Séance du 23 novembre 1999







« I. - L'article L. 191 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 191. - Chaque canton du département élit un membre du conseil général ainsi qu'un suppléant appelé à le remplacer en cas de décès ou de nomination à des fonctions incompatibles. »
« II. - Après le premier alinéa de l'article L. 210-1 du code électoral, il est inséré trois alinéas ainsi rédigés :
« Cette déclaration doit également indiquer les nom, prénoms, date et lieu de naissance, domicile et profession de la personne appelée à remplacer le candidat élu en cas de vacance de siège. Elle doit être accompagnée de l'acceptation écrite du remplaçant ; celui-ci doit remplir les conditions d'éligibilité exigées des candidats.
« Nul ne peut figurer en qualité de remplaçant sur plusieurs déclarations de candidatures.
« Nul ne peut être à la fois candidat et remplaçant de candidat. »
« III. - Au premier alinéa de l'article L. 221 du code électoral, le mot "décès", est supprimé.
« IV. - Dans le même alinéa, les mots : ", L. 209 et L. 210" sont remplacés par les mots : "et L. 209". »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 2, présenté par MM. Michel Mercier et Trégouët, et tendant à compléter le texte présenté par le I de l'amendement n° 1 pour l'article L. 191 du code électoral par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'un nouveau canton est créé par la fusion de deux cantons et que les anciens cantons n'appartiennent pas à la même série de renouvellement, nonobstant ce fait il est procédé à une élection ouverte à tous les candidats afin de pourvoir le siège du nouveau canton.
« Le conseiller général de l'ancien canton non renouvelable, s'il n'est pas élu au siège du nouveau canton, achève son mandat jusqu'à son terme légal. »
La parole est à M. de Broissia, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis de Broissia. Je n'aurai sans doute pas le talent oratoire de notre collègue M. Michel Dreyfus-Schmidt pour défendre les procédures qui ne permettent pas aux parlementaires de profiter des niches que la réforme voulue par M. Séguin puis adoptée par le Congrès nous a permis d'ouvrir. En tout état de cause, moi, en tant que sénateur, je m'installe dans la « niche » que m'offre aujourd'hui la discussion d'une proposition de loi relative à la réforme du mode électoral des conseillers généraux et j'en profite, je ne le cache pas, pour « ressortir » une proposition, que j'avais déposée il y a fort longtemps - il y a dix ou onze ans - sur le bureau d'une autre assemblée. Tout le monde me disait à l'époque, et tout le monde me dit depuis qu'elle était excellente. Mais il n'y avait toujours pas de « niche » ! La niche étant aujourd'hui ouverte, je m'y installe allègrement pour convaincre mes collègues de l'intérêt de cette proposition, même si la commission a pu, pour des raisons que je comprends fort bien, considérer qu'elle ne s'inscrivait pas dans la logique de la discussion d'aujourd'hui.
M. le rapporteur l'a dit, il y a des lacunes et des imperfections dans le code électoral. L'une d'elles est de taille : en dehors du Président de la République, un seul élu dans la République, un seul, le conseiller général, ne bénéficie ni d'un remplaçant ni d'un suppléant. Pour le Président de la République, c'est par référendum que le peuple français a tranché : il n'a pas de suppléant et il n'y a pas de vice-président de la République. En cas de décès, l'intérim est assuré par le président du Sénat.
Le maire, dans un conseil municipal, a des adjoints et, lorsqu'il est empêché, on sait bien, dans nos communes, lui trouver un successeur.
De même, le conseiller régional a un remplaçant automatique, puisque c'est le suivant de liste. Le député a un suppléant élu, le sénateur aussi ; j'ai eu le bonheur d'être élu sénateur voilà un an et j'ai une suppléante qui a été élue au titre d'un « ticket ». Enfin, le député européen a un remplaçant automatique.
Seul donc le conseiller général - je ne le compare pas au Président de la République - n'a aucun suppléant désigné.
Je pense qu'il est temps de corriger cette bizarrerie de notre code électoral. J'ai donc suggéré que, à l'occasion des renouvellements, chaque conseiller général puisse faire équipe avec un suppléant, de telle sorte que la continuité soit assurée : si un conseiller général décède, il est alors automatiquement remplacé.
Le mandat de conseiller général est important et on a pu constater, dans de nombreux conseils généraux, les difficultés auxquelles donne lieu la situation législative actuelle. Au moment où l'on veut renouveler la démocratie locale - et je crois profondément au statut du conseiller général élu par une population et par un territoire qui se reconnaissent en lui - il est temps de modifier le code électoral.
Je ne sais pas si le Sénat retiendra cette proposition. Elle me semble cependant s'inscrire tout à fait dans la logique de cette niche parlementaire. Je suis donc tout à fait déterminé à faire en sorte que, à cette occasion ou à une autre à venir, cette anomalie extrêmement ancienne soit corrigée.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter le sous-amendement n° 2.
M. Michel Mercier. M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ayant bien voulu reprendre à leur compte, dans l'article 2, ce sous-amendement, je n'ai plus qu'à le retirer, me réservant de parler sur l'article 2.
M. le président. Le sous-amendement n° 2 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 1 ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je n'aurai pas l'hypocrisie de dire à notre excellent collègue M. Louis de Broissia, comme tous ceux qui lui ont fait cet honneur par le passé, combien sa proposition est intéressante. C'est que la commission des lois est d'un avis quelque peu différent.
Nous vivons en effet sous la « dictature » des instituts de sondage et il n'est pas mauvais que, de temps à autre, il y ait un coup de sonde grandeur réelle !
Au demeurant, on nous raconte parfois que les taux de participation pour les élections cantonales partielles sont faibles, ce qui est très exact dans les cantons urbains. Il en va tout autrement dans les cantons ruraux et je ne voudrais pas omettre quelques pourcentages de nature à vous éclairer sur l'intérêt que les électeurs portent encore à des élections partielles.
Les élections cantonales partielles qui se sont déroulées entre octobre 1998 et octobre 1999 ont permis de constater des taux de participation élevés, avec 82,8 % à Montredon-Labessonnié, dans le Tarn, 81,6 % à Noroy-le-Bourg, en Haute-Saône, 72,6 % à Lunas, dans l'Hérault, 68,2 % au Russey, dans le Doubs, 67,4 % à Nesle, dans la Somme, 66,5 % à Génolhac, dans le Gard et, il y a dix jours, à Sainte-Geneviève-sur-Argence, dans l'Aveyron, 75,6 % au second tour.
La commission des lois estime qu'il est intéressant de pouvoir disposer d'un sondage d'opinion en grandeur réelle tout au long d'une année, à l'occasion d'élections cantonales partielles. L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. L'institution de suppléants a été prévue pour les députés et les sénateurs notamment en raison de l'incompatibilité édictée par l'article 23 de la Constitution entre les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire. Or aucune disposition homologue n'empêche un conseiller général de cumuler son mandat avec des fonctions au sein de l'exécutif du département.
Par ailleurs, la création d'un suppléant du conseiller général n'irait pas sans inconvénients. Outre qu'elle est étrangère à une tradition républicaine plus que séculaire, ce qui, pour moi, n'est pas déterminant en raison de la volonté de réforme de ce gouvernement, elle ne manquerait pas de porter atteinte au lien personnel très fort qui existe, en particulier dans les cantons ruraux, entre les électeurs et le conseiller général qu'ils ont désigné.
La réforme proposée n'aurait pas toutes les vertus que lui prête l'auteur de l'amendement en termes d'économies d'élections partielles, car le nombre de celles-ci ayant lieu pour cause de décès représente sensiblement moins de la moitié des élections cantonales partielles. En effet, les vacances provoquées par des démissions consécutives à une option en cas de cumul prohibé des mandats ne doivent pas permettre au suppléant de succéder au titulaire du mandat, contrairement à ce que prévoit l'amendement. Un tel système permettrait en effet à une personnalité connue de se faire élire dans le seul but de mettre en place un « homme - ou une femme - de paille », sans audience réelle, en contournant la législation limitant le cumul des mandats, ce qui constituerait une tromperie à l'égard des électeurs.
Telles sont quelques-unes des raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme vient de le dire M. le ministre, l'institution de suppléants a effectivement été prévue pour les députés et les sénateurs notamment en raison de l'incompatibilité édictée par l'article 23 de la Constitution entre les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire.
En vérité, on pourrait s'interroger sur l'objet de cette incompatibilité. C'est bien évidemment pour que l'exécutif supérieur puisse tenir ses ministres, puisque quand on n'est plus ministre, on n'est plus non plus député ou sénateur. Si M. de Broissia nous proposait une réforme constitutionnelle tendant à supprimer les suppléants pour les parlementaires, je le suivrais. En revanche, je ne puis accepter la création de suppléants pour les conseillers généraux. Aussi, je voterai contre l'amendement.
M. Louis de Broissia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. Je ne suis absolument pas convaincu par la démonstration de M. le ministre. En revanche, je suis beaucoup plus intéressé par l'argumentation de la commission.
La démonstration du Gouvernement est d'une grande faiblesse. En effet, si l'on invoque, comme l'a fait M. le ministre, une tradition multiséculaire, alors il ne faut rien changer. Dans ces conditions, quel est le rôle du législateur ? En l'occurrence, nous sommes réunis pour corriger - je reprends les propos de M. le rapporteur - les lacunes et les défectuosités du code électoral. Aussi, ce premier argument du Gouvernement ne doit pas être retenu.
Par ailleurs, et cela m'a choqué, je ne vous le cache pas, monsieur le ministre, vous avez parlé d'homme ou de femme de paille. Cela n'est pas correct.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pour les cantons ruraux ! (Sourires.)
M. Louis de Broissia. Ainsi, chaque fois qu'une personne a un suppléant, ce serait un homme ou une femme de paille. Cela me gêne quelque peu. Je veux bien croire qu'un tel abus de langage est dû à la discussion parlementaire et je vous pardonne. Votre propos dénature l'esprit même de ma proposition.
Compte tenu de ma longue expérience de député, je puis vous dire que le lien entre le député et ses électeurs dans une circonscription limitée n'est pas affaibli par l'existence d'un suppléant. En mathématiques, c'est ce que l'on appelle une démonstration par l'absurde. Aussi, je ne peux l'admettre.
Comme je l'ai déjà dit, je suis beaucoup plus intéressé par l'argumentation de la commission. En effet, force est de reconnaître que les élections cantonales partielles sont un baromètre de la démocratie locale. Toutefois, monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous le dire, vous vous êtes contredit vous-même. En effet, vous avez affirmé qu'il faut se méfier des sondages mais vous avez ajouté que les élections cantonales partielles sont des sondages. Or, convenons-en, il s'agit de sondages très aléatoires puisqu'ils tiennent à la mortalité des conseillers généraux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela peut arriver !
M. Louis de Broissia. Certes.
Selon moi, ce dispositif correspond à une anomalie de la démocratie. C'est dans cet esprit que j'ai déposé cet amendement. Il ne s'agit pas de désigner un homme de paille.
Monsieur le ministre, actuellement a lieu le congrès de l'Association des maires de France. On va chercher des candidats pour les prochaines élections. Dans des cantons ruraux il faudra préparer des candidats longtemps à l'avance, car ils devront effectivement assumer leurs responsabilités. Je suis persuadé qu'être suppléant est une bonne préparation pour exercer ces responsabilités, comme être adjoint est une excellente préparation à la fonction de maire, et j'en sais quelque chose.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut un suppléant pour le maire !
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. Alain Joyandet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Je ne sais pas si notre collègue M. Louis de Broissia maintiendra son amendement, mais la discussion à laquelle ce dernier a donné lieu est intéressante. Cependant, nous sommes quelque peu gênés, malgré l'avis de la commission et celui que le ministre a émis. En effet, je ne suis absolument pas convaincu par les arguments que j'ai entendus.
Monsieur le rapporteur, tout à l'heure, vous nous avez fait l'honneur de citer le département de la Haute-Saône, que M. Joly, le premier cosignataire de la proposition de loi, et moi-même représentons dans cette enceinte. Dans ce département, le conseil général comprend seize élus de la majorité et seize élus de l'opposition. L'élection partielle à laquelle vous avez fait allusion tout à l'heure était due non pas à un décès mais à une invalidation. Compte tenu de la date à laquelle est intervenue celle-ci, le conseil général de notre département a été présidé pendant plusieurs mois par un président d'âge. Ce dernier a assuré l'exécutif de ce département alors qu'il était politiquement minoritaire. Voilà la situation absurde dans laquelle nous nous sommes trouvés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comment peut-on être minoritaire avec seize élus de la majorité et seize élus de l'opposition ?
M. Alain Joyandet. Seize moins un puisque l'invalidé appartenait à sa tendance.
Pendant les trois mois qui se sont écoulés jusqu'à l'élection du nouveau conseiller général, nous avons eu un président qui a assuré l'exécutif, qui a pris quotidiennement des décisions alors qu'il était politiquement minoritaire.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cela vaut mieux que d'en signer depuis sa prison !
M. Alain Joyandet. En tout cas, il s'agit d'un véritable problème. C'est pourquoi l'instauration de suppléants me semble une bonne idée. On y avait d'ailleurs déjà pensé depuis un certain temps.
Vous avez parlé d'homme de paille, monsieur le ministre. Or, qu'avons-nous constaté ces derniers temps ? Certaines têtes de liste, dans des grandes villes, n'ont pas été maires dans les heures qui ont suivi l'élection. De même, toutes les têtes de liste des dernières élections européennes ne siègent pas au Parlement européen. Un certain nombre y siègent, d'autres y ont renoncé ou ne s'y rendent jamais. Dans un certain nombre d'élections à la proportionnelle, les têtes de liste - et c'est un véritable problème - ne siègent pas. Ces deux arguments ne sont absolument pas convaincants.
Monsieur de Broissia, si vous retiriez votre amendement, cela nous arrangerait beaucoup. En effet, il est difficile de voter contre cet amendement et contre la commission. Je le répète : le problème que vous avez soulevé a conduit à une discussion très intéressante.
M. Philippe Adnot. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Je suivrai la commission. En effet, ce sujet n'a jamais posé de problème. Lorsque quelque chose ne pose pas de problème, il ne faut pas y toucher !
M. le président. Monsieur de Broissia, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Louis de Broissia. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Article 2

M. le président. « Art. 2. - L'article L. 192 est complété par deux nouveaux alinéas ainsi rédigés :