Séance du 23 mars 2000







M. le président. « Art. 1er. _ La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »
Par amendement n° 1 rectifié, M. Schosteck, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, et la traite, quels que soient le lieu et l'époque où ils sont pratiqués, constituent un crime contre l'humanité. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme Michaux-Chevry et M. Othily, et tendant, dans le texte de l'amendement n° 1 rectifié, après les mots : «, et la traite », à insérer les mots : « négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission propose une réécriture de l'article 1er pour répondre à l'objection de trop grande segmentarisation qui a été avancée.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je suis au regret de dire que nous travaillons dans des conditions déplorables, qui illustrent une fois de plus le caractère totalement périmé des exigences du débat parlementaire.
Dans ces conditions, sur les positions de la commission, qui ont été arrêtées après débat, je dis très clairement que je ne m'estime pas en droit de demander, comme je pourrais le faire, un scrutin public pour modifier l'article 1er.
Pourquoi ? Parce que c'est un texte qui peut toucher aux sentiments les plus profonds d'un certain nombre d'entre nous. Je considère que, d'un point de vue juridique, c'était le travail de la commission de tenter d'aboutir à une rédaction plus satisfaisante. Mais je dis, en cet instant, que je ne m'opposerai pas à un débat totalement libre. Le vote sera, lui aussi, totalement libre, car, je le répète, je ne demanderai pas un scrutin public.
En revanche, il ne faut pas trop demander à une commission des lois, qui a tout de même un métier à faire. Le reste du texte est, pour l'essentiel, de caractère réglementaire. Le contenu des manuels relève d'une circulaire du ministère de l'éducation nationale. Une démarche auprès d'un organisme international, c'est une injonction faite à un gouvernement qui est libre ou non de l'accomplir. Il en va ainsi pour tout le texte.
Nous avons adopté une disposition qui prévoit un comité très simple dont la composition sera précisée par décret et qui aura pour tâche d'accomplir, dans des conditions aussi satisfaisantes que possible, la mission qu'un certain nombre d'entre vous souhaitaient prévoir par d'autres dispositions dont nous demandons la suppression.
Je le dis très clairement, pour que les choses soient nettes : autant, sur le principe de ce texte, je ne demanderai pas de scrutin public, autant, sur tout ce qui est réglementaire, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez la possibilité de vous y opposer. Je ne sais pas si vous le ferez, mais, une fois que cela sera fait ou non, à ce moment-là, il faudra peut-être revenir, à mon regret, aux procédures contraignantes.
M. le président. La parole est à Mme Michaux-Chevry, pour défendre le sous-amendement n° 8 rectifié.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Il peut paraître surprenant que, sur un texte de cette importance, je ne sois pas intervenue. En fait, j'ai voulu me comporter en esclave et me taire, puisque nous n'avions pas droit à la parole !
J'avais déposé un sous-amendement et je voterai le texte de l'Assemblée nationale parce que prétendre que les dispositions de l'article 212-1 du code pénal, qui vise les personnes, s'appliquent aux esclaves est faux. On l'a dit tout à l'heure, c'est surprenant, c'est triste à dire, mais, avant le code Colbert, on était moins que des objets.
Récemment, on a découvert en Guadeloupe, dans un cimetière d'esclaves, les restes d'un être humain enchaîné avec le bout du pied qui manquait : c'était un nègre marron.
La commission des lois a bien travaillé. Mais, ce soir, nous allons faire un coup de nègre marron en votant le projet, car il y a un intérêt supérieur à rappeler à quel point, outre-mer, nous gardons le souvenir de ces humiliations. Nous revendiquons maintenant plus de dignité et plus de fierté ! (Applaudissements.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 8 rectifié ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. J'avais livré tout à l'heure l'avis de la commission. Le rapporteur, lui, est beaucoup plus perplexe. Il est partagé entre son rôle de défenseur des propositions de la commission et sa perception du débat général qui a porté ses fruits, comme il est normal et nécessaire.
Il me semble que, pour répondre au souci exprimé par les auteurs du sous-amendement n° 8 rectifié, l'article 1er pourrait être rédigé comme suit : « L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué, et la traite négrière en particulier, constituent un crime contre l'humanité. »
Voilà le texte que, juridiquement, je dois présenter moralement sur lequel, on voudra bien me le pardonner, je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, et tendant à rédiger comme suit l'article 1er :
« L'esclavage, conformément à l'article 212-1 du code pénal, quels que soient le lieu et l'époque où il est pratiqué, et en particulier la traite négrière, constituent un crime contre l'humanité. »
Mme Lucette Michaux-Chevry. Dans ces conditions, je retire le sous-amendement.
M. le président. Le sous-amendement n° 8 rectifié est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement, ainsi que je l'ai déjà exprimé, est contre l'amendement qui vient d'être présenté et pour le maintien du texte adopté par l'Assemblée nationale.
En effet, cet amendement appauvrit, tant sur le plan juridique que sur le plan solennel, cette déclaration inscrite dans la loi qui honorera le Parlement français plus de cent cinquante ans après l'abolition de l'esclavage.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, ne fait que reprendre les dispositions du code pénal tel qu'il est actuellement rédigé, c'est-à-dire l'article 212-1. Nous dirions, en grammairiens, que c'est une tautologie, mais nous sommes très loin de la signification qui a voulu être donnée par Mme Taubira-Delannon et par ceux qui ont voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale cette disposition.
Le Sénat témoigne de cette reconnaissance solennelle à travers le souvenir de Victor Schoelcher, en l'honneur duquel vous avez inauguré, monsieur le président, voilà deux ans, une plaque commémorative.
Aujourd'hui, si le Sénat adoptait le texte de l'Assemblée nationale, ce serait pour lui la reconnaissance du combat universel qu'il a mené voilà plus de cent cinquante ans. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.
M. Georges Othily. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. J'ai dit dans la discussion générale que je me sentais très frustré, tout en comprenant le souci de perfection juridique de la commission. Mais je me sentirais encore plus frustré si l'amendement de la commission était adopté. J'ai la chance de pouvoir dire, comme le grand poète guyanais Léon Gontran-Damas, que trois fleuves coulent dans mes veines : le fleuve blanc, le fleuve noir et le fleuve rouge des Amérindiens.
C'est l'une des raisons pour lesquelles la traite négrière a été transatlantique et je demande à notre assemblée de bien vouloir reprendre texto l'article 1er qui a été adopté par l'Assemblée nationale : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. »
Ce serait rendre justice non seulement à ceux qui ont souffert, mais aussi à ceux de ma génération qui confortent aujourd'hui peut-être les positions libératrices des esclavagistes.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2