Séance du 5 avril 2000







M. le président. « Art. 32 F. - I. - Le dernier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les mesures visées au premier alinéa, à l'exception des réductions de peine et des autorisations de sortie sous escorte, sont accordées, refusées ou révoquées par décision motivée du juge de l'application des peines saisi d'office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du procureur de la République et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son conseil. Toutefois, en matière de permission de sortir, la décision peut être rendue en l'absence de débat si le condamné a déjà comparu devant le juge de l'application des peines au cours des douze mois qui précèdent. Dans tous les cas, la décision peut être attaquée par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa notification.
« L'appel est porté, dans les conditions et formes prévues aux articles 502 à 505, devant la chambre des appels correctionnels.
« Lorsque l'appel du ministère public est formé, dans les vingt-quatre heures de la notification, contre une décision accordant l'une des mesures prévues par le sixième alinéa, il suspend l'exécution de cette décision jusqu'à ce que la cour ait statué. L'affaire doit venir devant la cour d'appel au plus tard dans le mois suivant l'appel du parquet, faute de quoi celui-ci est non avenu. »
« II. - Après l'article 722 du même code, il est inséré un article 722-1 ainsi rédigé :
« Art. 722-1 . - En cas d'inobservation des obligations ou d'inexécution des mesures de contrôle et d'assistance, le juge de l'application des peines peut délivrer un mandat d'amener contre le condamné.
« Si celui-ci est en fuite ou réside à l'étranger, il peut délivrer un mandat d'arrêt.
« Les dispositions des articles 122 à 124 et 126 à 134 sont alors applicables, les attributions du juge d'instruction étant exercées par le juge de l'application des peines. »
« III. - Au deuxième alinéa de l'article 730 du même code, les mots : "après avis de la commission d'application des peines" sont remplacés par les mots : "selon les modalités prévues par l'article 722".
« IV. - Le deuxième alinéa de l'article 733 du même code est supprimé.
« V. - L'article 733-1 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est supprimé ;
« 2° Au 1°, les mots : "Les décisions qui concernent l'une des mesures prévues par les articles 720-1, 723, 723-3, 723-7 et 730 peuvent, à la requête du procureur de la République, être déférées" sont remplacés par les mots : "Les décisions par lesquelles le juge de l'application des peines accorde les réductions de peine ou du temps d'épreuve ainsi que les autorisations de sortie sous escorte sont des mesures d'administration judiciaire. Ces décisions peuvent être déférées, à la requête du procureur de la République et seulement pour violation de la loi, " ;
« 3° Le 2° est abrogé. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 73 rectifié, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« I. - Le premier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est complété par les mots suivants : "pour l'octroi des réductions de peine, des autorisations de sortie sous escorte et des permissions de sortir".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle, sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision motivée du juge de l'application des peines saisi d'office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue, après avis du représentant de l'administration pénitentiaire, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat ; elle peut être attaquée par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa notification. L'appel est porté devant la chambre des appels correctionnels.
« Les décisions du juge de l'application des peines sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du ministère public est formé, dans les vingt-quatre heures de la notification, contre une décision accordant l'une des mesures prévues par le sixième alinéa, il suspend l'exécution de cette décision jusqu'à ce que la cour ait statué. L'affaire doit venir devant la cour d'appel au plus tard dans les deux mois suivant l'appel du parquet, faute de quoi celui-ci est non avenu.
« Un décret détermine les modalités d'application des deux alinéas précédents. »
« III. - Après l'article 722, il est ajouté deux articles 722-1 et 722-2 ainsi rédigés :
« Art. 722-1. - Les mesures de libération conditionnelle qui ne relèvent pas de la compétence du juge de l'application des peines sont accordées, ajournées, refusées ou révoquées par décision motivée du tribunal de l'application des peines, saisi sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République, après avis de la commission d'application des peines.
« Ce tribunal, établi auprès de chaque cour d'appel, est composé d'un président de chambre ou un conseiller de la cour d'appel, président, et de deux juges de l'application des peines du ressort de la cour d'appel, dont, pour les décisions d'octroi, d'ajournement ou de refus, celui de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé l'établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué.
« Les fonctions du ministère public sont exercées par le procureur général ou par l'un de ses avocats généraux ou de ses substituts ; celle de greffe par un greffier de la cour d'appel.
« Le tribunal de l'application des peines statue par décision motivée, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel il entend les réquisitions du ministère public, les observations du condamné et, le cas échéant, celles de son avocat.
« Les décisions du tribunal peuvent faire l'objet d'un appel, dans les dix jours de leur notification par le condamné ou par le ministère public, devant la juridiction nationale de la libération conditionnelle. Ces décisions sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du procureur général est formé dans les vingt-quatre heures de la notification, il suspend l'exécution de la décision jusqu'à ce que la juridiction nationale ait statué. L'affaire doit être examinée par cette juridiction nationale au plus tard deux mois suivant l'appel ainsi formé, faute de quoi celui-ci est non avenu.
« La juridiction nationale de la libération conditionnelle est composée du premier président de la Cour de cassation ou d'un conseiller de la cour le représentant, qui la préside, de deux magistrats du siège de la cour ainsi que d'un responsable des associations nationales de réinsertion des condamnés et d'un responsable des associations nationales d'aide aux victimes. Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général de la Cour de cassation. La juridiction nationale statue par décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, de quelque nature que ce soit. Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil, après que l'avocat du condamné a été entendu en ses observations.
« Un décret précise les modalités d'application du présent article. »
« Art. 722-2. - En cas d'inobservation par le condamné ayant bénéficié d'une des mesures mentionnées aux articles 722 ou 722-1 des obligations qui lui incombent, le juge de l'application des peines peut délivrer un mandat d'amener contre ce dernier.
« Si celui-ci est en fuite ou réside à l'étranger, il peut délivrer un mandat d'arrêt.
« Les dispositions des articles 122 à 124 et 126 à 134 sont alors applicables, les attributions du juge d'instruction étant exercées par le juge de l'application des peines. »
« IV. - Les trois premiers alinéas de l'article 730 du même code sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 722.
« Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par le tribunal de l'application des peines, selon les modalités prévues par l'article 722-1. »
« V. - L'article 732 du même code est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "le ministre de la justice, celui-ci" sont remplacés par les mots : "le tribunal de l'application des peines, celui-ci".
« 2° Au quatrième alinéa, les mots : "et après avis, les cas échéant, du comité consultatif de libération conditionnelle, par le ministre de la justice" sont remplacés par les mots : "par le tribunal de l'application des peines".
« VI. - Au premier alinéa de l'article 733 du même code, les mots : "et après avis, le cas échéant, du comité consultatif de libération conditionnelle, par le ministre de la justice" sont remplacés par les mots : "par le tribunal de l'application des peines".
« VII. - L'article 733-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est supprimé.
« 2° Au 1° de cet article, les mots : "1° Les décisions qui concernent l'une des mesures prévues par les articles 720-1, 723, 723-3, 723-7 et 730 peuvent être déférées" sont remplacés par les mots : "Les décisions mentionnées au premier alinéa de l'article 722, à l'exception de celles mentionnées par le sixième alinéa de cet article, sont des mesures d'administration judiciaire. Ces décisions peuvent être déférées, à la requête du procureur de la République et, sauf en ce qui concerne les permissions de sortir, seulement pour violation de la loi,".
« 3° Le 2° de cet article est supprimé. »
Par amendement n° 173, le Gouvernement propose de rédiger comme suit l'article 32 F :
« I. - La dernière phrase du premier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est complétée in fine par les mots suivants : "pour l'octroi des réductions de peine, des autorisations de sortie sous escorte et des permissions de sortir".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle, sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision motivée du juge de l'application des peines saisi d'office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue, après avis du représentant de l'administration pénitentiaire, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat ; elle peut être attaquée par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa notification. L'appel est porté devant la chambre des appels correctionnels.
« Les décisions du juge de l'application des peines sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du ministère public est formé, dans les vingt-quatre heures de la notification, contre une décision accordant l'une des mesures prévues par le sixième alinéa, il suspend l'exécution de cette décision jusqu'à ce que la cour ait statué. L'affaire doit venir devant la cour d'appel au plus tard dans les deux mois suivant l'appel du parquet, faute de quoi celui-ci est non avenu.
« Un décret détermine les modalités d'application des deux alinéas précédents. »
« III. - Après l'article 722, il est ajouté deux articles 722-1 et 722-2 ainsi rédigés :
« Art. 722-1. - Les mesures de libération conditionnelle qui ne relèvent pas de la compétence du juge de l'application des peines sont accordées, ajournées, refusées ou révoquées par décision motivée de la chambre régionale des libérations conditionnelles, saisie sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République, après avis de la commission d'application des peines.
« Cette chambre, établie auprès de chaque cour d'appel, est composée par un président de chambre ou un conseiller de la cour d'appel, président, et deux juges de l'application des peines du ressort de la cour d'appel, dont, pour les décisions d'octroi, d'ajournement ou de refus, celui de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé l'établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué.
« Les fonctions du ministère public sont exercées par le procureur général ou par l'un de ses avocats généraux ou de ses substituts ; celle du greffe par un greffier de la cour d'appel.
« La chambre des libérations conditionnelles statue par décision motivée, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel elle entend les réquisitions du ministère public, les observations du condamné et, le cas échéant, celles de son avocat.
« Les décisions de la chambre peuvent faire l'objet d'un appel, dans les dix jours de leur notification par le condamné ou par le ministère public, devant la chambre nationale des libérations conditionnelles. Ces décisions sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du procureur général est formé dans les vingt-quatre heures de la notification, il suspend l'exécution de la décision jusqu'à ce que la chambre nationale ait statué. L'affaire doit être examinée par cette chambre nationale au plus tard deux mois suivant l'appel ainsi formé, faute de quoi celui-ci est non avenu.
« La chambre nationale des libérations conditionnelles est composée du premier président de la Cour de cassation ou d'un conseiller de la cour le représentant, qui la préside, de deux magistrats du siège de la cour ainsi que d'un responsable des associations nationales de réinsertion des condamnés et d'un responsable des associations nationales d'aide aux victimes. Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général de la Cour de cassation. La chambre nationale statue par décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, de quelque nature que ce soit. Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil, après que l'avocat du condamné a été entendu en ses observations.
« Un décret précise les modalités d'application du présent article. »
« Art. 722-2. - En cas d'inobservation par le condamné ayant bénéficié d'une des mesures mentionnées aux articles 722 ou 722-1 des obligations qui lui incombent, le juge de l'application des peines peut délivrer un mandat d'amener contre ce dernier.
« Si celui-ci est en fuite ou réside à l'étranger, il peut délivrer un mandat d'arrêt.
« Les dispositions des articles 122 à 124 et 126 à 134 sont alors applicables, les attributions du juge d'instruction étant exercées par le juge de l'application des peines. »
« IV. - Les trois premiers alinéas de l'article 730 du même code sont remplacés par les deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 722.
« Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par la chambre régionale des libérations conditionnelles, selon les modalités prévues par l'article 722-1. »
« V. - L'article 732 du même code est ainsi modifié :
« 1° Dans la seconde phrase du premier alinéa, les mots : "le ministre de la justice, celui-ci" sont remplacés par les mots : "la chambre régionale des libérations conditionnelles, celle-ci".
« 2° A la fin du quatrième alinéa, les mots : "et après avis, le cas échéant, du comité consultatif de libération conditionnelle, par le ministre de la justice" sont remplacés par les mots : "par la chambre régionale des libérations conditionnelles".
« VI. - A la fin de la première phrase du premier alinéa de l'article 733 du même code, les mots : "et après avis, le cas échéant, du comité consultatif de libération conditionnelle, par le ministre de la justice" sont remplacés par les mots : "par la chambre régionale des libérations conditionnelles".
« VII. - L'article 733-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est supprimé.
« 2° Au début du 1° de cet article, les mots : "1° Les décisions qui concernent l'une des mesures prévues par les articles 720-1, 723, 723-3, 723-7 et 730 peuvent, à la requête du procureur de la République, être déférées" sont remplacés par les mots : "Les décisions mentionnées au premier alinéa de l'article 722, à l'exception de celles mentionnées par le sixième alinéa de cet article, sont des mesures d'administration judiciaire. Ces décisions peuvent être déférées, à la requête du procureur de la République et, sauf en ce qui concerne les permissions de sortir, seulement pour violation de la loi,".
« 3° Le 2° est supprimé. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 73 rectifié.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement est probablement l'un des plus importants de ceux que nous avons à examiner au cours de cette deuxième lecture. Il tend en effet à opérer une réforme demandée et espérée depuis des années sans que des propositions en ce sens soient suivies d'effet : il vise à réformer entièrement la procédure de la libération conditionnelle.
Je rappelle que, actuellement, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l'application des peines lorsque la peine du condamné est inférieure à cinq ans d'emprisonnement, et par le garde des sceaux lorsque la peine est supérieure à cinq ans, et ce sans appel possible.
Toutes les études montrent que la libération conditionnelle est un instrument efficace de prévention de la récidive. Or cette mesure est de plus en plus rarement accordée, ce qui s'explique à la fois par la procédure actuelle et par les critères de la libération conditionnelle.
Voilà deux mois, une commission de réflexion, présidée par M. Daniel Farge, conseiller à la Cour de cassation, a formulé des propositions ambitieuses pour réformer la libération conditionnelle.
La commission des lois a immédiatement pris conscience du fait que cette réforme avait souvent été proposée sans qu'aucune suite soit donnée, et qu'il était donc nécessaire d'agir sans attendre. Le présent amendement vise donc à réaliser cette réforme.
Il vous est proposé que la libération conditionnelle soit dorénavant accordée par le juge de l'application des peines lorsque la peine du condamné est inférieure à dix ans d'emprisonnement. Cette décision du juge pourra faire l'objet d'un appel devant la chambre des appels correctionnels.
Lorsque la peine est supérieure à dix ans d'emprisonnement, la libération conditionnelle sera accordée par une nouvelle juridiction, le tribunal de l'application des peines, dont nous proposons la création. Les décisions de ce tribunal pourront faire l'objet d'un appel devant la juridiction nationale de la libération conditionnelle, placée auprès de la Cour de cassation.
Dans un autre amendement, nous vous proposerons également de modifier les critères de la libération conditionnelle. Afin que cette réforme soit complète, il faudrait, dans la mesure du possible, pour favoriser la prévention de la récidive et la réinsertion des condamnés, créer d'autres critères que le seul critère qui, dans la jurisprudence, est actuellement utilisé - la possibilité d'avoir un emploi, voire d'en avoir un déjà - alors qu'il est difficile, lorsque l'on est en prison, d'avoir un emploi.
Notre amendement tend par ailleurs à modifier légèrement le texte de l'Assemblée nationale en ce qui concerne la juridictionnalisation des décisions du juge de l'application des peines. Il nous est apparu qu'il était beaucoup trop lourd de prévoir un débat contradictoire pour les permissions de sortir, qui ne sont pas des décisions aussi importantes que les libérations conditionnelles. Il importait d'alléger le système.
Tel est l'objet du présent amendement, et nous vous remercions, madame le garde des sceaux, d'accepter dès maintenant, devant le Sénat, la réforme que nous proposons. (Mme le garde des sceaux rit.) En procédant à une telle réforme, le Sénat fait preuve d'une très belle continuité, puisque la libération conditionnelle est due, comme cela figure d'ailleurs dans tous les livres de droit pénal, à l'initiative prise en 1885 par un sénateur, M. René Bérenger.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour présenter l'amendement n° 173 et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 73 rectifié.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je me félicite de constater que, depuis la loi Bérenger de 1885, le Sénat se rallie enfin à des mesures de libération conditionnelle plus actives.
M. Robert Bret. Il ne faut jamais désespérer !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En effet, monsieur le sénateur !
M. Pierre Fauchon. Même du Sénat ! C'est merveilleux ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais replacer les dispositions que nous étudions dans leur contexte.
D'abord, j'ai observé - et c'est un sujet de préoccupation - que le nombre des libérations conditionnelles diminue constamment depuis très longtemps, notamment depuis une vingtaine d'années.
Cette même préoccupation avait d'ailleurs conduit M. Robert Badinter à déposer, comme il l'a lui-même rappelé, un projet de réforme. Ce projet, qui avait dû être retiré à l'époque, n'a pas été présenté de nouveau depuis. Il n'y a donc pas eu, à ma connaissance, d'initiative du Sénat depuis le retrait du projet Badinter voilà dix-sept ans, retrait dû à des opppositions qui, je m'en souviens, furent assez vives dans cet hémicycle.
En tout état de cause, le nombre des libérations conditionnelles diminue, et ce phénomène est très préoccupant.
Quoi qu'il en soit, tous les détenus sortiront de prison après avoir purgé leur peine. Dès lors, mieux vaut préparer leur sortie par des mesures de libération conditionnelle, pour favoriser leur réinsertion sociale et éviter les récidives. Toutes les études démontrent en effet que la libération conditionnelle est une façon de mieux préparer la sortie des détenus et de limiter les récidives.
Il convenait donc de réagir. Diverses propositions ont été faites, dont celle qui tend à juridictionnaliser les demandes de libération conditionnelle. Ce terme assez barbare signifie d'abord que le juge d'application des peines ne prend pas sa décision seul, que le détenu a le droit d'être assisté par un avocat et que les décisions du juge d'application des peines peuvent être susceptibles d'appel.
Juridictionnaliser les demandes de libération conditionnelle signifie aussi que des décisions qui sont aujourd'hui de la compétence du garde des sceaux, c'est-à-dire les demandes concernant des détenus dont le reliquat de peine est supérieur à cinq ans, relèveraient non plus de la Chancellerie et du garde des sceaux, mais du tribunal, qui statuerait contradictoirement avec possibilité d'appel.
Dire qu'il s'agit d'une décision du garde des sceaux, c'est d'ailleurs une façon de parler : l'examen des décisions qui me sont soumises personnellement et sur lesquelles je prends, par conséquent, des décisions politiques, fait en effet apparaître que seules cinq à dix décisions de ce type sont concernées chaque années. Pour le reste, c'est le résultat d'un processus très administratif.
Juridictionnaliser, c'est donc cela : un débat contradictoire, une décision d'un tribunal, laquelle est susceptible d'appel.
Ces propositions ont été formulées par une commission que j'ai mise en place en juillet 1999 et qui était dirigée par M. Farge, conseiller à la Cour de cassation, à qui j'avais demandé de me faire des propositions pour favoriser la libération conditionnelle. J'observe d'ailleurs que l'amendement n° 73 rectifié de votre commission est similaire à celui du Gouvernement puisqu'il transpose les propositions du rapport Farge dans la loi, ce qui est une bonne chose et qui correspond à l'intention du Gouvernement, ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire à votre rapporteur, M. Jolibois.
Vous allez donc adopter les propositions de juridictionnalisation qui sont incluses dans le rapport Farge, en y apportant néanmoins, M. Jolibois l'a souligné, quelques modifications qui permettront à ces mesures de produire leur plein effet.
Dans l'amendement n° 173, le Gouvernement vous propose, d'une part, d'étendre la compétence du juge d'application des peines aux peines de dix ans d'emprisonnement et non plus de cinq ans, comme c'est le cas aujourd'hui, d'autre part, de centrer les mesures de juridictionnalisation des peines sur les mesures de libération conditionnelle, de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et de suspension des peines.
Sont donc exclus, du fait de leur nombre et de leur nature - et c'est important, M. Jolibois l'a rappelé - les permissions de sortie, les réductions de peine, les temps d'épreuve et les autorisations de sortie sous escorte. Pourquoi cette différence ? Parce qu'en matière de libéralisation conditionnelle le détenu n'est pas destiné à revenir en prison - sauf, évidemment, s'il ne se conforme pas aux règles de contrôle qui lui sont imposées - alors que, les permissions de sortie étant tout à fait temporaires, le détenu est appelé à revenir en prison. Il faut donc limiter la juridictionnalisation à des mesures censées être permanentes, puisqu'à l'évidence nous parions sur la réussite des mesures de libération conditionnelle, de placement à l'extérieur ou de semi-liberté.
Par ailleurs, nous souhaitons limiter la saisine de la commission de l'application des peines aux mesures qui ne sont pas juridictionnelles. A contrario , pour les mesures juridictionnalisées, l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire sera prévu. C'est un point très important, qui ne figure pas dans le rapport Farge. Or la consultation des surveillants, des directeurs d'établissement, qui sont pourtant ceux qui, avec le juge de l'application des peines, connaissent le mieux le détenu, nous semble importante. Il me paraît donc nécessaire de réintroduire cette disposition.
M. Jacques Peyrat. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ensuite, nous étendons la juridictionnalisation aux décisions en matière de libération conditionnelle qui sont aujourd'hui de la compétence du garde des sceaux parce qu'elles touchent les condamnés aux plus lourdes peines. Elles seront donc confiées à des chambres régionales établies auprès de chaque cour d'appel, et les décisions pourront être frappées d'appel devant une chambre nationale composée de conseillers à la Cour de cassation, d'un représentant des associations de réinsertion des détenus et d'un responsable des associations d'aide aux victimes.
Comme je l'ai déjà indiqué, ces propositions rejoignaient plusieurs amendements initialement adoptés par votre commission des lois. Nos deux amendements n° 73 rectifié et 173 se rejoignent donc complètement, sous réserve de quelques différences de forme.
Ainsi, si j'accepte la dénomination de « juridiction nationale » des libérations conditionnelles plutôt que celle de « chambre nationale », le terme de tribunal de l'application des peines s'agissant de la juridiction de premier ressort ne me semble pas satisfaisant, pour plusieurs raisons. En effet, cette juridiction ne sera compétente qu'en matière de libération conditionnelle et non pas pour l'ensemble des mesures d'application des peines ; à cet égard, il ne me semble pas que l'appellation proposée reflète tout à fait ce que nous souhaitons faire. Ensuite, les autres mesures d'aménagement des peines qui sont juridictionnalisées relèveront du juge d'application des peines en premier ressort ; par conséquent, utiliser le terme de tribunal de l'application des peines est source de confusion avec le tribunal d'application des peines et la chambre des appels correctionnels, d'autant que ce tribunal sera présidé par un conseiller ou un président de la cour d'appel.
Je vous propose donc - c'est évidemment un peu secondaire par rapport à tout ce que nous faisons sur le fond, mais cela a néanmoins son importance parce qu'il me semble qu'il vaut mieux que l'appellation que nous allons adopter traduise le plus exactement possible ce que nous sommes en train de faire - je vous propose donc, dis-je, de retenir l'appellation de « juridiction régionale de la libération conditionnelle », par cohérence avec la juri-diction nationale que créée votre amendement n° 73 rectifié.
Je souhaiterais donc, monsieur le rapporteur, que votre amendement soit à nouveau rectifié dans son paragraphe III, en substituant, aux premier et quatrième alinéas du texte proposé pour le nouvel article 722-1, les mots « tribunal de l'application des peines » par les mots « juridiction régionale de la libération conditionnelle », et en remplaçant, aux deuxième et cinquième alinéas de cet article, les mots « Ce tribunal » ou « du tribunal » par les mots « cette juridiction » ou « de cette juridiction ».
Des rectifications similaires devraient être apportées au paragraphe IV, dernier alinéa, au paragraphe V, 1° et 2°, et au paragraphe VI de votre amendement.
Si vous rectifiez de cette façon l'amendement de la commission, je suis alors prête à retirer l'amendement du Gouvernement, pour bien manifester que nous sommes absolument d'accord sur le fond. Nous parviendrons ainsi à un texte commun.
Monsieur le président. Monsieur le rapporteur, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens préconisé par Mme le garde des sceaux ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'objection de Mme le garde des sceaux est substantielle, mais la commission l'accepte : plûtôt que de parler de « tribunal de l'application des peines », faisons allusion au véritable rôle de ce tribunal et appelons-le « juridiction régionale de la libération conditionnelle ».
J'accepte donc de rectifier à nouveau l'amendement de la commission dans ce sens. Nous pourrons ainsi, madame le garde des sceaux, manifester notre accord total sur ce qui est, au fond, le plus important, c'est-à-dire la substance même de la libération conditionnelle.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 73 rectifié bis , présenté par M. Jolibois, au nom de la commission, tendant à rédiger comme suit l'article 32 F :
« I. - Le premier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est complété par les mots suivants : "pour l'octroi des réductions de peine, des autorisations de sortie sous escorte et des permissions de sortir".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 722 du code de procédure pénale est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle, sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par décision motivée du juge de l'application des peines saisi d'office, sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de la République. Cette décision est rendue, après avis du représentant de l'administration pénitentiaire, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat ; elle peut être attaquée par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, dans le délai de dix jours à compter de sa sa notification. L'appel est porté devant la chambre des appels correctionnels.
« Les décisions du juge de l'application des peines sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du ministère public est formé, dans les vingt-quatre heures de la notification, contre une décision accordant l'une des mesures prévues par le sixième alinéa, il suspend l'exécution de cette décision jusqu'à ce que la cour ait statué. L'affaire doit venir devant la cour d'appel au plus tard dans les deux mois suivant l'appel du parquet, faute de quoi celui-ci est non avenu.
« Un décret détermine les modalités d'application des deux alinéas précédents. »
« III. - Après l'article 722, il est ajouté deux articles 722-1 et 722-2 ainsi rédigés :
« Art. 722-1. - Les mesures de libération conditionnelle qui ne relèvent pas de la compétence du juge de l'application des peines sont accordées, ajournées, refusées ou révoquées par décision motivée de la juridiction régionale de la libération conditionnelle, saisie sur la demande du condamné ou sur réquisition du procureur de le République, après avis de la commission d'application des peines.
« Cette juridiction, établie auprès de chaque cour d'appel, est composée d'un président de chambre ou d'un conseiller de la cour d'appel, président, et de deux juges de l'application des peines du ressort de la cour d'appel, dont, pour les décisions d'octroi, d'ajournement ou de refus, celui de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé l'établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué.
« Les fonctions du ministère public sont exercées par le procureur général ou par l'un de ses avocats généraux ou de ses substituts ; celle de greffe par un greffier de la cour d'appel.
« La juridiction régionale de la libération conditionnelle statue par décision motivée, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel elle entend les réquisitions du ministère public, les observations du condamné et, le cas échéant, celles de son avocat.
« Les décisions de la juridiction peuvent faire l'objet d'un appel, dans les dix jours de leur notification par le condamné ou par le ministère public, devant la juridiction nationale de la libération conditionnelle. Ces décisions sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l'appel du procureur général est formé dans les vingt-quatre heures de la notification, il suspend l'exécution de la décision juqu'à ce que la juridiction nationale ait statué. L'affaire doit être examinée par cette juridiction nationale au plus tard deux mois suivant l'appel ainsi formé, faute de quoi celui-ci est non avenu.
« La juridiction nationale de la libération conditionnelle est composée du premier président de la Cour de cassation ou d'un conseiller de la cour le représentant, qui la préside, de deux magistrats du siège de la cour ainsi que d'un responsable des associations nationales de réinsertion des condamnés et d'un responsable des associations nationales d'aide aux victimes. Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général de la Cour de cassation. La juridiction nationale statue par décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, de quelque nature que ce soit. Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil, après que l'avocat du condamné a été entendu en ses observations.
« Un décret précise les modalités d'application du présent article.
« Art. 722-2. - En cas d'inobservation par le condamné ayant bénéficié d'une des mesures mentionnées aux articles 722 ou 722-1 des obligations qui lui incombent, le juge de l'application des peines peut délivrer un mandat d'amener contre ce dernier.
« Si celui-ci est en fuite ou réside à l'étranger, il peut délivrer un mandat d'arrêt.
« Les dispositions des articles 122 à 124 et 126 à 134 sont alors applicables, les attributions du juge d'instruction étant exercées par le juge de l'application des peines. »
« IV. - Les trois premiers alinéas de l'article 730 du même code sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 722.
« Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par la juridiction régionale de la libération conditionnelle, selon les modalités prévues par l'article 722-1. »
« V. - L'article 732 du même code est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "le ministre de la justice, celui-ci" sont remplacés par les mots : "la juridiction régionale de la libération conditionnelle, celle-ci".
« 2° Au quatrième alinéa, les mots : "et après avis, le cas échéant, du comité consultatif de libération conditionnelle, par le ministre de la justice" sont remplacés par les mots : "par la juridiction régionale de la libération conditionnelle".
« VI. - Au premier alinéa de l'article 733 du même code, les mots : "et après avis, le cas échéant, du comité consultatif de libération conditionnelle, par le ministre de la justice" sont remplacés par les mots : "par la juridiction régionale de la libération conditionnelle".
« VII. - L'article 733-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est supprimé.
« 2° Au 1° de cet article, les mots : "1° Les décisions qui concernent l'une des mesures prévues par les articles 720-1, 723, 723-3, 723-7 et 730 peuvent être déférées" sont remplacés par les mots : "Les décisions mentionnées au premier alinéa de l'article 722, à l'exception de celles mentionnées par le sixième alinéa de cet article, sont des mesures d'administration judiciaire. Ces décisions peuvent être déférées, à la requête du procureur de la République et, sauf en ce qui concerne les permissions de sortir, seulement pour violation de la loi,".
« 3° Le 2° de cet article est supprimé. »
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. M. le rapporteur ayant accepté de rectifier son amendement, je retire l'amendement n° 173 du Gouvernement.
M. le président. L'amendement n° 173 est retiré. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 73 rectifié bis .
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Avec cet article 32 F, l'Assemblée nationale a opté pour le principe de la juridictionnalisation des peines.
La commission des lois et le Gouvernement nous proposent de pousser encore plus loin la logique en en tirant les conséquences du point de vue de la libération conditionnelle.
Cette réforme nous apparaît tout à fait fondamentale. Elle met fin à une ambiguïté de notre droit pénal, qui n'a jamais véritablement opté sur la question de la nature des pouvoirs du juge de l'application des peines.
A plus d'un titre, en effet, ses décisions pourraient apparaître de nature juridictionnelle : le fait qu'il s'agisse d'un magistrat, que les décisions qu'il est amené à prendre peuvent être également, la plupart du temps, prononcées par le tribunal correctionnel lui-même - je pense aux remises de peine ou à la semi-liberté -, peuvent le laisser penser.
Pourtant, l'article 733-1 du code de procédure pénale, introduit en 1978 et qui n'a pas été modifié depuis, dispose que « les décisions du juge de l'application des peines sont des mesures d'administration judiciaire ».
Cette qualification entraîne des conséquences très importantes puisque les décisions du juge de l'application des peines n'ont pas à être motivées et ne sont pas astreintes au principe du contradictoire. Elles ne peuvent pas faire l'objet d'un recours de la part du principal intéressé, le condamné ; en effet, seul le ministère public est autorisé à faire appel des décisions et à les renvoyer devant le tribunal correctionnel.
Au regard du principe de l'égalité des armes, cette situation s'avérait pour le moins discutable.
Depuis plus de trente ans, les spécialistes se sont penchés sur la question et ont envisagé de juridictionnaliser l'application des peines. Je citerai l'avant-projet de réforme du code pénal de 1976-1978, qui proposait l'institution d'un tribunal de l'exécution des sanctions ; je pense également à la commission réunie en 1981 pour réfléchir à une réforme de l'exécution des peines, qui avait abouti à envisager la création d'un tribunal de l'exécution des peines dans le projet de loi de septembre 1983.
Plus récemment, le rapport Farge a opté pour la collégialité, s'agissant des condamnations supérieures à dix ans, l'introduction du principe du contradictoire et celle du droit de recours.
Le bilan qu'on peut tirer de ces différentes initiatives est qu'elles ont toutes opté pour des droits de la défense renforcés et la suppression de l'intervention du garde des sceaux dans les décisions ; elles introduisent toutes l'idée de décisions collégiales, au moins à partir d'un certain seuil de peine.
Pourtant, malgré l'identité des solutions proposées, elles se sont, jusqu'à présent, heurtées à des arguments tenant au coût d'une telle réforme.
C'est pourquoi nous saluons tout particulièrement la volonté de Mme le garde des sceaux de mener à terme la réforme, comme nous le prouvent les amendements qu'elle a déposés ici.
Les propositions faites tant par la commission des lois que par le Gouvernement trouvent leur inspiration dans le rapport Farge : outre l'introduction du principe du contradictoire, le juge de l'application des peines serait compétent pour les peines inférieures ou égales à dix ans. Au-delà, ce serait une juridiction collégiale, qui se substituerait au garde des sceaux, qu'il s'agisse soit d'une chambre régionale, soit d'un tribunal de l'application des peines.
Nous préférons, nous, la composition retenue par le Gouvernement pour la chambre régionale.
De même, nous sommes favorables à la participation d'une association nationale d'aide aux victimes à la juridiction d'appel plutôt qu'à celle d'une personne « s'étant signalée par l'intérêt qu'elle porte aux victimes », rédaction retenue par la commission des lois et qui nous semble encore trop vague.
Ces divergences nous apparaissent néanmoins largement secondaires au regard de l'identité de démarche que l'on doit saluer ici.
Je veux, pour conclure, formuler le souhait que cette réflexion, qui met à plat notre conception du système carcéral et, au-delà, le sens de la peine elle-même, se poursuive sur les alternatives à l'incarcération ainsi que sur les régimes de sursis et de semi-liberté.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Comme pour l'appel des décisions en matière criminelle, c'est, là encore, une décision importante que nous allons prendre en l'instant, car la libération conditionnelle, de moins en moins appliquée, disparaissait un peu comme peau de chagrin.
Madame le garde des sceaux, il faut vous féliciter à la fois d'avoir demandé à un groupe de travail, présidé par le conseiller Farge, de faire des propositions et d'avoir permis ainsi à la commission des lois du Sénat, dès qu'elle a eu connaissance de ce rapport, de saisir l'occasion de la deuxième lecture du texte sur la présomption d'innocence pour y intégrer ce dispositif immédiatement, ce que vous avez, bien sûr, accepté, puisque vous avez vous-même déposé des amendements.
C'est vrai, à une époque, on estimait que toutes les mesures prises par les juges de l'application des peines étaient dangereuses, qu'il fallait garder les condamnés le plus longtemps possible, que ceux-ci devaient exécuter leur peine, qu'ensuite on verrait bien !
Le problème, c'est que, de toute façon, les détenus sortent un jour ou l'autre, et peut-être vaut-il mieux préparer cette sortie par des mesures appropriées - il y en a d'autres, bien sûr, que la libération conditionnelle ! - notamment lorsqu'il s'agit de condamnés à de très longues peines, car, on le sait, la libération conditionnelle favorise la réinsertion.
Dans le cadre de la commission d'enquête sur la condition pénitentiaire créée au Sénat, nous avons entendu des représentants de l'administration pénitentiaire regretter que l'on ne prenne pas des mesures pour faciliter les libérations conditionnelles.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l'Union centriste ne peut qu'être très favorable à l'amendement n° 73 rectifié bis de la commission, accepté par le Gouvernement.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est évident que le groupe socialiste salue avec plaisir la juridictionnalisation des mesures d'exécution des peines.
J'ai déjà eu l'occasion de rappeler - je ne voudrais pas jouer les grands-pères ! - que j'ai eu à connaître de cette question, que ce n'était pas dans le même climat, qu'à ce moment-là, en 1983, on s'avançait lorsque, après les travaux d'une commission à laquelle avaient participé bien des femmes et bien des hommes éminents, on déposait un projet de loi tendant à juridictionnaliser les sanctions.
Disons-le clairement, ce ne sont pas les moyens qui faisaient défaut. C'est simplement le climat pollitique qui interdisait tout débat sur cette question.
L'été 1983 avait été chargé de tempêtes. Je détenais à ce moment-là - je le dis avec le sourire, dans cet hémicycle que j'ai connu moins apaisé qu'aujourd'hui - un record d'impopularité inégalable. Je m'en souviens très bien, c'est pendant cet été 1983 qu'un bénéficiaire d'une permission de sortie délivrée par un juge de l'application des peines avait commis, hélas ! un crime atroce en Avignon, crime qui avait fait l'objet dans les médias d'une exploitation que l'on doit qualifier de honteuse, même après le temps écoulé.
Je revois encore cette photo indigne en première page d'un grand hebdomadaire, où l'on voyait s'inscrire, sur la porte blanche de la chambre d'hôtel, les mains sanglantes des victimes, de façon à montrer que les juges qui octroyaient les permissions de sortie faisaient cela bien légèrement.
Dans ce climat, avec l'exploitation politique qu'en avait faite alors une opposition moins bienveillante ou moins préoccupée de mesures de libération qu'aujourd'hui, le tollé fut tel que M. le Premier ministre me demanda de surseoir à la discussion du projet à l'Assemblée nationale, puis au Sénat. Et c'est ainsi que les choses ont duré pendant près de seize ans.
Mais ne revenons pas sur le passé, et disons que l'on ne peut que se féliciter, aujourd'hui, de cette entreprise commune.
Madame le garde des sceaux, c'est à vous que l'initiative revient, et il faut la saluer. Le rapport excellent de la commission présidée par M. Farge vous donnait les moyens qui convenaient pour aller vers les solutions que nous souhaitions. L'Assemblée nationale a fait un pas en avant important, la commission des lois du Sénat - témoignage rendu, encore une fois, à son excellent rapporteur - a travaillé le texte. Nous arrivons maintenant à un accord général. Cela ne devrait soulever aucune difficulté en CMP.
On glose sur la dénomination de la juridiction. Je ne peux pas dire, madame le garde des sceaux, puisque nous ne faisons là que du commentaire de texte, que désigner une juridiction par le terme générique de « juridiction » soit la meilleure dénomination possible. La CMP aura l'occasion de méditer sur cette question, de savoir s'il vaut mieux indiquer « tribunal », « juridiction », ou trouver un autre nom. Ce n'est pas important.
Ce qui compte, c'est ce pas essentiel fait au regard de ce qui doit être considéré comme une phase ultime, certes, mais très importante de la procédure pénale.
Car, si l'on y réfléchit bien, lorsqu'un tribunal prononce une condamnation à une peine correctionnelle très lourde - et il le peut, aujourd'hui - à des années d'emprisonnement, lorsqu'une cour d'assises prononce une peine de réclusion criminelle, les années passent, et l'on s'interroge : doit-on continuer ce que l'on appelle l'exécution de la peine sous le régime de la libération conditionnelle ? Décision extraordinairement importante, on le conçoit, puisqu'elle prend en compte l'évolution et l'avenir du condamné ; décision qui, jusquà présent, revêtait un caractère sommaire, au moins quant à sa procédure, et qui ne satisfaisait ni les exigences de la prudence, ni les exigences de la sûreté collective, ni le respect des droits des justiciables !
Par conséquent, juridictionnaliser, faire en sorte que cela s'intègre dans les procédures, avec l'avantage du contradictoire, l'avantage des enquêtes - je pense, en particulier, aux enquêtes psychiatriques - tout cela est un très grand apport et un pas nécessaire.
On ne peut que regretter que nous ayons été si longs à satisfaire cette exigence ; on ne peut que se féliciter de voir que, sur votre initiative, madame la garde des sceaux, cela sera enfin acquis dans notre justice. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 73 rectifié bis , accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 32 F est ainsi rédigé.

Articles additionnels après l'article 32 F