Séance du 5 avril 2000







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Au terme de nos débats, nous pouvons mesurer à la fois le chemin parcouru depuis l'examen en première lecture du projet de loi l'année dernière et celui qui nous reste encore à faire.
De nombreux points, et non des moindres, restent encore en discussion. Le travail de la commission mixte paritaire ne sera pas simple, si l'on se réfère aux divergences qui subsistent encore.
Je pense évidemment au problème des contrôles en garde à vue, qu'il s'agisse de l'enregistrement sonore des interrogatoires ou de la présence renforcée de l'avocat, mais pas seulement. Le mécanisme du recours en matière criminelle, qui se trouve modifié en profondeur par nos débats, et la réforme des libérations conditionnelles, sur laquelle l'Assemblée nationale ne s'est pas encore prononcée, sont autant de sujets importants qui doivent faire l'objet d'un accord entre les deux assemblées.
Sur d'autres points - le contrôle des centres de rétention et des zones d'attente, l'homophobie - nous regrettons de ne pas avoir été écoutés par la majorité sénatoriale.
Je note par ailleurs que la question de la responsabilité pénale des élus a ressurgi à de nombreuses reprises dans le débat. Les amendements qui ont été déposés en ce sens ont été retirés, sous réserve qu'ils soient pris en compte dans la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon.
Si je prends note du consensus qui se réalise autour de cette proposition, je voudrais tout de même formuler quelques remarques sur certains risques induits.
La discussion du texte sur la présomption d'innocence a permis à chacun d'entre nous d'exprimer le souci de voir mieux prise en compte la victime : c'est ainsi qu'on a insisté, dans cette enceinte, sur le fait d'avoir des décisions motivées, y compris pour le refus de la détention provisoire, ou qu'on a souhaité que les associations de victimes puissent faire partie des juridictions chargées de la libération conditionnelle.
Dans le même sens, on a souhaité que les associations de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles puissent se constituer partie civile.
Pourtant, les associations de victimes sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les risques que la proposition de loi sur la responsabilité pénale fait peser sur l'indemnisation de ces accidents et maladies.
Vous avez sans doute lu, comme moi, dans la presse, l'interview du professeur Got, qui nous dit son inquiétude quant aux conséquences que l'adoption d'une telle loi pourrait avoir sur le droit des victimes.
Je vous citerai le cas, réel, de ce marin aujourd'hui décédé qui avait contracté un mésothéliome provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante. L'indemnisation a été décidée en réparation de ce préjudice par la cour d'appel de Caen en septembre 1999. Dès lors que l'origine est due non pas à une infraction à la réglementation existante, mais à une faute d'imprudence ou de négligence, on peut douter que, eu égard à la rédaction proposée pour l'article 221-6, la réparation puisse se faire sous l'empire de la proposition de loi précitée.
Nous renouvelons notre souhait qu'il ne soit pas légiféré à la hâte sur ces questions, sous prétexte de répondre à un malaise des maires qui, s'il est réel, ne permet pas de le limiter à cette simple question.
Mes chers collègues, au vu des avancées de la deuxième lecture dans les deux assemblées, qui a montré que le consensus pouvait être trouvé sur de nombreux points, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen choisiront d'aborder avec confiance la future commission mixte paritaire. Pour l'heure, ils choisiront de s'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les sénateurs socialistes voteront ce projet de loi.
Encore une fois, c'est à vous que l'on doit cette initiative, madame le garde des sceaux. Cette réforme importante et complexe, vous en serez créditée, ce qui sera juste.
Il est tout aussi juste, cependant, de rappeler l'apport très important des travaux parlementaires notamment, s'agissant de l'Assemblée nationale, à propos de l'enquête préliminaire. La question se posera certainement de nouveau lors de la commission mixte paritaire.
En ce qui concerne le Sénat, plus particulièrement sa commission des lois et son excellent rapporteur, il est vrai que les adjonctions importantes auxquelles on aspirait depuis longtemps ont été votées à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, et ce dans un climat d'harmonie que je me plais à souligner.
Au nom du groupe socialiste du Sénat tout entier, je tiens à dire - et je m'adresse ici à nos collègues qui siègent de l'autre côté de l'hémicycle - que cette préoccupation demeure constante.
Nous avons toujours en train une révision constitutionnelle qui, pour le public peu au fait du détail des textes votés, symbolise l'affirmation, par l'ensemble du corps politique, de garanties d'indépendance de la magistrature encore plus assurées et plus importantes. Les citoyens y aspirent. Ils comprendraient difficilement que reste en panne un texte essentiel souhaité par le Président de la République, qui a été rédigé d'un commun accord entre le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, madame le garde des sceaux et, surtout, qui a été voté en termes identiques par les deux assemblées. Je le répète, une telle situation n'est pas bonne.
Alors que nous accordons toujours plus de pouvoirs aux magistrats et que ceux du parquet, en tout cas les plus importants d'entre eux, c'est-à-dire les procureurs généraux, détiennent aujourd'hui des pouvoirs considérables, ceux-ci sont encore nommés en conseil des ministres !
L'indépendance du parquet, même inscrite dans la pratique, comme vous y êtes attentive, madame le garde des sceaux, doit être consacrée par la révision constitutionnelle actuellement en suspens. Encore une fois, ce n'est pas une bonne situation au regard de nos concitoyens. Il faut, au contraire, aller de l'avant !
Par conséquent, je souhaite très vivement que, dans l'intérêt général, nous nous réunissions en congrès pour ratifier le projet de loi constitutionnelle voté par les deux assemblées en termes identiques, comme, j'en suis persuadé, chacun y aspire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer a, il convient de le rappeler, des racines anciennes.
On y retrouve l'un des éléments de la réforme qui avait été proposée par M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, s'agissant du double degré de juridiction en matière criminelle.
C'est le Président de la République qui avait voulu cette réforme sur la présomption d'innocence. Je suis tout à fait satisfait qu'à l'occasion de l'examen de ce texte nous ayons trouvé un large consensus grâce au talent de notre rapporteur et aux efforts des uns et des autres. Si le texte auquel nous sommes parvenus n'est pas, naturellement, un aboutissement définitif, il est un pas en avant significatif sur la voie de l'amélioration de la présomption d'innocence.
Par conséquent, la quasi-totalité du groupe du RPR, à une exception près, votera cette réforme.
Je voudrais maintenant répondre à M. Badinter.
Ce n'est pas à nous qu'il faut s'adresser pour la réforme constitutionnelle, car ce n'est pas nous qui convoquons le Congrès ! Ce n'est pas nous, non plus, qu'il faut convaincre ! C'est le Premier ministre qui doit saisir le Président de la République et lui demander de réunir le Congrès. (Exclamations ironiques sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Il a tous les culots ! C'est honteux !
M. Patrice Gélard. Il faut préalablement achever l'examen, qui traîne quelque peu, de tous les textes, dont ce projet de loi relatif à la présomption d'innocence, qui constituent la réforme de la justice. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous serons prêts, comme vous, à aller à Versailles. Mais nous ne pouvons mettre la charrue devant les boeufs, l'enjeu est trop important !
M. René-Pierre Signé. C'est nul !
M. Patrice Gélard. Je terminerai en disant que nous n'avons pas tout révolutionné dans le domaine de la présomption d'innocence ! Tout au long du débat, nous avons ouvert un certain nombre de pistes à suivre dans le futur.
Nous le savons, notre instruction pénale n'est pas satisfaisante, même avec les dispositions de ce projet de loi. Il nous faudra indiscutablement, dans un avenir plus ou moins proche, nous atteler à une réforme en profondeur de l'instruction.
Nous savons aussi - Pierre Fauchon le rappelait hier - que le procureur a été le grand absent de ce débat. Nous devrons donc mener une réflexion sur celui qui, sans être un magistrat à part entière, entend l'être avec tous les avantages de la fonction. C'est un vrai problème que nous n'avons pas encore résolu.
Le chantier de la justice est immense. Il est temps que nous ne raisonnions plus sur des bases héritées du xixe siècle, même si elles ont eu leur raison d'être à un certain moment. Aujourd'hui, pour la construction de ce nouvel édifice indispensable à la démocratie qu'est la justice, je me félicite que nous ayons, tous ensemble, posé une pierre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé. Les applaudissements sont maigres !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, en cet instant, nous avons tous, je crois, le sentiment d'être parvenus au terme, temporaire, d'un débat utile. En effet, il nous a permis de progresser sur un certain nombre de points, après la confrontation d'idées qui aurait pu déboucher sur des antagonismes. La progression a été d'autant plus importante au sein de la Haute Assemblée que la recherche d'une meilleure affirmation de la présomption d'innocence est, pour le Sénat, une très vieille idée.
Saint-Just disait que le bonheur était une idée neuve en Europe. La présomption d'innocence est au contraire une idée ancrée dans la tradition du Sénat. Je me souviens notamment des travaux que, voilà déjà cinq ans, nous avons entrepris, et qui avaient abouti au remarquable rapport auquel Charles Jolibois, en particulier, ainsi que Pierre Fauchon avaient été très directement associés.
Tout au long de la discussion, nous avons entendu, madame le garde des sceaux, comme une sorte de litanie sympathique, les avis favorables dont vous avez parsemé vos réponses aux amendements que nous vous proposions. C'est un élément dont nous pourrons, je pense, faire état au moment où nous aborderons le travail extrêmement important qui nous attend encore.
On pouvait lire aujourd'hui, dans un journal qui n'est pas toujours favorable aux thèses que nous défendons, que l'on avait le sentiment que le Parlement, aussi bien l'Assemblée nationale que le Sénat, avait accompli des pas trop importants pour que les derniers obstacles ne soient pas abordés avec la volonté de les surmonter.
Nous savons ce que sont les commissions mixtes paritaires. Nous savons que la commission mixte paritaire est sans doute l'invention la plus intelligente de la Constitution de la Ve République. Elle ne se tient pas en public et ne compte en principe que des spécialistes qui essaient de trouver des solutions. Nous avons le souvenir de ces commissions mixtes paritaires où, malgré les antagonismes politiques, nous sommes parvenus à des accords sur des sujets d'intérêt général.
Je forme en cet instant le voeu que la future commission mixte paritaire qui se réunira sur ce texte parvienne à surmonter les quelques difficultés, assez importantes, qui subsistent encore, et que nous aboutissions à cet accord que, les uns et les autres, je crois, nous recherchons avec le maximum de bonne volonté.
Je voudrais maintenant revenir très rapidement sur le propos de notre collègue et ami Robert Badinter.
En ce qui me concerne, je crois que nous avons bien fait de ne pas aller au Congrès directement, parce que nous nous sommes donné le temps de la discussion, d'une discussion approfondie, détendue, marquée à tous les instants par la volonté d'aboutir.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas la vraie raison !
M. Jacques Larché, président de la commission. En eût-il été de même si les réformes principales avaient été votées ? Je n'en sais rien, c'est une question que je me pose. Mais, compte tenu de la manière dont nous avons su faire progresser le présent texte, peut-être l'un des plus importants dont nous avions à traiter, rien n'empêche de penser que nous progresserons encore sur d'autres sujets pour parvenir à cet instant où il ne s'agira plus que de réfléchir à la clé de voûte qui viendra alors consolider cette institution essentielle qu'est la justice. Aussi, je n'admets pas qu'il puisse être dit un seul instant ou que l'on puisse laisser penser que nous ne sommes pas tous, de manière aussi forte, aussi déterminée et aussi volontaire, attachés à l'indépendance de la justice.
Nous venons de prouver le contraire une fois de plus et nous sommes décidés à le prouver encore, mais dans un ordre auquel nous sommes attachés. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier M. le rapporteur pour son esprit extrêmement constructif et le Sénat tout entier pour ses apports dans cette discussion que nous menons maintenant depuis plus d'un an sur ce texte extrêmement important.
J'ai souligné, au cours des débats, à quel point j'avais apprécié les améliorations que le Sénat avait initiées ou auxquelles il s'était associé, et je me réjouis qu'aujourd'hui il approuve deux des réformes les plus importantes qui sont incluses dans ce projet de loi mais qui auraient pu faire l'objet de textes séparés, tant elles sont significatives : je veux parler de l'institution d'un recours contre une décision de la cour d'assises, disposition introduite dans son principe en première lecture au Sénat, et de la réforme de la libération conditionnelle, dont nous venons de débattre. Rien ne peux mieux témoigner, je crois, de la contribution des débats parlementaire à l'élaboration des textes. Evidemment, bien des apports importants ont également été le fait de l'Assemblée nationale.
En réalité, nous avons montré que, grâce à la maturation indispensable dans ce genre de texte, nous étions parvenus à un accord sur ce qui sera certainement, lorsqu'il aura été adopté définitivement, l'un des textes les plus importants de ces vingt dernières années.
Lorsque la commission mixte paritaire se sera réunie et qu'elle aura abouti, comme cela a souvent été le cas dans le passé pour les raisons que M. le président de la commission a évoquées, à un travail constructif permettant de déboucher dans les toutes prochaines semaines au bouclage définitif de ce texte, nous aurons alors achevé le deuxième volet de la réforme de la justice, réforme dont le premier volet, que j'ai présenté au nom du Gouvernement dès octobre 1997, est constitué par les lois de décembre 1998 et de juin 1999. Il restera le troisième volet qui est, bien évidemment, suspendu à l'approbation par le Congrès de la loi constitutionnelle qui a été adoptée dans les mêmes termes, en novembre 1999, par 90 % des députés et des sénateurs.
A ce sujet, monsieur Gélard, il n'est pas exact de dire qu'il faut maintenant que le Premier ministre saisisse le Président de la République. Le Président de la République ayant été saisi au départ, c'est maintenant à lui seul que revient, d'après la Constitution, le choix de la date du Congrès, date qu'il a reportée en raison du blocage manifesté par l'opposition.
M. René-Pierre Signé. Blocage politique !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Lorsque ce blocage sera levé - j'espère, évidemment, qu'il le sera le plus rapidement possible ; à cet égard, les débats constructifs que nous avons eus sont de bon augure -, nous réglerons ce qui reste en suspens, comme l'a souligné M. Gélard, c'est-à-dire la situation du procureur, l'indépendance des procureurs.
En effet, ce projet de loi constitutionnelle concerne l'indépendance des procureurs, y compris des procureurs généraux. Jamais personne n'a envisagé de soumettre au Congrès, par exemple, le texte dont nous discutons aujourd'hui. Seules sont soumises au vote du Congrès les dispositions garantissant l'indépendance des procureurs et des procureurs généraux ainsi, naturellement, que la modification de la composition du Conseil supérieur de la magistrature chargé de prononcer les mesures de nomination et les mesures disciplinaires.
Il est évident que ce projet de loi constitutionnelle, déjà approuvé par chacune des deux chambres du Parlement séparément et ayant recueilli 90 % des suffrages exprimés, est indispensable si nous voulons continuer à progresser, puisqu'il conditionne la déclinaison d'un certain nombre de dispositions figurant dans d'autres textes.
J'espère donc que son vote pourra intervenir le plus rapidement possible. En tout cas, le Gouvernement est prêt à aller à tout moment à Versailles pour compléter cette réforme qui, au demeurant, va se poursuivre.
En effet, si, au titre du premier volet de la réforme, les principaux textes législatifs ont été votés - très vite d'ailleurs, j'en remercie le Parlement -, il reste un important travail à effectuer pour améliorer encore le fonctionnement de la justice au quotidien.
Comme cela figurait d'ailleurs dans mon intervention d'octobre 1997, nous avons encore des progrès à faire sur le plan des moyens, de la création des maisons de la justice et du droit, comme nous avons encore à avancer dans la réforme des tribunaux de commerce et de la justice économique ou dans celle du droit de la famille. Vous le savez, les discussions sont déjà engagées à cet égard.
Telles sont les réflexions que je voulais vous soumettre, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de cette discussion. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 48:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 296
Majorité absolue des suffrages 149
Pour l'adoption 295
Contre 1

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Très bien !

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