Séance du 18 janvier 2000






LIBERTÉ DE COMMUNICATION

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au-delà des polémiques médiatiques passagères et des effets faciles de l'agitation politicienne, la principale question qui se pose à nous, dans le débat qui s'ouvre aujourd'hui, me semble la suivante : dans un domaine en perpétuelle évolution, comment pouvons-nous, en France, assurer de manière pérenne l'avenir du secteur public de l'audiovisuel ?
Pour répondre à cette interrogation, il importe d'avoir présent à l'esprit deux éléments importants que nous imposent, d'une part, l'évolution technologique et, d'autre part, l'environnement international.
Pour ce qui est du domaine technologique, chacun peut observer la multiplication de nouveaux supports, de nouveaux véhicules d'images, que ce soit le satellite, Internet, le numérique hertzien, le MMDS, le DAB, l'ADSL ou encore l'UMTS à venir pour les portables. Cette liste n'est pas et ne sera pas à l'avenir limitative ; elle est au contraire évolutive, et tout laisse à penser que les innovations futures permettront d'accroître encore les capacités de diffusion des supports connus ou existants tout en en développant de nouveaux.
En ce qui concerne notre environnement international, plus particulièrement européen, je voudrais, madame la ministre, mes chers collègues, attirer votre attention sur la simple comparaison de l'état de l'audiovisuel public français par rapport à celui de ses voisins immédiats et puissants que sont l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Vous pourrez constater par vous-mêmes que cette comparaison n'est pas favorable à notre pays, loin s'en faut.
En effet, si, dans le domaine de la diffusion, on compare, par exemple, le pourcentage de la fiction nationale dans l'ensemble de la fiction diffusée en prime-time , on constate qu'il s'élève à 90 % en Grande-Bretagne, à 70 % en Allemagne et seulement à 47 % en France.
Plus significatives encore sont les comparaisons d'heures de fiction produites par le secteur public et diffusées annuellement sur les chaînes de nos trois pays. Si l'Allemagne et la Grande-Bretagne, qui produisaient respectivement 1 700 heures et 1 000 heures en 1996, ont porté cette production, pour 1998, à, respectivement, 1 950 heures et 1 320 heures, a contrario , et pour la même période, la France est passée de 700 heures produites en 1996 à 550 petites heures produites en 1998, soit une diminution de 30 %, c'est-à-dire, aujourd'hui, à peine le quart de ce que produit l'Allemagne. Comment, madame la ministre, mes chers collègues, être présents dans cette grande bataille à venir que l'on nous annonce sur le contenu avec un niveau aussi faible de production ?
L'une des causes principales - pour ne pas dire la principale - de cette situation réside à l'évidence dans le sous-financement de notre secteur public audiovisuel.
Sans vous imposer des quantités de chiffres, je poursuivrai simplement cette comparaison avec nos voisins immédiats. Ainsi, le rapport du produit de la redevance, en 1996, était, en France, de 10 milliards de francs, alors qu'il était de 20 milliards de francs en Grande-Bretagne et de 30 milliards de francs en Allemagne.
Si l'on analyse maintenant les autres sources de recettes comme la publicité, on constate qu'il n'y a pas de compensation du manque de redevance puisque les recettes totales du secteur public s'élèvent à plus de 40 milliards de francs en Allemagne, à 25 milliards de francs en Grande-Bretagne et à 18 milliards de francs en France.
Evolution du contexte technologique, comparaison du contexte européen, c'est donc la pérennité même de notre secteur audiovisuel public qui se pose à nous.
Madame la ministre, mes chers collègues, si nous voulons éviter à terme la disparition ou la cannibalisation du secteur audiovisuel public, il nous faut, en France, agir rapidement et directement sur le mode de financement de l'audiovisuel public et sur son évolution future.
Pour cela, madame la ministre, laissez-moi vous faire part de quelques suggestions qui touchent non seulement au financement de l'audiovisuel public, mais aussi à sa situation face aux nouveaux moyens de diffusion de l'image.
En ce qui concerne le financement, je voudrais tout d'abord souligner une évidence : notre audiovisuel public n'est pas en dehors de la compétition internationale, pas plus qu'il ne doit ou ne peut être en dehors des évolutions technologiques qui l'entourent.
Par conséquent, si l'on veut que notre secteur public puisse tenir son rang et sa place dans la compétition nationale ou internationale, il faut lui en donner les moyens. Pour cela, vous conviendrez qu'il est nécessaire et urgent de modifier son mode de financement, puisque celui que nous connaissons actuellement ne nous permet pas de soutenir la comparaison, ne serait-ce qu'avec nos voisins immédiats. Et je ne parle pas des Etats-Unis qu'ont beaucoup évoqués les orateurs précédents !
L'importance de la publicité, très supérieure à ce qu'elle est dans les pays voisins, comme je le rappelais tout à l'heure, ne suffit pas à combler la faiblesse de notre redevance, mais impose aux téléspectateurs des tunnels de publicité difficilement supportables.
C'est pourquoi nous devons agir sur trois points précis : la redevance, la publicité et le fonctionnement même de France Télévision.
On l'a vu, la redevance ne rapporte pas assez, en France. Il faut donc faire en sorte que, sans pour autant l'augmenter dans l'immédiat, elle soit désormais payée par l'ensemble des redevables. C'est possible.
Aujourd'hui, le fait générateur de la redevance est constitué par le binôme « poste de télévision et point de réception », le paiement faisant suite à un acte de déclaration volontaire, et donc à la bonne volonté du citoyen.
Pourquoi ne pas faire du seul point de réception, qui est le point d'entrée de la communication potentielle, et ce, quel que soit son mode de diffusion, le seul fait générateur du paiement de la redevance ? Au regard de la réalité, ce serait plus équitable puisque chacun, dans son habitation, est consommateur de fréquences occupées par le service public, à quelque titre que ce soit. Cette redevance deviendrait alors une redevance de communication.
En ce qui concerne les exonérations, votre projet de loi, madame la ministre, promet leur remboursement total par une dotation budgétaire. Si l'intention est louable, le voeu est pieux puisque, en la matière, la loi ne saurait être contraignante, et que seuls le ministère du budget et le Parlement ont un pouvoir de proposition et de décision.
L'annualité budgétaire est un impératif qui s'impose à tous dans notre république. La bonne solution serait, à mon sens, que, chaque année, à l'occasion du vote du budget, le Gouvernement soumette au Parlement le champ des exonérations et leurs conséquences budgétaires. Cela obligerait chaque gouvernement souhaitant modifier le montant des compensations à proposer au Parlement la suppression, pour certaines catégories, de cette exonération et à prendre ainsi une véritable responsabilité politique. Au-delà de la responsabilisation en la matière, cela aurait pour effet de garantir intégralement le financement du secteur public, qui serait alors assuré soit par la compensation gouvernementale, soit par les catégories ayant perdu leur exonération.
Venons-en à la taxe CNC. En vertu du principe « pas de taxes sur une taxe », je propose que la redevance ne soit plus soumise à cette taxe et que le taux de cette dernière soit augmenté à due concurrence pour toutes les recettes de publicité, tant du secteur public que du secteur privé, compte tenu des transferts de publicité que l'on peut attendre d'une réduction de la durée de la publicité sur les chaînes publiques.
Vous avez constaté, madame la ministre, que toutes ces mesures ne répondent qu'à une seule volonté : augmenter et pérenniser les recette publiques. L'ensemble de ces dispositions pourrait augmenter le produit de la redevance de l'ordre de 4,5 milliards de francs à 5 milliards de francs.
Toutes ces mesures ne nous dispensent pas, bien sûr, d'une réflexion sur l'évolution du montant de la redevance dans les prochaines années, car ce premier pas nous maintiendrait encore dans une position de faiblesse par rapport à nos partenaires anglais et allemands et favoriserait incontestablement, à terme, l'invasion de nos écrans par des productions anglo-saxonnes.
Ne pas réagir maintenant nous entraînerait dans une situation proche de celle de l'Espagne et de l'Italie qui ont laissé filer leur redevance et qui ont aujourd'hui beaucoup de difficultés pour rétablir la situation.
S'agissant du recours aux recettes commerciales dans le financement de l'audiovisuel public, il faut bien évidemment le maintenir, mais sans qu'il dépasse un volume raisonnable, comme c'est le cas en Grande-Bretagne.
C'est pourquoi il m'apparaît que la réduction de la durée des écrans publicitaires que vous proposez est insuffisante. En effet, le passage pour France 3 à huit minutes de publicité par heure nous ramène à la situation antérieure à 1992, c'est-à-dire avant le décret pris par M. Lang qui a porté cette durée à douze minutes ; quant à France 2, la réduction projetée ne sera pas perçue par les téléspectateurs et ne sera pas, de mon point de vue, un facteur de fidélisation ; par ailleurs, elle ne favorisera pas assez le surenchérissement de l'espace pour les annonceurs.
Il faut donc, madame la ministre, un geste fort, une avancée significative dans ce domaine pour augmenter le prix des écrans publicitaires tout en fidélisant les téléspectacteurs.
C'est pourquoi je propose que la durée des écrans publicitaires soit portée, pour France 2, à six minutes par heures, et, pour France 3, à quatre minutes par heure.
Abordons enfin, s'agissant du fonctionnement de notre secteur public, la constitution de France Télévision en holding prévue par ce projet de loi.
France Télévision doit fonctionner comme une véritable société dotée d'un capital, ayant des objectifs et pouvant être maîtresse du financement de son développement, et ne doit plus être gérée comme une administration. France Télévision ne doit plus avoir à quémander des rallonges perpétuelles mais, en présentant un véritable plan d'entreprise sur cinq ans, ce qui correspond d'ailleurs à la durée du mandat de son président, elle doit valider ses stratégies et les assumer.
L'actuelle annualisation des budgets, en obligeant à l'équilibre au centime près, rend ce fonctionnement impossible et conduit, à terme, à une marginalisation de notre secteur public.
Dans un autre secteur, sans avoir pour autant déposé d'amendement, je suggère que RFO soit intégrée à la holding France Télévision, et cela, de mon point de vue, afin de garantir une égalité de traitement dans tous les domaines pour l'ensemble des programmes des régions françaises, même lointaines.
Quant à Arte, le problème ne se situe plus au niveau de son intégration et de la préservation de son indépendance au sein de la holding France Télévision puisque la décision va être prise de laisser à notre chaîne franco-allemande son indépendance.
C'est, de mon point de vue, une bonne chose, car cela lui assure sa totale liberté éditoriale dans le cadre d'un dialogue franco-allemand, qui est le seul cadre de la convention. Cependant, le problème de financement d'Arte reste entier du fait que le secteur public allemand dispose de ressources quatre fois supérieures aux ressources françaises. Or la convention franco-allemande qui prévoit, vous le savez, un financement à parité pourrait être mise en péril si nos partenaires allemands décidaient de faire un effort exceptionnel en faveur d'Arte, effort que nous n'aurions pas les moyens de suivre.
Au-delà du fonctionnement et du financement de l'audiovisuel public et de sa pérennité, se posent, madame la ministre, d'autres problèmes importants que je souhaiterais aborder succinctement maintenant. Ils ont trait aux nouveaux moyens de diffusion d'images.
S'agissant d'Internet, et plus particulièrement de la responsabilisation des fournisseurs d'accès, nous devons faire en sorte que ces derniers soient pleinement responsables des contenus qu'ils transportent et qu'ils diffusent.
Or, votre projet de loi, madame la ministre, déresponsabilise à mon sens les fournisseurs d'accès, alors que 90 % du contenu proposé proviennent de l'étranger et autorisent ou favorisent, de ce fait, bien des dérives.
A notre sens, cette déresponsabilisation ouvre aussi la porte non seulement à la multiplication des piratages musicaux, qui mettent en péril toute l'économie de la culture, mais aussi, hélas ! à la pédophilie, aux intégrismes, aux nazillons de toutes sortes.
Aujourd'hui, seul l'intermédiaire, le fournisseur d'accès, peut empêcher la diffusion d'un contenu ; et si, comme vous le proposez, on le déresponsabilise, cela conduit ipso facto à organiser, si je puis dire, l'impuissance de la société à lutter efficacement contre ces contenus illicites et à faire du non-respect de la loi une règle juridique.
Il faut, dans ce domaine, comme la morale nous le suggère et comme la loi doit nous y contraindre, prévoir une véritable responsabilité du fournisseur d'accès quant au contenu diffusé et prévoir les sanctions adéquates en cas de violation du droit.
Au sujet du numérique hertzien, il est tout de même étrange, madame la ministre, alors même que tous les pays européens ont légiféré et que certains d'entre eux ont même commencé à s'équiper, que, dans votre loi, il n'existe aucune proposition concernant ce qui est pourtant l'avenir de l'audiovisuel.
De plus, les seuls échos que nous ayons sur cette technologie française laissent à penser que son développement pourrait être handicapé sur notre territoire par son mode d'attribution « fréquence par fréquence », mode d'attribution qui a pourtant déjà démontré son inefficacité en Suède.
L'attribution par multiplex à des opérateurs existants ayant obligation de diffuser de nouveaux entrants, système développé en Angleterre et en Espagne, a démontré, lui, son efficacité au niveau de l'équipement tout en permettant de conforter les opérateurs existants et de diffuser de nouveaux entrants.
Nous sommes donc impatients de connaître vos propositions dans ce domaine.
Venons-en maintenant au câble et au satellite. La loi ne prévoit pas les mêmes conditions d'exploitation à l'un et à l'autre, alors même que ces deux supports sont en concurrence directe. En effet, dès lors que les plates-formes satellitaires sont soumises à un simple régime déclaratif, le câble ne saurait, lui, relever d'un régime d'autorisation d'exploitation, d'autant plus complexe que l'autorisation est délivrée sur proposition des communes ou des groupements de communes alors qu'il s'agit des mêmes types de services.
Il est incompréhensible que des services diffusés sur satellite ne le soient pas aussi sur le câble, alors que ces deux moyens sont à la fois complémentaires et concurrents. J'aurai d'ailleurs à défendre ce point de vue en présentant un amendement que j'ai personnellement déposé.
Pour conclure, vous ne pourrez pas, madame la ministre, terminer ce débat sans prendre position sur l'exclusivité des chaînes publiques sur un seul bouquet satellite.
Si vous les autorisiez à être présentes sur un autre bouquet, cela ne bousculerait pas, de mon point de vue, l'équilibre économique de l'ensemble, ces chaînes publiques ne représentant qu'un tiers de l'audience et TPS conservant l'exclusivité de la diffusion de toutes les chaînes hertziennes en clair.
Si une telle décision en faveur de la présence des chaînes hertziennes sur les autres bouquets était prise, il ne faudrait cependant pas obliger ces derniers à être présentes sur tous les bouquets, notamment sur ceux de nos départements et territoires d'outre-mer, car les modestes opérateurs de ces régions seraient alors contraints de les transporter depuis la métropole à leur frais, ce qui mettrait en grave danger leur équilibre économique.
Globalement, je pense, pour conclure, que votre texte va dans la bonne direction.
Cependant, l'insuffisance de certaines dispositions, la non-prise en compte d'importants problèmes soulevés, notamment par les nouvelles technologies, nous le rendraient difficilement adoptable en l'état.
Aussi, ce n'est qu'au vu des amendements que vous accepterez, madame la ministre, que nous déterminerons notre vote. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. Oserai-je dire, madame le ministre, que votre texte était attendu comme un enfant à la naissance réputée délicate ? De mon parcours parlementaire - modeste ! - je ne me souviens pas qu'un projet de loi ait rencontré autant de difficultés dans sa préparation. Les péripéties de celui-ci auraient pu prêter à sourire - en tout cas, les journalistes en ont beaucoup parlé dans les médias - si les dispositions qui nous sont proposées ne nous décevaient pas dans leur état actuel et si le sujet n'était aussi sérieux. Car, là, nous sommes en convergence totale puisque, de cette loi, sortira - ou ne sortira pas - une société française réconciliée - ou non - avec sa radio et sa télévision, lesquelles façonnent trois, quatre, et parfois davantage d'heures quotidiennes dans sa vie.
Plusieurs textes successifs, plusieurs auteurs successifs : je me souviens du texte de mon collègue Didier Mathus, avec ses mesures anticoncentration - disparu ! - de deux versions, si j'ai bien compris, élaborées par vous, et enfin d'un texte qui a un auteur intéressant, le Sénat.
C'est autour de ce dernier texte que nous allons, je pense, organiser la discussion et je souhaite, comme vient de le dire mon collègue M. Pelchat, que vous ayez une oreille attentive, madame la ministre - mais j'ai cru comprendre que tel serait le cas - aux propositions sénatoriales.
Je me permettrai de formuler d'abord trois remarques préliminaires.
Premièrement, le calendrier parlementaire ne nous a pas permis, avec les fêtes, la tempête, le bogue, d'examiner de façon attentive - mais un sénateur travaille même pendant ces périodes-là ! - les excellents amendements qui ont été présentés devant la commission des affaires culturelles l'avant-veille de Noël.
Deuxièmement, je regrette, alors que le débat sur le numérique terrestre - important, et même cardinal à nos yeux - fait rage dans toute la planète des médias, que nous n'ayons toujours pas connaissance du célèbre rapport de M. Raphaël Hadas-Lebel. Je souhaite qu'à l'occasion de la présente discussion, qui va durer encore deux jours, nous puissions obtenir ce fameux document, qui manque cruellement à notre éclairage parlementaire. (M. le président de la commission des affaires culturelles ainsi que M. Laffitte brandissent ledit rapport.) Mais je constate, j'en suis heureux que ce rapport a été distribué ! Je note l'heure !
Enfin, troisièmement, madame le ministre, l'idée ne vous est-elle pas venue, puisque retard il y avait dans la préparation de ce texte, d'imaginer de traiter conjointement l'audiovisuel et la société de l'information ? Nous y sommes poussés par l'actualité la plus brûlante : AOL et Time Warner organisent une fusion de fait de la société de l'information et de l'audiovisuel, que nous allons pourtant traiter dans deux lois différentes. Où est le kit d'amarrage pour ces deux lois ?
Oserai-je rappeler, madame le ministre, que, lorsque, en juillet 1998, je siégeais dans une autre assemblée, accompagnant une délégation parlementaire conduite par M. Didier Mathus, nous avions élaboré un document - remarquable, d'ailleurs - où nous constations que la convergence des médias était le sujet incontournable de toute loi sur l'audiovisuel ? Or c'est un sujet que l'on contourne, que l'on esquive. Assez jolie performance législative !
Ainsi, madame le ministre - je reviens à vos propos - votre projet de loi a pour objet principal de fortifier le service public de l'audiovisuel en en refondant les missions.
Par ailleurs, votre texte traite du système de régulation et prévoit la transposition en droit interne - transposition tardive puisque, si je ne m'abuse, la France est le dernier pays européen à le pratiquer - des dispositions de la directive Télévision sans frontières.
S'agissant de l'Europe, permettez-moi de m'interroger sur la manière dont sera traité le cas d'Arte. Vous avez répondu pour partie à cette question tout à l'heure, mais j'avais préparé mon intervention sans avoir entendu votre propos liminaire. Nous nous réjouissons donc de voir que vous ne méprisez pas l'accord franco-allemand !
Par ailleurs - c'est une autre de mes préoccupations - vous semblez vouloir ignorer la recommandation européenne relative à la concurrence des bouquets satellitaires. Dans une autre assemblée, j'ai été à l'origine, avec l'un de vos prédécesseurs, de l'organisation de la concurrence dans les bouquets satellitaires. L'Europe nous encourage à cette concurrence, qui est une bonne chose pour le téléspectateur. Nous aurons l'occasion de vous interroger sur ce sujet.
Dès son titre Ier, ce projet de loi prévoit le renforcement de l'audiovisuel public, que la loi de finances pour 2000 a déjà approuvé : nous avons eu cette discussion, pratiquement avec les mêmes orateurs, voilà maintenant un mois et demi.
La progression des ressources de l'audiovisuel public sera de 1,5 milliard de francs, et la baisse de la durée de la publicité sur les chaînes publiques est déjà prévue, passant à dix minutes, avec une réduction supplémentaire en 2001. Vous prévoyez également - et nous vous y encourageons - la création d'un groupe industriel public fort. Vous reprenez, en outre, une idée que nous avions avancée, contre l'avis de Bercy à l'époque : je veux parler du principe d'un financement pluriannuel reposant sur des contrats d'objectifs et de moyens.
Néanmoins, madame le ministre, toutes ces mesures arriveront-elles à cacher le mal dont souffre l'audiovisuel public ? Se pose en effet le problème de la définition des missions de service public qui lui sont confiées : soit ces missions sont trop importantes pour un budget insuffisant, soit elles sont mal accomplies avec un budget toujours insuffisant.
Une des questions essentielles que nous devons nous poser - n'est-ce pas le thème principal de cette discussion sur l'audiovisuel ? - est de savoir si nous entendons donner aux missions de service public un caractère clair, net et précis. Quand on regarde les chaînes publiques et les chaînes privées, il est en effet souvent difficile de les distinguer. Où sont les missions de service public qui, à certaines heures, notamment en prime time , permettraient de distinguer France 2 de TF 1 ? J'ai bien du mal à le dire, et ce malgré la faculté que j'ai, que nous avons tous, de zapper !
Si je ne m'abuse, les chaînes publiques ont des obligations spécifiques qu'elles tentent de remplir. Or ces principes ne sont pas toujours très lisibles. Aussi accorderons-nous un très grand intérêt, madame le ministre, à la discussion de l'article 1er du projet de loi, qui dresse une liste de ces missions de service public. Je sais d'ailleurs que la commission des affaires culturelles a proposé des amendements relativement intéressants sur ce sujet, qui nous permettront d'organiser le débat.
Cela étant, je le répète, il est souvent difficile de distinguer les programmes des chaînes publiques de ceux des chaînes privées. Or c'est un sujet essentiel si nous voulons, comme l'a dit en particuler notre collègue M. Ralite, donner à ce service public, qui fait pour nous l'unanimité, les moyens des ambitions des Français.
Le contexte actuel de la communication audiovisuelle n'est pas favorable à l'audiovisuel public. Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer au raport du CSA qui, sur les bilans 1998 de France 2 et de France 3, relève que « ce blocage de la progression des chiffres d'affaires des chaînes, sensible depuis 1996 sur France 2 et France 3, est intervenu - c'est important, je le souligne - à un moment où l'accroissement de la concurrence entraînait une croissance forte du marché, et donc des coûts des programmes audiovisuels phares que sont - on le sait bien - le cinéma, le sport ou la fiction ».
Permettez-moi de me référer également, madame le ministre, aux dernières grèves de l'audiovisuel public : j'ai constaté avec beaucoup de tristesse - je l'avais dit lors de la discussion du projet de budget de l'audiovisuel public - que les Français se sont tout simplement passés des chaînes publiques parce qu'ils disposaient d'une offre concurrente. Il me paraît donc très important qu'à l'occasion de cette discussion nous puissions indiquer le sens des missions du service public sans nous préoccuper seulement de la reconversion des recettes publicitaires en recettes budgétaires.
Enfin, madame le ministre, il s'agit de ne pas tomber dans le travers consistant à dire que tout sera réglé par la numérisation.
Dans ce projet de loi, nous avons glissé très largement sur ces perspectives. Or l'avenir de la télévision publique, comme celui de tous les médias, réside dans la numérisation. Mais je vous ai entendue dire tout à l'heure que, voilà quatre ou cinq ans, on n'aurait pas pu faire le pari de la numérisation. Non, madame le ministre ! Tous les journaux de presse écrite étaient alors déjà numérisés, même les plus petits en province. On savait, voilà déjà dix ans, que la voie du numérique était la seule voie des médias de demain !
Vous ne dites donc pas grand-chose sur la numérisation de la diffusion hertzienne dans ce projet de loi, même si je sais que vous avez organisé une consultation publique sur la mise en place du numérique terrestre.
Partout, on entend dire que le numérique est incontournable et répondra - et tel est le sens, je crois, de la discussion que nous allons avoir ces jours-ci - à une politique véritable de libération des fréquences. C'est un sujet que nous ne pourrons éluder et, là encore, cela me paraît une performance législative que de ne pas évoquer ce sujet dès l'aube de l'examen de votre projet de loi.
Heureusement, le rapport de notre collègue Jean-Paul Hugot trace des lignes directrices qui nous permettent d'y voir plus clair et les apports qu'il propose sur les nouveaux modes de communication audiovisuelle sont importants.
Cependant, je crois devoir dire que, si la numérisation de la diffusion hertzienne est un avenir possible des services de communication audiovisuelle, de nombreuses interrogations se posent, auxquelles il faudra bien répondre. Le passage au numérique est une opération complexe qui n'exclut pas certains risques et qui nécessitera du temps.
Chacun connaît les avantages importants que présente le numérique. Ils sont de trois natures.
Pour l'audiovisuel, la diffusion numérique permettra une offre de chaînes prenant en compte les attentes et les demandes des téléspectateurs, en particulier en permettant aux téléspectateurs de se bâtir des programmes « sur mesure », répondant ainsi à l'envie du téléspectateur d'aujourd'hui.
Le deuxième avantage est incontestable : la diffusion numérique permettra d'offrir à chacun les télévisions de proximité qui sont aujourd'hui indispensables. En effet, on accède aujourd'hui plus facilement au Bangladesh qu'à son propre quartier.
Troisième avantage : le numérique permettra le développement de la télévision de services, c'est-à-dire une télévision enrichie et interactive, avec téléchargement de films, de musiques, de jeux et consultation d'Internet.
Les possibilités technologiques offertes par le numérique sont donc une occasion pour l'audiovisuel public de se développer, mais également d'avoir accès à la société de la l'information. Je retrouve là la convergence des médias. Certaines chaînes ne se tournent-elles pas déjà vers Internet en devenant de véritables portails ? C'est le cas des deux bouquets satellitaires, Canal Satellite et TPS.
Pour les pouvoirs publics, cette numérisation offre incontestablement des avantages, comme la multiplication des fréquences. Cependant, c'est une opération délicate sur laquelle j'aimerais m'arrêter quelques instants.
S'agissant du coût, madame le ministre, j'attends de savoir si le rapport Hadas-Lebel est clair sur l'analyse économique du numérique terrestre. Des chiffres sont lancés, beaucoup de chiffres ! J'aimerais qu'ils soient vérifiés, car j'estime que c'est un enjeu important pour l'audiovisuel public et l'audiovisuel tout court. Il est clair que ce coût va réduire la possibilité d'accès des opérateurs sur le numérique.
Autre question à se poser : quand le passage se fera-t-il ? Les Etats-Unis - nous avions, avec mon collègue M. Mathus, rencontré la FCC - ont pris une position brutale, celle de la fixation d'une date butoir : à telle date, on passe de l'analogique au numérique. En France, nous n'en sommes pas là et le compte à rebours n'est pas encore lancé. Une période transitoire de dix ans sera raisonnablement nécessaire pour faire basculer les fréquences d'un mode à l'autre. J'espère que la discussion que nous aurons nous permettra d'aborder ce sujet.
Et comment se fera ce passage ? Qu'adviendra-t-il des fréquences analogiques libérées ? Nous vous ferons des propositions, madame le ministre, afin que ces fréquences puissent être utilement redistribuées.
Revenant sur votre proposition initiale, je dirai que la culture audiovisuelle ne doit pas être réservée à une élite. Si le numérique est opérationnel, sa réception effective n'est pas encore d'actualité : l'équipement en numérique suppose une intégration technique dans les téléviseurs, vite possible dans le haut de gamme, mais nécessitant, pour le bas de gamme ou les moyennes gammes, des décodeurs dont le coût est évalué à environ 1 200 francs, somme non négligeable pour un foyer modeste.
La commission des affaires culturelles du Sénat a réussi, fort opportunément, à combler le vide juridique et réglementaire de votre projet de loi sur ce sujet, car il nous semble qu'il faut légiférer et anticiper sur ce que les professionnels de la communication audiovisuelle considèrent tous comme inévitable.
Ces positions prises par le Sénat sont intéressantes. Pour ma part, et avec le groupe du Rassemblement pour la République, je ferai également des propositions pour modifier la loi de 1986 et ce projet de loi. Nous ne pourrons donc qu'adopter un texte qui les reprendra.
Madame le ministre, c'est finalement à ce Sénat, décrit par le chef du Gouvernement, voilà un an, comme « une anomalie de la démocratie »,...
M. Henri Weber. A juste titre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela n'a aucun rapport !
M. Louis de Broissia ... qu'il appartient d'écrire le texte sur l'audiovisuel français du xxie siècle.
M. Gérard Delfau. C'est bien ce qui nous inquiète !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Encore une fois, cela n'a aucun rapport !
M. Louis de Broissia. Nous assumerons tous ensemble, monsieur Dreyfus-Schmidt, ce devoir parce que nous avons le sens de l'intérêt supérieur de la France. Mais, je le rappelle, c'est le texte de rattrapage récrit par le Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République soutiendra. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce ne sera tout de même pas la loi définitive !
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en abordant de nouveau le rôle et l'organisation des médias audiovisuels, j'ai l'impression d'être soumis, à mon tour, à l'épreuve du rocher de Sisyphe. Depuis cet été 1986 où le ministre Léotard fit voter ici-même, non sans mal - certains s'en souviennent sur ces travées - une loi relative à la liberté de communication, en fait le plus beau cadeau jamais offert à un groupe privé en France,...
M. Louis de Broissia. Et Canal Plus ?
M. Gérard Delfau. ... que de fois sommes-nous revenus sur l'ouvrage ! Il s'agissait, à chaque nouveau texte, de rééquilibrer le rapport de forces en faveur du service public, dans sa dimension « télévision », et votre démarche, madame le ministre, s'inscrit dans cette perspective.
On ne peut pas dire que vos propositions soient d'une grande audace, mais je mesure bien, ayant perdu ma naïveté, que, dans ce domaine, le Gouvernement et le Parlement doivent faire preuve de modestie, tant le sujet est délicat et tant les puissances financières du secteur privé veillent efficacement à maintenir leur position dominante. Si j'en avais douté, l'intervention de notre collègue, voilà un instant, me l'aurait confirmé !
Il n'empêche, vous essayez de faire un pas en proposant essentiellement la constitution d'un groupe unique, France Télévision, regroupant, outre France 2 et France 3, la société issue de la fusion de La Cinquième et de la Sept-Arte, du moins jusqu'à cet après-midi.
Démarche logique et dangereuse à la fois : France 2 est en recul, France 3, en crise d'identité. Leur cohabitation actuelle reste problématique.
A l'inverse, La Cinquième est une vraie réussite : elle est cette télévision de la connaissance dont nous avions été quelques-uns à rêver ici.
Quant à la Sept-Arte, elle est inégale dans sa programmation et souvent un peu indigeste. Elle demeure pourtant le refuge quand toutes les télévisions commerciales, privées ou publiques, ont choisi de « faire » le même soir dans la facilité et l'attrape-audience.
Qui m'assure que la guerre des clans au sein de France Télévision et les pesanteurs d'une double hiérarchie ne vont pas éroder la singularité de La Cinquième et de la Sept-Arte ?
En l'état, je n'ai pas les garanties que j'attends et donc, à regret, je ne voterai pas cette disposition essentielle de votre texte.
Au moment où je dois m'exprimer à la tribune du Sénat, j'apprends que le Gouvernement renonce, au moins partiellement, à cette intégration de la Sept-Arte pour des raisons diplomatiques. Madame le ministre, cette décision ne modifie pas ma position, au contraire, puisque La Cinquième se trouve désormais déséquilibrée et isolée, dans une situation que les personnels jugent alarmante et que les usagers ne nous pardonneraient pas de laisser perdurer. Je maintiens donc mon jugement, en attendant que se décantent les conséquences de ce nouveau rebondissement.
Me plaisent davantage, en revanche, la limitation de la durée horaire des messages publicitaires et l'inscription dans la loi du remboursement des exonérations, une vieille revendication du Sénat.
Mais l'objection est forte : qui nous assure que Bercy honorera sa promesse au fil des gouvernements ? La Constitution de la Ve République, trop déséquilibrée, interdit au législateur un droit de poursuite en cas de manquement à la parole donnée de la part du ministère des finances.
Une seconde objection se présente : ce manque à gagner de la télévision publique, ce nouveau cadeau fait au secteur privé, qui pourtant se porte bien, aurait dû faite l'objet d'un contrat de qualité avec les dirigeants de France 2 et France 3.
Si le contribuable doit payer - je peux l'admettre - encore faut-il qu'il sache à quoi s'engage, en contrepartie, le président des chaînes publiques. Or, de grèves en chutes d'audience, le service public de la télévision me paraît éloigné - c'est le moins que l'on puisse dire - de ces préoccupations.
Bref, cette deuxième proposition me laisse perplexe sur ses conséquences pratiques. Je la voterai, pourtant, en raison de son principe même.
Une raison de mon scepticisme réside dans la dérive que je constate à Radio France : de par son statut de service public, elle est astreinte à réserver ses messages publicitaires aux seuls organismes publics ou collectifs. Or, dans la tranche horaire du matin, je constate que France Inter, par le biais du parrainage, se déguise souvent en Europe 1. J'ai même relevé récemment qu'elle ouvrait son antenne à la publicité en faveur d'une compagnie d'assurances qui a juré la mort de la sécurité sociale et de la retraite par répartition, provoquant ainsi l'indignation d'un grand nombre d'auditeurs.
Sans doute, là encore, suis-je naïf : pourquoi suis-je étonné de cette dérive, alors que l'ensemble de l'information économique de cette même radio de service public, le matin, a la tonalité de BFM ou de Radio classique, alors que l'information politique y est totalement aseptisée, alignée sur la thématique et les événements qu'impose le dialogue à distance des principaux partis de gouvernement ?
Il y avait une information libre et d'une grande honnêteté intellectuelle, c'était Info-matin, sur France Culture, avec Jean Lebrun. Son auteur a émigré vers une autre plage horaire et, comme après le départ d'Ivan Levaï, en son temps, Radio France a perdu un morceau de son identité.
Voilà, madame la ministre, où sont les problèmes et ce qu'espèrent les Français en matière de service public audiovisuel. Je ne pense pas que votre projet de loi réponde à cette attente ; je ne voudrais pas, en tout cas, que s'aggrave encore la situation.
Il est une autre demande sans cesse formulée : que France 3 rééquilibre son contenu vers la province en améliorant la dimension de proximité de ses stations régionales.
Cette exigence fut au coeur d'un récent conflit social, mais la machine parisienne a eu tôt fait d'étouffer cette aspiration. Pourtant, nous avons, en la matière, un exemple encourageant : la vitalité et l'objectivité des radios locales de Radio France, qui surent, en outre, se rendre indispensables lors de la catastrophe naturelle de Noël dernier.
La population souhaite une telle évolution, comme le montre le succès des journaux d'information régionaux de la chaîne publique. France 3 avait lancé, en février-mars 1999, le chantier d'une « refondation » de la télévision régionale, pour répondre, entre autres, à la concurrence des opérateurs privés, tel M6. Ce projet s'appelait « Proxima ». Où en est-il aujourd'hui ? Pourquoi votre projet de loi est-il muet sur ce point capital ? Si je passe, à présent, au domaine de la radio, je ne me retrouve pas plus dans les quelques articles qui lui sont consacrés. Le problème majeur, là encore, c'est celui de l'équilibre - et non du « partage », n'en déplaise à nos collègues de la majorité sénatoriale - entre les trois secteurs : public, commercial et associatif.
Concernant le secteur associatif, de Georges Fillioud à Catherine Tasca, un vrai travail parlementaire a été effectué pour en assurer la pérennité et le professionnalisme face à l'appétit des réseaux commerciaux. Et ce ne fut pas facile. Nous avons été aidés par l'implantation de centaines de militants des « radios libres » et par l'appui précieux du CSA, du moins dans sa première présidence, celle de M. Boutet. C'est alors qu'a été élaboré, puis adopté, le « communiqué 34 », dont j'ai été un peu l'inspirateur, ainsi que le texte lui-même le rappelle.
J'enrage, aujourd'hui, quand je vois la pression des radios privées, toutes confondues, qui grignotent peu à peu les fréquences et asphyxient, en toute impunité, les petites radios associatives, dont, de surcroît, la voix dans le quotidien est rendue inaudible par des stations des réseaux commerciaux.
Concentration des fréquences, absence d'informations locales, pilonnage incessant du secteur associatif, toutes les dérives, un temps contenues, sont de nouveau d'actualité.
Et que dit, à ce sujet, votre projet de loi pour rappeler le CSA à ses responsabilités ? Si l'« autorité indépendante » s'oublie, n'est-il pas du devoir du Gouvernement de proposer au Parlement le moyen de redresser la situation ?
Ce débat devrait vous permettre, madame la ministre, de redéfinir le cadre du « juste équilibre » radiophonique, qui a fondé la doctrine de la gauche depuis une vingtaine d'années. C'est, en tout cas, ce que personnellement j'attends.
Reste un dernier sujet : la faculté qu'ont les radios associatives d'inclure jusqu'à 20 % de ressources provenant de recettes publicitaires dans leur budget. Cette disposition, appelée communément - veuillez m'en excuser - « amendement Delfau », date de 1989 et elle ne me semble pas remise en question par le Parlement. En revanche, elle pourrait l'être par les services de Bercy, à la suite des instructions fiscales du 15 septembre 1998, entrées en vigueur le 1er janvier dernier. Déjà, elle a été unilatéralement réévaluée à la baisse par une interprétation restrictive du texte de loi.
Le risque est grand que, dans nombre de départements, des services fiscaux zélés n'assimilent désormais cette recette à un changement de statut de la radio ou ne l'imposent si brutalement que le secteur associatif soit conduit à y renoncer.
Mais comme il ne s'agit là que d'un arbitrage à l'intérieur du Gouvernement et d'une circulaire à envoyer à l'administration, j'ai bon espoir, j'ai tout espoir même, que vous dissiperez les craintes des radios associatives et que vous saurez imposer votre point de vue à votre collègue de Bercy.
La position, en la matière, est simple : les radios associatives éligibles au fonds de soutien doivent être, de droit, exonérées des impôts commerciaux. En revanche, toute association qui se révélerait être le « faux nez » d'une entreprise à but lucratif doit perdre immédiatement sa fréquence au bénéfice d'une autre équipe associative, c'est ce que recommande l'honnêteté.
Avec les radios associatives, les vraies, j'ai toujours fait la chasse à la vente des fréquences, ce bien inaliénable, et encouragé les CTR à contrôler étroitement les opérateurs afin que les missions d'intérêt général soient au coeur de leur projet radiophonique. Là encore, je souhaiterais que le CSA soit plus vigilant.
Enfin, je ne veux pas rouvrir le débat sur les seuils de concentration, sur les bassins d'audience et sur le mélange douteux des moyens d'information, des régies publicitaires, des commandes publiques et des délégations de services. Votre gouvernement a choisi, après beaucoup d'hésitations, de ne faire qu'effleurer ces sujets, par un biais technique. Vous avez vos raisons, je les comprends... mais c'est dommage !
Telles sont les réflexions que m'inspire votre projet de loi. Il est insuffisant et, sur un point au moins, il est à mon sens dangereux. Cependant, il demeure perfectible. C'est pourquoi je ne désespère pas de pouvoir in fine le voter.
M. le président. La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi qui est aujourd'hui soumise à notre discussion comporte tout un ensemble de mesures positives qui devraient lui valoir l'adhésion de la majorité sénatoriale, si nous n'étions pas déjà entrés, trop précocement, en période électorale, c'est-à-dire en période d'opposition systématique. (M. le président de la commission des affaires culturelles s'exclame.)
Tout d'abord, cette loi injecte 2,5 milliards de francs supplémentaires dans notre secteur audiovisuel. C'est une excellente chose, car ce secteur est globalement sous-financé si on le compare à ses homologues étrangers et si l'on prend en compte les impératifs de développement, de diversification et d'expansion à l'international qui sont désormais les siens.
J'insiste sur ce point, parce que je sais que, dans l'inconscient de beaucoup de nos collègues, règne au contraire la conviction que l'audiovisuel est un monde opulent, dont la faune bigarrée et parfois interlope se pavane de palace en palace, au gré des festivals, avec pour seul risque de finir dans un placard doré.
La réalité est un peu moins rose ! Si l'on s'en tient aux ressources des chaînes non payantes, la télévision allemande dispose de 49 milliards de francs par an, la télévision britannique de 46 milliards de francs et la télévision française de 25 milliards de francs seulement : 7 milliards de francs au titre de la redevance et 18 milliards de francs au titre de la publicité. Je n'entre pas dans le détail puisque notre collègue M. Michel Pelchat l'a fait ici même, en début de soirée.
Ce sous-financement global ne pénalise pas les diffuseurs privés, qui sont peu nombreux en France : alors qu'il y a trente-cinq chaînes en Allemagne, 85 % des téléspectateurs français n'en reçoivent que six.
Les chaînes privées sont en situation de force et jouissent d'une rentabilité satisfaisante, voire exceptionnelle. Ce sont essentiellement les entreprises de production qui supportent les conséquences de ce sous-financement.
D'après M. Jérôme Clément, qui n'est pas à proprement parler un syndicaliste du secteur, puisqu'il est, comme vous le savez, le président de la Sept-Arte depuis huit ans déjà, le financement moyen de chaque heure de programme a augmenté de 20 % entre 1989 et 1998, alors que le coût de production de cette même heure augmentait de 60 % !
France 3, le plus gros commanditaire français de documentaires, attribue aujourd'hui un budget de 900 000 francs à 1 million de francs pour une émission d'une heure et demie en prime time. Dans le même temps, la BBC paie 3 millions de francs par heure et demie pour une série documentaire de six fois 52 minutes sur le Kosovo.
La conséquence de cet état de fait c'est, tout d'abord, une faible rentabilité des sociétés de production, qui entrave la constitution des fonds propres nécessaires au développement et à l'innovation, quand elle ne décourage pas certains, et non des moindres - je pense à Gaumont ou à AB-Production -, qui préfèrent renoncer à produire et changer d'activité.
La conséquence c'est, ensuite, une moindre créativité et une moins d'audace. Je le répète, en espérant n'offenser personne, car c'est le syndicat des producteurs lui-même qui le dit : ce n'est pas en France, mais en Grande-Bretagne, qu'ont été inventés Absolutely Fabulous ou The New Statesman ; c'est aux Etats-Unis qu'ont été créés The X-Files, New-York police blues, Friends, Oz, ns Simpson... et tant d'autres séries novatrices.
La conséquence, enfin, c'est une moindre capacité de reconquête de l'audience nationale et de moins bonnes performances à l'exportation.
Deux séries de chiffres illustrent ce diagnostic : en Grande-Bretagne, 90 % des émissions de fiction diffusées en prime time sont des oeuvres de fiction nationales ; en Allemagne, ce chiffre est de 70 % ; en France, il est de 47 % seulement. Plus préoccupant encore, et Jack Ralite l'a rappelé cet après-midi, le volume de la production nationale de fictions originales diffusées entre 1996 et 1998 a augmenté de 15 % en Allemagne, de 25 % en Grande-Bretagne, de 85 % en Espagne, mais il a diminué de 21 % en France.
Comment entendez-vous remédier à cette situation, madame la ministre ? Augmenter de 2,5 milliards de francs les ressources du secteur de l'audiovisuel, c'est très bien, mais ce ne doit être qu'un début. D'autres l'ont dit avant moi à cette tribune, et je partage cette opinion : il faut porter progressivement ces ressources au même niveau que celles des pays comparables - sinon l'Allemagne au moins l'Angleterre - en ne négligeant aucune source de financement.
Quelques suggestions ont été faites ici à cet égard : ne serait-il pas désormais temps, par exemple, d'autoriser la grande distribution, qui inonde nos boîtes aux lettres de ses épais prospectus, de faire de la publicité sur les chaînes non nationales ?
M. Ladislas Poniatowski. Et la presse aussi !
M. Henri Weber. Exactement !
Il faut aussi, peut-être, revoir notre système de soutien à la production, afin qu'il soit plus favorable à la production télévisuelle. Il faut renforcer l'aide, en amont, vers l'écriture de scenarii et, en aval, vers la promotion, la distribution et l'exportation des oeuvres.
Il faut sans doute garantir la fluidité des droits, comme votre texte s'y emploie.
Il faut surtout élargir et renouveler le marché de l'audiovisuel en favorisant la création de chaînes et l'arrivée de nouveaux entrants : chaînes thématiques, télévisions régionales et de proximité. Le passage au numérique hertzien, en mettant fin à la pénurie des fréquences, nous en fournit l'occasion. A cet égard, je crois pour ma part que le CSA a raison, contre l'amendement déposé par notre rapporteur, M. Jean-Paul Hugot, de proposer l'attribution des trente-six nouvelles fréquences, service par service et non pas multiplex par multiplex.
Le parallèle que fait le président Hervé Bourges avec l'ouverture aux radios libres de la bande FM, en 1981 et en 1986, me paraît pertinent. Où en serions-nous, en effet, aujourd'hui si nous avions alors réparti les nouvelles fréquences entre les quatre « opérateurs historiques » de la radiophonie ?
J'entends bien que la création d'une chaîne de télévision, même locale ou thématique, est beaucoup plus difficile et onéreuse que l'ouverture d'une radio. Mais nous savons aussi que les nouveaux opérateurs existent. Il s'agit des entreprises de communication, de la presse quotidienne régionale, des télévisions associatives. Là encore, comme disait le général de Gaulle, « ce n'est pas le vide qui est à craindre, mais le trop-plein ». D'autant que, en matière de fréquences libérées, il s'agit non pas de plusieurs centaines mais de quelques dizaines !
Les opérateurs historiques ont, bien évidemment, toute leur place sur le numérique hertzien, en particulier les trois chaînes du service public. Mais le passage de l'analogique au numérique doit être l'occasion d'une ouverture du marché et de l'affirmation de nouveaux acteurs. C'est là une condition majeure de l'essor de l'industrie des programmes.
Madame la ministre, votre projet de loi - c'est un autre point positif ! - donne un coup d'arrêt à la privatisation rampante de France 2, qui a été engagée depuis 1993 par le biais du désengagement de l'Etat et du recours croissant aux recettes publicitaires. Celles-ci étaient passées, notre collègue, Mme Poutaud l'a rappelé tout à l'heure, de 42 % en 1992 à 52 % en 1997, avec les conséquences que l'on sait sur la grille des programmes. La décision de revenir, dans un premier temps, à huit minutes d'écrans publicitaires par heure nous semble sage.
Une partie de la droite milite désormais ouvertement pour la privatisation de France 2 et pour la réduction du service public à deux ou trois chaînes résiduelles. Ce n'est pas votre cas, monsieur le rapporteur, mais votre collègue Laurent Dominati s'est clairement prononcé en ce sens à l'Assemblée nationale, en proclamant tout haut ce que beaucoup, à droite, pensent tout bas.
Nous restons convaincus, pour notre part, tout comme vous, madame la ministre, que la qualité et la fécondité de notre télévision dans son ensemble proviennent largement de l'équilibre et de la concurrence qui se sont institués entre son pôle privé et son pôle public.
Nous vous savons gré de vouloir rétablir et préserver cet équilibre, d'autant que les fusions et les absorptions spectaculaires qui animent le monde de la communication depuis quelques mois, et cela a été dit à cette tribune, nous rappellent opportunément qu'aucun groupe audiovisuel privé n'est à l'abri d'une OPA, « amicale » ou hostile. L'existence d'un secteur audiovisuel public puissant et conquérant est aussi un élément de défense de la souveraineté et de la culture nationales, dans un monde où les grandes manoeuvres de fusion et d'absorption se donnent libre cours.
Bien d'autres mesures positives figurent dans votre projet de loi. Je n'ai pas le temps de m'y arrêter. Je citerai le regroupement des moyens des chaînes publiques - à l'exception désormais d'Arte, en raison de son statut transnational - dans la holding France Télévision, dotée d'une stratégie de développement commune et d'une taille critique pour aborder les marchés internationaux ; la prolongation du mandat du président à cinq ans, l'institution de contrats d'objectifs et de moyens avec l'Etat, la modernisation des modes de gestion des chaînes, le renforcement des pouvoirs de régulation du CSA et du conseil de la concurrence.
Le projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, est un bon projet de loi.
La majorité sénatoriale l'attaque d'ailleurs non pas tant pour ce qui s'y trouve, que pour ce qui ne s'y trouve pas : l'encadrement législatif du développement du numérique terrestre et d'Internet. Dans ces deux domaines, qui sont éminemment conflictuels, vous avez préféré prendre le temps de la concertation. Je ne doute pas que vous reviendrez bientôt devant nous avec des propositions pertinentes et élaborées. En attendant, nous allons voter votre projet de loi, modifiant ainsi la loi de 1986 sur la liberté de communication. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons actuellement l'un des épisodes les plus passionnants de ce long feuilleton, qui a commencé au printemps de 1997.
En effet, à peine arrivée rue de Valois, vous annonciez, madame la ministre, votre intention de réformer en profondeur et, surtout, de moderniser le secteur audiovisuel.
Je ne reviendrai pas sur les multiples rebondissements qui ont marqué les dix-huit derniers mois. Une chose est aujourd'hui certaine : ce projet de loi dont nous débutons aujourd'hui l'examen aura eu du mal à voir le jour. Il vient cependant couronner une lutte acharnée, une détermination jamais démentie.
Au plus fort de la tourmente, alors que vos propres amis s'apprêtaient à vous lâcher, vous avez tenu bon. C'est pourquoi je tiens ici à saluer votre courage et votre fermeté.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Philippe Richert. Vous avez su plaider l'importance de ce projet de loi, et je vous rejoins pleinement sur l'opportunité et l'urgence d'une réforme de fond de notre politique audiovisuelle.
En défendant votre texte devant le Sénat, vous apaisez partiellement les inquiétudes que nous avions émises au cours de ces derniers mois. Incontestablement, le projet de loi a été enrichi et la navette permettra, je l'espère, de le faire évoluer encore. Mais je ne le trouve pas aussi ambitieux que ne le laissent entendre vos propos. Je ne veux pas mettre en doute votre volonté de réussir, mais je relève un décalage réel entre l'affichage - « un audiovisuel fort et diversifié », dites-vous - et les moyens qui y sont affectés.
C'est pourquoi, plutôt que de passer en revue les différents aspects, voire les innovations du projet de loi, que je trouve intéressant et que je soutiens - tout à l'heure notre collègue M. Weber disait que nos propositions portaient plus sur les carences du projet de loi que sur le texte lui-même - je voudrais insister sur des points de divergence ou des attentes particulières qui aujourd'hui ne sont pas satisfaites.
Principal reproche : si votre texte comble des carences, éponge en quelque sorte un passif, en clair, remet le secteur public à niveau, il ne prépare pas suffisamment l'avenir.
Nous le savons bien, un texte de loi a pour objet, bien entendu, de rattraper les retards, mais aussi et surtout de préparer, d'anticiper les changements et de leur donner un cadre.
Vous savez mieux que moi, madame la ministre - vous l'avez dit tout à l'heure - que le secteur de l'audiovisuel est à l'aube de bouleversements considérables déjà largement non seulement annoncés, mais entamés. En quinze ans, la télévision a beaucoup changé, mais ce n'est rien par rapport à ce qu'elle va connaître dans les cinq prochaines années.
Dans votre intervention, vous avez reconnu la nécessité de prendre en compte les évolutions en termes de numérique hertzien, de redevance et de télévisions locales par exemple. Pour tous ces sujets, vous avez créé des groupes de travail, confié des missions d'étude ou promis des réflexions. Il est temps d'agir et je vous remercie pour l'esprit constructif qui, vous l'avez annoncé, prévaudra et grâce auquel, j'en suis sûr, des amendements proposés sur tous ces points par les commissions ou par les sénateurs permettront d'ouvrir de nouveaux horizons.
Pourquoi refuser de prendre en compte cette inéluctable convergence qui s'opère au niveau mondial et qui fait de l'audiovisuel le partenaire privilégié des télécommunications et de l'informatique ? La fusion entre AOL et Time Warner en est la manifestation la plus aboutie et la plus récente.
L'Europe n'échappe pas à cette orientation. Toutes les chaînes commerciales multiplient les initiatives pour s'installer sur Internet. Le mouvement né aux Etats-Unis a déjà eu des répercussions en France. Les importantes valorisations boursières des opérateurs de télévision sur les marchés financiers en sont la preuve.
On ne peut plus penser aujourd'hui l'audiovisuel dans un cadre purement national, je serais même tenté de dire étatique. Pourquoi, dès lors, choisir délibérément de procéder à une réforme sans intégrer dès le début ces nouvelles dispositions, que vous avez vous-même d'ailleurs esquissées ?
C'est donc un projet modeste, disiez-vous parfois un peu trop modeste - selon moi - que nous allons examiner, un projet qui définit les missions d'intérêt général assignées aux sociétés du secteur public, un projet qui prévoit aussi la création d'une holding regroupant les chaînes publiques. Sur ce point, je ne suis pas en désaccord avec vos positions, si l'on s'en tient aux principes.
Vous annoncez en effet vouloir créer un grand groupe industriel formé de chaînes aux programmes complémentaires, menant une stratégie cohérente de développement, un outil de diffusion d'informations et de programmes à dimension internationale. Comment ne pas être d'accord ? Cette stratégie est convaincante à condition de s'en donner les moyens ; M. Belot en a tout à l'heure parlé. Sachez que nous vous soutiendrons pour « vitaminer » davantage, sur ce point, votre projet.
J'ouvre ici une courte parenthèse relative au départ d'Arte. Cet épisode est navrant, car cette volonté d'intégrer Arte dans la holding, sans l'accord de la partie allemande, a été surprenante et mal ressentie.
Plus surprenante encore était votre constance à ne pas vouloir modifier sur ce point votre position malgré les arguments parfaitement recevables du président de la chaîne franco-allemande. C'était incontestablement non seulement fissurer le socle d'un édifice pour lequel nos voisins avaient, et depuis le début, pleinement assumé leurs responsabilités, mais encore remettre en cause le statut d'une chaîne de qualité, qui s'impose progressivement dans le paysage audiovisuel européen.
Heureusement, le Premier ministre vient d'annoncer sa décision de retirer Arte du projet de holding. Avec cette révision à la baisse des ambitions de la holding se pose dès lors la question de sa réelle pertinence, car elle apparaît dès lors comme une coquille partiellement vidée de substance, sans pôle culturel ni rayonnement international. Il nous faudra nous atteler tous ensemble à la tâche pour tenter de remédier à cela.
En effet, rien dans le texte qui nous est soumis ne permet de penser que les objectifs initiaux pourront être atteints. Les missions des chaînes demeurent floues. A France 2, le général, à France 3, le national, le régional et le local. Voilà une répartition des rôles bien ambiguë. Quelle est la différence entre le national et le général ? Je ne vois pas très bien ce qui distinguera les deux chaînes, ce qui leur permettra de ne plus se concurrencer.
Actuellement, ces deux chaînes programment des jeux, des fictions, des informations, des films, des émissions pour la jeunesse... comme TF 1... comme M 6...
En réalité, le service public manque aujourd'hui d'identité, et on peut dire parfois d'originalité. Et ce n'est pas ce projet de loi seul qui pourra changer les choses, bien au contraire. Il consacre en partie le retour de l'Etat dans le secteur audiovisuel, un retour plutôt bureaucratique. La qualité des programmes serait-elle incompatible avec la création de nouvelles structures administratives ? Espérons seulement que le nouvel ensemble laissera aller l'argent là où il est utile, c'est-à-dire à la production et aux programmes ; vous l'avez annoncé.
J'en viens maintenant à la réduction du temps des écrans publicitaires sur France Télévision. A n'en pas douter, il s'agit là d'une mesure choc de votre projet de loi.
Vous aviez fixé la barre à cinq minutes par heure. L'Assemblée nationale a modéré les ambitions et a tranché pour huit minutes, soit une baisse de 30 % par rapport à la situation actuelle.
En réalité, je crois que cette réduction sera peu visible par les téléspectateurs - mais c'est une appréciation purement personnelle - car elle permettra toujours des tunnels de publicité assez longs. Ce ne sera donc pas par ce biais que le service public pourra se démarquer des chaînes commerciales.
Permettez-moi de faire ici une comparaison avec la situation qui existe au sein du service public de l'audiovisuel en Allemagne. Les deux chaînes publiques allemandes sont à 75 % financées par la redevance. La publicité est limitée à vingt minutes par jour, et avant vingt heures. Elle ne représente que 11 % du budget. Les chaînes publiques d'outre-Rhin ne cherchent pas systématiquement à programmer aux mêmes heures les mêmes programmes que les chaînes privées, et pourtant elles font de l'audience.
Je ne suis pas sûr que la réduction du temps des écrans publicitaires en France soit de nature à dissuader France 2 et France 3 de se lancer dans la course à l'Audimat. Pourtant, c'est une affaire de volonté politique. Une télévision publique de qualité sans publicité n'est possible que si l'on s'en donne les moyens, cela a déjà été dit.
Le Gouvernement, en l'occurrence, a préféré ne pas aller au fond, optant d'abord pour une réforme que je qualifierai d'administrative, alors qu'il aurait pu être à l'origine d'un texte fondateur d'une grande loi sur l'audiovisuel.
Tout le monde parle du numérique terrestre, sauf le texte qui nous est soumis n'y fait nullement allusion. La France sera bientôt le dernier des pays européens à se lancer dans cette voie. Les Etats-Unis ont déjà programmé la fin de la diffusion analogique pour 2006. En Grande-Bretagne, une trentaine de chaînes sont diffusées en numérique hertzien, dont la totalité des chaînes publiques. L'Espagne a prévu que toute la diffusion sera numérisée d'ici à dix ou douze ans. L'Irlande, le Portugal, les Pays-Bas, l'Allemagne s'apprêtent à passer au numérique terrestre.
La France dispose pourtant d'une avance technologique considérable. N'est-ce pas TDF qui a installé et développé le système en Grande-Bretagne ?
La presse s'est fait l'écho de plusieurs de vos déclarations indiquant que vous réserviez vos propositions sur la question pour la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. On peut se poser la question : pourquoi encore attendre ? N'avons-nous pas déjà perdu du temps ? J'ai bien entendu que vous étiez ouverte sur le sujet et j'espère que les suggestions de la commission des affaires culturelles, qui montrent à quel point le Sénat est attentif aux évolutions technologiques et à l'importance de les prendre en compte dans notre législation, pourront faire évoluer les choses. J'espère que la discussion et les amendements permettront les avancées attendues.
Autre sujet absent du projet de loi, je le rappelais voilà un instant : la convergence entre la télévision, l'ordinateur et le téléphone. Pourtant, il est à parier que, demain, c'est en grande partie Internet qui fera l'audience de la télévision. Si les chaînes ne veulent pas se marginaliser, il leur faut aujourd'hui se transformer en « aspirateurs d'internautes ». L'imbrication de ces mondes et les formidables perspectives de croissance qu'ils génèrent sont autant de raisons pour agir et renforcer notre industrie audiovisuelle. Je connais les difficultés dans ce contexte si mouvant, mais les enjeux sont tels qu'un effort particulier d'imagination et de rigueur s'impose.
Autre sujet de préoccupation : les télévisions de proximité. Là aussi, notre pays accuse un grand retard. Certes, France 3 assure la mission de service public de la télévision régionale. Mais si l'information et les produits sont de bonne qualité, ils ne sont pas suffisamment locaux. Pour remplir sa mission, France 3 aurait besoin de s'ouvrir davantage sur la région, sur le local, pour être cet outil de démocratie que vous avez évoqué.
Vous avez, madame la ministre, la connaissance de ce qui se passe en Allemagne en la matière : plus d'indépendance et plus de réalité de terrain.
Mais le projet de loi ne se soucie pas pour l'instant de cette question, ni de la clarification du financement des chaînes de proximité. Faut-il attendre le lancement du numérique terrestre pour nous intéresser à une nouvelle impulsion pour les chaînes régionales et à une place pour les chaînes locales ?
Je souhaite que, dès cette séance, par nos amendements, par la création de cadrages permettant les évolutions futures, des réponses à ces besoins soient apportées.
Dernier point : le financement de la télévision publique repose, comme par le passé - je dirai même encore plus que par le passé - sur la redevance. Quelle est la légitimité de celle-ci alors que la place des chaînes publiques est de plus en plus réduite et alors que, demain, ces chaînes seront consultables sur des ordinateurs qui, eux, sont dispensés de cette taxe ? S'il était légitime hier, se basant sur le principe de l'utilisateur-payeur, de prélever les redevances, tout propriétaire de téléviseur étant nécessairement téléspectateur de télévision publique, peut-on encore faire reposer sur les redevances cette part essentielle du financement ?
Le moment n'est-il pas venu non seulement de réfléchir, mais aussi d'innover face aux évolutions fondamentales auxquelles nous assistons, pour moderniser et adapter ces ressources afin qu'elles soient d'un montant suffisant pour répondre aux besoins et qu'elles garantissent la pérennité et l'équité ?
Vous aurez compris, madame la ministre, que de nombreux points de votre projet de loi méritent qu'on les soutienne, nos rapporteurs l'ont largement évoqué. Mais je regrette que ce texte réserve à de futurs projets de loi l'essentiel de la préparation de l'avenir de l'audiovisuel. Il manque dès lors de perspectives, même s'il permet, en toute objectivité, de rattraper un certain nombre de retards.
La commission des affaires culturelles et la commission des finances pallient en partie ces handicaps par leurs suggestions et leurs amendements. Par ce biais, le projet est plus offensif et mieux à même de moderniser la société française. J'en remercie les rapporteurs, et j'espère que l'esprit d'ouverture annoncé tant par vous-même, madame la ministre, que par les rapporteurs permettra, grâce à ce texte, de donner à l'audiovisuel français la place, le dynamisme et la vigueur qu'il ambitionne et que la France et son rayonnement méritent. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m'est imparti, je voudrais concentrer mon intervention sur deux points : la production d'oeuvres audiovisuelles françaises et la situation d'Arte.
La production audiovisuelle française, nous le savons tous, ne se porte pas très bien, et ce projet de loi, je le crains, risque de l'altérer davantage encore.
Vous avez été quelques-uns à faire des comparaisons avec des pays voisins, comparaisons qui sont très intéressantes. En 1998, l'Angleterre a produit 1 320 heures de fictions, soit deux fois plus que la France. L'Allemagne en a produit cette même année 1 950 heures, soit près de quatre fois plus que notre pays. L'Espagne, avec 850 heures, nous a totalement distancés. En l'an 2000, l'Italie nous aura également dépassés.
Michel Pelchat et Henri Weber ont également fait une autre comparaison très intéressante : le pourcentage de la fiction nationale dans l'ensemble de la fiction diffusée en prime time. Les chiffres qui ont été cités par l'un et par l'autre, à savoir 90 % en Grande-Bretagne, 70 % en Allemagne et 45 % en France sont malheureusement à notre désavantage. Nous sommes les seuls à diffuser plus de fictions étrangères que de fictions nationales en prime time.
Plus grave, madame la ministre, et vous le savez très bien, notre production de fictions diminue en volume, tandis que celle de ces deux mêmes pays ne cesse d'augmenter, puisque nous sommes passés de 700 heures en 1996 à 550 heures en 1998. Dans une telle conjoncture, j'ai été stupéfait d'entendre, la semaine dernière, le nouveau président de France Télévision déclarer que produire moins mais mieux était l'objectif de France Télévision. Je crois qu'il se trompe : en matière de fictions, la question du volume est fondamentale.
Face à cette dégradration, votre projet de loi, madame la ministre, introduit de nouvelles inquiétudes, notamment auprès des producteurs, à la fois par la création de cette holding et par l'insécurité du financement.
En ce qui concerne la création d'une holding, vous savez tous que cette nouvelle superstructure sera inévitablement « budgétivore » : dès lors qu'elle crée un échelon bureaucratique supplémentaire, les dépenses de fonctionnement augmenteront, et ce sont les crédits destinés aux programmes qui en pâtiront.
En outre, on peut redouter que l'effet de hausse des moyens de production résultant de l'agrégation des budgets des différentes chaînes intégrées à la holding ne conduise à relâcher l'effort dans les années à venir.
Vous avez été très nombreux à faire allusion à l'insécurité du financement futur, qui inquiète également les producteurs.
Votre projet de loi, madame la ministre, affirme le principe du remboursement intégral des exonérations de redevance. C'est bien. Mais vous savez et nous savons tous que cette disposition ne lie pas le législateur et ne garantit en rien que cet effort sera poursuivi au-delà de l'an 2000. Or la baisse des recettes publicitaires que vous instaurez rend ce remboursement particulièrement crucial pour l'équilibre du budget de l'audiovisuel public.
La fragilité budgétaire qui en résulte risque de se traduire par des ajustements sur la production pour deux raisons : d'abord, parce que l'on ne peut guère toucher aux crédits de fonctionnement ; ensuite, parce que - tout le monde le sait - entre la décision de produire et la diffusion de l'oeuvre s'écoule un certain temps, parfois très long - il peut atteindre deux ans - de telle sorte que celui qui n'a pas tenu ses engagements, en ce qui concerne notamment les recettes, n'est plus là au moment où se posent les problèmes.
Vous avez d'ailleurs été très consciente de ces insuffisances financières, madame la ministre, puisque vous avez envisagé, un temps, d'instaurer une taxe additionnelle au prélèvement sur les recettes publicitaires des chaînes qui alimentent aujourd'hui le compte de soutien au cinéma et aux industries audiovisuelles pour soutenir la production.
Cette mesure, suivant les différents projets successifs, puisque nous en avons eu plusieurs entre les mains, est apparue, a disparu et est revenue. Nous sommes en période d'éclipse, et c'est dommage.
La création de la holding présente un dernier aspect pervers pour la production française.
Dorénavant, les producteurs n'auront plus qu'un seul guichet au lieu de trois pour proposer leurs projets. Or, à un moment où le Premier ministre lui-même a dénoncé, dans un domaine tout à fait autre - celui de la grande distribution - la disparition de toute concurrence due soit à des fusions, soit à des regroupements de centrales d'achat, il est paradoxal qu'il contribue à faire disparaître toute concurrence dans le secteur audiovisuel public.
Mes chers collègues, cette insuffisance de la production se retrouve aussi avec Arte.
Vous allez retirer la Sept-Arte de la holding publique, madame la ministre. Vous vous rendez enfin à la raison !
En effet, cette intégration était inconséquente et contrevenait à l'esprit, sinon à la lettre, de la convention franco-allemande. Je vous rappelle que celle-ci prévoit l'indépendance du président et du vice-président d'Arte. Comment alors envisager que le président d'Arte, lorsque le poste échoit à la France, soit placé sous l'autorité du président des chaînes publiques françaises ?
Cette intégration était également incohérente : vous laissez des chaînes françaises comme RFO et les chaînes de l'audiovisuel extérieur hors de la holding, mais vous vouliez y inclure une chaîne née d'un traité international !
Malheureusement, le retrait d'Arte de la holding pose de nouvelles difficultés. Pour ne pas réduire à néant votre grand projet de holding, vous allez conserver La Cinquième en son sein, recréant ainsi une nouvelle incohérence.
Les gouvernements successifs ont encouragé, depuis cinq ans maintenant, la fusion de La Cinquième et de la Sept-Arte. Cette réunion est aujourd'hui très avancée dans les faits, à défaut d'être validée par le droit, et elle a plutôt réussi. Comment allez-vous procéder pour séparer maintenant ces deux chaînes, madame la ministre ?
Je vous pose la question car vous avez demandé au président de France Télévision un rapport sur la future organisation de la holding, la répartition des responsabilités, le mode de répartition des financements. Il me semble, madame la ministre, que le Parlement est en droit de connaître à la fois les grandes lignes de ce rapport et votre point de vue sur ce document, ce que vous en avez retenu et ce que vous allez nous annoncer.
Tous ces éléments témoignent d'une certaine incohérence et du caractère inabouti de ce projet de loi. S'il comporte, certes, des dispositions positives, l'ensemble est incomplet, peu cohérent et, malheureusement pour la production française, sans ambition.
Madame la ministre, je voudrais conclure par une question.
J'ai lu dans Le Figaro d'hier l'article de M. Hervé Bourges, président du CSA. Il nous interpellait, nous, législateurs, puisqu'il nous demandait de prendre des dispositions pour que le CSA puisse nommer, dès la promulgation de la loi, celui qui conduira la destinée du groupe public. Autrement dit, il veut lui-même être encore en place pour nommer le futur président !
Mais ce n'est pas là le plus grave ; il ajoutait : « ... pour que celui-ci puisse négocier avec la tutelle les différents décrets d'application qui traduiront en pratique le texte qui sera voté ». Je suis désolé, madame la ministre, mais, en termes de démocratie, ce serait une première ! Aussi, j'aimerais entendre votre avis sur ce point. En tout cas, j'espère que vous ne céderez pas à cette demande, que je qualifie de stupéfiante. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes actuellement au coeur d'une période où de nombreux événements, intervenant en France et dans le monde, vont révolutionner à court terme le paysage de la communication internationale et française : la montée en puissance du numérique, le rapprochement de grandes entreprises du web et des programmes, la convergence inéluctable entre la télévision, le net et le téléphone, le développement exponentiel en France de l'internet et, surtout, la multiplication naturelle de l'offre de programmes de télévision, qui entraînera une atomisation générale des audiences.
Face à ce nouveau paysage, madame la ministre, votre projet de loi est-il à la hauteur des enjeux ? Permettra-t-il la survie d'un grand service public de télévision à la française ? C'est bien là la question !
Lors de la présentation de votre projet de loi devant l'Assemblée nationale, le 18 mai dernier, vous avez affirmé votre volonté de constituer, au travers de ce texte, un secteur audiovisuel public fort qui soit exclusivement voué au service du public. C'est pourquoi vous avez souhaité une restructuration de l'ensemble du secteur audiovisuel public en créant la holding France Télévision.
Or, on vient d'apprendre qu'Arte, seule chaîne à se comporter en vraie chaîne publique, ne fera plus partie de cet ensemble. Un certain nombre de nos collègues sont plutôt favorables à cette décision. Mais Arte est la seule chaîne à se comporter en vraie chaîne publique. Dès lors, qu'elle sera l'utilité de la nouvelle holding, qui se trouvera quelque peu vidée de sa substance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour !
M. Alain Joyandet. Par ailleurs, le calendrier législatif ne vous a pas permis de prendre en compte les réflexions qui ont été menées sur le développement du numérique hertzien terrestre, ce qui est également regrettable.
Enfin, madame la ministre, ce qui est beaucoup plus grave, je ne vois nulle part ce que peut être votre définition du service public.
Sur le plan financier, la diminution de la publicité à huit minutes par heure n'est pas une condition suffisante pour la revitalisation de notre secteur audiovisuel public. A mon sens, vous n'avez fait qu'anticiper un phénomène qui était de toute façon naturel et qui, compte tenu de l'atomisation générale des fréquences à laquelle nous allons assister, se serait de toute évidence manifesté de la même manière.
Sans doute la diminution des recettes publicitaires va-t-elle dans le sens d'une certaine moralisation du service public puisque le financement mixte, tel qu'il s'est développé ces dernières années, n'est pas très satisfaisant. Les téléspectateurs ne s'acquittent pas de la redevance de l'audiovisuel public pour se voir infliger de longs tunnels publicitaires !
On peut cependant légitimement s'interroger sur l'opportunité de légiférer sur ce point puisque, comme le souligne Jean-Paul Hugot dans son excellent rapport, cette décision relève plus du pouvoir réglementaire que de celui du législateur. C'est d'ailleurs dans ce sens que s'était prononcé le Conseil d'Etat et c'est pourquoi l'article 48 de la loi du 30 septembre 1986 renvoyait la fixation de la durée des écrans publicitaires à un cahier des charges. Sans doute était-il plus spectaculaire de demander à la représentation nationale de voter cette réduction !
Mais je m'interroge surtout, très sérieusement, sur l'efficacité d'une telle mesure. Est-elle suffisante pour garantir l'indépendance des chaînes publiques et n'est-elle pas, en fait, le révélateur des dysfonctionnements du financement de l'audiovisuel public, à la fois public par la redevance, privé par la publicité et fiscal par la compensation versée par l'Etat pour des exonérations de redevance à vocation sociale ?
En mars 1997, l'Assemblée nationale était saisie d'un autre texte sur la liberté de communication audiovisuelle. A cette occasion, le député socialiste Jacques Guyard déclarait : « Le Gouvernement est en retard par rapport aux enjeux de la communication de demain... Je regrette que le Parlement ne soit pas saisi d'un texte plus adapté à l'ampleur des évolutions technologiques. »
Je vous rassure, l'observateur que je suis de la grande communication depuis maintenant une vingtaine d'années a toujours constaté que les politiques étaient en retard sur ce thème, qu'ils n'avaient jamais anticipé, qu'ils couraient toujours derrière, si vous me permettez d'employer cette expression.
En fait, le problème posé, en tout cas celui que je souhaiterais poser ce soir, est celui du financement mixte de l'audiovisuel public. Vous réduisez, certes, la montée en puissance des recettes publicitaires mais vous n'y mettez pas un terme : la course à l'audimat continuera. Si la quantité de publicité diminue, les plages d'audience recherchées ne feront que coûter davantage : au lieu de libérer la programmation on risque de la rendre tributaire d'exigences économiques supplémentaires.
Il est d'ailleurs intéressant d'analyser la progression des recettes publicitaires dans le financement des chaînes publiques durant les cinq dernières années. On constate une singulière augmentation de la part de ces dernières dans le budget de France 2 et de France 3 puisque, entre 1992 et 1997, les recettes publicitaires pour France 2 et France 3 ont évolué respectivement de 54 % et 85 % ; dans le même temps, la durée de la publicité a augmenté de 81 % pour France 2 et de 138 % pour France 3. Voilà des chiffres qui se passent de commentaires !
M. Gérard Delfau. C'est Balladur !
M. Alain Joyandet. La part des recettes publicitaires dans le budget des deux chaînes est, elle aussi, en nette progression puisqu'elle augmente de près de 10 %.
L'apport de la publicité ne peut donc pas être négligé et la réduction du temps d'antenne semble une mesure assez dérisoire qui n'est pas de nature à apporter un regain de vitalité et d'autonomie aux chaînes publiques.
Pis, la mesure que vous proposez va encore aggraver la situation puisque vous ne vous apprêtez pas à compenser de manière suffisamment ambitieuse les pertes de recettes publicitaires.
En comparaison avec ce qui se passe à l'étranger dans l'audiovisuel public ou en France dans le privé, ce que l'Etat s'apprête à apporter apparaît bien maigre par rapport aux besoins d'une grande société de télévision devant assurer son dévelopement dans le nouveau paysage que j'ai sommairement évoqué dans l'introduction de mon propos.
Si l'Etat ne veut ou ne peut financer, se posera alors la question du périmètre de l'audiovisuel public. J'ose soulever cette question dont on a dit tout à l'heure qu'une certaine partie de la droite l'évoquait de plus en plus souvent publiquement. D'ailleurs, madame la ministre, si vous n'acceptez pas d'anticiper en prévoyant des financements à la hauteur, vous aurez alors la douleur d'être confrontée soit à une recapitalisation dans l'urgence, soit à une réduction du périmètre.
Si vous ne faites ni l'un ni l'autre, vous laisserez ce travail délicat à vos successeurs.
Il n'est pas suffisant de tenter de moraliser le financement de l'audiovisuel, de limiter les recettes publicitaires ou de tenter de rationaliser les structures existantes en les regroupant dans une holding de façon à éviter les redondances de personnels, de locaux ou de structures. Il faut aller plus loin dans ce souci de simplification, et je sais que nous sommes de plus en plus nombreux à partager cette idée. Il faut clarifier le financement de notre paysage audiovisuel public, et je n'hésite pas à dire : à télé publique, fonds publics, c'est-à-dire redevance et subventions de l'Etat.
MM. Gérard Delfau et Michel Dreyfus-Schmidt. Pour l'école aussi ! M. Alain Joyandet. Sans doute ne pourra-t-on aller jusqu'à 100 %. Cela étant, tout à l'heure, à propos de l'Allemagne, notre collègue M. Richert indiquait que la publicité n'intervenait que pour 11 % ou 12 % du financement. Les pourcentages qui ont été cités tout à l'heure sont donc, de toute évidence, beaucoup trop importants.
Sur la base de cette équation, « à télé publique, fonds publics », et compte tenu de l'état général des finances publiques,...
Mme Danièle Pourtaud. Nous y voilà !
M. Alain Joyandet. ... si vous ne pouvez pas y consacrer les moyens nécessaires, madame la ministre, il faudra tôt ou tard réduire le périmètre.
A moins que ce gouvernement, ou un autre, ne décide que l'audiovisuel public est une priorité nationale et une mission régalienne de l'Etat, auquel cas il lui donnera beaucoup d'argent et son périmètre ne sera pas touché.
Mme Danièle Pourtaud. Quelle hypocrisie !
M. Alain Joyandet. Il est un autre élément qu'il faut prendre en compte, c'est la diminution historique, inéluctable des audiences. En effet, mes chers collègues, ne vous faites pas d'illusion : le phénomène que nous avons constaté - je l'ai personnellement suivi au cours des vingt dernières années - de l'atomisation des audiences des radios dans notre pays se produira de la même façon pour les télévisions, du fait de la révolution technologique. Autrement dit, les télévisions qui sont aujourd'hui leaders avec 30 % ou 40 % d'audience seront leaders dans dix ans avec 12 % ou 15 % d'audience.
Dès lors, comment peut-on organiser une grande société de télévision, qu'elle soit d'ailleurs privée ou publique - il suffit d'ailleurs de regarder ce qui se passe dans le privé ! -, autour de deux chaînes généralistes ? (Mme Pourtaud s'exclame.)
J'ai bien entendu aussi la remarque de notre collègue M. Richert à propos du cahier des charges et de la fixation des objectifs ; d'un côté, on parle de général et, de l'autre, de national. Existe-t-il une différence entre le général et le national ? Je n'en vois pas beaucoup !
Si, toutefois, les moyens nous manquent - ma position peut être contestable, mais elle est en tout cas respectable et j'essaie de faire en sorte qu'elle soit cohérente ; c'est tout l'intérêt du débat politique - ne vaudrait-il pas mieux organiser France Télévision autour de France 3 en y rattachant tout ce que notre pays comporte d'activités télévisuelles, y compris La Cinquième, RFO et même l'INA, ce qui résoudrait du même coup beaucoup d'autres problèmes qu'il serait bien trop long d'énumérer.
Une privatisation populaire de France 2 permettrait de consacrer tout le financement public au périmètre nouvellement défini, la publicité restant au secteur privé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A moins de renationaliser TF 1 !
M. Alain Joyandet. L'équilibre financier de l'opération est viable : France 3 et La Cinquième-Arte perdent les ressources publicitaires, soit plus de 1 600 millions, mais récupèrent les 3 382 millions de francs de redevance initialement versés à France 2. Cette opération permet de dégager une manne financière de plus de 1 600 millions de francs, que le sectur public peut investir dans le développement technologique et, plus particulièrement, dans le développement de programmes diffusés par voie numérique hertzienne terrestre.
En effet, et cela m'amène à la deuxième lacune majeure du texte que vous nous soumettez, madame le ministre, vous avez fait un « bogue » de calendrier en présentant ce texte au Parlement. Vous avez eu le temps de prendre la mesure des transformations technologiques qui bouleversent notre paysage audiovisuel, mais votre texte est muet à ce sujet. Cela est fort regrettable, et je m'interroge sur cette fâcheuse tendance qu'a votre gouvernement à toujours tout morceler.
En effet, le Parlement passe son temps à légiférer dans des domaines complémentaires sans avoir de vision globale de l'ensemble des problèmes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour la justice, si !
M. Alain Joyandet. Précisément, c'est la même chose pour la justice, mon cher collègue, et cela nous évitera peut-être un déplacement lundi.
Vous allez me répondre que, dans un contexte d'évolution constante et rapide des technologies de l'information, vous avez souhaité procéder à une vaste concertation par l'intermédiaire d'un livre blanc sur l'utilité et l'opportunité du développement du numérique hertzien de terre. J'en conviens. Mais, alors, pouvez-vous m'indiquer quelle est la logique de votre démarche qui consiste à lancer ce livre blanc le 12 mai 1999 et à présenter le 18 mai devant l'Assemblée nationale le projet de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis sans faire aucune référence, au passage, au numérique hertzien de terre ?
Fort heureusement, une fois de plus, notre collègue Hugot et la commission des affaires culturelles ont pris la mesure des bouleversements que va provoquer l'entrée de la France dans l'ère du numérique hertzien de terre et ont considérablement amélioré le texte qui avait été adopté en mai dernier par les députés.
Car, incontestablement, madame le ministre, on ne peut pas envisager l'avenir du paysage audiovisuel public français sans imaginer les évolutions induites par cette nouvelle technologie. En effet, les multiplex qui vont être autorisés vont permettre à nos chaînes publiques de se diversifier et d'élargir leur clientèle en proposant des programmes adaptés à tous les publics.
J'en profite pour dire qu'une éventuelle réduction du périmètre de l'audiovisuel public français liée, dans un premier temps, à une insuffisance des financements publics permettrait de consacrer une part beaucoup plus importante de la manne publique aux avancées technologiques et de donner ainsi à l'audiovisuel public, dans un deuxième temps, une chance de se développer en se diversifiant et en « collant » mieux à la demande ; je pense ici, en particulier, aux chaînes thématiques qu'il faudra créer, car ce secteur ne doit pas être laissé exclusivement à l'initiative privée.
Je propose donc non pas une sorte de réduction emblématique du secteur public mais plutôt un coup d'accordéon qui lui permette de mieux se développer dans l'avenir, et cela pour des raisons essentiellement financières.
Toute cette évolution devrait vous faire envisager une autre définition du périmètre de l'audiovisuel public ; tous les éléments, qu'ils soient financiers, culturels ou techniques semblent converger en ce sens.
Il s'agit là d'une proposition qui donnerait une nouvelle dimension à la notion de service public audiovisuel à la française. A moins que le Gouvernement ne vous donne les moyens financiers d'assurer l'avenir de l'audiovisuel public dans son périmètre actuel, ce qui n'est pas le cas, madame la ministre, du moins pour l'instant. En effet, si l'on veut vraiment doter notre audiovisuel public des moyens nécessaires, ce sont non pas 1,5, 2,5 ou 4,5 milliards de francs qu'il faudra dégager, mais sans doute plusieurs dizaines de milliards de francs. Eh oui ! Tout à l'heure, M. Belot a estimé à quelque 220 milliards de francs la capitalisation de la télévision privée en France. Alors, avec 1,5 ou 2,5 milliards de francs, en enlevant quasiment 2 milliards de francs de publicité, on ne fait pas grand-chose pour le service public.
Je me tourne donc vers nos collègues de gauche pour leur dire : si vous êtes aussi attachés que cela à la télévision publique française, si vous voulez lui garder son intégrité et son périmètre, lui assurer son avenir et son développement, encore faut-il lui en donner les moyens.
Et si vous ne voulez pas lui en donner les moyens, à ce moment-là, il faut avoir le courage de parler d'une éventuelle autre politique.
Mme Danièle Pourtaud. C'est d'ailleurs ce que vous aviez fait avec le budget présenté par M. Juppé !
M. Alain Joyandet. Ce n'est pas celle que la commission ou le groupe du RPR propose. C'est une réflexion personnelle que j'essaie d'élaborer de manière cohérente.
En conclusion, je dirai que, sans les amendements que le Sénat s'apprête à adopter et qui vont ouvrir la voie du numérique terrestre, ce texte n'aurait vraiment que peu d'intérêt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas vu les nôtres !
M. Alain Joyandet. Tel qu'il nous est présenté, il ne répond pas aux besoins de l'audiovisuel public, il ne tient pas compte des évolutions technologiques en cours. Il n'est en rien un acte d'anticipation susceptible de contribuer à la sauvegarde du patrimoine culturel français.
Cependant, compte tenu de l'excellent travail de nos commissions et des rapporteurs, que je remercie, compte tenu aussi de l'esprit d'ouverture de Mme la ministre, qui, j'en suis convaincu, acceptera un certain nombre de nos propositions, ce texte, une fois que le Sénat l'aura enrichi, méritera d'être soutenu. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne fallait pas privatiser TF 1 !
M. le président. La parole est à M. Collomb.
Permettez-moi, mon cher collègue, de saluer votre première intervention à la tribune du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Gérard Collomb. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on ne saurait procéder à l'examen du projet de loi relatif à l'audiovisuel public qui nous est aujourd'hui soumis sans faire référence au contexte dans lequel il s'inscrit.
Ce contexte est marqué par une accélération croissante des mutations que connaît ce secteur, sous l'influence à la fois des changements technologiques et du renforcement de l'acuité de la concurrence.
Pour s'en convaincre, il suffit de comparer ce qu'est aujourd'hui le paysage audiovisuel français à ce qu'il était il y a cinq ou six ans. Depuis sont apparus les deux bouquets satellitaires Canal-Satellite et TPS ; depuis, surtout, a explosé le marché des chaînes thématiques, qu'elles soient diffusées sur le câble ou sur les bouquets satellitaires hexagonaux.
Or, avec l'arrivée du numérique terrestre hertzien, nous sommes à la veille d'un nouveau bouleversement majeur qui va étendre de manière considérable les possibilités offertes.
Ces avancées multiples dans le secteur de la communication audiovisuelle rendent nécessaires des modifications législatives, mais rendent aussi rapidement périmée la réglementation, ce qui conduit fatalement à sa révision périodique.
C'est pourquoi, contrairement à certaines de nos collègues, je considère que vous avez employé la bonne méthode, madame la ministre, en ne présentant pas votre texte comme « la » grande loi sur l'audiovisuel, mais en l'élaborant par enrichissements successifs.
Des modifications législatives, il y en aura bien d'autres, qui suivront les avancées technologiques que l'on voit poindre dans un horizon proche. Nos collègues ont tout à l'heure fait référence au rapprochement qui interviendra très bientôt entre télévision, ordinateur et téléphone. Il est évident que, à ce moment-là, c'est l'ensemble du cadre législatif qui devra être révisé, en particulier pour réaliser la nécessaire convergence entre la législation sur l'audiovisuel et celle qui a trait aux télécommunications.
La méthode que vous avez suivie, s'agissant de la diffusion numérique terrestre hertzienne, nous semble donc être la bonne, madame la ministre. Manifestant votre volonté d'en envisager la réglementation et les modalités de mise en oeuvre après avoir pris des avis précis et motivés - livre blanc adressé à plus de trois cents acteurs socio-professionnels devant formuler propositions et recommandations, rapports de MM. Cottet et Eymery et de M. Hadas-Lebel - et forte de l'écoute que vous aurez portée aux suggestions de notre rapporteur et de nos collègues, vous prendrez, j'en suis sûr, les bonnes décisions, dont nous pourrons probablement débattre lors de la seconde lecture du texte, pour que la France ne rate pas son entrée dans le numérique terrestre, que le passage de la diffusion analogique à la diffusion numérique terrestre se fasse à la fois rapidement et harmonieusement et que les nouveaux moyens techniques qu'elle offre permettent de préserver diversité et pluralisme de l'offre, une offre qui devra d'ailleurs être essentiellement gratuite si l'on veut que le numérique terrestre soit rapidement attractif.
Un deuxième aspect doit être pris en compte dans votre projet de loi : nous ne pouvons plus agir comme si notre pays pouvait s'abstraire du reste du monde. L'audiovisuel, plus que tout autre secteur, est aujourd'hui marqué par le phénomène de la globalisation. C'est bien en ayant à l'esprit la nécessité de constituer une industrie de l'audiovisuel et du multimédia puissante que nous devons aborder votre projet de réforme.
Nous sommes tous conscients de la nécessité de garantir à notre télévision une haute exigence de qualité et d'éviter la dérive induite par une commercialisation débridée. Nous sommes tous conscients de la nécessité, pour notre télévision, de garantir le pluralisme économique, politique et social, de participer à la promotion et à la diffusion de la culture française. Mais reconnaissons que cette exception culturelle française que nous nous plaisons tant à célébrer ne serait plus grand-chose si l'industrie audiovisuelle française était incapable de résister à la déferlante des images et des programmes venus d'outre-Atlantique.
Mes chers collègues, nous avons tous eu un mot pour louer les vertus de l'audiovisuel national, mais aussi un autre mot, éventuellement critique, sur la fusion entre AOL et Time Warner. Cela signifie bien que cette question nous préoccupe fondamentalement.
Sans même parler des Etats-Unis, nous devons bien pointer un certain nombre de nos carences. Dans l'excellent colloque que nos collègues Henri Weber et Michel Pelchat ont consacré à l'avenir de l'audiovisuel français, elles étaient clairement analysées et nombre de nos collègues les ont rappelées : insuffisance de financement du secteur audiovisuel français, insuffisance de production de fictions nationales, insuffisance de politique d'exportation qui place la France loin derrière la Grande-Bretagne et qui la fait rattraper par l'Allemagne, insuffisance de production française diffusée sur nos écrans de télévision et même, pour les plus critiques des intervenants à ce colloque, insuffisance d'innovation dans la production.
C'est à la lumière de cet état des lieux qu'il nous faut examiner le projet de loi tel que vous nous l'avez présenté, madame la ministre.
Il est inutile de préciser que nous partageons votre volonté de relancer l'audiovisuel public français. Nous approuvons à la fois les mesures d'ordre financier et les mesures d'ordre structurel visant à faire du service public une véritable entreprise publique de l'audiovisuel. Les exemples de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne sont là pour témoigner de la place déterminante que peut prendre un service public investissant fortement l'ensemble des potentialités de l'audiovisuel d'aujourd'hui. Cela impose la définition d'un vrai projet d'entreprise pour reconquérir la confiance des téléspectateurs en redonnant un contenu au souffle renouvelé aux chaînes généralistes, pour construire et développer des chaînes thématiques de qualité, pour mettre en place l'ensemble des services que peut offrir aujourd'hui l'audiovisuel, pour s'intéresser encore davantage au marché international et savoir vendre son offre.
Madame la ministre, à travers votre projet de loi, vous donnez la possibilité au service public de s'engager dans une telle voie, en dégageant des moyens financiers nouveaux, en constituant une holding permettant pleinement l'unité de commandement et en établissant des rapports contractuels avec le service public par le biais des contrats d'objectifs et de moyens.
Mais, et c'est la deuxième face de votre projet de loi, vous savez bien que, même s'il est au coeur de votre démarche, le service public ne représente évidemment pas l'ensemble de l'audiovisuel français. Or c'est bien l'ensemble de l'audiovisuel français, public et privé, qu'il s'agit de mobiliser si nous voulons gagner le pari de la compétition internationale. Telle est la tâche que vous vous fixez, me semble-t-il, à travers votre projet de loi : d'abord, en abondant financièrement les ressources de ce secteur par l'effet de rebond que va produire votre décision d'abaisser le temps de publicité dans le secteur privé ; ensuite, en proposant des mesures équilibrées, à la fois pour ce qui est des modes de régulation de ce secteur privé et des rapports qu'entretiennent en son sein les différents opérateurs.
Les mesures favorisant le développement pluraliste de la création, le renforcement d'un tissu diversifié de producteurs, de distributeurs ou d'éditeurs, celles qui tendent à soumettre les chaînes du câble ou du satellite à des obligations de contribution à la production vont dans le sens du renforcement de l'audiovisuel français.
De la même manière, la nécessité pour les câblo-opérateurs et les opérateurs de plates-formes satellitaires de faire une place suffisante dans leur offre de services à des éditeurs indépendants devrait permettre d'ouvrir davantage le champ audiovisuel français et devrait éviter les tentations oligopolistiques. En effet, mes chers collègues, s'il y a bien un danger du secteur privé, ce n'est pas qu'il soit privé, c'est qu'il soit détenu par un nombre extrêmement limité d'acteurs qui, de ce point de vue, réoccupent une position de quasi-monopole.
MM. Henri Weber et Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Gérard Collomb. Quant aux règles de transparence sur la réalité économique des groupes audiovisuels ou sur les phénomènes de concentration pouvant intervenir dans le secteur, elles seraient considérées comme normales dans des pays moins habitués que le nôtre au secret des affaires.
Les règles du jeu étant ainsi clairement fixées, il convient cependant, à mes yeux, de laisser le maximum de souplesse aux opérateurs et d'éviter, comme vous l'avez vous-même souligné, de transformer des régimes initialement déclaratifs en véritables régimes d'autorisation.
Au total, votre projet de loi me semble permettre une dynamique féconde entre secteur public renouvelé et secteur privé élargi, capable de permettre à notre pays de soutenir la compétition internationale dans le domaine de l'audiovisuel, de l'image et du multimédia. En effet, là est bien évidemment l'enjeu essentiel.
Dans le colloque précité, Jérôme Clément, qui, comme l'a souligné Henri Weber, défend l'idée d'un audiovisuel de qualité mais n'est pas partisan d'un libéralisme débridé, a déclaré :
« Nos arguments revêtent parfois une enveloppe très littéraire. La notion même d'exception culturelle, en faisant abstraction de toute référence au marché et à l'économie, indique qu'il s'agissait pour nous - qu'il s'agit pour nous - de défendre nos habitus , notre patrimoine intellectuel, notre traditionnelle "patrie, mère des lettres et des arts". C'est la nation française qui se présente comme étant littéralement mise en cause lorsque l'on s'attaque à son patrimoine culturel.
« Tout cela existe bel et bien. Mais les enjeux sont pourtant fondamentalement économiques, et nous ne le disons pas de manière suffisamment claire. Cette emphase s'accompagne au total trop souvent d'une action qui n'est pas à la hauteur du discours : il faut cesser avec ces pratiques qui confinent au ridicule. Il faut revenir à une conception plus économique de la culture et rétablir le lien qui existe entre culture et production, entre culture et industrie - ce que, après tout, Louis XIV avait compris en soutenant la manufacture des Gobelins. »
Mes chers collègues, j'aimerais que ces propos nous inspirent. Ils sont en effet fondamentaux.
Souvenons-nous du fameux mot sur Kant : « Le kantisme a les mains pures, mais il n'a pas de mains. » Il ne conviendrait pas que, demain, il en aille de même pour l'audiovisuel français. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen).
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'audiovisuel est un vecteur de la défense et de l'affirmation de l'identité culturelle française. Si cette dimension culturelle est légitimement placée au centre de la réflexion du Gouvernement, elle ne doit pas pour autant occulter la dimension économique du débat.
Il s'agit de la révolution numérique et de la convergence du multimédia.
La révolution numérique, tout d'abord, a permis de décupler l'offre de programmes proposée aux téléspectateurs et de l'enrichir de nouveaux services interactifs. Cette évolution technologique a une incidence majeure sur l'économie de la production des programmes par la multiplication des éditeurs de services audiovisuels. Elle a aussi conduit à l'émergence d'une nouvelle nature d'acteurs, les distributeurs de services. Se pose, aujourd'hui, le problème des relations entre éditeurs et distributeurs. Plus précisément, la question de l'intégration actuelle de certains éditeurs dans le métier aval de la distribution de services doit être considérée.
Observons la situation du satellite et du câble en France, riche d'enseignements à cet égard. L'analyse de la composition des bouquets de distributeurs par satellite révèle la préférence à la distribution des chaînes conçues par des éditeurs qui leur sont affiliés. Ainsi, sur un total de près de soixante-dix chaînes de programmes proposées par les deux distributeurs par satellite, ce sont, à ce jour, moins de dix chaînes qui sont communes aux deux offres. Dans le même temps, les distributeurs par câble, indépendants de tout intérêt de l'édition de programmes, proposent la majeure partie des chaînes diffusées par satellite.
La participation des éditeurs au capital des distributeurs de services a une incidence majeure sur le jeu concurrentiel et in fine sur l'offre délivrée au consommateur.
En premier lieu, cette intégration fait peser une menace sur l'édition indépendante des programmes. La préférence constatée des distributeurs de services pour les programmes des éditeurs qui les contrôlent s'exerce certes au détriment des éditeurs des chaînes du bouquet concurrent, mais aussi potentiellement au détriment des éditeurs indépendants, qui sont dès lors soumis au risque d'un traitement discriminatoire pour l'accès au marché par satellite. Ce risque est d'autant plus préoccupant que le câble, seule alternative ouverte aujourd'hui à la distribution par satellite, ne délivre ses services qu'à huit millions de foyers français, alors que le satellite atteint près de vingt millions de foyers en France.
En second lieu, cette intégration pèse sur l'activité des distributeurs indépendants tels que les câblo-opérateurs. Ceux-ci sont en effet confrontés au problème de l'accès à certains programmes « premium », maîtrisés par des éditeurs impliqués par ailleurs dans la distribution de services sur des supports concurrents.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Pierre Hérisson. Ces éditeurs peuvent alors avoir la tentation de se réserver la distribution de ces programmes à forte valeur de différenciation ou d'imposer aux autres distributeurs des conditions d'acquisition très défavorables.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très juste !
M. Pierre Hérisson. Une telle intégration conduit dès lors à la situation actuelle, où la diversité des programmes accessibles par les téléspectateurs est véritablement en cause. En effet, le téléspectateur faisant le choix de l'un des bouquets par satellite se voit restreindre l'accès à une part importante des programmes diffusés.
En conséquence, le strict contrôle des relations entre éditeurs de services et distributeurs de services s'impose pour garantir la diversité de la programmation offerte aux téléspectateurs et l'égalité de traitement de tout éditeur ou distributeur. A ce titre, la séparation des métiers d'éditeur et de distributeur, par le plafonnement des participations croisées autorisées, devrait être envisagée. C'est à cette condition qu'une concurrence équilibrée pourra se développer entre les différents distributeurs, d'une part, et entre les différentrs éditeurs, d'autre part. Ce même principe de séparation des métiers d'éditeur et de distributeur devrait sous-tendre le choix des futurs attributaires de multiplex numériques terrestres.
Tout comme la révolution numérique, la convergence multimédia va profondément modifier le secteur audiovisuel. En effet, elle donne aujourd'hui aux acteurs français de l'audiovisuel l'opportunité d'élargir leur offre de services en proposant au consommateur un nouvel accès à la société de l'information. Cette évolution devrait significativement contribuer à la démocratisation des accès à Internet en raison des nombreux atouts du téléviseur, cet équipement présentant un très fort taux de pénétration des ménages français et son utilisation demeurant plus simple que celle de l'ordinateur.
Les câblo-opérateurs et, dans une moindre mesure, les distributeurs de services par satellite commencent à mettre en oeuvre de nouvelles plates-formes multimédia pour saisir cette opportunité.
Le développement du multimédia constitue la nouvelle source de croissance du marché des services de communication. Mais la convergence multimédia fait aussi peser deux menaces sur les distributeurs de services audiovisuels actuels.
En premier lieu, en permettant l'accès commun aux services audiovisuels, aux services de communication personnelle et aux services de la société de l'information, la convergence multimédia va développer la concurrence entre les distributeurs de services et les opérateurs de télécommunications sur le nouveau marché unifié des services de communication. A ce titre, toute infrastructure locale alternative à celle de France Télécom doit être préservée alors que l'accès physique au client sera un facteur clé de présence sur le marché et que France Télécom est en position dominante sur le marché local.
Il est dès lors urgent d'engager la réflexion sur le développement du jeu concurrentiel sur le marché unifié des services de communication dans la perspective de cette convergence annoncée.
En second lieu, les portails Internet sont déjà en mesure de donner accès à des services audiovisuels avec une qualité qui tendra à se rapprocher de celle des diffusions actuelles par câble, par satellite ou en hertzien, dans un contexte juridique encore mal défini à ce jour.
Il convient, dans ce contexte, de redéfinir le cadre juridique de l'exploitation des services audiovisuels en application du principe de neutralité technologique, c'est-à-dire sans considération de l'infrastructure technique qui les délivre.
Compte tenu de ces considérations, madame la ministre, pourriez-vous répondre aux questions suivantes ?
Pour assurer la diversité des services proposés par tout distributeur, il est prévu, à l'article 34, un décret en Conseil d'Etat fixant les proportions minimales, parmi les services ayant conclu une convention en application de l'article 33-1, de services en langue française, qui, d'une part, ne sont contrôlés directement ou indirectement ni par le distributeur de services, ni par l'un de ses actionnaires détenant au moins 5 % de son capital, ni par la personne physique ou morale qui contrôle directement ou indirectement au moins la moitié des services concernés et, d'autre part, ne sont pas contrôlés directement ou indirectement par un distributeur de services au sens de l'article 33-4.
Quelles sont les proportions minimales envisagées à ce jour qui permettraient de garantir une réelle diversité de programmation et l'accès au marché des éditeurs indépendants ?
Au-delà de ce mécanisme de contrôle, ne faudrait-il pas prévoir de limiter la participation directe ou indirecte des éditeurs de services au capital des distributeurs ? Plus précisément, ne faudrait-il pas limiter la part directe ou indirecte de chaque éditeur dans le capital d'un distributeur et la part du capital de tout distributeur ouverte directement ou indirectement aux éditeurs ?
Enfin, ne faudrait-il pas envisager des mesures de soutien à l'investissement dans les réseaux câblés, seules infrastructures résidentielles multimédia alternatives à celles de France Télécom, dans la perspective de la convergence attendue de l'audiovisuel et des télécommunications ?
Quelles sont les actions envisagées par le Gouvernement pour clarifier le contexte juridique de la distribution de services audiovisuels sur Internet ?
Madame la ministre, telles sont les questions que je vous pose. Les réponses que vous y apporterez conditionneront bien sûr notre vote sur le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le 19 février 1997, lors de la discussion générale d'un projet de loi modifiant la loi relative à la liberté de communication, j'avais tenu le propos suivant à cette même tribune : « Ne serait-il pas dans la partie la plus noble de la mission du législateur d'éclairer le chemin loin devant et non pas d'être mis dans l'obligation d'adapter la loi à des échéances de plus en plus rapprochées pour tenir compte de l'évolution des technologies ? »
Malheureusement, en ce début de l'an 2000, alors que, à votre tour, madame le ministre, vous défendez votre propre texte, je n'ai pas un mot à changer à cette question que je posais voilà trois ans déjà à votre prédécesseur.
C'est vraiment regrettable, d'autant que le paysage audiovisuel change sous nos yeux à une vitesse stupéfiante.
En ce jour, il nous faudrait non seulement débattre du numérique hertzien, comme le fait avec pertinence le Sénat sous l'autorité de la commission des affaires culturelles et de son éminent rapporteur, M. Jean-Paul Hugot, alors que le projet de loi ne l'évoque même pas, madame le ministre, mais aussi dresser déjà des balises pour mieux appréhender les vastes territoires qui vont être profondément modifiés dans des temps maintenant très courts par la fusion, depuis longtemps annoncée, des mondes du téléviseur, du téléphone et de l'ordinateur. Quand on sait que l'apparition de chacun de ces mondes a déjà profondément bouleversé notre vie ou celle de nos parents, chacun pressent les évolutions, les mutations profondes, devrais-je dire, qui vont découler de cette fusion.
L'une de ces évolutions est déjà bien maîtrisée depuis plusieurs années au niveau technique : je veux parler du numérique hertzien.
Le développement de la télévision numérique terrestre semble être, en cette année 2000, le sujet à la mode dont se sont emparés depuis quelques mois un certain nombre de gourous du paysage audiovisuel français, qu'ils siègent au CSA ou dans les organismes publics. A mon avis, le numérique terrestre est, dans le contexte technologique actuel, avant l'arrivée de nouveaux outils, un vecteur fort bien adapté pour la télévision de proximité.
Dans des temps où il est souvent plus difficile de savoir ce qui se passe dans notre propre ville, dans notre propre village, parfois dans notre propre quartier, que de connaître l'événement qui vient d'avoir lieu à l'autre bout du monde, cette télévision de proximité est de plus en plus demandée par nos concitoyens.
En revanche, réaliser en numérique un « copier-coller » du réseau national analogique imaginé voilà bientôt un demi-siècle n'est peut-être pas la démarche la plus pertinente. Entre-temps, des satellites se sont positionnés à 36 000 kilomètres au-dessus de nos têtes, et chacun d'entre eux a maintenant la capacité de nous servir sur l'ensemble du territoire, sans aucune zone d'ombre, des centaines de chaînes numériques.
Aussi, après nous être emballés pour TDF 1, pour le D2 MAC et beaucoup d'autres innovations fort séduisantes en leur temps, qui reposent aujourd'hui dans le coûteux cimetière des initiatives de nos brillants technocrates de l'image publique, ne devrions-nous pas prendre un instant pour examiner le modèle financier et économique de ce coûteux projet du réseau national du numérique hertzien ?
Permettez-moi de vous livrer quelques éléments de réflexion. Pour desservir en numérique hertzien les trois quarts de la population française, il ne faudrait certes que 150 émetteurs ; mais, pour couvrir le quart restant, il faudrait quelque 3 000 émetteurs de plus.
Cette installation terrestre induirait, nous a-t-on dit, des coûts de diffusion de 30 à 50 millions de francs par an pour une chaîne utilisant ce vecteur, alors que le transport par satellite ne revient qu'à 5 millions de francs par an par chaîne diffusée. Encore y a-t-il une différence de taille entre la diffusion satellitaire et la diffusion hertzienne. Dans ce cas, il est demandé à chaque chaîne 5 millions de francs par an pour couvrir tout le territoire, et même au-delà, sans zone d'ombre, alors que, avec le réseau hertzien, 80 % seulement du territoire est desservi pour une somme de 30 à 50 millions de francs. Personne n'ose calculer ou du moins révéler le coût des 20 % restants pour couvrir l'ensemble du territoire, tant ce coût serait exorbitant en prenant en considération le nombre très important d'émetteurs supplémentaires qu'il faudrait installer.
Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas multiplier le nombre de chaînes numériques que les Français doivent pouvoir recevoir en clair sans être dans l'obligation de prendre un abonnement ou de payer un péage. Mais je pense que, avant de prendre une décision définitive sur les moyens de diffusion de ces chaînes, il nous faut objectivement, et sans a priori , réfléchir à la solution technique la plus pertinente.
Cette réflexion est d'autant plus nécessaire qu'une autre révolution, bien plus importante que l'évolution d'un outil de diffusion, va profondément marquer l'avenir de l'audiovisuel, et ce dans des délais maintenant très réduits : je veux parler du mariage intime entre la télévision et Internet dont l'annonce de la fusion entre AOL et Time Warner n'est que l'avatar le plus récent.
Le protocole Internet associé à une bande passante de plus en plus large va totalement changer nos relations avec la télévision. Quittant son rôle passif, le téléspectateur va être invité à jouer, grâce à l'interactivité, un rôle beaucoup plus actif.
Au fur et à mesure qu'il visionnera sur son téléviseur, sur son ordinateur personnel et même, demain, sur son téléphone portable à écran soit les actualités, soit un spectacle de variétés, soit un film, soit un match de football, il demandera au réseau Internet de lui apporter des informations complémentaires, des précisions sur les points qui l'intéressent. Cette interactivité changera très vite les comportements des téléspectateurs, et il faut que nous nous préparions à une profonde évolution de l'ensemble du modèle audiovisuel. C'est bien avec cette vision prospective qu'il nous faut savoir préparer l'avenir. Or, madame le ministre, il est un sujet essentiel que vous traitez avec une cécité singulière dans votre texte et auquel le Sénat attache une particulière et grande attention : je veux parler de l'avenir de La Cinquième.
Comme M. Laffitte a eu la gentillesse de le rappeler dans son intervention, j'étais rapporteur de la mission commune d'information qui a produit, en 1993, le rapport intitulé L'accès au savoir par la télévision qui a été à l'origine de la création de La Cinquième.
M. Pierre Laffitte. Très juste !
M. René Trégouët. Nous avions alors fort bien balisé la voie à suivre. Relisant ce texte ces jours derniers, j'ai pu constater que la dynamique que nous avions alors proposée en passant par ces trois fenêtres de l'accès au savoir et qui a été mise en oeuvre avec compétence par l'équipe de La Cinquième, sous l'autorité éclairée de MM. Jean-Marie Cavada et Jérôme Clément, a montré son efficacité. En effet - peu de personnes le savent - en quelques années, La Cinquième a su se hisser au premier rang mondial des chaînes éducatives.
Quel gâchis ce serait si cette petite entité, si importante pour rénover l'ensemble des outils éducatifs de notre pays, était noyée dans cette grande machine médiatique publique que va devenir France Télévision !
France Télévision va être soumise au stress, aux obligations incontournables des grandes chaînes de flux qui doivent traiter en direct l'information, avec toutes les répercussions relationnelles inévitables, et divertir des publics de plus en plus divers tiraillés par la concurrence.
Cette culture de l'instant, qui est la marque des chaînes de flux, est à l'opposé du calme, du recul que doivent savoir prendre les chaînes éducatives, qui ont pour mission, en prenant appui sur le temps, d'aider non seulement nos enfants, mais aussi l'ensemble des populations exclues à acquérir des savoirs qui leur permettront d'exercer les métiers de demain.
De plus, cette troisième fenêtre, qui s'est matérialisée sous la forme de la banque de programmes et de services, la BPS, que la Haute Assemblée va encore renforcer en la transformant en banque nationale de programmes multimédias, en y associant l'Institut national de l'audiovisuel, le Centre national d'enseignement à distance, la Cité des sciences, la Bibliothèque nationale et tous les organismes qui stockent et enrichissent les connaissances dans notre pays, est fondamentale pour fournir des outils nouveaux à tous les enseignants, à tous les formateurs de France, pour les aider à transmettre le savoir.
Il n'est pas possible que nous laissions se fondre dans un organisme dont la mission essentielle est de traiter l'instant un instrument d'intérêt national dont la mission fondamentale est de nous aider à entrer dans l'avenir.
Aussi, madame le ministre, il faut que vous ayez la volonté de réaliser enfin ce que nous demandions dès 1993 : veuillez donner son émancipation à cet être, certes encore jeune, mais ô combien vigoureux et prometteur qu'est La Cinquième, en l'appuyant sur une puissante fondation dont le Parlement aurait préalablement modelé la silhouette pour la rendre aussi efficace que ses consoeurs anglo-saxonnes.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. René Trégouët. Dans cette fondation se retrouveraient tous les ministères, toutes les institutions publiques, tous les acteurs publics et privés qui ont pour préoccupation essentielle de préparer l'avenir.
En sachant que le rang d'une nation se fondera demain sur sa capacité d'acquérir et d'employer au mieux des connaissances et des expertises, il nous faut savoir utiliser et valoriser au mieux les outils qui préparent l'avenir.
Or, La Cinquième, avec sa banque nationale de programmes éducatifs qui, demain, grâce aux réseaux nouveaux à large bande, sera reliée à tous les établissements d'enseignement de France, est un outil fondamental de préparation de l'avenir. Ne le laissons pas - je vous le demande à nouveau, madame le ministre - se dissoudre et perdre sa personnalité dans un organisme dont la mission est tout autre, dans la terrible bataille de l'audiovisuel qui s'annonce. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous exprimer mes remerciements pour la qualité qui a marqué de bout en bout la discussion générale.
Le souci exprimé par l'ensemble des orateurs est bien la nécessité d'un renforcement du service public audiovisuel français dans le contexte économique, technologique et de concurrence nationale et internationale que nous connaissons. Il s'agit de lui donner des structures fortes et des moyens appropriés, tout en en faisant un outil de développement de la production audiovisuelle, grâce aussi, bien évidemment, à l'apport des entreprises privées. Ce travail s'avère, à mes yeux, constructif.
J'ai écouté les interventions des uns et des autres et les réflexions qui ont été faites, notamment sur l'état du texte et sur ce qui pourrait être compris comme des hésitations ou comme un défaut d'anticipation.
Quoi qu'il en soit, la tonalité sereine de ce débat me permet de dire que, si nous parvenons, jusqu'au terme de l'examen de ce texte et pour la première fois dans notre pays, à ne plus avoir un débat par trop idéologique et figé dans les équilibres actuels de l'audiovisuel tel que nous le connaissons, si nous voulons bien aussi éviter de nous engager dans une surabondance législative pour nous consacrer à l'adoption de dispositions efficaces et appropriées permettant une évolution de façon que le texte qui sera adopté par le Parlement ne soit pas obsolète au moment où il aura été voté, nous aurons alors fait un grand bond en avant.
Je crois que cela peut être une ambition commune, car on me dit, à l'instar de M. Richert, qu'il faut à la fois rattraper les retards et anticiper. Il est vrai que, quand j'ai accédé aux responsabilités, je n'ai pas trouvé d'éléments sur lesquels m'appuyer pour pouvoir anticiper sur ce que deviendrait la diffusion numérique. Ce que je pouvais en connaître et qui était à ma portée, c'était en effet la production numérique : la numérisation des archives, la numérisation de la presse, nous savions faire, et M. de Broissia l'a évoqué ; mais nous ne pouvions procéder à l'analyse et à la prospective sur la diffusion numérique.
Nous avons donc, depuis deux ans maintenant, travaillé sur ce sujet, mais en écoutant mes collègues européens je me suis rendu compte qu'il fallait avancer sur cette voie avec une certaine prudence, car certains regrettent déjà les dispositions qu'ils ont été amenés à prendre de façon extrêmement rapide.
J'ai donc préféré une autre stratégie, celle qui consiste à travailler d'abord avec ceux qui sont technologiquement prêts. Nous devons toutefois en même temps ménager l'équilibre entre satellite, câble et télévision numérique terrestre : si nous ratons cet équilibre, nous créerons en effet des difficultés à l'un ou à l'autre de ces opérateurs ou à des entreprises qui elles-mêmes doivent jouer un rôle dans le développement des programmes, dans l'accueil de nouveaux entrants, de nouvelles chaînes thématiques.
Lorsqu'on aborde le numérique, il faut donc le considérer sous tous ses aspects, et d'abord, bien évidemment, dans ce qu'il apporte au téléspectateur, car c'est cela qui peut justifier le choix de cette technologie de diffusion. Mais il faut aussi pouvoir assurer aux entreprises un environnement qui facilite leur développement, qui clarifie les rôles entre opérateurs de multiplex et entre diffuseurs.
Nous devons aussi assurer les modalités de ce passage au numérique pour les chaînes historiques et pour de nouveaux entrants, qu'il s'agisse de chaînes de profil assez classique ou de chaînes à vocation locale ou régionale.
Avec le numérique hertzien, toutes les questions qui se posent en ce qui concerne l'évolution du paysage audiovisuel français sont résumées et condensées. S'ajoute cependant à cette problématique le profil de nouvelles formes de télévision : les télévisions à la demande où le téléspectateur choisit, sélectionne son programme, le compose ou trouve sur les canaux des chaînes thématiques particulières qui permettent des services interactifs.
Il est incontestable que le passage au numérique constituera pour les entreprises publiques audiovisuelles, en particulier pour le groupe France Télévision, un atout considérable. Dans ce cadre, on peut parfaitement imaginer à la fois la place pérenne du groupe et le développement des services qu'il peut permettre. Il est donc extrêmement important de prévoir et de consolider le groupe France Télévision avant même le passage au numérique terrestre, qui impliquera de sa part un investissement important et un développement de services et de programmes.
C'est en même temps un moyen qui est ouvert aux entreprises privées. Il ne s'agit pas de dire que l'on passe au numérique hertzien pour le public en ne nous posant pas la question pour les entreprises privées !
Voilà pourquoi j'ai souhaité, dans ce changement de méthode, tenir compte du changement de donne : nous le voyons bien avec les questions posées par les nouvelles diffusions sur le Net des programmes audiovisuels, nous sommes en pleine évolution !
Nous parlons aujourd'hui d'autorégulation, de corégulation. M. Christian Paul est en train d'élaborer un rapport à ce sujet et l'un d'entre vous, M. Laffitte, a lui-même évoqué la possibilité d'introduire une forme de corégulation dans l'audiovisuel.
Toutes ces questions montrent bien que, si cette évolution rapide pose dans d'autres termes la responsabilité des opérateurs, des diffuseurs, en un mot de l'ensemble des entreprises publiques et privées, nous devons aussi trouver une méthode qui tienne compte de leurs intentions, de leur stratégie, même si, bien sûr, ils ont tendance à demander le maximum, nous l'avons bien constaté au moment de l'élaboration du Livre blanc : ils ont évidemment l'ambition d'occuper le plus grand espace possible sur ces nouvelles fréquences !
En même temps, j'y vois un signe de confiance et de dynamisme. Dans la mesure où le présent projet de loi prévoit une évolution permanente, l'objectif est bien que, au moment où il sera définitivement adopté et promulgué, nous soyons clairement fixés sur le calendrier et sur les modalités du passage de l'analogique au numérique hertzien.
Il nous faut aussi savoir que, dans un certain nombre de pays où l'on est parti « fleur au fusil », si je puis dire, en fixant un délai, les choses sont aujourd'hui beaucoup mois sûres. Il ne nous faut donc pas seulement tourner nos regards vers les pays où l'on a décidé de passer au numérique hertzien parce qu'ils auraient commencé avant nous ! En effet, premièrement, ces pays n'ont pas un développement satellitaire comme celui que nous connaissons en France ; deuxièmement, ils ne sont pas autant développés dans la diffusion accessible au public et, si le nombre de chaînes y est évidemment ouvert, il n'est pas encore très significatif par rapport au nombre de ménages desservis.
La stratégie que nous devons - et pouvons - avoir, c'est évidemment de nous engager dans cette voie en prenant en compte la nécessité de mettre cette technologie nouvelle au service de tous les publics sur l'ensemble du territoire, et ce le plus rapidement possible. Il faut pour cela être sûrs que nous pourrons financièrement mener à bien une telle stratégie, et la vérification économique qui a été évoquée à cette tribune est absolument indispensable.
Le rapport Hadas-Lebel pose un certain nombre de questions et fournit la synthèse des données qui étaient à la disposition de ses auteurs. Il reste que, avant de prendre des dispositions au niveau interministériel - avant de les soumettre en deuxième lecture au Parlement - nous procéderons à ces vérifications, car je souhaite vraiment que les entreprises françaises s'engagent en confiance.
S'agissant du numérique, mais aussi tout simplement de la production audiovisuelle, nous devons à tout prix associer non pas simplement les diffuseurs, mais aussi les entreprises de production. J'ai bien entendu à ce sujet vos interventions fort pertinentes, sur toutes les travées de cet hémicycle, et j'ai bien enregistré le souci unanime du Sénat vis-à-vis des entreprises de production française.
Vous avez eu raison de dire qu'il y a eu réduction du volume de la fiction commandée par les chaînes publiques. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, l'explication est toute simple : à partir du moment où a été amorcé un cycle de diminution de la dynamique financière des chaînes publiques, l'incertitude budgétaire a régné, car les objectifs de progression des recettes publicitaires, trop ambitieux, n'ont pu être atteints, alors que, dans le même temps, les moyens budgétaires étaient en progression.
Il s'agit, aujourd'hui, de retrouver un équilibre économique vertueux pour l'ensemble du groupe au moment où il va être constitué. J'approuve entièrement, à ce sujet, le propos de vos rapporteurs, MM. Hugot et Belot, sur la nécessité de bien garantir le socle financier, en particulier par rapport à la réduction de la publicité. Nous le prouvons dès le budget 2000 avec la baisse de deux minutes du temps de diffusion de la publicité, qui sera évidemment complétée par les moyens nécessaires en 2001 pour l'application de la loi lorsque la publicité baissera de quatre minutes, cette compensation incluant le coût de production des trois cent cinquante heures libérées par la publicité.
Reste le milliard de francs supplémentaire nécessaire. Certains orateurs parlaient de 1,5 milliard de francs supplémentaires, ou plutôt de 1 milliard de francs supplémentaire par rapport à ces 1,5 milliard de francs, et d'autres de plusieurs dizaines de milliards de francs. Je veux simplement vous rendre attentifs au fait que après avoir entrepris le redressement de la SFP, nous abordons de front le plan de développement pour favoriser l'entrée dans l'ère du multimédia de l'AFP.
Pour la première fois - je vous invite à vous référer au passé - nous franchissons une étape significative en dotant les entreprises audiovisuelles de moyens budgétaires importants. La volonté politique a bien été marquée par le Gouvernement avec les propositions de compensation intégrale de l'exonération de redevance, avec le milliard de francs que nous pouvons préserver hors compensation directe de la baisse de la publicité pour favoriser les programmes et le développement du groupe France Télévision.
Reste, comme l'a souligné M. Belot, la question de la capitalisation. Lorsque le groupe sera porté sur les fonts baptismaux, il faudra poser la question, car on ne peut pas imaginer fonder une nouvelle société sans la garantir, tout comme on ne peut imaginer que France Télévision sorte d'une économie par trop administrée pour devenir une économie d'entreprise sans prévoir en même temps un budget de développement qui ne soit pas simplement imputé sur une sorte de compte d'avance, risquant ainsi de créer à terme un déficit si l'on n'arrive pas à dégager des recettes commerciales et à avoir suffisamment de crédits. Autrement dit, la visibilité économique est nécessaire pour prévoir et planifier l'investissement.
Dans ce contexte, nous devons être attentifs à l'économie de l'ensemble du secteur et prendre en considération les entreprises de production qui vont être dotées, par le biais de ce milliard de francs supplémentaire et grâce à la compensation des crédits budgétaires, l'ensemble des ressources publiques augmentant, des crédits nécessaires.
Sur un point, je suis en désaccord avec M. Pelchat : les obligations de production doivent aussi rester des obligations auxquelles souscrivent les chaînes publiques et les entreprises publiques de ce point de vue, on ne peut introduire de différence et la taxe qui alimente le compte de soutien permet d'apporter les 500 millions de francs que j'évoquais pour les entreprises de production.
Vous avez beaucoup insisté sur l'importance du développement de la production audiovisuelle. C'est un enjeu à la fois économique et culturel. Au demeurant, la stratégie d'un certain nombre d'entreprises a parfois été déterminée beaucoup plus par la convergence technologique, mais cette approche, qui était celle de la Commission depuis quelques années, a changé. Souvenez-vous du Livre vert sur la convergence, laquelle n'était pas perçue comme une convergence de médias ! Et, dans les différents colloques qui ont eu lieu récemment, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, on s'interrogeait toujours pour savoir si le Net, par exemple, était un média. Mais si l'on en discutait encore il y a peu, la récente absorption de Time Warner par AOL a montré qu'en réalité nous sommes bien dans ce cas. Il faut donc nous prémunir. C'est pourquoi il faudra - j'en suis d'accord - y compris hors de la loi, donner des moyens nouveaux.
Si j'ai souhaité engager la mise en oeuvre, sur proposition parlementaire - mais nous en étions d'accord - du fonds de modernisation de la presse, c'est pour accélérer le processus permettant à la presse d'accéder à ces technologies multimédia.
J'ai demandé au directeur du CNC de réfléchir à des propositions sur le soutien à la création multimédia, car je considère qu'aujourd'hui les jeunes entreprises ne sont pas suffisamment aidées. Même si ce que nous avons entrepris avec Christian Pierret est positif - je remercie ceux qui l'ont souligné - cela ne suffit pas à impulser une accélération permettant de répondre efficacement à la demande.
Nous avons la même conception de la place et des missions du service public, la même ambition pour notre télévision et notre radio. Nous avons quelques divergences sur les moyens mais une très grande convergence sur l'objectif.
Nous affinerons notre analyse sur la précision que nous pouvons apporter, car, selon que j'en discute avec la commission ou avec mes collègues, la vision de cette précision ou, au contraire, du caractère plus synthétique ou plus général n'est pas la même.
Ce que je crains, c'est qu'à vouloir être trop synthétique on ne nous dise que le tri se fera en fonction de ce qui est rentable ou non, et, finalement, ce ne sera plus dans le service rendu sur l'ensemble du champ à l'ensemble des publics que l'on pourra aborder la bonne définition, à mon sens, du service public.
En fait, nous sommes parfaitement d'accord sur le fond. Reste cette question stratégique qui a amené l'Assemblée nationale à retenir une option et le Sénat à prendre l'option contraire. Le débat nous permettra sans doute d'approfondir cette question.
La Cinquième a été largement évoquée à cette tribune. Comme son appellation complète l'énonce clairement, elle a été conçue, sur l'initiative de cette Haute Assemblée, comme une chaîne publique dont la mission est de développer pour tous l'accès à la connaissance, à la formation professionnelle et au savoir.
Anticipant de façon très clairvoyante les développements actuels des réseaux, elle se donnait d'emblée pour objectif, sur proposition de MM. les sénateurs Laffitte et Trégouët, d'offrir ses programmes sur l'ensemble des fenêtres de la société de l'information : l'écran hertzien mais aussi les services interactifs diffusés par voie satellitaire ou sur Internet.
La banque de programmes et de services, la BPS, préfigure de tels dévelopements, qui sont à destination, aujourd'hui, des institutions sociales ou éducatives et, demain, des usagers individuels.
Je m'inscris pleinement dans cette intention et cette finalité.
Pour vraiment dissiper la crainte qui peut être, aujourd'hui, celle des personnels sortant d'un processus de fusion avec Arte et qui vont se retrouver dans le groupe France Télévision, je dirai que, si le Parlement suit le Gouvernement, les différentes chaînes qui composent le groupe garderont leur identité éditoriale, qu'il y aura toujours trois « guichets » - France 2, France 3, La Cinquième - et non pas un seul, pour le financement des programmes. Il y aura trois entités, trois sociétés auxquelles s'adressent et pourront continuer de s'adresser les entreprises de production.
Ce que nous souhaitons, c'est que l'on cesse de programmer aux mêmes heures des programmes concurrents, que soit instaurée une certaine harmonisation pour atteindre le maximum d'audience avec l'ensemble des programmes des trois chaînes, que soient évités ces effets que nous avons constatés et qui ont d'ailleurs été dénoncés à cette même tribune.
On peut mesurer aujourd'hui combien les acquis de La Cinquième sont porteurs d'avenir. La vocation de La Cinquième doit être développée. Selon moi, doit être mis au service de cette diffusion de la culture et des savoirs par La Cinquième l'ensemble du patrimoine de nos établissements publics. Le rapprochement a été fait entre la BNF et la BPS. Il y a bien, là aussi, une similitude. La numérisation de nos collections nationales, leur mise en valeur - je pense à tout ce que fait le Louvre - doivent être mis à profit par La Cinquième et la BPS.
La présence de La Cinquième dans la holding sera donc pour elle une nouvelle chance. Les personnels me semblent prêts à cet enrichissement de leurs programmes. Il ne faut pas s'en faire un monstre et il ne faut évidemment pas diluer La Cinquième. Au contraire, la force de La Cinquième, son intérêt dans le groupe, seront de garder une configuration active, efficace, réactive, prospective et très axée sur les missions éducatives.
Arte a également été largement évoquée. S'agissant du débat avec nos partenaires allemands et le président Plog, je veux donner quelques dates pour bien situer le contexte.
Le 20 octobre 1998, le CSA a donné son avis sur le projet de loi. Le CSA ne s'est pas prononcé sur le projet de fusion.
Le 5 novembre 1998, nous avons eu l'avis du Conseil d'Etat, qui a approuvé le projet. Nous n'avons donc pas eu d'observation sur une quelconque non-conformité de l'intégration de La Cinquième-la Sept-Arte au groupe France Télévision.
Le 17 février dernier, une résolution était votée par le conseil de surveillance de la Sept-Arte, a l'unanimité des membres présents, pour apporter le soutien au président dans toutes les démarches qu'il pouvait entreprendre pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur l'urgence à trouver une traduction législative au processus de fusion engagé par le Gouvernement et lui-même dès avril 1997, après le changement de majorité.
Le 27 mai 1999, le texte était discuté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le 28 mai était nommé le nouveau président commun de France 2 et France 3.
Le 30 juin, lors de l'assemblée générale du GEIE d'Arte, le président informait l'assemblée du lancement par le comité de gérance d'expertises juridiques sur la compatibilité du projet de loi et du traité interétatique créant Arte.
C'est ainsi que j'ai été amenée à découvrir les objections. Ces expertises ont eu lieu ; nous avons demandé les nôtres ; nous avons constaté que nous avions une divergence de vue sur la conformité du texte de loi au traité.
Mais, comme il y avait désaccord, j'ai formulé un certain nombre de propositions qui allaient dans le sens d'un éclaircissement pour rassurer nos interlocuteurs et nos partenaires.
Néanmoins - je l'ai dit dans mon propos introductif - j'ai constaté aussi que toutes les objections ne seraient pas levées et que, si nous allions dans le détail de tout le fonctionnement quotidien, se poserait non plus simplement la question de l'intégration de la Sept-Arte-La Cinquième dans le groupe France Télévision mais aussi celle de la fusion.
Dès lors, nous nous trouvions dans une situation où nous pouvions discuter longtemps.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaitais vraiment venir devant votre assemblée avec une vision claire et une réponse précise, notamment vis-à-vis de nos partenaires, car je crois que l'on ne peut pas laisser un débat de ce type durer trop longtemps. Je connais suffisamment bien le partenariat franco-allemand pour savoir qu'à un moment donné, pour le bon équilibre de ce partenariat, il faut sortir d'une discussion et, s'il y a difficulté, apporter des solutions.
Je souhaitais pouvoir devant votre assemblée, annoncer la décision prise. Celle qui a finalement été retenue, sur ma proposition, par le Premier ministre donne toutes ses chances, sur le plan européen, à Arte, à son développement, et ce en toute clarté, même si je considère que les conditions pouvaient être réunies aussi dans le groupe.
Dans la mesure où nous donnerons à Arte les moyens nécessaires, où nous les garantiront, où nous serons présents, la chaîne ne subira pas de conséquences négatives, bien au contraire.
Je partage totalement le souhait exprimé à cette tribune par Mme Pourtaud d'un foisonnement des télévisions de proximité. J'adhère à sa volonté d'aider financièrement les associations qui utilisent les médias audiovisuels pour lutter contre l'exclusion ou tout simplement pour améliorer la qualité de vie et les rapports entre les citoyens. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen des amendements.
Mme Pourtaud a, bien sûr, exprimé son attachement à la télévision publique mais aussi à la radio publique. Le Sénat a souhaité accroître les ressources de Radio France dans le récent débat budgétaire et, aujourd'hui encore, à cette tribune, a été rappelée l'importance des radios locales de Radio France.
Monsieur Delfau, on ne peut pas accuser Radio France de dérive commerciale. La publicité est en effet limitée, sur son antenne, aux messages institutionnels. Le parrainage ne dépasse pas 5 % de son budget. Cela étant, nous sommes extrêmement vigilants. J'ai entendu l'exemple que vous avez cité, qui a suscité des réactions. S'il n'y a pas, en principe, de problème, il faut toujours veiller à ce que le principe soit tout à fait respecté. Par conséquent, je comprends parfaitement votre préoccupation.
Une autre dimension importante de la révolution numérique est évidemment Internet. M. Pelchat a insisté sur la nécessité d'organiser la responsabilité des prestataires techniques d'Internet. Je reviendrai ultérieurement sur cette question en m'exprimant sur son amendement.
Je veux simplement insister, un instant, sur le fait que cette loi est aussi une loi de liberté d'Internet, une loi de liberté de communication sur Internet, et ce au travers de deux dispositions : la suppression de la déclaration préalable des sites sur Internet, qui est un signe de confiance dans la maturité démocratique de nos concitoyens, et la distinction entre la responsabilité première du contenu de la communication sur les réseaux, celle des auteurs-éditeurs, et la responsabilité des prestataires techniques, qui ne doivent pas être considérés comme des juges du contenu.
Certains, parmi vous, se sont interrogés sur l'articulation entre communication audiovisuelle et Internet ou, plus généralement, la société de l'information. Nous travaillons simultanément à l'élaboration de la loi sur la société de l'information. J'ai toutefois souhaité et j'ai demandé à M. le Premier ministre que nous puissions ne pas aborder la question de la télévision numérique terrestre dans le cadre de cette loi, parce que je pensais que cela pénaliserait le débat que nous devons avoir sur l'évolution de l'audiovisuel.
Si nous en étions restés à l'audiovisuel analogique classique, en nous posant simplement les questions qui étaient initialement posées dans le texte qui a été remplacé par celui que je vous propose, nous n'aurions pas eu, je crois, un débat complet. C'est la raison pour laquelle j'ai sollicité cet arbitrage. Je l'ai obtenu, ce qui suppose en effet une cohérence entre la préparation de la loi sur la société de l'information et les dispositions qui seront prises en matière numérique.
M. Hérisson a tenu à bien distinguer éditeurs indépendants et distributeurs dans les bouquets satellites et les offres des câblo-opérateurs. Les éditeurs indépendants ne parviennent pas à trouver leur public dans la mesure où les distributeurs préfèrent favoriser leur propre chaîne. La question s'est d'ailleurs posée récemment.
Le projet de loi prévoit donc un contrôle du CSA sur la composition des offres. Aller au-delà serait peut-être porter une atteinte excessive à la liberté du commerce. Nous aurons sans doute à en discuter dans le détail un peu plus tard.
Je voudrais enfin répondre à M. Poniatowski, qui a évoqué la nomination du président de France Télévision et qui a parlé des décrets qui découleront du vote de ce projet de loi par le Parlement.
Monsieur Poniatowski, les entreprises sont d'ores et déjà associées à la création de la future holding, car nous devons là aussi travailler en temps réel et être les plus efficaces possible. J'ai d'ailleurs demandé à M. Tessier de commencer à y réfléchir. Cela se fait de façon extrêmement interactive et, monsieur le sénateur, s'il n'y a pas négociation des décrets, parce qu'un décret ne se « négocie » pas, la réflexion est engagée pour tenir compte de la réalité de France Télévision.
Le futur président ne pourra juridiquement être nommé par le CSA que lorsque les textes constitutifs de la future holding seront publiés. Aussi est-ce dès aujourd'hui que nous travaillons à leur rédaction.
Vous souhaitez que cette loi sur l'audiovisuel soit rapidement mise en oeuvre. Il ne faut pas laisser de temps de latence, il ne faut pas laisser planer des incertitudes. C'est la raison pour laquelle nous avançons le plus rapidement possible.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir traité, du moins je l'espère, des questions essentielles. Je reconnais que ma réponse n'est pas exhaustive ; mais je vous apporterai d'autres éléments d'information lors de la discussion des amendements.
J'ajoute, à l'intention de M. Delfau, qu'il existe une instruction fiscale spécifique pour les radios associatives. Cette instruction est en cours de révision afin de préciser les conditions et les modalités d'exonération des charges fiscales et sociales des radios associatives. Ce dispositif relève non pas de la loi, mais de la circulaire. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi ne comporte aucune disposition nouvelle sur ce sujet.
Je vous remercie une fois encore, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos interventions. J'ai d'ores et déjà pu en tirer beaucoup de considérations et de réflexions, qui contribueront à la finalisation de ce texte. (Applaudissements.) M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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