Séance du 18 novembre 1999







M. le président. Par amendement n° 33, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté par le I de l'article 24 pour l'article L. 162-22-1 du code de la sécurité sociale :
« Pour les établissements de santé mentionnés à l'article L. 710-16-2 du code de la santé publique, un contrat tripartite conclu pour cinq ans entre l'Etat, la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une autre caisse nationale d'assurance maladie ainsi qu'une au moins des organisations nationales les plus représentatives de ces établissements détermine : ».
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. J'ai peur que certains des mots que je vais employer pour défendre cet amendement ne viennent dégrader l'excellent climat qui s'est instauré depuis le début de cet après-midi. (Exclamations amusées sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
En effet, l'article 24 a pour objet de réformer le mécanisme de régulation des dépenses de l'hospitalisation privée introduit en 1991, tel qu'il résulte de l'article 21 de l'ordonnance du 24 avril 1996.
Cette réforme approfondit la régionalisation de la régulation introduite en 1996, mais - c'est sur ce point que nous ne pouvons pas être d'accord - en exclut l'assurance maladie au profit du ministre, ce que j'ai appelé l'« étatisation » de la sécurité sociale, si vous me permettez un mot dont je ne voudrais pas qu'il soit pris comme un gros mot. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
En outre, la réforme que vous nous proposez, madame le ministre, réduit considérablement le champ de la discussion contractuelle.
Ainsi, la nouvelle rédaction proposée par l'article 24 pour l'article L. 162-22-1 du code de la sécurité sociale confie au décret le soin de disposer du cadre général de la régulation de l'hospitalisation privée.
Tous les éléments qui, dans le droit en vigueur, relevaient du contrat tripartite national conclu entre l'Etat, l'assurance maladie et les cliniques relèvent désormais du seul Etat.
Nous vous proposons de revenir au droit en vigueur et de refuser cette étatisation d'éléments qui appartiennent aujourd'hui au champ contractuel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je remarque d'abord que l'ensemble des fédérations de cliniques critiquent, et à juste titre, les tarifications actuelles, qui n'ont aucune cohérence, les tarifs pouvant être tout à fait différents pour les mêmes pathologies et dans les mêmes endroits, sans aucune logique.
Par ailleurs, tout le monde dans cet hémicycle considère légitimement que nous devons, dans un certain nombre de domaines - l'accréditation, la tarification à la pathologie - traiter de la même manière les secteurs de l'hospitalisation publique et de l'hospitalisation privée, même si nous savons que l'hôpital public est soumis à des obligations de service public, notamment de formation et de recherche, et qu'il doit être financé en conséquence.
Aussi, je ne comprends pas que, au moment où nous mettons en place un dispositif plus sain qui harmonise les dispositions au niveau national puis au niveau régional pour les cliniques, au moment où nous mettons en place un certain nombre de dispositifs, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur l'accréditation et la tarification à la pathologie qui permettent de traiter de la même manière l'hôpital public et l'hôpital privé, le Sénat s'y oppose. Je ne vois pas là non plus une grande cohérence, sauf à considérer que les économies doivent toujours être faites par les mêmes, c'est-à-dire par l'hôpital public, et que les cliniques doivent continuer à pouvoir évoluer sans aucune limite. Je ne suis pas sûre que ce soit votre position, monsieur le rapporteur, mais, dans ce cas, je comprends encore moins la cohérence de votre amendement.
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Sur le fond, cette disposition que le Gouvernement veut introduire renforce la dichotomie entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, qu'elle soit publique ou privée. En effet, l'assurance maladie n'a plus autorité que sur la médecine ambulatoire, l'Etat ayant dorénavant autorité non plus seulement sur les hôpitaux, comme auparavant, mais aussi sur les cliniques privées.
M. Claude Huriet l'a expliqué ce matin, et M. Dominique Leclerc également : il est bien évident aujourd'hui qu'il faut aller non plus vers des agences régionales de l'hospitalisation mais vers des agences régionales de santé. Environ 15 milliards de francs de dépenses pèsent sur l'ONDAM de la médecine ambulatoire, au titre des dépenses externalisées de l'hôpital. Donc, on voit bien que, tant que l'on n'aura pas réglé cette question, il y aura des conflits entre les syndicats de médecins libéraux et les représentants de la médecine hospitalière.
En somme, nous sommes contre toute dichotomie.
Au surplus, nous pensons qu'il ne faut pas ôter à l'assurance maladie cette régulation à laquelle elle participait pour lui laisser la seule médecine ambulatoire. C'est, sinon, une diminution des pouvoirs de l'assurance maladie, ce que j'ai appelé une « étatisation ».
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne pense pas que l'on puisse parler de dichotomie. Au contraire, nous essayons, dans ce texte, d'apporter une clarification, c'est-à-dire que nous rapprochons ce qui peut être rapproché.
Ainsi, il est normal que l'hôpital public et l'hôpital privé, qui remplissent aujourd'hui les mêmes missions, soient traités de la même manière. Encore une fois, les demandes en ce sens ont été pressantes.
Par ailleurs, à l'heure où nous parlons de rapprochements, de complémentarité, de fusions ou d'accords, comme c'est le cas dans les schémas régionaux d'organisation sanitaire de deuxième génération, entre l'hôpital public et l'hôpital privé, il eût été pour le moins aberrant que ceux-ci soient traités de deux manières différentes. Je crois donc que le dispositif proposé va dans le sens d'une meilleure harmonisation.
En revanche, je pense, tout comme vous, monsieur Descours, que nous devons de plus en plus mettre en place des réseaux entre la ville et l'hôpital, et ce à l'échelon non pas national mais local. Mais - vous en conviendrez avec moi - nous devons commencer par établir ces réseaux au sein de la médecine de ville, entre généralistes et spécialistes, et au sein du secteur hospitalier, entre hôpital public et hôpital privé, et seulement ensuite relier ces deux mondes.
J'ajoute, monsieur Descours, que parler d'étatisation à propos des agences régionales de l'hospitalisation, qui auront à connaître des hôpitaux comme des cliniques, est bien malvenu.
Je vous rappelle que les caisses régionales d'assurance maladie sont parties prenantes dans le fonctionnement des agences régionales de l'hospitalisation et qu'elles auront donc leur mot à dire dans la définition du lien que nous souhaitons instaurer entre médecine de ville et hôpital.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 33.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Je profite de la discussion de cet amendement pour faire part à Mme le ministre de mes interrogations et même mes préoccupations quant à l'évolution de l'hospitalisation privée.
J'ai en effet appris - et cela m'a été confirmé de différents côtés au cours des derniers mois - que l'on constatait actuellement dans ce secteur l'arrivée de capitaux importants provenant non seulement d'investisseurs n'ayant aucun lien avec le monde de la santé, ce que l'on pourrait accepter, mais de surcroît venant de l'étranger. Ces investisseurs viennent se porter acquéreurs d'un nombre parfois important d'établissements privés. Je m'interroge et sur la motivation et sur les conséquences.
Quand j'ai eu ces informations, je me suis demandé pourquoi certains investisseurs qui, par nature, ne sont pas des philanthropes, portaient un tel intérêt aux cliniques privées françaises. Il m'a été répondu que l'on jouait actuellement sur la durée.
L'hospitalisation privée en France est tout de même assez fragile. On connaît les raisons de cette fragilité ; certaines sont d'ailleurs tout à fait légitimes, d'autres sans doute plus contestables. Les investisseurs, souvent étrangers, avec même, m'a-t-on dit, des fonds de pension, viennent investir en France en comptant sur le fait qu'un jour cela aille mieux. On peut penser ici à la reconversion des cliniques, par exemple en établissements de long séjour ou pour l'hébergement des personnes âgées. Bref, cet investissement peut, à moyen terme, se révéler rentable.
Mais il y a plus inquiétant encore : je veux parler de certains fabricants de matériels qui se porteront acquéreurs. Sur ce terrain, ils ne rencontreront aucune concurrence, puisqu'ils seront à la fois investisseurs immobiliers et fournisseurs de matériels.
La question est suffisamment grave pour que j'attire votre attention, madame le ministre, dans l'attente de réponses face à une telle évolution.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 34, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de compléter le texte présenté par le paragraphe I de l'article 24 pour l'article L. 162-22-1 du code de la sécurité sociale par deux alinéas ainsi rédigés :
« 7° Les données utilisées pour la détermination de l'objectif quantifié national et les modalités selon lesquelles, chaque année, sont déterminées les évolutions des tarifs des prestations compatibles avec le respect de l'objectif. Le contrat tient compte à cet effet notamment de l'évolution constatée des dépenses et des changements de régime juridique et financier de certains établissements.
« En l'absence de contrat, les dispositions visées aux 1° à 7° sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. L'amendement précédent avait pour objet de maintenir le tripartisme en vigueur pour cet article L. 162-22-1 du code de la sécurité sociale.
En conséquence, nous vous proposons aussi de remonter dans le champ du contrat les dispositions du paragraphe II de l'article L. 162-22-2 du code de la sécurité sociale proposées par le projet de loi, qui appartiennent au champ contractuel dans le droit en vigueur et dont le projet de loi propose de confier la définition à un décret en Conseil d'Etat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 34, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article L. 162-22-1 du code de la sécurité sociale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE L. 162-22-2 DU CODE
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE