Séance du 24 juin 1999







M. le président. « Art. 5. - Le premier alinéa de l'article L. 294 du même code est ainsi rédigé :
« Dans les départements où sont élus deux sénateurs ou moins, l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours. »
Par amendement n° 5, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Le premier alinéa de l'article L. 294 du même code est ainsi rédigé :
« Dans les départements qui ont droit à trois sièges de sénateurs ou moins, l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Cet amendement tend à conserver le mode de scrutin majoritaire pour les départements de un, deux ou trois sénateurs alors que le Gouvernement fait descendre la proportionnelle aux départements élisant au moins trois sénateurs. La commission des lois s'en tient à la position exprimée par son rapporteur pendant la discussion générale. Elle souhaite en effet que la moitié de la population soit représentée à la proportionnelle, c'est-à-dire la population des départements les plus importants marqués par une forte politisation des votes. Elle souhaite en revanche que, dans les départements moins peuplés, qui représentent l'autre moitié de la population et qui élisent trois sénateurs au plus, le scrutin majoritaire uninominal ou plurinomminal - selon l'appellation qu'on veut lui donner - demeure la règle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je prends acte du pas qu'accomplit la commission des lois dans le sens d'une représentation plus fidële des courants politiques des départements.
Cependant, l'objectif du projet de loi est de renforcer autant que possible l'égalité du suffrage. Autant que possible, cela signifie que l'on peut aller jusqu'aux départements qui élisent trois sénateurs, dans lesquels la proportionnelle trouve tout son sens.
Pourquoi s'arrêter en chemin, monsieur le sénateur ? Allez au bout de votre bon mouvement, et nous arriverons à un équilibre qui sera de un tiers, deux tiers : deux tiers de la population étant représentée par des sénateurs élus au scrutin proportionnel, un tiers au scrutin majoritaire. C'est parfaitement possible, puisque c'est l'inverse aujourd'hui.
Le point qui nous oppose est de savoir à partir de quand la proportionnelle trouve sa signification. J'ai déjà démontré que pour l'élection d'un sénateur dans un département comme c'est le cas dans celui dont je suis l'élu, le Territoire-de-Belfort, elle n'a pas de sens. Dans un département qui élit deux sénateurs, elle n'a pas grand sens non plus. Mais à partir du moment où il faut élire trois sénateurs, elle prend tout son sens.
Soyons logiques, soyons cohérents, affirmons clairement notre volonté d'aller vers un suffrage plus égal. Il ne sera pas tout à fait égal, dans la mesure où nous devons tenir compte d'un autre principe, mais il le sera tout de même davantage.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je voudrais dire simplement à M. le ministre de l'intérieur qu'il a une singulière conception de l'équilibre. Pour moi, l'équilibre, c'est moitié - moitié. Deux tiers - un tiers, me semble plutôt relever du déséquilibre !
Accessoirement, monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez porté un jugement de valeur sur la proportionnelle et certaines de ses significations. Personnellement, je regrette même l'institution de la proportionnelle à partir de quatre sénateurs, même si la commission a adopté cette position car le système proportionnel n'a aucune signification politique intéressante.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je tiens à faire remarquer que lorsque, voilà huit ans, nous avons débattu, dans ce même hémicycle, d'une première proposition de modification du mode de scrutin, le climat était différent, plus crispé : alors, le terme même de « proportionnelle » était à bannir.
Le temps faisant petit à petit son oeuvre, la majorité sénatoriale reconnaît maintenant qu'un effort doit être accompli. Elle a fait un effort, je le reconnais.
M. le ministre vient de l'engager à faire encore un petit pas. Pour ma part, je suis favorable à un pas encore plus grand.
En effet, quel est le principe qui nous guide dans notre débat ? Nous ne voulons pas être le clone de l'Assemblée nationale. D'abord, c'est une expression que je n'aime pas, parce que l'expérience de clone n'est pas vraiment probante lorsqu'on sait ce qu'est devenue Dolly.
Certes, nous ne devons pas ressembler à l'Assemblée nationale.
M. Gérard Cornu. Vous faites tout pour !
M. Guy Allouche. Je suis totalement pour que nous ayons notre spécificité.
M. Gérard Cornu. Ah ? C'est intéressant !
M. Guy Allouche. L'Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct ; nous sommes élus au scrutin indirect.
L'Assemblée nationale est élue au scrutin majoritaire à deux tours, il ne faut pas lui ressembler : adoptons la proportionnelle.
Dans les différences, vous ne pouvez pas ne prendre que en considération ce qui vous arrange !
Evidemment, on ressemble un peu à l'Assemblée nationale par les missions que nous confie la Constitution. Mais si on ne veut s'en distinguer, on ne peut pas dire : j'accepte cette différence, je n'accepte pas celle-là. Voilà ce qui nous oppose.
Par ailleurs, comment pouvez-vous, comme vous l'avez fait hier, formuler tant de critiques à l'égard de la proportionnelle ? Elle éloignerait l'élu de l'électeur...
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Guy Allouche. Il est tout de même assez cocasse d'entendre M. Chérioux, élu à la proportionnelle, dire que ce mode de scrutin l'éloigne de ses électeurs...
M. Jean Chérioux. C'est vrai, je l'ai constaté ! J'apporte justement un bon témoignage.
M. le président. Mes chers collègues, ne vous livrez pas à des interpellations particulières, s'il vous plaît.
Monsieur Allouche, vous avez la parole contre l'amendement, mais n'excitez pas vos collègues !
M. Guy Allouche. Monsieur le président, je répète : entendre un élu à la proportionnelle condamner ce mode d'élection, c'est tout de même extraordinaire ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je ne sais pas comment travaillent mes collègues élus à la proportionnelle, mais moi, qui le suis également, j'ai des contacts permanents et réguliers avec les grands électeurs.
M. Jean Chérioux. Vous, vous êtes un modèle ! Ce n'est pas pareil.
M. Guy Allouche. Je ne suis pas un modèle, je m'efforce de faire mon travail consciencieusement et correctement.
M. Jean Chérioux. C'est vous qui le dites !
M. Dominique Braye. On en est conscients et on vous en donne acte, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. M. Braye recommence !
M. Dominique Braye. Pour une fois que je suis d'accord !
M. le président. Monsieur Allouche, je souhaiterais que vous alliez jusqu'au bout de votre propos et que vous ne vous ingéniiez pas à vous faire interrompre.
M. Dominique Braye. C'est de la provocation ! Il ne sait faire que cela !
M. Guy Allouche. C'est mon argumentation qui les fait réagir, monsieur le président.
M. Henri de Raincourt. Mais non !
M. Guy Allouche. Comment pouvez-vous formuler tant de critiques sur la proportionnelle et admettre qu'elle soit appliquée plus largement ?
Mes chers collègues, vous faites un pas en avant. Pour notre part, à l'occasion de cette première lecture, nous approuverons ce que propose le Gouvernement ; nous verrons par la suite.
Permettez-moi, monsieur le président, d'ajouter un dernier mot à l'intention de M. le ministre.
Il a dit à l'instant que la proportionnelle n'avait pas de sens pour l'élection de deux sénateurs.
M. Dominique Braye. Pour trois non plus.
M. Guy Allouche. Pourtant, monsieur le ministre, en 1986, vous avez bien été élu député dans un département où le scrutin a eu lieu à la proportionnelle à la plus forte moyenne, et je n'ai pas le souvenir que votre élection n'ait pas eu de sens !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'aurais aussi bien été élu au scrutin majoritaire. (Sourires.)
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dufour.
M. Michel Duffour. Certes, la majorité sénatoriale fait un pas, mais, comme l'a dit M. le ministre, il est nécessaire de faire un pas supplémentaire.
Je souscris à l'argumentation très pertinente de mon collègue Guy Allouche concernant les comparaisons entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Il est évident que, en demandant un peu plus de proportionnelle pour notre assemblée, nous nous distinguons de l'Assemblée nationale, ce dont vous devriez vous réjouir, messieurs. J'entends dire également - mais les arguments de certains contiennent bien des contradictions ! - que l'élection à la proportionnelle éloigne le sénateur de ses grands électeurs. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.) Je pense au contraire que ce que nous proposons pousse au rapprochement.
Tout à l'heure, messieurs, vous étiez très hostiles à l'augmentation du nombre des grands électeurs dans vos départements. Or voilà l'occasion d'avoir une assise bien plus importante et d'être obligé d'entretenir des contacts beaucoup plus réguliers avec les grands électeurs qui vous choisissent.
Dans ce que j'ai entendu, je vois toute une argumentation qui rapetisse l'élection. Nous souhaitons, au contraire, un dispositif beaucoup plus large et plus offensif.
Enfin, vous savez que je suis un farouche partisan de la proportionnelle, comme je l'ai montré en différentes occasions. Or j'ai toujours entendu dans cet hémicycle que la proportionnelle était chose fort mauvaise parce qu'elle ne permettait pas de dégager des majorités susceptibles de soutenir un pouvoir exécutif.
En la matière, le Sénat se distingue également de l'Assemblée nationale : nous n'avons rien à craindre d'une élection à la proportionnelle sur ce plan-là.
Elargissons donc celle-ci aux départements qui élisent trois sénateurs, et je crois que nous irons dans le bon sens !
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas convaincant !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Parlons d'équilibre !
La commission propose qu'une moitié de la population soit représentée à la proportionnelle, l'autre moitié au scrutin majoritaire. L'équilibre qu'elle défend est d'ordre démographique, citoyen : il tient à la population.
Dans les propositions de loi de M. Baylet et de Mme Luc et dans ce projet de loi, la proportionnelle serait appliquée à partir de trois sénateurs, l'équilibre étant établi en considération du nombre de départements. Avec ce système, une moitié des départements serait soumise au scrutin majoritaire, l'autre moitié des départements à la proportionnelle, ce qui s'appuierait sur une logique territoriale.
Dans ces conditions, faisons chacun un pas vers l'autre : monsieur le ministre, vous suivez une logique totalement démographique pour les grands électeurs, c'est la nôtre pour la proportionnelle ; nous avons une logique territoriale pour les grands électeurs, c'est la vôtre pour la proportionnelle. Je crois que l'on peut s'y retrouver : retenons la logique démographique pour la proportionnelle et la logique territoriale pour les grands électeurs et tout le monde sera content ! Je ne comprends pas pourquoi il peut y avoir des divergences entre nous à partir d'une croisée de logiques aussi simple que celle-ci !
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je veux seulement exprimer mon étonnement face à la réaction qu'eut notre collègue Guy Allouche lorsque je me suis permis de dire que j'étais contre la proportionnelle alors que j'étais élu dans un département où l'on pratique la proportionnelle.
Si je comprends bien la logique de M. Allouche, quand on est élu selon un mode de scrutin on doit être partisan de ce mode de scrutin jusqu'à la fin de ses jours ! Cela impliquerait, d'abord, que tous les sénateurs qui sont élus à la proportionnelle devraient être favorables à l'extension de ce mode de scrutin à tous les autres. Cela impliquerait, ensuite, qu'on ne changerait jamais de mode de scrutin puisque, par définition, lorsque l'on aurait été élu selon un mode, on y serait attaché indéfectiblement, sans jamais accepter aucune modification.
Une autre chose m'a frappé dans les propos de M. Allouche. Avec son côté très professoral, il nous a dit que l'élection au suffrage direct pour l'une, au suffrage indirect pour l'autre suffisait à établir une différence entre les deux assemblées. Ce n'est pas forcément vrai. Avec une élection au suffrage indirect aménagée d'une certaine façon on peut arriver au même résultat qu'avec le suffrage direct. J'ignore si M. Allouche le sait, mais le président des Etats-Unis est élu au suffrage indirect. Ce bel exemple montre qu'il ne suffit pas d'avoir une élection au suffrage universel indirect pour obtenir des résultats différents de ceux d'une élection au suffrage universel direct.
M. Claude Estier. Cela n'a rien à voir !
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, mes chers collègues, je croyais que notre règlement interdisait les interpellations entre collègues. Que cette pratique soit utilisée par certains sénateurs qui n'exercent aucune responsabilité au sein de la Haute Assemblée, passe encore ! Mais que certains qui exercent de hautes responsabilités au sein de notre assemblée le fassent systématiquement me paraît beaucoup plus difficilement compréhensible.
Cela étant, je voudrais revenir sur ma situation personnelle... dont j'ai le droit de parler.
Elu à la proportionnelle, je suis contre la proportionnelle, et j'estime que pour vraiment juger d'une situation, il vaut mieux la vivre au quotidien. Je préfère parler d'un système que je connais pour pouvoir dire s'il est bon ou mauvais. Eh bien, je puis témoigner que le fait d'être élu à la proportionnelle nous éloigne de nos électeurs quand bien même, après l'élection, nous essayons quotidiennement de nous en rapprocher.
Par ailleurs, nous ne sommes pas élus en tant qu'individus ; nous sommes désignés par des appareils qui nous mettent en un certain rang sur des listes que les électeurs sont amenés à cautionner ou à refuser.
L'équilibre cinquante-cinquante - soit 50 % des sénateurs élus à la proportionnelle et 50 % élus au scrutin majoritaire - semble être le bon équilibre. Imposer la proportionnelle à partir de deux sénateurs équivaudrait à ce que, sur cent départements, il y en aurait huit où l'élection aurait lieu au scrutin majoritaire et quatre-vingt-douze au scrutin proportionnel. Ce doit être une plaisanterie tellement c'est excessif !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Chers collègues, on ne peut dire une chose et son contraire. On ne peut défendre le scrutin majoritaire au nom d'un objectif dont nous avons tous fini par admettre la validité, à savoir la nécessité de dégager une majorité stable, notamment à l'Assemblée nationale, pour soutenir l'exécutif, et affirmer que, au Sénat, qui n'a ni à soutenir - même si l'on peut le faire par sympathie politique - ni à censurer le Gouvernement, contrepartie de l'impossibilité de dissolution, il faut néanmoins y maintenir une part de scrutin majoritaire.
Chers collègues, si, bien qu'élus à la proportionnelle, vous êtes contre ce système, il fallait le changer : vous en avez eu les moyens, depuis 1958 !
M. Jean Chérioux. Nous sommes des démocrates, nous acceptons les institutions !
M. Guy Allouche. Or vous ne l'avez pas fait, et vous utilisez des arguments que je juge incohérents.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela vous arrive aussi !
M. Guy Allouche. Pour ma part, je ne conteste la légitimité de personne ! Elu au scrutin majoritaire ou à la proportionnelle, les scrutins étant validés, tout élu est, pour moi, légitime.
J'ai trouvé un réconfort à la lecture du rapport de notre excellent collègue Paul Girod, car j'ai acquis, voilà quelque temps, la conviction selon laquelle l'application de deux modes de scrutin pour une même assemblée est contraire à la Constitution.
Nous pouvons, nous, législateur, si nous le souhaitons, différencier les modes de scrutin pour les élections municipales, par exemple, selon le nombre d'habitants ; ce n'est pas contraire à la Constitution dans la mesure où les membres de chaque assemblée sont alors élus selon le même mode de scrutin. L'Assemblée nationale, elle, n'est pas élue selon deux modes de scrutin différents !
Le Sénat est une assemblée parlementaire, dotée du pouvoir législatif et d'un pouvoir constituant. Or il y a une inégalité d'élection entre nous, et je prétends que c'est inconstitutionnel.
Jadis, je ne pensais pas ainsi. C'est à la suite d'échanges avec des professeurs de droit public que ma position a changé, car ils m'ont démontré que ce système était contraire à la Constitution.
Il y a neuf ans, je militais pour le mode de scrutin que nous propose aujourd'hui le Gouvernement, de même que nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. Maintenant, il m'apparaît que le principe constitutionnel d'égalité, et notamment d'égalité des suffrages, exige l'application d'un seul et même mode de scrutin pour une assemblée comme la nôtre.
Bien sûr, ce n'est pas nous qui allons saisir le Conseil constitutionnel, et je sais bien que la majorité sénatoriale ne le fera pas non plus. Mais si, demain, soixante députés saisissent le Conseil constitutionnel, que ferez-vous ?
M. Henri de Raincourt. Et vous ?
M. Guy Allouche. Et si ce dernier invalide ce que nous avons décidé ?
M. Henri de Raincourt. Eh bien ?
M. Guy Allouche. Eh bien, ce sera la proportionnelle intégrale pour le Sénat !
M. Jean Chérioux. Pas du tout ! Nous resterons sous le régime actuel.
M. Guy Allouche. Je vous demande de réfléchir à cela.
M. Gérard Cornu. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Mes chers collègues, finalement, dans ce débat, la langue de bois triomphe. Chacun défend ses positions : l'opposition sénatoriale considère qu'il faut mettre le plus de proportionnelle possible, afin d'équilibrer la représentation sénatoriale à son profit, et c'est légitime, tandis que la majorité sénatoriale, estimant que la proportionnelle lui est défavorable, essaie de limiter les dégâts.
Il convient de dépasser ce débat de pure politique politicienne.
Je suis un adversaire forcené de la proportionnelle parce qu'elle engendre des dégâts irrémédiables. En effet, ce système engendre une détestable habitude. Avec la proportionnelle, c'est la tête de liste qui compte. Derrière, chacun veut avoir sa place, la meilleure possible, en étant entraîné par la tête de liste. C'est le règne des copinages, des partis politiques. Mais la tête de liste peut démissionner pour laisser passer ses petits camarades.
Voilà pourquoi, tel qu'il est pratiqué, ce système ne convient pas à nos assemblées parlementaires.
Je ne comprend vraiment pas pourquoi l'opposition sénatoriale est défavorable à l'amendement de la commission, qui permet d'établir, ainsi que M. le rapporteur l'a indiqué, un juste équilibre entre représentation proportionnelle et représentation majoritaire au sein de notre Haute Assemblée. La qualité de nos débats ne peut qu'y gagner. Le contact direct entre un candidat, homme ou femme politique, et son électorat contribue en effet très largement à la richesse et à la qualité de nos débats.
Bien sûr, vous pourriez nous reprocher de ne pas avoir fait avant ce choix du scrutin majoritaire. Mais il me semble important, aujourd'hui, de lui conserver au moins une place suffisante en égard à la qualité des débats qui se dérouleront dans le futur au sein de notre assemblée.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Je ne peux pas laisser dire que les sénateurs élus à la proportionnelle ne sont pas près du terrain, qu'ils ne connaissent pas les problèmes de leur commune et de leur département. Je suis moi-même élue à la proportionnelle, dans le Val-de-Marne, et je ne crois pas faire partie des sénateurs qui ignorent quels problèmes se posent dans le département où ils sont élus, ou dans d'autres départements, d'ailleurs.
Je rends compte régulièrement à mes grands électeurs de ce que je fais au Sénat. Je suis l'interprète, au Sénat, vous le savez tous, de nombreux salariés de toutes les catégories de la population.
Je ne peux donc pas laisser mettre en cause la représentativité des sénateurs qui sont élus à la proportionnelle.
Le débat politicien, que l'orateur précédent a dénoncé, c'est en fait celui qu'il a lui-même ouvert.
Le vrai sujet, c'est l'élargissement du nombre de grands électeurs et le rapprochement entre ceux-ci et le Sénat. Il y a des conseillers municipaux qui ne savent pas comment on élit les sénateurs ! Ne pensez-vous pas que c'est grave ? Comment voulez-vous que la masse des gens sache comment sont élus les sénateurs si même des membres de la « classe politique » ne le savent pas ?
C'est parce que nous voulons aller au plus près des citoyens que nous défendons ce mode de scrutin.
M. Jean Chérioux. Par parti interposé !
Mme Hélène Luc. J'ajouterai d'ailleurs un argument.
Lundi, nous allons à Versailles nous prononcer sur une modification de la Constitution relative à la parité entre hommes et femmes dans les fonctions électives. Eh bien, j'affirme que la proportionnelle permet d'élire un plus grand nombre de femmes sénatrices.
MM. René-Georges Laurin et Henri de Raincourt. Nous y voilà !
Mme Hélène Luc. Ainsi, sur les cinq femmes que compte mon groupe, pas une seule n'est élue au scrutin majoritaire. Elles sont toutes élues à la proportionnelle.
M. Henri de Raincourt. Mme Heinis et Mme Bardou sont élues au scrutin majoritaire !
Mme Hélène Luc. Bien que nous ayons toujours eu le souci de faire élire des femmes - et nous l'aurons encore plus dans l'avenir - jamais nous n'avons pu avoir une femme élue au scrutin majoritaire.
M. Henri de Raincourt. Nous, nous en avons !
M. Gérard Cornu. Ce que vous dites est injurieux pour les femmes !
M. Dominique Braye. C'est la décision des électeurs !
Mme Hélène Luc. C'est un argument supplémentaire que j'invoque, chers collègues de la majorité sénatoriale, pour tenter de vous faire fléchir. Car, comme pour le reste, il faut vous pousser beaucoup ! Mais vous pouvez compter sur nous : comme pour la parité, nous y arriverons !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 est ainsi rédigé.

Article 6