Séance du 27 janvier 2000







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau. Je dirai simplement que l'ensemble du groupe du RDSE votera la proposition de loi telle qu'elle est issue de nos débats.
Par ailleurs, je remercierai une nouvelle fois notre rapporteur, M. Pierre Fauchon, d'avoir été à l'origine de ce texte, en souhaitant que son examen à l'Assemblée nationale, puis au cours de la navette, fasse avancer le débat sur un certain nombre de points, notamment s'agissant de la possibilité pour les agents des collectivités locales - élus et non élus - d'être correctement assurés en matière pénale, du moins en absence de faute personnelle de leur part.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Au terme de cette discussion sur la responsabilité pénale des élus, les réticences que j'avais exposées dans la discussion générale se trouvent confirmées.
Je ne puis que noter l'unanimité avec laquelle les intervenants dans la discussion générale ont tenu à souligner le caractère partiel de la proposition de loi.
M. le rapporteur a volontairement circonscrit sa réflexion, au motif que c'était dans la nature même d'une proposition de loi d'avoir un objet limité. Je persiste, pour ma part, à penser que ce texte aurait dû être intégré dans une réflexion d'ensemble.
Nous avons tous, particulièrement dans cette enceinte, à coeur de répondre au souci actuel, réel et légitime des 500 000 élus français quant aux conséquences que la pénalisation excessive fait peser, non seulement sur leur situation personelle, mais également sur les conditions d'exercice de leur mandat.
Je ne doute pas, monsieur le rapporteur, que vous ayez souhaité, au travers de cette proposition de loi, régler au plus vite cette question, avant que la situation ne devienne critique. Mais le contenu des différentes interventions et l'objet des amendements qui ont été déposés témoignent amplement des limites du texte que nous avons examiné aujourd'hui.
Comptant, eux aussi, sur la navette parlementaire pour qu'il soit tenu compte de toutes ces remarques et pour que soit amélioré le texte, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Le groupe socialiste votera la proposition de loi de notre excellent collègue Pierre Fauchon parce qu'elle traite, chacun en a conscience, d'un des problèmes les plus difficiles qui se pose à l'heure actuelle dans notre droit et, plus généralement, dans notre vie publique comme dans notre vie sociale.
Je tiens à rappeler que le texte ne concerne pas seulement la responsabilité pénale des élus locaux. Il s'agit, comme le mentionne l'intitulé, de mieux définir les infractions non intentionnelles.
Au demeurant, on comprend aisément pourquoi la situation souvent cruellement ressentie à juste titre par les élus locaux a occupé, ici, une grande place dans la discussion.
Mais, afin de ne pas entretenir une sorte d'angoisse générale excessive à l'évocation de la mise en cause des élus locaux par les magistrats, je voudrais rappeler à la Haute Assemblée quelques données relatives aux poursuites en cause. En l'occurrence, il ne s'agit pas, je le répète, d'infractions intentionnelles, de délits qui, de près ou de loin, sont liés à la corruption. Il s'agit des infractions non intentionnelles.
Permettez-moi de citer quelques chiffres figurant à l'annexe 5 du rapport Massot, dont la source est bien entendu l'excellente direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.
Sur quatre années, de mai 1995 à avril 1999, le nombre d'élus locaux mis en cause pour des infractions non intentionnelles est de 48 : classements sans suite, 5, non-lieux ou relaxes, 19, sens de la décision non précisé, 10. Sur cinq ans, il y a eu 14 condamnations. Peut-être certaines ne sont-elles pas fondées, mais ne laissons pas courir l'idée d'une sorte de chasse à l'élu local qui serait pratiquée par la magistrature. De grâce, épargnons-nous ces caricatures qui, à la fois, suscitent une inquiétude mal fondée chez les élus locaux, notamment, on le conçoit, lorsque de telles déclarations émanent de responsables politiques, et provoquent, du côté des magistrats, le sentiment d'une incompréhension complète. Il n'y a pas de poursuite systématique de l'élu local pour délit non intentionnel !
Les chiffres sont là. C'est ainsi qu'il faut prendre la mesure des choses. Ne confondons pas l'intentionnel sous toutes ses formes avec le non-intentionnel.
Il n'empêche que nous sommes tous conscients qu'il y a bien dans la vie publique et, plus généralement dans la vie sociale, une pénalisation excessive. En fait, la première exigence qui émane de notre société est que la victime voie son dommage réparé. Aussi, s'il n'est pas question de chasse à l'élu local, il y a une recherche parfois extensive de la possibilité de mettre en cause une source de réparation, d'indemnisation du préjudice subi par la victime, pour qu'elle ne reste pas seule avec son malheur, si je puis dire.
Le choix de la voie pénale au lieu de la mise en cause de la responsabilité administrative ou civile est lié au fait que, par ce biais, la réparation peut être obtenue plus rapidement et plus facilement.
Aussi conviendrait-il, au cours de la navette, de s'interroger sur le problème d'une assurance civile obligatoire contractée par les collectivités territoriales. Ce serait un moyen à la fois de soulager le malheur des victimes, mais aussi, probablement, d'arrêter une certain nombre de poursuites qui, dès lors, en ce qui concerne au moins la réparation, n'auraient plus de raison d'être.
Se pose aussi - et Mme le garde des sceaux poursuit ses efforts à cet égard, nous le savons - le problème de l'amélioration du fonctionnement des juridictions administratives, notamment en ce qui concerne le référé administratif, qui, il faut bien le dire, est très en retard par rapport aux dispositions similaires qui permettent, dans l'ordre judiciaire, d'obtenir très rapidement, presque de façon certaine, la réparation du préjudice subi. Mais ce problème s'inscrit dans un vaste ensemble.
En conclusion, nous voterons cette proposition de loi, qui sera certainement améliorée au cours de la navette mais qui déjà, indiscutablement, va dans le bon sens tout en s'inscrivant dans une réflexion d'ensemble à poursuivre sur les mécanismes de garantie des dommages subis par les victimes.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Permettez-moi tout d'abord de revenir en quelques mots sur les données statistiques qui viennent d'être évoquées.
Ces données chiffrent le nombre d'incriminations pour des fautes réputées non intentionnelles, mais elles ne prennent pas en compte les autres procédures qui ont pu être engagées sur la base d'autres incriminations réputées intentionnelles et qui sont susceptibles, pour une bonne part d'entre elles, d'aboutir à des classements sans suite, à des non-lieux ou à une prise en considération différente des faits.
Le sentiment qu'éprouvent les élus locaux - M. Alain Vasselle et moi sommes bien placés, en tant qu'élus du département de l'Oise, pour le traduire - découle d'un certain emballement de la mécanique judiciaire, mais aussi des manières d'agir, d'une dramatisation et d'une médiatisation qui créent toute une ambiance dans laquelle de nombeux élus de bonne foi se sentent totalement acculés. Il est de notre responsabilité de le dire dans la mesure où les réalités de la gestion sont bien souvent niées par méconnaissance, faute d'une approche pratique, par certains magistrats qui viennent « plaquer » des notions juridiques respectables mais très éloignées des conditions concrètes de la gestion communale.
Certes, les statistiques de la Chancellerie sont bien celles qui ont été rappelées par M. Badinter, mais les témoignages que nous recueillons, l'état d'esprit que nous percevons traduisent autre chose. Il est trop simple de dire que les inquiétudes sont mal fondées et que nous avons une approche un peu trop émotionnelle.
S'agissant du texte, je dirai qu'il va dans le bon sens et constitue une avancée certaine quoique sur un créneau un peu trop étroit. Au demeurant, il a le mérite d'exister. Nous le considérons comme un geste de bonne volonté et nous le voterons naturellement comme tel. Mais, au-delà de cette avancée ponctuelle, bien d'autres choses restent à faire pour rétablir le lien de confiance qui s'est quelque peu distendu entre le système judiciaire et nombre d'élus et, d'une manière générale, nombre de nos concitoyens.
Beaucoup de choses restent à faire, notamment à l'issue de l'excellent rapport de la commission Massot. Tout le monde s'est plu à souligner ce travail objectif, pluraliste, pluridisciplinaire de grande qualité, dont devraient découler toute une série de conséquences concrètes.
Aujourd'hui, nous saluons la petite avancée qui est faite, mais, madame la garde des sceaux, nous ne nous en contenterons pas !
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il n'est évidemment pas question pour moi de présenter ici une explication de vote qui ne pourrait être que redondante après celle que vient d'exposer excellement M. Marini. Ce sont en fait les considérations développées par M. Badinter qui me conduisent à formuler quelques remarques.
On peut estimer, me semble-t-il, que, en matière de responsabilité pénale des élus, comme on l'a dit à propos des retraites, le diagnostic est partagé : partagé par le Gouvernement, les différents groupes politiques et l'ensemble des élus de ce pays.
Vous avez raison, monsieur Badinter, lorsque vous nous invitez à « relativiser » au regard des condamnations réellement prononcées à la suite de délits non intentionnels. Mais il est beaucoup moins aisé de « relativiser » lorsque l'on considère que tout cela est rapporté par les médias - télévision, radio, presse écrite - et interprété malencontreusement par l'opinion publique, qui a tendance à faire un amalgame entre ces délits non intentionnels et les « affaires ».
Bien sûr, nous, nous savons bien que notre démarche tendant à défendre la présomption d'innocence est fondée. Hélas ! aujourd'hui, devant une mise en examen, l'opinion publique pense moins « présomption d'innocence » que « présomption de culpabilité ».
Ainsi, même si un non-lieu est prononcé au bénéfice de l'élu ou si celui-ci est finalement relaxé, l'exploitation médiatique qui aura été faite aura installé le doute dans l'opinion publique, dont l'ire se portera fatalement contre le malheureux élu. Et cela risquera fort d'avoir pour lui certaines conséquences lorsque interviendront les échéances électorales...
En effet, il existe un net déséquilibre entre la manière parfois outrancière dont une information est exploitée par les médias et la possibilité qu'à l'élu de se justifier, de faire valoir la présomption d'innocence, de se réhabiliter aux yeux de l'opinion après que, mais bien plus tard, un jugement a été rendu en sa faveur.
On l'a bien vu avec ce qui est arrivé à M. Longuet : les médias négligent de rendre compte du jugement et l'opinion publique s'est déjà fait une idée à l'égard de l'élu ; celui-ci se retrouve affaibli, et toute sa famille est frappée avec lui.
A partir du moment où nous partageons le diagnostic, j'espère que nous parviendrons à partager la solution.
Notre collègue M. Fauchon nous propose une amorce de solution. Sa démarche est louable, et nous devons le suivre. Toutefois, comme l'a dit très justement Philippe Marini, il faudra aller encore beaucoup plus loin pour que soit véritablement respectée la présomption d'innocence et surtout pour éviter que l'opinion publique ne condamne d'avance ceux qui, au fond, ne sont pas réellement responsables des faits qui se sont produits.
Sous le bénéfice de ces observations, bien entendu, je voterai l'ensemble du texte qui résulte de nos travaux, tout en nourrissant l'espoir que, très bientôt, nous ayons à nouveau l'occasion de délibérer sur ce sujet, ô combien important. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 9 rectifié (1999-2000).

(Ces conclusions sont adoptées.)

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