Séance du 25 juin 1999







M. le président. Par amendement n° 48, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose d'insérer, après l'article 21 sexies, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 380 du code de procédure pénale, une section V ainsi rédigée :

« Section V. - Du recours

« Art. 380-1. - Les arrêts rendus en premier ressort par la cour d'assises peuvent faire l'objet d'un recours. Ce recours appartient à l'accusé. Il appartient également au ministère public sauf en cas d'acquittement.
« Le recours est formé dans le délai de dix jours à compter du prononcé de l'arrêt de la cour d'assises statuant sur l'action publique. La déclaration de recours doit être faite auprès du greffe de la juridiction qui a rendu l'arrêt.
« En cas de recours d'une des deux parties visées au premier alinéa, un délai supplémentaire de cinq jours est ouvert pour faire un recours :
« - à l'autre partie ;
« - à la personne civilement responsable quant aux intérêts civils seulement ;
« - à la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement.
« Dans le délai d'un mois à compter de la date du recours, le dossier est transmis au greffe de la Cour de cassation.
« Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation renvoie l'affaire, dans un délai de deux mois et par une décision d'administration judiciaire insusceptible de recours, à une autre cour d'assises que celle qui a statué, après avoir recueilli les observations du ministère public et de l'avocat de l'accusé.
« La cour d'assises statuant sur ce recours procède conformément aux articles 231 à 380. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 145, présenté par M. Fauchon, et tendant, dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 48 pour l'article 380-1 du code de procédure pénale, à remplacer les mots : « de dix jours » par les mots : « d'un mois ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 48.
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il s'agit là du premier amendement d'une série qui tend à faire entrer dans notre droit un deuxième degré de juridiction pour les affaires les plus graves, c'est-à-dire les affaires criminelles, qui sont du ressort de la cour d'assises.
Nous savons tous ici pour quelles raisons historiques il n'existe pas, en France, de deuxième degré de juridiction pour les affaires jugées par un jury populaire.
En 1997, je le rappelle, le Sénat avait discuté en première lecture une réforme proposée par M. Jacques Toubon, alors garde des sceaux, et je crois me souvenir que notre assemblée l'avait adoptée à la quasi-unanimité.
Depuis cette date, régulièrement interrogé sur le devenir de cette réforme, le Gouvernement a toujours laissé entendre qu'il n'y était pas hostile mais que, pour l'heure, elle n'était pas financée, et aucune proposition alternative n'a été faite.
Les auditions auxquelles j'ai pu procéder, bien qu'elles aient été moins nombreuses que je ne l'aurais souhaité compte tenu du peu de temps qui m'a été laissé, m'ont néanmoins permis de percevoir combien était forte l'attente d'une formule permettant, sinon d'instituer un deuxième degré de juridiction, du moins d'offrir une deuxième chance - c'est sans doute le mot qui convient ! - à ceux qui étaient condamnés.
Ne l'oublions pas, dans une cour d'assises, c'est une peine de trente ans de réclusion sans réduction possible, c'est-à-dire toute une vie, qui peut être infligée.
Ce que nous proposons d'introduire aujourd'hui, c'est, pour employer un langage technique, une forme d'« appel circulant » : l'affaire est renvoyée devant une autre cour d'assises et la décision ne sera définitive qu'à la suite de ce parcours qui mettra donc l'accusé en face de deux juridictions du même ordre.
On objecte parfois que, dans les affaires criminelles, il y a tout de même une possibilité de cassation. Mais tout le monde sait ici que la Cour de cassation n'est pas un deuxième degré de juridiction en ce sens que ses arrêts se fondent exclusivement sur des motifs de droit.
Tout le monde sait également que, faute de l'existence de voies de recours en appel, la seule manière de remettre en cause un arrêt de cour d'assises est de demander l'ouverture d'une procédure de révision.
Or cette procédure est très étroitement encadrée par le code de procédure pénale et le nombre de cas où il est possible de la mettre en oeuvre est strictement limité.
Sachant que le Gouvernement a souvent mis en avant le problème du financement que posait la réforme précédemment envisagée, la commission s'est attachée à mettre au point le système le moins coûteux possible : les cours d'assises étant prêtes à fonctionner, il ne sera pas nécessaire de créer un nombre important de postes de magistrat.
Dans la mesure où nous sommes saisis d'un texte tendant à renforcer la présomption d'innocence, n'est-ce pas une magnifique occasion d'introduire une disposition législative attendue de tous les acteurs de la vie judiciaire ? De surcroît, il serait regrettable d'opposer une objection de moyens dès lors qu'il est question de « présomption d'innocence ».
J'en viens plus précisément au dispositif que nous proposons.
Les arrêts rendus en premier ressort par la cour d'assises pourront faire l'objet d'un recours. Ce recours appartiendra aussi bien à l'accusé qu'au ministère public, sauf en cas d'acquittement, ce dernier point ayant fait l'objet d'une longue discussion en commission. Le recours sera formé dans le délai de dix jours à compter du prononcé de l'arrêt. Dans le délai d'un mois à compter de la date du recours, le dossier sera transmis au greffe de la Cour de cassation. Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation renverra l'affaire dans un délai de deux mois par une décision d'administration judiciaire - donc, en tant que telle, insusceptible de recours - à une autre cour d'assises que celle qui a statué, après avoir recueilli les observations du ministère public et de l'avocat de l'accusé.
M. le président. La parole est à M. Fauchon, pour défendre le sous-amendement n° 145.
M. Pierre Fauchon. Ce sous-amendement s'inscrit dans la logique de ce que nous avons déjà voté. Je ne crois donc pas nécessaire, dans l'immédiat, de m'expliquer davantage, d'autant que cela nous fera gagner un temps qui devient de plus en plus précieux au fur et à mesure que les heures s'écoulent. (Sourires.)
M. le président. Je ne vous le fais pas dire !
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 145 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 48 et sur le sous-amendement n° 145 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement touche à un point extrêmement important, celui du recours contre les décisions des cours d'assises.
Vous le savez, je partage les motivations de cet amendement. J'ai déjà dit à plusieurs reprises que j'étais favorable à l'institution d'un tel recours. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à la Chancellerie, voilà plusieurs mois, de travailler sur cette question. J'ai d'ailleurs fait diffuser une note de travail dont vous avez sans doute pu prendre connaissance. Il s'agit d'une question extrêmement complexe, qui soulève des difficultés juridiques considérables.
Il convient, en premier lieu, de faire un choix parmi les différents types de recours envisageables. Votre commission a opté pour une forme de recours tournant, qui est en effet l'une des hypothèses de travail proposées dans la note que je viens d'évoquer.
D'un point de vue juridique, je reconnais que la solution d'un recours devant une autre cour d'assises est certainement plus simple que le système consistant à instituer des tribunaux d'assises et des cours d'assises d'appel. Au vu de l'analyse détaillée des différentes possibilités envisageables qui a été réalisée à ma demande par mes services, c'est, en effet, en l'état, la solution qui a ma préférence. Comme l'indique votre commission, d'ailleurs, il s'agit effectivement plus d'une seconde chance que d'un appel.
Mais cette solution ne peut être retenue qu'à la suite d'un débat approfondi, permettant de répondre à des questions essentielles qui n'ont pas, à ce jour, été véritablement tranchées par les débats antérieurs, comme la motivation ou l'absence de motivation, ou comme le nombre des jurés. Je recconnais que votre amendement répond implicitement à ces questions puisqu'il ne prévoit pas de motivation et ne modifie pas le nombre des jurés.
Cependant, je ne suis pas sûre que ces choix résultent d'une discussion ayant longuement et suffisamment pesé le pour et le contre : je crains qu'ils ne soient justifiés que par le souci de simplifier le débat. Or je pense qu'il faut s'interroger très sérieusement sur ces questions.
Par exemple, ne serait-il pas souhaitable que la cour d'assises désignée pour statuer sur le recours comprenne un plus grand nombre de jurés que celle qui a statué en premier, et dont la décision sera ainsi anéantie ? Cela n'éviterait-il pas des contestations sur la légitimité de la seconde décision par rapport à la première ?
Au surplus, les choix de fond - tous les choix de fond - ayant été faits, il faudra aussi répondre à des problèmes juridiques. Les modifications à apporter aux dispositions du code de procédure pénale pour permettre un tel recours sont évidemment multiples et délicates. Je l'ai déjà indiqué : elles ne sont pas toutes réalisées par cet amendement.
Par exemple - ce n'est là qu'un problème parmi de nombreux autres - la cour d'assises statuant après le recours pourra-t-elle augmenter la peine prononcée par la première cour d'assises, même en l'absence d'appel du parquet ? Votre texte est muet sur ce point. Deux principes sont en contradiction : celui selon lequel l'appel ne peut nuire à l'appelant - mais le terme d'« appel » n'est pas, il est vrai, utilisé dans votre amendement - et celui de la plénitude de juridiction de la cour d'assises, qui découle de sa composition populaire. Une clarification sur ce point me paraît donc indispensable.
Autre exemple, qu'en est-il de l'exécution provisoire des décisions rendues par la première cour d'assises ? Un amendement déposé par le groupe socialiste donne une première réponse pour ce qui concerne l'incarcération d'une personne comparaissant libre, mais d'autres précisions, similaires à celles qui existent en matière correctionnelle, seraient nécessaires s'agissant de la décision sur l'action publique. En ce qui concerne la décision sur l'action civile, le problème est encore plus évident.
Dernier exemple, lorque interviendra le deuxième procès, il n'est pas possible de faire comme si un premier procès n'avait jamais eu lieu. Il faut donc que les jurés soient informés, au début des débats, de la première décision qui a été rendue, puisque c'est la contestation de cette décision qui a justifié le recours et le fait qu'ils devront se prononcer sur les faits reprochés à l'accusé. Il faut donc bien modifier les dispositions concernant le déroulement des débats pour assurer une telle information, dans des conditions qui permettront d'éviter que les jurés ne se sentent liés par la première décision.
Je pourrais multiplier les exemples mais je m'en tiendrai là, pour aborder, après les questions juridiques et de principe, un seconde série de difficultés qui concernent les moyens. Il convient d'abord de connaître le coût d'une telle réforme, pour déterminer si les moyens nécessaires à son application peuvent être dégagés. En effet, je l'ai déjà dit, je ne ferai pas de réforme sans moyens.
Or, en l'état, si j'ai pu obtenir les moyens nécessaires à la présente réforme, celle de la détention provisoire en particulier, je ne dispose pas des moyens de réformer la cour d'assises. Dans ces conditions, vous comprendrez que je ne puis être aujourd'hui favorable à cet amendement, non plus d'ailleurs que dans les semaines à venir. Il nous faudra en effet du temps pour approfondir ces questions. Encore une fois, je souhaite que nous y travaillions et que nous parvenions à trouver une solution.
S'agissant du sous-amendement n° 145 de M. Fauchon, qui porte de dix jours à un mois le délai d'appel, je n'y suis pas non plus favorable, comme j'étais opposé à un amendement similaire en matière correctionnelle. Certes, vous avez adopté ce précédent amendement, mais, je tiens à le redire devant vous, je ne crois pas que ce soit une solution satisfaisante.
Pensez que vous donnez au procureur de la République la possibilité de faire appel pendant tout un mois après le jour où l'arrêt de condamnation aura été rendu, s'il estime la peine insuffisamment sévère. Pendant un mois, le condamné qui a accepté sa condamnation restera dans l'incertitude quant à la possibilité d'un nouveau procès et d'une aggravation possible de sa peine. C'est ce qui résulterait de votre texte, si vous adoptiez ce sous-amendement.
Même si cette conséquence résulte déjà de l'amendement que vous avez adopté en matière correctionnelle et auquel j'étais opposée, j'y suis encore plus hostile ici, car ce serait encore pire si tel devait être le cas en matière criminelle.
Je suis donc défavorable à l'amendement n° 48 ainsi qu'au sous-amendement n° 145.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 145.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je souhaite simplement rappeler que, en ce qui me concerne, je considère ce délai d'un mois trop long pour les raisons psychologiques évoquées par Mme le garde des sceaux à l'instant.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Entre plusieurs inconvénients, il faut, me semble-t-il, choisir le moindre. Le plus grand inconvénient, selon les informations qui m'ont été données par des praticiens, est qu'un délai de dix jours est tout simplement trop court.
L'avocat n'a souvent pas le temps d'aller voir son client. Les prisons, par exemple, ne sont pas toujours en face du cabinet de l'avocat. Bref, compte tenu de toute une série de problèmes pratiques, certains appels ne sont formés que dans le souci de ne pas laisser passer le délai. Ces appels entrent d'ailleurs, du point de vue psychologique, dans la catégorie de ce que nous appelons dans notre jargon latin l' ab irato, qui perdure au-delà de dix jours.
C'est donc dans le souci de diminuer le nombre des appels et, surtout, des appels précipités que j'ai proposé un délai d'un mois. Il est possible - ce point sera examiné lors de la navette - que ce délai soit un peu long. Un délai de quinze à vingt jours suffirait peut-être, mais l'essentiel est de marquer notre volonté de prolonger ce délai.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché président de la commission des lois. Je fais remarquer à Mme le garde des sceaux que l'institution d'un délai - nous pouvons certes débattre de sa durée - constitue tout de même une amélioration absolument extraordinaire par rapport à la situation actuelle puisque, à l'intérieur de celui-ci, l'intéressé pourra, malgré tout, avoir une seconde chance. En effet, actuellement, l'intéressé, une fois condamné, sait qu'il ne dispose que d'un recours en cassation avec tous les aléas que cela suppose.
tout à l'heure.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 145, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 48.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Nous abordons une question qui a souvent été évoquée dans cette enceinte et sur laquelle la commission a beaucoup travaillé, celle du double degré de juridiction en matière criminelle ou du recours contre les décisions rendues par les cours d'assises.
Les premiers travaux importants sur cette question datent de la commission présidée par le regretté président Braunsweig, président de la chambre criminelle en 1982.
Il était déjà apparu à cette époque de façon très claire qu'il y avait deux difficultés auxquelles nous n'avons jamais cessé de nous heurter. La première, d'ordre juridique, est essentielle : il s'agit de la question de la motivation. La seconde est d'ordre matériel : il s'agit du nombre de magistrats nécessaires pour réaliser cette réforme.
Sur le principe, je crois que tout le monde est d'accord. Il faut qu'un recours puisse être exercé à l'encontre de décisions prononçant les peines les plus graves.
S'agissant des motifs, le grand avantage de l'amendement n° 48, présenté aujourd'hui par la commission des lois, est de résoudre la question en la vidant de sa substance. Dès l'instant où il s'agit d'adopter un système identique à celui d'une affaire criminelle revenant devant une cour d'assises de renvoi après une décision de cassation de la Cour de cassation, il n'y a plus lieu de s'interroger sur le problème de la motivation du premier arrêt. Elle n'est pas nécessaire puisqu'il s'agit non pas d'un appel, mais d'une voie de recours qualifiée de « deuxième chance ».
L'avantage est considérable s'agissant de la motivation. Il l'est aussi s'agissant des effectifs, problème sur lequel deux gardes des sceaux ont dû reculer. Enfin, le recours devant une autre cour d'assises implique une organisation beaucoup plus simple de la voie de recours. Après mûre réflexion, je considère, en définitive, que c'est la voie qu'il faut choisir. Elle est la plus simple, si elle n'est pas la plus logique.
J'ajoute que, si je me réfère à une expérience passée, j'ai toutes les raisons de soutenir cette voie de recours.
L'amendement n° 48 de la commission aboutit à offrir une deuxième chance à l'intéressé, à l'image de celle qui est donnée à l'accusé à la suite de la cassation de la décision qui l'avait condamné.
Permettez-moi d'évoquer des souvenirs très brûlants dans ce domaine. Entre 1978 et 1980, à cinq reprises, cinq condamnations à mort avaient été prononcées par les cours d'assises en France. Un pourvoi avait été interjeté à chaque fois. A cinq reprises, la chambre criminelle de la Cour de cassation, très attentive dans ce domaine à toute possibilité de donner précisément une deuxième chance aux condamnés à mort, avait cassé la décision. J'ai eu la tâche de défendre ces cinq condamnés à mort. A cinq reprises, les cours d'assises de renvoi ont refusé de confirmer les condamnations à mort. A partir de là, il est devenu évident, pour moi, que l'utilité de la seconde chance, du recours est certaine, même si, heureusement, la peine de mort a disparu de notre législation. Mais pensez à l'innocent condamné.
Les modalités d'organisation du recours ne présentent pas, madame le garde des sceaux, de véritables difficultés. Il faudra procéder à des ajustements - vous en avez mentionné quelques-uns -, mais aucune difficulté, compte tenu de l'excellence des services de la Chancellerie, n'est insurmontable. Je sais, d'ailleurs, que vous en êtes convaincue.
A partir du moment où le choix sera opéré, il n'y aura pas de problème sur le plan juridique. Quant au plan matériel, je l'ai dit, ce sera la solution la plus légère. J'ajoute que, dans un amendement que nous avons déposé, nous avons rappelé qu'il n'y avait plus lieu de conserver un deuxième degré de juridiction d'instruction, celui de la chambre d'accusation, sur le travail réalisé par le juge d'instruction, dès l'instant où l'intéressé bénéficie de deux chances.
A cet égard, la procédure se déroulera plus rapidement et les magistrats de la chambre d'accusation pourront plus aisément siéger dans les cours d'assises, bien évidemment dans des affaires dont ils n'auront jamais eu à connaître.
Pour ma part, je souhaite que le Sénat vote cette disposition et que nous examinions à nouveau la question au cours de la navette. Vos excellents services auront travaillé sur les problèmes juridiques et vous-même, madame le garde des sceaux, vous pourriez voir dans quels délais raisonnables peut être mise en place cette nécessaire réforme de la justice française.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je souscris totalement à l'économie générale de l'amendement n° 48 de la commission des lois ainsi qu'aux propos de M. Badinter.
L'amendement n° 48 dispose : « Les arrêts rendus en premier ressort par la cour d'assises peuvent faire l'objet d'un recours. Ce recours appartient à l'accusé. Il appartient également au ministère public sauf en cas d'acquittement. » Je m'interroge : pourquoi la commission a-t-elle écarté cette possibilité ?
Il va sans doute m'être objecté qu'il ne s'agit pas d'un appel, mais si cela va sans dire, cela ira mieux en le disant. Il arrive souvent que les cours d'assises condamnent à des peines correctionnelles. En réalité, elles déclassent : au lieu de condamner à des peines criminelles, elles condamnent à des peines correctionnelles.
Cela dit, rassurez-vous, je voterai l'amendement n° 48.
Quant à l'objection tendant à nous inviter à attendre quelque peu faute de moyens dans l'immédiat, j'estime que cette réforme en exige beaucoup moins que celle qui a été présentée en son temps par M. Toubon. Par ailleurs, la navette et le laps de temps d'un an, dont nous disposerons d'ici au projet de budget pour 2001, permettront précisément à Mme la ministre d'obtenir des moyens auprès de son collègue du quai de Bercy.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai longtemps été hostile au double degré de juridiction en ce qui concerne les crimes et la cour d'assises parce que, sans aller jusqu'au fond de la réflexion sans doute, il me paraissait difficile de demander que soit remise en cause une décision populaire.
Mais, après tout, après avoir longuement réfléchi, je suis parvenu à une conclusion différente dans la mesure où, d'une part, les jurés d'assises ne sont pas des élus - ils n'ont donc pas été désignés directement par le peuple - et, d'autre part, leur décision peut déjà être remise en cause par la Cour de cassation, certes pour des motifs de forme. Quoi qu'il en soit la Cour de cassation peut casser un arrêt de cour d'assises et ordonner le renvoi. Donc, finalement, de ce point de vue, mes objections tombent.
En outre, si les cours d'assises saisies en appel font comme les cours d'appel aujourd'hui qui ont une tendance assez marquée à être plus sévères que les premiers juges, je pense qu'après une période d'engouement assez fort pour profiter du double degré, on reviendra à une situation dans laquelle les appels deviendront assez rares.
Pour ces motifs, je voterai l'amendement de la commission.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je voudrais simplement apporter une précision en ce qui concerne l'acquittement.
Dans un premier temps, lorsque la commission a examiné l'amendement que j'avais présenté, ce problème n'a pas été abordé. Puis un collègue a dit : Et en cas d'acquittement ? Certains ont soutenu que, dans cette hypothèse, dès lors que l'on a fait appel, il faut jouer le jeu. L'un de nos collègues a alors ajouté : « Vous venez de dire que ce n'est pas un appel ; puisqu'il s'agit d'une seconde chance, si la personne concernée est acquittée, la procédure est terminée. » C'est quasiment une décision de grande justice. Il me paraît en effet équitable, lorsqu'une personne a été acquittée, de ne pas la rejuger.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. C'est en effet équitable, car la société ne doit pas jouer avec cet homme poursuivi pour crime comme le chat joue avec la souris ; ce serait peut-être encore plus affreux.
Le fait qu'un innocent ait été condamné pour un crime qu'il n'a pas commis est peut-être ce qu'il y a de plus insupportable pour une conscience politique, bien sûr soucieuse des droits de l'homme, et donc digne d'être une conscience. C'est pourquoi je suis favorable à cet amendement, comme je l'ai été lors de la discussion en commission.
En l'occurrence, on ne peut invoquer des difficultés pratiques ou des choix politiques qui varient d'un ministre à l'autre.
Comme cela a été dit, le système que nous proposons permet de surmonter les difficultés pratiques. Il est possible qu'un garde des sceaux ait eu cette priorité et que son successeur ait eu d'autres priorités. Nous respectons toutes les priorités. Mais, pour nous, il en est une qui prévaut sur toutes les autres : il faut prendre une initiative pour briser la routine dans laquelle nous vivons depuis trop longtemps et ouvrir la fenêtre de l'espoir. C'est dans cet esprit que je voterai cet amendement.
M. Louis de Broissia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. Je suis tout à fait convaincu par les explications de M. le rapporteur, selon lesquelles c'est une première chance. Dans cette hypothèse, l'acquittement, c'est la première chance qu'a obtenue l'intéressé. Il n'y a donc pas d'esprit d'appel.
M. Hubert Haenel. Il fallait que ce soit dit !
M. Louis de Broissia. Nous l'avons tous compris ainsi. Puisqu'il ne s'agit pas d'un appel et que c'est une seconde chance, ce système me paraît très astucieux et équitable ; il répond bien à l'économie générale du texte. D'ailleurs, l'article 40 de la Constitution ne pourra pas être opposé, car, si j'ai bien compris, « tout baigne ».
M. Michel Charasse. Quand on va en appel, on ne va pas en cassation !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai écouté ce débat avec beaucoup d'intérêt, encore que je me demande pourquoi la majorité du Sénat n'a pas déposé depuis longtemps une proposition de loi qui aurait été examinée au cours d'une séance réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par le Sénat. Nous aurions ainsi évité de débattre de cette question aujourd'hui à l'occasion de l'examen d'un texte où elle ne me paraît pas forcément bienvenue.
Cela étant dit, je m'interroge. C'est une seconde chance, dites-vous, et il n'y a donc pas lieu de prévoir une possibilité d'appel pour le procureur en cas d'acquittement. Je veux bien l'admettre. Mais je ne vois pas pourquoi il y aurait un « appel » du procureur dans les autres cas. Il n'y a pas de raison ! Celui qui est condamné à sept ans d'emprisonnement alors que le procureur a requis quinze ans a eu sa chance. Cela me choque que le procureur puisse faire appel contre le peuple.
Vous voulez qu'il y ait un double degré de juridiction. Admettons. Puisque vous invoquez des arguments pour écarter le recours du procureur lorsqu'il y a acquittement, allez jusqu'au bout du raisonnement et proscrivez tout appel du procureur dans tous les cas. Pourquoi ne le faites-vous pas ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous avons eu raison d'interrompre nos travaux vers douze heures trente car, en une demi-heure, nous n'aurions pu achever l'examen de cette question. La preuve en est qu'il se poursuit.
Cela étant dit, je voudrais brièvement répondre à M. Dreyfus-Schmidt. Nous aurions pu en effet déposer une proposition de loi, mais celle-ci n'aurait eu aucune chance d'aboutir. Certes, nous aurions pu l'inscrire à l'ordre du jour fixé par le Sénat, mais, vous le savez très bien, la technique que l'Assemblée nationale utilise à notre égard consiste à ne jamais inscrire à son ordre du jour une proposition de loi émanant du Sénat. Aussi, votre remarque de procédure ne tient pas.
J'en viens au fond. Nous avons eu, sans doute comme vous, madame le garde des sceaux, le temps de réfléchir. Vous vous souvenez peut-être que, lors du premier entretien, très cordial, que vous m'aviez accordé, j'avais évoqué ce problème. Vous m'aviez alors répondu que vous alliez y réfléchir. Cela fait deux ans ! Or, je me permets de vous le dire, votre réflexion n'a pas encore débouché. Vous avez sans doute les meilleures raisons du monde. Souffrez que nous ne les partagions pas.
Comme je vous l'avais dit, plusieurs systèmes étaient envisageables.
Il y avait celui que votre prédécesseur nous avait proposé et sur lequel nous avions beaucoup travaillé. Il supposait une modification fondamentale de la technique de la cour d'assises, difficulté à laquelle nous nous étions attelés en toute bonne foi, et quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégions, car la question nous semblait intéressante. Le dispositif qui nous était proposé consistait à prévoir une motivation de la décision de la Cour de cassation, impliquant sans aucun doute la fin de la procédure orale, avec toutes les conséquences qui en résultaient. Nous avions progressé. Je me souviens du travail auquel MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Robert Badinter et Michel Charasse, notamment, et moi-même, nous nous étions livrés. En progressant dans ce travail, nous nous étions aperçus de l'existence de véritables difficultés techniques.
Il y avait un autre système. Je crois me souvenir que je vous l'avais proposé. Les très hautes autorités de la Cour de cassation avec lesquelles je m'en étais entretenu avaient levé les bras au ciel. Peut-être ne se sentaient-elles pas capables d'accomplir la mission que je leur proposais ? Ou bien peut-être cela était-il susceptible de déranger quelque peu le rythme du travail de la haute juridiction ?
Cette seconde technique consistait à donner un pouvoir supplémentaire, comparable à celui qui était accordé au Conseil d'Etat, à savoir le pouvoir de casser pour erreur manifeste. C'est tout simple. On ne justifie pas, on constate simplement, comme le Conseil d'Etat, qu'il y a une erreur manifeste, et c'est fini une fois pour toutes !
Cette solution n'a pas été retenue, elle n'a pas même été envisagée. Peut-être était-ce d'ailleurs difficilement concevable. Je le reconnais, ce dispositif, qui modifie des habitudes, des principes et des techniques, avait suscité, de la part du président Truche, homme pour lequel j'ai le plus grand respect, des objections telles que je n'avais pas insisté. Quoi qu'il en soit, je m'étais permis de vous en parler de nouveau.
Mais il faut faire quelque chose. Ce débat illustre toute la différence entre votre rôle et le nôtre. Ce n'est pas au point, dites-vous. Peut-être. Alors, mettez-le au point ! Nous vous offrons la possibilité de le faire. Nous marquons notre volonté d'instaurer un second degré de juridiction et nous vous offrons une possibilité de le réaliser.
Que notre dispositif ne soit pas techniquement au point, que les services de la Chancellerie vous posent quelques questions, c'est leur rôle, comme il est de votre rôle d'entendre les objections et de passer outre.
Vous affirmez vouloir aller dans le sens d'un perfectionnisme plus affirmé. Nous, sénateurs, nous insistons sur la nécessité de faire quelque chose et, en l'occurrence, c'est le second degré de juridiction. A cet effet, nous vous offrons une technique qui est ce qu'elle est. Elle pose des principes. Je ne retiens pas un de vos arguments. A quoi servirait un jury plus nombreux ? Le jury ne s'est pas trompé. Il a décidé. Si nous étions en matière de preuves, cela serait peut-être justifié, mais nous sommes là dans le domaine de l'intime conviction. Pour avoir l'intime conviction, il ne suffit pas d'être plus nombreux dans un cas que dans l'autre.
Nous tenons à marquer sur ce point une volonté très nette. Elle a été longuement débattue en commission. On s'est un peu interrogé sur la question de l'acquittement, c'est vrai. Nous avons pris une décision. Je demande à la Haute Assemblée de se prononcer positivement sur ce texte.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 48, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 21 sexies.

Articles additionnels après l'article 21 quater

ou après l'article 21 sexies (précédemment réservés)