Séance du 2 mars 2000







M. le président. « Art. 2. - L'article 13-4 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sur chacune des listes, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. »
Sur cet article, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 5, M. Laufoaulu propose de supprimer cet article.
Les deux autres amendements sont identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par M. Cabanel, au nom de la commission.
L'amendement n° 6 est déposé par M. Laufoaulu.
Tous deux tendent à supprimer la seconde phrase du texte présenté par l'article 2 pour compléter l'article 13-4 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961.
La parole est à M. Laufoaulu, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon amendement, comme je vais tenter de vous l'expliquer, vise non pas à exclure les femmes de la politique à Wallis-et-Futuna, mais bien au contraire, et malgré le paradoxe apparent, à permettre la poursuite d'un mouvement qui s'est amorcé il y a une dizaine d'années. Ce mouvement de prise de conscience des femmes des responsabilités qu'elles ont à prendre dans la vie de la cité s'est traduit par l'apparition de listes électorales menées par des femmes et parfois composées exclusivement de femmes. D'ailleurs, j'insiste sur le fait que les deux seules femmes élues de l'assemblée territoriale sont issues de listes exclusivement féminines.
Les femmes jouent déjà - c'est l'héritage de nos traditions - un rôle essentiel dans la société wallisienne et futunienne, mais elles sont restées longtemps en dehors de la vie politique au sens où on l'entend aujourd'hui. La place qu'elles occupent à l'assemblée territoriale est encore trop réduite puisqu'elles ne sont que 10 % des élus. Leur présence accrue lui insufflera, j'en suis convaincu, plus de dynamisme et de rigueur.
L'application de l'article 2 du projet de loi organique ne permettra cependant pas à une seule femme de plus de siéger au sein de l'assemblée territoriale et pourrait même aboutir, si l'on maintient le système de circonscriptions électorales actuel, à ce qu'il n'y ait plus une seule élue. En effet, compte tenu du grand nombre de listes et du vote par district, seuls les premiers de liste peuvent espérer être élus. Or, les femmes, comme je le disais précédemment, s'investissent désormais en montant des listes dont elles prennent la tête. Cet esprit de conquête, elles risquent de le perdre, car la parité obligatoire fera qu'elles seront tentées de se contenter des deuxièmes places.
Par conséquent, cet article 2 aboutira à ce que les femmes ne puissent plus constituer leurs listes et n'aient plus une seule élue. Autrement dit, nous arriverions au résultat inverse de celui que nous recherchons, puisque nous briserions la dynamique de la conquête des responsabilités politiques par les femmes, dynamique qui, je le répète, prend à Wallis-et-Futuna la forme de listes menées par des femmes et parfois totalement féminines, ces dernières devenant, du fait de la loi, interdites.
La loi ne pouvant pas imposer un nombre égal de listes conduites par un homme et de listes conduites par une femme, ce qui serait un moyen pour parvenir à la parité, il faut trouver une autre solution adaptée à la situation spécifique de Wallis-et-Futuna. La suppression de l'article 2 permettrait ainsi aux femmes de constituer leurs listes, y compris exclusivement féminines, en attendant un prochain, très prochain j'espère, toilettage du statut du territoire, qui date de 1961.
Je pense, madame le secrétaire d'Etat, qu'une réflexion approfondie sur l'application de ce statut et sur sa nécessaire adaptation aux réalités actuelles ferait sans doute ressortir, pour le point précis qui nous concerne en ce moment, la nécessité de revoir le mode d'élection des conseillers territoriaux, qui se fait aujourd'hui sur des listes établies par district, sachant qu'il y a cinq districts.
Si les élections se déroulaient avec, pour cadre de circonscription, chacune des deux îles, cela permettrait qu'il y ait désormais deux ou trois élus sur des listes. Alors, la parité prendrait tout son sens et deviendrait réalité.
Ce qui est sûr, c'est que, si nous votons la parité telle qu'elle est proposée dans l'article 2, nous risquons de ne plus voir une seule femme élue lors du prochain scrutin, ce qui serait une aberration. Je vous demande donc, mes chers collègues, de supprimer l'article 2.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 5.
M. Guy Cabanel, rapporteur. L'amendement n° 5 avait reçu un avis défavorable de la commission, M. Laufoaulu ayant déposé un second amendement qui pouvait améliorer la situation. Mais le débat, hier, nous a amenés à voter un amendement pour les élections municipales de Nouvelle-Calédonie. Nous nous rendons compte que l'application de la parité dans les territoires d'outre-mer sera extrêmement difficile.
Par conséquent, compte tenu des arguments développés par notre collègue représentant les îles Wallis-et-Futuna, j'émets personnellement un avis favorable sur l'amendement n° 5, considérant que la suppression de l'article 2, dans une situation de cette nature, va s'imposer.
M. le président. La parole est à M. Laufoaulu, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Robert Laufoaulu. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis toujours très attentive aux particularités de nos territoires, étant moi-même issue d'un territoire qui a son caractère.
J'ai bien écouté les propos tenus par M. Laufoaulu concernant la tradition des listes exclusivement féminines. D'ailleurs, dans certains pays de l'Union européenne, des femmes ont parfois choisi cette même stratégie pour parvenir peu à peu à un meilleur partage du pouvoir.
Néanmoins, je suis persuadée que M. le ministre de l'intérieur, s'il était présent dans cet hémicycle, rappellerait, avec raison, que les citoyens sont égaux devant la loi de la République. En conséquence, le Gouvernement ne peut qu'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
Mme Danièle Pourtaud. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Le groupe socialiste considère que le principe constitutionnel de parité doit s'appliquer pleinement dans les collectivités d'outre-mer comme en France métropolitaine.
Les femmes du territoire de Wallis-et-Futuna ne sont pas des Françaises de seconde zone, et la parité doit, nous semble-t-il, jouer dans les deux sens.
Il n'est pas acceptable qu'au nom d'une prétendue spécificité on réserve un sort particulier aux femmes du territoire de Wallis-et-Futuna. La loi sur la parité en politique sera votée, et toutes les femmes d'outre-mer en bénéficieront au même titre que toutes les femmes de France métropolitaine.
Notre collègue Robert Laufoaulu craint - je l'ai bien compris - une multiplication des listes avec une femme en deuxième position. Cette situation, si seule la tête de liste était élue, aboutirait à une diminution du nombre de femmes élues. C'est là un argument que nous avons entendu hier, s'agissant des listes pour les élections sénatoriales en France métropolitaine.
Mais, mes chers collègues, il existe une solution assez simple pour éviter un tel travers : que les femmes occupent la tête de liste !
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, je tiens à laisser à Mme Pourtaud la responsabilité de son propos : il n'est en effet absolument pas dans notre esprit de considérer nos concitoyennes de Wallis-et-Futuna comme des femmes de seconde zone !
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Une nouvelle fois, notre collègue Mme Pourtaud vient de démontrer combien l'opposition de la Haute Assemblée reste aveugle et sourde à tous les arguments fondés qui sont développés par la plupart des collègues siégeant de ce côté-ci de l'hémicycle. (M. Vasselle désigne les travées de droite.) Qui plus est, je crains fort que les effets pervers dénoncés hier par notre collègue de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que par d'autres sénateurs de la majorité sénatoriale s'agissant du « mille-feuille » pour les élections sénatoriales, et, aujourd'hui, par notre collègue de Wallis-et-Futuna ne soient, demain, une réalité sur le terrain.
Comme la présence des femmes est une fin en soi pour l'actuelle majorité politique de ce pays, tous les moyens sont bons pour y parvenir quelles qu'en soient les conséquences !
Je suis persuadé, quant à moi, qu'un certain nombre d'hommes sénateurs sortants qui se trouveront éliminés du fait de la parité n'hésiteront pas, y compris au sein du parti socialiste à constituer leur propre liste dont ils occuperont la tête, la deuxième place étant laissée à une femme, conformément à la loi. Il s'ensuivra une multiplication des listes sur le territoire et un résultat conforme à celui qui vient d'être décrit avec des arguments forts par notre collègue des îles Wallis-et-Futuna.
Persister dans cette voie, c'est vraiment rester aveugle et sourd à des arguments qui sont fondés et qui annoncent la réalité de demain.
Véritablement, si c'est ainsi que doit fonctionner la démocratie dans ce pays, la pauvre France est mal partie, et je plains le peuple français d'avoir encore pour trop longtemps à sa tête une majorité politique ne correspondant pas à ce qu'il souhaite.
M. Nicolas About. C'est l'exception française !
Mme Anne Heinis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Madame le secrétaire d'Etat, je voudrais tout d'abord m'adresser à vous.
Je vous ai souvent entendue exprimer des positions plutôt mesurées, et je suis déçue que vous ayez dit, voilà quelques instants, que, au nom de l'égalité républicaine, vous étiez contre cet amendement. J'espère que tel n'est pas votre sentiment profond et que seule la discipline gouvernementale vous amène à tenir ce propos.
L'égalité républicaine n'implique pas d'accorder les mêmes traitements à tous les citoyens. En effet, si l'on veut que les gens soient égaux, il faut justement s'adapter à eux pour pouvoir leur donner les moyens d'être égaux. Ce n'est pas une question d'infériorité ou de supériorité. Il ne faut pas ramener les choses à ce niveau, ce que, d'ailleurs, je ne pense pas que vous fassiez. C'est une question de différence, ce qui n'est pas du tout pareil. Les coutumes, les traditions, la spécificité des territoires - vous les avez citées - existent. On ne peut pas, un jour, prôner l'alliance des différences et, le lendemain, dénier leur existence et refuser de respecter ce qui peut concourir à l'égalité des chances, ce qui est notre but à tous.
Par conséquent, madame le secrétaire d'Etat, n'invoquez pas l'égalité républicaine pour supprimer les différences et pour ne pas donner aux gens les moyens dont ils ont besoin.
Je voudrais maintenant m'adresser à Mme Pourtaud, pour lui dire le fond de ma pensée. En effet, dans une démocratie, si l'on ne dit pas ce que l'on pense - respectueusement, bien entendu, car il ne s'agit pas d'insulter quiconque - on ne bâtit à mon avis pas sur du vrai ; or, tout ce qui n'est pas bâti sur du vrai est voué à un certain échec. Je vous dirai donc, madame, que j'ai été extrêmement surprise par le sectarisme dont vous venez de faire preuve !
M. Alain Vasselle. C'est consternant !
Mme Anne Heinis. Vous ne pouvez pas refuser l'expérience de nos collègues MM. Laufoaulu et Loueckhote, d'autant que leurs propos sont parfaitement mesurés : ils décrivent une situation telle qu'elle se présente, leur grande crainte, compte tenu de la façon dont les choses se passent et dont les femmes ont mené leur combat dans ces territoires particuliers, étant que la loi n'aboutisse exactement au résultat inverse de celui qu'ils poursuivent.
Alors, ne donnons pas à longueur de temps des interprétations extraordinairement tendancieuses à des observations de nature sociologique. Que voulez-vous, tout ne se passe pas comme dans les beaux quartiers de Paris ! Comme la France territoriale, la France extraterritoriale à ses différences, et l'honneur de notre pays a été justement de les respecter tout en essayant de constituer une seule nation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Les arguments développés par nos collègues d'outre-mer sont stimulants, et nous les suivons avec intérêt.
Je regrette que, dans les propos de certains de nos collègues de la majorité sénatoriale, un amalgame soit fait entre ce qui s'applique à la Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna et les autres questions qui nous préoccupent. Ainsi, M. Vasselle profite de l'intervention de nos collègues d'outre-mer pour dénoncer l'alternance pour le scrutin des élections sénatoriales, et cela dessert finalement la cause qui a été précédemment défendue par ses collègues de Wallis-et-Futuna, de la Nouvelle-Calédonie et d'ailleurs.
M. Alain Vasselle. C'est pourtant la réalité !
M. Michel Duffour. Pour ce qui me concerne, je développe mon argumentation et je ne fais pas de lien entre les deux aspects.
Hier, nous avons écouté avec intérêt M. Simon Loueckhote, et nous avons rejoint M. Mélenchon dans son argumentation : les quinze années de lutte politique qui se sont déroulées en Nouvelle-Calédonie permettent aujourd'hui aux différents protagonistes - quelles que soient les difficultés, que nous comprenons bien - de dépasser les situations existantes et, sans doute au prix d'un très gros effort, de pouvoir appliquer cette loi.
Tout à l'heure, nous n'avons pas suivi la commission au sujet de la Polynésie française, car nous n'avons entendu M. Flosse ni en commission ni dans l'hémicycle nous exposer le point de vue de son territoire. Pour ce qui est de Wallis-et-Futuna, nous pouvons cependant prendre en considération l'argumentation de M. Laufoaulu compte tenu de toutes les luttes qui ont eu lieu dans son territoire, même s'il n'y a pas eu les mêmes affrontements qu'en Nouvelle-Calédonie et si les candidatures aux différentes élections y présentent des traits particuliers auxquels nous ne sommes pas insensibles.
Sans que cela change en quoi que ce soit ce que nous avons dit précédemment, nous nous abstiendrons sur le présent vote, pour marquer l'intérêt que nous portons aux problèmes qu'ont évoqués nos collègues d'outre-mer.
M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler que nous sommes en train d'examiner les amendements n°s 5 et 2, qui font l'objet d'une discussion commune.
Mme Pourtaud s'est exprimée contre l'amendement n° 5, M. Vasselle, Mme Heinis et M. Duffour viennent d'expliquer leur vote, et deux orateurs, M. Gélard et Mme Pourtaud, se sont également inscrits pour expliquer leur vote.
Il serait souhaitable que ce débat ne connaisse pas les mêmes dérives qu'hier après-midi ! Je vous demande donc, mes chers collègues, de vous en tenir aux amendements que nous sommes en train d'examiner et de ne pas vous laisser aller à des considérations qui, si elles sont certes très intéressantes et très importantes, ont peut-être déjà été évoquées...
La parole est à M. Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. Madame le secrétaire d'Etat, les territoires d'outre-mer sont traités tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, par le Gouvernement. Ce n'est pas une bonne chose !
A l'heure actuelle, les territoires d'outre-mer sont liés à la France par des liens qui sont plutôt de nature fédérale, ils ne font plus partie de la République « une et indivisible ». Il suffit de se référer aux lois sur la Polynésie ou sur la Nouvelle-Calédonie pour s'en rendre compte : les territoires d'outre-mer ont une identité et une particularité dont il faut toujours tenir compte, et pas seulement dans certains cas, en menant une politique à géométrie variable.
Je déplore que cette identité forte de nos territoires d'outre-mer n'ait pas été prise en compte par le Gouvernement dans ce projet de loi organique. C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement n° 5. (M. Vasselle applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud, pour explication de vote.
Mme Danièle Pourtaud. J'espère avoir mal compris les propos de M. Vasselle : n'a-t-il pas insinué que la majorité actuelle dans ce pays serait illégitime ?
Si je n'ai pas mal compris ce qu'il a dit, alors je lui demande de bien vouloir retirer les propos, qui me semblent indignes de cet hémicycle.
M. le président. J'ai bien précisé tout à l'heure, et j'insiste sur ce point, que la présente discussion portait sur les amendements n°s 5 et 2. Par conséquent, toute autre intervention, notamment dans le cadre des explications de vote, ne peut être prise en considération.
J'espère que notre collègue M. Vasselle partagera cette analyse...
M. Alain Vasselle. Tout à fait, monsieur le président !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé et l'amendement n° 2 n'a plus d'objet.

Article 3