Séance du 7 décembre 1999







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'économie, les finances et l'industrie : II. - Industrie (et Poste).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean Clouet, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, attirer votre attention sur les pratiques manducatoires de l'astérie, plus communément appelée étoile de mer. (Sourires.)
Cet échinoderme enveloppe de ses cinq branches sa proie - une huître, généralement - force le muscle abducteur de la victime et aspire, lentement mais sûrement, le contenu de la coquille.
Certains pensent peut-être que je suis hors de mon sujet. Il n'en est rien ! L'astérie est, en effet, semblable au ministère des finances, et l'huître ressemble à ce que fut, en son temps, le ministère de l'industrie. (Sourires.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. C'est une huître perlière ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean Clouet, rapporteur spécial. L'an dernier, il avait perdu ses crédits de personnel, son muscle abducteur en quelque sorte. Voici que, cette année, il est phagocyté au titre de l'exercice 2000 ; il ne manque même pas la coquille vide : c'est l'état néant, aux côtés des crédits pour 1999, de la colonne 2000 dans le « bleu » budgétaire.
L'an dernier, monsieur le secrétaire d'Etat, vous affirmiez que le budget de l'industrie n'était pas soluble dans celui des finances. Cette année, il y est dissous. Je ne me réjouis pas d'avoir eu raison ! Dissous, mais pas encore digéré. On peut donc, tel un médecin légiste, fouiller les entrailles du budget des finances pour y retrouver les traces des crédits de l'industrie.
Cette recherche viscérale conduit à les découvrir sous la forme de quatre agrégats dont la somme constitue l'élément de comparaison possible avec l'exercice 1999, en se souvenant que le périmètre des crédits de l'industrie est hautement déformable et, par conséquent, son contenu extrêmement changeant.
Le total de ces quatre agrégats s'élève à 16,601 milliards de francs, soit 8,18 % de plus qu'en 1999.
L'importance de cette variation doit être tempérée par le fait que les agrégats considérés accueilleront, en 2000, 924 millions de francs en provenance de sources diverses : budget des charges communes - 80 millions de francs -, budgétisations de fonds de concours - 497,5 millions de francs -, financements parafiscaux - 247 millions de francs -, à quoi s'ajoute une provision de 100 millions de francs de subventions aux établissements publics dans les domaines de l'énergie et des matières premières.
Si l'on s'en était tenu au périmètre de l'an dernier, la progression se serait limitée à 2,6 %, correspondant à un total de 15,677 milliards de francs.
Dans l'un et l'autre cas, on ne peut que constater l'extrême faiblesse, en valeur absolue, des crédits censés représenter - selon l'orthodoxie budgétaire - les moyens de la politique industrielle.
En effet, même si l'on retient le chiffre le plus élevé, on n'atteint pas 1 % du total des dépenses du budget général, puisqu'il faut se contenter de 0,98 %.
On ne peut qu'en conclure que les crédits budgétaires de l'industrie - absorbés ou pas - n'ont qu'une importance pratique des plus faibles.
Si l'on cherchait des raisons supplémentaires de s'en convaincre, il suffirait de citer le chiffre récemment publié par un périodique économique à partir de deux rapports, l'un émanant d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale et l'autre de l'Inspection générale des finances : le montant des crédits distribués annuellement aux entreprises par l'Etat atteint 170 milliards de francs, soit dix fois plus que le total des quatre agrégats concernant l'industrie dans le budget du ministère des finances. Toujours selon le périodique considéré, « cette dépense n'est ni rationnelle ni contrôlée ».
Je vous serais obligé, monsieur le secrétaire d'Etat, de vouloir bien faire connaître au Sénat ce qu'il faut penser de ces deux appréciations particulièrement sérèves.
Revenant aux quatre agrégats, qui étaient cinq l'an dernier et six il y a deux ans - toujours le périmètre déformable ! - on note qu'ils recouvrent respectivement l'énergie et les matières premières, pour 27 % du total, l'accompagnement des mutations industrielles, pour 29 %, un agrégat fourre-tout intitulé « Action sur l'environnement des entreprises et modernisation des PME », pour 27 %, et, enfin, la recherche industrielle et l'innovation, pour 17 %.
Il ne saurait être question, dans les limites de temps qui me sont imparties, d'entrer dans le détail de ces différents agrégats, que l'on pourra retrouver en se reportant à mon rapport écrit.
On doit toutefois signaler deux évolutions qui, sans être allées à leur terme en tous domaines, n'en traduisent pas moins un effort d'orthodoxie budgétaire, aussi louable que paradoxal dans la mesure où il s'applique à un budget juridiquement disparu : il s'agit, d'une part, d'une meilleure prise en compte des reports de crédits, véritablement excessifs dans le passé - ainsi que l'avait signalé la Cour des comptes - et, d'autre part, de la budgétisation de certains crédits échappant jusqu'alors à cette procédure.
Enfin, certaines variations particulièrement importantes, eu égard au montant du total des crédits, sont à signaler. Les crédits consentis à l'aide à la construction navale augmentent de près de 61 %, soit de 500 millions de francs, pour atteindre 1 287 millions de francs, ce qui devrait correspondre aux besoins réels de l'exercice.
La subvention à Charbonnages de France, de son côté, décroît pour le quatrième exercice successif, en dépit de la médiocrité des résultats, et passe de 2 870 millions de francs à 2 840 millions de francs, qui seront complétés en cours d'année par une dotation en capital provenant du compte d'affectation spéciale des recettes de privatisation.
L'aide à La Poste au titre des frais de transport de la presse augmente de 50 millions de francs, pour atteindre 1 900 millions de francs.
Le soutien au développement de la recherche industrielle fléchit quelque peu, se situant à 1 723 millions de francs.
Le Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, recevra 2 071 millions de francs, plus 1 % de subvention de fonctionnement, auxquels s'ajouteront 959,5 millions de francs de subvention à l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, ainsi qu'une provision de 100 millions de francs, qui devrait permetre de faire face au coût de transformation de cet institut en établissement public administratif indépendant du CEA.
Le CEA reçoit, par ailleurs, 3 050 millions de francs du ministère de la recherche. Les crédits d'investissement restent constants à 750 millions de francs. Les besoins du CEA en matière d'assainissement font l'objet d'un assez long développement dans le rapport qui vous a été remis, mais on ne peut omettre de signaler ici que la faiblesse des crédits en la matière risque, si l'on ne prend pas les mesures nécessaires, de mettre en péril le patrimoine de l'entreprise.
Après cette revue des crédits, nous en arrivons au stade habituel et final de tous le rapports budgétaires, c'est-à-dire l'exposé au Sénat de la position de la commission des finances et le vote ou le rejet du budget. Il me faut, en l'espèce, déroger à cette pratique. Un non-budget ne peut, en effet, appeler qu'un non-vote.
Le sort des crédits « agglomérés » de l'industrie sera finalement dépendant de celui du budget du ministère des finances sur lequel la commission des finances a porté un jugement négatif. Il ne me reste donc, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, me chers collègues, après cette ordonnance de non-lieu, qu'à vous remercier de votre attention. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Grignon, rapporteur pour avis.
M. Francis Grignon, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'industrie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les crédits de l'industrie ont été fondus, cette année, au sein du budget du Grand Bercy, ce qui leur enlève toute lisibilité et amène à se poser la question de l'importance que leur attache réellement le Gouvernement.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres ; notre collègue Jean Clouet, rapporteur spécial, vient de les détailler. Je rappellerai simplement que ce budget est largement absorbé - pour les deux tiers - par des dotations à divers établissements publics, d'enseignement ou de recherche, auxquelles il faut ajouter les crédits de reconversion et de restructuration pour mesurer la faible proportion de crédits « offensifs », disponibles pour encourager et diffuser l'innovation dans le tissu industriel français.
Ce sont les crédits « défensifs » qui augmentent le plus, et notamment l'accompagnement des mutations industrielles - plus 9,7 % - parmi lesquels figurent la subvention d'exploitation à Charbonnages de France - 2,8 milliards de francs - et l'aide à la construction navale - 1,2 milliard de francs. Quelle est réellement l'efficacité de cette aide, monsieur le secrétaire d'Etat, devant les perspectives inquiétantes auxquelles fait face ce secteur ?
Je regrette que l'industrie, qui est le poumon de l'économie française, dont elle représente 26 % du PIB, 82 % des exportations et 3,8 millions des emplois, ait un rôle méconnu du grand public et surtout des jeunes : un récent sondage paneuropéen auprès des étudiants a montré que les jeunes Français sont particulièrement peu attirés par l'industrie ; seulement 15 % souhaitent y travailler.
Plusieurs éléments me préoccupent.
Les petites entreprises industrielles sont d'abord les moins bien préparées au passage à l'an 2000 et à l'adoption de l'euro. Elles vont avoir à supporter les coûts de la réduction autoritaire du temps de travail à 35 heures, qui risque de pénaliser la compétitivité d'une industrie fortement ouverte à l'export et qui souffre déjà d'un coût du travail trop élevé.
Certains secteurs sont particulièrement fragiles. Dans le textile, plutôt que de généraliser, comme le fait laBelgique, les allégements de charges pour les rendre « eurocompatibles », le Gouvernement a choisi la voie du remboursement des aides du plan textile, qui devront commencer en avril 2000 et qui s'élèveront de 500 millions de francs à 600 millions de francs. Je crains que cette charge ne mette en difficulté le secteur.
Les projets du Gouvernement de taxation de la consommation intermédiaire d'énergie sont également inquiétants. Le secteur de la chimie, par exemple, qui représente 180 000 emplois et 470 milliards de francs de chiffre d'affaires, aura à subir, d'une part, l'élargissement de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, qui pourrait faire passer sa contribution de 0,5 milliard de francs en 1998 à 3,45 milliards de francs en 2000, et, d'autre part, la taxation, en 2001, des consommations intermédiaires d'énergie, dont il est le plus gros consommateur industriel, qui pourrait engendrer une charge supplémentaire d'environ 1,7 milliard de francs. Dès lors, le surcoût total net pour ce secteur s'élèvera à 4,4 milliards de francs d'ici à l'an prochain.
D'autres secteurs sont également menacés : l'aluminium et les cimenteries, notamment.
Le « maquillage » environnementaliste de ces prélèvements, en particulier la théorie du « double dividende », ne suffit pas, à mon sens, à les justifier. C'est la compétitivité, donc les emplois, de notre industrie qui est en jeu.
Dans ces conditions, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'industrie dans le projet de loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Besson, rapporteur pour avis.
M. Jean Besson, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'énergie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en 1998, la France a connu, dans le domaine de l'énergie, une situation particulièrement remarquable, mais qui est passée quelque peu inaperçue. Nous avons, en effet, enregistré la plus faible facture énergétique depuis 1970. Notre pays continue d'utiliser l'énergie de la façon la plus efficace possible dans le monde occidental. Nous ne saurions cependant nous reposer sur nos lauriers. Le doublement du prix du pétrole au premier semestre 1999 rend plus que jamais nécessaire la poursuite de la politique de maîtrise de la demande d'énergie relancée en 1998.
Parmi les grands objectifs que nous nous sommes fixés en matière énergétique, je considère que le maintien d'une capacité de production nucléaire et la maîtrise des technologies y afférente sont déterminants. L'exemple de l'Allemagne montre qu'un grand pays industrialisé dépourvu de ressources énergétiques propres ne peut se passer du nucléaire. Dans cette perspective, la construction de l' European pressurized water reactor , l'EPR, est une nécessité incontournable.
Dans le droit-fil des observations de la commission d'enquête du Sénat, présidée par M. Valade, sur la politique énergétique de la France, j'estime également qu'il convient de renforcer aussi bien le contrôle de la sûreté des installations nucléaires que celui de l'aval du cycle. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans quel délai le Gouvernement entend-il présenter au Parlement un projet de loi sur ce point ?
S'agissant des liens entre la politique de l'énergie et la protection de l'environnement, je suis, à titre personnel, favorable au principe d'une extension de la taxe générale sur les activités polluantes aux consommations intermédiaires d'énergie. Je note d'ailleurs que le Gouvernement a respecté les engagements pris en 1999, en attribuant, pour 2000, un financement de 500 millions de francs à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME. Il conviendrait, cependant, de mettre en oeuvre les trois dernières dispositions, toujours inappliquées, de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.
Aucun progrès ne pourra être réalisé en matière de protection de l'environnement sans limitation des émissions de gaz dues au développement des transports. En apparence, notre pays se trouve dans une position favorable par rapport à ses voisins européens, puisqu'il est seulement tenu de maintenir ses émissions à leur niveau actuel. En réalité, comme nous sommes déjà parmi les Etats dont les rejets sont les plus faibles, nous devrons réaliser des efforts très pointus pour limiter une croissance des émissions qui semble inéluctable.
C'est pourquoi il convient de prêter une attention particulière à la négociation de la deuxième phase du programme européen « auto-oil ». En effet, si, dès janvier 2000, les carburants distribués à la pompe seront plus « propres », beaucoup reste à faire pour respecter nos engagements de Kyoto. Dans ces conditions, les pouvoirs publics doivent soutenir puissamment la modernisation du parc national de raffinage.
En ce qui concerne le gaz, il est indispensable, monsieur le secrétaire d'Etat, de favoriser l'utilisation du gaz naturel véhicule, le GNV, et du gaz de pétrole liquéfié, le GPL, qui pose cependant certains problèmes de sécurité ; ce qui s'est produit récemment dans la région de Lyon en témoigne.
Quelles mesures entendez-vous prendre concrètement, monsieur le secrétaire d'Etat, afin d'assurer la sécurité des personnes, notamment celle des sapeurs-pompiers ?
D'un point de vue général, la commission des affaires économiques demeure convaincue de la nécessité de soutenir l'utilisation des carburants de substitution dans les transports, en particulier des biocarburants.
Il est indispensable de procéder, dès que possible, à la transposition de la directive « électricité », afin de permettre le développement des activités d'Electricité de France à l'étranger.
Je tiens également à souligner combien il est nécessaire que les décrets d'application de la loi permettent aux collectivités concédantes d'exercer pleinement leur pouvoir de contrôle sur leurs concessionnaires, conformément à un amendement que le Sénat a adopté.
Nous souhaitons, enfin, que la directive « gaz » soit également rapidement transposée.
En ce qui concerne le secteur pétrolier, je me félicite que le système d'aide aux petits distributeurs de carburants fonctionne désormais.
La part provenant des énergies renouvelables progresse, en particulier grâce à l'électrification des sites isolés, notamment dans les départements d'outre-mer, à la diffusion des chauffe-eau solaires, à la création de chaufferies au bois dans des bâtiments collectifs et à la multiplication des fermes d'éoliennes. Compte tenu de l'avance prise par l'Allemagne dans ce secteur précis, notre pays doit poursuivre son effort.
Avant de conclure, je me permettrai d'indiquer que la commission des affaires économiques regrette - on en a parlé à plusieurs reprises depuis deux ou trois ans - que le Gouvernement tarde à publier les décrets d'application de la loi relative à l'indemnisation des victimes d'effondrements miniers.
La politique énergétique se développe dans la longue durée, et je me réjouis que le Gouvernement conserve le cap fixé depuis plusieurs décennies. Mais, contrairement aux conclusions favorables de son rapporteur, la commission des affaires économiques et du Plan a émis un avis défavorable à l'adoption de crédits de l'énergie inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson, rapporteur pour avis.
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour les technologies de l'information et La Poste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les crédits relatifs aux technologies de l'information et à La Poste, qui s'élèvent à 2,774 milliards de francs, ont bizarrement été rangés, cette année, au sein d'un agrégat fourre-tout du budget du ministère de l'économie consacré aux actions sur l'environnement et à la modernisation des entreprises. Faut-il y voir, monsieur le secrétaire d'Etat, le signe d'une dilution de la volonté politique à l'heure où les bouleversements rapides du paysage mondial rendent urgentes les prises de décisions ?
Comment ne pas être frappé du décalage entre le rythme, rapide, d'évolution du marché postal et celui, à petits pas, de notre opérateur national ? La Poste dispose d'une rentabilité trop faible, son résultat net ne représentant que 0,36 % de son chiffre d'affaires, sur laquelle pèsera, en outre, le coût du passage aux 35 heures qu'elle doit financer sans aide de l'Etat. Elle ne prend qu'à petite vitesse les tournants stratégiques pour son avenir.
Le développement du commerce électronique lui offre des opportunités, dont elle ne semble pas avoir pris toute la mesure.
La conclusion d'une alliance internationale dans la messagerie, vitale pour son avenir, n'est toujours pas aboutie, à l'heure où les postiers allemands, anglais et néerlandais lèvent des dizaines de milliards de francs pour prendre position en Europe.
Mais la tutelle fait bien peu, en réalité, pour assurer l'avenir de l'opérateur postal.
La Poste n'a toujours pas de capital.
La directive de 1997 d'ouverture à la concurrence a été transposée « à la sauvette », par amendement à la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Vous savez tout le mal que le Sénat a pensé de cette procédure, monsieur le secrétaire d'Etat.
Le complément législatif de cette moitié de transposition, promis à la commission supérieure des postes et télécommunications, se fait toujours attendre, alors que le Sénat réclame l'élaboration d'une grande loi postale.
La renégociation de la directive postale doit être un objectif majeur de la présidence française de l'Union européenne, à compter du 30 juin prochain, pour nous permettre de voir clair, au-delà de l'horizon 2003, sur le degré de libéralisation du marché postal européen. Le Gouvernement en est-il véritablement conscient ?
Les télécommunications sont entrées dans l'ère de la mondialisation, qui se caractérise par une très vive croissance, des changements technologiques perpétuels et une vague de concentrations par fusions-acquisitions d'une ampleur planétaire jamais observée dans l'histoire boursière.
Face aux concentrations fulgurantes en cours, France Télécom, aujourd'hui orphelin d'une stratégie internationale globale depuis sa rupture avec Deutsche Telekom, semble condamné à régresser au niveau mondial : de quatrième opérateur il y a trois ans, il est désormais relégué à la huitième place et devrait bientôt se situer entre le douzième rang et le quatorzième rang mondial.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement est-il disposé à lui donner les moyens d'être autre chose qu'un simple opérateur régional en utilisant, par exemple, pour sa croissance externe, la marge laissée par les 12 % du capital encore détenus par l'Etat au-delà des 50 % légaux ? Votre majorité y est-elle prête ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, quand sera mis en place l'annuaire universel des abonnés téléphoniques, fixes et mobiles ? Quand les tarifs téléphoniques sociaux entreront-ils en vigueur ? Quand la taxe professionnelle de France Télécom sera-t-elle transférée aux collectivités locales ?
M. Sautter avait pris l'engagement devant le Sénat, l'an dernier, d'y procéder dans un délai d'un an. Certes, près de 6 milliards de francs sont en jeu ; mais l'Etat n'a-t-il pas perçu, en 1999, 4,3 milliards de francs de dividendes en tant qu'actionnaire de France Télécom ?
Au moment où commence à s'appliquer sur le territoire la loi Chevènement, avec les changements qu'elle induit, plus de 15 000 communes attendent votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Les bases actualisées fournies par France Télécom sont maintenant à votre disposition. Qu'attendez-vous ?
Le manque de confiance dans les collectivités locales s'est d'ailleurs manifesté lors de la discussion de l'amendement du Sénat au projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire sur les infrastructures de « fibres noires ». En effet, le texte finalement adopté ne lève pas les incertitudes juridiques et impose des conditions de location de ces infrastructures propres à leur ôter toute rentabilité. D'ailleurs, un recours a été déposé auprès de la direction de la concurrence de la Commission européenne, qui était favorable à de telles initiatives. Cette question, que vous avez cru évacuer par la porte, pourrait bien revenir par la fenêtre, monsieur le secrétaire d'Etat !
La commission des affaires économiques et du Plan a donc émis un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à La Poste et aux technologies de l'information dans le projet de loi de finances pour 2000, afin de marquer sa désapprobation face au manque d'ambition qui caractérise le soutien apporté par le Gouvernement à ces deux secteurs d'avenir.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 24 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 9 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans cette discussion budgétaire, je souhaite attirer plus particulièrement votre attention sur La Poste.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'an dernier, à pareille occasion, vous voulant rassurant. vous avez conclu en ces termes : « Le Gouvernement a pour objectif de conforter la présence postale territoriale et, naturellement, le réseau postal rural. » Le Gouvernement a-t-il tenu ses engagements ? Les tiendra-t-il avec le budget qu'il nous propose ? Le moratoire des services publics de 1993 avait conduit La Poste à ne fermer aucun bureau en zone rurale. Etes-vous prêt à maintenir le moratoire en zones rurales ?
Vous déclarez vouloir mettre en oeuvre deux objectifs complémentaires : maintenir et réorganiser le réseau postal.
Vous aviez promis le maintien de réseau postal, mais, en fait, vous tentez de le réaliser dans des conditions qui paraissent peu acceptables ! Je souhaite souligner le refus des élus ruraux quant aux pratiques qui se mettent progressivement en place.
En tant que président de l'association des maires de mon département, en liaison avec mes collègues, et en tant que contribuable, je tiens à souligner que les administrés des zones rurales sensibles doivent parfois payer deux fois le maintien de leur bureau de poste : une fois, par leurs impôts, une autre lorsque leur commune cofinance. A titre d'exemple, dix communes de la Meuse ont dû signer une convention avec La Poste à l'échelon départemental, les communes fournissant le local et assurant les frais de fonctionnement, La Poste finançant le personnel.
Si cette méthode peut, au premier abord, sembler satisfaisante, car elle permet effectivement de maintenir une présence postale, elle est cependant insidieuse. En effet, l'Etat se décharge progressivement de ses responsabilités financières sur certaines collectivités locales. Cette pratique rompt avec le principe d'égalité devant l'accès aux services publics, ce qu'un élu de la République, comme tout citoyen ne peut accepter.
Monsieur le secrétaire d'Etat, entendez-vous développer ce dispositif dans les zones rurales ?
Le Gouvernement déclare vouloir réorganiser et moderniser le réseau postal. Soit ! S'il est nécessaire que le réseau puisse s'adapter à l'évolution de la population, il doit le faire avec le souci constant de lutter contre la désertification rurale. Cette réorganisation des bureaux de tri et de distribution peut dissimuler de futures suppressions. A titre d'exemple, dans mon département, le Gers, le bureau de poste de Castelnau-d'Auzan est en cours de réorganisation avec celui d'Eauze. Les habitants de Castelnau craignent de perdre un bureau de poste qui participe à l'activité de la commune et ils estiment qu'ils ont droit au même service public que leurs concitoyens des villes. Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous rassurer sur la finalité de votre politique ?
Pour l'avenir, je formulerai d'autres inquiétudes. Pouvez-vous nous préciser les conséquences de l'application des 35 heures sur la présence postale ? Pouvez-vous nous assurer que la réduction du temps de travail ne va pas entraîner mécaniquement la fermeture de certains bureaux ?
Lors du débat sur l'aménagement du territoire, vous vous étiez engagé à déposer un projet de loi postale dans des délais raisonnables. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur son calendrier ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, la collectivité nationale dans son ensemble est prête à assumer le coût des missions d'intérêt général, entre autres celles de La Poste. Les Français subissant un niveau de prélèvements obligatoires sans précédent, ils estiment que leurs impôts doivent au moins financer ces services, évalués pour les zones rurales à 2 milliards de francs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est avec une attention toute particulière que les petites communes rurales écouteront vos réponses. Comme la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, je suivrai l'avis de la commission des finances concernant le budget de La Poste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'innovation et la recherche industrielle constituent l'une des grandes priorités de ce budget de l'industrie dans lequel sont intégrés les crédits concernant La Poste et les télécommunications. M. Weber interviendra sur les crédits de l'industrie. J'évoquerai, pour ma part, ceux de La Poste et des télécommunications.
Le développement de l'accès à la société de l'information prend, dans vos propositions budgétaires, une place essentielle, monsieur le secrétaire d'Etat.
Cette orientation volontariste a notre adhésion, car nous devons soutenir, à tous les niveaux, les initiatives qui s'appuient sur le triptyque université, recherche, industrie.
Vous comprendrez dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, combien j'apprécie l'effort important fait en direction du groupement des écoles des télécommunications avec des créations de postes très significatives.
La volonté conjointe des ministères de l'industrie et de la recherche permet de maintenir, en Bretagne, un savoir-faire en optroélectronique et microélectronique des plus performant.
Monsieur le ministre, je vous en remercie sincèrement.
Les crédits proposés dans votre budget pour La Poste et les télécommunications sont, à paramètre constant, en hausse de 4,12 %, après une progression de 1,34 % en 1999.
La croissance des moyens accordés à l'autorité de régulation des télécommunications, l'ART, à l'agence nationale des fréquences, au GET, les respects de l'engagement de l'Etat dans ses contributions aux charges de pension et au financement du transport de la presse vont dans le bon sens.
Votre budget aura, dès lors, notre soutien.
Je souhaiterais dépasser les considérations d'ordre budgétaire pour inscrire dans notre débat six points qui me semblent fondamentaux.
S'agissant tout d'abord de La Poste, la situation du service public postal s'est objectivement améliorée depuis 1997.
La Poste est sortie de ses difficultés financières et s'est engagée dans une dynamique de développement. Les relations sociales au sein de l'entreprise se sont améliorées. Un effort volontariste a été engagé en direction des personnels contractuels à statut précaire. Le dialogue avec les élus a été rétabli.
Il s'agit bien pour l'opérateur à la fois d'être en capacité d'exercer des missions de service public et d'être présent dans le secteur concurrentiel.
Nous ne pouvons, dès lors, nous trouver dans le camp de ceux et de celles qui, présentant La Poste comme une entreprise en grand péril, prétendent « sauver La Poste » en ouvrant la porte à plus de libéralisation, et nous réaffirmons notre attachement au statut d'établissement public de La Poste. Le débat budgétaire sera l'occasion pour vous, monsieur le secrétaire d'Etat, de présenter votre conception du devenir de La Poste.
La transposition de la directive postale communautaire de 1997 a été entreprise à l'occasion de la discussion de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez nous présenter votre position quant à la proposition, qui a été évoquée à l'instant, de révision de la directive européenne, tendant à libéraliser totalement le secteur postal au 1er janvier 2003. Nous attendons que cette transposition se fasse dans des conditions qui garantissent une offre de service universel de qualité sur tout le territoire.
S'agissant maintenant de France Télécom, le chiffre d'affaires a atteint 161,7 milliards de francs, contre 153 milliards de francs en 1997. Il est encore en forte progression en 1999.
Il est fondamental que, dans les télécommunications, secteur où les innovations technologiques se produisent à une vitesse considérable, la recherche reste une priorité.
Nous suivons de très près les crédits accordés au Réseau national de recherche en télécommunications, le RNRT. Leur niveau est maintenu pour l'année 2000.
Le RNRT participe au développement indispensable de la société de l'information en s'intéressant, notamment, à l'offre Internet de deuxième génération - les fameux hauts débits - à la téléphonie mobile multimédia - le sigle UMTS commence à apparaître - aux constellations par satellites.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous donner des assurances sur les capacités françaises de conserver et d'enrichir le capital recherche et serait-il possible d'avoir une évaluation globale des efforts consentis pour la recherche en télécommunications dans notre pays ?
Il est essentiel de permettre au plus grand nombre d'accéder à la société de l'information. Le Gouvernement, par votre nom, a pris l'initiative de proposer à la Commission européenne de mettre le raccordement des écoles à Internet dans le service universel.
Cette proposition ne semble pas avoir été reprise lors du dernier Conseil des ministres européens des télécommunications.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la partie est-elle perdue ?
Nous pensons qu'il faut enrichir le service universel. Ne devrait-on pas, à terme, envisager d'y inclure le mobile ?
Le dégroupage total, en faveur duquel vous vous êtes prononcé récemment, aura des incidences sur le niveau des investissements et présenterait, selon certains, des risques d'écumage abusif du marché.
Dès lors, quels avantages peut-il engendrer ? Si le dégroupage est appliqué à la téléphonie fixe, permettra-t-il de faire baisser les tarifs des appels locaux et, surtout, des abonnements, dont le prix est encore très élevé pour les petits consommateurs ?
A l'heure de la mondialisation, nous assistons à un mouvement sans précédent de concentrations.
Dans les domaines de la distribution postale et des télécommunications, la concurrence entre opérateurs fait rage.
S'agissant tout d'abord de La Poste, sa stratégie internationale et son insertion dans les champs européen et mondial constituent aujourd'hui des défis majeurs, à un moment où elle se trouve confrontée à une concurrence d'une extrême vigueur et au développement de nouvelles technologies, comme le courrier et le commerce électroniques.
A l'heure où les opérateurs postaux allemand, britannique et néerlandais ont pris des positions fortes en Europe, la France ne saurait rester à l'écart du mouvement et elle doit continuer à rechercher des alliances.
A cet égard, je souhaiterais, à mon tour, que vous nous précisiez de quelle manière la tutelle entend aider La Poste dans ses efforts de développement à l'international.
S'agissant des choix internationaux de France Télécom, l'opérateur doit être capable de répondre à trois objectifs : devenir un opérateur européen majeur ; proposer aux usagers, aux entreprises en particulier, des services mondiaux à un coût concurrentiel ; enfin, s'implanter sur les marchés mondiaux à fort potentiel.
L'échec de l'alliance avec Deutsche Telekom contraint désormais à effectuer des réorientations stratégiques urgentes.
Comment, monsieur le secrétaire d'Etat, vous paraît-il possible de conforter l'entreprise sur le plan international tout en encourageant les améliorations au bénéfice des usagers ?
Vous avez voulu et mis en place une méthode de concertation locale renouvelée et renforcée, permettant à La Poste et aux acteurs locaux de trouver des réponses aux nécessaires modernisation et adaptation du réseau postal.
La signature du contrat d'objectifs et de progrès, la création des commissions de présence postale territoriale ouvrent la possibilité d'une « décentralisation d'initiatives ».
L'avenir des points de contacts postaux en zone rurale comme dans les zones urbaines en difficulté est lié à ce travail en commun, qui est souvent difficile.
Au terme d'une première année d'existence des commissions départementales de concertation, peut-on d'ores et déjà tirer un premier bilan de cette expérience et connaître les mesures d'adaptation que le Gouvernement va en déduire ?
Enfin - et ce sera mon dernier point - il ne saurait être question d'occulter la place que doivent prendre les deux opérateurs dans l'effort national de lutte contre le chômage et la précarité, à travers l'aménagement et la réduction du temps de travail.
La Poste est l'entreprise française ayant le plus fort effectif à devoir passer aux 35 heures. On peut regretter, alors qu'elle réalise 50 % de son chiffre d'affaires dans le secteur concurrentiel, que La Poste ne bénéficie pas d'aides de l'Etat pour cette réduction du temps de travail, créatrice d'emplois.
Un accord d'entreprise portant sur l'aménagement et la réduction du temps de travail a été signé le 17 février 1999. Nous observons les négociations sur le terrain. Est-il possible d'avoir des informations sur les premiers résultats obtenus dans le cadre de ces négociations ?
A France Télécom, la négociation sur le passage aux 35 heures vient de s'engager. La signature d'un accord-cadre, comme à La Poste, manifestant ainsi une volonté d'atteindre des objectifs, peut-elle être espérée à court terme ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, le développement de l'innovation, l'évolution rapide des technologies, les modifications réglementaires et l'environnement concurrentiel de plus en plus agressif ne vous facilitent pas la tâche.
Le groupe socialiste vous exprime sa confiance pour continuer dans la direction prise depuis votre arrivée : défendre et promouvoir un service public fort et performant, faire progresser la recherche, l'innovation et l'investissement, participer aux efforts en faveur de l'emploi et de l'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Bernard Murat. Et dans les zones rurales !
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la double tutelle recherche-industrie du Commissariat à l'énergie atomique m'incite à reprendre aujourd'hui l'intervention que j'ai faite hier auprès de M. Allègre. Aussi, je demande à mes collègues qui l'ont déjà entendue de bien vouloir me pardonner cette redite.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de m'arrêter un instant sur les dotations du Commissariat à l'énergie atomique.
Ce sujet est loin d'être anecdotique. En effet, cet établissement est la carte maîtresse de l'avenir nucléaire de notre pays, et les préoccupations dont je vais faire état ont été soulevées, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, par tous les groupes politiques - sauf un ! - y compris par le rapporteur spécial de la commission des finances et par le rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges, comme par le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, M. Jean Clouet, voilà quelques instants.
Hier, dans sa réponse, M. Allègre a cru devoir affirmer que cette mobilisation ne pouvait se faire que parce que le CEA était un important lobby. Je ne puis me satisfaire de cette réponse. Pour ma part, j'estime que les parlementaires sont attachés à cette question parce qu'il s'agit d'un secteur capital de la recherche. En effet, alors que les crédits d'investissements de cet établissement ont presque totalement été débudgétisés en 1997, ce qui a fragilisé durablement l'équilibre financier de celui-ci, le projet de loi de finances pour 2000 me semble être un nouveau mauvais coup pour le CEA.
Le maintien apparent de la subvention de l'Etat, tout d'abord, est assez largement illusoire, puisque cette subvention avait été diminuée de 300 millions de francs en 1999 et que le bouclage du budget de 1999 du CEA s'avérera, de ce fait, acrobatique, voire impossible, malgré une ponction supplémentaire sur les industriels de 160 millions de francs et une réduction du programme d'investissement de 100 millions de francs. Par conséquent, l'impasse s'élève à 40 millions de francs pour 1999.
Pour 2000, les perspectives ne sont guère réjouissantes car, si l'on analyse le budget notifié par la tutelle à l'établissement, on s'aperçoit que l'impasse pourrait même s'élever, à ma connaissance, à près de 246 millions de francs, sur un budget total de 11,1 milliards. Son « équilibre » est en effet construit sur des bases fragiles.
S'agissant des ressources, 50 millions de francs sont censés provenir du fonds de la recherche technologique et du fonds national de la science qui fonctionnent, on le sait, par appels à propositions. M. Allègre est favorable au maintien de cette procédure. Il s'agit effectivement d'un principe tout à fait recevable dans une économie ouverte, si les règles sont claires et transparentes.
En outre, 21 millions de francs proviendraient d'un emprunt à CEA-Industrie, qui financerait ce dernier par la vente partielle du capital de certaines filiales. Est-il raisonnable de parier sur la cession d'une partie du patrimoine, ce que M. le rapporteur spécial a appelé les « bijoux de famille », pour payer les frais de fonctionnement du CEA ?
Enfin, 165 millions de francs supplémentaires devraient être trouvés auprès des industriels, qui financent déjà près de 40 % du CEA, ce qui représente une proportion inégalée par rapport à ses concurrents étrangers. Malgré l'excellence de ses travaux, le CEA ne manquera pas de trouver la pilule bien amère, car on lui a déjà demandé un effort important l'an dernier !
En ce qui concerne les dépenses, le budget est construit sur une hypothèse de gel des salaires et le coût de la mise en place des 35 heures n'apparaît pas.
De plus - et c'est un point important - la taxation introduite par l'article 24 du projet de loi de finances pour 2000 pourrait coûter entre 10 millions et 130 millions de francs supplémentaires, selon le montant du coefficient multiplicateur compris entre un et quatre, fixé à la discrétion du Gouvernement, ce qui pourrait d'ailleurs se révéler contraire aux prérogatives constitutionnelles du Parlement.
Je crains donc que le CEA ne puisse tenir son programme d'investissement et poursuivre, notamment, l'indispensable processus d'assainissement de ses centres civils.
La situation est préoccupante. Sont inscrits au chapitre 45-10 du ministère de l'industrie, à l'article 50, 100 millions de francs qui correspondent à la provision des frais de scission de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, l'IPSN, et du CEA. Ne serait-il pas opportun, monsieur le secrétaire d'Etat, de les intégrer à la dotation du CEA, au chapitre 45-10, article 40, et de régler la question du financement des frais éventuels de scission IPSN-CEA dans le collectif budgétaire, comme le propose le rapporteur spécial M. Jean Clouet, car on ne sait pas exactement quand cette scission aura lieu ? Cela pourrait être un début de solution. Sur ce point, M. Allègre ne m'a pas donné de réponse claire.
Monsieur le secrétaire d'Etat, que répondez-vous à cette proposition ? Pouvez-vous nous dire comment vous comptez régler les problèmes qui se posent pour assurer l'avenir du CEA ?
Enfin, pouvez-vous nous dire également quand sera prise la décision de lancement du nouveau réacteur EPR ? Je crains que, si nous devions attendre jusqu'à mai 2002, la France n'ait laissé passer sa chance. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du projet de budget de l'industrie m'amènera à évoquer trois questions : la place de La Poste en milieu rural, la libéralisation du secteur de l'électricité et, enfin, les crédits du CEA.
En ce qui concerne les crédits de La Poste, je souhaiterais formuler une remarque préliminaire.
Comme l'a rappelé M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis, ces crédits ont été purement et simplement absorbés au sein d'un ensemble si vaste qu'il devient même malaisé de les identifier. Ils ne font plus l'objet d'une section budgétaire distincte, mais ont été au contraire intégrés dans un agrégat fourre-tout. Ma question est simple : la disparition d'un ministère clairement identifié constitue-t-elle une nouvelle étape d'un désengagement total de l'Etat de ce secteur d'activité ?
Or les missions de service public qu'elle remplit et ses capacités à créer de la richesse et des emplois font de La Poste un acteur clef de l'économie tant nationale que locale. Grâce à ses 17 000 points d'implantation, mais aussi de par la fréquence des tournées des facteurs dans les zones rurales les plus reculées, l'opérateur public joue un rôle essentiel dans l'aménagement harmonieux de notre territoire. Je vous rappelle que, dans les petites communes, les agences postales constituent souvent la principale, voire la seule, activité économique.
Aujourd'hui, le secteur postal connaît un bouleversement à l'échelle européenne. J'en veux pour preuve les offensives des autres entreprises postales européennes, qui, dans un marché libéralisé, se sont engagées dans une course à la croissance extérieure. Le rôle, les missions et le fonctionnement du secteur postal, qui sont liés aux notions de service public et d'intérêt général, vont donc connaître des transformations radicales.
Certes, ces mutations étaient nécessaires. Cependant, pour ma part, comme la majorité des Français, je reste très attaché à une poste de proximité. D'ailleurs, le Gouvernement lui-même avait promis une « poste moderne, combative et proche du citoyen », une poste qui accorderait « une attention toute particulière à l'amélioration de sa présence territoriale afin d'assurer un service public de qualité accessible à tous ».
Dans les faits, monsieur le secrétaire d'Etat, le constat est bien différent : on réduit les horaires d'ouverture des bureaux de poste, ou même on les ferme à mi-temps, et les agents en congé ne sont pas remplacés. Dans mon département, la Corrèze, la suppression des tournées locales pour neuf bureaux ruraux semble acquise, contrairement à ce que vous aviez promis.
De même, le passage aux 35 heures, au lieu de permettre la création d'emplois, entraîne une réduction des heures d'ouverture des bureaux, ainsi que la suppression de postes de facteur. Il n'y a plus de service public, et les zones les plus défavorisées sont les premières frappées, pour cause de rentabilité, par ces mesures qui aggravent la fracture entre des départements riches, toujours plus riches, et des départements pauvres, destinés, condamnés à devenir plus pauvres, et ce alors même que les communes consentent d'importants efforts pour la rénovation et la mise à disposition du contractuel occupant le poste de receveur d'un logement, pour la réalisation de travaux au sein même du bureau de poste, voire pour le détachement de personnels communaux faisant fonction de préposés, en totale contravention avec les recommandations des chambres régionales des comptes. C'est pourquoi le futur maillage postal de notre territoire national m'inspire de sérieuses craintes.
En outre, avec mon ami Georges Mouly et l'ensemble des maires de mon département, je m'interroge sur les conséquences de ces mesures pour la qualité du service public que nous devons à nos concitoyens, sans pouvoir leur proposer de palliatif aux carences constatées.
Ainsi, mes chers collègues, si nous devons accompagner la mutation du service postal, nous avons aussi le devoir de veiller à la préservation de l'aménagement harmonieux de notre territoire, en particulier dans les départements les plus défavorisés, au nom de la solidarité nationale.
A cet égard, le contrat d'objectif et de progrès signé le 25 juin 1998 entre La Poste et l'Etat fixe des orientations visant à préciser les conditions d'évolution et d'amélioration du service postal, tant en zone rurale qu'en zone urbaine, notamment dans les quartiers en difficulté. Là encore, monsieur le secrétaire d'Etat, je me vois dans l'obligation d'attirer votre attention sur la réalité que vivent les maires sur le terrain lorsqu'ils doivent faire face à la fermeture, voire à la délocalisation des bureaux de poste.
J'observe que la philosophie générale du Gouvernement est de faire mieux à un coût moindre. Certes, cette ambition est louable. En effet, j'estime qu'il devient urgent de diminuer les coûts de fonctionnement de l'Etat, des collectivités locales et de leurs établissements publics.
Cela étant, au moment où les médias célèbrent le retour à la croissance, il me semblerait plus cohérent que les excédents dégagés à l'échelon départemental par La Poste contribuent à assurer l'équilibre financier des petits bureaux de poste situés en milieu rural. Cela permettrait d'améliorer les résultats financiers de La Poste tout en poursuivant l'implantation de petits bureaux de poste dans nos campagnes.
J'aimerais maintenant évoquer l'ouverture du marché de l'électricité.
Si je suis favorable à une exception française raisonnée et intelligente, je suis, en revanche, hostile à une exception française tendant au refus du jeu des marchés et de la concurrence.
De ce point de vue, la directive européenne vise à introduire la concurrence dans l'industrie électrique partout où cela est souhaitable et possible. La France, qui s'est engagée, avec ses partenaires européens, à construire un marché unique régi par la concurrence, doit tenir sa parole. Or le projet de loi visant à transposer la directive en droit français est trop timoré. Le Gouvernement s'est contenté de proposer un dispositif ayant pour objet d'inscrire dans le droit français tout ce qu'il ne pouvait refuser d'y inscrire, sauf à se mettre en infraction avec les règles établies par l'Union européenne.
Le Sénat, quant à lui, avait formulé des propositions tendant à assurer l'indépendance énergétique de la France, ainsi qu'à permettre à toutes les entreprises d'être en situation d'affronter la concurrence. Le 18 novembre dernier, lors de la réunion de la commission mixte paritaire chargée de trouver un accord sur le texte définitif du projet de loi de transposition, aucun compromis n'a pu être élaboré, malgré les efforts du Sénat.
Cette issue défavorable à la France est déplorable. Je condamne ici l'attitude de la majorité plurielle, qui, pour des considérations idéologiques et politiciennes liées à ses contradictions internes, a rejeté les avancées modérées et honorables proposées par le Sénat. Celles-ci donnaient pourtant satisfaction à la fois aux usagers, aux collectivités locales, à l'établissement public Electricité de France et aux entreprises concernées par l'ouverture du marché, tout en permettant de préserver notre indépendance énergétique.
Préoccupé par l'état de sa majorité à la veille des élections européennes, le Gouvernement avait déjà repoussé l'échéance d'une transposition qui devait intervenir avant le 19 février 1999. Aujourd'hui, bien qu'une procédure d'infraction contre la France ait été engagée par la Commission européenne et bien que nombre de nos partenaires européens envisagent de prendre des mesures de rétorsion, le Gouvernement persiste dans cette voie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je regrette que le Gouvernement aille à l'encontre des intérêts de la France. Que fait-on de la compétitivité de nos entreprises ? Quelle place réservons-nous à notre commerce, tant national qu'européen, donc international ? Des centaines de PME et de PMI françaises restent à quai, pendant que d'autres s'adaptent, évoluent, conquièrent des marchés et rendent à leur économie la compétitivité qui fait que les carnets de commandes se remplissent et que le marché de l'emploi est conquérant, offensif, concurrentiel. Que de temps perdu depuis un an à propos d'un texte pour lequel le Gouvernement avait pourtant déclaré l'urgence !
Je conclurai en évoquant le CEA, pour lequel votre projet de budget affiche des crédits en hausse de 71 millions de francs, soit 5,1 %. Or il ne s'agit que d'un jeu d'écriture : les autorisations de programme stagnent, d'une part, et, d'autre part, sur ces 71 millions de francs, 26 millions de francs sont consacrés au financement de la séparation du CEA et de l'IPSN. Ainsi, cette augmentation de crédits ne concernera que des dépenses de fonctionnement, alors qu'il eût été nécessaire de majorer les crédits d'investissement du CEA. En effet, il est essentiel de permettre à cet organisme de maintenir ouverte l'option nucléaire à l'horizon de 2010 et de lui donner les moyens d'achever les six grands chantiers qui sont actuellement en cours.
Je souhaite donc vous faire une suggestion, monsieur le secrétaire d'Etat : ne pourrait-on pas affecter les 26 millions de francs alloués à la réalisation de la scission à des opérations d'investissement, c'est-à-dire différer le financement de la scission et redéployer ces crédits dans l'optique du collectif budgétaire ?
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, les observations que je tenais à formuler sur votre projet de budget pour 2000. Le groupe du RPR rejettera celui-ci, car il désapprouve ses orientations et son manque d'ambition au regard des légitimes attentes des Français.

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