Séance du 18 novembre 1999







M. le président. « Art. 19. _ I. _ Après l'article L. 315-2 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 315-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 315-2-1 . _ Si, au vu des dépenses présentées au remboursement, le service du contrôle médical estime nécessaire de procéder à une évaluation de l'intérêt thérapeutique, compte tenu de leur importance, des soins dispensés à un assuré dans les cas autres que ceux mentionnés à l'article L. 324-1, il peut convoquer l'intéressé. Le service du contrôle médical peut établir, le cas échéant, conjointement avec un médecin choisi par l'assuré, des recommandations sur les soins et les traitements appropriés. Ces recommandations sont transmises à l'assuré par le médecin choisi par celui-ci, lorsque ces recommandations sont établies conjointement, ou à défaut, par le service du contrôle médical.
« Les modalités d'application de ces dispositions sont fixées par décret en Conseil d'Etat. »
« II. _ Au troisième alinéa de l'article L. 615-13 du même code, les mots : ", L. 315-2 et L. 315-3" sont remplacés par les mots : ", L. 315-2, L. 315-2-1 et L. 315-3".
« III. _ Au début du IV de l'article 1106-2 du code rural, les mots : ", L. 315-2 et L. 315-3" sont remplacés par les mots : ", L. 315-2, L. 315-2-1 et L. 315-3". »
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 30 est présenté par M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 78 est déposé par MM. Huriet, Jean-Louis Lorrain et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° 124 est présenté par Mme Borvo, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous trois tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. Descours, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 30.
M. Charles Descours, rapporteur. L'article 19 vise à donner la possibilité, pour le contrôle médical, de convoquer les malades non atteints par une affection de longue durée mais ayanr une forte consommation de soins, et d'établir un plan de soins à leur intention.
Le caractère coercitif et imprécis de la procédure fixée par cet article s'exprime par la détermination d'un plan de soins, dont on ne sait d'ailleurs pas quel est son statut : le patient sera-t-il obligé de le respecter et, dans l'affirmative, avec quel médecin : le médecin traitant ou le médecin contrôleur ? Quel médecin serait responsable en cas d'erreur médicale dans le plan de soins ?
En outre, cette procédure n'apparaît pas adaptée pour les patients ayant une consommation très élevée de soins pendant une courte durée.
Soit, en effet, cette consommation élevée résulte d'un fort nomadisme médical, de nombreux médecins rencontrés par le patient ayant prescrit plusieurs examens redondants : dans ce cas, la convocation du patient avec son médecin traitant apparaît peu appropriée, le patient n'ayant précisément pas de médecin traitant, puisqu'il fait du nomadisme médical.
Soit cette consommation élevée résulte d'une erreur d'appréciation du médecin traitant, et il n'y a pas de raison pour le contrôle médical de convoquer le patient. Une telle démarche serait en effet contraire à l'article 103 du code de déontologie des médecins, qui dispose que « le médecin chargé du contrôle ne doit pas s'immiscer dans le traitement ni le modifier. Si, à l'occasion d'un examen, il se trouve en désaccord avec le médecin traitant sur le diagnostic, le pronostic, ou s'il lui apparaît qu'un élément important et utile à la conduite du traitement semble avoir échappé à son confrère, il doit le lui signaler personnellement. »
Si l'on comprend que le législateur ait dérogé à cet article 103, dans l'article L. 324-1 du code de la sécurité sociale, pour les patients souffrant d'une affection de longue durée et en cas d'interruption du travail ou de soins continus d'une durée supérieure à six mois, une telle dérogation n'apparaît pas appropriée lorsqu'elle vise l'ensemble des assurés sociaux et qu'elle peut se déclencher dans des circonstances définies de manière aussi générale que celles qui sont retenues par le projet de loi.
Les modifications apportées au texte initial du Gouvernement par l'Assemblée nationale ne viennent clarifier ni la compatibilité de l'article avec le code de déontologie médicale ni le régime de responsabilité médicale applicable. Elles ne viennent pas non plus rendre le dispositif plus efficace et présentent même des inconvénients supplémentaires, le patient étant appelé à jouer un rôle d'arbitre entre le médecin-conseil et son médecin traitant.
Aussi, pour le respect du médecin traitant, pour le respect du malade - c'est encore plus important - je propose de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à M. Huriet, pour présenter l'amendement n° 78.
M. Claude Huriet. Je propose également de supprimer l'article 19. J'avoue que sa lecture, surtout tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale, me stupéfie !
En effet, je ne comprends pas, étant donné la complexité de certaines démarches thérapeutiques et la capacité intellectuelle, certainement très grande, des médecins de la sécurité sociale chargés du contrôle médical, mais qui ne sont pas spécialistes en tout et qui ne peuvent pas détenir la science infuse, comment on peut imaginer qu'ils pourront s'arroger le droit d'établir des recommandations sur les soins et les traitements appropriés. C'est du domaine de l'expertise, mais ça ne peut pas être du domaine du médecin chargé du contrôle médical.
Second élément de stupéfaction : les recommandations sont transmises à l'assuré par le médecin choisi par celui-ci - il n'est d'ailleurs pas certain que ce soit le même médecin, puisqu'il risque de se sentir désavoué - ou, à défaut, par le service du contrôle médical. Ce sont des dispositions qui, du point de vue de la déontologie, me paraissent tout à fait inacceptables et qui rejoignent, bien sûr, l'argument plus médico-scientifique sur lequel se fonde également notre opposition à cette rédaction.
M. le président. La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 124.
Mme Nicole Borvo. Je ne vais pas en rajouter ! Effectivement, la rédaction de cet article 19 pose problème.
A la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, M. Claude Evin avait admis que la rédaction initiale du texte - encore plus problématique - qui prévoyait l'établissement d'un plan de soins par le médecin conseil était source de confusion quant aux responsabilités médicales respectives du médecin traitant et du médecin conseil. Si la nouvelle rédaction résout en partie ce problème, d'autres questions de fond demeurent.
Que doit-on entendre par « gros consommateurs de soins » ?
Pourquoi ne pas chercher à responsabiliser le médecin et l'assuré en développant les relations librement consenties entre le patient et le malade, au lieu de culpabiliser l'assuré social en lui demandant d'arbitrer entre son médecin et la caisse ?
Nous sommes favorables au développement de la coordination, de la consultation entre médecins et de la mise en réseau autour de pathologies lourdes. Toutefois, ce qui est proposé est différent, les garanties d'un juste contrôle par un médecin conseil érigé en « supermédecin » ne sont pas réunies pour assurer à la fois la liberté de prescription et le respect du secret médical.
Pour tous ces motifs, nous proposons de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 30, 78 et 124 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
Monsieur le rapporteur, le texte sur lequel vous avez fondé votre intervention a été modifié par l'Assemblée nationale. En effet, on ne parle plus de « plan de soins » - termes que vous avez critiqués - mais de « recommandations sur les soins ». Votre argument n'est donc plus fondé.
Quant à vous, monsieur Huriet, je ne comprends pas très bien votre stupéfaction. Les ordonnances Juppé prévoyaient, lorsque les médecins-conseils estimaient qu'une prestation n'était pas médicalement justifiée, que la caisse pouvait en suspendre directement le service.
Avec notre dispositif, le dialogue est possible. Nous savons très bien que les gros consommateurs de soins obéissent à des motivations très claires : soit ils ont une maladie importante, soit ils sont à la recherche d'un problème et souvent vont voir plusieurs médecins, font faire un certain nombre d'examens, d'ailleurs parfois nocifs pour leur santé - je pense, par exemple, à l'abus de radiographies.
L'instauration d'un dialogue avec un médecin ne peut être que positif. A l'inverse des ordonnances Juppé, qui auraient dû provoquer la stupéfaction de M. Huriet, car elles supprimaient un service, nous, nous proposons qu'un dialogue s'engage pour trouver la bonne solution en associant le médecin traitant.
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Madame le ministre, une composante de votre majorité plurielle, en l'occurrence le groupe communiste républicain et citoyen, a été jusqu'à présent d'une prudence extrême puisque ses membres se sont abstenus sur des amendements de la commission alors que l'on sentait bien que, dans leur for intérieur, ils les approuvaient. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. François Autain. Le groupe communiste a trouvé en vous un extraordinaire avocat ! (Rires.)
M. Henri Weber. C'est une majorité sollicitée !
Mme Nicole Borvo. Nous sommes logiques avec nous-mêmes !
M. Charles Descours, rapporteur. Excepté le groupe socialiste, personne n'accepte cet article. Pourquoi ? Parce qu'il porte atteinte aux droits du médecin traitant et aux droits du patient. Mais le groupe socialiste n'y trouve rien à redire puisqu'il est le groupe parlementaire majoritaire qui soutient le Gouvernement.
Madame le ministre, quant à la quasi-unanimité, nous vous disons qu'il faut supprimer cet article, c'est que, vraiment, il pose un problème, dépassant les querelles politiciennes !
Les médecins traitants verront d'un très mauvais oeil cet article. Vous qui souhaitez privilégier le dialogue, c'est raté !
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 30, 78 et 124.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. La démarche de Mme le ministre concernant les ordonnances Juppé, n'est pas la mienne. Je ne conteste pas la possibilité donnée au médecin chargé d'une mission de contrôle de remettre en cause telle ou telle décision médicale. Encore faut-il - vous en conviendrez, madame le ministre, qu'un dialogue et une concertation aient pu avoir lieu, si possible en amont.
Mais la rédaction de l'article 19 va beaucoup plus loin, puisque le médecin contrôleur de la sécurité sociale agirait comme un « super-consultant » : le texte de la loi lui donne la possibilité de faire « des recommandations sur les soins et les traitements appropriés », d'où ma stupéfaction.
M. François Autain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Les dispositions de cet article ne me choquent pas sur le fond. En revanche, je m'interroge sur le point de savoir si elles seraient réellement efficaces.
Il est tout à fait normal que le médecin-conseil de la sécurité sociale, alerté par la surconsommation d'un assujetti - surconsommation qu'il peut très facilement constater au vu des dépenses présentées au remboursement - procède à une évaluation.
Sont visées ici non pas les assujettis en longue maladie qui, pour des raisons tenant à la gravité de leur maladie, sont obligés d'avoir recours à des examens évidemment beaucoup plus coûteux pour la collectivité que ceux qui font suite à une simple angine, mais des personnes dont la maladie ne justifie pas la multiplication des dépenses constatées par le médecin-conseil de la sécurité sociale.
Je ne vois donc que des avantages à ce que ce médecin-conseil se rapproche d'un tel assujetti et établisse, le cas échéant en étroite relation avec le médecin que celui-ci désigne, comme le prévoit l'article 19, non pas un plan de santé mais des recommandations concernant le traitement à envisager.
Il n'y a là absolument rien qui me choque. Simplement, je voudrais avoir l'assurance - et ce sera l'objet d'un amendement que j'ai déposé et qui sera discuté tout à l'heure - que ces dispositions auront des conséquences positives sur le budget et les dépenses de la sécurité sociale.
Sous cette réserve, je m'opposerai bien évidemment aux amendements de suppression de l'article 19.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 30, 78 et 124, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 19 est supprimé.

Article additionnel après l'article 19