Séance du 9 décembre 1999







M. le président. Nous reprenons l'examen des dispositions du projet de loi concernant l'agriculture et la pêche.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Flandre.
M. Hilaire Flandre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les changements intervenus dans la présentation du budget de l'agriculture et de la pêche rendent difficiles les comparaisons avec les années antérieures : transfert du BAPSA au budget des charges communes, pour un montant d'environ 4 milliards de francs ; suppression du compte spécial du Trésor du Fonds forestier national, pour 417 millions de francs ; réintégration des fonds de concours, pour 21 millions de francs, et des dépenses au titre des activités d'ingénierie des agents des directions départementales de l'agriculture et de la forêt, pour 481 millions de francs. Tout cela entraîne quelques bouleversements qui rendent effectivement les comparaisons délicates.
Cependant, hors BAPSA et à périmètre constant, on peut considérer que le budget de l'agriculture et de la pêche pour 2000 est à peu près l'équivalent de celui de 1999. Dans les circonstances présentes, ce n'est déjà pas si mal !
De plus, cette nouvelle présentation améliore la sincérité des comptes et en facilite effectivement la compréhension, je vous en donne acte, monsieur le ministre.
Par ailleurs, on peut saluer la poursuite de l'effort d'ajustement des effectifs, l'administration centrale se consacrant plus spécifiquement à ses missions d'animation, d'orientation et de coordination, d'une part, et les besoins du terrain, qu'il s'agisse de l'enseignement agricole, du nouvel établissement public « Haras nationaux » ou tout simplement de la mise en place des CTE, étant pris en compte, d'autre part.
C'est le résultat d'une politique qui est suivie depuis une dizaine d'années et qui est confirmée.
Cela étant, votre budget, monsieur le ministre, avec 29 milliards de francs, ne représente qu'à peu près le sixième des dépenses totales qui sont consacrées à l'agriculture et à la forêt, BAPSA compris.
Ce constat pourrait nous conduire à penser que c'est ailleurs qu'il nous faut faire porter nos efforts. Pourtant, nous estimons que c'est bien au sein de votre ministère que doivent être engagées des actions limitées en nombre mais ciblées pour orienter et préparer l'agriculture du xxie siècle ou, tout au moins, de la décennie qui vient. Or, là, je crois que le compte n'y est pas.
Je ne sais pas, monsieur le ministre, quel mauvais sort vous poursuit, mais force m'est de constater que des intentions louables à l'origine se transforment, après être passées par le creuset de votre administration, en constructions monstrueuses (M. le ministre sourit), aussi complexes que des raffineries et fécondes en effets pervers. Je vous en donnerai quelques exemples.
Les contrats territoriaux d'exploitation, tout d'abord, ont été et restent la grande idée de la loi d'orientation agricole. Cette idée partait de la volonté des jeunes agriculteurs de voir reconnues et rémunérées les activités qu'ils accomplissent, de façon naturelle, dans leur contribution au maintien, à la sauvegarde des paysages, du patrimoine et, tout simplement, de la vie dans le milieu rural.
Etant agriculteur, j'ai eu moi-même l'occasion, en dehors de tout cadre juridique, spontanément et bénévolement, de participer au déneigement de petites voies communales, de faucher les bas-côtés de ces mêmes voies, d'élaguer les haies le long des chemins, d'entretenir les berges de la rivière qui irrigue notre territoire, comme l'ont fait sans doute des centaines de milliers d'agriculteurs de petites communes, contribuant ainsi à y rendre la vie agréable et à permettre à leurs habitants de circuler.
Parler de petites communes peut paraître pour certains anachronique, voire incongru. Pourtant, il s'agit de la réalité vécue par des millions de nos concitoyens. Les petites communes ont su trouver, en effet, dans la solidarité et le bénévolat, les ressources nécessaires pour faire face aux problèmes que les grandes villes sont bien incapables de résoudre par ailleurs.
Face à la désertification et aux difficultés nouvelles que rencontrait l'agriculture, il pouvait se révéler nécessaire de légiférer et de réglementer en matière de multi-fonctionnalité de l'agriculture. Tel fut le souhait du CNJA, repris, monsieur le ministre, par vos prédécesseurs dans leurs projets, MM. Vasseur et Le Pensec, et repris bien naturellement par vous-même dans la loi d'orientation agricole.
Quelques mesures simples, réglementaires ou fiscales, auraient dû suffire pour faire face à ce nouveau problème. Je suis un farouche partisan de la simplicité. Mais, au lieu de cela, on a construit un système complexe, propre à décourager les meilleures volontés ; la circulaire explicative des CTE est un modèle du genre. Finalement, son seul mérite est d'être un soporifique efficace pour les nuits d'insomnie. (Sourires.)
Plus grave encore est sans doute le moyen de financement retenu. En 1999, le financement avait été assuré par des redéploiements - vous nous aviez fait part de la nécessité d'aller vite - qui avaient conduit à la disparition du fonds de gestion de l'espace rural, lequel pourtant avait fourni les preuves de son utilité, à l'amputation des crédits OGAF ou des crédits des offices, et déjà, à l'amputation du fonds pour l'installation en agriculture.
Pour l'an 2000, c'est la même logique et la même technique qui sont maintenues : disparition du fonds pour l'installation en agriculture et amputation des crédits affectés à la dotation aux jeunes agriculteurs.
Monsieur le ministre, on ne peut pas se fixer comme priorité l'installation des jeunes agriculteurs et, dans le même temps, supprimer les crédits spécifiques d'incitation à l'installation. Le CNJA, qui a milité pour les CTE, mesure aujourd'hui sa déconvenue.
L'erreur est humaine, dit-on, mais la persévérance dans l'erreur est diabolique ! (Rires et exclamations sur les travées socialistes.)
Je citerai un deuxième exemple du dévoiement des bonnes idées : la taxe sur les produits phytosanitaires. Certes, cela ne figure pas dans votre budget et je sais que ce n'est pas à votre ministère qu'il faudrait s'adresser, mais les agriculteurs sont concernés et il y a une solidarité gouvernementale.
L'idée de taxer, donc de freiner, l'utilisation de produits dangereux pour la santé, n'est pas stupide en soi, mais à deux conditions.
Tout d'abord, ne doivent être taxés que les abus, car, pour reprendre un adage bien connu : tout est poison ; ce n'est qu'une question de dose. (M. le ministre sourit.)
Ensuite, le produit de cette taxe doit servir à financer des actions de prévention : collecte et destruction des emballages vides ou simplement des produits non utilisés ; réglage et entretien des pulvérisateurs ; création de magasins de stockage adaptés et sécurisants. Ainsi, en encourageant la disparition de la pollution, on aboutit, à terme, à la disparition de la taxe.
Or qu'en est-il ? En taxant dès le premier gramme utilisé, vous renchérissez les coûts de production, pollueurs ou non, et vous instituez, par là même, une sorte de droit à polluer. Et affectant le produit de cette taxe au fonds de compensation des allégements des charges prévus par la deuxième loi sur les 35 heures, on aboutit tout simplement à faire financer par une catégorie de travailleurs qui ne comptent ni leur peine ni leur temps de travail la diminution du temps de travail que l'on a promise à d'autres.
Le troisième exemple concerne la modulation des aides. Là encore, la présentation schématique, un peu démagogique, qui en a été faite relève sans doute d'un louable sentiment : prélever sur les « gros » pour donner un peu plus aux « petits ». Mais cela mérite réflexion. Vous viendrait-il à l'idée par exemple de diminuer les subventions d'équilibre de la SNCF ou de la RATP pour soutenir les artisans taxis ? Pourtant c'est bien cette idée qui sera retenue pour l'agriculture.
Je rappellerai, d'abord, qu'il existe dans notre pays des systèmes de redistribution qui s'imposent à tous, y compris aux agriculteurs : il s'agit de l'impôt sur le revenu, de l'impôt de solidarité sur la fortune et des droits de transmission de biens à titre gratuit.
Ensuite, les compensations européennes ont été instituées lors de la réforme de la PAC en 1992 pour « compenser » de façon partielle les baisses de prix décidées par Bruxelles. Il s'agissait tout simplement de faire payer par le contribuable ce que le consommateur ne voulait plus supporter. Ces compensations ont été reprises dans le cadre de l'Agenda 2000 ; c'est ce que l'on appelle le « paquet Santer ».
L'effet de ces mesures sur les comptes des agriculteurs a été considérable - je tiens à votre disposition les calculs effectués en la matière si vous le souhaitez - et les revenus n'ont pu se maintenir ou retrouver un niveau normal qu'au prix d'un effort de productivité extrêmement important. Dans le même temps, cela s'est traduit par la disparition de plus d'un tiers des exploitations dans notre pays, lesquelles ont été victimes d'une certaine course à l'agrandissement.
Je souhaite formuler deux remarques à propos de la modulation : d'une part, une telle mesure décidée dans un seul pays de la Communauté crée des distortions de concurrence avec nos partenaires de l'Europe ; d'autre part, les agriculteurs les plus concernés sont, bien évidemment, ceux qui se sont spécialisés dans les productions de céréales, d'oléagineux ou de protéagineux, faute souvent de pouvoir assurer d'autres productions telles que les betteraves, les pommes de terre ou les fruits et légumes de plein champ.
Ces exploitants se situent bien souvent dans des zones intermédiaires ou dans des zones périphériques sur des sols plus ingrats : en Lorraine, en Bourgogne, dans une partie du Centre, en Poitou-Charente ; il ne s'agit pas, à proprement parler, de zones qui ont la réputation d'être les plus prospères en termes d'agriculture.
Certes les agriculteurs ne souhaitent pas figer les choses. Leurs organisations avaient même plaidé pour une certaine dégressivité des aides au fur et à mesure que des gains de productivité se produisaient. Mais, là encore, la précipitation de vos décisions, commandée par la nécessité de trouver des financements pour les CTE, fait craindre que vous ne fassiez erreur, monsieur le ministre.
Le ministère de l'agriculture et de la pêche, comme l'enfer, est pavé de bonnes intentions. Malheureusement, il lui manque le bon sens paysan : on se plaisait à souligner que ces gens-là ne pouvaient raisonner de travers parce qu'ils étaient trop peu instruits.
Vouloir installer davantage de jeunes pour assurer le renouvellement des générations part d'une bone idée, mais ne relève ni de l'incantation ni de la réglementation. Donnez à l'agriculture des perspectives d'évolution de carrière et de revenu et aussi des retraites décentes au terme d'une vie de labeur, et vous verrez alors se découvrir des vocations.
Enfin, je me permettrai un dernier conseil en utilisant cette expression un peu triviale : « Lâchez-leur les baskets ! » L'excès d'administration est une calamité permanente pour l'agriculture. Il faut y porter remède. Je crains malheureusement que tel ne soit pas le chemin choisi. C'est bien dommage à la fois pour l'agriculture et pour notre pays. C'est pourquoi je voterai contre le budget de l'agriculture et de la pêche. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite aborder la crise du secteur des fruits et légumes en Provence et plus particulièrement dans les Bouches-du-Rhône, département que je représente au Sénat.
Monsieur le ministre, vous déclariez récemment qu'aucun producteur ne devait être abandonné sur le bord de la route. Je ne voudrais pas que cet objectif, aussi sincère soit-il, ne demeure qu'un voeu pieux. En effet, 1999 restera une année noire pour les producteurs agricoles et le secteur des fruits et légumes sort véritablement sinistré de cet été, vous le savez. Les pertes sont énormes, notamment pour le melon, la tomate, les pêches ou les courgettes.
Les effets de cette crise seront particulièrement pénalisants dans les Bouches-du-Rhône, tant y est important le poids économique de ce secteur. En effet, il faut savoir que les fruits et légumes représentent 74 % de la valeur des livraisons agricoles du département et qu'ils concernent 40 % des exploitations agricoles.
Dès lors, aucun rattrapage n'est plus possible. Le chiffre d'affaires des exploitations va fortement chuter cette année, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer, pour les exploitants bien sûr, mais également pour l'environnement économique qui va en subir les retombées tout au long des prochains mois.

En 1999, plus encore qu'au cours des années précédentes, la loi de l'offre et de la demande a joué à fond, entraînant une forte baisse des prix sur la plupart des produits. Pour de nombreux fruits et légumes, les cours se situent en dessous du prix de revient.
Alors que tous les opérateurs auraient dû se mobiliser pour tenir le marché, on a assisté à une offensive de la grande distribution, soucieuse de profiter d'un rapport de force qui lui était favorable. Il n'est pas besoin de revenir sur les actions que les producteurs de fruits et légumes ont menées, afin que le Gouvernement prenne bien conscience de la gravité de la crise. On connaît les suites de ce bras de fer : les producteurs obtiendront un double étiquetage et l'ouverture de négociations sur des pratiques commerciales qui font des ravages en agriculture. Nous aimerions, avec votre appui, monsieur le ministre, voir disparaître ces pratiques.
La profession tout entière s'est mobilisée pour que l'engagement de l'Etat soit à la hauteur du sinistre. Elle a notamment accéléré la mise en place de la structure « Nutrition méditerranéenne », dont l'objet est de permettre à la production départementale de sortir de la spirale concurentielle pour se placer sur le seul terrain de la qualité des produits.
Par ailleurs, la chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône, très engagée aux côtés des producteurs, vient de faire des propositions. Elle est prête à en débattre avec les pouvoirs publics, forte du soutien des élus politiques du département qui, sur ce dossier, quelles que soient les sensibilités, se retrouvent sur une position consensuelle : la consolidation du secteur des fruits et légumes dans notre département.
Ce département, vous ne l'ignorez pas, monsieur le ministre, est fortement industrialisé et urbanisé, mais il doit maintenir une présence agricole. Il y va de son équilibre : c'est l'enjeu des prochaines années, voire des prochains mois. Permettez-moi de vous demander de nous aider à relever le défi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je consacrerai les quelques minutes de mon temps de parole à aborder briè-vement trois questions qui font l'objet de préoccupations sur le terrain : les retraites agricoles, l'enseignement agricole, les relations agriculture, agroalimentaire et grande distribution.
S'agissant des retraités, depuis 1997, un effort sans précédent est accompli en faveur des retraites des non-salariés agricoles : pour une durée de carrière de 37 ans et demi, un chef d'exploitation percevra 3 200 francs par mois en 2000, une veuve 3 000 francs un conjoint de chef d'exploitation 2 400 francs. La volonté de rattraper un grand retard est bien là. Cependant, avec l'évolution des besoins et des charges, beaucoup de retraités agricoles, après une dure vie de labeur, vivront encore très chichement.
De plus, lorsque l'on connaît le coût actuel des hébergements en maisons de retraite et en foyers-logements, on mesure le décalage entre les sommes à payer et le revenu mensuel des retraites agricoles.
Monsieur le ministre, vous êtes très attentif à cette question des retraites. Vous avez confié un rapport sur le sujet à notre collègue député Germinal Peiro.
Par ailleurs, vous avez évoqué l'idée de création d'une retraite complémentaire pour les agriculteurs. Le secteur de l'agriculture est aujourd'hui le seul à ne pas avoir de régime complémentaire d'assurance-vieillesse. Des décisions devront être prises au cours de l'année 2000.
Je suis, comme de nombreux parlementaires, favorable à une accélération de la réalisation en quatre ans du plan quinquennal et à la mise en place d'un régime complémentaire dès 2002.
Monsieur le ministre, je souhaite qu'à l'occasion de ce débat budgétaire vous puissiez nous indiquer les orientations et le calendrier que vous entendez suivre sur ce dossier.
En ce qui concerne l'enseignement agricole, là aussi, vous avez montré un réel intérêt personnel. L'effort budgétaire en faveur de la formation a été souligné par plusieurs de mes collègues. Nous souhaitons que vous puissiez faire reculer les situations de précarité dans les enseignements public et privé.
En Bretagne, nous sommes souvent interrogés par les personnels de l'enseignement agricole privé qui attendent, avec une impatience de moins en moins contenue, des réponses à leurs démarches relatives au déroulement de leur carrière et principalement à l'alignement des conditions de départ à la retraite sur celle de l'enseignement général.
Vous avez scrupuleusement respecté l'équilibre mis en place par la loi Rocard en 1984 entre l'enseignement agricole et privé.
Sur ce problème du régime temporaire de retraite de l'enseignement privé, ou RETREP, déjà évoqué ce matin par mon ami Bernard Piras, qui connaît fort bien cette question, vous avez saisi le Conseil d'Etat afin de savoir si la loi Rocard peut autoriser le Gouvernement à mettre en place le RETREP ou si une modification législative s'impose.
Pourriez-vous nous présenter un calendrier prévisionnel indiquant ainsi votre volonté de trouver une solution à ce problème d'équité ?
Enfin, en ce qui concerne les relations avec la grande distribution, les difficultés relationnelles entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution sont apparues nettement à l'occasion des crises sectorielles que nous avons connues ces derniers mois.
Lors de la table ronde sur les enjeux de l'agriculture française que Lionel Jospin et vous-même avez réunie le 21 octobre dernier, a été affirmée la volonté de moderniser l'organisation économique des producteurs et de mettre en oeuvre une régulation des relations commerciales avec la grande distribution.
Il s'agit là d'un enjeu essentiel.
Des groupes de travail sur la qualité des produits, sur les pratiques commerciales, sur le double étiquetage se réunissent et préparent des assises de la distribution.
Pourriez-vous, ici encore, nous préciser le calendrier de travail de cette réflexion ? A quel moment se tiendront les assises de la distribution ? Quelles suites entendez-vous leur donner ?
Monsieur le ministre, je vous remercie des réponses que vous voudrez bien m'apporter et, bien entendu, comme mes amis du groupe socialiste, je vous exprime, à mon tour, toute ma confiance. (Applaudissements sur les travées des socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le ministre, le projet de budget 2000 pour l'agriculture et la pêche s'inscrit dans un contexte particulier sur les plans national, européen et international.
Les négociations de l'OMC engagées à Seattle ont montré, certes, l'échec de cette rencontre, mais également la détermination de la France, comme celle de nos partenaires, à défendre un modèle agricole européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle. Votre projet de budget réaffirme ces principes et les acquis des accords de Berlin.
Hier soir, le Gouvernement a réexaminé le dossier de la viande britannique. Je me félicite que le principe de précaution ait prévalu et que le Premier ministre ait pris la décision de surseoir à la levée de l'embargo, malgré les menaces de la Commission. Garantir la sécurité et la qualité de nos aliments est un impératif absolu.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, c'est d'abord le budget de la rénovation de l'activité agricole. Il s'élève, pour 2000, à un peu plus de 29 milliards de francs, en progression de 3 % par rapport à 1999.
La politique agricole doit prendre en compte les fonctions économiques et sociales de l'agriculture et participer à l'aménagement du territoire en vue d'un développement durable.
Il est légitime de rétribuer l'agriculture pour les services non marchands qu'elle rend à notre société, qu'ils soient de nature environnementale, paysagère, sociale ou culturelle. Le contrat territorial d'exploitation, créé par la loi d'orientation agricole, va permettre de privilégier cette approche globale et innovante de l'exploitation. A cet égard, 950 millions de francs sont inscrits pour la signature des premiers CTE ; ils seront également accompagnés d'un financement européen.
C'est aussi un budget de priorités clairement affichées, avec des efforts soutenus en faveur de l'enseignement, de l'installation des jeunes et de la transmission des exploitations, de la sécurité alimentaire et de la traçabilité, de la forêt et de la retraite des agriculteurs. Il permettra ainsi de répondre aux attentes légitimes de la profession et des consommateurs. L'enjeu est important.
Les crédits sont en hausse sur chacun de ces domaines. Ainsi, la qualité et la sécurité alimentaires bénéficient d'une hausse de 6 %, avec 921 millions de francs. Transparence et précaution sont des principes à appliquer par l'ensemble des acteurs, pouvoirs publics et professionnels des filières agroalimentaires. Traçabilité, assurance, qualité, labellisation sont des éléments clés de la prévention des risques.
De même, une augmentation de 4 % et la création de 379 emplois sont constatés pour l'enseignement et la recherche agricole. Cette progression constitue un effort exceptionnel, avec une dotation de 7 milliards de francs.
Pour la politique d'installation et de transmission, il est imaginé de nouvelles modalités pour favoriser l'entrée dans le métier d'agriculteur de jeunes hors du cadre familial. Un dispositif nouveau, mis en oeuvre sur un CTE spécifique, offre ainsi de nouvelles perspectives aux candidats.
Enfin, c'est surtout le budget de l'anticipation et de la vision prospective de notre agriculture.
Monsieur le ministre, vous réaffirmez une grande ambition pour notre agriculture en soutenant son rôle économique et sa contribution majeure au développement rural et à l'aménagement du territoire.
Dans ce chapitre, j'insisterai, monsieur le ministre, sur deux points qui me touchent particulièrement, à savoir la lutte contre les pollutions et les mesures agrienvironnementales.
La mise aux normes du bâtiment d'élevage participe à une nécessaire et indispensable reconquête de la qualité de l'eau. Les besoins dans ce domaine sont importants et un effort considérable a déjà été entrepris depuis 1993. Pour 2000, il sera soutenu. Cependant, il est nécessaire d'en faire une évaluation en recherchant la plus grande efficacité et en définissant les priorités. Compte tenu de l'importance des moyens à mobiliser, un indispensable examen d'étape est nécessaire afin de recadrer la hauteur des investissements et d'orienter nos interventions sur les zones sensibles et prioritaires. J'ai personnellement suivi la mise en place des mesures agrienvironnementales, MAE, dont le CTE va aujourd'hui prendre le relais. Je peux témoigner de leurs succès en tant que président du parc naturel régional de l'Avesnois, région de bocage. Nous avons cependant réagi, au sein de la fédération des parcs naturels régionaux, à la circulaire d'application, en particulier à son annexe 4, qui ne nous semble pas être en continuité avec les MAE.
En effet, l'étude de terrain montre que l'agriculteur se verra proposer des mesures plus contraignantes qu'avec les MAE, et pour des rémunérations inférieures.
Monsieur le ministre, je souhaite une circulaire moins stricte et plus fidèle aux textes des versions préparatoires, qui autorise plus d'adaptation réelle au niveau départementale. Le succès des CTE se fera sur leurs réelles capacités à prendre en compte les différences fondamentales de problématiques agricoles qui existent à travers les territoires qui composent la France, et non en proposant des mesures nationales, difficilement adaptables localement.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, répond aux principales préoccupations des professionnels et des consommateurs, tout en reconnaissant la multifonctionnalité de ce secteur et la légitimité des agriculteurs comme garants et acteurs indispensables du territoire.
Il conforte le modèle agricole français et européen, celui d'une agriculture performante et dynamique, bien répartie sur tout le territoire, une agriculture qui répond aux aspirations nouvelles en matière économique, de qualité de produits, d'environnement et d'emploi.
C'est aussi une agriculture au service d'une industrie agroalimentaires sûre et aux productions de qualité, qui participe à l'expansion de nos marchés mondiaux.
C'est encore une agriculture diversifiée valorisant au mieux ses potentialités pour un développement durable et équilibré.
C'est enfin une agriculture au service d'un territoire et des hommes qui y vivent, conduite par des hommes bien formés.
Votre projet de budget est réaliste, monsieur le ministre, et illustre l'ouverture des chantiers annoncés dans la loi d'orientation agricole et pour lesquels l'engagement de notre groupe ne fera pas défaut. Nous le voterons. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Gérard. M. Alain Gérard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je vous l'ai déjà dit tout à l'heure, et d'autres orateurs avant moi, l'agriculture bretonne traverse aujourd'hui l'une des crises les plus graves de son histoire. Plusieurs secteurs de production subissent simultanément des difficultés d'une ampleur jamais connue. C'est le cas des secteurs du porc, de la volaille, des oeufs et des légumes.
Dans le département du Finistère, plus de 15 % des agriculteurs sont surendettés, dont 10 % à plus de 100 %, et le nombre d'installations de jeunes agriculteurs ne cesse de diminuer, pour se situer à son plus bas niveau historique : deux cents installations cette année, contre cinq cents en 1990.
Or, que constate-t-on ?
Le projet de budget que vous nous proposez, monsieur le ministre, supprime 300 millions de francs de la dotation au fonds pour l'installation en agriculture et de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs pour abonder le fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation. Ce n'est pas une surprise. Nous l'avions en effet annoncé lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole. Votre dogmatisme l'a donc emporté sur la nécessité de soutenir l'installation en agriculture. (M. le ministre sourit.) C'est regrettable et, surtout, grave pour l'avenir.
Des défis, monsieur le ministre, l'agriculture bretonne va devoir en relever, à commencer par son secteur porcin.
Ce n'est pas la première crise porcine que nous vivons, mais celle-ci n'a laissé aucun répit à nos agriculteurs, et les cours ne sont jamais tombés aussi bas.
Il y a un an déjà, cette crise frappait les producteurs bretons de plein fouet. Au cours des deux années de crise, l'élevage breton perdait en moyenne 600 000 francs.
Devant ce désastre économique et social de toute une région, des mesures d'aides d'urgence aux éleveurs s'imposent.
Alors que la filière porcine française compte 23 000 exploitations, qui représentent un chiffre d'affaires de 24 milliards de francs, soit 7,5 % des livraisons agricoles françaises, quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ?
Qu'en est-il d'un allègement des cotisations sociales afin d'éviter d'amplifier les difficultés en sortie de crise ?
Qu'en est-il d'un allègement des charges financières afin de soulager la trésorerie des éleveurs ? Qu'en est-il d'un paiement des cotisations en fonction des prélèvements réels des agriculteurs, et non en fonction du revenu agricole, qui reste en partie dans l'exploitation agricole ?
Je vous demande, par ailleurs, si vous envisagez une intervention auprès des instances européennes. En effet, alors que les différents pays de l'Union européenne ne sont pas soumis aux mêmes exigences dans les domaines de l'environnement, du bien-être animal et de la fiscalité, notamment, les décisions de la Commission européenne de supprimer la restitution spéciale vers la Russie et d'arrêter le stockage privé n'ont fait qu'aggraver la chute des cours et la situation économique et sociale de nombre de nos éleveurs.
De plus, d'après les prévisions de la Commission européenne, la production porcine européenne a augmenté de 6 % en 1998 par rapport à 1997, soit 11,2 millions de porcs produits en plus. Cette augmentation a connu une traduction différente selon les pays : la France, avec une augmentation de 2,9 %, se situe loin derrière les Pays-Bas, - plus 26,6 % - le Danemark - plus 7,6 % - l'Espagne, - plus 6 % - et l'Allemagne - plus 4,5 %.
La production porcine française a donc nettement moins augmenté en 1998 que chez ses voisins européens. Cette augmentation s'explique, en outre, davantage par des gains de productivité que par des extensions d'élevage, ce qui n'est pas le cas des autres pays tels que le Danemark et l'Espagne, qui ont de réels objectifs de croissance de la production à moyen terme, sans que leurs éleveurs soient confrontés aux mêmes contraintes environnementales, sociales ou fiscales.
Par conséquent, monsieur le ministre, quelles sont les mesures que vous envisagez en faveur d'une filière qui totalise, en Bretagne, 23 900 emplois directs ?
Des défis, l'aviculture bretonne va devoir également en relever.
Cette filière représente 40 % de l'aviculture française, soit 4 500 exploitations, 20 000 emplois directs et 65 % de la production exportatrice. De plus, elle contribue à l'excédent de notre balance commerciale pour 3,5 milliards de francs.
Or cette filière connaît, elle aussi, une grave crise, avec, en un an, une chute des revenus de plus de 30 % qui menace un très grand nombre d'exploitations et risque de provoquer, sur l'ensemble du territoire breton, la suppression de centaines d'emplois.
Jusqu'au premier semestre de cette année, les exportations et la production demeuraient soutenues grâce aux restitutions qui étaient accordées. En outre, de nombreux consommateurs avaient choisi des produits avicoles de préférence à d'autres.
Mais il se développe en Europe et sur les marchés tiers une concurrence nouvelle et très sévère des éleveurs des Etats-Unis et du Brésil, dont les prix de revient sont moindres pour les raisons évoquées précédemment.
La présence de dioxine a également détourné des consommateurs de ce type de produit. Aujourd'hui, il faudrait trouver des débouchés pour 300 000 tonnes de poulets, faute de quoi beaucoup d'éleveurs seront au bord de la faillite.
De plus, je constate que le Gouvernement n'a pas souhaité ou n'a pas été en mesure d'obtenir des négociateurs de l'OMC la prise en compte des questions non commerciales telles que la protection de l'environnement, le maintien d'un système d'aides à l'exportation et le maintien des restitutions pour la période transitoire. Les négociations ont donc échoué, et Seattle n'est plus.
Plus concrètement, revenons-en à cette crise qui frappe durement la Bretagne !
Qu'en est-il de la mise en place d'un plan social permettant aux éleveurs les plus âgés de quitter la profession ?
Qu'en est-il des soutiens de trésorerie sous forme d'aides directes aux agriculteurs, de prises en charge des cotisations sociales ou des mesures spécifiques pour les récents investisseurs ?
Qu'en est-il d'une protection tarifaire efficace concernant les importations des viandes de volaille rentrant dans la composition des viandes transformées ? Qu'en est-il du maintien des aides à l'exportation ?
Face à la persistance des difficultés structurelles et conjoncturelles de ce secteur, mais aussi pour tous ceux qui refusent le déclin d'une activité économique indispensable à l'équilibre de notre région, il est urgent que vous répondiez à toutes ces questions, monsieur le ministre.
La filière agricole et agroalimentaire bretonne attend autre chose que de simples décisions ponctuelles aux effets limités. le Gouvernement doit enfin prendre la mesure de l'ampleur de cette crise et donner à cette filière les moyens nécessaires pour traverser cette passe difficile et pour préparer l'avenir. C'est cela aussi la solidarité nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Jacques-Richard Delong, président de la fédération des communes forestières de France, va, dans quelques instants, se faire l'écho, de manière éloquente, de nos préoccupations en matière budgétaire.
Pour ma part, je voudrais vous interroger sur les textes que vos collègues du Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, préparez en matière forestière et qui ne nous concernent pas moins que le devenir du Fonds forestier national et du versement compensateur, je veux parler, bien entendu, de la loi forestière et de la loi de transposition de la directive Habitats, plus connue sous le nom Natura 2000.
Il convient, par rapport à ces deux textes, de mettre en facteur une notion essentielle : la gestion durable de nos forêts. Il est inutile d'insister sur le rôle essentiel que joue la propriété forestière communale, ces 2,6 millions d'hectares de forêts qui appartiennent à 11 000 communes françaises, gérés de longue date en liaison avec l'administration des eaux et forêts, devenue ONF, Office national des forêts, dans une optique en tous points compatible avec ces préoccupations modernes, j'allais dire éternelles, que résume ce terme de « gestion durable » : protection de la ressource, des sols, des eaux, des milieux forestiers fragiles, et multifonctionnalité de cette forêt, qui doit néanmoins continuer à sécréter les ressources financières qu'en attendent légitimement les collectivités publiques propriétaires.
Dans les deux cas, qu'il s'agisse de la loi forestière ou de la loi de transposition, vous savez, monsieur le ministre, que les communes tiennent par-dessus tout à l'unicité de ce document de gestion qu'est l'aménagement forestier. Nous insistons sur le maintien de cette expression, à l'exclusion de toute autre formulation, dans le cadre de la loi. C'est pour nous la pierre angulaire de l'édifice juridique en construction, ou, plutôt, en rénovation.
Nous ne nous plaignons pas de la concertation qui s'est engagée depuis des mois avec vos services pour la préparation de la loi forestière. Nous avions nous-mêmes demandé que soit actualisé le code forestier, qui date de Charles X, et que soient notamment améliorés et diversifiés les modes de vente de l'ONF pour le compte des communes. Nous sommes satisfaits de voir reprises, à la suite du rapport Bianco, deux idées auxquelles nous tenons, à savoir le développement du bois-énergie et la place de la forêt dans les territoires ruraux. Nous concourons, à cet égard, aux expérimentations lancées par votre ministère dans le cadre du groupe de travail sur la forêt paysanne pour des opérations pilotes d'aménagement et de gestion concertés de l'espace rural.
Nous demandons votre appui dans les négociations en cours sur l'article 221-6, pour améliorer, en liaison avec les chambres d'agriculture, le financement de la formation et de l'information des élus forestiers. Leur participation sera indispensable si nous voulons mobiliser, comme le préconise le rapport Bianco, 2 millions de mètres cubes supplémentaires d'ici à dix ans.
Nos inquiétudes portent sur la disparition de la taxe de défrichement, onéreuse peut-être dans son recouvrement, mais efficacement dissuasive à l'égard de ceux qui veulent substituer à la forêt des activités plus immédiatement rémunératrices, et qui menacent à terme l'équilibre de la nature.
Enfin, nous vous demandons de procéder avec nous à une analyse sérieuse des activités non marchandes liées à la forêt. Pourrons-nous continuer à faire supporter par le seul produit ligneux le financement de toutes ces activités de détente, de loisir et, tout simplement, de respiration, indispensables aux êtres humains que nous sommes ?
Certes, le projet de loi de transposition, dit Natura 2000, relève du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, donc de Mme Voynet, mais ne soyez pas absent, monsieur le ministre, des travaux en cours sur ce projet de loi, qu'il s'agisse des contrats d'objectifs ou de la directive Oiseaux, vous qui êtes notre protecteur naturel. (Sourires.)
Vous savez que la fédération des communes forestières de France s'est associée au groupe des Neuf, qui a proposé une rédaction pour l'article L. 214-4 du projet de loi. Nous voulons que cette rédaction soit dans la loi, non dans les décrets d'application. La position de votre collègue nous inquiète à ce sujet, comme d'ailleurs sur un certain nombre d'autres sujets.
S'agissant, par exemple, du document interprétatif de l'article 6 de la directive Habitats, tel qu'il nous a été transmis au comité national du 26 octobre dernier, nous craignons, notamment, une extension de facto de la surface des sites Natura 2000, en raison d'une formulation pour le moins ambiguë aux termes de laquelle « des mesures pourront être prises en dehors des zones spéciales de conservation, les ZSC, par exemple si des événements extérieurs peuvent avoir un impact sur les espèces et les habitats à l'intérieur de la ZSC ». Que se cache-t-il derrière ce brouillard verbal ?
Nous voulons être associés à toute expérimentation et nous avons demandé à passer une convention avec le ministère de l'environnement. Le nombre important de sites forestiers classés en Natura 2000 justifie notre démarche.
Enfin, monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre position sur l'écocertification, dont on peut penser ce que l'on veut, et notamment qu'elle peut donner lieu de la part de certaines ONG, organisations non gouvernementales, à une sorte de racket rampant. Par rapport au système FSC, Forest Stewardship Council , émanant, entre autres ONG, du World Wide Fund , nous avons soutenu les propriétaires de forêts privées dans leur tentative de créer un système PEFC, Pan European Forest Certification , qui a l'avantage d'être endogène sinon indigène. (Sourires.) Il nous faut maintenant le « vendre », si je puis dire, aux importateurs, aux fabricants de meubles, au grandes surfaces. Nous aiderez-vous dans cette tâche, monsieur le ministre ? Et, plus largement, continuerez-vous à nous accompagner dans cette définition d'une vraie stratégie forestière, qui comporte, certes, la modernisation du régime forestier, mais aussi des moyens financiers suffisants pour l'amont comme pour l'aval de la filière ? Si oui, vous aurez droit à notre gratitude, par-delà nos différences politiques. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Delong.
M. Jacques-Richard Delong. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes propos vont compléter ceux qui viennent d'être tenus par mon ami M. Yann Gaillard. En fait, j'assume la suite de son exposé.
Comme la plupart des acteurs de la filière forêt-bois-papier, la fédération nationale des communes forestières, que j'ai l'honneur de présider, a accueilli avec satisfaction et espoir la publication du rapport de M. Jean-Louis Bianco sur la forêt française. Elle a relevé, avec la même satisfaction, que la plupart des propositions ont été reprises dans la stratégie forestière à l'horizon 2015 que vous avez arrêtée le 8 juillet 1999, après une large concertation à laquelle notre fédération a participé.
Votre volonté affirmée de définir et d'engager une politique forestière ambitieuse pour notre pays se confirme sans ambiguïté dans les propositions budgétaires que vous avez arrêtées pour l'année 2000. Aussi, je souhaite que le Parlement vous donne les moyens que vous demandez pour mettre en oeuvre votre politique.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Très bien !
M. Jacques-Richard Delong. Mon intervention vise à exprimer les craintes des communes forestières à partir de 2001 sur l'évolution du versement compensateur et sur la disparition du fonds forestier national, qui sont les deux principaux instruments de la politique forestière dans les forêts communales.
Monsieur le ministre, vous connaissez notre attachement au régime forestier qui, depuis cent soixante-douze ans, a permis de conduire une politique forestière cohérente dans toutes les forêts communales, petites ou grandes, riches ou pauvres, par un gestionnaire unique, l'administration des eaux et forêts, puis, depuis 1966, l'Office national des forêts.
Comme toutes les institutions d'un âge certain, ce système mérite peut-être de subir une cure de rajeunissement mais, en dépit des contraintes subies par les communes dans le passé, celles-ci en perçoivent aujourd'hui les fruits.
Les résultats sont en effet éloquents. Par exemple, la production de bois d'oeuvre en forêt communale a presque doublé au cours des cinquante dernières années, passant de 2,5 millions à 4,5 millions de mètres cubes.
Le rapport Bianco prévoit une mobilisation supplémentaire de 2 millions de mètres cubes dans un délai de cinq ans. Globalement, cette proposition nous paraît réalisable mais une mobilisation préalable des élus sera nécessaire par la formation, l'information et une pédagogie appropriée, ce que nous avons commencé à faire depuis trois ans. Le rôle majeur joué actuellement par les communes forestières dans l'approvisionnement de la filière forêt-bois-papier serait donc sensiblement accru.
L'entrée en vigueur de la certification forestière dès l'année 2000 entraînera inéluctablement des dépenses nouvelles pour les communes propriétaires. Dans ce domaine, les forêts publiques françaises, en particulier les forêts communales, auront valeur d'exemple et l'autosatisfaction ne sera pas de mise. C'est non seulement une nécessité mais aussi une source de contraintes et de procédures. A la demande des adhérents de notre fédération, l'ONF se fera certifier ISO 9000 ; je ne vous donnerai pas la traduction en anglais.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Tant mieux ! (Sourires.)
M. Jacques-Richard Delong. Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le ministre !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Delong.
M. Jacques-Richard Delong. Nous sommes convaincus que cet outil de contrôle de qualité sera très utile, non seulement pour l'ONF et son organisation interne, mais aussi pour les communes forestières en tant que partenaire privilégié.
Les communes forestières sont prêtes à relever ces défis mais n'admettraient pas que les effets d'intensification de la sylviculture, de mobilisation des bois et d'amélioration de la gestion durable se traduisent par la diminution du versement compensateur dès l'année 2001, et ce après une remise à niveau partielle en 2000 à hauteur de 957 millions de francs TTC.
Les communes forestières n'ont jamais demandé l'aumône à l'Etat. Elles affirment que ce dernier retrouve largement sa mise par le biais de la TVA et se réjouissent à l'avance - voyez comme nous sommes bons - de voir augmenter les recettes fiscales au bénéfice du ministère des finances si la mobilisation des bois en forêt communale s'accroît. En effet, un million de mètres cubes de bois d'oeuvre génère six milliards de chiffre d'affaires et 1,2 milliard de francs de TVA. La mise en marché de deux millions de mètres cubes supplémentaires de bois couvrirait très largement le montant du versement compensateur, puisqu'elle représenterait près de trois fois ledit montant.
L'équilibre financier de l'Office national des forêts a été fragilisé depuis 1996 et du fait de l'épuisement quasi total de sa provision pour variation de conjoncture, l'établissement serait en situation délicate si les cours des bois fléchissaient brutalement de 10 à 12 %. Après une cure d'amaigrissement aussi rigoureuse, quel remède pourrait-on administrer en une telle circonstance ? Et il ne s'agit pas là d'un malade imaginaire !
Outre les produits ligneux qu'elles fournissent à l'économie nationale, les communes forestières rendent des services non marchands à la collectivité qui ne sont rémunérés par personne, tels que l'accueil du public, la protection de la flore et de la faune - c'est une très lourde responsabilité - la lutte contre l'effet de serre, la protection des ressources en eau, etc.
Il est de l'intérêt national de conforter le régime forestier, qui est plus que jamais garant d'une gestion forestière communale durable, beaucoup moins onéreuse et plus efficace que celle des pays voisins. Le désintérêt de l'Etat pour les forêts communales, se traduisant par la diminution du versement compensateur, entraînerait l'éclatement de l'organisation actuelle et, à coup sûr, une régression de la qualité de la gestion et de la mobilisation des bois.
En ce qui concerne le Fonds forestier national, le FFN, le Gouvernement a décidé, pour des motifs de compétitivité de l'ensemble de la filière et de simplification fiscale, qu'il ne figurerait plus au nombre des comptes d'affectation spéciale du Trésor.
Si les communes forestières admettent que la taxe alimentant le FFN grevait la compétitivité de la filière, elles se garderont cependant d'applaudir à une diminution des crédits de ce fonds. Elles ont, en effet, le devoir de rappeler que le FFN a été, pendant cinquante ans, un outil performant pour l'amont de la filière bois. C'est bien son efficacité qui explique pour partie la très forte augmentation des récoltes de bois en forêt communale et le passage de la superficie de la forêt française de 11 millions à 15 millions d'hectares. L'aval de la filière bénéficie aujourd'hui des efforts passés en matière de reboisement et de réalisation d'équipements de desserte des massifs.
Les communes ont déploré le désastre engendré par sa réforme précitée, en 1991, due à une décision de Bruxelles ou de la Cour de justice de Luxembourg - je ne me le rappelle plus très bien - qui s'est traduite d'abord dans les chiffres, puis sur le terrain.
En effet, les crédits de reboisement affectés aux communes forestières sont passés de 93 millions de francs en 1990 à 43 millions de francs en 1992, puis à 10 million de francs seulement en 1997, ce qui constitue à peine une aumône. Par ailleurs, le taux moyen d'aide aux travaux d'investissement est passé de 35 % pour la période 1980-1989 à 25 % pendant la période 1990-1998.
Cela étant, l'effort financier global de l'Etat en faveur de la forêt dans l'optique du projet de budget pour 2000 est indubitablement important. Mais les communes s'interrogent sérieusement sur la constance de l'Etat et sur sa volonté, voire sa capacité de maintenir son apport financier à un niveau équivalent au-delà de l'échéance de 2002. Si nous sommes obligés de raisonner sur le long terme, c'est qu'il nous faut cent quarante ans pour faire un hêtre et cent quatre-vingts ans pour faire un chêne. Nous travaillons à si longue échéance que des garanties portant sur quelques années représentent un infime détail. Le compte d'affectation spéciale du Trésor du FFN avait l'énorme avantage d'assurer la pérennité des financements dont la forêt a besoin ; n'a-t-on pas lâché un peu trop rapidement la proie pour l'ombre ?
Il est désormais démontré que les parlementaires devront se mobiliser chaque année lors des discussions sur le projet de loi de finances. Cela est peut-être bénéfique pour la sensibilisation des élus de la nation à la cause forestière, mais sans garantie de résultats...
Je vous propose, monsieur le ministre, pour éviter que la forêt ne tombe rapidement dans le silence qu'elle engendre et l'oubli dont elle souffrirait, de confier à la commission des finances du Sénat l'examen annuel des crédits affectés à la forêt. Ce serait tout à la fois lui rendre justice et donner un gage de pérennité des peuplements forestiers et de l'économie de la filière forêt-bois-papier.
La forêt n'est pas seulement, comme on le pense généralement, un espace boisé abritant une flore et une faune particulièrement riches - parfois même trop riches - et source d'une activité économique qui en fait le plus gros employeur de France, après l'éducation nationale toutefois, avec 550 000 emplois pour l'ensemble de la filière bois.
La forêt joue aussi un rôle primordial, essentiel, capital dans la purification de l'air que nous respirons. En effet, la forêt, lieu de stockage du carbone par absorption du dioxyde de carbone, est le plus important de tous les écosystèmes terrestres. Le stock de carbone présent dans la biomasse forestière équivaut à six années d'émissions françaises de gaz carbonique. Chaque année, ce stock s'accroît de 15 millions de tonnes, ce qui représente la neutralisation de 15 % de nos émissions de gaz carbonique. La forêt est la seule réserve de carbone que l'homme puisse accroître tout en créant une richesse nationale et des emplois. Par conséquent, elle constitue le seul facteur de prévention d'un accroissement de l'effet de serre.
Face à ce constat, la forêt française s'étend grâce à la politique forestière intelligente engagée au siècle dernier - en 1827 exactement - et constamment perfectionnée depuis. Ainsi, de 20 000 à 25 000 hectares sont reboisés chaque année. Nous vous proposons, monsieur le ministre, au nom des communes forestières de France, de mener une politique plus hardie de reboisement permettant, en quinze ans, un accroissement de la superficie forestière de l'ordre d'un million d'hectares. Cela signifierait que, au bout de cinquante ans, la masse de carbone stocké sur pied s'élèverait à 34 millions de tonnes, correspondant au dégagement de 91 millions de tonnes d'oxygène. Quant à l'émission de carbone fossile évitée par la substitution du bois à une énergie fossile, elle représenterait 8,5 millions de tonnes, et le carbone stocké dans le sol 38 millions de tonnes.
Ces chiffres, qui sont extrêmement importants, proviennent des études publiées par l'INRA en 1998 dans l'ouvrage intitulé : Prospectives : la forêt, sa filière et leur lien au territoire. En fait, la France rejetant actuellement 100 millions de tonnes de carbone sous forme de gaz carbonique, cet accroissement d'un million d'hectares de la superficie forestière permettrait la fixation d'une quantité supplémentaire de gaz carbonique représentant 2 % du total actuel, qui s'ajoutera au stockage assuré grâce aux quinze millions d'hectares de forêts existants.
Je n'hésite pas à affirmer, monsieur le ministre, et je le fais avec l'approbation unanime du bureau national des communes forestières, que le ministère du budget ne dispose probablement pas des compétences biologiques et biochimiques qui lui permettraient de juger de la santé des Français et, au-delà, de celle de la France et des nations qui l'entourent. Qu'on laisse la forêt tropicale à sa vocation médiatique mais pourrissante, et qu'on s'occupe du sol qui se trouve sous nos pieds ! (M. Bernard Piras sourit.)
Nous ne vous demandons pas d'argent, monsieur le ministre, aucune subvention, mais donnez aux communes qui, pour des raisons fiscales, peuvent le faire, la possibilité légale d'étendre la forêt aux espaces abandonnés. Accordez-nous le concours de l'ONF, outil indispensable techniquement et sans cesse en but, cependant, aux critiques d'économistes aux yeux desquels l'oxygène est gratuit. Donnez-nous la possibilité, pour racheter les sols tombés en déshérence, de contracter des prêts à trente ans...
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Jacques-Richard Delong. ...sans subvention, mais avec un taux d'intérêt égal à celui de la dépréciation monétaire officielle, soit 1 %, et ensuite convainquez vos collègues que, pour vivre, il faut respirer, ce qui n'est pas encore forcément enseigné à l'Ecole nationale d'administration. (Rires.)
Voilà, monsieur le ministre, ce que je voulais vous dire. Notre proposition est pratique, elle est morale, elle est sociale, et j'ajouterai qu'elle est honnête. Notre politique forestière est la plus efficace en Europe, peut-être au monde, c'est la politique de l'air pur sans les hormones, au naturel. (M. Bernard Piras s'esclaffe.)
Monsieur le ministre, lors du forum sur les industries du bois qui s'est déroulé à Paris le 28 octobre dernier, vous avez tenu les propos suivants, que vous reconnaîtrez sans doute : « Les relations entre les communes forestières et l'Office national des forêts ne sont pas que financières. Mais philosophiquement, je suis moi-même maire - c'est vous qui le dites ! -...
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je l'étais !
M. Jacques-Richard Delong. ... c'est compliqué, mais il va falloir qu'on bouge. »
C'est une très belle maxime - nous allons d'ailleurs l'afficher dans la salle des délibérations du bureau national des communes forestières (Rires) - quand on sait que les arbres sont immuablement stables ! Quand vous dites qu'il faut que l'on bouge, nous vous comprenons, mais j'irai plus loin encore, en disant qu'il faut non seulement que l'on bouge, mais que l'on s'emballe ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présentation de ce projet de budget me donne l'occasion de faire le point sur la politique agricole de la France et de traiter certains sujets d'actualité à propos desquels vous m'avez posé de nombreuses questions.
Je parlerai d'abord brièvement du montant des crédits de mon ministère, qui a donné lieu à de nombreuses analyses divergentes.
Il est vrai que, à périmètre constant, compte tenu du transfert de la subvention d'équilibre du BAPSA à un autre budget, ces crédits subissent une baisse de 0,3 % par rapport à 1999. Cependant, je souligne que les moyens propres du ministère de l'agriculture et de la pêche progressent, eux, de 3 %. En fait, comme vous le savez, cette baisse globale des crédits de mon ministère tient, pour l'essentiel, à l'allégement à hauteur de 900 millions de francs des charges liées à la bonification de prêts. J'imagine que tous les membres de cette assemblée se réjouissent de cette évolution, puisqu'elle est le signe que la situation économique s'est nettement améliorée et que les taux d'intérêts ont baissé.
En tout état de cause, la progression de 3 % des moyens propres de mon ministère relativise la portée d'affirmations selon lesquelles l'agriculture et la pêche ne seraient pas une priorité pour le Gouvernement. A tout le moins, les choses ne sont pas aussi claires que certains veulent bien le dire.
Par ailleurs, je voudrais évoquer les problèmes fiscaux et sociaux.
A cet égard, le Gouvernement s'en tient aux engagements pris et à la méthode définie lors de la discussion de la loi d'orientation agricole. Nous étions alors convenus de confier à des parlementaires une mission d'évaluation sur l'ensemble des problèmes fiscaux et sociaux, devant déboucher sur des propositions qui seraient prises en compte lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2001, c'est-à-dire au cours de l'année 2000.
Nous nous en tenons à ce programme. Ainsi, deux parlementaires, Mme Marre et M. Cahuzac, ont été chargés de ce dossier. Ils ont déjà beaucoup travaillé, et je pense qu'ils pourront, comme prévu, remettre leurs conclusions à la fin du premier trimestre de 2000. Nous pourrons donc nous en servir pour préparer le prochain projet de budget, car je tiens absolument à ce que les résultats de ce travail apparaissent dans le projet de budget pour 2001.
Je répondrai maintenant à l'intervention, ô combien remarquable, de M. Pelletier sur l'administration bureaucratique et paperassière, qui envahirait tout.
Evidemment, à l'époque où le système voulait que les aides soient proportionnelles au volume de la production ou au nombre d'hectares exploités, il était assez simple d'aller chercher son chèque à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt. Mais dès lors que l'on veut instaurer un système plus équitable de redistribution et mettre en place des contrats fondés sur la qualité des pratiques, sur le développement de l'emploi et sur le respect de procédures visant à améliorer les produits, les choses sont plus compliquées. Tel est le sens de la sophistication des démocraties.
D'une façon générale, notre droit est beaucoup plus complexe aujourd'hui qu'il y a un siècle, et notre droit rural n'échappe pas à cette règle, pas plus que notre fiscalité. Cela est lié, je le répète, à l'évolution de nos sociétés.
Néanmoins, je compte bien agir avec beaucoup de détermination pour que notre administration devienne moins pesante et que son emprise soit moins forte, et à cet égard votre aide me sera précieuse. Toutefois, nous ne devons pas non plus tomber dans la démagogie et prétendre que nous serions accablés par une masse énorme de paperasses incompréhensibles.
En outre, plusieurs d'entre vous ayant une origine agricole ou rurale, ils sont bien placés pour savoir que les agriculteurs, outre leur bon sens bien connu, ont une formation supérieure à la moyenne des Français. Pour s'installer en bénéficiant de la DJA, il faut une formation bac + 2, et c'est même souvent plus. La plupart des jeunes qui s'installent ont un micro-ordinateur et sont donc parfaitement à même de faire face aux demandes.
Certes, lire des extraits de circulaire est très parlant. Il faut cependant relativiser la tendance.
J'en viens à des sujets d'actualité, ce qui me permettra notamment de resituer ce débat budgétaire dans le temps, juste après la conférence de Seattle.
Plusieurs d'entre vous m'ont pratiquement sommé de m'expliquer sur mon absence à cette conférence. Le député François Guillaume, dont la finesse d'analyse et le sens de la nuance ont toujours fait merveille (Rires sur les travées socialistes) , parlait même de désertion, avec une pertinence que je veux saluer.
Sachez que cette absence était mûrement réfléchie, d'un point de vue politique, tant au sein du Gouvernement français qu'au sein de l'Union européenne. En effet, vous avez sans doute remarqué que, à l'approche de cette négociation, les Européens, les Français en particulier, avaient tenu à bien marquer que l'agriculture n'était qu'un des sujets à traiter et que le débat ne devait pas se focaliser sur elle. Notre volonté était d'élargir le plus possible.
Dès lors, nous ne voulions pas, par une présence massive des ministres de l'agriculture, donner l'impression inverse.
Le seul ministre de l'agriculture européen à s'être rendu à Seattle a été le ministre italien, pour des raisons liées à sa candidature à un poste très important, et cela ne lui a malheureusement pas réussi ! (Sourires.)
Quant au ministre finlandais, si de facto il a décidé de s'y rendre, d'un commun accord avec l'ensemble des ministres européens de l'agriculture, c'est parce qu'il préside le Conseil de l'agriculture.
De toute façon, quelle aurait été, là-bas, la place du ministre de l'agriculture ? Les couloirs ! En effet, siégeaient à la table de négociation du Conseil des affaires générales, le ministre du commerce extérieur, dont c'est le rôle, ou le ministre de l'économie et des finances et, parce que l'agriculture est un domaine intégré au niveau européen, le commissaire européen, M. Lamy.
J'aurais donc pu, moi aussi, aller devant les caméras. J'avoue que cela ne m'a même pas tenté.
M. Christian Bonnet. Pour cela, M. Bové était là !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Cela étant dit, je vous rassure, mes collaborateurs y étaient, et nous étions informés en permanence, par fax, par téléphone, par modem. Par ailleurs, François Huwart, qui a très bien joué son rôle, et Pascal Lamy, qui en a fait tout autant au nom de l'Europe, nous ont très scrupuleusement tenus informés.
Enfin, paradoxe des paradoxes, puisque tout s'est bien terminé, je ne vois pas pourquoi on regretterait mon absence ! (Sourires.)
M. Bernard Piras. Cela aurait été encore mieux !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. J'en viens maintenant au fond.
Comme Jean-Marc Pastor, je suis de ceux qui considèrent qu'il n'y a pas eu échec, car si échec il y a eu, il a été purement formel, dans la mesure où l'on n'a pas abouti à un accord.
Pour dédramatiser et relativiser, je rappelle que, pour l' Uruguay Round , il avait fallu trois conférences ministérielles pour se mettre d'accord sur un ordre du jour et un calendrier.
Je note, par ailleurs, que le commerce international se porte à merveille : il augmente de 9 % cette année, ce qui veut dire qu'il n'y a pas une crise des échanges internationaux qui exigerait des réponses d'urgence.
Donc, nous pouvons tranquillement continuer notre travail, d'autant que, à l'inverse du GATT, l'OMC continue : elle n'est pas morte à Seattle ; c'est une organisation pérenne, qui méritera d'être renforcée.
Nous devrons tôt ou tard reprendre les négociations. Les accords de Marrakech prévoyaient qu'on reprendrait les négociations agricoles le 1er janvier 2000. Convenons que c'est une date un peu théorique. Il est assez peu probable que cela recommence à cette date.
Ce sera la responsabilité du directeur général de l'OMC, M. Moore, de reprendre les travaux sur des bases nouvelles. Le gouvernement français est en effet très clair : il ne saurait être question de reprendre les travaux là où ils en étaient, c'est-à-dire sur des textes inacceptables. Ce qui était inacceptable le reste et ne peut, par conséquent, servir de base aux futures négociations.
Il faut donc dédramatiser et se préparer, avec la même fermeté, à des négociations qui devront tenir compte des leçons de Seattle, et, d'abord, de l'irruption des pays en voie de développement, qui ont dit de manière plus forte que jamais qu'ils ne pouvaient pas être traités, comme auparavant, par le mépris. L'OMC n'est plus le club des pays riches que le GATT était sans doute dans le temps. Les pays en voie de développement ont bien le droit - c'est le moins que l'on puisse faire pour eux ! -, d'être intégrés à cette négociation à part entière. C'est la première leçon.
La deuxième leçon, c'est que cette négociation doit avoir lieu dans la transparence. Il y a eu irruption de la société civile, du contrôle citoyen. J'allais presque dire, en plaisantant, à M. de Montesquiou que, si je n'y suis pas allé, c'est pour que les parlementaires, eux, puissent s'y rendre, le Gouvernement étant soucieux d'économiser les deniers du contribuable ! (Sourires.)
Plus sérieusement, il était utile que dix-sept parlementaires de toutes tendances participent à cette négociation, pour être informés.
Enfin, la présence de 700 organisations non gouvernementales a transformé l'opinion en acteur citoyen de cette négociation d'une manière qui me paraît très positive.
Par ailleurs, et c'est la troisième leçon, de nouveaux sujets ont fait irruption à Seattle qui resteront durablement inscrits dans la négociation. Il en va ainsi de la nécessité de prendre en compte les pays en voie de développement, les problèmes liés à l'environnement, les normes sociales - sujet difficile qui, si on le traite avec trop d'arrogance, comme l'ont fait les Etats-Unis, peut braquer les pays en voie de développement - certains sujets agricoles, comme la multifonctionnalité ou le principe de précaution, autant de sujets qui ont commencé à être mis sur la table des négociations et qui, d'une manière ou d'une autre, y resteront. Le gouvernement français est, en tout cas, déterminé à aller dans ce sens.
Je voudrais maintenant évoquer un sujet d'actualité, c'est, bien sûr, l'embargo sur le boeuf britannique.
Le Gouvernement a pris la décision que vous savez hier soir. C'est une décision de maintien de l'embargo à ce stade, dans l'état actuel des choses. Pourquoi ? Parce que, depuis le début, le Gouvernement s'est inscrit dans une logique de sécurité sanitaire pour le consommateur et de principe de précaution comme mode de gestion du risque.
Lorsque l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, mise en place l'an dernier sur une initiative parlementaire, et notamment sénatoriale, a donné son premier avis négatif, à la fin du mois d'août, le gouvernement français a annoncé qu'il refusait de lever l'embargo et qu'il demandait des garanties supplémentaires sur cinq points : la traçabilité, les tests, les contrôles, les produits dérivés et l'étiquetage.
Après une réaction très vive de la Commission et des Britanniques qui ne vous a sans doute pas échappée, nous avons pu engager des conversations, des négociations, des discussions au niveau des scientifiques et des experts avec les Britanniques et la Commission, et nous avons, sur ces cinq points, fait bouger les choses, c'est-à-dire obtenu des garanties supplémentaires.
D'ailleurs, l'AFSSA a pris acte de ces données nouvelles. Mais son nouvel avis, même s'il n'était pas aussi directif que le premier, qui nous avait conduits à donner un avis défavorable à la levée de l'embargo, a cependant été mitigé, comme nombre d'entre vous se sont empressés de le souligner. Dans ces conditions, le Gouvernement a pris acte que nous avions progressé sur les cinq points, que, sur trois d'entre eux, nous avions obtenu des garanties satisfaisantes, du point de vue des scientifiques français, mais que sur deux autres, il nous fallait obtenir des précisions et la mise en oeuvre concrète d'engagements qui avaient été pris.
Le premier point est la mise en oeuvre des tests en Grande-Bretagne. Nos scientifiques veulent avoir des précisions sur l'amplitude des tests. Les Britanniques en proposent 6 000. Est-ce le bon chiffre ? Certains scientifiques disent qu'il faudrait, compte tenu des effets statistiques, élargir la palette.
Mais se pose aussi le problème du ciblage de ces tests, car ce n'est pas la même chose de faire des tests sur l'ensemble de la population bovine, en y incluant, par exemple, l'Angus d'Ecosse, c'est-à-dire des troupeaux extensifs qui ne sont pas touchés, ou peu, par la maladie, ou sur des zones à risque.
Nous voulons obtenir ces précisions pour que ces tests soient pertinents d'un point de vue scientifique. Cette condition fixée par les scientifiques et rappelée par le gouvernement français, hier, ne me semble pas insurmontable. Nos amis britanniques, en travaillant avec nos scientifiques, peuvent, en quelques semaines, répondre à notre demande.
Le deuxième point, qui ne met pas en cause le Royaume-Uni, concerne la Commission, qui doit tenir les engagements qu'elle a pris. En effet, la Commission, dans le protocole auquel nous avions abouti avec elle et avec le gouvernement britannique, s'était engagée à prendre une mesure de caractère réglementaire mettant en place l'étiquetage sur l'ensemble du territoire européen et autorisant les Etats à exiger cet étiquetage à leur frontière et à refuser éventuellement des marchandises en cas de garantie insuffisante.
Il faut donc que l'Europe tienne son engagement. Il n'est pas question pour nous de lever l'embargo tant que cette mesure visant l'étiquetage n'est pas inscrite effectivement dans le droit européen. C'est aussi simple que cela et, là encore, ce n'est pas insurmontable.
Pour que les choses soient claires, parce qu'on fait souvent la confusion, je précise que l'étiquetage n'est pas seulement une mesure d'information pour les consommateurs, une mesure d'ordre commercial permettant de dire au consommateur que, dangereux ou non, l'important est qu'il puisse choisir du boeuf anglais ou non.
L'étiquetage est aussi une mesure de santé publique. Il permet la traçabilité et, en cas d'incident, le rappel des lots. Il permet de prendre des mesures de sécurité sanitaire.
Ces deux conditions, que nous avons posées hier, s'inscrivent dans la cohérence de la démarche qui est la nôtre depuis le début.
Ce que nous avons voulu dire aussi bien au gouvernement britannique qu'à la Commission, hier, ou lors des conversations téléphoniques que nous avons pu avoir, entre deux séances, avec le ministre britannique, tout à l'heure, c'est que le gouvernement français campait sur sa position, mais que celle-ci n'était nullement agressive à l'égard des Britanniques, dont nous saluons les efforts faits pour sortir le secteur bovin et leur économie de l'élevage d'ornières extrêmement profondes, dont nous saluons les efforts faits à notre égard dans ces discussions extrêmement constructives depuis trois mois et dont nous mesurons la déception, voire la rancune, depuis hier soir.
Les Britanniques doivent comprendre que nous ne sommes pas dans une logique inamicale. Simplement, nous avons la volonté d'obtenir des garanties supplémentaires ou des éclaircissements pour les consommateurs non seulement français mais européens.
D'ailleurs, sur l'étiquetage, les Allemands, qui ont sûrement été plus subtils que nous dans cette affaire, en s'abritant derrière les Länder et des problèmes d'ordre constitutionnel, demandent, en fait, nous le savons bien, la même mesure que nous, et la Commission devra peu ou prou en tenir compte.
Je tenais à faire le point sur cette question. Nous devons maintenant continuer à travailler et, en même temps, tirer les leçons.
Un jour viendra sans doute où nous lèverons l'embargo sur le boeuf britannique. Les garanties n'étant pas suffisantes, ce jour n'est pas encore venu. Mais il ne faut pas faire preuve de démagogie et dire - ce n'est pas ce que le Gouvernement a dit, hier - que nous ne le ferons jamais.
Le jour où les garanties seront obtenues, nous pourrons prendre une décision plus conforme au droit communautaire, car - c'est sur ce point que je conclurai cette partie de mon intervention - nous avons bien mesuré, évidemment, le poids de notre décision et ses conséquences sur nos relations avec les Britanniques, avec lesquels, nous sommes en train de construire l'embryon de l'Europe de la défense, avec lesquels nous voulons garder de bonnes relations de coopération, mais aussi vis-à-vis de l'Europe, qui a déjà engagé une procédure dont nous savons qu'elle peut nous valoir des sanctions. Nous mesurons ce prix et nous voulons continuer à avancer avant que d'éventuels recours devant la Cour de justice européenne n'entraînent des sanctions.
J'en viens à des affaires plus franco-françaises de nature économique et sociale.
On m'a beaucoup interrogé sur la modulation des aides. Cette modulation est autorisée par les accords de Berlin. Le gouvernement français, qui considère que la redistribution des aides et leur réorientation sont une condition du maintien de la légitimité des soutiens publics à l'agriculture, a décidé d'user de cette possibilité.
Monsieur Rispat, quand je dis que 20 % des exploitations touchent 80 % des aides, je ne parle pas du Gers, bien entendu, je parle du niveau national. Ce n'est pas dans le Sud que les inégalités sont les plus flagrantes, ou alors dans le sens inverse : c'est là qu'on trouve 80 % des exploitations qui touchent 20 % des aides ! Vous avez parlé d'un rapport 60 % - 40 %, parce que, dans le Gers, c'est un peu spécial.
Il n'est pas question de dire, de manière idéologique ou sectaire, qu'il y a, d'un côté, les gros, à qui il faut tailler une croupière, et, de l'autre, les pauvres, à qui il faut redistribuer. Non, il faut faire les choses raisonnablement, il faut réorienter, redistribuer les aides !
Le système de modulation aujourd'hui proposé, qui va être mis en oeuvre par décret dans les jours qui viennent, va toucher une exploitation sur onze, c'est-à-dire 57 000 exploitations sur 680 000 au total. Ni plus ni moins ! Une grande partie des exploitations seront touchées à hauteur de 3 %, ce qui n'est pas une ponction insupportable sur des aides publiques.
Après la concertation que nous avons mise en oeuvre, nous avons tenu compte des remarques qui nous ont été faites par les organisations professionnelles et par les élus qui sont venus nous voir souvent pour se plaindre des effets pervers de la modulation pour la fécule de pomme de terre ou pour le tabac dans leur zone intermédiaire, par exemple. J'ai donc pris acte de tout cela et j'ai modifié le système, notamment en élargissant l'assiette du nombre d'exploitations touchées : 57 000 dans le nouveau système au lieu de 30 000 dans le précédent.
Cela signifie que le poids moyen de la modulation baisse, que le critère lié à l'emploi a été considérablement renforcé, que l'incorporation de la marge brute standard rend le processus beaucoup moins inéquitable, faisant disparaître beaucoup de ses effets pervers.
Evidemment, on peut être contre la modulation, je le conçois : c'est une position politique qui correspond à vos convictions, que je respecte totalement. Je crois toutefois très sincèrement que le nouveau système va dans un sens plus juste et plus équitable.
Restent deux arguments sur lesquels je veux vous répondre : l'argument de l'impôt et l'argument de la distorsion de concurrence.
Permettez-moi de vous dire que l'argument de l'impôt est erroné. La modulation n'est pas un impôt, pour la bonne et simple raison que l'argent modulé ne va pas dans la poche de l'Etat mais reste chez les agriculteurs, puisqu'il va leur être entièrement redistribué. Evidemment, ce ne seront pas les mêmes qui en bénéficient, mais cet argent restera dans la « ferme France » par le biais des contrats territoriaux d'exploitation. Les intéressés recevront même plus puisque, pour un franc modulé, ce sont deux francs qui iront à l'agriculture, par le biais des contreparties du budget national aux crédits européens : quand nous mettrons un franc d'argent modulé dans les CTE, nous devrons mettre un franc en provenance du budget national. Vous le voyez, ce n'est donc pas un impôt, c'est une redistribution des aides, cela reste dans la « ferme France ».
Quant à l'argument de la distorsion de concurrence, qui consiste à dire que, si nous le faisons en France, nous aurions dû le faire dans l'Europe entière, il n'est pas plus acceptable. Je pense d'ailleurs que, même si nous l'avions fait dans l'Europe entière, j'aurais essuyé les mêmes critiques. Je reste donc serein.
Au demeurant, j'ai toujours dit que je pensais profondément que la France donnerait l'exemple en la matière, et serait suivie tôt ou tard. Eh bien ! je peux vous annoncer le scoop du jour, dont vous avez peut-être déjà pris connaissance : un deuxième pays - dont je parlais il y a un instant pour une autre raison - vient de rejoindre la France. Ainsi, le ministre anglais de l'agriculture a annoncé hier que la modulation serait mise en oeuvre en Grande-Bretagne à partir de l'an 2000.
La France a donc donné l'exemple, un deuxième pays la suit déjà, et je vous assure que d'autres pays sont en train d'étudier cette solution, que ce cercle s'élargira et que ces différences de traitement n'existeront plus à très court terme.
Je reviens d'un mot sur la TGAP - et d'abord sur la question de son affectation aux 35 heures. Vous êtes des parlementaires expérimentés, et vous savez, dès lors, qu'il existe une règle incontournable, à savoir la non-affectation des recettes aux dépenses. La TGAP ne finance donc pas plus les 35 heures que les crédits de l'environnement !
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial. Cela a pourtant été dit !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Certes, mais, quand on propose des mesures nouvelles, que ce soit dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans un projet de loi de finances rectificative, on le fait toujours en équilibre, c'est-à-dire que l'on met des recettes en face des dépenses. Mais on ne finance pas plus ceci que cela, on se situe dans un équilibre global.
Au-delà de cet argument, je me suis battu - et j'ai obtenu gain de cause - pour que cette mesure soit une mesure d'incitation aux bonnes pratiques. Je le répète, le système classe les produits phytosanitaires en sept catégories, des moins toxiques aux plus toxiques. Or la catégorie la moins toxique, taxée à 0 %, représente à peu près 50 % des consommations en 1998. La moitié d'entre elles ne seront donc pas frappées ! Ce n'est qu'ensuite que les six autres catégories, en fonction de leur toxicité, supportent la TGAP.
On me dit que cela coûtera 300 millions de francs. Oui, dans l'état actuel des consommations ! Mais il suffit que ces consommations aillent vers des produits moins toxiques pour que la TGAP n'ait pas ce rendement budgétaire. Au demeurant, le budget de l'Etat s'en remettra, compte tenu des circonstances économiques très favorables, et nous y aurons gagné une évolution très favorable vers des pratiques agricoles moins toxiques. C'est très exactement ce que nous souhaitions, et je veux, au contraire, défendre notre système.
Un mot maintenant sur le FIA,...
M. Gérard Cornu. Ah !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. ... sur lequel nombre d'entre vous m'ont interrogé.
D'abord, ne confondons pas les effets et la cause ! Ce n'est pas parce que les crédits à l'installation baissent que le nombre des installations baisse, la preuve en est que les crédits d'installation ont toujours été sous-consommés ces dernières années. C'est donc l'inverse : c'est parce que le nombre d'installations baisse que les crédits baissent.
J'ai dit ici - et je le redis - que je serais ravi de revenir devant vous pour défendre une loi de finances rectificative prenant acte d'une relance de la politique d'installation qui nous obligerait à abonder cette ligne. C'est la meilleure des choses qui pourrait nous arriver en 2000 !
Une ancienne présidente du CNJA, Mme Lambert, disait il y a quelques jours à un journaliste que connaît bien M. César, puisqu'il écrit dans le quotidien de sa région : « J'ai entendu un parlementaire, ancien dirigeant agricole, dire que c'est à cause du Gouvernement et de la baisse des crédits que le nombre d'installations baisse. Mais cela n'a pas de sens ! Les raisons sont multiples : elles tiennent à la fois à l'indécision liée à la PAC, à Berlin et sans doute à Seattle, ainsi qu'à des pratiques non maîtrisées dans certaines CDOA sur le contrôle des structures... » - c'est honnête, parce que cela fonctionne beaucoup mieux dans certains départements que dans d'autres - « ... et peut-être aussi à un discours dominant chez un certain nombre de responsables professionnels. »
Elle a raison ! Quand on dit du matin au soir qu'il n'y a pas d'avenir pour l'agriculture, que l'on est écrasé par les charges, que les revenus sont en baisse, que le métier est de plus en plus insupportable, on n'incite guère les jeunes à s'installer avec un discours aussi défaitiste !
La réalité, c'est qu'il faut aussi dire à ces jeunes que cela reste un très beau métier, un métier plein d'avenir.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Voilà comment nous allons pouvoir les convaincre de s'installer !
Or le FIA avait précisément cette finalité. Les mesures que nous avons prises à cet égard ont provoqué une tempête, mais c'est une tempête dans un verre d'eau ! Permettez-moi d'être simple et clair : le FIA, qui représentait 150 millions de francs ces dernières années,...
M. Gérard César, rapporteur pour avis. Non, 145 millions de francs !

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. ... a été consommé à moins de 50 %. Ce n'était donc pas le succès annoncé partout ! Nous transférons ses crédits dans un fonds de financement des CTE, qui va couvrir 2 milliards de francs. Nous pourrons ainsi faire tout ce que nous voulons, beaucoup plus d'ailleurs qu'avec le FIA !
C'est le cas pour les dix-sept premiers CTE que j'ai signés pour amorcer le mouvement : j'en signerai un demain dans le Gers, d'autres dans quelques jours dans l'Hérault, nous amorçons le mouvement, et je puis vous dire que la plus grande partie touche des jeunes qui s'installent ; or, au lieu d'être accompagnés une seule fois avec la DJA et avec des prêts bonifiés, ils vont l'être pendant cinq ans sur un programme d'évolution. Le CTE pour accompagner l'installation d'un jeune, c'est un outil idéal !
Quant à ceux qui regrettent les mesures qui incitaient les cédants à la transmission, je leur réponds que nous pourrons faire des CTE transmission !
Quoi qu'il en soit, puisque la rigueur bugétaire veut qu'un fonds soit supprimé quand ses crédits ne sont pas consommés, nous avons supprimé le FIA, mais je me suis battu pour que les reliquats de crédits de ce fonds soient maintenus dans le budget du CNASEA. Je n'ose citer les chiffres compte tenu du taux de consommation de ces dernières années, mais je puis vous indiquer que ces reliquats nous permettront, surtout compte tenu du relais qui va être pris par le fonds de financement du CTE, de tenir vingt ou trente ans !
Ne posez donc pas la question de l'installation autour du seul FIA ! En termes de moyens, nous aurons, dans le fonds de financement des CTE, de quoi couvrir beaucoup plus pour l'installation que ne le faisait le FIA et si, par malheur ou par miracle, il existait des actions qui ne pourraient être financées par le FFCTE, nous les financerions, j'en prends l'engagement, par les reliquats du FIA.
J'ai aussi pris l'engagement que les reliquats de crédits du FIA seraient individualisés dans le budget du CNASEA pour que les jeunes agriculteurs se rendent bien compte que ces crédits sont toujours utilisables. Tous les dossiers d'installation proposés par les jeunes agriculteurs pourront donc être examinés sous cet angle.
J'ai pris également l'engagement devant le CNJA d'organiser une journée de travail, au mois de janvier ou de février, pour réexaminer la charte de l'installation, afin d'en poursuivre le financement en disant concrètement comment nous ferons. Je pourrai ainsi prouver que, sur chaque mesure, nous ferons plus et mieux, et je prends le pari que, s'il faut encore trouver d'autres moyens, nous les trouverons.
Permettez-moi un mot maintenant sur les CTE, puisque vous m'avez beaucoup interrogé sur le sujet.
Le CTE est la pierre angulaire de la loi d'orientation agricole. A cet égard, permettez-moi - mais vous ne me le reprocherez certainement pas ! - de rendre un hommage particulier aux fonctionnaires du ministère qui ont beaucoup travaillé ces six derniers mois : la loi a été promulguée au mois de juillet dernier et elle a successivement franchi les obstacles du décret en Conseil d'Etat, de l'arrêté, de la circulaire et des arbitrages budgétaires pour financer les CTE. Par ailleurs, il a fallu signifier à la Commission européenne notre règlement national de développement rural. Le tout a constitué un travail de Titan, qui a été réalisé en quelques mois et qui nous a permis de signer le premier CTE à la mi-novembre, quatre mois et demi après la promulgation de la loi. C'est un tour de force !
Aujourd'hui, dix-sept CTE ont été signés et vingt ou trente le seront d'ici à la fin de l'année. Certes, nous avons pris en peu de retard, mais nous tiendrons notre objectif de 50 000 signatures avant la fin de l'année 2000. Nous en avons les moyens budgétaires et les dynamiques s'opèrent dans les CDOA et les DDA, et les organisations professionnelles s'en saisissent actuellement. Il faut maintenant que ce régime monte en puissance, mais je suis très confiant.
Certains nous ont reproché d'agir par redéploiements. Oui, il y a du redéploiement dans le fonds de financement du CTE, mais il y a aussi des crédits nouveaux ! Je me suis battu pour cela, parce que je voulais montrer qu'au-delà de l'affichage politique le CTE était bien une priorité du Gouvernement et de sa majorité. A cet effet, 350 millions de francs de mesures nouvelles ont été dégagés.
Il faut maintenant faire vivre le CTE dans la diversité et dans l'adaptation au terrain. Ce pari, sur lequel je fonde beaucoup d'espoir et qui exigera de nous beaucoup de détermination pour tenir nos engagements, est maintenant lancé.
Je dirai maintenant quelques mots sur la forêt, pour remercier plusieurs d'entre vous, notamment M. Gaillard mais aussi, bien entendu, M. Delong, dont le long exposé plein de foi pour les communes forestières et l'avenir de la forêt française nous a tous intéressés. Depuis quelque temps ; la filière forêt, bois, ameublement, pâte à papier ; connaît une dynamique dans laquelle, il faut le reconnaître, le rapport de M. Jean-Louis Bianco a joué un rôle important, réunissant un consensus autour de ses propositions. A la lumière de ce rapport, les réflexions sur la stratégie forestière ont permis de développer un dynamisme que la nouvelle équipe dirigeante de l'ONF, à qui ont été fixés des objectifs importants, entretient de son côté.
Le chantier est ouvert et je vous confirme que la loi forestière sera examinée en première lecture avant la fin du premier trimestre. Nous avons voulu que le budget de l'an 2000 accompagne cette dynamique, car il nous a semblé impossible d'élaborer une loi alors que notre budget n'aurait pas marqué cette priorité.
Monsieur Delong, vous vous réjouissez de la suppression des taxes, mais vous vous inquiétez en même temps de la suppression des crédits. Or ils ne sont pas supprimés ! Nous les retrouverons, et bien plus élevés encore, dans le budget de l'Etat. Qui plus est, l'Etat s'est engagé à compenser, et même à surcompenser : ces crédits seront « inviolables » de toute régulation budgétaire jusqu'à la fin de la législature. Nous sommes, de ce point de vue, déterminés.
Bon an mal an, les mesures en faveur de la forêt dans le seul budget de l'Etat représentent plus de 400 millions de francs. Lorsque M. Jean-Louis Bianco disait qu'avec 1 milliard de francs on peut redonner un souffle à la filière forêt, ameublement, bois, dans notre pays, on criait au délire. Or nous avons déjà fait la moitié rien qu'avec les crédits de l'Etat et, vous le savez, la filière embrayera derrière l'Etat. En tout cas, je suis, pour ce qui me concerne, très optimiste.
J'en viens à l'enseignement agricole.
Depuis que j'ai pris en charge ce ministère, je me suis rendu compte que l'enseignement agricole était victime de son succès. Le taux d'insertion professionnelle de ses élèves - bien supérieur à celui de l'éducation nationale - est tel qu'il attire vers lui beaucoup de jeunes. Ses effectifs augmentent donc, alors même qu'ils baissent dans l'éducation nationale. Comme les gouvernements, je dirai de gauche et de droite pour être oecuménique ...
M. Bernard Piras. De droite surtout !
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je le pensais, mais je ne voulais pas le dire pour maintenir ce consensus dans l'hémicycle. (Sourires.)
Les gouvernements successifs n'ont donc pas pris conscience de cette réalité et créé les postes nécessaires pour accompagner cet accroissement des effectifs.
C'est pourquoi l'enseignement agricole se trouve confronté à une situation qui est quasiment dramatique et qu'un rapport de l'inspection générale a mis en évidence un déficit en poste des personnels d'enseignants et de personnel IATOS.
Je ne conteste pas ce déficit, bien que l'on puisse discuter de son ampleur ; 2 500 postes est sans doute un chiffre quelque peu exagéré. C'est ce déficit qui a engendré une très grande précarité dans l'enseignement agricole. En effet, il a dû faire appel à des vacataires pour pallier le manque d'enseignant. Ce déficit et un taux de précarité, pour le coup bien supérieur à celui de l'éducation nationale, sont insupportables.
Fort de ce constat, je me suis battu pour avoir un budget de l'enseignement agricole qui soit le meilleur possible. Honnêtement, je n'en tire aucun mérite, Louis Le Pensec avait engagé ce mouvement l'année dernière et je ne fais que le poursuivre.
La situation est paradoxale : les organisations syndicales d'enseignants reconnaissent que ce budget est le meilleur qu'elles aient connu depuis vingt ans en matière de créations de poste mais, en même temps, elles lancent un mot d'ordre de grève pour le jour de la rentrée, et ce parce qu'elles disent, d'une certaine manière, que ce n'est pas le problème. Je respecte leur appréciation.
L'effort que nous faisons cette année, il faudra le poursuivre les années à venir. Nous devons nous engager tous ensemble à combler ce déficit de postes et à doter l'enseignement agricole des moyens qui lui sont indispensables pour faire face à ses obligations. Une priorité est donnée à l'éducation - tout le monde en convient - elle doit concerner également l'enseignement agricole. C'est en tout cas l'engagement que je prends devant vous.
Je répondrai maintenant à quelques questions précises posées par Bernard Piras et Pierre-Yvon Trémel à propos du système de retraites des enseignants de l'enseignement agricole privé.
J'ai saisi, bien sûr, le Conseil d'Etat pour savoir si, en l'occurrence, un texte législatif s'impose. Le Conseil d'Etat ne s'étant pas encore prononcé, je ne peux pas vous en dire plus. Je ne suis pas maître de son calendrier. Plus vite il se prononcera, mieux ce sera. Si vous avez les moyens, les uns et les autres, de lui faire passer un message, je suis preneur... Bien entendu, l'avis du Conseil d'Etat sera transmis à la représentation nationale.
J'en viens maintenant à la pêche, puisque je suis ministre de l'agriculture « et de la pêche », même si, à mon goût, trop de médias l'oublient.
Certes, notre pays compte quelque 680 000 exploitants agricoles, et seulement une vingtaine de milliers de pêcheurs. Mais ces deux secteurs ne sont pas comparables, les chiffres du budget, par leur importance, en témoignent. Pour autant, la pêche est une activité fondamentale non seulement pour notre littoral, mais aussi pour le secteur agroalimentaire. Je tiens à manifester publiquement ici tout l'intérêt que je porte à la pêche.
En même temps - à l'instar de certains d'entre vous, notamment Mme Yolande Boyer - je veux absolument donner ce message d'espoir : je suis convaincu qu'il y a un avenir pour la pêche dans notre pays, aux conditions que vous avez vous-mêmes rappelées, mais que nous devons accompagner par une politique publique délibérée.
De ce point de vue, je dois dire, sans trop crier gloire, que nous sommes plutôt satisfaits, comme vous, du résultat du Conseil « pêche » du mois dernier, à la fois pour ce qui concerne l'organisation commune des marchés, que pour ce qui concerne les réformes de structures. En effet, la France a pu faire entendre sa voix et a pu tirer son épingle du jeu. Certes, je sais que, chaque année, un Conseil « pêche » succède à l'autre et que le Conseil « pêche », de la semaine prochaine risque d'être plus dur encore - il nous faudra définir les sempiternels TAC, totaux autorisés de captures, et quotas de pêche pour l'année qui vient - car des menaces pèsent sur l'anchois et des études scientifiques très contestables de la Commission européenne pourraient mettre en péril certains secteurs de notre pêche nationale, qu'il nous faudra donc défendre avec beaucoup d'ardeur.
Je ferai deux autres observations.
Tout d'abord, on voit poindre quelques difficultés dans les ports, notamment en Méditerranée, autour de deux problèmes, dont le premier est le prix du gazole. Il faut rappeler que le gazole utilisé par les bateaux de pêche est détaxé. Ce ne sont donc pas les taxes de l'Etat qui pèsent de manière insupportable sur les pêcheurs. Mais il est vrai que ce carburant a fortement augmenté cette année. N'oublions pas que voilà encore un an et demi ou deux ans il était au niveau d'avant le choc pétrolier de 1973. Cette hausse très importante intervenue à la fin de 1999 a permis de revenir au niveau moyen des années 1996-1997. Cela n'excuse rien, mais cette hausse pèse lourd dans les charges des pêcheurs.
Par ailleurs, les pêcheurs méditerranéens sont tout d'un coup fortement rétifs à l'idée d'une inscription obligatoire au registre du commerce, qui a été pourtant adoptée à l'unanimité à l'article 14 de la loi pêche, car elle correspondait à une revendication unanime des organisations de pêcheurs. En effet, ils voulaient être électeurs aux chambres de commerce qui gèrent les ports dont ils sont les utilisateurs, ce qui était logique. Du côté de la Méditerranée, cet engagement pose maintenant problème ; il faut donc trouver une solution.
Je suis en train d'étudier avec Mme le garde des sceaux la possibilité de repousser l'échéance de l'inscription obligatoire mais, si cette inscription devait être facultative, il faudrait prendre une mesure législative. Disons les choses clairement.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments de réponse que je tenais à vous apporter. J'aurai l'occasion de revenir sur certains problèmes que je n'ai pas abordés, lors de l'examen du BAPSA, notamment les retraites. En tout cas, je vous remercie de cette discussion. Je crois que ce budget nous donne les moyens de mener la politique agricole que nous souhaitons et qui a été définie par la loi d'orientation agricole. Il nous permettra d'avancer vers une agriculture rénovée, avec des aides publiques redéployées dans un souci de plus grande efficacité.
La société et l'Europe donnent beaucoup d'argent à l'agriculture, de l'ordre de 74 milliards de francs d'aides publiques en France. Cela est légitime parce que l'agriculture a besoin d'être subventionnée, sinon, au lieu d'avoir 680 000 exploitants, nous en aurions 150 000 à peine. Mais nous devons veiller en même temps à ce que cette légitimité soit maintenue dans l'esprit de nos concitoyens et des contribuables et, pour cela, il faut que l'utilisation de ces aides soit juste, équitable et judicieuse. C'est ce que nous essayons de faire avec votre appui. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicains et citoyens, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de l'agriculture et de la pêche figurant aux états B et C.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 831 861 434 francs. »