Séance du 13 décembre 1999







M. le président. Par amendement n° II-9, M. Haenel, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, après l'article 71, un article additionnel ainsi rédigé :
« A partir du 1er janvier 2000, il est établi dans chaque juridiction une comptabilité retraçant le détail des dépenses de frais de justice criminelle, correctionnelle et de police engagées par dossier d'instruction.
« Les comptabilités sont transmises chaque année pour contrôle aux présidents des chambres d'accusation compétentes.
« Un décret fixe les modalités d'application du présent article. »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Ces dernières années, les dépenses de frais de justice ont connu une croissance telle que vous avez vous-même, madame la ministre, fait procéder à une enquête sur les causes de leur forte augmentation.
Une grande partie de ces dépenses apparaissent inéluctables du fait de la technicité indéniablement croissante des affaires et du recours beaucoup plus systématique aux expertises et contre-expertise.
Toutefois, une liste de dysfonctionnements a été dressée, qui concerne principalement les dépenses de fourrières et de scellés ainsi que les réquisitions aux opérateurs de télécommunications, que l'on appelle plus prosaïquement les écoutes téléphoniques.
Toute une série de réformes a donc été mise en oeuvre pour éviter certains gaspillages.
Pour autant, à l'heure actuelle, les chefs de juridiction, les chefs de cour et les présidents de chambre d'accusation ne disposent d'aucun outil leur permettant d'exercer un suivi des dépenses de frais de justice engagées par chacun des cabinets d'instruction de leur ressort.
Cette situation apparaît d'autant plus paradoxale, madame la ministre, que vous avez multiplié depuis trois ans les actions d'évaluation des services.
Les dépenses de frais de justice ne doivent pas rester à l'écart de ces réformes, qui visent à améliorer, à moyens constants, la qualité des services rendus par une responsabilisation de tous les acteurs de la justice et par l'introduction de certaines réformes dans le domaine de l'organisation et de la méthode.
Pourtant, il n'existe aujourd'hui aucune comptabilité permettant de connaître le montant des dépenses de frais de justice engagées par un juge d'instruction pour une affaire déterminée. On pourrait dire la même chose du juge d'application des peines, du juge des enfants, etc.
C'est pourquoi la commission des finances propose, à titre expérimental, de rendre la tenue d'une telle comptabilité obligatoire. Cette proposition n'a pour objectif que d'évaluer le coût d'une instruction, de permettre certaines comparaisons entre affaires de nature similaire, de compléter et d'affiner le tableau de bord dont se dotent ou devraient se doter les chefs de cour et de juridiction, mais aussi les présidents de chambre d'accusation.
Cette proposition de la commission des finances s'inscrit dans la réflexion menée dans le cadre de l'Ecole nationale de la magistrature sur la responsabilisation des magistrats et sur la nécessaire évaluation à laquelle doit consentir tout magistrat pour ne pas se laisser gagner par l'excessive culture du précédent.
Mme l'avocat général Commaret a parfaitement mis en lumière la nécessité de procéder à cette évaluation dans une note de synthèse sur l'école. Ce rapport mériterait, madame la ministre, d'être porté à la connaissance de tous les magistrats pour cette raison, mais aussi pour d'autres raisons.
Tel est le sens, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de cet amendement n° II-9 de la commission des finances.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cet amendement aborde un sujet extrêmement important : la maîtrise des frais de justice.
Il prévoit, selon son exposé des motifs, un dispositif tendant à éviter une dérive supposée du coût des instructions.
Je rappelle d'abord que la maîtrise des frais de justice est justement l'un des grands succès de la gestion de mon ministère en 1999.
Jusqu'en 1997, ces frais augmentaient de 8 % par an. Un premier ralentissement, limitant la hausse à 5 %, avait été obtenu en 1998. Mais, en 1999, nous avons obtenu la stabilisation, c'est-à-dire en réalité une baisse en francs constants : par rapport aux crédits votés, nous avons ainsi réalisé 100 millions de francs d'économies.
Ce résultat sans précédent a été obtenu grâce à une révision du coût de garde des scellés, une renégociation des tarifs de certaines prestations avec France Télécom, la mise en place d'un visa obligatoire des parquets sur les devis présentés par les experts, mais aussi et surtout grâce à une mobilisation des magistrats du fait de la mise en place de contrats de gestion.
Il s'agit de donner un supplément de crédits de fonctionnement aux cours d'appel qui ont fait des économies sur les frais de justice. Et cela marche ! En 1998, quinze cours d'appel sur trente-trois ont eu leur bonus ; en 1999, on est passé à vingt-deux. Certaines cours particulièrement mobilisées ont même obtenu des baisses de plus de 10 % des frais de justice.
Ces chiffres montrent que nous n'avons pas eu besoin de mesures de contrainte pour obtenir des résultats. La responsabilisation des prescripteurs de la dépense est une méthode qui s'est révélée plus efficace.
S'agissant de la mise en place d'une comptabilité analytique, je crois, comme vous, que nous devons et que nous pouvons progresser. Nous allons d'ailleurs nous en donner les moyens avec le déploiement progressif, à partir de 2000, du nouveau logiciel national des régies des tribunaux, regina.
Le ministère, comme vous le savez, achève le déploiement du logiciel gibus de gestion des crédits budgétaires déconcentrés, la prochaine étape est celle des dépenses des régies. J'observe que cet outil, lorsqu'il sera en place, nous permettra d'aller plus loin que ce que prévoit l'amendement, puisqu'il donnera le détail des dépenses pour toutes les procédures et pas seulement pour les instructions.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable à ce que figure dans la loi une telle disposition, qui serait d'ailleurs inapplicable pour l'année 2000 et qui relève plus de la bonne gestion administrative que de la loi de finances.
Il est très important que, tout en mettant en place la modernisation informatique du ministère, nous montrions bien que nous ne souhaitons pas mélanger le contrôle juridictionnel et le contrôle administratif et financier.
Je ne suis donc pas favorable à cet amendement. Je reconnais certes que le problème posé doit être résolu, mais je préfère qu'il le soit par d'autres méthodes.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Cette question a été abordée en commission des finances à l'occasion de l'examen des crédits du ministère de la justice. Je ne disposais pas des précisions que vous venez de donner à l'instant, madame la ministre, et qui devraient, me semble-t-il, donner satisfaction à mes collègues.
Des efforts ont été faits dans ce domaine, mais il reste des progrès à faire. Il faudrait notamment que les présidents de chambre d'accusation soient invités à examiner plus attentivement la situation dans les cabinets d'instruction, et pas seulement dans le cadre de la « notice trimestrielle ».
Les jeunes juges d'instruction méritent d'être guidés et conseillés. On nous apprenait autrefois que le président de la chambre d'accusation était en quelque sorte le « tuteur » des juges d'instruction. Si mon maître, le professeur Vitu, tenait aujourd'hui de tels propos, les réactions seraient certainement diverses et variées !...
Quoi qu'il en soit, compte tenu des précisions que vous venez de donner, madame la ministre, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° II-9 est retiré.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la justice.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures.)