Séance du 12 octobre 1999







M. le président. La parole est à M. Legendre, auteur de la question n° 578, transmise à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, il est des projets décisifs pour l'avenir d'une région qui méritent un combat de tous les instants. Le projet SOLEIL est de ceux-là.
Les collectivités territoriales, la communauté scientifique, les milieux économiques font cause commune pour demander l'implantation de SOLEIL, qui représente un investissement de 2 milliards de francs sur huit ans et entraînera dans son orbite des entreprises et des personnels hautement qualifiés.
« Le conseil régional du Nord - Pas-de-Calais a réaffirmé sa volonté de voir SOLEIL s'implanter dans sa région. Il interpelle M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, et le Gouvernement sur cet enjeu essentiel à notre avenir et à celui de la recherche française. » Voilà, monsieur le ministre, ce que déclarait il y a quelques mois M. Michel Delebarre, président de la région Nord - Pas-de-Calais.
Votre réponse est venue le 3 août, dans la torpeur de l'été. Nous avons appris que ce projet ne serait pas pour le Nord - Pas-de-Calais, ni d'ailleurs pour aucune région française - il y avait, c'est vrai, des espérances dans plusieurs régions, et on le comprend bien - puisque SOLEIL serait construit en Grande-Bretagne, avec participation et financement de la France.
Une telle décision, monsieur le ministre, a provoqué, vous le savez, incompréhension, émoi, voire indignation : émoi des chercheurs du LURE, laboratoire implanté à Saclay, et protestations ici et là des élus.
Il me semble, monsieur le ministre, qu'un enjeu d'une telle importance méritait un débat devant le Parlement, afin que le Gouvernement ou vous-même nous apportiez des précisions.
Vous avez déclaré, semble-t-il, qu'il n'était pas décidé définitivement qu'il n'y aurait pas de synchrotron français. Le chef de l'Etat lui-même a déclaré le 22 septembre dernier, à propos du synchrotron, qu'« il s'agissait d'un outil très puissant d'analyse de la nature du vivant. Le projet SOLEIL de rayonnement synchrotron est très certainement le plus bel équipement scientifique que la France peut, dans les années à venir, réaliser avec sa communauté scientifique pour la recherche et le progrès, notamment dans le domaine de la santé et de l'industrie ».
Monsieur le ministre, y a-t-il encore une chance qu'un synchrotron soit construit en France et selon quelles modalités ? Accepterez-vous, au moins, qu'un débat ait lieu au Parlement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, je suis content que vous me posiez cette question, tout en étant quelque peu étonné. Cette question fait, en effet, l'objet d'un débat tous les ans devant le Parlement, à l'occasion de la discussion budgétaire, et nous nous sommes déjà expliqués de façon très précise sur ce problème.
Le Gouvernement a décidé, depuis longtemps, de réaliser tous les grands équipements à l'échelon européen. Nous sommes, en effet, aujourd'hui le pays du monde qui dépense le plus pour le rayonnement synchrotron - 300 millions de francs par an - et le moins pour la biologie, pour la recherche médicale, pour la création d'entreprise par des jeunes ! Il convenait de changer de politique.
Pendant des années, budget après budget, nous avons opéré une dérive vers les gros équipements, sans que personne ne s'en soucie, et ce quels que soient les gouvernements, je m'empresse de le dire. Nous avons ainsi mis la recherche française en difficulté. Les crédits affectés aux laboratoires sont ridiculement faibles. Au CNRS, par exemple, 85 % des crédits sont consacrés aux salaires, et seulement 15 % au fonctionnement ; et, par extrapolation, il n'y aurait plus aucun crédit de fonctionnement pour le CNRS en 2016 !
Cette politique a été menée par les ministres successifs de la recherche, mais avec l'assentiment du Parlement, car ce débat, nous l'avons chaque année, à l'occasion de la discussion budgétaire.
Pour ma part, je suis fier d'essayer de contribuer à ramener la recherche scientifique française au premier plan, en arrêtant les dépenses de prestige, les dépenses qui ne nous rapportent rien. Nous dépensons plus d'argent que les Anglais dans le synchrotron, ce sont pourtant eux qui ont les prix Nobel !
Je préfère, disais-je, avoir une recherche française vigoureuse. Dans cet ordre d'idées, nous avons organisé un concours de créations d'entreprises par des jeunes : nous avons reçu 2 000 demandes, mais nous n'avons pu en satisfaire que 75 cette année, et nous en satisferons 180 l'an prochain. Nous avons également organisé un concours pour que les jeunes puissent créer des laboratoires, nous avons reçu 2 000 demandes : mais nous n'avons pu en satisfaire que 85. Voilà la nouvelle politique du Gouvernement de la France !
Pour ce qui est du débat sur les équipements, il est inscrit dans le budget qu'il n'y aura pas 2 milliards de francs pour le synchrotron ! Si tel était le cas, il n'y aurait rien pour le Nord, ni pour la génopôle ni pour la création d'un centre d'électronique !
Sur les 4 milliards de francs consacrés à la recherche, vous voudriez que l'on dépense 2 milliards de francs pour le synchrotron ! L'un d'entre vous est-il prêt à prendre une telle décision ?
Le débat est simple, et nous l'avons déjà eu au moment du vote du budget, disais-je. Mais je suis content que vous m'ayez posé cette question, monsieur le sénateur, car, la semaine dernière, tous les prix Nobel français ont pris position pour soutenir le Gouvernement. Et que des chercheurs qui dépensent déjà énormément manifestent pour continuer à être avantagés par rapport aux autres ne m'impressionne pas !
Le principal problème est de redonner du dynamisme à la recherche médicale et à la recherche biologique françaises, à la création d'entreprises par des jeunes. Cela a été fait.
Voilà, monsieur le sénateur, ce que j'avais à vous dire, et si vous me reposez la question au moment du budget, je vous ferai la même réponse.
M. Jacques Legendre. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, je reconnais dans la vigueur de votre réponse la vigueur de vos convictions. Je m'y attendais.
Mais quand on entend la vigueur des protestations et des incompréhensions qui s'expriment ailleurs, quand on voit, je le répète, que ce projet est qualifié par le chef de l'Etat de « plus bel équipement scientifique que la France peut, dans les années à venir, réaliser avec sa communauté scientifique pour la recherche et le progrès », on peut comprendre que le Parlement souhaite que le débat ne soit pas réduit aux quelques heures d'une discussion budgétaire.
Nous savons bien que, dans les limites contraignantes du débat budgétaire, nous ne pouvons pas traiter de tout. Je souhaite donc, monsieur le ministre, probablement comme beaucoup de parlementaires, que vous acceptiez, que le Gouvernement accepte que le Parlement puisse, sur ce sujet, consacrer un certain nombre d'heures. Quand il s'agit du « plus bel équipement scientifique », cela mérite au moins débat, et que chacun s'exprime avec la vigueur et la détermination qui lui sont propres.
Enfin, monsieur le ministre, vous aviez laissé entendre que la construction du synchrotron n'était pas définitivement abandonnée. Vous ne m'avez pourtant pas répondu sur ce point. Vous le voyez, nous avons encore des raisons de vous demander des précisions.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. Avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, je me permets de vous faire observer que nous avons un peu de retard ; je souhaite donc que votre réponse soit brève.
Vous avez la parole, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, j'ai dit que tous les équipements importants seraient désormais construits à l'échelon européen ; il n'y aura plus de grands équipements exclusivement français. Par ailleurs, nous nous sommes engagés - c'est une décision irréversible - avec les Britanniques.
J'ajoute, en passant, que ce synchrotron européen n'est pas le plus bel équipement du monde. Je suis obligé de vous le dire, le plus beau synchrotron du monde, il existe déjà, il est en France, à Grenoble. Le projet SOLEIL ne sera pas équivalent.
Nous disposons aussi d'un autre équipement européen, le LURE, à Orsay, et nous aurons bientôt un nouvel équipement européen en Grande-Bretagne.
Ces gros équipements sont utilisés par les chercheurs de tous les pays : les Français travaillent aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, et ils iront travailler en Grande-Bretagne. Le lieu d'implantation de ces équipements ne défavorise personne.
Enfin, avec ce dernier équipement, nous contribuons à la construction de la communauté européenne scientifique. Ce sera le premier grand équipement européen réalisé en Grande-Bretagne, et je peux vous dire que cela jouera un rôle très important pour l'arrimage de la communauté scientifique britannique à l'Europe. Il nous faut saisir cette chance extraordinaire.
Non, il n'y aura pas de débat sur ce sujet. C'est comme si vous demandiez un débat particulier sur la construction des navires et un autre sur l'espace ! Un budget est soumis à votre vote ; vous avez tout loisir de l'amender, de poser des questions et d'engager alors un débat.
Je note enfin que vous préférez, vous, sénateur du Nord, construire de gros équipements purement français plutôt que développer la recherche médicale. J'en ferai part à vos collègues du Nord.
M. Jacques Legendre. Je n'ai absolument pas dit cela. Vous êtes de mauvaise foi !
M. le président. Le débat se poursuivra...

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