Séance du 27 avril 2000






SOLIDARITÉ ET RENOUVELLEMENT URBAINS

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 279, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité et au renouvellement urbains. [Rapport n° 304 (1999-2000) et avis n°s 307 et 306 (1999-2000).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, organiser la ville du xxie siècle est certainement une nécessité. Le fait urbain est un élément majeur de l'aménagement du territoire, et le Gouvernement souhaite donner à la ville une image maîtrisée et réhabilitée. Nous partageons ce souci, mais la méthode retenue est-elle la bonne ?
Beaucoup de nos collègues l'ont bien dit, y compris nos excellents rapporteurs, que je salue ici : avoir déclaré l'urgence sur ce texte si complexe est incompréhensible. En outre, de nouvelles taxes visant à favoriser la mixité sociale et une recentralisation redonneront-elles le goût de l'urbanisme, qui nous fait si cruellement défaut depuis vingt ou trente ans ?
Vouloir faire de l'habitat collectif la seule réponse aux besoins en logement social et au souci d'assurer une plus grande mixité de l'habitat est discutable. Par ailleurs, la volonté d'éviter une affectation dominante des sols, traduite par les plans locaux d'urbanisme, les PLU, oublie les aspirations de nos concitoyens à habiter dans des quartiers calmes, loin des lieux d'activité économique, facteurs de nuisances, notamment sonores.
Après l'excellente intervention, hier, de notre collègue Ladislas Poniatowski, je m'en tiendrai à évoquer quelques aspects de la réforme de l'urbanisme.
La simplification des documents d'urbanisme constitue manifestement un des objectifs premiers du projet de loi. On peut s'en féliciter, mais qu'en est-il réellement ?
La procédure d'élaboration associée, qui rassemblait autour d'une même table tous les partenaires intéressés, est allégée ; elle ne concerne que la collectivité territoriale, maître d'ouvrage du document d'urbanisme, et l'Etat. Cela accroît peut-être le pouvoir de « persuasion » que peut exercer ce dernier, notamment sur les communes moyennes et petites. Le fait de consulter au cours de l'élaboration les autres partenaires de premier rang, qu'il s'agisse de la région, du département ou des chambres consulaires, ne me semble pas constituer une réelle simplification par rapport à leur association.
Le dispositif actuel, dont la mise en oeuvre souffre déjà d'un manque d'assiduité des services de l'Etat aux réunions d'élaboration des documents d'urbanisme, conduit souvent à une remise en cause systématique du travail effectué lors de l'avis écrit formulé par le préfet sur le projet de document. N'aggrave-t-on pas encore les choses ?
Parmi les simplifications envisagées, le nouveau « porter à connaissance », qui n'est plus conçu comme une démarche initiale effectuée dans un délai précis, est fort critiqué. En effet, le « porter à connaissance » représente un élément indispensable pour poser le diagnostic préalable à la réflexion d'urbanisme ; il constitue, par ailleurs, une règle du jeu, souhaitée intangible, pour l'élaboration de ces documents. L'absence de délai aboutit à une règle du jeu fluctuante qui risque d'être modifiable, au gré des opportunités, par les seuls services de l'Etat.
Je m'inquiète aussi des effets de cette simplification des procédures sur la sécurité juridique des documents d'urbanisme.
Une meilleure association du public à l'urbanisme est un autre objectif du texte. Si le principe est intéressant, la pratique fait apparaître un bilan mitigé. Ne risquons-nous pas de relancer la spéculation foncière ?
Par ailleurs, en faisant du schéma de cohérence territoriale, le SCT, le document fédérateur de toutes les préoccupations concernant une agglomération, le projet de loi n'expose-t-il pas ce futur SCT à une fragilité juridique non négligeable ?
Quant au plan local d'urbanisme, le texte incite à alléger son contenu d'une manière systématique. En l'absence de dispositions clairement formulées et normatives, c'est la sécurité juridique des autorisations qui s'en trouverait affaiblie.
Faire référence au « renouvellement urbain » dans l'intitulé du projet de loi était une belle idée. Toutefois, ce renouvellement se heurte à des difficultés, principalement engendrées par le coût du foncier.
En effet, refaire la ville sur son site impose d'opérer sur des terrains coûteux et d'inclure dans le coût foncier initial les sujétions de démolition et de libération des sols. Sauf aide spécifique en ces domaines, le renouvellement urbain restera notablement plus coûteux que l'urbanisation nouvelle en périphérie de la ville. En outre, la surtaxation du foncier bâti à hauteur de cinq francs du mètre carré suffira-t-elle à éviter la rétention foncière de la part des propriétaires privés ou institutionnels ?
L'élargissement des motivations permettant d'éventuelles expropriations est, en revanche, une bonne disposition. Je crains cependant qu'elle ne soit pas suffisante pour être efficace s'agissant des restructurations des friches commerciales et industrielles en périphérie des agglomérations.
Redonner le goût de l'urbanisme avait été l'un des thèmes principaux de mon rapport sur les entrées de ville. Or le projet de loi que nous examinons est empreint d'une démarche purement administrative, peu susceptible d'y parvenir. Les incohérences existant entre la conception d'un PLU allégé et les indispensables règles, parfois plus complexes, permettant de mener à bien l'exécution d'un projet urbain sont patentes.
Tout d'abord, le projet de loi ne porte aucune incitation à engager des réflexions en matière d'urbanisme et à les traduire dans des documents réglementaires ou opérationnels, et les grandes problématiques de la ville sont ramenées à de simples procédures ou à des pourcentages.
Ensuite, le projet de loi n'améliore en rien la mise à disposition des services de l'Etat pour aider les communes dans ces démarches ; il réaffirme le principe de l'aide de l'Etat au titre des études d'urbanisme, mais celle-ci apparaît de plus en plus virtuelle, puisqu'elle atteint seulement environ 30 % du coût total.
Enfin, en ce qui concerne le recours à des professionnels qualifiés, on aimerait que ce point soit précisé.
L'inscription du coût des études au budget d'investissement des collectivités territoriales constituerait une disposition efficace pour inciter à réaliser ces études et leur donner leur dimension d'avenir. On investit pour l'avenir ! Les dotations de l'Etat doivent être notablement accrues, s'agissant tant des dotations propres que de la dotation aux autres collectivités. Il me semble que ce serait une bonne façon, pour le Gouvernement, de montrer l'intérêt qu'il porte à l'urbanisme.
Il est également nécessaire de redonner le goût de l'urbanisme tant à l'Etat qu'aux élus. En ce sens, affirmer le rôle de conseil ou de maître d'oeuvre des professionnels qualifiés et compétents est une nécessité. La France manque de professionnels de l'urbanisme et du paysage, tout le monde le sait. En outre, si l'Etat reconnaît les qualifications des professionnels en matière d'architecture et de paysage, il n'en est pas encore ainsi en matière d'urbanisme, et c'est regrettable.
En ce qui concerne le problème des entrées de ville, en particulier, le projet de loi est muet, certains amendements parlementaires contribuant même à dénaturer l'actuel article L. 111-1-4 du code de l'urbanisme. Etant à l'origine de cet article, je voudrais redire brièvement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que sa philosophie n'était pas d'imposer une contrainte, comme certains l'ont compris. Son objet est avant tout d'amener les municipalités à anticiper leur développement et leur restructuration et à définir une véritable démarche de projet urbain. Bref, c'est une obligation de réfléchir avant de distribuer ce que j'avais appelé du « droit à vendre ».
Si certaines difficultés se font jour, notamment dans les zones de montagne, on peut envisager des aménagements, mais à condition de garder l'obligation de réflexion préalable ! Sinon, nous n'arriverons jamais à redresser l'image de nos entrées de ville et, d'exception en dérogation, l'urbanisation continue se développera uniquement le long des voies à grande circulation et nous aurons de plus en plus de mal à assurer la fluidité et la sécurité du trafic routier.
Pour les communes rurales, qui peuvent éprouver des difficultés lorsqu'elles n'ont pas de plan d'occupation des sols, la carte communale élevée au rang de document d'urbanisme doit pouvoir relayer maintenant cette préoccupation. La lettre de mission de MM. Barnier et Bosson précisait bien, elle aussi, qu'il faut éviter la dégradation de notre campagne.
Cette précision apportée, je remarque que les dispositions des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme sont silencieuses sur les entrées de ville. La restructuration des entrées de ville devrait cependant être prise en compte dans les mesures ayant trait au renouvellement urbain. Enfin, même si cette disposition ne relève pas directement du présent projet de loi, le contrôle exercé par l'Etat sur le contenu des études demandées par l'article L. 111-1-4 du code de l'urbanisme devrait être plus efficace et contribuer à assurer une réelle qualité de ces études.
Quant au problème de la publicité, laquelle participe fortement à l'image dégradée de ces zones, il est à noter que les documents d'urbanisme n'incluent pas les réglementations portant sur l'affichage. Celles-ci sont d'ailleurs peu respectées par les différents acteurs de la ville et apparaissent comme secondaires par rapport aux dispositions édictées par un POS. Une avancée notable dans ce domaine pourrait être d'intégrer les règles d'affichage et d'implantation des publicités, des enseignes et des pré-enseignes à la législation courante du droit des sols, tant dans les dispositions des PLU que dans le régime commun du permis de construire.
Pour en rester à cette notion de qualité urbanistique, guère évoquée dans ce projet de loi qui sacrifie plutôt à la quantité, je voudrais évoquer le rôle tout à fait essentiel des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, les CAUE.
Ces organismes de conseil très appréciés des collectivités territoriales sont un lieu privilégié de l'interdisciplinarité. Le projet de loi pourrait donc prendre acte de ce rôle particulier de conseil. Paradoxalement, la reconnaissance de leur action n'empêche pas qu'ils connaissent des difficultés financières. Le désengagement de l'Etat est manifeste et les difficultés qu'éprouvent les services fiscaux à percevoir les taxes départementales aggravent une situation ordinairement précaire. Depuis trois ans, Mme Durrieu, M. Gouteyron, M. Joly et moi-même sommes intervenus à plusieurs reprises pour tenter de trouver une solution avec le ministère de la culture, sans avoir encore obtenu de réponse à ce jour. Je suis donc heureux que la commission ait proposé la suppression de l'article 23. En effet, la modification des catégories des valeurs forfaitaires risque d'aggraver la situation financière difficile des CAUE, sans pour autant favoriser la création de logements sociaux.
J'évoquerai enfin mes regrets de voir les communes rurales si peu concernées par ce texte qui n'aborde pas le problème de la désertification rurale ni la question du maintien des populations dans l'ensemble de nos communes.
M. Gérard Larcher. C'est vrai !
M. Ambroise Dupont. Ce projet de loi n'incite pas davantage que le code de l'urbanisme actuel à engager des démarches intercommunales. Le dispositif mis en place pour les cartes communales paraît au contraire interdire toute démarche intéressant un territoire supracommunal. Sur ce plan, le projet de loi est en retard par rapport aux pratiques tendant à entrer en vigueur s'agissant des territoires ruraux. La « carte intercommunale » peut être une réponse aux préoccupations liées, par exemple, au développement durable, à la mise en valeur des paysages et à la préservation de la ressource en eau.
Pour conclure, je soulignerai que l'urbanisme et l'aménagement du territoire relèvent du patrimoine commun de la nation - je vous renvoie à l'article L. 110 du code de l'urbanisme - ce qui établit le principe de la primauté de l'Etat, garant du territoire français dans son ensemble. Chaque collectivité territoriale est, pour ce qui la concerne, garante de l'aménagement de son territoire dans le cadre des directives établies par l'Etat. Le bon fonctionnement de la décentralisation nécessite donc un partenariat de tous les acteurs concernés et ne peut se réduire à un simple face-à-face Etat-commune.
Je me félicite du travail accompli par nos excellents rapporteurs, qui, malgré une déclaration d'urgence très dommageable dans ces domaines où la réflexion partagée est le seul moyen d'assurer la durée et la sécurité, ont tenté de redonner à ce texte une cohérence indispensable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici donc parvenus à l'examen d'un projet de loi dont l'intitulé, « solidarité et renouvellement urbains », nous laisse à penser qu'il s'agirait là d'un de ces grands textes qui ouvrent des horizons, où un souffle puissant va libérer les imaginations et nous présenter, monsieur Bartolone, la perspective de « la ville autrement » !
M. André Vezinhet. C'est exactement cela !
M. Gérard Larcher. Telle était déjà l'ambition du projet de loi d'orientation pour la ville de 1991, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur au Sénat. Pourquoi ne pas le dire ? Alors que les assises de Bron s'étaient tenues quelques mois auparavant, à la suite des convulsions de la banlieue lyonnaise, ce texte de 1991, qu'on l'ait ou non approuvé, fixait à la mixité urbaine de vrais objectifs, prévoyait des outils et permettait d'engager un certain nombre d'actions visant à apporter des solutions, notamment, au problème de la copropriété dégradée. On en parlait déjà !
Même s'il a fallu s'accorder sur des délais pour la mise en place du projet, même si certains calculs - je pense à des calculs mathématiques sur la participation à la diversité de l'habitat - se sont révélés impossibles à mettre en oeuvre, même si les dotations de solidarité n'ont pas déclenché l'enthousiasme dans les communes qui devaient contribuer, la loi de 1991 a fixé un cadre que le pacte de relance pour la ville a utilisé et enrichi en 1996.
Fallait-il donc, après ces deux textes, un nouveau texte qui affiche l'ambition de contribuer à la solidarité urbaine et au renouvellement de la ville ? Je m'interroge !
Les articles 1er à 24 concernent l'urbanisme, et si l'apparence pourrait nous faire croire à un bouleversement du code de l'urbanisme, il s'agit, en fait, de modifications successives relativement ponctuelles et, parfois, principalement sémantiques.
L'article 1er sacrifie à la mode déclarative du temps. Il compose un sandwich assez indigeste : une tranche de « durable », une tranche d'« économie du territoire » ! En revanche, il oppose, comme, au fond, aime à le faire Mme Voynet, espaces urbains et espaces naturels, et il ne reconnaît pas vraiment la spécificité de l'espace rural.
Quant à la terminologie, alors qu'il faut des années pour que nos concitoyens se l'approprient - au passage, combien savent que les schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme, les SDAU, n'existent plus ? - voici maintenant les schémas de cohérence territoriale, les SCT, et les plans locaux d'urbanisme, les PLU, qui remplacent les plans d'occupation des sols, les POS !
Une bonne chose, en revanche, est la durabilité des structures porteuses.
Pour tout vous dire, je partage les avis de nos rapporteurs, MM. Louis Althapé et Pierre Jarlier, dont je veux saluer la qualité et la profondeur du travail sur un texte qui, alors qu'il a l'ambition d'être durable, ne méritait vraiment pas la déclaration d'urgence. Le fait que plus de 1 000 amendements aient été déposés nous démontre que cela n'est guère acceptable sur un tel sujet, et il n'était que de partager une partie de la nuit que nous avons passée à les examiner pour s'en rendre compte. Ce n'est pas de cette manière que nous ferons du bon travail.
Concernant les cartes communales, je considère comme innovant et positif le fait que la commune puisse délivrer le permis de construire.
C'est, naturellement, la politique de la ville qui est le coeur du projet, et ce au travers de trois articles. Là, il y a beaucoup à dire, et je sais que nombre d'entre vous s'exprimeront sur ce sujet.
Je souhaite tout d'abord vous faire part de mon sentiment, après qu'avec mes collègues Alain Gournac et Dominique Braye nous avons tout simplement réuni, voilà douze jours, les maires des Yvelines pour débattre de ce projet tous ensemble.
L'expression de ce sentiment partagé, je la résumerai en citant les propos tenus lors de cette réunion par le maire de Mantes-la-Jolie, qui, lui, a plus de 50 % de logements locatifs sociaux dans sa commune, d'après la nouvelle définition, et qui est, en outre, président du plus grand OPAC d'Ile-de-France : « Dites leur que ce projet de loi ne va en rien améliorer la situation de ma commune ; au contraire, si, par hasard, il "marche", il va "pomper" mes populations "stables" des quartiers pour les communes de la périphérie, qui elles, seront obligées de construire ! »
Je dois dire que ces propos du maire de Mantes-la-Jolie, qui a une dure réalité à gérer et à vivre, ont sonné, y compris aux oreilles des maires qui ont très peu de logements à caractère social, aux termes de l'ancienne définition - j'y reviendrai dans un instant - comme un coup de gong. Ils n'imaginaient pas que ce maire, à l'occasion de ce débat, puisse tenir de tels propos.
Cette fois, monsieur le ministre - veuillez me pardonner de le dire de manière un peu triviale - j'ai l'impression que les « technos » vous ont eu, comme ils avaient eu quelques ministres voilà deux ou trois décennies.
Ils ont enfin réussi à donner du logement social une définition réductrice qui conduit au paradoxe que certains qui avaient 20 % de logements sociaux en 1991 n'en ont quasiment plus en l'an 2000 !
Ils ont réussi à fixer, pour certaines communes totalement bâties - prenant l'exemple de mon département, je citerai Bougival ou Viroflay - ou pour certaines communes ayant des contraintes patrimoniales fortes - il n'y a pas que Versailles ou Saint-Germain-en-Laye, il y a aussi Neauphle-le-Château, Jouars-Pontchartrain, etc. - des objectifs techniquement irréalistes.
Ils ont réussi à imposer une vision uniforme en quantité et en qualité du logement social.
Ils ont réussi à décourager celles et ceux qui, depuis neuf ans, ont joué le jeu du programme local de l'habitat, le PLH, et qui, pour certains, voient leurs efforts pratiquement réduits à néant.
Et quel sort réservez-vous, dans votre projet, aux collectivités qui ont supprimé le plafond légal de densité, accepté le dépassement du COS pour le logement social, engagé des opérations programmées d'amélioration de l'habitat ? Elles seront aussi maltraitées que les autres. Toutes les communes seront mises dans le même sac.
Vos « technos » ont réussi à ignorer le coût du foncier et de la construction en région d'Ile-de-France, ainsi que les contraintes de réhabilitation en secteur historique. Outre la taxe de 1 000 francs, passant à 2 000 francs par logement manquant, les communes, notamment en zone 2, devront verser une contribution communale allant de 60 000 à 100 000 francs par appartement à construire. Voilà la réalité en région d'Ile-de-France !
Ces « technos » sont vraiment tous pareils ; ils sont à n'en pas douter, les enfants de ceux qui ont si bien réussi les quartiers des années soixante !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Larcher. Monsieur le ministre, mon désaccord sur le fond n'est nullement lié à une quelconque situation locale. La ville de Rambouillet, dont je suis le maire, a près de 30 % de logements sociaux, selon votre nouvelle définition, et nous allons continuer à construire trois logements sociaux sur dix, ...
M. Jean-Pierre Plancade. Bravo !
M. Gérard Larcher. ... à condition, toutefois, que le zonage 2 nous le permette, car, dans le même temps, vous n'abordez pas le problème du financement du zonage, et donc des plafonds et des moyens à mettre en oeuvre, notamment pour la grande couronne de la région d'Ile-de-France.
M. Dominique Braye. Et ce sont là les vrais problèmes !
M. Gérard Larcher. Je vous le dis, loin de réussir la mixité, vous êtes en train de provoquer des réactions de rejet de la population contre le logement social.
J'évoquais, hier soir, ces multiples recours prétendument déposés pour défendre l'intérêt général, mais qui traduisent, en fait, l'hostilité de la population à l'annonce de la construction de 20 % à 30 % de logements sociaux dans telle ou telle ZAC.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, il vous faut écouter nos commissions et revenir à un cadre cohérent de mixité sociale.
Il faut vous appuyer sur les périmètres des communautés de communes et d'agglomération ou, à tout le moins, sur le PLH intercommunal.
Il vous faut revenir à la définition du logement social de 1991 - ce n'est pas la nôtre, c'est celle que nous avons faite ensemble avec M. Delebarre dans un texte qui a fait l'objet d'une navette - et il vous faut réintégrer dans la comptabilité de ces logements les logements sociaux de l'Etat, des régions, des départements et des communes.
Il vous faut surtout abandonner ce caractère monolithique de votre projet et donner au contrat entre l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics de coopération intercommunale, la mission de développer de manière harmonieuse la mixité dans la ville comme dans l'espace rural, ainsi que le soulignait tout à l'heure notre collègue Ambroise Dupont. Un bon contrat d'objectif vaudra mieux que toutes les taxes !
Chacun ici sait mon attachement au logement social, mais aussi à l'accession sociale à la propriété, qui est, au fond, le rêve de chacune et de chacun de nos concitoyens, qui est aussi un élément de progrès et en faveur duquel Alain Joyandet a tant milité, depuis deux années, dans ses rapports budgétaires.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, parce qu'il est trop complexe, parce qu'il est contraignant, parce qu'il ne fait pas confiance au contrat avec les collectivités locales, votre projet ne marchera pas.
Voilà pourquoi je soutiendrai l'ensemble des propositions de nos rapporteurs, en mettant en garde nos collègues : le logement social ne doit pas être une espèce d'enjeu idéologique qui évoluerait au gré des alternances ; il est indispensable à notre pays ; nous jeter au visage les politiques successives de logement social, c'est, finalement, ne pas rendre service à la nécessaire cohésion de notre pays ! (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens, en préambule, à féliciter les auteurs du très ambitieux projet que nous examinons aujourd'hui.
Ce projet est en effet très ambitieux, car il entend régler globalement les problèmes inhérents à nos villes.
Certains disent qu'il s'agit d'une loi « fourre-tout ». Il est vrai que traiter en même temps de l'urbanisme, de l'habitat, de la politique de la ville et de toutes les formes de transport est un peu une gageure ; mais c'est à nous, parlementaires, de relever le défi et de gagner ce challenge.
L'excellent travail qu'ont accompli nos collègues rapporteurs va dans ce sens.
A mon tour, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je regrette très vivement la déclaration d'urgence : un projet aussi vaste, aussi complexe, aurait mérité plusieurs lectures par nos deux assemblées pour arriver à la meilleure rédaction possible.
Il faut bien avoir à l'esprit que, pour 80 000 logements programmés par an en France, seuls 50 000 sont construits. Le parc social est donc insuffisant, ce qui favorise le marché des taudis.
La ville ne peut pas être assimilée à un espace bipolaire comprenant, d'une part, des lieux protégés, et, d'autre part, des endroits défavorisés.
La ville stimule et accompagne la vie sociale. Par son rayonnement, elle influe sur l'ensemble du territoire.
Les politiques qui lui sont consacrées doivent, de ce fait, considérer l'ensemble des facteurs qui la composent.
Pour cela, devons-nous privilégier une méthode et y consacrer la majorité des crédits ou privilégier des solutions au cas par cas, comme le réclament les villes ? Le Gouvernement a opté pour la première solution, estimant que ses implications parviendront à résoudre les difficultés particulières.
Parler de renouvellement, c'est employer un terme à la mode. Son sens premier sous-entend une certaine continuité. Mais il est redondant, car la ville est, par définition, un espace en mouvement constant, en transformation, en mutation. Le renouvellement lui est intrinsèque.
La volonté du Gouvernement est-elle de refaire la ville sur la ville ou d'imposer de nouvelles et perpétuelles rénovations ?
Bien souvent, les rénovations urbaines ont entraîné l'éviction des couches populaires des quartiers rénovés vers des espaces construits spécialement pour elles. Les ghettos des « Trente glorieuses » ont provoqué les catastrophes sociales, raciales, économiques et sociologiques des deux dernières décennies.
Nous devons nous attacher à ne plus répéter les erreurs du passé. Il y a une peur liée au logement social parce qu'il est associé aux cités ghettos. Or, le logement social peut prendre, aujourd'hui, d'autres formes, en s'adaptant harmonieusement aux sites urbains existants.
Dans un récent sondage de l'IFOP pour la fondation de l'abbé Pierre, 78 % des Français se sont déclarés favorables à l'instauration d'un seuil de 20 % de logement social par commune. Parce qu'il a su évoluer et s'adapter, le logement social ne fait plus peur aux Français.
Malgré les efforts engagés depuis vingt ans, les processus de dégradation et de ségrégation s'aggravent et s'étendent. Ils concernent un grand nombre de quartiers d'habitat social, mais aussi les ensembles de copropriétés privées, les territoires urbains ou périurbains dévalorisés par les départs d'activités et même les centres-villes, dont le bon fonctionnement est essentiel à la vie locale.
Sous les feux de l'actualité, les banlieues connaissent la course poursuite entre des politiques de réparation et de revalorisation et la réalité qui les refoule sans cesse.
Ces problèmes sont le reflet d'une crise sociale plus globale qu'il nous appartient aujourd'hui de combattre.
L'action publique doit lutter en priorité contre les dysfonctionnements d'une société qui se pose parfois en véritable machine à exclure, et doit aussi mieux accompagner les personnes atteintes par le sous-emploi ou par la discrimination à l'embauche.
Certaines zones de nos villes sont entrées dans des spirales de déqualification, d'abandon, de développement des friches. Ce processus bloque le renouvellement et la reconquête.
Par ailleurs, certaines villes subissent de profondes mutations qui sont liées aux évolutions de leurs activités économiques. La professionnalisation du service militaire entraîne inévitablement la fermeture de nombreuses casernes ; les restructurations d'entreprises ou de groupes provoquent la fermeture de nombreuses usines. Que dire des conséquences sur les activités des villes, sur leur sociologie, leur habitat ? J'en sais quelque chose dans mon département, spécialement dans le bassin d'emploi du Soissonais.
La ville du xxie siècle sera confrontée à des évolutions sociologiques sans précédent : la mobilité croissante de l'emploi, le vieillissement de la population et la mise en concurrence des territoires et des cités dans le cadre de l'espace européen. Tout cela risque d'accentuer encore les fossés existants quand ils n'en creuseront pas de nouveaux.
Les politiques de l'urbanisme, de l'habitat et du logement ont leur place à part entière à l'échelle de l'agglomération et c'est à ce niveau, à ce niveau seulement, que ces politiques se doivent d'être globales.
Il est important que les politiques puissent porter sur tous les registres, que ce soit la gestion quotidienne - sécurité, entretien, services - ou les restructurations lourdes - démolitions et reconstructions - pour reconfigurer l'offre de logements, pour assurer une meilleure répartition des activités et des services, ou encore la réinsertion de certains quartiers.
Il est fondamental d'opérer une alliance entre les vestiges du passé, même industriels, et de les insérer dans un avenir qui participera à la transformation sociale, économique et culturelle de nos cités.
Prenons l'exemple de certaines villes comme Dunkerque, où la réconciliation du port avec le centre-ville est un succès, ou comme Roubaix, où les anciennes friches industrielles sont désormais des centres tournés vers le XXIe siècle, avec l'implantation d'universités et d'entreprises innovantes.
La ville renouvelée, c'est le réaménagement, la recomposition au sens de l'urbain, mais c'est aussi la création ou le développement de meilleures conditions d'insertion, d'intégration, de vie sociale, de vie multiculturelle et de civisme.
J'en terminerai par la mesure qui tend à promouvoir 20 % de logements sociaux dans chaque commune de plus de 1 500 habitants d'une agglomération d'au moins 50 000 habitants.
Si je comprends le sens de cette mesure qui tend à favoriser l'intégration et à éviter les ghettos, il n'en reste pas moins que cette mesure est très coercitive et va aussi à l'encontre de la décentralisation.
J'aurais préféré, monsieur le ministre, que vous donniez une prime aux communes qui ont fait un gros effort dans le domaine du logement social plutôt que d'infliger une amende - une amende sévère - à celles qui n'ont pas atteint les 20 %.
Je pense à certaines communes en milieu très dense qui ne disposent pas - qui ne disposent plus - de terrains pour la construction. Pour satisfaire les critères, devront-elles raser des zones entières ou construire des barres de logement le long des axes de transport ?
Pour les villes qui ne disposent pas des 20 % de logements sociaux, nous pourrions envisager, par exemple, qu'elles participent aux loyers des familles locataires du parc privé, à hauteur de leur contribution pour les logements manquants prévue par la loi, l'objectif étant d'insérer le logement social dans la ville et non de l'excentrer une nouvelle fois.
Certes, la participation des communes ne pourrait pas combler l'écart entre loyer privé et loyer HLM, mais, accompagné d'une réforme des allocations de logement, promise de longue date, elle permettrait de pallier certaines carences. De toute façon, si amendes il y a, elles devraient être appliquées très progressivement, beaucoup plus progressivement que ne le prévoit le texte qui nous est soumis.
M. Denis Badré. Exact !
M. Jacques Pelletier. Ce projet de loi à l'étude a le mérite et l'avantage de redonner de la cohérence au développement des villes et de renverser les tendances actuelles souvent orientées vers la ségrégation sociale et spatiale.
Outre les améliorations qui peuvent lui être apportées, il pallie des difficultés que rencontrent bon nombre de nos villes.
Le temps n'est plus au cloisonnement, il est à l'ouverture : ouverture vers la construction d'un troisième millénaire solidaire, à visage plus humain, que le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains entend initier dans l'intérêt de tous, et permettant à chacun d'accéder véritablement à une meilleure qualité de vie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Percheron.
M. Daniel Percheron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans la loi, la belle loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, se trouve, je dirais presque se cache, la décentralisation définitive du transport ferroviaire régional de voyageurs.
Cette nouvelle avancée - il faut l'espérer ! - de la décentralisation est la plus importante depuis la prise en charge par les régions de la construction et du fonctionnement des lycées. Elle mérite mieux, sans doute, que ce débat dans le débat et que cette précipitation, qu'un sénateur responsable des transports de sa région ne peut que regretter.
Il aurait été plus logique, me semble-t-il, d'attendre le résultat de l'expérimentation volontaire et réversible, acceptée par sept régions, dont le Nord - Pas-de-Calais. Il aurait été plus cohérent, malgré son indulgence, de ne pas anticiper sur les travaux et les propositions de la commission présidée par notre collègue M. Pierre Mauroy.
Mais le ministre des transports a accéléré brutalement, inexplicablement à mes yeux, et nous sommes bien obligés de le suivre, de vous suivre, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, non sans solliciter davantage de précisions, non sans espérer un surcroît de certitudes.
Depuis de nombreuses années, les régions exercent leur autorité en matière de transport ferroviaire régional. Le transport express régional fonctionne de manière satisfaisante. Les trains sont, presque toujours, à l'heure, plus nombreux, plus rapides, plus confortables qu'avant la régionalisation. La collaboration, confiante et efficace, entre la SNCF et les conseils généraux a fait ses preuves. Le trafic progresse lentement mais régulièrement. Les usagers, vigilants et exigeants, souhaitent une amélioration constante du service public. Le transfert de compétences s'appuie donc sur une base très solide. Pourtant, au-delà de sa simplicité apparente, il pose quelques redoutables questions que je voudrais aborder brièvement.
La première a trait aux contraintes qui pèsent sur les deux partenaires irremplaçables de cette décentralisation complexe et originale : la SNCF et RFF, le propriétaire des infrastructures.
La SNCF, tout d'abord. Elle sera - vous l'avez voulue ainsi et nous l'acceptons sans hésitation - l'entreprise, la seule, chargée d'assurer le transport ferroviaire régional.
Cette grande entreprise publique, depuis vingt ans, a privilégié sur tous les plans le réseau national, les longues distances et le TGV. Son endettement est considérable. Elle fait aujourd'hui un immense effort d'adaptation, de modernisation, de transparence aussi, ce qui est vital pour l'avenir du transport régional ferroviaire. Sans l'aide massive de l'Etat, elle serait en très grande difficulté. Il est donc clair que la SNCF ne pourra en aucun cas faire pour les régions ce qu'elle a fait pour la nation depuis vingt ans à la demande des gouvernements successifs.
Le renouvellement du matériel roulant, la renaissance des gares, les sauts qualitatifs des dessertes ferroviaires - je pense au cadencement horaire, indispensable, au TER à grande vitesse du Nord-Pas-de-Calais - dépendront exclusivement de la volonté des budgets publics et de la volonté des budgets régionaux.
RFF, le propriétaire du réseau ensuite. Les contrats de plan viennent de faire la démonstration de sa relative impuissance, même nuancée de bonne volonté. Trop lourdement endetté, RFF hésite devant la régénération et la désaturation du réseau. RFF renoncerait même souvent sans le concours financier nouveau et substantiel des grandes collectivités locales, en particulier des régions.
L'ambition, nécessaire, de développer simultanément et le trafic ferroviaire voyageurs et le trafic ferroviaire marchandises, rencontre là ses limites. Les régions ne pourront accepter que l'augmentation des péages payés à RFF, si pauvre, pour l'utilisation des infrastructures qu'elles contribuent à moderniser, alourdisse considérablement la facture du transport ferroviaire régional de voyageurs.
La maîtrise des péages est un enjeu plus important que la répartition des sillons. A l'Etat de veiller et de convaincre.
Face à cette situation, messieurs les ministres, une question vient naturellement à l'esprit : est-il raisonnable de transférer définitivement le transport voyageurs aux régions sans s'inspirer, au moins partiellement, de la régionalisation ferroviaire allemande ? En Allemagne, l'Etat a repris la dette des chemins de fer allemands avant de confier aux Länder la responsabilité du rail. Qu'en pense le Gouvernement ?
La deuxième question concerne évidemment la dotation de décentralisation, la compensation financière de l'Etat.
L'expérimentation dans les sept régions volontaires et la progression très nette de la clarté des comptes de la SNCF permettent aujourd'hui d'évaluer la réalité financière et économique du TER : des charges en constante et régulière augmentation, des recettes provenant un peu des guichets, un peu des voyageurs, et beaucoup de l'effort public national et régional - dotations, tarifs sociaux, subventions.
Le transfert de compétence exige donc de l'Etat loyauté et imagination.
Loyauté à l'égard des régions, qui ne pourront assumer un transfert de charges comparable à celui qu'elles ont accepté, parfois revendiqué, lors du transfert des lycées, il est vrai transcendé par la perspective de porter 80 % d'une tranche d'âge au niveau du baccalauréat. En moins de dix ans, rappelons-le, les crédits pour les lycées sont passés de 1 millard de francs à 15 milliards de francs.
Imagination pour créer de nouvelles ressources garantissant l'essor du transport ferroviaire à armes presque égales avec la route. Pourquoi ne pas accorder une petite part de la TIPP - taxe intérieure sur les produits pétroliers - la sacro-sainte TIPP aux régions : 5 % par exemple, 8 milliards de francs, 0,1 % du produit national brut, qui serait affecté au transport ferroviaire ? Le développement durable vaut bien une légère entorse au dogme !
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a accéléré, nous sommes prêts à le rejoindre, à condition qu'il prenne le temps et les moyens de nous rassurer. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vous avez devant vous un sénateur accablé. La loi sur la parité m'a déjà amené à réduire le nombre de femmes au sein de mon conseil municipal où elles étaient majoritaires, et voici que l'article 25 de votre projet de loi sur le logement social va briser l'effort, difficile mais déterminé, qu'avait engagé ma ville à ce titre.
De nouveau, l'application locale de principes nationaux méconnaissant les réalités du terrain tue les meilleurs objectifs. Lorsque nous opposons donc à votre projet de loi le principe de libre administration des communes, nous le faisons, bien sûr, parce qu'il ne faut pas transiger avec ce principe pour conserver vivante la démocratie, nous le faisons surtout parce que, de fait, il n'existe de meilleure administration qu'au plus près. C'est là, dans la lisibilité et la clarté, qu'efficacité peut rimer avec économie.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, n'est-il vraiment pas possible de faire confiance aux responsables du terrain ?
Que l'Etat fixe des objectifs, il est dans son rôle, mais qu'il pratique a priori la punition collective, c'est une pédagogie qui a dépuis longtemps été rejetée dans nos salles de classe. D'ailleurs, nous ne sommes pas à l'école !
Pourtant, si j'ai bien compris, c'est parce que certaines communes n'auraient pas respecté la loi de 1991 que vous les punissez toutes ! L'Etat ne peut pas traiter ainsi les collectivités locales réputées pourtant libres. N'est-ce pas même à L'Etat qu'il appartient de faire respecter la loi, même celle de 1991 ? Nous refusons de payer l'incapacité de l'Etat.
Je vais très concrètement développer mon propos. Le terrain devrait d'ailleurs toujours inspirer l'exécutif, au moins autant que le législatif.
Je souhaite vous montrer pourquoi, en l'état, votre projet de loi risque de ramener à zéro le rythme de construction de logements sociaux dans ma ville.
C'est bien par nécessité locale - il nous manque des logements sociaux - et parce que nous voyons où sont nos responsabilités politiques, mais aussi parce que nous ne pouvions pas payer la contrepartie financière exigée par la loi de 1991 de ceux qui n'en faisaient pas assez, que nous avons fait le maximum pour appliquer cette loi. Nous l'avons fait logement par logement, quartier par quartier, en saisissant systématiquement toutes les opportunités, si ténues soient-elles. Mais faire de la dentelle, n'est-ce pas la meilleure manière de faire de la mixité ?
Nous avons donc fait ce qui nous était demandé. Nous avons construit du logement social, et vous venez nous dire aujourd'hui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous avons eu tort de respecter la loi de 1991. A l'avenir, nous aurons moins confiance en l'Etat.
J'ajoute que, dans un tel domaine, il faut de la continuité et de la constance. De ce fait, pourquoi casser notre élan ?
Enfin, nous ne pourrons supporter en même temps le poids financier d'une amende et celui de la construction de logements sociaux.
Depuis 1991, nous avions choisi le logement ; vous nous imposez l'amende ; nous ne pourrons payer les deux ! Nous sommes dans le cas le pire, c'est la quadrature du cercle. Cela existe, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat. C'est le minimum de terrain disponible soumis au maximum de contraintes de protection, le minimum de ressources financières face à des prix exorbitants.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de telles situations se retrouvent ailleurs, dans mon canton, dans le département des Hauts-de-Seine et en Ile-de-France. J'attends de vous que vous nous disiez si votre projet de loi pourra les prendre en compte et, dans l'affirmative, comment ? Pour l'instant, en effet, nous donner vingt ans pour atteindre le seuil fatidique de 20 % ne nous suffira pas et je le démontre. Depuis dix ans, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, 177 logements - c'est très peu - dont 54 logements sociaux, soit 40 % du total - c'est beaucoup - ont été réalisés dans ma ville. Ce rythme de 40 % de construction de logement social est deux fois supérieur à l'objectif fixé par votre projet de loi. Néanmoins, même à ce rythme, il faudra 150 ans pour construire les 771 logements que nous réclame ce projet de loi.
Même si 100 % du logement construit était social - mais alors, à quel prix dans une ville comme la mienne ? - il nous faudrait plus de cinquante ans pour atteindre un objectif que vous nous imposez d'atteindre en vingt ans. Sans compter que, dans ma ville, le nombre total de terrains voués à la construction va se raréfiant.
Mais il faut dire que deux tiers de la surface communale sont occupés par une forêt domaniale, évidemment inaliénable, le tiers restant étant soumis à toutes les protections possibles au titre des monuments historiques.
Pour ce qui concerne la protection des monuments historiques, je rappelle simplement l'excellente intervention de notre collègue, M. Etienne Pinte, à l'Assemblée nationale. Je le rejoins en soulignant que son analyse peut être transposée dans la plupart des villes des Hauts-de-Seine, qui se trouvent dans sa ligne de mire de votre loi.
Pour ce qui est de la forêt, elle est également bien utile à tous. Or il se trouve que, dans un département comme les Hauts-de-Seine, les emplois, les logements, mais aussi les indispensables espaces verts ne sont pas répartis dans les mêmes proportions dans chaque ville. Il en résulte que celles qui apportent le plus d'oxygène sont généralement aussi celles qui ont le moins de terrains libres - et, surtout, celles qui disposent des plus faibles recettes de taxe professionnelle. Dans ces conditions, n'est-ce pas à l'échelle d'ensemble du département, et non de chaque commune, que les différents besoins doivent être couverts, qu'une réflexion doit être menée, que de vrais choix peuvent intervenir ? Viser les communes de plus de 2 500 habitants dans une agglomération de 50 000 habitants, cela n'a aucun sens dans la région parisienne.
M. Dominique Braye. Aucun !
M. Denis Badré. Ne condamnez pas a priori les petites communes de cette grande région, petites communes qui ont néanmoins entre 10 000 et 20 000 habitants. Ce ne serait ni glorieux ni efficace.
Ou alors, soyons complets, et prenons en compte tous les besoins de nos concitoyens. Pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas exiger un projet de loi punissant, cette fois, les communes qui n'offriraient pas 20 % d'espaces verts ?
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous fais cette suggestion : les citadins ont besoin de logements sociaux, mais aussi d'oxygène. Votre projet de loi, lui, en manque cruellement. Or c'est bien la mixité « logements-espaces verts » qu'il devrait d'abord envisager pour retrouver du souffle.
Les communes qui apportent beaucoup d'oxygène peuvent-elles bénéficier d'un traitement moins brutal pour ce qui concerne le logement social ? L'espace n'étant pas extensible, il est parfois difficile d'avoir à la fois des forêts et des logements.
Dans ma ville, les rares terrains qui peuvent se libérer ont des valeurs locatives doubles de la moyenne des valeurs locatives du département. Faire du logement social à Ville-d'Avray est donc très coûteux. La commune y consacre tout de même chaque année une somme de l'ordre de la taxation que vous projetez de nous imposer. C'est là un considérable effort dans la mesure où l'assiette de taxe professionnelle par habitant n'atteint pas 20 % de la moyenne nationale. Votre punition, qui s'élève à 750 000 francs pour ma ville et qui viendrait sanctionner l'histoire et la géographie et non une quelconque faute de gestion ou une erreur de choix politique, représenterait, à elle seule, environ le tiers de nos recettes de taxe professionnelle. Quelle commune peut supporter une saignée pareille ?
Vous condamnez ma ville parce qu'elle ne pourra pas avoir 20 % de logements sociaux dans vingt ans. Or, comme je viens de le démontrer, je ne vois pas comment cela sera possible. Cet objectif est inaccessible, et ce avant beaucoup plus longtemps. Cet objectif est inaccessible parce que les terrains manquent. A moins que je n'utilise la mairie ou l'église... mais elles sont classées !
Cet objectif était financièrement inaccessible avant le présent projet de loi. Or, ce dernier est de nature à aggraver une situation déjà impossible à vivre. Ma ville, comme d'autres, se trouve donc condamnée à perpétuité ! De quel droit ?
Pouvez-vous confirmer votre volonté d'écoute, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, en acceptant d'approfondir une concertation à partir du cas réel que je vous présente et que je n'invente pas. Pourriez-vous me dire comment de telles villes, la mienne et d'autres dans le département, pourront appliquer votre projet de loi et survivre ? Surtout, pourrez-vous me dire comment elles pourront continuer à construire les logements sociaux dont elles ont besoin ?
Au-delà de cet appel au secours lancé au nom des communes que ce projet de loi va donc mettre en grande difficulté, voire à la limite de la précarité - je pèse mes mots - je vous pose trois questions.
La première question a déjà été évoquée par plusieurs orateurs : allez-vous enfin nous proposer une définition stable et lisible du logement social ? Aujourd'hui, vous proposez d'en diminuer encore le champ, notamment en sortant de la définition les logements privés conventionnés. Ne relèverait-il pas du bon sens de revenir à la définition de 1991, sur laquelle se sont précisément appuyées les communes pour la mise en oeuvre des PLH ? Je note d'ailleurs que la définition retenue dans votre projet de loi n'est pas non plus celle qui s'applique pour la dotation de solidarité urbaine. Il faut de la cohérence, là aussi.
Deuxième question : que pensez-vous de l'idée d'établir une relation entre recettes de taxe professionnelle et besoin de logements sociaux - les logements sociaux, cela a un coût - en mutualisant par exemple les unes et les autres au niveau d'une agglomération assez vaste pour que cela ait un sens ?
Troisième question : votre objectif est bien la construction de logement social, dès lors pourquoi le fixer en volume ? Ce sont les flux qui construisent ! Pourquoi ne pas exonérer les communes qui construisent effectivement plus de 20 % de logements sociaux chaque année sans pour autant parvenir à atteindre le seuil de 20 % en volume en vingt ans ?
Cela dit, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne perds pas espoir, même s'il est plus difficile de gérer une commune pauvre, enclavée dans la forêt, à l'écart des grands axes de développement de la région et qui, de plus, va être condamnée par votre loi, parce que les causes les plus difficiles peuvent aussi être les plus intéressantes et parce que je continue à croire en l'avenir et peut-être un peu en vous.
Pour le montrer, je termine sur une note constructive en soulignant à nouveau que c'est bien sur le terrain que cet avenir, auquel nous croyons tous, se gagnera. Pour illustrer mon propos, je citerai un exemple vécu actuellement, toujours dans ma ville, de ce que l'Etat ne saura jamais faire aussi bien qu'une municipalité.
Un propriétaire a décidé de vendre à un promoteur immobilier un terrain construit avec cinq petits appartements occupés et ayant grand besoin d'être rénovés. Le prix de vente en était largement sous-estimé au regard de l'évaluation des domaines. J'ai exercé mon droit de préemption. Le bien fut retiré de la vente pour réapparaître, quelques mois plus tard, à un prix légèrement réévalué, mais toujours très sous-estimé.
Du fait de difficultés de procédure sur lesquelles je ne m'étends pas, la transaction fut malheureusement tout de même réalisée dans ces conditions. Je n'ai alors pas hésité à choisir, là encore, la seule solution possible : lancer une enquête d'utilité publique permettant l'expropriation pour réhabiliter ces cinq logements, tout cela aux frais de la commune.
Le logement social et la morale y trouvent leur compte. Ce n'est que localement que de telles opérations peuvent être conduites ; jamais l'Etat ne pourra le faire sur cinq logements. Ce sont de tels comportements de proximité qui, mieux que toutes les lois et toutes les taxations, rendront nos villes plus humaines et notre société plus solidaire et plus vivante.
En bridant les volontés et en réduisant les possibilités locales, auxquelles il faut faire confiance, je crains que vous ne fassiez au contraire une grave erreur. Alors que la concertation s'imposerait, curieusement, vous en réduisez d'avance le champ en déclarant une urgence que rien ne semble justifier.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, ne refusez pas le dialogue. Acceptez de prendre vraiment en compte la réalité du terrain dans sa diversité. Ces difficultés vous paraissent peut-être caricaturales, mais je tiens à votre disposition toutes les données qui vous permettront de vérifier ce que je viens de dire.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, prenez en compte cette réalité dans sa richesse, richesse des possibilités et de l'enthousiasme local, le logement social lui-même en sortira gagnant ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bonne intervention !
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je n'interviendrai que sur la partie ferroviaire de ce texte. A ce titre, je regrette l'absence de M. Gayssot, mais nous avons d'ores et déjà eu quelques conversations, notamment au sein de l'Association des régions de France.
Nous voici devant un projet de loi gâché, une réforme cassée, abîmée, comme si Bercy avait voulu faire taire la voix du rail régional.
Cette réforme, en elle-même, portait quelque chose d'essentiel : une décentralisation réussie, à un moment, où, dans notre pays, les « mammouths » sont incapables de s'attaquer à la réforme de leurs propres structures. Alors que, de Bercy aux affaires sociales en passant par l'éducation nationale, la concentration des pouvoirs conduit à l'impuissance, il y avait là une ouverture, une perspective : le « mammouth » SNCF était peut-être réformable grâce à l'expérimentation.
Voilà que sept régions en France, plusieurs années durant, se lancent dans une expérimentation de décentralisation. Les élus prennent à coeur le dossier, les personnels s'engagent, l'ensemble des acteurs participent. Pour la commission de décentralisation que préside M. Mauroy, cette expérience était pleine d'espoir : expérimentons, et cela bougera !
Nous avons vu des choses extraordinaires ! Nous avons vu la CGT locale convaincre la CGT nationale et des élus locaux convaincre les élus nationaux. Une vision positive est montée du terrain : et si l'on faisait en sorte que les territoires aient de vraies responsabilités pour organiser le transport ferroviaire.
Cette réforme-là était sur les bons rails. De nombreuses expériences ont été menées. Dans la grande région dynamique et performante qu'est l'Alsace, elles avaient engendré une augmentation de la fréquentation du rail et réussi à instaurer une cohérence territoriale entre les villes moyennes. Le Limousin avait d'autres soucis et était confronté à d'autres préoccupations qu'il cherchait à surmonter. Tout le monde s'était mis au travail. Et puis, au moment où un bilan de cette expérimentation aurait pu être dressé, d'un seul coup, on précipite le tout...
M. Ladislas Poniatowski. L'urgence !
M. Jean-Pierre Raffarin. D'abord, ce projet de loi est assorti de la procédure d'urgence.
M. Nicolas About. Monstrueux !
M. Jean-Pierre Raffarin. Songez aux problèmes qui vont se poser. Qui sera responsable de la sécurité dans les gares ? Le personnel est, à juste titre, concerné. Qui va gérer les tarifs sociaux ?
J'en appelle à la conscience républicaine de nos collègues socialistes. Qui, dans notre pays, est responsable de la cohérence républicaine, de l'action sociale ? Qui doit être responsable des tarifs sociaux ? Qui aura accès à cette justice sociale à laquelle nous sommes tous attachés ? Veut-on que les tarifs sociaux se décident d'une région à une autre sans aucune cohérence, avec une compétition sur le « mieux-disant » social ? Qui est responsable de la cohérence sociale ? Qui va payer ? Et comment allons-nous arbitrer ?
La SNCF veut augmenter - et elle a raison ! - la part de son fret ; elle va donc créer des trains nouveaux et, pour ce faire, elle a besoin de sillons nouveaux.
Par conséquent, les régions vont être en concurrence avec la SNCF pour avoir des trains nouveaux, des sillons nouveaux. Qui arbitrera ? Car la SNCF ne manquera pas de faire valoir que, sans sillons nouveaux, elle fera passer en priorité ses trains de marchandises. Bravo ! A ce moment-là, la SNCF sera joueur et arbitre.
Tout cela aurait mérité plus de discussions et un approfondissement, notamment de l'expérimentation, laquelle n'est intéressante que si l'on prend le temps d'en lire les résultats !
Dans ce contexte, de vraies solutions sont apparues, qui auraient mérité autre chose que quelques articles dans un projet de loi, articles d'ailleurs passés inaperçus à l'Assemblée nationale, mais qui modifient profondément les responsabilités des collectivités territoriales.
Nous avons préparé un certain nombre d'amendements pour apporter des correctifs liés à l'expérimentation et pour préciser les intentions du Gouvernement, car on sent bien, compte tenu du petit nombre d'articles, que cette régionalisation se fera principalement par la voie réglementaire, ce qui nous préoccupe.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, tout cela aurait pu être acceptable et même profitable aux uns et aux autres s'il n'y avait pas eu cette triste affaire du règlement financier.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. La SNCF annonce des résultats positifs et s'en félicite - on peut tous se féliciter de ces résultats - mais, d'un côté, elle transfère ses dettes à Réseau ferré de France, RFF, et, de l'autre, elle garde les bénéfices du TGV et décentralise les déficits du TER ! Voilà bien la plus malicieuse de toutes les recentralisations : je vous donne les déficits, je garde les bénéfices et voyez comme je suis généreuse et décentralisatrice ; à vous les problèmes, à moi les recettes !
C'est en vérité la pire des recentralisations, une recentralisation à laquelle, de plus, nous ne sommes pas vraiment associés. M. Mauroy a bien eu l'élégance d'inviter M. Gayssot le matin même de la présentation de son texte à l'Assemblée nationale, mais c'était un peu tard pour qu'on lui fasse part, au sein de la commission sur la décentralisation, de la véritable appréciation que nous avions sur un texte qui est en fait un texte de recentralisation.
Nous allons donc nous trouver dans la situation suivante : alors que les responsabilités seront lourdes sur le plan financier, nous n'aurons aucune assurance que les financements nécessaires nous seront accordés. De plus, nous nous heurtons à un « niet » absolu du Gouvernement lorsque nous demandons une indexation non pas sur les salaires de la SNCF - ce qui aurait pourtant été possible et nous aurait mis à l'abri d'un certain nombre de dérives, mais je conçois que cela soit excessif -, mais sur le PIB pour tenir compte de la richesse nationale, faire en sorte que la préoccupation « transport ferroviaire » garde sa place dans l'ensemble des préoccupations nationales et éviter un déclin des financements dû à une indexation insuffisante.
Le Gouvernement ne nous concède que la DGD, toute la DGD et rien que la DGD, nous condamnant donc à un déficit global qui va peser terriblement sur les finances locales.
Sur le fond, c'était certes un coup dur, mais nous aurions pu discuter sur cette situation financière si, de surcroît, nous n'avions pas été confrontés à la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation. Nous nous demandons vraiment si la volonté n'est pas d'assécher les territoires, et de les priver de moyens. C'est bien la pire de toutes les recentralisations !
Au moment où nous venons de négocier nos contrats de plan avec loyauté, ...
M. Henri de Raincourt. Quelle erreur ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin. ... et alors que, dans toutes les régions, nous sommes parvenus, en dépit de majorités souvent difficiles, à faire voter ces contrats de plan pour engager des financements très importants - la contractualisation, pour laquelle l'Europe, l'Etat, les régions, les départements et les villes ont joué un rôle très important, représente en effet, pour la période 2000-2006, plus de 400 milliards de francs - c'est à ce moment-là qu'on nous annonce que la part régionale de la taxe d'habitation est confisquée !
La DGF a évolué de 2,02 % sur la période 1994-1998, alors que les bases de la taxe d'habitation ont augmenté de plus de 3 %. Cela signifie que, pour la période 2000-2006, le déficit sera pour les régions de 1,5 milliard de francs, alors que la régionalisation du ferroviaire va exiger que nous mobilisions des moyens financiers considérables. En effet, la régionalisation n'a d'intérêt que si nous améliorons les services, donc si nous investissons. Pour progresser, il faut investir. C'est précisément au moment où nous devons investir qu'on nous prive encore de ce moyen de financement qu'est la part régionale de la taxe d'habitation !
On explique aux Français qu'il s'agit d'une suppression de taxe alors que, chacun le sait, il s'agit en grande partie d'un transfert. Il y aura tout de même un manque à gagner, que devront supporter les collectivités territoriales qui doivent assumer la mission nouvelle de la régionalisation du ferroviaire.
Nous sommes à un moment où notre pays doit faire face aux agressions dont est victime le national, qui est l'espace de la cohérence politique. La nouvelle économie menace le national, qui a besoin, pour se défendre, de la puissance de l'Europe et de l'initiative du local.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce triangle de forces nouvelles est la véritable réponse française au défi de la mondialisation. Or comment voulez-vous que le local participe de ce mouvement si le national lui confie ses déficits et le met dans l'incapacité de régler les problèmes ? Monsieur le ministre, c'est grave !
Nous croyons vraiment que la décentralisation est une perspective importante. Nous avons cru que la régionalisation du ferroviaire était une piste d'avenir importante, et nous continuons à penser qu'il faut aller dans ce sens-là. Mais faisons en sorte que notre République respecte ses territoires et leurs capacités d'initiative, parce que l'on sait bien que l'avenir est aux forces ascendantes et aux énergies locales.
Ce texte est, pour nous, profondément décevant. Nous comptons sur la sagesse de la Haute Assemblée et sur les amendements qui seront proposés pour donner au Gouvernement une perspective qui permette de convaincre l'Assemblée nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, aussi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. Quel réquisitoire !
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, on ne peut que regretter que le projet relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, qui aborde plusieurs problèmes importants - dont celui de la régionalisation du transport ferroviaire - et pose le problème de fond des relations entre l'Etat et les collectivités locales ait ouvert une caricature du débat sur la ville, sujet qui est pourtant au coeur de la problématique de la civilisation du xxie siècle, et nous ait fait rapidement retrouver les vieux clivages politiciens, entre les cris d'horreur devant la défense des égoïsmes et l'angoisse des élus devant le retour de l'Etat jacobin.
« On ne peut pas résoudre les problèmes avec ceux qui les ont créés », disait Einstein. Or je crois que le fond du débat, tant pour les uns que pour les autres, c'est l'efficacité de l'action publique et le fait que la relation entre l'Etat et les collectivités locales ne peut pas consister, pour l'Etat, à transférer ses échecs ou ses incapacités sur le dos des élus locaux. Cela serait contraire à l'intérêt national.
Je m'interroge pour savoir si nous ne commettons les mêmes erreurs. Nous analysons une situation avec, quelquefois, une approche identique sur les déséquilibres constatés, mais nous oublions peut-être les flux qui, depuis vingt-cinq ou trente ans, ont structuré notre territoire.
De 1945 à 1955, on a construit 900 000 logements ; de 1955 à 1965 trois millions de logements, qui, aujourd'hui, sont critiqués par les uns et par les autres. Mais, à l'époque, cela correspondait à un progrès perçu par tous, avec du travail, du confort, et la ville était un lieu de repos, un lieu de loisir. Chacun sait l'apport considérable qu'ont eu les villes dans la politique culturelle, dans la politique sportive, dans la dynamique même du comportement des uns et des autres.
Aujourd'hui, sont-ce les données techniques ou les données sociétales qui ont changé ? Chacun sait que moins de travail, moins de confort, ont transformé le mieux-vivre urbain en mal-vivre urbain, au point que, dans certains quartiers, la vacance atteint 30 % ou 40 %. Cela signifie qu'il y a une inadéquation entre la demande formulée par les habitants et l'offre publique. C'est une leçon qu'il nous faut intégrer : lorsque l'offre publique ne correspond pas à une demande, c'est l'histoire d'un échec annoncé. La volonté politique peut être réelle, la réalité sociale s'imposera.
On nous indique qu'il y a un réel déséquilibre entre les territoires. Cela est dû, bien évidemment, à l'égoïsme de certains élus et à la générosité d'autres. Mais sont-ce les maires qui ont fait la ville ou les villes qui se sont imposées aux maires ? Dans certains cas, en effet, elles sont le fruit de l'histoire - les villes minières - de la géographie, voire de l'Etat lui-même qui, dans les années soixante, a créé les villes nouvelles ou les grands ensembles.
Hier, j'entendais M. Gayssot opposer la République et l'égoïsme communal. Si, aujourd'hui, il existe un déséquilibre en matière de logements sociaux, c'est, certes, l'expression d'une volonté politique locale, mais, si ma mémoire est bonne, cette volonté a aussi été accompagnée de crédits d'Etat. Nous avons donc une responsabilité partagée dans le paysage urbain, qui, aujourd'hui, pose problème.
S'agissant des 20 % de logements sociaux, je trouve qu'on réduit un peu le débat, comme si une harmonisation statutaire était inéluctable au nom de l'égalité, afin qu'au cours des vingt-cinq prochaines années chacun, pour reprendre l'expression d'un journaliste, ait « son pauvre, son immigré, son chômeur » !
Nous devons aujourd'hui valoriser l'image du logement social et ne pas le réduire à la difficulté sociétale de nos concitoyens. Or enfermer les gens dans des statuts pose aujourd'hui le véritable problème de l'intégration. Nous devrions éviter d'enfermer les territoires dans des statuts. Nous passons, je crois, à côté d'un vrai débat qui consiste à nous interroger sur les réponses que nous devons apporter à notre société, qui conjugue le déclin moral, le suicide culturel, la désunion politique avec une montée des comportements asociaux, un déclin de la famille, un déclin du capital social, une faiblesse de l'éthique, et au sein de laquelle la cohésion et l'intégration se faisaient autour des valeurs morales partagées et de lois acceptées.
En réalité, nous vivons non pas l'échec d'une politique urbaine, mais celui d'une société qui a raté son intégration, qui est menacée aux deux extrémités par un déséquilibre statique des sociétés fermées qui se replient sur elles-mêmes et une désagrégation des sociétés transactionnelles. L'homme vaut plus par ce qu'il dépense que par ce qu'il pense ; demain, il ne faudrait pas hiérarchiser les individus en fonction du caractère statutaire du logement.
Au moment où s'accélèrent les mutations économiques, qui rendent fragile l'avenir des territoires, des règles environnementales imposent de nouvelles limites à leur développement et à leur potentialité. On nous parle à nouveau de maîtrise de l'espace périurbain et de densification urbaine. Je pense que la réponse est non pas dans l'unicité, mais au contraire dans la diversité et la complémentarité.
Nous vous avons donné notre accord pour l'émergence d'un nouveau pouvoir d'agglomération permettant d'assurer une cohérence des différents schémas et une harmonisation des différentes politiques. Il faut effectivement que nous réfléchissions à des outils de régulation afin de parvenir à une harmonisation dans la gestion de l'espace. Toutefois, s'il y a plusieurs dimensions de l'espace, il n'y a qu'une dimension du temps. Si l'agglomération n'est pas un facteur de progrès social, cette loi n'aura pour résultat que la répartition des échecs de notre société et elle augmentera les risques de racisme social et de fracture territoriale.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. Nous risquons de nous préparer de belles campagnes électorales municipales opposant, d'un côté, ceux qui prôneront les vertus de l'intégration mais qui préféreront voir l'étranger ailleurs et, de l'autre, ceux qui prôneront l'égalité des chances en ne voulant accueillir que les plus performants.
L'Etat, qui refuse d'analyser cette logique de politique publique, veut faire retomber les échecs sur le dos des élus locaux.
J'aurais préféré une loi plus visionnaire, plus contractuelle entre l'Etat et les collectivités locales, pour tout dire, une loi plus proche de la réalité du terrain. J'ai du mal à concevoir que l'on puisse avoir la même approche thématique pour des régions différentes. L'égalité des chances territoriales passe par l'inégalité des réponses et l'accompagnement de l'Etat à des expressions du terrain.
Nous devrions analyser les besoins. Avons-nous besoin de 20 % de logements sociaux partout ? Je n'en suis pas convaincu. Quelle est l'offre dans sa globalité et non selon les statuts ? N'aurions-nous pas pu déconcentrer les moyens de l'Etat avec une souplesse d'utilisation adaptée au terrain : ici la démolition, là la modification des plafonds de ressources, là encore une allocation de logement mensualisée, une solvabilisation qui épouse le parcours du locataire ? N'aurions-nous pas pu initier une approche globale des quartiers par l'Etat intégrant, bien évidemment, l'offre en matière de logements, mais aussi, le logement n'étant plus qu'une partie d'une politique globale ; comprenant une action en matière de services, de santé et de culture ? Ce que les collectivités locales réclament de l'Etat c'est une approche globale, un partenariat et non une approche culturelle sectorielle.
Alors que le logement est un droit pour tous, le logement social véhicule une image négative et nous devons éviter que cette loi ne soit la loi de la répartition des pauvres ou des échecs de notre société.
La ville doit redevenir un lieu de progrès pour tous, un lieu d'épanouissement pour chacun et d'égalité des chances. Il faut un droit au logement pour tous, mais à un logement adapté à la situation de chacun, assorti d'un droit à la santé, à l'éducation et à la sécurité. Il nous faut éviter que la ville ne soit à l'image de notre société : la liberté pour ceux qui peuvent se l'offrir et le piège pour les autres. Ce n'est pas toujours une question de logement ; c'est une question de qualité de vie. Nous avons fait un certain nombre de propositions dans ce sens et la commission des lois en a repris quelques-unes.
Ce projet de loi comporte trois volets.
Sur le premier concernant le renforcement de la cohérence, j'ai déjà exprimé notre avis favorable, même s'il conviendra de réfléchir, à l'échelon des schémas régionaux, sur l'intégration de la ville dans une approche beaucoup plus globale, dépassant même les limites de l'agglomération. En effet, si l'histoire et la géographie ont façonné les villes, l'automobile en a déplacé la centralité, et, aujourd'hui, les services sont en train de déplacer les lieux de décision.
Sur la simplification des documents d'urbanisme, je ne partage pas votre optimisme, monsieur le secrétaire d'Etat. Je crains l'augmentation des recours, l'augmentation des contentieux. Aussi, dans les délais que vous imposez aux collectivités locales, il faudrait prendre en compte la gestion des contentieux. Quelquefois, en effet, le délai qui s'écoule entre une décision politique locale et son application se trouve considérablement allongé par le déroulement de contentieux juridiques. De tels cas ne devraient pas faire l'objet de sanctions.
Il reste le problème du logement. Vous avez, chacun en convient, augmenté les crédits, accéléré les démolitions, mais nous restons en dehors d'une réflexion sur l'individualisation de la politique du logement épousant l'invidivu dans son parcours personnel, sur une adaptation des crédits publics au financement. Vous allez contraindre les collectivités locales et, parallèlement, leur demander des cautions, exiger d'elles une surcharge foncière, augmenter leur budget consacré à l'aide personnalisée au logement.
Nous aurions dû engager une réflexion d'ensemble sur la politique du logement intégrant le public, le privé, l'aide à la pierre et l'aide à la personne. Il faudrait que le logement redevienne la dynamique pour la ville qu'il était alors que, pour certains, il apparaît maintenant comme un fardeau.
Je partage votre volonté d'offrir à chacun la possibilité de suivre un parcours positif avec un droit à l'activité, voire un devoir d'activité, un droit au logement, voire un devoir de locataire, pour développer la volonté de sortir de la misère des grandes villes modernes, celle-ci n'étant pas le résultat d'un affaiblissement des qualités humaines mais découlant de l'existence d'environnements sociaux qui inhibent l'expression de ces qualités. La ville était un rêve. Elle doit le redevenir.
Au moment où l'Assemblée nationale vote une loi sur la régulation économique permettant aux uns de croire aux coups de menton et aux autres à la main invisible du marché, je ne crois ni à l'un ni à l'autre mais à la régulation par l'homme. C'est son comportement qui détermine l'échec ou la réussite d'une politique. Une politique du logement ne peut se concevoir que si elle améliore le comportement des individus.
A de nouvelles données sociales, de nouvelles réponses urbanistiques. La liberté de choisir est un facteur essentiel de la condition humaine. A mon sens, ce projet de loi ne doit pas être guidé par une notion d'échec ; il doit au contraire répondre à une vision prospective de l'avenir.
Le fait que le quota de 20 % apparaisse comme une punition ne me paraît pas correspondre à l'esprit du temps. Je crois plus à l'incitation. On vante aujourd'hui le résultat de l'intercommunalité urbaine. Est-elle le fruit de la volonté politique locale ou celui d'une incitation financière que l'Etat a accepté de mettre en place et qui produit aujourd'hui ses effets ?
Si je suis favorable à la cohérence des schémas, si je dis oui à la nécessaire complémentarité des territoires, je dis non à la contrainte. Nous aurions dû imaginer des contrats Etat-agglomération suffisamment incitatifs financièrement pour atteindre les objectifs assignés par l'Etat.
Si, aujourd'hui, on stigmatise les déséquilibres, chacun porte sa part de responsabilité. En effet, le refus de l'élu local, qui ne mesurait pas bien quelquefois les excès s'est accompagné de l'irresponsabilité de l'Etat en matière de crédits publics.
J'aurais préféré que l'offre de logements se fasse en intégrant l'accession et la location, la construction et la réhabilitation, le public et le privé, qu'elle réponde à une demande sociale de logements mobiles, adaptés et évolutifs.
Ainsi, lorsque l'on modifie les cartes scolaires, on voit immédiatement le flux des écoliers se diriger vers les meilleurs établissements scolaires, avec les conséquences qui en découlent sur le logement. De même les constructions de logements s'accompagnent immédiatement de flux de locataires qui cherchent à fuir certains immeubles pour aller vers d'autres. Nous aurions dû, me semble-t-il, commencer par adopter une démarche pragmatique d'analyse des besoins et de l'offre, l'Etat laissant la volonté locale s'exprimer sans la contraindre.
Je regrette le mélange des genres, je regrette l'urgence qui a été déclarée sur ce texte, je regrette que nous passions à côté d'un véritable débat, car la question n'est pas de savoir si la civilisation du xxie siècle sera urbaine ou non. Elle sera humaine ou elle se détruira. La sururbanisation à laquelle nous avons assisté dans certains pays a montré qu'elle nuisait à la vitalité des territoires, notamment en augmentant les coûts. Or le présent projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains néglige cette dimension humaine, risquant ainsi de mettre en échec une politique publique trop statutaire, trop budgétaire, qui ne prend pas suffisamment en compte les effets comportementaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « La ville demain : pour la première fois depuis 1967, le Gouvernement définit sa politique urbaine à long terme. Priorité au logement social et aux agglomérations ». Voilà ce que l'on pouvait lire dans le journal Libération du 20 décembre 1999.
Le projet de loi que nous examinons a probablement une essence révolutionnaire, comme je vous le disais, monsieur le secrétaire d'Etat au logement, le 1er mars dernier à Montpellier, lors de la clôture des assises départementales du logement social, le terme révolutionnaire étant pris non au sens dramatique mais au sens étymologique et littéral.
A partir d'un constat d'éclatement urbain produisant de l'exclusion, de l'isolement et du repli sur soi, il faut inverser ces fâcheuses tendances. Ce projet de loi le propose dans le droit-fil des lois sur l'aménagement du territoire et sur l'intercommunalité, qui favorisent la territorialisation des politiques publiques.
Dans le titre Ier, le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme prennent en compte globalement les principales politiques urbaines, rompant avec les démarches sectorielles en matière de logement, d'urbanisme et de transport.
Les dispositifs des années soixante - soixante-dix, conçus pour répondre à la forte extension des villes, avaient produit des logiques fonctionnelles de zonage, propices aux ségrégations spatiales et sociales.
Le PLU, plus simple à élaborer et à réviser que le POS, intégrera, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, tous les projets d'ensemble de la commune. Il ne s'agit pas, comme certains ont pu le dire, d'un retour en force de l'Etat, puisque aussi bien la démocratie locale y trouvera plus de vigueur et d'intérêt dans les concertations rendues obligatoires avec les habitants.
L'enjeu du titre III est considérable. Il vise à assurer une politique cohérente de transports à l'échelle de l'agglomération. Il faut pour cela prendre en compte les nouveaux besoins de déplacements entre lieux de vie, de travail ou de loisirs ; il faut également limiter les pollutions citadines. Lionel Jospin, lors de la conférence des villes à Paris, le 4 avril dernier, avait insisté sur cette vision de la ville du xxie siècle.
A cette fin, les PDU sont renforcés. Je tiens à marquer tout particulièrement l'intérêt que je porte à la coopération, suggérée dans le projet de loi, entre les autorités organisatrices de transports, et à la faculté ouverte à la constitution de syndicats mixtes. Il y va de l'intérêt des utilisateurs sur de très larges territoires.
Abordons maintenant l'article 25. Que n'a-t-on entendu à son sujet ! « Texte extrêmement dangereux et totalement inapplicable ! Je suis très favorable à la mixité sociale, mais ce texte va renouer avec la politique des grands ensembles trop denses et massifs. C'est une loi de recentralisation, le préfet se substituant au maire ; c'est bafouer la démocratie. » Ainsi s'exprimait l'ancien Premier ministre Alain Juppé, dans le journal Sud-Ouest.
Ces propos constituent, à mon sens, un sommet de caricature, voire de ridicule, à moins qu'ils ne soient un obstacle à la noble et louable ambition de notre gouvernement de tendre vers une ville qui serait non plus subie mais choisie.
Pourtant, à première vue, l'article 25 semble avoir rallié les suffrages de la majorité sénatoriale. En effet, je constate qu'aucune des trois commissions saisies n'a déposé, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale, d'amendement de suppression.
S'agirait-il, mes chers collègues, d'une conversion tardive ? Hélas, non ! Selon une méthode bien rodée dans cette assemblée, des amendements soutenus par les trois rapporteurs et jugés essentiels par eux risquent, s'ils sont adoptés, de vider totalement de sa substance et de sa signification l'article 25.
Pour sa part, le groupe socialiste considère - vous vous en doutez - que l'obligation qui sera faite aux communes d'atteindre 20 % de logements sociaux en vingt ans est porteuse d'égalité et d'équité. Après tout, dans nombre des petits villages qui forment la France profonde à laquelle je sais la Haute Assemblée particulièrement attachée, les riches et les moins riches vivent ensemble l'espace communautaire villageois. Trop de villes, petites et grandes, ont oublié cet enseignement de la France rurale d'il y a à peine un siècle. Le sens du partage s'est perdu dans notre pays ; il faut saisir cette occasion de le retrouver. Ne cédons pas à cette dérive qui nous guette d'espaces urbains de plus en plus privés jusqu'à être autorisés aux uns et interdits aux autres ou d'espaces publics tellement marginaux qu'ils constituent des endroits à hauts risques. J'ai connu cela ailleurs. Voilà une France dont je ne voudrais pas.
Mon temps de parole touchant à sa fin, je veux très brièvement indiquer ma satisfaction de voir que sont réaffirmés et précisés la place de l'habitat social, le rôle des HLM et l'importance accordée à l'information et au dialogue avec les locataires.
Je me réjouis également que soit proposée, pour la première fois, une définition du logement décent. J'apprécie, enfin, la batterie de mesures concrètes visant à s'attaquer au point noir des copropriétés dégradées, qui sont, plus souvent que les HLM, responsables du mal dit « des banlieues ».
En conclusion, saluons la parfaite cohérence entre le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains et le programme national de renouvellement urbain arrêté le 14 décembre 1999 par le comité interministériel des villes et auquel l'Etat consacrera 20 milliards de francs d'ici à 2006.
Je compte bien, tout au long de la discussion des articles, soutenir les nombreux mérites de ce projet de loi tout en proposant, avec le groupe socialiste, des amendements pour l'améliorer encore et le rendre essentiel à la construction de l'avenir de nos cités. C'est cela, au sens littéral du terme, la politique ; c'est cela sa noblesse. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, je me permets de vous indiquer que les temps de parole impartis aux différents groupes pour cette discussion générale sont d'ores et déjà pratiquement épuisés. Par conséquent, j'invite les derniers intervenants à user de la mansuétude du président de séance mais à ne pas en abuser. (Sourires.)
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez au président du groupe de travail sur la modernisation du droit de l'urbanisme, que la commission des affaires économiques et du Plan a créé en janvier 1999, d'évoquer les principales conclusions auxquelles celui-ci est parvenu. Elles me donneront l'occasion de souligner les lacunes du texte que le Gouvernement nous soumet aujourd'hui, selon la procédure d'urgence.
Comme l'a montré le rapport de notre collègue Louis Althapé intitulé Simplifier et décentraliser, deux défis pour l'urbanisme , il y a urgence à parachever la décentralisation entamée voilà plus de dix-sept ans.
Vous le savez, près des deux tiers des autorisations d'occupation du sol sont, aujourd'hui encore, instruites par des services de l'Etat ou avec leur concours. Cette situation est insatisfaisante pour deux raisons.
En premier lieu, on constate ce que le conseil général des Ponts et Chaussées appelait dans son dernier rapport annuel « l'affaiblissement des compétences du ministère de l'équipement ». La même instance, peu suspecte d'être hostile aux services du ministère, relevait que, si « le travail des agents d'instruction eux-mêmes est mené avec sérieux, trop souvent, le manque de soutien de la part du subdivisionnaire comme l'absence quasi générale d'un contrôle hiérarchique organisé et régulier nuisent à la sécurité juridique des propositions adressées au maire ».
Le même conseil général craignait en outre que « l'évolution de la jurisprudence ne fasse émerger la notion de responsabilité pour "défaut d'exercice du contrôle de légalité" ».
Aujourd'hui, l'Etat est à la fois le conseiller, le contrôleur et le fournisseur des collectivités locales. Cette situation nous apparaît comme gravement dommageable. Lorsque règne la confusion des rôles, il est impossible d'établir avec clarté la responsabilité respective de chacun des acteurs.
L'Etat doit désormais se recentrer sur la mission de contrôle administratif et de contrôle du respect des lois que lui reconnaît le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution.
La faculté donnée aux communes dans lesquelles une carte communale est établie de délivrer les permis de construire en leur nom propre, est une avancée majeure. Cependant, cette avancée demeurera fort limitée si, comme actuellement, les communes ne peuvent avoir d'autre support technique que celui des services déconcentrés de l'Etat.
La question du renforcement des moyens techniques des collectivités locales est donc posée, et il appartient au Gouvernement d'y apporter une réponse. Or celle-ci fait défaut dans le projet de loi qui nous est soumis. La gratuité de la mise à disposition des services ne résout pas le problème que je viens d'évoquer.
J'observe d'ailleurs que l'Etat bénéficie d'une forme d'irresponsabilité au titre des conseils qu'il délivre aux collectivités locales en matière d'urbanisme. Le juge considère, en effet, que les agents mis à disposition sont placés sous l'autorité du maire. Mais à qui fera-t-on croire que le directeur départemental de l'équipement puisse être un jour soumis à l'autorité du maire d'une commune de 250 habitants ?
Un autre sujet de préoccupation tient à l'absence de toute disposition relative à la compensation des charges qui ne manqueront pas de résulter de l'application du texte qui nous est proposé.
Le Gouvernement serait bien inspiré de s'interroger sur les conséquences pratiques du texte qu'il défend aujourd'hui. A n'en pas douter, la création obligatoire des schémas de cohérence territoriale, telle qu'elle est prévue par l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme, ne manquera pas de susciter nombre de révisions de documents centralisés.
Si M. le ministre de l'équipement ou M. le secrétaire d'Etat au logement ne sont pas sensibles à cette question, peut-être pourrons-nous compter sur M. le maire de Béziers ou sur M. le maire de Chambéry pour y prêter une oreille plus attentive ? (Sourires.)
Nous sommes également préoccupés par les problèmes que pose l'importance du contentieux de l'urbanisme. Nous avons montré dans notre rapport que l'on annule chaque année, en France, deux fois plus de plans d'occupation des sols que l'on n'en crée ! Le juge censure en effet, bon an, mal an, deux cents POS en révision totale ou partielle ou en création, alors que l'ensemble des communes en publient environ une centaine ! Cette situation nous est apparue comme particulièrement intolérable dans le cas où les annulations reposent sur des motifs de procédure. Il convient d'introduire dans le texte des dispositions qui permettent d'améliorer une telle situation.
Mais il y a plus grave : le projet actuel ne prévoit rien pour diminuer le nombre des recours abusifs qui sont déposés. Or ceux-ci ont un coût, tant pour les collectivités publiques que pour les investisseurs privés. Je rappelle qu'un POS coûte au minimum 150 000 francs et que, même dans une petite commune, ce coût peut atteindre, en fonction des contraintes nouvelles, 400 000, voire 500 000 francs, dès lors que l'Etat impose des règles spécifiques.
En outre, quiconque connaît les innombrables réunions préparatoires auxquelles donne lieu l'élaboration d'un POS comprendra que les élus locaux ne voient pas sans quelque découragement le juge en prononcer l'annulation sur l'initiative d'une association de circonstance. J'ajoute que le seul dépôt d'un recours contre un permis de construire suffit d'ailleurs à empêcher une opération puisque, le plus souvent, aujourd'hui, les banques n'accordent pas de prêt dès lors qu'un contentieux a été engagé.
Que faites-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour limiter la fréquence des recours abusifs ? Rien, ou pas grand chose ! Est-il normal qu'un requérant animé d'intentions dolosives reçoive pour prix de ses manoeuvres un désistement monnayé qui peut atteindre 300 000 francs ? On en trouve des exemples dans le rapport de notre collègue Louis Althapé.
Nous sommes tous conscients de la nécessité de protéger le droit d'ester en justice, qui est reconnu par notre bloc constitutionnel. Encore faudrait-il que sa mise en oeuvre ne conduise pas à des aberrations et que le Gouvernement s'emploie à y trouver des remèdes !
J'en viens maintenant au volet « transports » du projet de loi. Cela me permet de souligner que les dispositions prévues reconnaissent le succès de la régionalisation de la SNCF que Mme Idrac, alors secrétaire d'Etat aux transports, avait engagée de manière expérimentale en 1996. La région Rhône-Alpes avait, à ce titre, ouvert la voie.
J'approuve la volonté du Gouvernement de généraliser cette évolution, et la date du 1er janvier 2002 me paraît raisonnable.
Cependant, les dotations budgétaires qu'il prévoit d'accorder aux régions pour le chemin de fer sont en complet décalage par rapport à l'ampleur de la tâche à accomplir. L'indexation de ces dotations sur l'évolution de la DGF correspond en réalité à une baisse programmée, à moyen terme, de la part du PIB affectée au transport en commun ferroviaire.
Les vrais partisans du développement durable exigent que la part de la richesse nationale consacrée au chemin de fer régional dans le cadre de la décentralisation soit au moins constante dans les années à venir, et non pas en régression, comme cela nous est proposé. Le dispositif de compensation financière, tel qu'il est envisagé, même s'il représente des sommes importantes, ne témoigne pas d'une vision suffisamment dynamique du développement du service public de transport ferroviaire régional.
C'est la raison pour laquelle je soutiens la position du rapporteur de la commission des affaires économiques : il a tenu à assurer une compensation équitable des nouvelles charges supportées par les régions. J'espère que le Gouvernement sera sensible aux propositions du Sénat et comprendra que, en refusant de donner aux régions les moyens de leurs ambitions, il condamne la régionalisation des transports ferroviaires ou, tout au moins, la retarde.
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. Pierre Hérisson En ce qui concerne, enfin, le volet « mixité sociale et logement », je ne suis évidemment pas favorable au mécanisme de l'article 25, qui apparaît largement dicté par une stratégie politique, sinon politicienne. Les amendements déposés par la commission des affaires économiques et par la majorité sénatoriale témoignent, je le crois, d'une volonté de dépassionner le débat. Au moment de l'examen de cet article, nous pourrons juger de la volonté du Gouvernement de faire prévaloir l'intérêt général, l'intérêt des collectivités locales et leur avenir.
Tel est, messieurs les ministres, l'état de nos préoccupations, qui, vous l'aurez compris, sont grandes.
Nous nous apprêtons à courir un véritable marathon puisque plus de 1 000 amendements ont été déposés. C'est la preuve que ce texte soulève plus de problèmes qu'il n'en résout.
Il est totalement inadmissible que n'ayons eu que vingt-quatre heures pour déposer nos amendements et à peine plus de temps pour les examiner en commission.
Le Gouvernement pourra-t-il encore longtemps continuer à traiter le Parlement de la sorte ? La réponse est évidemment non ! Mais nous sommes en démocratie et le suffrage universel permettra un jour prochain de dégager d'autres perspectives et d'autres orientations. (Rires sur les travées socialistes.)
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Il faut bien rêver !
M. Jean-Pierre Raffarin. Oui, ça fait du bien !
M. Pierre Hérisson M. Gayssot rappelait dans son intervention, en faisant référence à l'article 72 de la Constitution, que, si les collectivités territoriales s'administrent librement, elles le font dans le cadre de la loi. Faut-il lui rappeler, alors, que la loi est votée par le Parlement et non par le Gouvernement ?
Cette procédure d'urgence, qui nous est imposée une fois encore et qui tronque le débat, tend à devenir la règle, au mépris de la démocratie parlementaire, du rôle et de la mission du Parlement.
En conclusion, je reviendrai brièvement sur l'article 25. La Révolution française a distribué des terres à ceux qui les travaillaient. Pourquoi ne pas attribuer, sous une forme d'accès à la propriété simplifié, les logements à ceux qui les occupent depuis longtemps et qui paient régulièrement leur loyer ? Vous verrez, dès cet instant, se réveiller un réflexe de citoyen propriétaire, qui est également inscrit dans notre Constitution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent ! Et merci pour l'espoir !
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, je vais m'efforcer à la brièveté à laquelle vous avez invité chacun. Au demeurant, cet effort me coûtera d'autant moins que beaucoup de choses ont déjà été dites par les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune.
Beaucoup d'entre eux ont fort bien exprimé les regrets que peut inspirer le texte qui nous est présenté. Pour ma part, j'en retire une impression de brutalité, à la fois dans la forme et dans le fond.
Le 6 juin 1997, M. Jospin émettait le souhait que le Gouvernement laisse au Parlement le temps de débattre en prévoyant des délais d'examen des textes plus importants que ceux qui avaient pu être observés au cours des années passées. Tout cela est maintenant bien loin !
En effet, une nouvelle fois, sur un texte très important, le Gouvernement a déclaré l'urgence, et cela pour des raisons qui nous échappent. Cela contribue évidemment beaucoup à cette impression de brutalité que j'évoquais à l'instant. Jean-Piere Raffarin l'a très bien montré en ce qui concerne les problèmes de transports, et notre collègue Denis Badré l'a dit aussi à propos du logement social.
Le fait de déclarer l'urgence sur des grands textes, qui devient une habitude, ne nous permet pas de travailler dans de bonnes conditions, et le débat se résume finalement à une opposition droite-gauche. Or, sur des textes qui conditionnent l'avenir de notre société, si nous disposions vraiment du temps nécessaire pour réfléchir ensemble, je suis persuadé que nous pourrions nous rejoindre sur un certain nombre de points.
Je me rappelle, à ce propos, la loi sur la ville, dont nous avions longuement débattu ici avant de découvrir, quelques jours plus tard, à la suite d'une conférence de presse que vous donniez, monsieur le ministre délégué à la ville, les mesures que vous envisagiez. En préférant les annoncer d'abord aux journalistes, vous avez montré l'estime dans laquelle vous tenez le Parlement !
Mais c'est surtout au nom des maires que je voudrais m'exprimer ici, et pour évoquer d'abord le plan d'occupation des sols.
S'il est parfois sévèrement critiqué, il reste aujourd'hui une référence. Il a tout de même permis d'établir la paix entre les uns et les autres. Or voilà que, après trente ans d'existence, on s'apprête à le rayer d'un trait de plume pour y substituer une procédure nouvelle, le PLU.
Je ne suis pas sûr qu'elle rende les choses plus faciles et plus compréhensibles. Je crains plutôt que plus personne n'y comprenne rien ! Et, une fois de plus, on va bien sûr nous demander : « Mais que fait le Parlement ? » Car, dans quelques années, alors que l'urgence nous est imposée, c'est le Parlement qui devra endosser la responsabilité de textes inapplicables parce que votés à la va-vite !
Quant au quota de 20 % de logements, il relève de cette même démarche brutale.
En tant que maire, à l'instar de Denis Badré, j'ai fait beaucoup d'efforts dans ma commune pour essayer de substituer à la logique du logement vertical celle d'un logement horizontal, beaucoup plus convivial, beaucoup plus accueillant, beaucoup plus favorable à l'épanouissement des enfants. C'est pourquoi je considère comme particulièrement regrettable ce véritable coup de massue porté sur les maires et les communes qui n'atteignent pas le seuil des 20 %. Je suis d'autant plus à l'aise pour en parler que ma commune n'est pas concernée par cette punition que vous allez infliger à d'autres.
Décidément, la brutalité est le maître mot de votre démarche ! Comment, dans ces conditions, le Parlement peut-il effectuer un travail véritablement constructif, en se souciant avant tout de l'intérêt général ?
J'ai beau chercher les motivations d'une telle loi, très franchement, je ne les trouve pas ! Tout à l'heure, on a évoqué des réponses politiques ou politiciennes. J'espère qu'elles ne servent pas de fondement à un texte qui devrait être essentiellement motivé par l'intérêt général, mais j'ai quelques craintes. En tout cas, je ne vois rien de constructif dans cette rapidité et dans cette brutalité.
Monsieur le ministre délégué à la ville, mon sentiment est que nous passons à côté d'une grande occasion. Il ne me semble pas, en effet, que l'on puisse construire l'avenir en tirant un trait sur le passé, en niant tout ce qui a été réalisé auparavant.
La ville, telle qu'elle a été construite voilà quelques dizaines d'années, représentait un plus, une avancée sociale pour un grand nombre de personnes, compte tenu du contexte de l'époque. Ne jetons donc pas le bébé avec l'eau du bain !
Il aurait fallu tenir compte de l'existant, conduire une analyse sérieuse de ce qui marche et de ce qui marche moins bien et en tirer toutes les conséquences. Or, ce texte tranchant brutalement avec le passé, on nous propose des conditions tout à fait nouvelles pour la construction de la ville du xxie siècle.
Très franchement, bien que passionné par la ville du xxie siècle, je ne peux souscrire à une telle démarche qui, sur la forme comme sur le fond, n'est que brutalité.
Je remercie d'ailleurs nos rapporteurs et les commissions qui, dans des délais particulièrement courts, ont su apporter des améliorations très importantes à ce texte, d'autant que le Gouvernement leur a infligé une punition supplémentaire puisqu'il les a privés du repos pascal auquel nous avons tous eu droit. (Exclamations amusées sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Braye applaudit.)
Mme Odette Terrade. Ils n'ont pas pu aller à la messe !
M. Alain Joyandet. C'est une confirmation supplémentaire, s'il en fallait une, que ce projet de loi n'est pas très catholique ! (Sourires et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) Par conséquent, en bon chrétien, je ne peux le soutenir.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Vous nous crucifiez ! (Nouveaux sourires.)
M. Alain Joyandet. Non pas que je veuille vous crucifier mais, en bon chrétien, je soutiendrai - sans enthousiasme, mais il faut bien corriger les textes qui nous viennent de l'Assemblée nationale - les propositions de nos commissions qui, élaborées dans les conditions de rapidité que j'ai rappelées, contribueront néanmoins grandement à améliorer ce texte.
M. André Vezinhet. Deo gratias !
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. André Vezinhet. Voilà un mauvais chrétien !
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, deux cent mille ménages sont en attente d'un logement locatif social en Ile-de-France.
Le rapport de la fondation Abbé-Pierre sur l'état du mal-logement en France pour l'année 1999 fustige l'aggravation des difficultés d'accès à un logement décent pour les publics les plus fragiles, les personnes à faibles ressources ou qui présentent des aléas de revenus.
Or le logement constitue un droit social. Faut-il relire le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?
« La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
« Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
D'ailleurs, le Conseil constitutionnel a consacré, dans sa décision du 19 janvier 1995, la possibilité d'obtenir un logement décent comme objectif de valeur constitutionnelle fondé sur le principe de sauvegarde de la dignité humaine.
Il appartient à l'Etat, garant de la solidarité nationale et de la cohésion sociale, de créer les conditions d'accessibilité au logement pour chaque citoyen, et aux collectivités publiques et à leurs partenaires institutionnels de les mettre en oeuvre.
La loi d'orientation pour la ville de 1991 avait tenté d'apporter une réponse à l'exigence républicaine de mixité sociale dans nos villes, avant d'être vidée de son contenu, par la droite, dès son retour au pouvoir, en 1993.
En neuf ans, seuls 30 000 logements locatifs sociaux ont été construits grâce à cette loi, alors qu'il en manque 450 000. C'est pourquoi, aujourd'hui, le but recherché à travers l'objectif de 20 % de logements sociaux en vingt ans est bien qu'aucune ville ne puisse s'exonérer de l'obligation de diversifier l'habitat, véritable devoir de solidarité.
C'est ce droit au logement que les plus virulents opposants au quota de 20 % de logements sociaux ont oublié, que ce soit par leur pétition de mauvaise foi, agitant la peur des barres et des tours, par le cliché de la densification urbaine, constamment répété lors du débat à l'Assemblée nationale, ou par leur refus ostensiblement annoncé dans les médias de ne pas appliquer la loi. Ils ont abusé nos concitoyens en avançant de purs fantasmes.
Mais on en a fini depuis de nombreuses années avec les barres et les tours. Ce gouvernement va même jusqu'à les détruire : lors du comité interministériel du 14 décembre dernier, cinquante grands projets de ville de développement social et urbain et trente opérations de démolition-reconstruction, financés à hauteur de 5 milliards de francs, ont été programmés. Les récentes réalisations de logements sociaux ne souffrent pas de la comparaison avec les programmes immobiliers privés : constituées de petites unités, elles sont très bien intégrées au paysage urbain existant et ne se distinguent plus du reste du bâti.
Quant à l'argument selon lequel le volet habitat de ce projet de loi, et tout particulièrement la possibilité donnée au préfet en dernier recours de se substituer aux communes pour réaliser des logements sociaux, porterait atteinte à la décentralisation et à la libre administration des communes, il ne tient pas ! La Constitution énonce nettement la limite de cette libre administration, dans son article 72 : « Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi. » Il est donc tout à fait légitime que le préfet, représentant de l'Etat, garantisse l'application des obligations légales des communes.
En région parisienne, le manque de terrains a souvent été mis en avant, mais ces terrains existent bien lorsqu'il s'agit de programmes immobiliers de standing. J'en veux pour preuve le nombre de programmes en cours dans les communes les plus résidentielles du Val-de-Marne, dont certains députés-maires, M. Carrez en est un exemple frappant, sont les plus hostiles au logement social. Je citerais ainsi les jardins de Siam, au Perreux-sur-Marne : cinquante appartements du deux au cinq pièces avec terrasses ; à Nogent-sur-Marne, pas moins de six programmes en cours, avec un total minimum de deux cent soixante-dix appartements, dont le prix de vente au mètre carré oscille entre 14 500 francs et 21 000 francs ; à Saint-Mandé, trois programmes en cours ; à Saint-Maur, deux programmes en cours ; enfin, à Vincennes, cinq programmes en cours pour une centaine de logements.
Par ailleurs, il n'est pas uniquement question de nouvelles constructions. Ainsi, les opérations d'acquisition-amélioration et l'utilisation du parc conventionné de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, entrent tout à fait dans la démarche d'augmentation de l'offre de logements sociaux.
Il faut que les communes fassent jouer leur droit de préemption sur une partie des transactions immobilières. Il ne faut pas oublier non plus que les organismes HLM peuvent bénéficier de prêts sur une durée de cinquante ans pour le rachat de logement anciens.
Au final, les moyens sont multiples pour répondre aux besoins en logements sociaux de nos concitoyens, encore faut-il en avoir la volonté.
La ville du xxie siècle ne doit pas être celle du refus de la différence, de la recherche de « l'entre soi » dans des enclaves résidentielles repliées sur elles-mêmes et hors d'atteinte des quartiers les plus populaires. Il s'agit là d'un vrai débat de société. Aussi est-ce avec la plus grande vigueur que le groupe socialiste, dans un esprit de solidarité et de justice sociale, s'opposera à ce que la majorité sénatoriale dilue la notion de logement social dans le but inavoué de réduire à néant l'exigence légitime de diversification de l'habitat et de mixité urbaine envers les communes récalcitrantes. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. André Vezinhet. C'est le triomphe de la Lagauche ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens, en premier lieu, à rendre hommage, après d'autres, à l'excellent travail accompli, et dans de très courts délais, par nos collègues Louis Althapé, Pierre Jarlier et Jacques Bimbenet, rapporteurs du volumineux projet de loi soumis à notre examen.
Je veux aussi saluer l'exercice accompli par nos commissions qui, autour des rapporteurs, ont eu la lourde tâche d'étudier, en des temps records, plusieurs centaines d'amendements.
Aussi ne puis-je que déplorer, à mon tour, la précipitation avec laquelle la déclaration d'urgence oblige le Parlement à examiner un texte dont l'importance, à maints égards, nécessitait une concertation préalable mieux structurée et plus approfondie.
Compte tenu du temps imparti, je limiterai mon intervention à la seule question de l'urbanisme, pour appeler l'attention sur trois difficultés, trois dysfonctionnements graves que vivent quotidiennement élus, acteurs de l'aménagement et de la construction et citoyens, singulièrement dans les collectivités de montagne. Ce sont autant de problèmes auxquels il appartient au Gouvernement comme au Parlement de porter remède.
Première de ces difficultés, il arrive que des plans d'occupation des sols soient annulés par le juge administratif pour non-conformité à la loi du 9 janvier 1985, dite « loi montagne », et que, par application de cette jurisprudence, de nombreux POS soient déclarés illégaux plusieurs années après leur approbation et leur mise en oeuvre.
Dès lors, la constructibilité de quantités de terrains est remise en cause, entraînant un préjudice tant pour les communes qui ont réalisé des équipements de viabilité que pour les propriétaires, spoliés par des changements de zonage venant bouleverser l'économie des partages familiaux.
Et qui est, aujourd'hui, responsable ? La commune !
Il n'est pas admissible que celle-ci soit juridiquement responsable de ces changements, au titre desquels elle pourrait, à l'extrême, être condamnée à dédommager les propriétaires. C'est d'autant moins acceptable que l'Etat, auteur de ces changements, après avoir validé les POS à l'origine, a, de surcroît, prélevé les droits de succession ou de mutation. J'ai pris l'initiative d'un amendement visant à corriger cette iniquité.
Une deuxième difficulté, véritablement pathologique, a été évoquée par un précédent orateur, M. Pierre Hérisson, et tient aux recours abusifs. Rapporteur du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, j'ai pu constater que le Parlement - en tout cas, la Haute Assemblée - comme le Gouvernement s'accordaient non seulement sur la réalité du problème - facteur d'instabilité juridique, de ralentissement de l'activité économique et d'engorgement des tribunaux - mais aussi sur la nécessité de rechercher des solutions.
Le 13 octobre 1999, le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation annonçait ici même que le Gouvernement engagerait sans tarder une réflexion sur ce problème, ajoutant que Mme le garde des sceaux entendait apporter une réponse à cette question des recours abusifs.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, faire savoir à la Haute Assemblée si cette réflexion a été engagée et, si tel n'est pas le cas, quelles sont précisément vos intentions en ce domaine ?
Enfin, troisième problème, comme l'ont très justement relevé nos rapporteurs, il est nécessaire de prendre en considération le cas de toutes les communes véritablement asphyxiées par la superposition de contraintes issues de différents dispositifs normatifs, tels que les plans de prévention des risques naturels prévisibles et les lois montagne ou littoral.
Dans ces collectivités, la preuve est faite que la logique d'application unilatérale du règlement exclut toute possibilité d'aménagement et de développement communal minimum et vide de sens, en cette matière, le principe d'autonomie des collectivités.
Or la loi montagne de 1985, dont vous avez été le promoteur, monsieur le secrétaire d'Etat, affirmait, dans son titre comme en son article 1er, que le développement était, à un même degré de priorité que la protection, l'un des deux objectifs fondamentaux de cette loi. Or, pour nombre de nos collectivités, cet objectif de développement est devenu, en pratique, purement formel. Il appartient au législateur de le réanimer.
Mieux affirmer et développer le rôle des commissions départementales de conciliation pourrait sans doute être l'une des voies de progrès pour atteindre cet objectif.
Je voudrais, avant de conclure, m'arrêter sur l'obligation instaurée de facto par ce projet de loi de subordonner les plans locaux d'urbanisme aux schémas de cohérence territoriale.
Certes, cette obligation peut se concevoir d'un point de vue intellectuel et eu égard aux objectifs généraux de l'aménagement du territoire. Mais, en raison même des modalités juridiques et pratiques de sa mise en oeuvre, cette obligation alourdira inévitablement les procédures, en surajoutant les niveaux de décision et en les éloignant du citoyen.
Dans de telles conditions, cette réforme risque fort d'aboutir à des résultats contraires aux objectifs de simplification administrative affirmés aujourd'hui par le Gouvernement comme l'une de ses priorités et naturellement attendus par tous nos concitoyens.
C'est pourquoi, en conclusion, je souhaite que ce projet de loi réponde aux objectifs suivants : en premier lieu, adopter des mesures qui, loin de compliquer encore le droit de la construction, en facilitent l'application autant que faire se peut ; en deuxième lieu, prévenir les sources de litiges, afin de résorber le contentieux de l'urbanisme ; en troisième lieu, clarifier les responsabilités entre l'Etat et les communes, en particulier en cas de modification de zonage ; en quatrième lieu, enfin, mettre en oeuvre un « urbanisme de projet », plus décentralisé, plus concerté et plus respectueux de la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Braye. (Murmures sur les travées socialistes.)
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Ah ! Nous allons faire dans la modération...
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme nombre d'orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, je me ferai le porte-parole de l'incompréhension et de l'indignation ressenties par les élus, quelles que soient leurs opinions politiques (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen)...
M. Claude Estier. Vous n'êtes pas notre porte-parole !
M. Dominique Braye. ... des centaines de communes...
M. Jean-Pierre Plancade. Il ne faut pas exagérer !
M. Dominique Braye. ... directement ou indirectement visées par l'article 25 du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.
Comme vous, mes chers collègues, j'ai pu prendre la mesure de cette indignation et de cette incompréhension en rencontrant, dans mon département des Yvelines,...
M. Jean-Pierre Plancade. Nous ne rencontrons pas les mêmes personnes !
M. Dominique Braye. ... avec mes collègues MM. Gérard Larcher et Alain Gournac, ces élus choqués par ce dispositif qui ajoute une sanction financière à l'obligation de construire des logements locatifs sociaux dans les communes qui sont censées en manquer.
Comment ne seraient-ils pas révoltés par ce mécanisme technocratique, autoritaire et profondément attentatoire à l'autonomie des communes ? J'essaierai donc de relayer ici leurs légitimes inquiétudes et critiques, inquiétudes quant aux principes qui ont présidé à l'élaboration de ce dispositif, mais aussi critiques eu égard à ses funestes conséquences. Sans vouloir prétendre les recenser toutes, nos excellents rapporteurs MM. Louis Althapé, Pierre Jarlier et Jacques Bimbenet l'ayant déjà fait d'une façon remarquable, je souhaite toutefois revenir sur certaines d'entre elles.
Sur la forme d'abord, qui a été évoquée par nombre de nos collègues, il s'agit d'un étonnement devant le manque de concertation avec les élus locaux pour l'élaboration de ce texte, mais aussi devant son examen suivant la procédure d'urgence, deux choix qui, cumulés volontairement, nuisent à l'instauration du dialogue et de la réflexion indispensables à l'élaboration d'un bon texte. Vous démontrez ainsi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le profond mépris dans lequel vous tenez la représentation parlementaire et nos concitoyens. (Protestations sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Et c'est vous qui dites cela, vous qui interrompez sans cesse les orateurs !
M. Dominique Braye. Je comprends que cela vous dérange,...
M. Serge Lagauche. Absolument pas !
M. Dominique Braye. ... vous qui parlez tant de démocratie mais qui ne l'appliquez jamais ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Sur le fond ensuite, il s'agit d'une révolte devant la remise en cause du principe même de la décentralisation par le Gouvernement (Exclamations sur plusieurs travées socialiste)...
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Claude Estier. Il faut bien que nous interrompions de temps en temps M. Braye, lui qui passe son temps à interrompre les autres !
M. Dominique Braye. ... et de sa volonté d'imposer par la force sa vision du logement social, au mépris du droit des communes à être les premières responsables de leur habitat et de leur avenir.
Ce projet de loi constitue à cet égard une véritable machine à remonter le temps, un retour à une planification dirigiste de l'habitat social, qui fait craindre la répétition des erreurs de l'urbanisme des décennies cinquante à soixante-dix, erreurs dont nous payons tous aujourd'hui le prix fort. Certes, la politique dirigiste et autoritaire demande moins d'efforts d'imagination qu'une politique incitative. Mais comment ignorer que les meilleurs résultats sont toujours obtenus par une adhésion librement choisie, et non par la coercition et la punition ?
Le retour au passé, c'est aussi votre volonté aveugle de privilégier le logement locatif de type HLM comme modèle de logement social, contre l'attente des Français, dont le désir majoritaire est l'accession à la propriété.
M. Guy Fischer. C'est faux !
M. Serge Lagauche. Ne parlez pas des HLM !
M. Dominique Braye. Je vous donnerai des précisions tout à l'heure. Gardez votre énergie, je vais encore vous dire des choses qui ne vous plairont pas ! (Sourires.)
M. Pierre Lefebvre. Ce n'est pas surprenant !
M. Dominique Braye. Ce désir, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous le niez par une définition trop étroite du logement social, qui exclut le logement social de fait, le logement intermédiaire et, surtout, l'accession sociale à la propriété...
M. Serge Lagauche. Avec quel argent ?
M. Dominique Braye. ... qui contribue non seulement à la mixité sociale mais aussi à la promotion sociale, à laquelle aspirent ardemment tous nos concitoyens.
La définition du logement social est pour vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, fonction du statut du propriétaire. Pour nous, elle est tout à fait différente, voire opposée à la vôtre. Pour nous, le logement social est celui qui permet à nos concitoyens disposant de revenus modestes de se loger décemment, que ce soit dans le parc locatif public ou privé, et même en accession à la propriété s'ils peuvent, grâce à de gros sacrifices, réaliser le rêve de leur vie.
Il est malhonnête de faire l'impasse sur les millions de Français qui ont acquis leur logement grâce aux prêts aidés, comme en témoigne le succès du prêt à taux zéro, l'un des plus récents exemples de cette accession sociale à la propriété.
J'illustrerai cette réflexion par le cas d'une commune des Yvelines de 3 400 habitants, Issou, gérée par une municipalité communiste, (Ah ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen) ...
M. Pierre Lefebvre. Bon exemple !
M. Dominique Braye. ... dont le taux de logements locatifs sociaux est de 0 % d'après votre système de comptabilité, et qui devrait donc construire 188 logements locatifs sociaux.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Cela fait neuf par an !
M. Dominique Braye. Cela peut surprendre, mais s'explique très bien du fait de la définition très restrictive du logement social que vous proposez dans ce projet de loi.
En effet, cette commune est presque uniquement composée de petits pavillons occupés par des ménages aux revenus modestes, voire très modestes, mais qui ont bénéficié des dispositifs relevant de l'accession sociale à la propriété, mode de logement non reconnu par votre article 25 comme du « vrai » logement social, puisque ce ne sont pas des logements locatifs. Je ne ferai pas d'autres commentaires sur ce point.
M. Pierre Lefebvre. C'est inutile ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. J'en viens aux craintes et critiques liées à l'application de l'article 25. Le reproche qui vous est le plus souvent adressé, c'est que vous ne tenez aucun compte, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de la diversité des situations locales de notre pays. Vous voulez appliquer des mesures identiques à des situations très différentes, voire opposées. Je prendrai seulement quelques exemples.
J'évoquerai, d'abord, le cas de la divergence entre l'offre et la demande de logements sociaux. Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi vouloir construire de nouveaux logements locatifs sociaux dans des communes où les logements de ce type subissent déjà un taux de vacance structurelle important ?
J'évoquerai, ensuite, la diversité des caractéristiques foncières, point rappelé par notre collègue M. Denis Badré tout à l'heure et par M. Etienne Pinte à l'Assemblée nationale. Que faire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, dans le cas fréquent de l'absence de réserves foncières, lorsque la totalité du territoire communal est déjà construite de façon dense, comme à Vélizy, à Viroflay ou à Neauphle-le-Château, cas que connaît bien, ou, plutôt, que devrait bien connaître M. Jacques Bellanger ? (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. André Vezinhet. Si vous ne savez pas faire, on vous aidera !
M. Dominique Braye. Que faire dans le cas non moins fréquent des communes où les seules zones constructibles sont éloignées du centre-ville et mal desservies, voire non desservies, par les transports en commun ?
Comment feront les communes qui se voient imposer contre leur gré la construction de nouveaux logements alors qu'elles n'ont pas les moyens financiers de supporter le coût de la création et de la gestion des équipements collectifs et des services nécessaires aux habitants de ces nouveaux quartiers et alors qu'elles devront en plus verser une « amende » importante ?
M. Serge Lagauche. Ça c'est normal !
M. Dominique Braye. J'ajouterai à ces exemples, pris parmi tant d'autres, une autre spécificité locale très importante, qui me tient particulièrement à coeur et qui est totalement oubliée par l'article 25, je veux parler de la dimension intercommunale des problèmes de l'urbanisme, de l'habitat et du logement social, dont nous a pourtant beaucoup parlé hier M. Gayssot.
M. Serge Lagauche. Lisez le texte !
M. Dominique Braye. Cet oubli...
M. Serge Lagauche. Non !
M. André Vezinhet. Il faut lire le texte !
M. Dominique Braye. ... est d'autant plus grave que le fait intercommunal est aujourd'hui une réalité incontournable, qui a été considérablement renforcée par la loi Chevènement, laquelle a institué l'agglomération comme l'échelon pertinent des réflexions, des équilibres et des réalisations en matière d'habitat.
Alors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, cette différence essentielle d'appréciation est-elle le résultat d'une cacophonie gouvernementale entre le ministre de l'intérieur et vos ministères, ou bien les élus ont-ils été trompés au moment des débats de la loi Chevènement ?
M. André Vezinhet. C'est lourd !
M. Claude Estier. C'est n'importe quoi !
M. Jean-Pierre Plancade. Il s'agit plutôt de la cacophonie de la majorité sénatoriale !
M. le président. Monsieur Braye, pardonnez-moi de vous interrompre, mais il serait souhaitable que vous laissiez un peu de temps de parole à votre collègue M. Haenel.
M. Dominique Braye. Je m'en remets à votre compréhension, monsieur le président.
Les communes qui ont joué le jeu de ce renforcement intercommunal veulent savoir si elles ont été flouées ou s'il s'agit d'un simple oubli qu'il est alors encore temps de réparer, comme le proposera le Sénat. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre approche essentiellement communale remet, en effet, en cause le choix de l'agglomération comme échelon intercommunal pertinent de la politique de l'équilibre social de l'habitat qui, je vous le rappelle, fait partie des quatre compétences obligatoires des communautés d'agglomération, ainsi que l'a voulu la loi Chevènement.
Je prendrai comme exemple le cas de la communauté d'agglomération de Mantes en Yvelines, que j'ai l'honneur de présider et qui a été la première communauté d'agglomération créée en Ile-de-France.
Sur l'ensemble des huit communes de cette structure intercommunale, le taux moyen de logements locatifs sociaux, avec votre définition pourtant très réductrice du logement social, est tout de même de près de 40 %. Or, avec l'approche communale, deux communes sont sous le seuil des 20 % et devraient construire environ 250 logements locatifs sociaux.
Pour qui connaît les problèmes de reconversion industrielle de cette région et sa situation sociale, cette construction obligatoire de nouveaux logements locatifs sociaux, qui augmentera le pourcentage déjà beaucoup trop élevé de ceux-ci dans notre agglomération, est le type même de l'erreur technocratique ubuesque décidée dans les bureaux parisiens.
Le fragile équilibre social, maintenu grâce à l'action de tous mais, surtout, des élus locaux qui ont unanimement décidé, toutes sensibilités politiques confondues, un arrêt de la construction de nouveaux logements sociaux, pourrait être compromis par cette mesure irresponsable de l'article 25.
Alors que l'Europe, l'Etat, la région, le département, la communauté d'agglomération et les communes injectent des centaines de millions de francs pour la requalification et la redynamisation du Mantois par le biais de multiples procédures, dont hier, la procédure du grand projet urbain et, aujourd'hui, la procédure du grand projet de ville, le Gouvernement ne peut pas raisonnablement défendre des dispositions qui entraîneraient la construction de nouveaux logements sociaux sans tenir aucun compte de l'équilibre de l'habitat social sur l'ensemble de cette agglomération.
Je vous le dis solennellement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, en tant que président de cette communauté d'agglomération, qui connaît le taux de chômage le plus élevé de notre département et le taux d'activité le plus faible, je respecterai la volonté unanime des élus locaux de ne pas construire de nouveaux logements sociaux.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Braye.
M. Dominique Braye. J'ai presque fini, monsieur le président.
Nous n'avons déjà pas suffisamment d'emplois pour notre population et nous ne construirons pas de nouveaux logements sociaux pour y entasser de nouveaux chômeurs ou de nouveaux RMistes. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Pierre Lefebvre. Cachez ces pauvres !
M. Guy Fischer. C'est la politique de la terre brûlée !
M. Dominique Braye. Venez dans le Mantois ! J'ai eu la chance, contrairement à certains d'entre vous, de faire mon parcours résidentiel ascendant au Val-Fourré. J'ai habité au Val-Fourré. Je n'ai pas eu la chance, comme la plupart d'entre vous, d'habiter dans des quartiers bourgeois ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Braye.
M. Dominique Braye. Il conviendrait donc, en accord avec l'esprit et la lettre de la loi Chevènement, d'apprécier le seuil des 20 % à l'échelle de la communauté d'agglomération, et non à l'échelon des communes. En effet, comment ferons-nous demain, et je voudrais que vous répondiez à cette question, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, si une commune membre d'une communauté d'agglomération et soumise à l'obligation de construction de logements sociaux décide d'obtempérer alors qu'elle n'en a pas la compétence tandis que la communauté d'agglomération compétente en la matière décide de s'y opposer ?
Autre incohérence, de taille, mais que je ne développerai pas faute de temps...
M. le président. Concluez, monsieur Braye.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, laissez-le parler pour qu'il termine enfin !
M. Dominique Braye. Je comprends que mes propos dérangent même M. le président, qui fait souvent preuve, à l'égard de certains, d'une mansuétude plus grande ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
Je refuse, pour ma part, ce nivellement par le bas qu'entraînerait inéluctablement l'article 25 de ce texte s'il était voté en l'état. Ce que nous devrions tous vouloir pour notre pays et pour nos concitoyens, ce sont bien des mesures améliorant la mixité sociale, mais aussi des mesures incitatives ayant pour objectif la promotion sociale.
Pour transformer ce texte SRU - et ce sera ma dernière phrase, monsieur le président -...
M. André Vezinhet. Elle est longue votre phrase !
M. Dominique Braye. ... qui, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, devrait signifier « socialisme et rabaissement urbains » (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen)...
M. Guy Fischer. Le mépris !
M. Dominique Braye. ... et lui faire retrouver son véritable intitulé, qui doit être « solidarité et renouvellement urbains », je soutiendrai les amendements présentés par nos excellents rapporteurs.
M. Jean-Pierre Plancade. M. Braye ne recule devant aucun sacrifice !
M. Guy Fischer. Il faudrait tout raser !
M. Dominique Braye. Je vous remercie, mes chers collègues, mais je ne remercie pas M. le président puisqu'il ne m'a pas permis de dire tout ce que j'avais à dire.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Et on le regrette, monsieur le sénateur ! (Sourires.)
M. André Vezinhet. Nous non plus, nous ne vous remercions pas !
M. Dominique Braye. Monsieur le ministre, dites-le à M. le président ! Mais ce n'est pas parce que l'on préside la séance que l'on est pour autant impartial !
M. le président. La parole est à M. Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je traiterai d'abord du troisième volet du projet de loi, relatif aux déplacements et aux transports, en particulier de ce qu'il est désormais communément admis de dénommer la « régionalisation des transports ferroviaires de voyageurs ».
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Michel Teston. J'évoquerai ensuite une deuxième avancée significative, qui est relative aux possibilités de construction en zone de montagne.
La régionalisation des transports de voyageurs constitue une avancée importante dans le processus de décentralisation. L'expérimentation engagée depuis 1997 avec six, puis sept volontaires, permet d'ores et déjà de tirer un bilan très positif.
La nouvelle organisation régionalisée est tout à fait pertinente puisqu'elle permet d'apporter une réponse plus efficace aux attentes des usagers. Ainsi, dans les régions concernées, le trafic a augmenté, en moyenne, de 5 % par an.
Cette forte croissance se nourrit bien évidemment d'une amélioration significative de la qualité de l'offre de service et d'une vigilance accrue concernant les besoins de la clientèle. Les usagers du transport ferroviaire sont donc bien les premiers bénéficiaires de l'expérimentation.
Dès lors, un large consensus s'est dégagé en faveur d'un transfert définitif de compétence aux régions.
Avec l'adoption de ce projet de loi, la régionalisation des services ferroviaires de voyageurs va passer du stade expérimental au stade du droit commun. Un certain nombre de remarques me paraissent donc devoir être formulées, remarques face auxquelles des engagements clairs doivent être pris par les partenaires, notamment par le Gouvernement.
En premier lieu, il faut souligner que l'Etat demeure responsable de la définition des obligations générales de service public applicables aux transports ferroviaires de voyageurs : principes généraux de tarification, exigences en matière de sécurité et d'environnement, conditions d'accès aux personnes à mobilité réduite, intermodalité, par exemple. En conséquence, c'est toujours à l'Etat qu'appartiendra le choix du mode de dévolution de l'exploitation des services ferroviaires régionaux.
Cette définition des obligations de service public par l'Etat est fondamentale, afin d'interdire une trop grande diversité des pratiques régionales, diversité qui conduirait inévitablement à une inégalité des citoyens français face aux services publics de transports. L'unicité du service public ferroviaire n'est donc absolument pas remise en cause, ce qui est très positif.
Il est souhaitable que ces points essentiels soient solidement inscrits dans les conventions qui seront passées entre l'Etat et les régions.
Deuxièmement, si certains ont posé la question de la compatibilité des conventions qui seront passées entre la SNCF et les régions avec le droit européen de la concurrence, nous savons désormais que ce débat est clos. Le Gouvernement a d'ailleurs su aborder cette question avec la Commission européenne, afin de lever toute ambiguïté.
La troisième question qui est soulevée par ce texte et qui a déjà été abordée par de nombreux intervenants a trait à la compensation, prévue à l'article 53 du projet de loi, qui sera apportée aux régions pour assumer cette nouvelle compétence. Il est compréhensible que l'Etat n'entende indexer cette compensation ni sur le produit intérieur brut ni sur l'indice des prix. Néanmoins, des réponses claires doivent être apportées d'ici à la date du transfert, c'est-à-dire au 1er janvier 2002. Pourquoi ne pas réserver une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers au secteur ferroviaire ? Il est en tout cas important qu'un chiffrage précis soit réalisé, afin de définir les sommes financières qui seront engagées, notamment en ce qui concerne le renouvellement du matériel roulant et la rénovation des gares.
Enfin, il est d'actualité de poser la question de la responsabilité des élus en matière de sécurité. Si un accident ferroviaire se produit, la responsabilité pénale des présidents de région pourra-t-elle être engagée ? Dans l'affirmative, le sera-t-elle solidairement avec celle de l'exploitant ou indépendamment de l'éventuelle responsabilité propre de ce dernier ? A toutes ces questions, je souhaite que des réponses précises soient apportées.
Je conclurai mon intervention en évoquant l'avancée très positive que constitue, à mon sens, la rédaction des articles 10 bis et 10 ter du présent projet de loi.
La loi du 10 janvier 1985, dite « loi montagne », a été adoptée avec l'objectif d'aménager et de protéger l'espace montagnard. En termes d'urbanisme, cette loi s'est traduite, en zone de montagne, par l'obligation de construire en continuité avec les bourgs et villages existants.
La loi du 4 février 1995, dans son article 5, avait déjà introduit une possibilité de construire en continuité des hameaux existants. Néanmoins, cette disposition est difficilement applicable, car les notions de continuité et de distance ne sont pas suffisamment définies.
Force est de constater, aujourd'hui, que l'application rigoureuse de ces lois sur des territoires d'habitat dispersé a accentué le processus de désertification en limitant les nouvelles constructions. Les communes de montagne se trouvent donc souvent dans l'impossibilité d'accueillir de nouveaux habitants ou de nouvelles activités économiques, ce qui fragilise les commerces et les services publics de proximité.
La modernisation générale des outils de l'urbanisme mise en oeuvre par ce projet de loi s'adresse d'abord aux zones urbaines ; cependant, la spécificité des territoires de montagne ou de massif n'a pas été omis dans ce texte, ce dont il faut se réjouir.
En effet, le projet de loi introduit également, dans son article 10 bis , un assouplissement de la règle d'urbanisation en continuité en zone de montagne. Quant à l'article 10 ter , il devrait ouvrir de nouvelles possibilités de constructions dans les zones de massif, en rétablissant les prescriptions particulières de massif qui avait été supprimées par la loi Pasqua du 4 février 1995. Ces deux dispositions ont pu être introduites lors du débat en première lecture à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du Gouvernement. Elles constituent en tout cas une avancée fondamentale pour le maintien et le développement des territoires ruraux.
En conclusion, les réformes profondes de notre législation introduites par ce projet de loi auront, j'en suis persuadé, des conséquences très positives pour l'avenir de notre société. L'esprit de ce texte le prouve : il est possible de réformer...
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Michel Teston. ... en conciliant développement durable et progrès technique, économie performante et société plus solidaire. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer le travail tant de la commission des affaires économiques et de son rapporteur, Louis Althapé, que de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, et des deux rapporteurs pour avis, Pierre Jarlier et Jacques Bimbenet.
Comme vous l'imaginez, mon intervention sera limitée au transport ferroviaire régional.
En juin 1993, la commission d'enquête sénatoriale créée pour examiner le fonctionnement de la SNCF dans ses missions de service public et en tant qu'instrument puissant d'aménagement du territoire remettait son rapport, adopté à l'unanimité des membres de la commission - j'insiste sur ce point - ce dont notre collègue Jacques Bellanger pourrait témoigner.
Nos conclusions pouvaient se résumer en trois priorités, trois points, pour remettre la SNCF sur les rails et pour stopper son déclin, qui apparaissait à beaucoup - mais on a pu montrer qu'ils s'étaient trompés - inexorable.
Le premier point consistait à faire en sorte que l'Etat joue pleinement son rôle à l'égard de l'entreprise et ne lui impose pas constamment - ou ne lui impose plus - le grand écart, et à séparer l'infrastructure de l'exploitation. Ce fut fait à l'occasion de la réforme sur le transport ferroviaire créant Réseau ferré de France.
Ensuite, il fallait doter la SNCF d'un véritable projet d'entreprise auquel l'ensemble du personnel pourrait adhérer. Ce fut l'oeuvre du président Louis Gallois, sous la dénomination « Projet industriel ».
Enfin, il convenait de faire des régions, à titre expérimental, des autorités organisatrices du transport ferroviaire régional de plein exercice. Cette réforme, que, notamment, avec Jacques Chauvineau, nous avons soutenue parfois contre vents et marées et, au départ, envers et contre tous, a porté ses fruits dans six régions expérimentatrices.
La preuve tangible est là, aujourd'hui - tous les orateurs se sont accordés pour le dire...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pas tous !
M. Hubert Haenel. ... même si, bien évidemment, des questions se posent encore - la preuve est là, disais-je, que cela marche.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est vrai !
M. Hubert Haenel. L'arrivée tardive d'une septième région, le Limousin, n'a pas permis, à ce jour, de dresser pour elle un bilan pertinent.
Les douze propositions que j'avais formulées à la suite de ce rapport, à la demande de Bernard Bosson, appliquées dans ces six régions à partir des relations triangulaires SNCF-Etat-région que j'avais imaginées, ont permis de démontrer que le transport ferroviaire régional avait de l'avenir, sous réserve de changer l'esprit des uns et des autres et d'appliquer la méthode expérimentale. Il fallait expérimenter - je l'ai souvent dit et je le répète aujourd'hui - pour tester, ajuster, convaincre et étendre ; nous sommes dans la dernière phase. Il fallait opérer une décentralisation expérimentée et négociée. Enfin, trois révolutions devaient être menées : la révolution institutionnelle, la révolution culturelle et la révolution technique. Tels étaient mes maîtres mots.
Je crois qu'on peut affirmer, monsieur le ministre des transports, qu'avant l'été, pour la loi, et dès l'automne, pour les décrets d'application, nous aurons atteint l'objectif que nous nous étions fixé, à savoir passer de la notion d'expérimentation à celle de décentralisation.
Quelles leçons doit-on tirer de tout cela ? A cet égard, je me garderai bien de prétendre être exhaustif.
On peut d'abord dire que le Parlement, notamment le Sénat, a toute sa place - il ne l'occupe d'ailleurs pas assez à mes yeux - dans le contrôle de l'administration et des entreprises, qu'il peut, dans la diversité de ses compétences et le pluralisme politique, s'attaquer parfois avec succès aux questions de société. Et tout le monde, ici, sera d'accord, je crois, pour reconnaître que le déplacement des personnes et le transport des marchandises relèvent bien de ces questions.
On peut ensuite dire que rien n'est jamais irréversible et que le pire n'est jamais sûr. Souvenez-vous : le transport régional ferroviaire semblait condamné. Aujourd'hui, il ne se contente pas de survivre : non seulement il vit, mais il se développe, il démontre sa pertinence et devient, en région, l'assembleur des autres transports publics dépendant d'autres autorités organisatrices, telles que le département, les villes ou les structures intercommunales.
Par ailleurs, l'expérimentation est, je crois, la méthode pour réformer notre pays, où règne trop souvent la défiance entre l'Etat et les collectivités locales, entre l'Etat et les syndicats, voire vis-à-vis des usagers des services publics. Renouer avec la confiance implique donc de démontrer que le contrat a un sens ou, si vous préférez, qu'il faut redonner tout son sens au contrat.
Les réformes ne peuvent plus - et je crois que vous en conviendrez, messieurs les ministres - être concoctées à Paris, à l'échelon central, puis appliquées uniformément aux réalités territoriales, comme une sorte d'artifice plaqué sur du vivant.
La régionalisation, ne l'oublions pas, n'est pas née du travail que le Sénat a accompli en 1993 et que les ministres successifs ont accepté de poursuivre ; elle était déjà en embryon dans les réformes engagées par M. Guichard puis dans la loi d'orientation des transports intérieurs, la LOTI.
Par conséquent, force est de constater que - et c'est cela la République - les ministres et les gouvernements de couleurs politiques différentes se succèdant, nous parvenons petit à petit à faire cheminer une idée et à aboutir. Voilà tout de même un succès qui mérite d'être souligné, et dont nous pourrions peut-être nous inspirer pour d'autres réformes. En outre, l'implication forte des régions dans l'infrastructure ferroviaire, dans l'optique du XIIe Plan, est aussi à mon sens l'une des conséquences, même si elle n'est peut-être pas directe, de la régionalisation.
Par ailleurs, on entend souvent dire du mal de la SNCF. Or j'estime, mes chers collègues, que nous devons nous rendre compte que la SNCF a beaucoup changé depuis le début des années quatre-vingt-dix, tout spécialement sous l'impulsion de son président actuel, M. Louis Gallois, les syndicats ayant bien sûr également joué le jeu, tout comme les régions.
La SNCF a démontré qu'elle était capable de se réformer et de sortir de son isolement ; elle a montré qu'elle pouvait établir des relations de partenariat, sortir d'un certain hermétisme et renoncer à son monolithisme. La régionalisation a été un puissant moteur, un point d'appui, un levier pour la transformation en profondeur qui s'opère. La SNCF a fait, comme l'on dit en psychologie, un important travail sur elle-même, un travail qui était peut-être inimaginable voilà une dizaine d'années, qui est en tout cas sans précédent, sans être bien sûr terminé.
Deux forces puissantes contribuent à ce changement : la régionalisation, dont je viens de parler, et l'ouverture européenne de l'entreprise, la comparaison et la confrontation avec d'autres entreprises ferroviaires d'autres pays de l'Union européenne. La SNCF et les régions ont démontré, au travers de l'expérimentation, la pertinence du transport ferroviaire.
Est-ce à dire, pour autant, que la partie est gagnée ? Non. D'ailleurs, des orateurs, notamment le président de l'association des régions de France, notre collègue Jean-Pierre Raffarin, et Josselin de Rohan, ont exprimé leurs interrogations, qui étaient parfois fortes, et ont fait état d'inquiétudes ou de réticences que seuls l'Etat, la SNCF et RFF peuvent dissiper.
La confiance se mérite et se conforte dans la conclusion et l'exécution du contrat. Nous sommes en effet trop habitués, quels que soient les gouvernements - il faut le dire - à voir l'Etat bouleverser à sa guise les règles du jeu en cours de partie et ne pas tenir parole. Cela explique le ton adopté depuis hier dans cet hémicycle : chat échaudé craint l'eau froide !
Je terminerai mon propos en disant qu'une des clés du succès non plus de l'expérimentation, mais de la décentralisation, de la régionalisation étendue, est syndicale.
En effet, le succès dépendra aussi de la qualité des relations professionnelles au sein de l'entreprise SNCF, qui, ne l'oublions pas, est à peine entrée en convalescence. Sa fragilité sociale est encore grande, et le succès tiendra donc pour partie à l'attitude des syndicats. Je crois qu'usagers et régions ne comprendront plus et n'admettront plus, à l'avenir, les grèves à répétition, décidées souvent sans explication. L'entreprise devra donc sortir de sa culture de préavis de grève. Les temps ont certes déjà changé, des améliorations ont été constatées, mais le travail est loin d'avoir abouti. Toutefois, pour observer cette entreprise d'assez près depuis quelques années, je sais que les ressources humaines y sont de très grande qualité. Je suis donc confiant, mais je mets en garde contre d'éventuelles rechutes.
En conclusion, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais former un voeu : jusqu'à présent, grâce à des hommes et des femmes de bonne volonté, les débats sur la régionalisation ont été préservés de la politique politicienne ; je vous invite donc à ne pas tenter de « passer en force » sur ce volet du projet de loi relatif à la régionalisation, car vous risqueriez alors de mettre à mal tout l'édifice que nous nous sommes efforcés de construire ensemble.
Serait-ce donc trop vous demander, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, que d'essayer de faire en sorte que ce point au moins fasse l'objet d'un accord en commission mixte paritaire, même si nous ne parvenions pas, comme je le pense, à un accord sur l'ensemble du texte ? Ce serait à mon sens un signal très fort adressé aux régions, certes, mais aussi aux usagers et au personnel de l'entreprise. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, mes cherscollègues, le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains qui nous est soumis constitue non une simple réforme législative, mais un véritable projet à long terme.
En effet, il tend à définir une politique de la ville, aujourd'hui encore embryonnaire, qui sera fondée sur trois valeurs : la solidarité et le partage, le développement durable et la qualité de la vie, la démocratie et la décentralisation.
Aussi l'examen de ce texte nous permet-il de nous interroger sur la physionomie que nous entendons donner demain à nos communes.
Souhaitons-nous voir nos villes et nos communes se développer selon le modèle américain, où le centre-ville est déserté au profit de banlieues souvent lointaines et réservées aux individus les plus riches, ou bien souhaitons-nous que le développement de nos villes soit fondé sur la recherche d'une mixité sociale indispensable à l'évolution de notre société ?
Notre volonté est, bien entendu, de privilégier une politique de la ville cohérente, tendant au rapprochement de l'ensemble des composantes de notre société par une meilleure offre d'habitat, et non à la création de communes destinées à accueillir telle ou telle catégorie du corps social. Le développement durable d'une commune ne peut en effet s'appuyer que sur une dynamique reposant elle-même sur le mélange social.
Le présent projet de loi a donc pour objet de donner aux élus locaux les moyens d'atteindre cet objectif essentiel pour notre société, et ceux qui taxent le Gouvernement d'immobilisme devraient donc soutenir une telle démarche et non s'y opposer en faisant ainsi la preuve de leur conservatisme !
S'agissant plus particulièrement du renouveau urbain, l'intérêt majeur du texte est qu'il prend en compte d'une manière globale les politiques d'urbanisme, de logement et de déplacements. L'objectif du Gouvernement est, en effet, d'aboutir à une plus grande cohérence tant entre ces trois domaines qu'entre les outils propres à chaque politique.
A cet égard, force est de constater que les actuels outils d'aménagement se sont superposés et juxtaposés sans que soit établi de lien entre urbanisme, habitat et transport, ce qui a favorisé un zonage des agglomérations par type de fonction et donc, indirectement, une perte de vigueur des centres.
Or l'histoire démontre que la vie sociale ne peut réellement s'organiser qu'autour de lieux de vie associant logements, commerces et équipements culturels.
Aussi le projet de loi vise-t-il, d'une part, à redéfinir les objectifs des documents d'urbanisme et, d'autre part, à améliorer les procédures d'édiction de ces derniers.
Il est ainsi prévu de substituer aux documents d'urbanisme, qui ne réglementent actuellement que l'occupation des sols, des documents prenant en compte les politiques de l'habitat, de loisirs, de services d'infrastructures et de déplacements.
Mais ce texte a également pour objet de renforcer la décentralisation dans l'élaboration des documents d'urbanisme.
En effet, en s'associant au sein d'un établissement public de coopération intercommunale pour définir les schémas de cohérence territoriale ou en se regroupant pour mettre en place un plan local d'urbanisme, les communes auront désormais la possibilité d'élaborer elles-mêmes leurs documents d'urbanisme, alors qu'il nous faut reconnaître que la majorité des communes sont aujourd'hui dans l'obligation de recourir aux services de l'Etat et de s'en remettre à leurs conclusions.
Or les directions départementales de l'équipement sont très souvent incapables, en raison du manque d'effectifs, de fournir aux communes des études complètes et de bonne qualité. On ne saurait donc affirmer que les élus locaux ont aujourd'hui pleinement la maîtrise des sols de leur commune.
De plus, les dispositions législatives que nous examinons tendent à prendre en considération la diversité des 36 000 communes françaises. En effet, chaque commune pourra se doter d'un document d'urbanisme, dont le contenu sera compatible avec sa taille et ses moyens, la majorité des dispositions relatives aux plans locaux d'urbanisme étant facultatives.
Loin de remettre en question la maîtrise des sols par les élus locaux, comme certains le soutiennent, ce projet de loi vise donc à conforter la décentralisation. Ainsi, le Gouvernement témoigne de sa confiance dans la gestion locale.
En conséquence, la responsabilité d'user avec sagesse de ces dispositions incombera aux élus locaux que nous sommes.
En outre, les documents d'urbanisme tels qu'ils sont envisagés dans le projet de loi constituant les bases essentielles de la gestion communale, il est impératif d'associer largement à leur élaboration l'ensemble des acteurs de la société.
On ne peut donc qu'approuver la volonté de démocratiser la procédure d'élaboration des documents d'urbanisme par le biais de la consultation de nombreux organismes et de la généralisation de l'enquête publique.
Je considère qu'il conviendrait, d'ailleurs, d'aller encore plus loin dans la concertation, en associant notamment les professionnels de l'urbanisme, tels que les architectes et les paysagistes, à l'élaboration de ces documents.
En effet, de par leur formation et leur expérience, ils sont à même d'indiquer les grandes orientations de l'urbanisation de demain. Cela permettrait également de donner un nouveau souffle aux écoles d'architecture et aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement.
Enfin, j'ai l'espoir que les futurs documents d'urbanisme pourront être de véritables instruments d'une politique d'aménagement du territoire prenant en compte la protection des espaces et des sites vierges de toute urbanisation.
Nous devons en effet nous attacher à sauvegarder nos paysages, qui constitueront dans dix ou quinze ans des ballons d'oxygène pour nos concitoyens, notamment pour les citadins.
Mais, au-delà des dispositions législatives, la réussite de la politique de la ville incombera, en réalité, aux élus locaux, qui devront développer des projets urbains à la fois équilibrés et prospectifs.
Votre projet de loi, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, définit une approche à la fois généreuse et cohérente de la politique de la ville. Nous le voterons donc avec autant de détermination que d'enthousiasme. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons donc bientôt aborder l'examen des articles et des 1 100 amendements qui, m'a-t-on dit, ont été déposés.
Permettez-moi, à cet instant, de saluer le travail important et de qualité réalisé par le rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Althapé, et par les deux rapporteurs pour avis, MM. Bimbenet et Jarlier.
Il convient d'ailleurs, à ce propos, de se féliciter de ce que, contrairement à l'opposition de l'Assemblée nationale, la majorité sénatoriale n'ait pas jugé utile de déposer des motions de procédure. J'en déduis qu'il existe ici une réelle volonté d'engager une discussion constructive.
La discussion générale a ainsi montré tout l'intérêt que vous portez, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce projet de loi qui, comme plusieurs d'entre vous l'ont souligné, est un véritable projet de société.
Cela étant, des propos excessifs ont aussi été tenus, comme toujours, mais c'est dans la nature des choses, et il faut l'accepter. Cependant, il ne suffit pas, monsieur Lassourd, d'exciper de sa profession de vétérinaire pour prouver que l'on connaît la ville et les citadins.
Vous avez fait référence, monsieur Lassourd, à une loi « de droite » votée en 1991. Il faut ici rappeler la chronologie : c'est en 1993 qu'est intervenu le changement de majorité. La loi de 1991, qui est effectivement une loi de référence, a donc été proposée par un gouvernement de gauche.
Pour bien situer les faits, je rappelle que la municipalité de Rennes a mis en oeuvre une grande partie des dispositions que nous proposons bien avant le dépôt du projet de loi dont nous discutons. Cette municipalité, comme d'ailleurs celle de Lille, compte maintenant une proportion de logements sociaux bien supérieure à 20 %.
Pour en revenir à une analyse plus générale, je relève encore que le Sénat n'a pas déposé d'exception d'irrecevabilité au regard de la Constitution, ce qui tend à prouver qu'il considère que ce projet de loi ne soulève pas de difficulté sur ce plan.
Je serai bref parce que le débat qui nous attend sera long, compte tenu à la fois de l'intérêt dont je viens de faire état et du dépôt d'un grand nombre d'amendements que leurs auteurs auront sûrement à coeur de défendre. Avec MM. Bartolone et Besson, nous ne manquerons pas, à cette occasion, de répondre de manière plus précise à chacun. Je sais que la commission saisie au fond n'a examiné qu'une partie de ces amendements et qu'au moins deux séances supplémentaires lui seront encore nécessaires, la semaine prochaine, pour en terminer.
Certains d'entre vous ont regretté la déclaration d'urgence, notamment le rapporteur, M. Althapé, qui m'a même confié qu'il aurait volontiers consacré six mois à ce débat.
Je veux rappeler que le dépôt de ce projet de loi a été précédé de plusieurs débats l'an dernier, sinon dans toutes les villes, c'est vrai, du moins dans six grandes villes de France : Lille, Orléans, Lyon, Dijon, Perpignan et Nîmes. Il y a donc eu de vrais débats avec les élus, avec les citoyens, avec les experts. Une rencontre très importante a eu lieu ensuite au cirque d'Hiver, à Paris, avec le Premier ministre.
De même, une très large concertation a été menée avec les associations d'élus, les professionnels, les associations, etc.
Par ailleurs, il a semblé important à Louis Besson, à Claude Bartolone et à moi-même que les nouvelles règles du jeu posées par ce projet de loi puissent être connues avant les échéances électorales, de telle sorte que chacune et chacun puisse éventuellement les intégrer dans ses projets municipaux.
Enfin, et c'est peut-être le plus important, on ne peut à la fois dire qu'il y a urgence sociale et refuser de remédier aux situations les plus défavorisées, d'apporter rapidement des solutions aux problèmes de mixité sociale, de logements insalubres, de copropriétés dégradées.
Mais cette urgence ne signifie pas, monsieur Fourcade, que nous avançons dans la précipitation. De même, sachez que nous n'avons nullement le volonté de « surdensifier », bien au contraire.
Avec le calendrier législatif chargé des assemblées parlementaires, telles sont les raisons qui ont milité en faveur de la déclaration d'urgence.
Je sais bien que plus on passe de temps à débattre, à se concerter, mieux la démocratie s'en porte ; mais il faut aussi, un jour, prendre des décisions. Au passage, je rappelle que ce gouvernement n'a jamais utilisé l'article 49-3 pour faire avancer ses projets, ce qui prouve bien le souci que nous avons de respecter la démocratie.
M. Althapé s'est demandé si, plutôt que de faire trois lois en une, il n'aurait pas été préférable de déposer trois projets distincts. Eh bien ! justement, pour bien comprendre le sens du projet gouvernemental, il faut intégrer cette façon nouvelle de poser le problème. Nous n'avons pas voulu recommencer en quelque sorte les mêmes erreurs, en coupant en tranches, en empilant les textes, car nous voulons traiter les problèmes de société, qui, partant du terrain, sont obligatoirement imbriqués, interactifs.
Parler de l'habitat, de l'urbanisme et des déplacements de la manière la plus cohérente possible participe à la fois de la lisibilité, de la simplification, mais aussi de l'efficacité.
A ce sujet, je veux saluer les propos de M. Pierre Mauroy, qui, comme d'autres, a mal ressenti les attaques quelque peu injustes contre les logements sociaux, même si l'on sait qu'il y a beaucoup à faire. Elles sont souvent vécues comme une espèce d'agression, pour ne pas dire de mépris, vis-à-vis de ceux qui y habitent. M. Pierre Mauroy a eu raison de rendre hommage aux millions de Français qui vivent dans les logements sociaux, et qui, pour nombre d'entre eux, d'ailleurs, y vivent bien.
M. Alain Vasselle. Pas dans les quartiers difficiles !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. On sait d'ailleurs les efforts qu'a déployés depuis longtemps le maire de Lille en ce domaine.
Monsieur Fischer, votre expérience d'élu de terrain à Vénissieux montre que, dans les quartiers qui ont connu toutes les procédures mises en place depuis les années quatre-vingt, l'énergie et la combativité des habitants et des élus permettent de faire avancer les choses et de modifier peu à peu des conditions de vie dans les quartiers.
Je veux également insister sur l'idée que ce projet de loi ne procède pas d'un mouvement de recentralisation - M. Vidal vient de le dire avec raison - qui remettrait en cause le principe de la libre administration des collectivités territoriales posé par l'article 72 de la Constitution, qui, je le souligne, doit être lu dans son entier.
Les pouvoirs des préfets ne seront guère différents de ce qu'il sont actuellement vis-à-vis des documents d'urbanisme. Tout le sens de la réforme du code de l'urbanisme vise à le simplifier et à introduire plus de concertation et de démocratie dans l'élaboration et la mise en cohérence des projets urbains.
Je veux rappeler que, même décentralisé, l'Etat ne perd évidemment pas son rôle : il est le garant de la solidarité et de la démocratie. Pourquoi la solidarité ne serait-elle pas un critère national d'exigence de l'Etat, au même titre que l'éducation et la formation ? Il ne viendrait à l'idée de personne, et surtout pas d'un parlementaire, de dire qu'au nom de la décentralisation, décentralisation que nous souhaitons encore approfondir, l'on pourrait refuser des écoles primaires ! La solidarité serait-elle en marge des valeurs essentielles de la France ?
L'Etat, je le répète, est le garant de la solidarité et de la démocratie. Cette analyse, nombreux sont ceux qui, par-delà les clivages, la partagent.
Dans la foulée de M. Carrez, qui a évoqué, à l'Assemblée nationale, le fameux Gosplan, M. de Rohan a parlé du retour au centralisme démocratique. Je me suis même demandé s'il n'allait pas rappeler l'image du « couteau entre les dents » ! On était bien parti pour cela !
Mme Odette Terrade. C'est parce qu'il n'a pas suivi nos congrès !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. En plus, cela fait tout de même un moment ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Xavier Emmanuelli, président du haut comité pour le logement des personnes les plus défavorisées, et que tout le monde connaît ici, a écrit aux parlementaires une lettre dans laquelle il faisait référence au Président de la République.
M. Ladislas Poniatowski. Nous l'avons reçue !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous avez reçu cette lettre, mais, alors que vous avez cité bien d'autres personnes pour montrer que cette loi était menaçante pour la démocratie, pour la décentralisation, et que sais-je encore, vous n'avez jamais cité M. Xavier Emmanuelli.
Je dois avouer que je n'avais pas l'habitude d'entendre des propos aussi excessifs dans la bouche de M. de Rohan. Je ne le savais pas aussi joueur !
Quant à M. Braye, il n'y est pas allé avec le dos de la cuiller. SRU, a-t-il dit, signifie « socialisme et rabaissement urbains ».
L'enjeu, qui est un enjeu de société, c'est la vie de tous les jours, c'est l'avenir des villes, c'est la solution aux problèmes dont chaque élu a à connaître au quotidien. Ramener le débat à ce type de formule ne me paraît vraiment pas à la hauteur de cet enjeu.
Plus sérieusement, ce projet de loi n'est en aucune manière recentralisateur. Il a pour vocation d'étendre les pouvoirs des élus, dans la continuité de la loi de Jean-Pierre Chevènement sur l'intercommunalité, et de faire mieux participer les citoyens aux décisions.
M. Delevoye a dit préférer le contrat à la contrainte. Moi aussi ! D'ailleurs, j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici, y compris lorsque certains réclamaient des mesures autoritaires à propos du droit de grève.
Faire prévaloir le contrat sur la contrainte, c'est l'idée qui guide les propositions du Gouvernement. Les collectivités territoriales doivent assurément pouvoir développer leur créativité, mais il convient qu'elles le fassent dans l'esprit qui émane de la volonté de l'ensemble de la nation et avec la volonté de contribuer à l'intérêt général, qui ne saurait être uniquement, bien sûr, l'addition des 36 000 volontés particulières.
Comme l'a souligné Mme Terrade, ce projet de loi a pour objet de donner du sens à la ville, et la reconquête de la ville doit, avant tout, être une question citoyenne d'appropriation.
Mme Terrade a également raison de dire que, alors que la croissance semble repartie, il est indispensable de ne pas donner l'impression aux six millions d'habitants des quartiers sensibles que cette reprise s'arrêterait à la porte de leur logement ou à celle de leur quartier.
MM. Haenel, Raffarin, Teston et plusieurs autres orateurs ont montré l'intérêt qu'ont les régions à s'inscrire dans la régionalisation des services ferroviaires de voyageurs, encore que M. Raffarin ait employé une formule qui m'a fait quelque peu sursauter. Je crois avoir compris que, selon lui, l'Etat transférait la dette à RFF, les déficits des TER aux régions et, avec le TGV, laissait les bénéficices à la SNCF.
S'agissant de la dette transférée à RFF, vous me pardonnerez de dire que c'est votre majorité, messieurs, qui a voté la loi instaurant RFF pour cantonner la dette ferroviaire.
M. Pierre Hérisson. Oui, et c'est une bonne loi !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. M. Hérisson dit que c'est une bonne loi !
D'ailleurs, on a fait ce que j'ai appelé la réforme de la réforme après, mais on n'a pas abrogé la loi.
Je rappelle que la SNCF, avec 200 milliards de francs d'endettement, était complètement « plombée », qu'elle ne pouvait pas s'en sortir. Il fallait donc changer la donne, et nous l'avons fait.
Aujourd'hui, les comptes ont été publiés, ils ne sont pas toujours très faciles à lire, mais, hors les prévisions concernant le SERNAM, il semblerait qu'il y ait un résultat positif de plus de 1 milliard de francs. La situation a tout de même changé par rapport à ce qui avait cours dans le passé !
Ces progrès traduisent non seulement une croissance du trafic voyageurs dans les régions et sur les grandes lignes, mais également un progrès du transport combiné par rapport à l'année dernière.
D'une manière ou d'une autre, messieurs Haenel, Raffarin et Teston, ainsi que plusieurs autres orateurs, vous avez montré l'intérêt que les régions ont de s'inscrire dans la régionalisation des services ferroviaires de voyageurs.
Très sincèrement, monsieur Haenel, comment ne pas souligner combien je partage votre vision pour le développement des transports ferroviaires, tous types de trafic confondus.
Avec ce projet de loi, nous tirons les conséquences de l'expérimentation en cours puisque, à l'issue d'une concertation approfondie engagée depuis près d'un an, nous décidons du transfert de compétence aux régions d'un service de transports de proximité.
Evidemment, en cas de transfert de compétence sans transfert de moyens, le risque est un transfert de charges. C'est la crainte de tous les élus.
Mais, je tiens à rassurer, MM. Raffarin, Joly et Percheron. La volonté du Gouvernement est, bien entendu, d'effectuer ce transfert de compétence sans transfert de charges, dans le strict respect des lois de 1982 et 1983 en matière de décentralisation, qui prévoient également un transfert de ressources.
C'est la raison pour laquelle est mise en place, dans les conditions du droit commun, une dotation générale de décentralisation, et ce sans remettre en cause, comme l'a dit M. Teston, l'unicité du système ferroviaire.
D'ailleurs, la généralisation de la régionalisation à toutes les régions en même temps, que vous avez proposée et que M. Raffarin a proposée, conforte l'unicité du système : on réalise la décentralisation tout en maintenant l'unicité du système, et ce sans remettre en cause la notion de responsabilité, ainsi que le craignait M. Teston.
Vous avez évoqué la question de l'indexation et, plus largement, vous souhaitez modifier les conditions financières dans lesquelles s'effectue ce transfert de compétence. Ce n'est pas la première fois que nous en parlons et j'ai le sentiment que c'est une demande qui est largement partagée. Des amendements ont été déposés en ce sens, nous aurons donc l'occasion d'y revenir.
Je rappelle simplement, à ce stade du débat, que, dans le cadre de la concertation rappelée il y a quelques instants, le Gouvernement a annoncé ses engagements financiers qui, loin d'être négligeables, sont très importants : une prise en charge, lors du transfert sur l'exercice 2002, du déficit des comptes TER - constatez, monsieur Raffarin, que le déficit n'est pas celui dont vous avez parlé - et une dotation pour le renouvellement du matériel ferroviaire, qui s'ajoutent à la dotation permettant le financement du fonctionnement du service. Cela représente tout de même un supplément de ressources de l'ordre de 1,1 à 1,2 milliard de francs. Le Gouvernement a pris ses responsabilités, il faut le reconnaître.
M. Hoeffel a posé une vraie question. J'avoue avoir mesuré sa dimension en l'écoutant évoquer hier les problèmes des régions frontalières et des problèmes transfrontaliers, notamment dans le domaine des transports. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet à ce stade du débat, mais je souhaite que nous y revenions ultérieurement car cette question me paraît effectivement importante.
Enfin, comme l'a dit M. Plancade, ce projet de loi, qui s'inscrit dans la cohérence de l'action gouvernementale, n'a pas vocation à régler tous les problèmes, même si certains, non contents de nous reprocher d'avoir fait trois lois en une, voudraient néanmoins que nous y ajoutions des dispositions supplémentaires pour ne rien négliger. Non ! Nous agissons sans ignorer ce qui se fait par ailleurs et qui participe de la démarche d'ensemble. Ce texte contribuera à faire avancer les choses et à ramener de l'urbanité dans nos villes.
MM. Besson et Bartolone vous apporteront des éléments supplémentaires. Pour ma part, j'aurai l'occasion de vous répondre plus précisément lors de la discussion des articles.
A l'Assemblée nationale, nous avons accepté plusieurs centaines d'amendements. Cela témoigne de l'esprit d'ouverture constructive qui anime le Gouvernement dès lors qu'il s'agira d'enrichir la loi dans l'esprit de solidarité et de renouvellement urbain qui l'inspire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de réagir à une grande partie de vos interventions.
Le premier enseignement que j'en tire est l'approbation unanime de la loi d'orientation sur la ville, la LOV, de 1991, notamment de ses objectifs en termes de mixité sociale. Quand je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'opposition qu'avait suscitée ce texte à l'époque, j'y vois une évolution qui laisse espérer que le texte qui vous est présenté aujourd'hui, avec le temps, recevra de votre part la même approbation !
Messieurs Althapé, Lassourd et de Rohan, vous avez tous trois défendu la LOV avec vigueur, et je vous en remercie. Monsieur Larcher, vous avez même dit que vous l'aviez faite ensemble avec M. Michel Delebarre.
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Je ne suis pas sûr, tout de même, que l'intéressé ait la même interprétation que vous des termes : « faire ensemble » !
M. Gérard Larcher. Ce n'est pas certain !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Le débat qui nous réunit ici est donc de savoir comment réussir à passer des paroles aux actes. Comme l'a dit très justement Mme Terrade, il s'agit aujourd'hui non plus d'approuver le principe de la mixité sociale, mais de le traduire plus efficacement sur le terrain. Tel est l'objectif du Gouvernement dans le titre II de ce projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains. Le principe des 20 % par commune n'est pas nouveau, mais il nous faut tirer les enseignements de la loi précédente pour améliorer sa mise en oeuvre à l'échelon local.
Dans cette optique, messieurs les rapporteurs, monsieur Fourcade, vous nous proposez de prendre en compte le critère de 20 % de logements sociaux à l'échelle de la structure intercommunale lorsqu'elle existe. Mais cette proposition ne répond pas du tout à l'objectif du Gouvernement, ni d'ailleurs à celui de la LOV de 1991. En effet, nous ne voulons pas qu'il y ait 20 % de logements sociaux dans chacune des agglomérations françaises. Dans ce cas, bien entendu, le chiffre serait trop faible. Non, le sens de la proposition du Gouvernement à l'article 25, c'est de rééquilibrer les agglomérations et de faire en sorte que les logements sociaux soient mieux répartis sur l'ensemble des villes, donc prévoir un minimum de 20 % de logements sociaux dans chaque commune.
Prenons l'exemple de la communauté urbaine de Lyon. M. Fischer, qui l'a d'ailleurs évoquée, y sera sensible. Tout le monde reconnaît que le rééquilibrage est-ouest de l'agglomération est un enjeu majeur pour la politique de la ville dans le Rhône, car le fait qu'il y ait déjà plus de 20 % de logements sociaux sur l'ensemble de la communauté urbaine ne garantit pas la mixité. Or, avec les amendements que vous nous proposez, messieurs les rapporteurs, la communauté urbaine de Lyon - comme celles de Lille et de Strasbourg - sortirait du dispositif.
Vous le voyez, cela transformerait complètement l'objectif du texte. Pour moi, c'est davantage la question de la répartition du logement social, et non pas seulement celle du nombre des logements sociaux, qui doit être prise en compte en priorité au niveau intercommunal.
Vous suggérez également de prendre en compte, dans la définition du logement social, l'accession sociale à la propriété.
Là encore, je crois qu'il y a une méprise sur l'objectif du Gouvernement au travers de ce texte. Il s'agit, en effet, non pas de réguler l'ensemble du parcours résidentiel de tous les Français, mais plutôt de s'attacher au segment du parcours résidentiel qui connaît le plus d'obstacles aujourd'hui, à savoir le locatif social.
M. Poniatowski l'a dit, nous connaissons une sous-consommation des crédits PLA. « Pourquoi ? », nous demande-t-il. Je crois que M. Plancade y a répondu. D'un côté, dans les communes qui comptent aujourd'hui un nombre suffisant de logements sociaux, les élus souhaitent faire respecter un minimum de mixité sociale, donc n'en construisent plus, ce qui est légitime. Nombreux sont ceux qui demandent même des démolitions. Mais, de l'autre côté, dans les communes qui n'ont jamais construit de logement social, on continue à en refuser, parfois par idéologie, parfois par démagogie, parfois par crainte des réactions de l'électorat. Donc, évidemment, on construit moins.
Pour contribuer à répondre à ce problème que nous connaissons sur le logement locatif social, le projet de loi est donc parfaitement adapté.
Quant à l'accession sociale à la propriété, elle se porte bien. C'est un souci permanent du Gouvernement - Louis Besson le dit tous les jours - mais ce n'est pas le sujet de l'article 25. Qui plus est, il faut rappeler que l'accession sociale à la propriété s'adresse à 85 % des Français. En l'intégrant dans le logement social, ce n'est plus un seuil de 20 % qu'il vous faudrait fixer comme minimum dans chacune des communes, mais sans doute 40 % voire 50 %. Tel n'est plus du tout le sens du texte initial du Gouvernement.
MM. Jarlier et Grignon ont instruit un procès en accusation de recentralisation. Nous avons pourtant eu la chance hier, au cours de ce débat, d'entendre le Premier ministre qui avait défendu les lois de décentralisation de 1982, face, à l'époque, à une opposition « vent debout » contre le projet qui était présenté. Pierre Mauroy nous a dit très clairement qu'il approuvait ce texte. Pourquoi ? Parce que la décentralisation, ce n'est pas le déménagement de la République. Car, quand les égoïsmes communaux vont à l'encontre d'un grand principe de notre République que nous approuvons tous, si je ne me trompe, il faut mettre en place une règle qui s'impose à tous.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Monsieur Bimbenet, vous m'avez étonné en mettant en avant la complexité du dispositif. J'avoue que c'est la première fois qu'on me fait cette remarque-là. Franchement, c'est difficile de faire plus simple comme objectif de politique publique : 20 % de logements sociaux dans chacune des communes urbaines et, pour atteindre cet objectif, une épargne en faveur du logement social de 1 000 francs par logement manquant. Avouez que ce n'est pas très complexe quand même comme règle de base !
M. Fourcade a rebondi d'ailleurs sur cette épargne de précaution. Il a souhaité en effet un système de provision dans le budget communal.
Mais, monsieur Fourcade, vous défendez en quelque sorte le système proposé par le Gouvernement. En effet, les 1 000 francs par logement manquant sont destinés à être utilisés par la commune. Si une commune joue le jeu et réalise ses logements sociaux manquants, le prélèvement sera nul. En revanche, si elle n'utilise pas l'ensemble de la provision, celle-ci tombe dans le budget de la structure intercommunale, ce qui me paraît légitime compte tenu des orientations du Gouvernement en faveur de l'intercommunalité. L'épargne longue en faveur du logement social, la provision à long terme dont vous parliez, doit selon moi se situer à cette échelle. Une fois cette idée acceptée, votre proposition rejoint celle du Gouvernement.
Messieurs Fourcade et Badré, vous avez aussi déploré les changements fréquents de définition du logement social. Mais qui a changé cette définition en 1995 si ce n'est la droite ? On ne peut pas en même temps critiquer les changements fréquents de cette définition et, dès que l'on arrive au pouvoir, faire exactement le contraire. Par ailleurs, je vous confirme bien que les logements privés conventionnés ANAH sont bien intégrés dans la définition du logement social dans le projet qui vous est soumis.
MM. Poniatowski et Lassourd ont indiqué que ce texte ne s'adressait pas aux communes qui ont, sur leur territoire, des quartiers en difficulté.
D'abord, ce n'est pas tout à fait exact. Les mesures en faveur des copropriétés dégradées ou du logement social s'adressent avant tout à toutes ces communes. C'est vous, messieurs les sénateurs de l'opposition nationale, qui ne voyez dans ce texte que l'article 25.
M. Gérard Larcher. Non, ce n'est pas vrai !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. De plus, je ne vais pas rappeler longuement ce que j'ai développé hier. La politique de la ville portée par Lionel Jospin repose sur deux ambitions : d'une part, le rééquilibrage de nos agglomérations - c'est l'objet de l'article 25 qui, par essence même, vise les communes qui n'ont pas de logements sociaux - et, d'autre part, la revalorisation de nos quartiers les plus en difficulté - c'est l'objet de tout le reste de mon action ou presque.
Les décisions du comité interministériel des villes du 14 décembre dernier ont été importantes. Le plan de rénovation urbaine et de solidarité inclut un programme national de renouvellement urbain, mais aussi la création de 10 000 postes d'adultes relais, la mise en place de 150 équipes emploi-insertion, des mesures en faveur de la revitalisation économique des quartiers sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir lors de la discussion des articles, des actions sur les services publics, la santé et l'éducation. Je me félicite d'ailleurs que M. Delevoye ait largement appuyé cette nécessité d'une politique globale que le Gouvernement met en oeuvre.
Ce plan de rénovation urbaine et de solidarité représente un engagement de l'Etat de 20 milliards de francs pour le prochain plan, et cela vient évidemment en plus de contrats de ville.
Je tiens à cet égard à saluer l'intervention de M. Lagauche, qui a décrit avec précision la grande diversité des moyens à la disposition des communes.
Par ailleurs, monsieur Braye, je précise que les mesures les plus importantes en faveur des communes les plus défavorisées ne sont pas toutes dans ce texte, comme vous avez eu raison de le dire. En revanche, elles sont toutes dans le budget ! (M. Braye s'exclame.)
Par ailleurs, monsieur Braye, quand on sait que vous êtes à la tête d'une agglomération aussi sensible que le Mantois, on s'attend à un peu plus d'équilibre dans vos propos, surtout au moment où l'on évoque dans cette assemblée un sujet aussi important pour vos administrés que la solidarité entre les communes.
M. Dominique Braye. Ne comptez pas sur moi pour déséquilibrer le Mantois. Je ne serai pas votre complice.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Vous avez évoqué par exemple la commune d'Issou. Mais sachez que, dans ce cas précis, le projet de loi ne prévoit que la construction annuelle de neuf logements sociaux dans cette commune...
M. Dominique Braye. Non, 188 !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... alors qu'on y construit annuellement trente-cinq logements neufs en moyenne depuis dix ans. Je ne vois vraiment pas où est le problème !
M. Dominique Braye. Vous êtes dans la techno, restez-y !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. J'ai l'impression que, lorsque vous parlez de SRU, vous annoncez presque la création d'une association du sectarisme et du réactionnaire urbains. (Sourires et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye. Les élus de votre sensibilité s'en plaignent eux aussi.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Sur le Mantois, vous engagez, dans le cadre du grand projet de ville, 700 démolitions de logements sociaux au Val-Fourré. Dans le même temps, vous refusez de réaliser cinq logements sociaux par an dans votre commune de Buchelay, où il en manque. (M. Braye proteste.) Quel exemple en tant que président de la structure d'agglomération ! (M. Braye proteste à nouveau.) C'est une véritable honte.
M. Dominique Braye. Apportez des emplois et nous ferons plus de logements sociaux.
M. le président. Ressaisissez-vous, monsieur Braye.
M. Dominique Braye. Je suis tout à fait calme, monsieur le président.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. M. Braye donne libre cours à sa véritable personnalité.
M. Dominique Braye. Absolument ! Quand il s'agit des Français, je me bats jusqu'au bout.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Madame Terrade, vous avez attiré mon attention sur le risque de voir les personnes dans les situations les moins précaires quitter le quartier dès qu'elles retrouveraient un emploi. Vous avez raison ; il convient d'être vigilant. Mais le Gouvernement entend précisément s'attaquer au problème dans toutes ses dimensions.
D'un côté, il lance un plan de rénovation urbaine et de solidarité pour redynamiser nos quartiers les plus défavorisés sur quinze ans - M. Pelletier l'a approuvé - de l'autre, il prévoit le rééquilibrage de nos agglomérations sur vingt ans. Telle est l'ambition urbaine du Gouvernement.
Monsieur Larcher, le propos de M. Bédier serait juste si l'on ne faisait pas cet effort de renouvellement urbain en parallèle à ce projet de loi. Mais je ne peux pas croire que M. Bédier ait pu donner une réelle importance à sa déclaration.
M. Dominique Braye. Vous vous trompez !
M. Claude Estier. Monsieur Braye, arrêtez, cela suffit !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Cela voudrait dire qu'il ne croit pas en son grand projet de ville, pour lequel il ne cesse de me demander toujours plus de crédits.
En revanche, il est vrai qu'à Jouars-Ponchartrain, à Neauphle-le-Château, on préfère construire des golfs de dix-huit trous plutôt que des logements sociaux. De cela, je n'en doute pas.
M. Dominique Braye. Ce n'est pas vrai !
M. Gérard Larcher. Non, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Dominique Braye. Non, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas vrai, vous parlez de choses que vous ne connaissez pas. Et Saint-Nom-la-Bretêche !...
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Vous m'avez demandé des précisions sur notre politique en faveur de l'emploi. Je puis vous dire que je suis particulièrement attentif à la question de l'emploi dans nos quartiers.
En effet, dans le contexte de croissance que nous connaissons actuellement, grâce à la politique de ce gouvernement, je sais que l'écart entre nos quartiers et le reste des agglomérations peut s'accroître en termes de taux de chômage, ce qui rendrait encore plus insupportable l'exclusion urbaine et sociale dont sont victimes une partie de nos concitoyens.
M. Dominique Braye. C'est ce qui se passe effectivement dans le Mantois !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Lors du dernier comité interministériel des villes et du développement social urbain, j'ai donc souhaité que cent-cinquante équipes emploi-insertion puissent se mettre en place dès 2000. Celles-ci seront animées par des directeurs d'agence locale de l'ANPE et mises en place en collaboration avec les collectivités locales. Ces équipes devront avoir des objectifs de résultats quantifiés. Elles bénéficieront de crédits de droit commun des politiques de l'emploi et de l'action sociale et des crédits spécifiques de la politique de la ville.
Messieurs Pierre Jarlier et Ladislas Poniatowski, vous avez reproché au Gouvernement de ne pas avoir tenu compte des réalités locales, en termes de budget communal...
MM. Dominique Braye et Gérard Larcher. A juste titre !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... et de disponibilité foncière.
Sur le premier point, je crois, messieurs Poniatowski et Badré, que vous oubliez les charges que doivent supporter aujourd'hui les communes qui ont plus de 20 % de logements sociaux. (M. Braye proteste.)
Pour vous, le seul coût qui compte, c'est celui de la réalisation des logements sociaux. On voit bien que vous ne voulez pas prendre en compte les charges qui pèsent sur les communes et les élus qui ont à gérer des villes où il y a un grand nombre de logements sociaux.
M. Dominique Braye. Et vous voulez en rajouter dans le Mantois !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. En effet, une famille précarisée, c'est 100 000 francs par an pour un budget communal.
C'est pour cette raison que j'estime qu'il est indispensable que les communes apportent leur contribution de 1 000 francs par logement manquant, même lorsqu'une structure intercommunale existe. (M. Braye s'exclame.) Outre le fait que la commune garde des compétences nécessaires à la réalisation de ces logements sociaux, il me paraît légitime qu'elle participe à la construction de ceux qui lui manquent.
Sur la question des disponibilités foncières, j'aimerais entendre davantage les représentants des communes qui connaissent réellement des problèmes. Souvent, en effet, je constate que les élus locaux qui crient le plus sont ceux qui réalisent chaque année de nombreuses opérations de logements de haut standing dans leur ville. Et, pour ces opérations-là, il n'y a pas de problème de disponibilité foncière !
M. Denis Badré. Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Je vais y venir, monsieur Badré.
Je constate également que les arguments sont quelquefois fallacieux.
Monsieur Badré, vous me dites : « J'ai une forêt, je ne peux pas construire. » Mais sachez que 20 % de logements sociaux, c'est un pourcentage, et, que je sache, il n'y a pas non plus de résidence principale dans votre forêt. Le problème n'est donc pas la forêt, mais le déséquilibre en termes de mixité dans la partie urbanisée.
Ensuite, je tiens à vous rappeler qu'il existe aussi la possibilité de faire des acquisitions-améliorations dans le parc ancien. C'est même très largement souhaitable.
M. Denis Badré. C'est ce qui me permet d'avoir 40 % de logements sociaux depuis dix ans !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Moi, je ne souhaite pas, comme M. Fourcade, que l'on fasse du logement social là où il reste des terrains. Il faut aussi faire du logement social dans le parc ancien, dans les secteurs sauvegardés. Ce sont généralement les meilleures opportunités d'accueil pour nos populations les plus modestes.
Mme Hélène Luc. Absolument ! On peut même faire de beaux logements sociaux !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. A ce propos, M. Joly m'a interpellé sur la campagne de dénigrement dont auraient été victimes certaines communes de droite de la Seine-Saint-Denis.
M. Dominique Braye. C'est n'importe quoi ! C'est de la provocation !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Monsieur Joly, je veux rappeler que ce sont les maires de ces communes, qui, avant même la sortie du texte, ont commencé à lancer des pétitions, à organiser des réunions pour abuser leur population sur la portée du projet de loi, voire pour dire qu'ils n'appliqueraient pas la loi.
M. Dominique Braye. Moi, j'en ai organisé plusieurs !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Que n'ai-je pas entendu ? « Le Gouvernement veut construire des barres et des tours. Il faudra atteindre l'objectif de 20 % de logements sociaux en trois ans ». Certains ont même poussé des cris d'orfraie : « Le Gouvernement souhaite que l'on héberge et accueille les familles immigrées de la commune d'à côté. »
Mme Hélène Luc. C'est en 1960 qu'on a construit des barres !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Tout cela, je crois, est vite retombé, car, comme je le disais hier, la mauvaise foi finit toujours par perdre dans un débat ouvert.
M. Dominique Braye. C'est pour cela que vous perdrez.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Par ailleurs, monsieur Joly, que pensez-vous de la campagne de dénigrement dont sont victimes au quotidien les habitants de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil par une partie de ces maires de droite de la Seine-Saint-Denis ? M. Mauroy l'a dit hier, il est inacceptable d'insulter les populations de nos quartiers populaires. Pourtant, c'est une réalité quotidienne dans cette circonscription de la Seine-Saint-Denis.
M. Dominique Braye. C'est vous qui les insultez en les obligeant à continuer à vivre là-dedans.
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais terminer sur une note d'optimisme : je suis persuadé, quels que soient les propos de M. Braye, qui détonnent dans le climat serein que connaît traditionnellement le Sénat,...
M. Dominique Braye. Eh oui !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... que ce texte portant sur la solidarité et le renouvellement urbains, avec le temps, vous l'accepterez, comme vous acceptez aujourd'hui le principe de la LOV...
M. Dominique Braye. Vous avez dit qu'elle était inappliquée ! C'est vous qui l'avez dit !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... comme vous vous félicitez aujourd'hui de la grande loi de décentralisation voulue en 1981.
Alors, oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis sûr qu'après ce débat nous retrouverons, avec une grande partie des sénateurs qui ont une certaine responsabilité, l'envie de construire pour le xxie siècle des villes du « tous ensemble ». (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye. Amen !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)