser que les oiseaux migrateurs ne sont pas encore en période de reproduction active en février, voire en mars.
On peut donc en conclure qu'une fermeture de la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs le dernier dimanche de février est conforme au principe de protection énoncé par la Cour de justice des Communautés européennes.
Il est évident que la chasse aux oiseaux migrateurs, comme leur protection, doit se gérer raisonnablement, aussi bien lors de leur migration de descente vers les lieux d'hivernage que lors de leur migration vers leurs lieux de nidification.
En ce qui concerne la légalisation de la chasse de nuit, nous proposons qu'elle soit étendue à huit département supplémentaires.
En effet, le fait que la chasse à la passée soit légalisée permet de n'en retenir que vingt-huit sur les quarante-deux où la chasse de nuit est traditionnelle, et ce, d'ailleurs, à la demande des chasseurs eux-mêmes, ce qui montre bien leur démarche raisonnable.
Nous proposons donc d'ajouter le département de l'Ille-et-Vilaine - cela permettra à tous les chasseurs de la baie du Mont-Saint-Michel de pratiquer, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre de la baie - les départements des Côtes-d'Armor, cher à mon ami Le Cam, du Finistère, de Vendée, des Hautes-Pyrénées, de la Haute-Garonne, de la Meuse et des Ardennes, départements qui correspondent, de par les installations existantes, aux critères de la tradition.
Voilà qui m'apparaît équitable et raisonnable et qui va dans le sens de l'apaisement.
Faut-il réserver le principe de la chasse de nuit aux installations existant au 1er janvier 2000 ? Nous n'en sommes pas convaincus. Cette mesure ne risque-t-elle pas d'avoir une influence spéculative défavorable au droit à l'exercice de la chasse populaire ?
Ne peut-on, au contraire, permettre qu'au plan local, en concertation avec tous ceux qui sont concernés - élus locaux, fédérations ou associations de chasse, autorités préfectorales - soient établies des règles qui concourent tant au respect de l'environnement, à l'intégration dans le milieu qu'à la sécurité et au confort pour les chasseurs ? Nous sommes, quant à nous, plutôt favorables à cette solution.
Enfin, je voudrais aborder la question du jour de non-chasse.
Les arguments utilisés en faveur de cette disposition, qui deviendrait législative, ne semblent vraiment pas convenir à la chasse au gibier d'eau, aux migrateurs ou à la chasse de nuit. En effet, peut-on prétendre que, la nuit, sont mis en cause la sécurité publique et le partage harmonieux de la nature ?
Par ailleurs, cette disposition, qui, semble-t-il, mettrait en cause le droit de propriété en ce sens qu'elle dispose que les milieux naturels sont tous accessibles au public sauf les enclos, est reçu par les chasseurs comme une vexation, comme une accusation d'incapacité à organiser eux-mêmes la bonne harmonie du partage en toute sécurité du territoire et à gérer au mieux les ressources cynégétiques, ce qu'ils s'efforcent pourtant de faire déjà.
En conséquence, nous pensons qu'il serait bon de ne pas légiférer sur cette question. Il ne semble pas utile en effet, avec cette disposition, de faire obstacle à la sérénité.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, nous allons participer à ce débat avec la volonté d'aboutir à un texte qui aura le mérite de reconnaître l'acte de chasse, trop souvent mis en cause de-ci, de-là, et ce dans le respect de nos traditions, de nos us et coutumes, mais aussi dans la respect de la nature.
Les chasseurs, la ruralité ont besoin d'un tel texte. Notre débat démocratique national aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes. - Mme le rapporteur et M. Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne dans cette assemblée ne comprendrait, je crois, que la Somme ne soit effectivement présente dans cette discussion générale. Aussi, au-delà d'événements vécus sur le terrain, événements dont la violence, certes inadmissible, a, dans le même temps, montré l'exaspération des chasseurs, je voudrais expliquer la situation tant il est vrai que les faits sociaux, les traditions séculaires et ancestrales, les cultures locales sont des réalités à prendre en compte dans la réflexion.
Aux élections européennes de juin 1999, le département de la Somme a battu certains records : la liste Chasse, pêche, nature et traditions est arrivée en tête dans 631 communes sur 783 et a obtenu plus de 27 % des voix, résultat surprenant pour qui ne connaît pas la Somme. Vieille terre rassemblée dans le bassin du fleuve qui lui a donné son nom, la Somme est placée sous le signe de l'eau, depuis les étangs de la haute Somme jusqu'à la baie de Somme.
A cause de cette situation, de par son relief, son climat, son hydrographie, ce terroir est favorable aux gibiers les plus variés, le plus caractéristique étant le gibier d'eau. La chasse à ce gibier d'eau est une chasse populaire, dure, dangereuse même, parfois. Elle se pratique au hutteau en baie de Somme, ou à la hutte le long du fleuve et en baie, avec des installations diverses : hutte à paille appelée gabion, subissant l'inondation lors des fortes marées, huttes flottantes fortement amarrées ou autres.
Quoi d'étonnant, dans ces conditions, à ce que la Somme attende avec impatience la législation de la chasse de nuit aux huttes, tonnes et gabions, sans oublier les hutteaux ?
Sur les 28 000 chasseurs du département, plus de 13 000 sont des sauvaginiers, et il y a plus de 2 500 huttes. Le tableau moyen pour une nuit propice est de deux à trois pièces, la bredouille étant loin d'être rare.
Le prélèvement effectué est donc relativement faible si on le compare aux destructions « naturelles » dues aux troubles atmosphériques, aux couvées et nichées dévorées par les prédateurs et aux destructions artificielles : pollutions, remembrement, diminution des zones humides, biotope essentiel, etc. Il est par ailleurs reconnu que le chasseur n'est pas le plus grand ennemi du gibier.
Je cite la Commission européenne : « La chasse au gibier d'eau dans les marais européens représente une activité de loisir populaire et une importante source de revenus pour les propriétaires de ces étendues. A juste titre, les associations cynégétiques sont en train de devenir des moteurs importants de la conservation des sites marécageux. »
La chasse est effectivement, pour les collectivités locales, source de richesses économiques, et les chasseurs sont des acteurs indispensables de la gestion de l'espace rural : préservation des zones humides, utilisation cynégétique des jachères, régulation des espèces nuisibles.
Dans ce contexte, la ligne directrice du projet de loi consiste donc à donner à la chasse la légitimité qui lui fait aujourd'hui défaut, notamment à légaliser la chasse de nuit dans les vingt-huit départements où elle est traditionnelle, comme dans la Somme.
Dans le temps qui m'est imparti, je ne pourrai aborder tous les aspects du projet de loi ; j'insisterai donc particulièrement sur deux points : le rôle des fédérations et les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau.
Les fédérations sont nées de la volonté du législateur et des chasseurs d'assurer une cohérence structurelle et territoriale à la chasse et de rationaliser la ressource naturelle qu'est le gibier. Elles demeurent garantes de la vitalité associative de la chasse française et d'une meilleure gestion en réseau des espaces et des espèces.
La loi doit réaffirmer leur place éminente et leur confier la responsabilité de la chasse dans une perspective de développement durable : la légitimité qui leur serait rendue favoriserait une autogestion de la chasse et la résolution des problèmes, notamment des problèmes liés à la chasse aux gibiers d'eau.
Pourquoi, par exemple, légiférer sur un jour de non-chasse, mesure probablement inconstitutionnelle, attentatoire au droit de propriété, alors que les fédérations organisent déjà des jours de non-chasse pour des raisons cynégétiques. Laissez donc cette responsabilité aux fédérations, qui décideront en fonction des réalités locales et cynégétiques !
Venons-en aux dates d'ouverture et de fermeture.
Les Etats de l'Union européenne ont adopté la directive 79-409 du 2 avril 1979 disposant que les Etats doivent veiller à ce que les espèces ne soient pas chassées pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance.
Au cours de vingt années d'application, cette directive n'a fait que susciter des insatisfactions.
En effet, la migration des oiseaux est un phénomène complexe : l'avancée ou le retard d'une saison influence les rythmes, les migrateurs ne sont pas toujours présents dans les pays de transit aux mêmes périodes. Aussi, la gestion des oiseaux migrateurs, pour contribuer à leur conservation, doit-elle rester souple et pragmatique, d'autant que le phénomène de la migration couvre plus de soixante-dix pays européns et africains et dépasse les limites de l'Union européenne.
Le problème aurait pu être réglé par la commission d'experts présidée par le professeur Lefeuvre du Muséum d'histoire naturelle. Malheureusement, les chasseurs en général, les chasseurs de gibier d'eau en particulieur, qui ont été non pas associés aux travaux mais simplement auditionnés, considèrent les résultats partiels et partiaux.
Vous nous avez dit, madame la ministre, que la seule stratégie possible consistait en dérogations, dérogations que vous pourriez accepter si elles étaient acceptées par les associations de protection de la nature !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Non, par les scientifiques !
M. Fernand Demilly. C'est pourtant ce que vous nous avez dit en commission, madame la ministre.
Le préfet agirait par arrêté et limiterait la chasse aux oiseaux migrateurs à une période située entre le 1er septembre et le 31 janvier ; il pourrait déroger en fixant des ouvertures en août et des fermetures en février.
Cette disposition n'élimine pas les risques de contentieux dans la mesure où elle rend à l'administration sa compétence et permet aux opposants à la chasse de continuer la guérilla juridique devant les tribunaux administratifs.
Notons pourtant que la comparaison avec d'autres pays européens ne place pas la France en situation marginale. On sait que des Etats européens ouvrent la chasse avant le 1er septembre, chassent après le 31 janvier, chassent le gibier migrateur en fonction des us et coutumes ou tout simplement quand il est présent chez eux sans être inquiétés par la Cour de justice européenne et sans avoir de contentieux national. Il semblerait qu'il n'y ait qu'en France que la directive 79-409 pose de telles difficultés d'application.
Pourquoi ne pas reprendre les dispositions de la loi du 3 juillet 1998, fruit de multiples corrections apportées au texte précédent du 15 juillet 1994 ? Elles sont conformes à la directive car elles instaurent la notion de plans de gestion, seule mesure efficace permettant d'intégrer l'ensemble du dispositif communautaire et d'instituer un équilibre entre la conservation des espèces, l'encadrement de l'activité cynégétique et la prise en compte des exigences écologiques, scientifiques, culturelles et économiques. Toutefois, ces plans de gestion n'ont jamais été mis en oeuvre et n'ont donc jamais pu être appréciés par la Commission européenne.
Pourtant, le mémoire du ministère des affaires étrangères en date du 25 octobre 1999 adressé au président de la Cour de justice des Communautés européennes était un excellent argumentaire et prouvait combien le travail réalisé par les parlementaires était judicieux, cohérent et adapté. Ce qui est certain, c'est qu'un dispositif législatif fixant les périodes de chasse est indispensable : c'est une nécessité juridique, qui seule permettra de sortir du contentieux permanent dans lequel la chasse française est aujourd'hui entraînée et continuera à l'être si cette voie n'est pas choisie.
Des amendements ont été déposés à cette fin par la commission des affaires économiques - j'en profite pour saluer l'excellent travail de notre collègue Anne Heinis, rapporteur - ainsi que par le groupe « chasse » du Sénat, au travers de ses membres. C'est en fonction de l'accueil qui sera réservé à ces amendements que les membres du groupe du RDSE se prononceront sur le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Madame la ministre, je ne suis pas chasseur. En revanche, je suis une élue de l'espace rural ; je suis même une élue d'une zone de montagne et, pour y vivre, je crois connaître cet espace. Pour moi, ce n'est pas seulement un paysage, c'est un lieu de vie, et ce doit être, ou ce devrait être, un lieu de production. Mais là c'est un autre débat. Et pourtant, vous êtes aussi ministre de l'aménagement du territoire !
Autour de moi, on a toujours chassé.
Je crois qu'il fallait effectivement redéfinir cette activité, lui donner, comme vous l'avez dit, une nouvelle légitimité. Il fallait lui redonner une place, redéfinir ses missions et les règles qui l'encadrent. Le texte s'y emploie. Les évolutions sont positives.
Je pense cependant, madame la ministre, que les amendements déposés ici, de quelque groupe qu'ils émanent, témoignent de la volonté de chacun de participer à cette évolution, de telle manière que ce texte puisse vraiment devenir un projet commun, comme vous le souhaitez. Pour cela, il ne faut pas que le débat s'arrête à l'Assemblée nationale.
Ce débat sera technique - et ce débat-là ne sera certainement pas le mien -, il sera juridique, il sera peut-être idéologique et il sera nécessairement politique.
Je voudrais vous livrer mes réflexions, madame, sans provocation mais avec ma conviction.
D'abord, je tiens à rappeler, après tous ceux qui m'ont précédée à cette tribune, ce qu'est la réalité rurale : un repli des activités et des hommes ; 80 % du territoire perdu, ce qui est dommage ; une désagrégation de ses sociétés ; l'isolement et même l'exclusion des populations qui restent.
J'ai envie d'insister sur cette notion d'exclusion, qui est une forme d'injustice, dont on n'a jamais assez parlé et que l'on a trop facilement banalisée.
Je suis persuadée que vous serez sensible à cette dimension, qui guide pour une large part mon raisonnement.
Bien sûr, ces populations résiduelles ont gardé leurs traditions - plus ou moins - leur culture - plus ou moins -, en tout cas un contact quotidien et instinctif avec la terre et la nature, qu'elles connaissent bien. La chasse, oui, fait partie de leurs loisirs. C'est un droit que l'on peut leur laisser.
La ruralité : chacun s'est employé à la redéfinir ; mais nous avons tous dit que la ruralité était aussi un espace de liberté. Eh oui ! depuis la Révolution, le droit de chasse est acquis. C'était un symbole et ce fut un acte politique fort. Cela reste un symbole.
Certains moments de la vie des populations témoignent de la force de ce symbole. Hier, c'était l'affouage ou le vagabondage des troupeaux. Chez moi, on pratique toujours le vagabondage des troupeaux après les moissons. Aujourd'hui, ce sont les promenades, les balades, la cueillette des myrtilles, des mûres ou des champignons, le sport, le VTT, par exemple - lorsqu'on peut le pratiquer, c'est-à-dire quand il n'y a pas déjà un trop grand nombre d'interdits.
Les campagnes d'autrefois connaissaient régulièrement ces moments privilégiés où tout le monde pouvait se réapproprier collectivement cet espace qui, paraît-il, est à tous.
Ces symboles-là, j'y tiens.
La chasse populaire, un certain nombre d'entre nous l'ont rappelé, notamment dans sa forme associative, est un terreau pour la démocratie. On y tisse encore et toujours le lien social. Tout cela, madame, il faut le préserver.
L'autre réalité : la population urbaine et l'imaginaire de la ville. La population urbaine : une masse, donc une force. C'est vous, c'est moi, ce sont nos enfants. Une population éloignée de cet autre art de vivre traditionnel et ancien. Le « retour à la campagne », c'est récent. Une population qui croit, à juste titre ou pas, être le symbole de la modernité. Alors, beaucoup d'idées fausses et de faux procès. La nature disparaîtrait ; c'est faux ! La forêt diminuerait ; c'est faux !
La biche et l'ours sont des animaux mythiques. Mais il faut que la population des villes sache qu'un troupeau de biches tond un pâturage aussi vite que les moutons, qu'un troupeau de biches détruit une forêt aussi vite que le feu.
Les dégâts du gros gibier dans les Hautes-Pyrénées étaient chiffrés cette année à 441 000 francs.
Je crois qu'il faut aussi insister sur le thème de l'insécurité, ou de la sécurité. On a peur partout ! A la ville, c'est fondé. A la campagne, ce l'est moins, et pourtant cela vient. Le problème de la peur est récurrent. Le chasseur, bien sûr, a un fusil et des chiens : il est dangereux.
Je ne veux pas minimiser les risques, ils sont réels. L'ONC a estimé, sur trois ans, le nombre des accidents à 240 en moyenne par an, dont 40 mortels ; 86 % des chasseurs se blessent entre eux ; 14 blessés parmi les non-chasseurs. Il a dix-huit départements où l'on a pas enregistré d'accident en 1999 ; celui des Hautes-Pyrénées en fait partie.
Il faut former les chasseurs, et les dispositions du projet de loi concernant le permis de chasse ou les jeunes chasseurs me paraissent tout à fait intéressantes, fortes.
Puisqu'on a peur, il faut rassurer. En application, là aussi, sans doute, du principe de précaution, il y aura un jour de non-chasse. J'ai envie de poser la question : est-ce par principe ? Est-ce pour le symbole ? Cela n'a pas tellement de sens. En revanche, on créée à l'évidence un interdit de plus.
Alors, la chasse est-elle tout d'un coup au coeur d'une problématique, d'un nouveau débat de société ? Je ne le crois pas. En revanche, elle est sûrement au coeur d'un débat qui dépasse le problème de la chasse.
Cependant, l'espace rural ne doit pas être un enjeu, non plus que le prétexte à de nouvelles concessions, madame la ministre. J'ai envie de vous dire et de vous redire : nous avons déjà donné !
M. Raymond Courrière. Oui, trop donné !
Mme Josette Durrieu. Ne politisons pas la chasse. Politisons les problèmes, y compris celui de l'ours, par exemple.
Ecologie, oui ! Anti-chasse, non !
Gestion politique équilibrée d'un espace, oui ! Idéologie et préjugés, non ! Pas de nouvelle agression sur cet espace et ces populations !
Il faut partager l'espace et le temps : soit ! Il faut zoner : soit ! Il y aura les endroits où l'on chasse et les endroits de non-chasse.
Mais, à propos de droit de non-chasse, fût-il désormais encadré, j'ai envie de vous demander s'il était vraiment nécessaire d'aller aussi loin dans cette sacralisation du droit de propriété, dans cette exaspération d'un individualisme qui est déjà tellement fort et qui contrarie l'intérêt collectif.
Pour conclure, je dirai : partage, partenariat et apaisement. Assez de conflits, de contentieux et de blocages avec les chasseurs, avec les élus. Faut-il négocier avec Bruxelles ? Je vous pose la question, et si c'est « oui », il faut le faire.
Nous voulons des chasseurs responsables et responsabilisés. Assez de violences ! Nous les dénonçons tous ensemble.
Au ministre de l'aménagement du territoire, j'ai envie de dire et de redire : voilà un territoire que nous devons reconquérir, reconstruire et non pas seulement contempler.
Oui, un équilibre est à trouver entre les espaces, entre les espèces et entre les hommes - d'abord et avant tout entre les hommes - dans un projet commun que nous voulons avec vous, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que, dans cet hémicycle, depuis ce matin, tout a été dit. Lorsque j'ai entendu mon collègue Gérard Le Cam s'exprimer à cette tribune, j'ai failli abandonner mon temps de parole, me sentant finalement d'accord avec 90 % au moins de son intervention. Je viens d'entendre avec beaucoup de plaisir Mme Durrieu, et je me suis senti à 100 % en accord avec ce qu'elle a dit.
Il est vrai que nous traitons là d'un problème grave, sérieux, et qui concerne toutes les couches de la société.
L'accident de parcours que vous avez failli connaître madame la ministre, le 4 avril dernier à l'Assemblée nationale, était prévisible.
Certes, nous convenons qu'une large modernisation du droit de chasse est aujourd'hui nécessaire. Mais que nous proposez-vous ? Un texte notoirement insuffisant et inacceptable en l'état.
Nous devons déplorer que le Gouvernement n'ait pas su répondre favorablement aux espoirs des différents acteurs du monde de la chasse et qu'il entretienne, à travers ce texte, des tensions préjudiciables à un exercice harmonieux et apaisé de la chasse.
Par ailleurs, nous attendons toujours que soit mise en place la Charte de la chasse en France, suggérée dans une recommandation du comité des ministres du Conseil de l'Europe de 1985.
La proposition sénatoriale portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse, adoptée à l'unanimité le 23 juin 1999, a bien failli être adoptée par l'Assemblée nationale puisqu'il ne lui a manqué que cinq voix.
J'observe, néanmoins, madame le ministre, que deux des trois grandes mesures de la proposition sénatoriale ont été reprises, au moins partiellement, dans votre projet.
Il s'agit d'abord de l'autorisation de la chasse au gibier d'eau aux heures crépusculaires.
Il s'agit ensuite de la reconnaissance pour les propriétaires non chasseurs, dans le respect de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 29 avril 1999, du droit de « non-chasse », c'est-à-dire la possibilité pour des propriétaires de ne pas autoriser la chasse sur leurs terres, étant entendu qu'ils seront coresponsables des dégâts causés par le gibier et qu'il faudra bien payer.
Pour ce qui est de la troisième mesure, celle qui légalise la chasse de nuit dans les départements où elle se pratique depuis des générations, seuls vingt départements sont concernés. Il avait été, un moment, question de quarante-deux départements ; on parle maintenant d'une trentaine. Je crois indispensable d'élargir au moins à ces trente départements ce qui a été adopté pour une vingtaine.
La proposition de loi sénatoriale visait également à combler le vide juridique créé par les récentes décisions juridictionnelles en accordant une reconnaissance législative à des pratiques de chasse traditionnelles, en leur permettant de s'exercer dans un cadre juridique stable et en consacrant, par ailleurs, l'existence d'un droit de non-chasse pour les propriétaires opposés à ces pratiques sur leur terrain.
Vous avez, madame la ministre, rejeté ces propositions, qui recueillaient pourtant l'assentiment des principaux acteurs de la chasse.
Votre projet de loi ne donne pas, sur les autres points, de réels motifs de satisfaction.
L'évolution des structures publiques et la modernisation des institutions qui gèrent le monde cynégétique sont une nécessité sur laquelle vous ne vous engagez pas suffisamment.
Mes collègues de la majorité sénatoriale et moi-même souhaitons qu'un meilleur partage des missions, des compétences et des ressources respectives de l'Office national de la chasse et des fédérations soit opéré, en posant comme principe qu'à la structure publique doivent revenir des fonds publics et aux associations, des fonds privés.
En outre, il est nécessaire d'accorder une plus grande autonomie et une plus large responsabilité de gestion des activités cynégétiques aux fédérations de chasseurs, grâce, notamment, à la suppression de la tutelle administrative, financière et budgétaire, à l'octroi de missions de police ou bien à la fixation, par les fédérations, du jour de non-chasse, selon les circonstances locales.
Le projet de loi prévoit l'instauration d'une véritable tutelle d'Etat sur le budget des fédérations, qui sont pourtant des associations de la loi de 1901. L'exercice d'un tel contrôle a priori est une erreur profonde ; seul le contrôle a posteriori est légitime dans ce domaine. Mes collègues et moi-même souhaitons responsabiliser les fédérations sur des missions de service public d'intérêt général.
S'agissant de la fédération régionale des chasseurs, le projet de loi, à la suite d'un avis du Conseil d'Etat, supprime cette représentation régionale. Compte tenu du pouvoir grandissant des régions administratives, l'absence d'une entité régionale coordinatrice et représentative des fédérations départementales entraînerait des dysfonctionnements graves dans la structure pyramidale envisagée.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons conforter l'échelon régional et donc inscrire dans le projet de loi le rôle et la mission des conseils régionaux de la chasse, institués dans les régions administratives du territoire métropolitain.
Quant à la fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs, c'est un problème complexe sur lequel le projet de loi ne tranche aucunement.
Les principes posés par la directive de 1979 doivent être appliqués, mais, dans la mesure où celle-ci ne fixe aucune date, chaque Etat membre doit pouvoir, conformément au principe de subsidiarité, définir la méthode et les dates qu'il entend appliquer.
Avec mes collègues, je suis favorable aux dispositions de la loi du 3 juillet 1998, c'est-à-dire à la fixation de dates échelonnées, en fonction des espèces, avec l'institution de plans de gestion pour celles qui ne bénéficieraient pas d'un état favorable de conservation.
C'est pourquoi nous présenterons un amendement à l'article 10 du projet de loi reprenant les dispositions de la loi du 3 juillet 1998. Cet article, madame la ministre, n'est, en effet, pas acceptable en l'état et ne permettra en aucun cas de régler les litiges relatifs à cette question.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer le problème des dégâts causés aux agriculteurs par le grand gibier.
Madame la ministre, la patience des agriculteurs est à bout. Le système d'indemnisation a ses limites. Il y a quelques années, ces dégâts étaient à peine évoqués. Aujourd'hui, il n'y a pas une réunion où l'on n'en parle pas. Les indemnités réglées par l'Office national de la chasse en France ont doublé en dix ans - de même que le nombre de dossiers - et il s'agirait, pour 1998, de 180 millions de francs, malgré la baisse du cours des denrées.
Le sanglier semble être responsable de 80 % des dégâts. L'indemnisation financée par les chasseurs prend en compte les dégâts causés aux seules récoltes sur pied. Lorsqu'il s'agit de blé ou de maïs en grain, la compensation est à peu près correcte. Un problème subsiste cependant : si les dégâts se produisent avant floraison, la réglementation européenne écarte les hectares du versement des compensations de la PAC.
Il paraît donc souhaitable de départementaliser le système d'indemnisation des dégâts causés aux récoltes par les grands animaux, cervidés et sangliers. Cela aurait l'avantage d'assurer une réelle responsabilisation des chasseurs dans la gestion de l'abondance des cervidés et sangliers, dont ils assurent seuls le coût actuellement.
Madame la ministre, je prends l'exemple de mon département : le prix du timbre gibier a baissé cette année car, grâce à une gestion rigoureuse depuis quatre à cinq ans, les dégâts ont été moins importants et les grands animaux mieux régulés.
Aujourd'hui, l'Etat verse à l'Office national de la chasse la part des redevances départementales et nationales du permis affectée par décision de son conseil d'administration à un compte spécifique de gestion des dégâts. Dans le même temps, les fédérations départementales des chasseurs envoient les recettes réalisées par les différentes régies départementales instaurées par l'Office national de la chasse pour assurer le complément du financement. Lorsque ces différents encaissements ne permettent pas de financer la totalité du coût des indemnisations, les fédérations départementales des chasseurs assurent, par une surcotisation, l'autofinancement, réalisé de 90 % à 95 %.
Les travaux induits et la gestion des dégâts étant déjà effectués en quasi-totalité par les fédérations départementales, il serait préférable que l'argent ne transite plus par l'office national, car la procédure entraîne une certaine opacité de gestion et une lenteur des indemnisations.
Il convient, par conséquent, de modifier le texte en vigueur pour conforter la mission des fédérations départementales des chasseurs et supprimer toute source de lenteur administrative qui brouille le bon fonctionnement du système.
C'est pourquoi, avec mes collègues, je ne manquerai pas de souscrire à la proposition de la commission des affaires économiques tendant au transfert de l'indemnisation des dégâts causés par le gibier aux fédérations départementales des chasseurs. Le financement des dégâts ne peut passer que par un fonds de péréquation géré par la Fédération nationale des chasseurs.
Pour conclure, je tiens à rendre hommage au rapporteur de la commission des affaires économiques, Mme Anne Heinis, pour son excellent travail ; mais ses compétences n'ont plus à être démontrées au sein de la Haute Assemblée, notamment en matière de chasse.
Je me permettrai simplement d'ajouter qu'avec un certain nombre de mes collègues nous souhaitons aller plus loin que la commission sur quelques points. C'est la raison du dépôt de nos amendements.
J'aimerais enfin confirmer de nouveau le rôle important, pour l'aménagement du territoire et la protection des animaux, que les chasseurs ont à jouer dans notre société.
Depuis quelques années, beaucoup de prédateurs sont protégés et prolifèrent dangereusement. Or, autant je puis comprendre qu'une espèce menacée de disparition soit temporairement protégée, autant je ne peux plus comprendre que, lorsque ces mêmes espèces éliminent un très grand nombre d'oiseaux ou de jeunes animaux, on ne le reconnaisse pas et l'on n'autorise pas la réduction du nombre important de ces prédateurs. C'est un problème d'équilibre et d'équité.
Madame la ministre, si vous avez cinq renards sur un territoire de chasse, c'est très supportable, et c'est même utile. Si vous avez une dizaine de pies ou de corbeaux, voire quatre à cinq busards, vous servez la régulation. Mais quand il y a, sur le même territoire de chasse, une centaine de pies, soixante hérons, cent vingt renards... et j'en passe, ce n'est plus supportable.
Nous avons l'impression d'être en présence de deux conceptions des animaux vivants avec, d'une part, les oiseaux et le gibier, qui ont le droit d'être exterminés toute l'année par les prédateurs, et, d'autre part, des espèces qui ne vivent que de la mort des autres et qui sont totalement protégées. Certaines ont d'ailleurs été réintroduites volontairement ; je pense aux loups, je pense aux ours. Je crois même savoir, madame la ministre, que, dans certains cas, notamment le long du réseau ferré de la SANEF, dans le nord de la France, on a réintroduit le renard pour détruire les lapins afin de protéger les lignes ! Voilà qui ne doit pas se reproduire.
De nombreux collègues l'ont rappelé à cette tribune, la chasse est un sport pratiqué par des centaines de milliers d'hommes et de femmes de toutes conditions. Soucieux de la qualité des terroirs, du droit de propriété, du partage des espaces avec tous les citoyens, ils vivent leur passion dans un climat de convivialité, sans abuser de leur liberté, mais en défendant farouchement un héritage culturel qui leur tient aux tripes !
Chasseurs, pêcheurs, agriculteurs, forestiers, tous sont les garants du bien-vivre dans nos campagnes. Ils assurent tous ensemble une gestion adéquate de la flore et de la faune.
Notre collègue Gérard Le Cam a pris la chasse à courre comme exemple d'une pratique populaire. Je le confirme. (Mme le ministre pouffe.)
M. Jean-Louis Carrère. Il ne faut pas trop en faire quand même ! (Sourires.)
M. Michel Souplet. Mais si ! Des centaines de suiveurs à pied ou en VTT défendent farouchement un sport auquel ils sont associés.
Il n'est qu'à voir, le mercredi, les grands-pères accompagnés de leurs petits-enfants, auxquels ils comptent transmettre leur passion, pour comprendre que la chasse est un héritage destiné aux générations suivantes et qu'elle fait partie de notre culture.
Tout à l'heure, Mme Durrieu a évoqué les rares accidents de chasse. Certes, il s'en produit parfois, mais font toujours la une de la presse le lendemain. Et des sept mille tués sur la route chaque année, il n'est pas question !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Oh !
M. Michel Souplet. Telles sont les raisons pour lesquelles, madame la ministre, vous ne pouvez pas rester sourde à des appels qui émanent de toutes les travées de cette assemblée. Chacun a eu ici le souci d'améliorer le texte, et, me semble-t-il, le consensus est assez large pour que vous ne preniez pas le risque de nous décevoir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la chasse qui vient aujourd'hui en débat dans notre assemblée est symbolique de ces dossiers dont le traitement doit nous permettre de réconcilier nos concitoyens avec l'Europe que nous souhaitons.
Depuis les prémices de cette loi, le Gouvernement a affiché l'intention de régler les conflits et d'aboutir à une chasse gestionnaire moderne, légitime et apaisée.
A l'évidence, ce projet de loi est loin d'avoir atteint son objectif après son examen en première lecture par l'Assemblée nationale.
Bien au contraire, il a relancé les surenchères, du côté des écologistes comme du côté des chasseurs, rallumant des tensions que l'on pouvait espérer éteintes, provoquant même des élections locales anticipées, attisant encore une fois l'opposition entre ville et campagne.
Madame le ministre, mes chers collègues, il importe de prendre en compte le phénomène social que représente la chasse dans ce pays, avec toute sa portée sociale, culturelle et écologique.
Le droit de chasse est un acquis de la Révolution. Nos concitoyens y sont, comme tel, très attachés.
Dans le contexte actuel, nous devons nous efforcer de concilier plusieurs exigences : le maintien des traditions, les équilibres biologiques, la gestion des espèces et des espaces et le respect du droit communautaire en corrélation avec le principe de subsidiarité, principe toujours énoncé mais rarement appliqué.
Comme l'a annoncé Mme Heinis, rapporteur de ce projet de loi, à qui la reconnaissance, et l'estime des chasseurs français sont légitimement acquises, les sénateurs, au premier rang desquels le président du groupe « Chasse », Roland du Luart, veulent faire une bonne loi chasse.
Comment y parvenir ?
D'abord, nous ferons une bonne loi si nous réglons de façon durable la question lancinante du calendrier de la chasse aux oiseaux migrateurs
Chacun sait que cette affaire a pour origine les termes mal interprétés - peut-être parce que mal rédigés - de la directive européenne de 1979.
La loi, par conséquent, doit inscrire les dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau et les dates de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs, qu'ils soient aquatiques ou de passage.
Les données biologiques autorisent la chasse du mois de juillet au dernier jour de février. Il s'agit donc d'aménager les dates de la loi du 3 juillet 1998, sans renier la compétence législative, mais en écartant toute controverse qui déboucherait sur de nouveaux contentieux, contentieux qui attisent les conflits en raison des grandes diversités d'interprétation des juridictions.
De même, la chasse de nuit au gibier d'eau doit être légalisée dans la totalité des départements concernés, au titre de la reconnaissance d'une pratique coutumière et admise depuis longtemps.
Je vous proposerai aussi de fixer un cadre juridique strict pour certaines chasses traditionnelles régionales.
La directive de 1979 autorise de telles dérogations et il s'agit ici d'appliquer la directive, toute la directive, rien que la directive.
L'article 9 permet de telles pratiques et fournit les solutions appropriées pour résoudre les conflits locaux qui n'ont que trop duré et qui portent inutilement atteinte à la réputation de nos terroirs.
Je note d'ailleurs que certains Etats utilisent cette possibilité.
Il faut tout faire pour adapter la loi aux spécificités et aux traditions locales, et en finir avec ces conflits récurrents.
La fixation du jour sans chasse est l'exemple éloquent de ce manque d'adaptation de la loi aux particularités locales.
Indépendamment du fait que la journée sans chasse est déjà pratique courante dans de nombreux départements, qui, pour certains, instaurent même deux journées, voire trois journées sans chasse quand leur plan de gestion le requiert, son inscription telle quelle dans la loi porte atteinte au droit fondamental de propriété.
De plus, dans les régions où le régime forestier est majoritairement privé, comme en Aquitaine, le jour sans chasse aboutira à la mise en place d'une chasse à deux vitesses, avec la multiplication des espaces clos et, partant la ségrégation par l'argent.
C'est une mesure totalement inefficace pour ce qui est tant du partage harmonieux de la nature entre tous ses utilisateurs que de la sécurité et de la gestion des espèces.
C'est une mesure uniquement clientéliste, inutile et qui comporte des effets pervers.
Quant aux structures de la chasse, nous devons aborder ce débat dans un esprit de confiance et de partenariat avec les fédérations départementales des chasseurs : on connaît leur action tant en faveur de la faune qu'en ce qui concerne les habitats naturels ainsi que le maintien et la préservation des zones humides, facteur déterminant pour l'équilibre de nos écosystèmes.
Il nous faut écarter toute tutelle excessive, qui découragera le bénévolat, et toute surveillance inutile, en sachant reconnaître aux fédérations des chasseurs leur concours au service public.
Madame le ministre, mes chers collègues, cette loi doit faire entrer la chasse dans le nouveau millénaire.
Toujours à la recherche des grands équilibres et du rapprochement des points de vue, toujours à l'écoute du monde rural, le Sénat a une mission de sagesse qui consiste à préserver les usagers de la nature des excès de tous bords. Il nous appartient de clarifier le droit de la chasse. Nous devons donner à la chasse la légitimité qu'elle mérite au même titre que la pêche.
Notre rôle ne consiste pas à attiser les oppositions. Nous devons apaiser les esprits.
La question qui nous occupe aujourd'hui n'est pas d'ordre politique ; c'est une question de société : il s'agit de savoir quelle vision nous avons de l'organisation de la majeure partie de notre territoire. Elle touche à l'équilibre du monde rural, à la saine gestion d'un patrimoine dont la protection est devenue incontournable en raison de l'évolution de notre société. Elle ne peut être réglée avec une approche strictement urbaine de la nature.
Il nous faut donc refuser de voir se développer plus avant une organisation des espaces naturels totalement artificielle, du fait de la multiplication des réserves.
L'enjeu majeur du xxie siècle pour une chasse responsable sera de gérer les espèces et le biotope.
Mais comment y parvenir sans les chasseurs ?
Puisse donc notre débat s'attacher à aborder cette question dans sa globalité et apporter au texte qui nous est soumis les corrections indispensables à un retour à la « paix cynégétique ». Ce faisant, le Sénat participera non seulement à la réconciliation du monde urbain et du monde rural, mais, surtout, à la réconciliation indispensable entre la ruralité française et l'Europe. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rispat.
M. Yves Rispat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est une activité à laquelle un élu rural est particulièrement sensible, c'est, bien sûr, la chasse, comme on a pu le constater dans les diverses interventions. Tout d'abord, elle s'inscrit comme l'une des activités immémoriales de l'homme dans l'espace naturel, à une époque où cette activité, et elle seule, lui apportait de quoi vivre. Ensuite, la chasse est, après le droit de propriété, l'une des conquêtes les plus importantes de la Révolution française pour le monde rural.
Oui, n'oublions pas, madame la ministre, que la chasse se décline avec 1789, et que certains excès d'aujourd'hui, même les plus contestables, nous appellent à la réflexion : il n'y a pas de violence sans causes ; il n'y a pas d'expression d'une telle passion sans raisons.
Je vais m'efforcer de dresser le tableau de la chasse vue de notre terroir, c'est-à-dire du terrain, de la campagne.
Chez nous, dans nos villages, dans le Gers où vous pourrez peut-être le découvrir, madame la ministre, la chasse est, comme ailleurs, un loisir, un plaisir partagé. Les associations communales de chasse rassemblent des propriétaires, des non-propriétaires et des fermiers. Il n'est question ni de classe sociale ni de fortune. C'est la fraternité de terroir autour d'une activité qui était nécessaire à l'alimentation et à la vie dans l'histoire de notre civilisation. C'est la fraternité de terroir autour de ce qui fut longtemps le seul loisir existant, avant même que le droit de chasse existe.
Aussi, réfléchissons bien et veillons, madame la ministre, mes chers collègues, à ne pas transformer ce projet de loi sur la chasse en une loi inapplicable, au motif qu'elle touche à l'histoire, à nos traditions, et même à nos dictons, par exemple à celui-ci : « A la Saint-Luc, le grand truc », vieux dicton centenaire que connaissent tous les chasseurs de palombes. Cette année, la Saint-Luc tombe le mercredi 18 octobre. Même si la loi est passée, les palombes passeront !
Au cours de l'examen du présent projet de loi par notre assemblée, je souhaiterais que soit d'abord pris en compte l'aspect humain de la chasse, afin que les hommes et les femmes qui s'adonnent à cette passion, au point d'en avoir fait le principal centre d'intérêt de leurs loisirs, ne soient pas broyés par un ensemble de normes trop contraignantes, aboutissant à des blocages.
Plusieurs questions méritent en effet d'être posées, après l'examen du texte par nos collègues députés et après le rapport de mission sur la chasse élaboré par M. François Patriat. D'ailleurs, je me demande encore ce que celui-ci veut dire par une chasse « responsable et apaisée ». Personnellement, j'ai eu grand plaisir, avec d'autres, en arpentant les grands espaces gascons où nos pères s'adonnaient aussi aux joies de la chasse. Comme les chasseurs d'aujourd'hui, ils ont toujours été apaisés et sereins après leur marche à travers la campagne. Quant à l'adjectif « responsable » accolé au mot « chasse », je me demande encore ce qu'il veut bien dire, à moins que derrière ce langage abscons on veuille tout simplement parler de comportement responsable.
Comme je l'ai dit, plusieurs questions se posent.
L'examen, par le Parlement, de ce projet de loi mettra-t-il enfin un terme à l'ostracisme qui frappe les chasseurs ? Le moment est, en effet, venu de cesser d'en faire les boucs émissaires d'une atteinte à l'ordre naturel, alors que, bien avant les écologistes, ils furent, souvent, parce qu'ils étaient des agriculteurs, les premiers défenseurs de l'espace agricole et rural.
Je n'hésite pas à dire que les paysans-chasseurs furent et restent les plus efficaces gardiens de la nature : ils n'ont pas appris la nature à la ville ; ils sont la nature, parce qu'ils y sont nés, parce qu'ils y vivent, parce qu'ils l'aiment, parce qu'ils savent que leur terre et leur terroir sont leur identité, donc leur âme.
Est-il normal que l'on impose aux chasseurs des normes nouvelles limitant le droit de chasse, l'interdisant même certains jours de la semaine ?
Est-il normal que l'autorisation de chasser la nuit ne s'applique qu'à un certain nombre de départements ?
L'amendement Sicre, tendant à inscrire dans le projet de loi les dates de chasse espèce par espèce, n'a pas été adopté par l'Assemblée nationale. Vous avez pris l'engagement, madame la ministre, pour les différents oiseaux énumérés dans cet amendement, de dates de chasse plus souples. Qu'entendez-vous par là ? Avez-vous avancé à cet égard ?
Comme je l'ai déjà indiqué, les chasseurs de palombes trouvent aberrante l'institution d'un jour de non-chasse, demandé sous prétexte de sécurité. Non seulement il n'y a jamais eu d'accident avec un promeneur dans une palombière - lieu privilégié, s'il en est, de rencontre conviviale - mais, par surcroît, une telle disposition impliquerait la clôture des parcelles rendant leur accès impossible aux promeneurs, qui sont jusqu'à présent acceptés, mais également aux services de secours en cas d'incendie. Permettez-moi de vous rappeler, madame la ministre, que le député M. Patriat, au cours de sa visite dans le Gers, a retenu, selon ses propres mots, « une belle leçon de philosophie rurale », au point de constater que « la chasse à la palombe est une source de joie qui ne met pas en péril les espèces ».
Je souhaite donc, avec les défenseurs des chasses traditionnelles à la palombe de mon département et des départements où la même chasse est pratiquée, que soit abandonné le jour de non-chasse et que soit retenue la possibilité de chasser en février. La chasse à la palombe est, en effet, une chasse en hivernage, très ancrée dans la tradition rurale de la Gascogne, ne mettant pas en péril l'espèce. Je vous signale, madame la ministre, que cette mesure dérogatoire, permettant la chasse à la palombe jusqu'à la fin du mois de février, est indispensable et rendue possible par la directive européenne, car elle est utilisée par d'autres pays européens.
Sur un autre registre, permettez-moi, madame la ministre, de faire état, dans nos régions, de la surpopulation des chevreuils et des sangliers, qui nécessiterait, selon moi, de prolonger les périodes de chasse, voire de supprimer toute limitation.
Pourquoi donc ce projet de loi relatif à la chasse ? Pourquoi toutes ces réglementations ? Le temps du respect des chasseurs est venu. Le temps de la tolérance dans l'espace agricole et rural doit être un impératif. Le temps du militantisme anti-chasse jusqu'au-boutiste doit se modérer.
Je souhaite, pour ma part, que l'on en reste à l'adaptation modérée des textes européens et de la loi Verdeille.
La chasse est un moment fort de notre civilisation rurale, qu'il serait désastreux de faire éclater en fragments sous le marteau des normes nationales et européennes. Dans le respect nécessaire de tous, laissons-la vivre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que s'ouvre l'examen dans cet hémicycle du texte adopté en mars dernier par l'Assemblée nationale, tous les chasseurs tournent leur regard avec espoir et sans doute avec inquiétude vers notre assemblée.
Avec plus d'un million et demi de chasseurs en France, le modèle d'une chasse « à la française » participe de façon active et durable à la gestion du patrimoine naturel.
La diversité des pratiques cynégétiques témoigne d'un ancrage historique et sociologique dans le terroir, qu'il convient de ne pas négliger.
D'ailleurs, contrairement à de nombreux clichés et idées reçues, le débat autour de la chasse mérite mieux qu'un discours manichéen, forcément réducteur. Cessons de diaboliser la chasse et les chasseurs !
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Yvon Collin. Par la pratique rigoureuse de leur passion, les chasseurs-citoyens - ils représentent la grande majorité des chasseurs - inscrivent le fait social cynégétique dans une perspective de valorisation, de gestion et de préservation de l'espace rural, qui répond, à l'évidence, à l'intérêt général.
La pérennité de la chasse passe, à cet effet, par la définition de l'acte de chasse, et il nous appartient, mes chers collègues, de lui reconnaître la légitimité législative qui lui a fait défaut jusqu'à présent dans le code rural.
Cet important toilettage législatif implique, de ce fait, une entente plus que souhaitable entre des intérêts que certains voudraient à tout prix systématiquement opposer.
Nul doute que le Sénat, dans sa grande sagesse, saura permettre ce dialogue que beaucoup attendent. Il en va, comme le souligne le rapport Patriat, de la recherche d'un compromis équilibré en faveur d'une chasse respectueuse de la gestion des espaces et des territoires, qui se veut avant tout porteuse d'une certaine « éthique » de la chasse.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Yvon Collin. Les propositions inscrites dans le rapport Patriat, issu d'une large concertation avec tous les acteurs concernés, ont ainsi permis d'entamer une nécessaire réflexion quant à l'urgence du réexamen des dispositions qui fondent l'exercice et l'organisation de la chasse, et qui n'ont pratiquement pas été modifiées depuis la fin du siècle dernier.
Je ne reviendrai pas sur les actes, regrettables, qui, à travers les territoires, ternissent sans doute l'image de chasseurs raisonnables, à la recherche d'apaisement et de coexistence avec tous les amoureux d'une même nature.
La sincérité de la passion qui anime la plus grande partie des défenseurs de la ruralité est, de ce fait, essentielle pour l'avenir du développement durable de la faune. Dès lors, la pratique raisonnée de la chasse doit servir à préserver l'exercice de cette liberté, en tenant compte de la gestion de nos terroirs en France et au-delà de nos frontières. En effet, le cas français n'est ni isolé ni marginal, la culture cynégétique dépassant largement les limites de l'Hexagone.
Ainsi, les écarts de conduite et de parole d'une infime minorité ne doivent pas nous faire oublier le consensus largement répandu autour de la grande communauté des chasseurs et de tous les défenseurs sincères de la faune et de l'espace rural.
Point n'est besoin de décrire dans le détail la panoplie des très nombreuses propositions qui ont été émises par mes collègues et que nous examinerons scrupuleusement.
Je ne ferai qu'une petite digression en précisant l'esprit qui devra animer nos débats, lesquels s'annoncent d'ores et déjà passionnés.
Il nous faudra concilier non pas l'inconciliable, comme beaucoup l'estiment, mais des points précis, sur lesquels nous devrons tous nous entendre afin d'apaiser les incrédules.
Comme le précisait l'intitulé d'une récente contribution, c'est bel et bien la chasse aux idées reçues qui est ouverte.
Nos débats devront ainsi permettre de légitimer la chasse, en la simplifiant, en l'adaptant au cadre communautaire, tout en cherchant à concilier une modernisation indiscutée des structures publiques et un renforcement exemplaire, pour nos voisins, du cadre associatif, qui fondent l'exception cynégétique française.
Le préambule du rapport Patriat évoquait la nécessité « de proposer les termes d'un compromis redonnant à la chasse un statut et une image, aujourd'hui brouillée par les clivages idéologiques et les mutations qui affectent la société contemporaine ».
En engageant résolument les « mécanismes porteurs d'avenir », comme le soulignait récemment M. le Premier ministre, la Haute Assemblée entend faire de la chasse une fonction pleinement reconnue.
Nombreux sont ceux qui seront à notre écoute et qui attendent de notre part que le bon sens l'emporte afin de concilier les intérêts légitimes des chasseurs et de confirmer la place de cette passion chère à nombre de nos concitoyens.
La chasse, qui, comme cela a été dit à de nombreuses reprises, est une conquête de la Révolution française, mérite d'être défendue dans le cadre d'un dialogue constructif et sans arrière-pensée entre les chasseurs et les pouvoirs publics. Mes chers collègues, nul doute que nous pourrons y contribuer sans animosité ni faux-semblants, afin de confirmer la modernité et l'utilité de la pratique cynégétique si solidement ancrée dans nos traditions populaires et le respect de nos terroirs à travers l'ensemble de notre pays.
Les déclarations de mes collègues sur l'ensemble des travées du Sénat prouvent, à l'évidence, que l'attachement de la Haute Assemblée en faveur de la défense de cette tradition populaire est grand et que le consensus est sans doute possible ; ce serait d'ailleurs l'honneur du Sénat.
Telles sont, madame la ministre, les raisons qui doivent guider les adaptations qu'il est nécessaire d'apporter au texte qui nous est proposé et sur lequel je me prononcerai, bien entendu, en fonction des amendements qui auront été adoptés. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, quand j'ai été élu parlementaire européen en 1989, des parlementaires danois, néerlandais et allemands m'ont parlé de la chasse à la palombe. Je les ai écoutés avec beaucoup d'attention, et un peu de frayeur eu égard à leur description de cette chasse que je connaissais peu en dehors de quelques expériences de tonne du côté de la Charente-Maritime.
A l'automne, je suis donc allé passer un week-end dans les Landes pour observer la nature même de cette chasse. Je peux vous assurer qu'il suffit de quarante-huit heures pour sentir la dimension culturelle que comporte une telle pratique ! Je me suis vraiment intéressé dans les détails à cette puissance de culture, à cette connaissance de l'animal et de la nature, à ce savoir qu'exige la pratique de cette chasse. Pensant à Michel Serres, selon qui l'honnête homme est celui qui jardine ses savoirs jusqu'à la clarté, je me disais que les hommes que je voyais avaient jardiné la connaissance de la nature au point d'atteindre la vraie clarté.
Si l'on prend conscience de toutes ces puissances culturelles qui nous viennent de nos terroirs, en Europe, on ne peut que se demander pourquoi il revient systématiquement aux gens des villes de régler les problèmes des gens des campagnes et aux gens du lointain de penser à la place des gens de proximité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur certaines travées socialistes.)
Voyant, aujourd'hui, la situation des grandes organisations, les crispations auxquelles aboutit la centralisation des problèmes et, à l'inverse, les possibilités d'action que permet la décentralisation, je considère que le beau mot de « subsidiarité » intégré par le président Giscard d'Estaing au traité de Maastrich est sous-estimé !
M. Jean-Louis Carrère. Comme le quinquennat !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je vois que la malice est sur toutes les travées ! (Rires sur les travées socialistes.)
Au fond, dans cette affaire, comme dans tous les domaines, le fait régional, le fait territorial me paraît de plus en plus constituer une solution.
Je vois d'ailleurs combien les mammouths sont immobiles et incapables de se réformer
La semaine dernière, nous avons passé nos nuits à titiller M. Gayssot sur une réforme qui, pour ne pas être financée, n'en est pas moins porteuse de sens : je veux parler de la régionalisation du ferroviaire. Comment cette réforme a-t-elle pu être menée alors que la SNCF est, elle aussi, un superbe mammouth ? Elle a été possible parce que, dans sept régions, on a tenté l'expérience de laisser les territoires respirer.
Qu'on laisse donc, s'agissant de la chasse, les territoires décider ! Qu'on applique vraiment une subsidiarité authentique ! On verra alors le poids de l'histoire : à côté des pratiques aristocratiques de chasse qui subsistent peut-être, on verra ce qu'est cette conquête de la chasse populaire et quel ciment social constitue la chasse dans les régions du Sud-Ouest. Et on mesurera à ce moment-là à quel point la première des modesties est de faire confiance à autrui, on prendra conscience du fait que tous les technocrates, tous les bureaucrates, tous ceux qui veulent penser pour les autres feraient mieux de rester à l'écoute d'autrui, à l'écoute des territoires, de leurs passions et de leur raison !
Je voudrais donc vous dire combien je suis choqué de voir qu'aujourd'hui, dans notre démocratie, on en vient à faire appel à des gens non concernés pour traiter des problèmes qui concernent beaucoup les autres !
Aujourd'hui, dans notre société, la ruralité se sent blessée. Elle est déjà atteinte dans son potentiel économique et dans sa démographie. Et, au moment où nous allons changer de siècle et où nous nous interrogeons sur la place de l'homme dans le monde, la ruralité, alors qu'elle a le sentiment d'être un modèle social, un modèle d'humanisme, de protéger les repères de l'individu, de permettre à l'homme de s'épanouir dans un univers qu'il connaît et qu'il maîtrise mieux, alors qu'elle a le sentiment d'être un schéma social qui pourrait être un schéma d'avenir, la ruralité, disais-je, semble refusée sur les critères économiques et n'est pas prise en compte pour sa valeur culturelle.
Or, nous sommes souvent, les uns et les autres, témoins du dynamisme de la ruralité. Si nous demandons aux nombreux maires que nous rencontrons les uns et les autres à longueur d'année à quelle occasion la salle des fêtes de leur commune a été pleine pour la dernière fois, nous nous entendrons répondre neuf fois sur dix que c'était à l'occasion de l'assemblée des chasseurs, laquelle rassemble très souvent dans le village la population, tous âges et toutes catégories socio-professionnelles confondus, ce qui - nous pouvons tous en témoigner - n'est pas si courant aujourd'hui.
Certes, madame le ministre, je vous concède que la chasse peut mieux faire en matière de parité ; mais une évolution se fait jour, et c'est à peu près le seul point sur lequel la modernité a encore à progresser dans cet univers.
Pour le reste, on trouve dans la chasse ce vrai métissage socio-professionnel représentatif de la République auquel nous sommes, les uns et les autres, attachés.
Aujourd'hui, on le constate, les réseaux de chasse sont les réseaux les plus actifs dans notre espace rural. J'ai parfois le sentiment, dans la région dont je suis l'élu, que c'est le dernier des grands réseaux à pouvoir donner à la ruralité ses responsables, ses militants, à pouvoir fournir cette école de la responsabilité et de la citoyenneté qu'est souvent la vie associative. Il ne faut donc pas abandonner ce travail de renouvellement des responsables par des réseaux qui sont issus du terrain, qui s'animent, qui s'organisent, qui ont des pratiques démocratiques - nombre de grandes associations ne sont d'ailleurs pas aussi attentives au respect du débat démocratique que le sont les associations de chasseurs -, car, tout cela, à mon avis, constitue pour notre ruralité une ressource humaine très importantte.
C'est pourquoi je crois vraiment qu'il ne faut pas « agresser » la chasse aujourd'hui, mais, au contraire, la défendre, et aider ses réseaux, les soutenir, faire en sorte qu'ils soient la colonne vertébrale de la ruralité active et humaniste que nous souhaitons.
La disposition du projet de loi interdisant la pratique de la chasse à tir le mercredi prouve que, dans notre société, on a tendance à vouloir toujours en appeler au droit, à faire des lois d'opportunité pour arbitrer et régler tous les problèmes, alors que ces derniers pourraient être résolus autrement ou par des lois déjà existantes.
Que signifient un certain droit le mercredi et un autre droit le jeudi ? Ce recours systématique au droit aboutit à des codes illisibles et éloigne le citoyen de la République et de notre colonne vertébrale républicaine qu'est la loi.
Dans ce contexte, on fait aujourd'hui de la chasse un domaine d'une extrême complexité, ce qui aboutira à faire disparaître la sincérité de base sur laquelle repose la vie du chasseur, et toute cette relation entre le grand-père, le père et le petit-fils, autour de la chasse. Ainsi, c'est avec mon grand-père que je suis allé pour la première fois de ma vie à la chasse. Et je peux vous assurer, madame le ministre, que c'est un souvenir important pour moi. De tels moments marquent une vie d'homme : cette écoute de l'autre, cette compréhension, la fierté de l'aîné de donner la main au plus jeune, la fierté du plus jeune de marcher dans les pas de l'aîné. Ce sont des écoles de la vie qu'il faut respecter, qu'il ne faut pas prendre à la légère et dont il ne faut pas sourire. Il est en effet très important de voir ce problème de la chasse dans toutes ses dimensions culturelles.
Madame le ministre, j'ai lu vos déclarations récentes sur la situation politique en général. Je ne veux pas faire partie de ceux qui vous agressent ou qui pourraient laisser penser que votre situation dans le Gouvernement n'est pas confortable. Il n'est pas trop tard pour que vous soyez un ministre de l'aménagement du territoire défendant tous les territoires de France, leur diversité, leur capacité à s'exprimer avec leur identité, tout en respectant la cause républicaine qui est la nôtre. Soyez à Bruxelles non pas celle qui doit défendre absolument une ligne politique, mais celle dans qui nos territoires se retrouvent et grâce à qui, à un moment ou à un autre, dans nos diversités, nous sommes fiers des représentants de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur certaines travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Quittons Bruxelles !
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je veux en propos liminaire de cette contribution à la discussion générale du projet de loi sur la chasse souligner combien le sujet dont nous débattons aujourd'hui n'est pas neutre.
Ce droit de chasse - car c'est d'un droit dont il s'agit - est profondément remis en cause par les contraintes européennes : directives du Conseil ou jurisprudence tant de la Cour de justice des communautés que de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le problème vient de ce que cette remise en cause ne tient pas compte des réalités naturelles. Elle est le plus souvent technocratique ou purement juridique. Personne, en effet, ne peut soutenir, que, du sud de l'Andalousie ou des Pouilles jusqu'à l'extrême pointe de l'Ecosse, les périodes de présence des oiseaux migrateurs sont les mêmes. Mais au-delà de ce simple constat, les directives européennes touchent à un symbole : l'héritage premier de la Révolution.
Ne nous étonnons donc pas, mes chers collègues, des passions et des réactions que nos discussions suscitent. Ne nous en étonnons pas, car le droit de chasse, c'est le fils de nos libertés les plus anciennes. Penchons-nous de nouveau sur les cahiers de doléances de 1788 et lisons ! C'est l'une des premières revendications de ce peuple de France que de faire tomber le droit de chasse exclusif de la noblesse. Souvenons-nous que, en même temps qu'elle abolissait les privilèges la nuit du 4 août, la toute nouvelle Assemblée nationale érigeait le droit de chasse pour tous.
Notre séance d'aujourd'hui est donc un symbole parce que nous en revenons au premier débat de la première assemblée représentative de notre démocratie.
Madame le ministre, je tiens à souligner les évolutions que vous avez marquées sur ce dossier ; mais le chemin parcouru est bien en-deçà de nos attentes et de celles de nos concitoyens.
La tâche qui incombe au Gouvernement n'est pas simple, je vous le concède. L'échec du rapport Patriat soulève toute la difficulté de la recherche du consensus sur la chasse.
Certes, il y a le respect des directives européennes, mais il y a aussi la prise en compte des traditions régionales. Certes, il y a vos convictions - je ne les partage pas, mais elles sont respectables - et il y a la réalité du monde rural.
Il faut en finir avec les caricatures : les chasseurs ne sont pas l'« extrême chasse » que certains pointent du doigt et dénoncent. Ils sont, au même titre que les agriculteurs ou les membres des associations environnementalistes, des acteurs du respect des équilibres écologiques, des gestionnaires du territoire.
Alors, oui, il faut réformer la chasse, et un projet de loi de modernisation est indispensable. Mais celui que vous nous soumettez, madame le ministre, est, en l'état - je le dis fermement - tout à fait inacceptable.
Une fois encore, la majorité plurielle de l'Assemblée nationale a voté un texte mal rédigé, ne satisfaisant personne, et elle se tourne vers le Palais du Luxembourg ! Une fois encore, elle regarde vers nous pour améliorer un texte dans un sens où elle croit qu'elle ne peut pas aller, et ce pour des raisons purement électorales ! Une fois encore, l'Assemblée nationale en appelle insidieusement au sens de la responsabilité du Sénat. Et nous allons bien sûr assumer cette responsabilité. Comme nous assumerons encore le prix de la sévérité médiatique !
Nous allons, madame le ministre, renvoyer à l'Assemblée nationale un texte profondément remanié.
J'entends déjà le soulagement des députés de votre majorité ; mais ce sera probablement encore « sus au Sénat ! » ou « l'hallali » de cette assemblée de cacochymes, « anomalie parmi les démocraties ».
Mais c'est peut-être ce qui fait la qualité de notre contribution : nous ne cédons pas aux effets de mode, nous n'avons pas cette prise directe sur l'électorat qui nous rendrait versatiles.
M. Bernard Murat. Très bien !
M. Bernard Fournier. Que l'on nous rende au moins ce mérite !
Un million et demi de chasseurs attendent notre contribution. De celle-ci va dépendre la protection des espèces, la liberté de pratique de la chasse, celle des activités de plein air. Mais aussi, du texte que nous allons voter, vont découler le respect et le maintien des traditions régionales
Si votre projet de loi reprend ces axes, il pose - permettez-moi de vous le dire - plus de problèmes qu'il n'en résout.
Au fond, je veux juste relever quatre points essentiels.
Le Gouvernement renforce, une fois encore, les pouvoirs du préfet au détriment de celui des maires. C'est désormais une constante que l'orientation centralisatrice de ce gouvernement ! Je pense notamment aux déclarations d'opposition que les propriétaires devront adresser au représentant de l'Etat ou à la latitude que le préfet aura d'interdire la chasse un jour de semaine autre que le mercredi dans les espaces non clos.
Bien sûr - second point - le Gouvernement suspend provisoirement la chasse de nuit, mais nul n'est dupe : le moratoire de cinq ans n'est que le prélude de la disparition de cette pratique ancestrale. C'est, permettez-moi de vous le dire, reculer pour mieux sauter..., après les échéances électorales !
Le Gouvernement demande encore aux chasseurs - c'est le troisième point - de subventionner des missions environnementales de l'Office national de la chasse, alors même que ces missions sont clairement identifiées comme hostiles aux chasseurs. Il y a là, me semble-t-il, un casus belli inacceptable.
Enfin, la question de la gestion du gibier n'est que peu abordée ; la mise en perspective du plan de chasse avec la pérennité des écosystèmes accueillant les animaux chassés n'apparaît que comme une déclaration d'intention ; les moyens sont flous et nient le sens de la responsabilité dont ont fait preuve, jusque-là, les chasseurs.
Les maîtres mots de notre débat doivent être : responsabilité, réalisme, pragmatisme.
Vous nous reprocherez probablement encore, madame le ministre, notre ton docte et professoral. Vous l'avez déjà fait, à mon égard en particulier, et je ne l'ai pas oublié.
Je veux simplement vous dire que, si j'ai le plus profond respect pour votre personne et pour votre fonction, il appartient au représentant de la nation que je suis, que nous sommes tous ensemble, de participer au débat public, de légiférer et donc de vous interpeller. Il nous incombe d'apporter notre connaissance du terrain, dans sa richesse et sa diversité, fût-ce au prix de divergences profondes. Je ne doute pas un instant que vous êtes attachée à l'intensité de cet échange.
Mais je crains que, s'agissant de la chasse, le Sénat et le Gouvernement ne répondent pas aux mêmes logiques. Nous souhaitons préserver le bon sens et les traditions parce qu'il s'agit de la mise en oeuvre de libertés, de pratiques populaires et de protection partagée des ressources.
Dois-je vous dire, enfin, que nous n'avons pas bien compris encore quelle était votre orientation. Peut-être allez-vous nous éclairer ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport à la nature a considérablement évolué chez nombre de nos concitoyens. Aussi, ce projet de loi aurait dû rassurer les chasseurs et les non-chasseurs sur les conditions d'exercice de leurs loisirs respectifs, de leurs choix de vie.
Les fédérations de chasseurs et leurs adhérents attendaient un texte inspiré par des principes novateurs. Quelle ne fut pas leur déception !
Dans les faits, madame la ministre, vos propositions visent à marginaliser l'acte de la chasse, à montrer du doigt le chasseur. En effet, alors que la chasse concourt à la gestion durable et équilibrée de l'environnement et de la faune sauvage, vous opposez droit de chasse et droit de l'environnement.
Dans nos terroirs, les traditions restent les piliers de notre civilisation française. Nous pensons que la ruralité est une des solutions au mal-vivre de la jeunesse dans nos cités urbaines.
Le regard culpabilisateur que vous portez sur les 1 500 000 chasseurs citoyens et contribuables méconnaît le fait que leur pratique s'exerce dans le respect des équilibres biologiques, des traditions et des diversités régionales.
Que vous le vouliez ou non, la chasse fait partie intégrante de notre identité nationale, tout particulièrement dans les zones rurales, où elle participe grandement à l'économie et au maintien de l'écosystème.
Aussi, plutôt que de vous engager dans une lutte acharnée contre les chasseurs, il me semblait plus opportun que vous vous préoccupiez sérieusement, par exemple, de la cargaison de l' Erika . Les chasseurs, eux, ne polluent pas l'environnement ! Les chasseurs jouent un rôle essentiel en matière de développement harmonieux des zones rurales ; la cargaison de l' Erika , elle, détruit pour de nombreuses années la faune et la flore des zones côtières qui font la renommée de notre littoral.
MM. Paul Blanc et Louis Althapé. Très bien !
M. Bernard Murat. Madame la ministre, il existe des priorités en matière de protection de l'environnement. Ne pas s'attaquer aux vrais problèmes, c'est, du reste, une constante du gouvernement auquel vous appartenez.
Ce projet de loi n'apporte pas de réponse vraiment satisfaisante à l'avenir de la chasse.
Plus particulièrement, j'évoquerai trois dispositions de ce texte : la réorganisation de l'Office national de la chasse, l'ONC, les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse et le jour de non-chasse, dispositions pour lesquelles, en association avec mon ami Georges Mouly, je souhaite proposer des avancées.
Premièrement, concernant la réorganisation de l'ONC, madame la ministre, souhaitez-vous, comme l'a fait votre collègue de l'agriculture avec les contrats territoriaux d'exploitation, soumettre la chasse, comme l'agriculture, à des contraintes environnementales telles qu'elle en perdrait sa nature propre ? Alors que cet office est actuellement financé à 95 % par les chasseurs, trouvez-vous cohérent qu'il ait à subventionner des activités sans lien avec la chasse ?
Pour ma part, je considère que tout cela est insoutenable. C'est pourquoi j'estime essentiel de recentrer l'ONC sur ses activités originelles. Dans le cas contraire, c'est à l'Etat, et à lui seul, de financer les nouvelles compétences environnementales de l'ONC.
Deuxièmement, s'agissant des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, même si l'essentiel réside dans la maîtrise des prélèvements, j'estime que la question des périodes de chasse doit continuer de relever du domaine législatif.
Vous justifiez le calendrier par la nécessité d'une harmonisation européenne. Or, à mes yeux, dans ce domaine, le principe de la subsidiarité devrait s'appliquer. On ne peut fixer les mêmes règles du sud du Portugal au nord de l'Irlande. Les bécasses, les palombes et autres oiseaux migrateurs ne migrent pas sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne au même moment.
Par conséquent, comme bon nombre de mes collègues, je propose que la loi garantisse une période de chasse aux oiseaux migrateurs jusqu'au 28 février.
Troisièmement, j'en viens au choix du mercredi comme jour de non-chasse. Les chasseurs s'accordent sur le principe d'un jour de non-chasse. Mais, en voulant imposer autoritairement le mercredi, vous faites peu cas des réalités locales.
Dans mon département, par exemple, la Corrèze, il existe déjà deux jours de non-chasse, le mardi et le vendredi, ce qui permet au grand-père d'apprendre la chasse à son petit-fis le mercredi après-midi.
C'est pourquoi je propose de laisser aux fédérations départementales de chasseurs, dont tout le monde reconnaît la compétence, le soin de fixer les jours de non-chasse. C'est à elles, et à elles seules, de fixer ces règles.
Présentées dans un esprit d'apaisement, madame la ministre, ces quelques propositions constructives n'ont qu'un seul objet : vous aider à donner à ceux qui le souhaitent les moyens de faire vivre cette tradition ancestrale, tradition qui participe largement à l'aménagement harmonieux de nos territoires, ciment social et familial.
En voulant remettre en cause la chasse démocratique et populaire, vous n'avez obtenu qu'une chose : une violence que je déplore, mais qui exprime le ras-le-bol de nos concitoyens vis-à-vis d'un certain intégrisme.
A ce sujet, je souhaite vous rappeler, madame la ministre, les propos d'Anatole France : « Quand les lois seront justes, les hommes seront justes. »
C'est la raison pour laquelle je ne voterai pas ce projet de loi en l'état. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur le projet de loi qui nous est soumis. Pour ma part, je regrette qu'il soit frappé de l'urgence. Cela devient, malheureusement, une habitude du Gouvernement. Je regrette aussi qu'il contienne un certain nombre de mesures autoritaires, centralisatrices, opérant au détriment du mouvement associatif local.
Je soulignerai deux points du projet de loi : l'institution d'un jour de non-chasse et les dates douverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs, prévues à l'article 10 du projet de loi, article si important pour l'avenir.
A quoi répond ce jour de non-chasse, madame le ministre ? A vous entendre, à un souci de sécurité. Or, si l'on regarde de près les accidents de chasse, toujours regrettables, on constate globalement que 94 % de ces accidents touchent les chasseurs et que 72 % surviennent lors des chasses collectives. Il y a donc bien un problème de sécurité, mais il implique les chasseurs, et essentiellement pendant ces chasses collectives.
M. Renaud de Saint-Marc, président de l'Office national de la chasse, et vice-président du Conseil d'Etat, a souligné devant la commission des affaires économiques que le nombre des accidents était en diminution, en dépit de leur très forte médiatisation.
L'interdiction de chasse un jour par semaine n'aura aucun effet, car la grande majorité des battues ont lieu les jours de fin de semaine, ce qui correspond, bien évidemment, à la disponibilité des chasseurs ces jours-là.
Ensuite, le jour de non-chasse correspondrait à un souci de gestion des espèces. Or, chacun sait aujourd'hui que la plupart des espèces chassables en France bénéficient de mesures de suivi et de gestion de leur population. Cette interdiction risque donc d'obliger les chasseurs à accentuer la pression des prélèvements les autres jours.
Au sujet du gibier migrateur, je prendrai l'exemple de la palombe, qui passe sur une période de trente jours dans notre région. En 1999, 75 % de l'effectif migrant est passé en un seul jour, le mercredi 27 octobre précisément. Si la chasse avait été fermée ce jour-là, je vous laisse le soin d'imaginer la déception des chasseurs !
Enfin, madame le ministre, votre préoccupation « sociale », tendant à permettre au grand public d'accéder « en toute sérénité » à des terrains ruraux, pose des problèmes majeurs dans la mesure où le droit de chasse est lié au droit de propriété. On ne peut tout de même pas laisser croire que les espaces ruraux sont un bien commun !
Il convient de ne pas oublier que, dans notre région, le « couple » chasseur-propriétaire est très uni depuis les grands incendies qui ont ravagé les forêts, car ceux qui allaient combattre le feu étaient, bien sûr, les pompiers, les militaires, mais aussi les chasseurs.
Récemment encore, après l'ouragan de décembre 1999, qui a ravagé une grande partie du massif forestier, les chasseurs ont manifesté leur solidarité en aidant aux travaux de déblaiement des chablis.
Le jour de non-chasse va inciter les propriétaires à interdire l'accès de leurs terrains. Déjà on constate, ici et là, des panneaux tels que « chasse interdite le mercredi » ou « promenade interdite tous les jours ». Il risque également d'alimenter un conflit créé de toutes pièces entre urbains et ruraux. On est loin de la sérénité recherchée.
Il paraît plus judicieux de laisser aux chasseurs et à leurs fédérations la responsabilité de déterminer les jours de non-chasse. Cette mesure, vous le savez, madame le ministre, est déjà effective dans de nombreux départements. Les chasseurs ont prouvé qu'ils sont aptes à l'assumer au mieux.
Respectons les traditions locales, faisons confiance au mouvement associatif et ne cherchons pas à tout vouloir réglementer au niveau national !
J'en viens maintenant au problème épineux des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs.
Si nous souscrivons à l'esprit de la directive européenne de 1979, qui est de gérer de façon durable les oiseaux migrateurs - c'est dans l'intérêt de tous - nous n'approuvons pas, pour autant, l'interprétation restrictive qui en a été faite par la Cour de justice européenne, dans la mesure où cette directive n'impose aucune date, ni même de critère précis pour fixer la période de chasse. Chaque Etat membre a donc, conformément au principe de subsidiarité, le choix de la méthode pour déterminer les dates qu'il entend appliquer.
La référence à la loi du 3 juillet 1998, votée à l'unanimité, nous paraît donc une solution équilibrée dans la mesure où elle prévoit des dates échelonnées par département, par espèce, et où elle institue des plans de gestion visant à protéger le gibier concerné. Ce texte n'allongeait pas les périodes de chasse, comme il a été largement affirmé, et il reste parfaitement compatible avec les considérants généraux de la directive.
Je souhaite attirer l'attention sur le fait que la gestion des espèces passe par une adaptation du niveau des prélèvements au niveau des effectifs.
De ce point de vue, il n'y a pas de preuve formelle que les différentes espèces d'oiseaux concernées par les fermetures échelonnées présentent des signes marqués de déclin de leur population. Au contraire, les espèces qui font l'objet de suivi depuis de nombreuses années, comme les canards, les oies et les foulques, sont plutôt en bonne santé, voire en expansion démographique.
Par ailleurs, réduire les temps de chasse dans notre pays sans prendre en compte le fait que l'on chasse de mars à juin dans les pays du Nord et de l'Est ne me paraît pas logique.
On doit s'interroger, aujourd'hui, sur l'utilité d'une réglementation rigide dans le cadre purement européen, dans la mesure où les oiseaux migrateurs viennent souvent du nord de l'Europe, parfois d'Asie ou d'Amérique du Nord, et vont jusqu'en Afrique.
Cette nécessité d'élargir le cadre de travail et de réflexion a été bien comprise par certaines fédérations départementales de chasseurs, en particulier celle du département de la Gironde, qui s'est fortement investie depuis de nombreuses années déjà dans l'organisation internationale « Oiseaux migrateurs du paléarctique occidental ».
Il est temps, madame le ministre, d'en finir avec les contentieux qui font perdre temps, énergie et argent, toutes choses qu'il serait plus utile d'affecter à des objectifs prioritaires comme la sauvegarde des milieux naturels ou les études scientifiques indispensables à la gestion des espèces gibiers.
Il est temps d'en finir avec les brimades subies par les chasseurs, alors qu'il convient de dépoussiérer le texte de la directive pour que cessent les possibilités d'interprétation.
Laissons aux chasseurs le soin de gérer les espèces migratrices en fonction des connaissances scientifiques et des données démographiques les plus objectives qui soient sur les espèces. Il est évident que leur intérêt est de conserver le plus possible de milieux naturels et de maintenir les populations à un seuil élevé. Cela relève du bon sens, qui fait cruellement défaut dans ce texte.
Laissons aux chasseurs leur activité de loisir, mais en relation étroite avec les agriculteurs, très souvent oubliés dans ce projet de loi !
M. Paul Blanc. Tout à fait !
M. Gérard César. Organisons ensemble la gestion de l'espace rural.
Dans le respect de nos traditions et de notre culture, il me semble plus logique de parler de vie en commun dans notre monde rural et de créer les conditions favorables à l'exercice de la chasse.
Madame le ministre, pour toutes les raisons évoquées dans mon propos, nous préférons le texte amendé par notre excellente collègue rapporteur Mme Heinis, qui va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Doublet.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays compte aujourd'hui plus d'un million et demi de chasseurs et, quoiqu'en disent certains, cette pratique, qui reflète un certain art de vivre, se perpétue dans le respect des différents écosystèmes existant sur l'ensemble de notre territoire.
Le climat conflictuel qui s'est installé aujourd'hui ne doit pas perdurer. Il faut mettre fin à cette « guerre de religion » d'un nouveau genre qui oppose les chasseurs et les écologistes. Pour l'opinion publique, la chasse est culturellement légitime et profondément enracinée dans nos traditions.
La violence latente à laquelle nous assistons aujourd'hui ne peut continuer. Les récents événements qui se sont produits dans le département de la Somme n'en sont qu'une des lamentables illustrations.
Dans mon propre département, la Charente-Maritime, j'ai moi-même été victime à plusieurs reprises d'attaques émanant des écologistes ! Trois fois de suite, des inscriptions injurieuses à mon égard ont été inscrites sur les édifices publiques de ma commune !
MM. Gérard César et Bernard Fournier. Oh !
M. Emmanuel Hamel. Inadmissible !
M. Michel Doublet. Il est donc impératif que nous soyons capables de créer les conditions d'une coexistence pacifiée et sereine entre les chasseurs et les usagers de la nature. Nous devons rendre à la chasse sa légitimité. Un climat de confiance doit donc s'instaurer.
La France possède aujourd'hui des structures uniques en Europe, qui ont d'ailleurs fait la preuve que les pratiques cynégétiques sont aujourd'hui au nombre des principaux facteurs de survie des zones humides.
Je peux ici en témoigner en tant que président de l'un des plus grands syndicats mixtes de l'hexagone. Le département de la Charente-Maritime possède, vous le savez, madame la ministre, 100 000 hectares de marais. Ce territoire serait aujourd'hui totalement asphyxié si les chasseurs, par leur bonne gestion des espèces et du milieu naturel, n'avaient pas participé à la vie du marais.
Le projet de loi, tel qu'il est présenté aujourd'hui au Sénat, ne me paraît pas instaurer le climat de confiance nécessaire à une bonne harmonie entre chasseurs et non-chasseurs. Je regrette d'ailleurs vivement que l'Assemblée nationale n'ait pas voulu examiner la proposition de loi portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse.
En effet, ce texte, qui reprenait une proposition de loi adoptée à l'unanimité par notre Haute Assemblée, avait au moins le mérite de mettre un terme aux contentieux nés de la loi Verdeille, puisqu'elle reconnaissait le droit de non-chasse.
En l'état, ce projet de loi ne répond pas à l'attente des chasseurs et comporte un certain nombre de mesures sujettes à polémique. Ainsi, s'il convient de poser les règles de fonctionnement des associations communales de chasses agréées, encore faut-il le faire dans des conditions raisonnables.
S'il me paraît nécessaire de reconnaître un droit d'opposition à la chasse, il ne faut pas pour autant négliger l'intérêt général, le droit de propriété entraînant des droits et des obligations.
J'ajoute que les modifications envisagées ne doivent pas conduire à un appauvrissement des associations communales de chasse agréées, qui sont les piliers de la chasse populaire.
Autre point de désaccord, l'instauration purement arbitraire d'un jour de non-chasse, en principe le mercredi, est très mal perçue par les chasseurs. Pour ma part, je pense qu'il convient de leur donner la faculté de fixer eux-mêmes ce jour. Il est à noter que nombre de fédérations interdisent déjà la chasse un jour ou même deux jours par semaine.
M. Paul Blanc. Voire trois !
M. Michel Doublet. Il ne faudrait donc pas que cette mesure passe pour un affront supplémentaire fait aux chasseurs et laisse à penser dans l'opinion publique que la chasse est une activité dangereuse et donc condamnable. C'est un « coup de pub » qui ne correspond pas aux contraintes de la chasse et qui est contraire aux réalités de la nature : les oiseaux migrateurs, par exemple, passent n'importe quel jour de la semaine !
Autre mesure très mal acceptée, celle qui concerne le difficile problème de la fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux gibiers d'eau et aux oiseaux migrateurs. Il ne me paraît pas acceptable que les dates soient fixées par l'autorité administrative, car alors elles risquent d'être l'objet de nombreux contentieux.
Sur ce point, je souscris tout à fait aux souhaits de ceux qui demandent que ces dates soient fixées dans la loi. J'ai d'ailleurs cosigné avec plusieurs de mes collègues un amendement allant dans ce sens.
Il est nécessaire que les dates d'ouverture tiennent compte des cycles de migration, mais aussi des traditions régionales. Les périodes de chasse doivent être adaptées en fonction des lieux. Il est évident que la chasse dans le sud de la France n'a rien à voir avec la chasse dans le nord de l'Irlande. Finalement, plus que les dates, c'est la maîtrise des prélèvements qui importe. La fixation par la loi de ces dates aurait permis de clarifier une situation qui en a bien besoin.
Enfin, mon dernier point de désaccord porte sur la liste des départements dans lesquels la chasse de nuit est autorisée. Les vingt départements retenus me semblent constituer une liste bien limitative. Il convient d'intégrer à cette liste onze départements supplémentaires en raison de leur pratique ancienne et traditionnelle de ce type de chasse, d'autant qu'ils répondent aux critères retenus par le Gouvernement.
En conclusion, je dirai que la réconciliation de l'ensemble des acteurs du monde rural est un passage obligé, car ce n'est qu'à ce prix que la cohésion sociale sera maintenue en zone rurale. C'est la raison pour laquelle je voterai en faveur de ce projet de loi, amendé par la commission des affaires économiques, après l'excellent travail effectué par notre rapporteur, Mme Heinis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

7