Séance du 4 novembre 1999







M. le président. « Art. 15. - I. - Après l'article L. 212-2-2 du code du travail, il est rétabli un article L. 212-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 212-3. - La seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail, consécutive à une réduction de la durée du travail organisée par une convention ou un accord collectif, ne constitue pas une modification du contrat de travail. »
« II. - Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail consécutive à une réduction de la durée du travail organisée par un accord conclu conformément aux dispositions de l'article 11 de la présente loi, leur licenciement est réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse et est soumis à la procédure applicable en cas de licenciement individuel. »
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Avec cet article, nous arrivons à un point essentiel du projet de loi. Nous ne sommes pas certains que sa portée a été bien mesurée et analysée, en tout cas si l'on en juge par les débats dont il a fait l'objet devant l'Assemblée nationale.
Le texte qui nous est proposé, sous couvert de sécurisation juridique, ne vise ni plus ni moins qu'à réformer un pan essentiel du droit des licenciements économiques.
Puisqu'il est question de sécurité juridique, objectif auquel chacun ne peut que souscrire, la première des conditions est de bien mesurer à quoi l'on touche et ce que l'on fait.
Evitons donc les faux-fuyants et abordons le sujet sous son angle juridique, parce que, si le législateur n'a pas lui-même les idées claires sur les règles qu'il crée, nous n'aurons pas avancé sur l'objectif de sécurité juridique.
Le premier paragraphe de cet article prévoit que la seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail consécutive à un accord de réduction du temps de travail ne constitue pas une modification du contrat de travail. Cela signifie donc que le salarié, pris individuellement, ne peut s'opposer à cette réduction de son horaire de travail.
Voilà donc satisfait l'objectif de sécurisation juridique.
Comme l'indique le texte même de ce paragraphe, et c'est bien là que le bât blesse, le problème est que la réduction de l'horaire de travail n'est pas la seule modification résultant d'un accord de réduction de la durée du travail.
Il y a les compensations, comme il y en a dans tout accord collectif, et c'est bien l'objet du second paragraphe qui, lui, pose un problème grave.
On y envisage le cas où un salarié ou plusieurs salariés refusent une modification consécutive à un accord de réduction du temps de travail. Cette modification ne peut pas être la réduction de l'horaire, puisque nous venons de voir dans le paragraphe I que cette réduction n'est plus considérée comme une modification.
Alors, nous sommes bien d'accord, le paragraphe II concerne les modifications réflétant les concessions faites à l'employeur en échange de la réduction de la durée hebdomadaire, c'est-à-dire la partie de l'accord défavorable au salarié.
Or, que prévoit-on en pareil cas ?
Premièrement, que la procédure applicable est alors la procédure individuelle. Deuxièmement, que le licenciement est alors réputé fondé sur un motif réel et sérieux.
En autres termes, voilà supprimé le contrôle en amont et annulée la jurisprudence Framatome et Majorette de la Cour de cassation, tant décriée par un patronat, qui trouve ici la satisfaction de sa revendication !
En effet, se trouve annulée l'obligation faite à l'employeur de présenter un projet de plan social dès lors qu'il envisage de modifier le contrat de plus de dix salariés sur une période de moins de trente jours, obligation sanctionnée par la possible annulation dudit plan social et de ses conséquences, c'est-à-dire des licenciements subséquents.
J'observe que notre interprétation de cet article est confirmée par le rapporteur de la commission de l'Assemblée nationale. Il indiquait, en effet, le 15 octobre dernier, que si l'on supprimait ce paragraphe : « on pourrait alors imaginer qu'un salarié puisse, en refusant l'application d'un accord, provoquer son licenciement et l'obtenir pour des raisons abusives avec dommages et intérêts. Et si plusieurs salariés sont concernés, le respect des règles fixées dans une entreprise importante imposera le déclenchement d'un plan social ».
On ne peut être plus clair quant à l'objectif.
Par ailleurs, se trouve également supprimé le contrôle en aval, celui qui est effectué par le conseil des prud'hommes, puisque le licenciement prononcé dans ces conditions est réputé fondé sur un motif réel et sérieux.
Vous avez indiqué, madame la ministre, toujours le 15 octobre dernier devant nos collègues de l'Assemblée nationale, que l'adjectif « réputé » laissait au salarié toute latitude pour contester son licenciement puisqu'il ne s'agirait que d'une simple présomption. C'est inexact.
Vous n'ignorez pas que l'adjectif « réputé » est interprété par la jurisprudence comme significatif d'une présomption irréfragable, c'est-à-dire dont on ne peut apporter la preuve contraire, et non comme une présomption simple.
Par exemple, lorsque le code du travail dispose, en son article L. 122-3-1, qu'à défaut d'écrit un contrat à durée déterminée est réputé conclu pour une durée indéterminée, la requalification en contrat à durée indéterminée est automatiquement prononcée par le juge et la démarche de l'employeur visant à apporter la preuve contraire, par exemple en invoquant l'existence d'un contrat verbal, est irrecevable.
Nous dressons le même constat s'agissant de l'article L. 321-1-2 du code du travail, lequel dispose que le salarié qui n'a pas fait connaître à l'employeur, dans le délai d'un mois, sa position sur une proposition de modification de son contrat pour motif économique est réputé avoir accepté la modification proposée.
Selon la jurisprudence, cette modification est définitivement acquise et la présomption est bien irréfragable.
Certes, le ou les salariés concernés pourront toujours tenter leur chance, et les portes du conseil des prud'hommes ne leur seront pas formellement fermées, mais le résultat est connu d'avance.
Le sens que la jurisprudence donne à l'adjectif « réputé » est tellement connu, et ce depuis longtemps, que nous ne pouvons pas croire qu'il s'agisse d'une erreur de plume.
Le contrôle en aval ne sera donc plus possible, ce qui pose, au-delà du problème social et de l'éternelle opposition du pot de terre contre le pot de fer, un problème de constitutionnalité. En effet, le juge judiciaire est, constitutionnellement, gardien des libertés individuelles, notamment de celle de contracter. A ce titre, nulle loi ne peut interdire à un contractant de faire sanctionner la rupture abusive de ce contrat.
Telles sont les raisons de notre inquiétude, qui n'ont pas été levées - loin s'en faut ! - par les débats de l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous déposons, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale, un amendement de suppression du second paragraphe de cet article.
Nos questions n'ont rien d'académique, et nous souhaitons que, cette fois-ci, une réponse y soit vraiment apportée.
M. le président. Sur l'article 15, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
Le premier, n° 132, est présenté par M. Fischer, Mme Borvo, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Le second, n° 141, est présenté par M. Mélenchon.
Tous deux visent à supprimer le II de l'article 15.
Par amendement n° 40, M. Souvet, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le II de l'article 15 :
« II. - Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail consécutive à une réduction de la durée du travail organisée par une convention ou un accord collectif de travail, leur licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Cette procédure de licenciement individuel ne constitue pas une modalité du licenciement pour motif économique. »
Par amendement n° 90, Mmes Dieulangard, Printz et Pourtaud, MM. Domeizel, Cazeau, Weber, Mélenchon, Lagauche et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le II de l'article 15, de remplacer le mot : « réputé » par le mot : « présumé ».
La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter l'amendement n° 132.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'un des arguments avancés pour justifier le second paragraphe de l'article 15 est que, en toute hypothèse, l'accord collectif, à l'origine des modifications que le salarié ne pourra de facto plus contester, devra recueillir l'aval des syndicats majoritaires au sens de l'article 11 du projet de loi. En d'autres termes, toute tentative de détournement de l'esprit de la loi serait par avance promise à l'échec par le contrôle des syndicats majoritaires.
Fort bien ! Mais, s'il en est ainsi, pourquoi ne pas avoir écrit dans cette deuxième partie du paragraphe de l'article 15 : « Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail prévue par un accord conclu conformément aux dispositions de l'article 11... ».
Au lieu et place de cette rédaction claire, on vise une modification « consécutive à une réduction de la durée du travail organisée par un accord conclu... ».
Evidemment, une question très simple vient à l'esprit : qui décidera qu'une modification est consécutive à un accord de réduction de temps de travail, donc rendue nécessaire par ledit accord ?
La rédaction qui nous est proposée établit non pas un lien direct mais un lien indirect entre l'accord et la modification du ou des contrats. Cela signifie qu'un acte de volonté est intercalé entre les deux.
Dans l'absence totale d'explication sur cette rédaction sybilline, nous somme fondés à penser que cet acte de volonté - celui qui interprétera les clauses de l'accord collectif comme rendant nécessaires les modifications consécutives - ne pourra émaner que de l'employeur, et de l'employeur seul.
Il en sera alors fini du filtre constitué par l'exigence de la signature de l'accord par les syndicats majoritaires au sens de l'article 11.
Dès lors, nous interprétons le paragraphe II de l'article 15 comme un instrument permettant au mieux de rendre les syndicats codécideurs de licenciements que plus personne ne pourra contrôler ni sanctionner, au pire de donner à l'employeur la possibilité de se prévaloir de leur signature sur un accord pour décider seul, et toujours, bien entendu, sans contrôle.
Et que l'on ne nous réponde pas qu'il faut faire confiance à la jurisprudence ! Certes, nous en sommes convaincus, la jurisprudence peut faire oeuvre utile - elle l'a montré au cours de la dernière décennie, notamment dans le domaine des licenciements pour motif économique - mais à condition que les termes de la loi votée soient dépourvus de toute ambiguïté et, évidemment, qu'on n'utilise pas un mot pour un autre.
Or, la rédaction qui nous est proposée est une manifestation de défiance à l'égard de cette jurisprudence.
Notre préoccupation demeurera aussi longtemps que l'on n'aura pas adopté une rédaction moins alambiquée et très concrète ; telle est la raison d'être de l'amendement n° 132.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon, pour présenter l'amendement n° 141.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous traitons là d'une question sérieuse, qui pourrait être douloureuse si nous ne prenions pas toutes les précautions. Evidemment, elle a un aspect technique qui peut la rendre rebutante. Pour ma part, j'avoue ne pas faire partie de ceux de nos collègues qui sont experts en législation du travail. Je consulte, j'écoute. Bien des gens se sont ouverts à nous, et je ne peux cacher que les membres du groupe socialiste sont très inquiets : il nous semble que nos amis de l'Assemblée nationale n'ont peut-être pas bien fait ce qu'ils avaient à faire.
Je vais résumer la situation dans les mots simples qui sont les miens.
Imaginons qu'un accord sur le temps de travail intervienne, impliquant des modifications dans les conditions de vie quotidienne d'un travailleur. De telles modifications peuvent, pour certains, provoquer de très graves perturbations dans leurs conditions de vie, qu'il s'agisse d'une modification d'horaire, de salaire, de cycle de travail, etc., au point qu'il leur devienne impossible de remplir leur emploi.
Légitimement, on peut s'attendre, dans ce cas, à ce qu'un arrangement intervienne dans le cadre de l'entreprise et qu'une proposition soit faite au salarié concerné.
Mais cela peut ne pas se produire, soit parce que les relations sociales ne sont pas bonnes dans l'entreprise, soit parce qu'untel veut régler des comptes avec tel autre.
Que se passe-t-il alors ?
D'après le texte, si l'intéressé refuse la modification de son contrat de travail, il peut être licencié, et ce dans des conditions qui constituent une première dans le code du travail. Je crois que c'est en effet un cas unique : est ainsi prévu un cas de licenciement « réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse ». Dès lors, le travailleur ne peut plus se retourner vers les prud'hommes en disant : « On m'a jeté dehors, alors qu'on aurait pu me faire une proposition qui m'aurait arrangé. On n'a pas fait d'effort, on m'en veut. » Le texte disant que le licenciement est réputé reposer sur des causes réelles et sérieuses, il y a présomption de culpabilité.
Je fais l'amitié à ceux qui ont rédigé le texte, et que je pense bienveillants, de croire qu'ils ont utilisé le mot « réputé » pour laisser, malgré tout, une certaine ouverture. En fait, ils ont mal travaillé, parce qu'on en déduit que le caractère définitif du licenciement et sa cause réelle et sérieuse sont établis.
D'ailleurs, à la lecture de l'amendement n° 40, on voit que cette tentation existe puisque M. le rapporteur, lui, n'y va pas par quatre chemins. Il ne ménage même plus la moindre petite ouverture : « leur licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse », y est-il dit. Au revoir, merci, et à la prochaine ! Monsieur le rapporteur, je vous trouve d'une brutalité extraordinaire ! Essayez de vous situer dans la vie quotidienne !
Je vais vous citer un exemple, à vous qui êtes si amateur de négociations depuis quarante-huit heures.
Un accord est conclu dans une entreprise employant trente personnes. Dix-huit sont pour et douze contre. Parmi ces salariés - le cas n'est pas si rare - figurent huit femmes à qui la modification de l'horaire rend la vie impossible. Elles sont licenciées. Il ne s'agit pas d'un licenciement collectif ni d'un licenciement économique. Si elles plaident leur cause devant le conseil de prud'hommes, le juge est en droit de leur dire que, en application de tel article de telle loi, leur licenciement est réputé établi sur des causes réelles et sérieuses. Elles ont perdu leur temps et leur travail !
Je comprends bien la motivation sous-jacente à ce texte qui est de garantir les accords. On ne peut pas tout contester dès lors qu'une majorité s'est mise d'accord. Mais cette garantie est déjà assurée dans le premier alinéa de l'article L. 212-3, qui dispose : « La seule diminution du nombre d'heures stipulé au contrat de travail, consécutive à une réduction de la durée du travail organisée par une convention ou un accord collectif, ne constitue pas une modification du contrat de travail. »
A celui qui ne serait pas intéressé par la réduction du temps de travail mais qui voit son horaire de travail, modifié, cet alinéa permet de répondre : « C'est ainsi, il ne s'agit pas d'une modification du contrat du travail ; vous devez donc accepter cette réduction du temps de travail. » Sur ce point, la sécurisation juridique existe. Mais l'article L. 213-3 dispose également : « Lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail consécutive à une réduction du temps de la durée du travail... »
Dès lors, ce qui est en cause, ce n'est pas la réduction elle-même, ce sont les conséquences collatérales du processus de réduction du temps de travail.
Je pense donc, mes chers collègues, qu'il faut prendre une mesure, sinon - involontairement, j'en suis sûr, sauf pour les partisans de l'amendement n° 40 - nous allons créer un précédent qui peut avoir des conséquences terribles.
Pour répondre à cette préoccupation, mon groupe a déposé un amendement, auquel je m'associe pleinement, visant à remplacer le mot « réputé » par le mot « présumé ». Nous pensons ainsi améliorer la situation. Notre souci est de donner une chance au salarié devant le conseil des prud'hommes dans le cas que j'ai décrit tout à l'heure ; et vous savez bien qu'il en va ainsi quotidiennement dans les entreprises.
Nous avons consulté certains juristes, qui ont estimé que « réputé » valait « présumé » ; nous avons donc décidé, d'abord, de proposer la suppression du second alinéa de l'article, qui est un facteur de confusion extraordinaire. Ainsi, nous rétablirons l'équilibre entre l'employeur et l'employé dans les conditions que je viens de décrire.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 40.
M. Louis Souvet, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les considérations qui viennent d'être exposées : « réputé », « présumé »...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est pourtant un vrai débat !
M. Louis Souvet, rapporteur. Je dirai seulement que le paragraphe II de l'article 15, en prévoyant que le licenciement d'un salarié qui refuse une modification de son contrat de travail consécutive à la réduction du temps de travail repose sur une cause réelle et sérieuse, exclut l'hypothèse du licenciement abusif.
En précisant que le licenciement est individuel, il dispense l'employeur d'adopter un plan social dans l'hypothèse d'un licenciement collectif.
La commission propose de considérer que ce licenciement ne constitue pas un licenciement pour motif économique afin qu'il n'emporte pas l'application de dispositions comme la priorité de réembauche ou la convention de reconversion.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard, pour présenter l'amendement n° 90.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Notre amendement tend à remplacer, dans le paragraphe II de l'article 15, le mot « réputé » par le mot « présumé ».
Je rappelle que cet article participe à la clarification de la situation des salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail, par définition individuel, et auxquels s'applique un accord, par définition collectif.
L'existence du contrat et de l'accord en parallèle n'a, longtemps, posé aucun problème. Ce n'est qu'avec l'évolution de la situation de l'emploi au cours des dernières décennies et celle, parallèle, des rapports sociaux que sont apparus les accords dits « donnant-donnant ».
Il s'agit des accords où chacun des partenaires sociaux fait un pas, abandonne un avantage, mais en reçoit un autre en échange, et cela, espère-t-on, dans l'intérêt commun.
C'est là qu'est apparue la difficulté : comment arbitrer entre le contrat, dont les stipulations lient l'employeur et le salarié, et l'accord qui s'applique à tous, mais peut comporter pour tel salarié des inconvénients que celui-ci jugera inacceptables ? En l'espèce, il convient de trouver un équilibre entre d'une part, les clauses de l'accord, qui sera signé par une organisation syndicale majoritaire et, le cas échéant, approuvé par une consultation du personnel, et, d'autre part, les intérêts éventuellement divergents du salarié.
La rédaction de l'article 15 répond donc à la légitime préoccupation du Gouvernement de sécuriser les accords collectifs et d'éviter des recours dilatoires qui mettraient en péril l'application d'un accord profitable à l'entreprise et à la grande majorité, voire à la quasi-totalité, des salariés.
Le paragraphe I de l'article indique que la seule réduction du nombre d'heures dans le cadre d'un accord collectif n'est pas une modification du contrat de travail. Cela ne pose pas de problème. On imagine d'ailleurs mal qu'un salarié présente une requête au seul motif que son temps de travail a été diminué.
En revanche, le paragraphe II nous pose un sérieux problème. Vous avez d'ailleurs parlé à ce sujet, madame la ministre, de licenciement sui generis .
Une modification du contrat de travail est un changement affectant de manière substantielle les conditions d'exécution du contrat : on peut citer une baisse de la rémunération ou un changement important de lieu de travail, impliquant des temps de transports sensiblement plus longs ou même un déménagement.
Selon la rédaction qui nous arrive de l'Assemblée nationale, la modification du contrat de travail ne serait pas constituée. Il en est déduit, dans la foulée, que le licenciement du salarié serait « réputé » reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Il résulte de l'emploi du mot « réputé » que la décision des prud'hommes est liée, sauf non-respect de la procédure, cela va de soi, et que le salarié qui s'estimerait lésé n'aurait aucune chance de voir son licenciement déclaré abusif. Il n'aurait même pas accès à une convention de conversion.
Si l'on peut fort bien comprendre la préoccupation du Gouvernement, et éventuellement de certains partenaires sociaux, de voir primer la solidité des accords, cette rédaction peut aboutir à ce que des salariés réellement lésés ne puissent faire valoir leurs droits et obtenir réparation d'un dommage.
C'est, pour celui qui prend la responsabilité d'être le législateur, un point de droit tout à fait - sans jeu de mot - réel et sérieux.
C'est pourquoi, madame la ministre, nous proposons de remplacer le mot « réputé » par le mot « présumé ». Cela laisserait un pouvoir d'appréciation aux prud'hommes en faisant de la cause réelle et sérieuse du licenciement une présomption simple.
Cette solution nous paraît, sans être parfaite, respectueuse des droits de chacun et garantit l'équilibre entre le contrat de travail individuel et l'accord collectif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 132, 141 et 90 ?
M. Louis Souvet. rapporteur. La commission ayant retenu une autre voie, elle a émis, sur ces trois amendements, un avis défavorable.
M. le président. Que est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 132, 141, 40 et 90 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il s'agit là d'un débat tout à fait important à la fois pour les salariés et pour les entreprises.
N'oublions pas que les entreprises qui signent des accords de réduction de la durée du travail le font dans le cadre d'une loi votée par le Parlement et s'inscrivent donc, en quelque sorte, dans ce qui a été voulu par le pouvoir politique. Il est donc tout à fait nécessaire que les entreprises qui se conforment à la loi et signent l'accord conformément à celle-ci ne puissent pas se retrouver en situation d'insécurité juridique, ce que la jurisprudence pouvait donner à penser jusqu'à présent. Il ne faudrait pas, par exemple, qu'elles soient ainsi conduites à réaliser un plan social.
Ce serait d'ailleurs là un singulier paradoxe. Imaginons qu'une entreprise réduise la durée du travail et crée des emplois. Dans le cadre législatif actuel, si plus de neuf salariés refusaient l'accord signé, elle serait obligée de faire un plan social, alors même qu'elle crée des emplois.
Par conséquent, nous devons absolument garantir la sécurité juridique à l'employeur.
Cependant, nous devons parallèlement assurer au salarié - et c'est le lien entre l'accord et le contrat de travail - qu'il peut, dès lors que son contrat de travail subit des modifications portant atteinte à ses conditions de vie et de travail, refuser ces modifications en ayant droit à une procédure de licenciement, c'est-à-dire à une justification, à la possibilité de le contester devant les tribunaux et à des indemnités de licenciement.
Si la loi n'intervenait pas sur ce point, il s'ensuivrait une insécurité pour les entreprises mais aussi pour les salariés. En effet, la jurisprudence pourrait assimiler le refus par le salarié de la nouvelle organisation de l'entreprise à une démission. Elle pourrait même aller jusqu'à y voir une faute si elle estimait que l'accord ne modifiait pas réellement le contrat de travail.
Il nous faut donc trouver la juste voie qui permet de sécuriser l'entreprise pour l'avenir tout en évitant au salarié de se trouver dans une situation délicate.
Nous avons distingué deux cas.
Contrairement à ce qu'avance la commission, M. Fischer, M. Mélenchon et Mme Dieulangard viennent de le dire : le premier alinéa ne pose pas de problème. Si l'accord prévoit une simple réduction de la durée du travail sans aucun changement dans les conditions de vie et les conditions de travail du salarié - par exemple, la durée hebdomadaire passe de trente-neuf à trente-cinq heures avec quatre heures de moins le vendredi après-midi, sans diminution du salaire, sans modération salariale, sans la moindre modification négative des conditions de travail - l'employeur n'est alors évidemment pas obligé de payer des indemnités de licenciement, puisqu'il s'agit d'un accord totalement favorable à l'employé.
Dans la situation actuelle, on pourrait rencontrer des cas - notamment dans des secteurs où l'on recherche des salariés ayant une certaine qualification, par exemple des informaticiens - où le salarié refuserait l'accord uniquement pour quitter l'entreprise, empocher les indemnités de licenciement et aller aussitôt se faire réembaucher ailleurs.
M. Philippe Nogrix. Très bien ! Voilà un exemple réaliste !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il faut évidemment éviter cela. Mais votre rapporteur supprime la disposition qui permet précisément de l'éviter. Je ne comprends pas !
M. Jean Delaneau, président de la commission. Nous ne touchons pas au paragraphe I !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous prie de m'excuser. J'ai sans doute mal lu l'amendement de la commission !
J'en viens au second cas, celui qui est visé par le paragraphe II.
Dans ce cas-là, il n'y a pas seulement réduction dans l'intérêt du salarié ; il y a, par exemple, changement sensible des horaires de travail, travail le samedi matin, réduction du salaire ou modération salariale. Le salarié peut alors refuser de se voir appliquer cet accord. Il faut que ce soit, pour lui, une rupture du contrat de travail du fait de l'employeur, et non pas de son propre fait. Il ne faut pas que ce soit, pour l'employeur, un licenciement économique. Il faut que ce soit pour le salarié un licenciement sui generis, c'est-à-dire ni un licenciement pour faute ni un licenciement économique. Bref, il faut que ce licenciement puisse lui donner droit à des indemnités de licenciement.
Notre objectif, c'est cela, et il est vrai que la rédaction actuelle du II, qui a d'ailleurs été modifiée en Conseil d'Etat, ne correspond pas totalement, comme l'ont dit Mme Dieulangard, M. Fischer et M. Mélenchon, à cet objectif : que le licenciement soit réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse pourrait donner à penser que le juge ne dispose d'aucune marge d'appréciation.
A l'inverse, je ne souhaite pas que le juge puisse, dans tous les cas, remettre en cause la validité du refus par un salarié de certaines modifications de ses conditions de travail.
Nous travaillons à une nouvelle rédaction qui corresponde à l'objectif qui a été mis en avant par les uns et par les autres. D'ores et déjà, j'estime que la rédaction proposée par Mme Dieulangard constitue une amélioration du texte. J'émets donc un avis favorable sur l'amendement n° 90, même si je pense que nous pourrons encore apporter de nouvelles améliorations en seconde lecture.
Par voie de conséquence, j'émets un avis défavorable sur les amendements identiques n°s 132 et 141, même si je partage la préoccupation de MM. Fischer et Mélenchon.
En revanche, je ne peux pas du tout acquiescer à l'amendement de M. Souvet, qui reviendrait à considérer qu'un salarié dont on modifie les conditions de vie et de travail ne pourrait pas avoir droit à un licenciement assorti d'indemnités.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 132 et 141.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous avez dit, madame le ministre, que le débat sur l'article 15 était important, et il est bien vrai qu'il y a là un enjeu considérable.
L'histoire récente est pleine de ces réformes qui suscitaient un grand espoir et qui n'ont engendré que la désillusion parce que intrinsèquement viciées par des dispositions contraires à l'objectif premier de la loi.
M. Emmanuel Hamel. Très bien ! C'est très important !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous ne saurions accepter que, dans certaines entreprises où s'appliquera la conception « défensive » de la loi, le seul contact que les salariés auront eu avec la loi sur les 35 heures se traduise par un licenciement collectif sans plan social, incontrôlable en amont par les représentants du personnel et en aval par les salariés concernés.
Et il ne s'agit pas de politique-fiction !
Nous observons d'ailleurs que le MEDEF, si prompt à critiquer ou à caricaturer d'autres dispositions de ce projet de loi, est resté très silencieux sur cet article 15.
Non, décidément, nous ne pouvons admettre une rédaction qui va bien au-delà de ce qu'exige la sécurité juridique des accords à venir.
Nous maintenons que la rédaction de ce second paragraphe permet aux employeurs d'utiliser la loi sur les 35 heures pour échapper à leurs obligations en matière de plan social, ce qui est tout de même un comble !
Un tel article est, au demeurant, parfaitement contradictoire avec l'amendement dit « amendement Michelin », que les groupes de la majorité ont adopté ensemble à l'Assemblée nationale.
Avec cet amendement Michelin, nous voulons faire - et nous le ferons, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale ! - de l'accord sur les 35 heures un rempart, fût-il encore insuffisant, contre les licenciements collectifs injustifiés.
Avec l'article 15, on permet aux employeurs de procéder à des licenciements collectifs sans plan social et sans contrôle grâce à un accord sur les 35 heures.
Pendant que l'on remet aux calendes grecques le nécessaire débat sur la non moins nécessaire réforme du droit des licenciements économiques, nous ne pouvons admettre que l'on profite de la loi sur les 35 heures pour procéder à une réforme qui ne va certainement pas dans le sens souhaité par celles et ceux qui, en juin 1997, ont exprimé leur volonté de changement.
Nous maintenons qu'il n'est pas admissible de procéder ainsi alors que la réforme du droit des licenciements économiques figurait au nombre des engagements pris par le Premier ministre dans son discours de politique générale de juin 1997.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 132 et 141, répoussés par la commision et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 90 n'a plus d'objet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 15, ainsi modifié.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. L'article 15, après ce que la majorité sénatoriale vient de lui faire subir, ne trouvera vraiment pas grâce à mes yeux !
Je veux appeler l'attention de Mme Beaudeau sur ce qui vient de nous être dit par Mme la ministre. Nous devons en tenir compte, car c'est très important. Nous ne pouvons pas camper sur la position que nous avions au début de cette discussion.
J'ai bien compris, et mes collègues ont bien entendu, que nous sommes en phase sur le premier paragraphe. Il n'y a pas de discussion entre nous sur ce point.
S'agissant du second paragraphe, je ne récapitulerai pas mes arguments, car il est trop tard pour cela, et je sais que vous les avez entendus et que vous les prenez en compte. Vous avez, comme nous, madame la ministre, identifié la difficulté. Vous avez indiqué que le texte serait modifié pour répondre à la demande présentée par plusieurs d'entre nous, demande partiellement satisfaite par l'amendement du groupe socialiste auquel vous avez donné votre approbation. J'ai toutefois bien noté votre : « On peut faire encore mieux. »
Dans ces conditions, pour ce qui me concerne, j'estime que cette discussion a été très fructueuse et je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 15, modifié.

(L'article 15 est adopté.)

Article 15 bis