Séance du 24 juin 1999







M. le président. « Art. 1er. - L'article L. 284 du code électoral est modifié comme suit :
« I. - Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les conseils municipaux élisent un nombre de délégués déterminé en fonction de la population des communes, à raison d'un délégué pour 500 habitants ou une fraction de ce nombre. »
« II. - Dans le deuxième alinéa, les mots : "des alinéas 2 à 6 du code de l'administration communale" sont remplacés par les mots : "des articles L. 2113-6 et L. 2113-7 du code général des collectivités territoriales". »
Sur l'article, la parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de faire quelques remarques sur l'article 1er, je tiens à souligner que, depuis 1991, la majorité sénatoriale a accepté le principe même d'une meilleure adéquation de la composition du Sénat à la réalité démographique du pays.
La distorsion apparaît si grande entre population et représentation - plusieurs orateurs l'ont démontré dans la discussion générale - que la politique de blocage adoptée il y a quelques années à l'égard du projet de loi défendu alors par Mme Edith Cresson n'est plus de mise.
Le rapport de M. Paul Girod est symptomatique de cette nouvelle approche, plus réaliste.
Il reconnaît en effet toutes les caractéristiques incontestables de l'exercice par le Sénat de la souveraineté nationale. Mais, dans le même temps, il tente de démontrer la nécessité de conserver un mode de scrutin particulièrement antidémocratique.
M. Paul Girod indique, à la page 43 du rapport, que : « Le Sénat, comme l'Assemblée nationale, représente de manière indivisible la totalité du peuple français, la France étant une République indivisible ». Il rappelle que, selon l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
« A cet égard, la Constitution n'opère aucune distinction entre les représentants du peuple, qu'ils soient membres de l'une ou de l'autre assemblée du Parlement », poursuit-il.
Et d'ajouter, enfin : « Le parlementaire, qu'il soit député ou sénateur, exerce un mandat représentatif de la nation et pas seulement des électeurs de sa circonscription ou de son département d'élection ».
Comme M. Jacques Larché, rapporteur en 1991, M. Paul Girod souligne donc longuement l'intervention du Sénat comme législateur.
Or - c'est que là son attitude est contradictoire - la majorité sénatoriale refuse de progresser de manière réelle vers le respect du principe d'égalité.
Pourtant, l'exercice du pouvoir souverain - et la majorité sénatoriale ne se prive pas d'en user ! - exige le respect de ce principe, qui se fonde sur la représentation de la réalité démographique du pays, comme l'a maintes fois souligné le Conseil constitutionnel.
Vous ne sortirez pas de ce dilemme, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale : si le Sénat entend conserver son rôle de législateur, il doit se soumettre pleinement aux exigences démocratiques, être plus représentatif, tout en préservant son originalité, qui est de représenter les collectivités territoriales, et à laquelle notre groupe est attachée.
L'article 1er, qui tend à modifier le collège électoral, est au coeur du débat.
La règle qui prévaut aujourd'hui entraîne des distorsions considérables, comme l'indiquait fort bien, hier, mon ami Michel Duffour dans la discussion générale.
Je tiens à rappeler que les communes de moins de 3 500 habitants, qui représentent 33,49 % de la population, désignent - écoutez bien ! - 48,88 % des délégués. Et encore s'agit-il là de moyennes nationales, les distorsions étant plus grandes encore dans les départements hétérogènes !
Dans le même temps, les villes de 30 000 à 100 000 habitants, qui représentent 16,86 % de la population, désignent 9,13 % des délégués. C'est tout à fait révélateur, pour ne pas dire édifiant !
Le projet de loi prévoit une légère surreprésentation des communes les moins peuplées précitées, avec 42,66 % des délégués, et rapproche les communes moyennes précitées d'une plus juste représentation, tout en maintenant, il faut le noter, une sous-représentation, avec 14,48 % des délégués.
La majorité sénatoriale, elle, maintient, au travers de sa proposition, une surreprésentation des petites communes et proroge une forte sous-représentation des villes moyennes, avec 12,98 % des délégués pour, je le rappelle, 16,86 % de la population.
Au-delà d'une certaine reconnaissance de la nécessité de démocratiser le mode de scrutin - car c'est bien de démocratie qu'il s'agit - la majorité sénatoriale est donc en recul pour, en quelque sorte, limiter le progrès et perpétuer ainsi sa domination politique.
Le Sénat joue un rôle important, que personne ne conteste, comme deuxième chambre du Parlement, et personne ne remet en cause le bicamérisme.
La vocation du Sénat n'est pas de constituer un contre-pouvoir. Nous nous en faisons, quant à nous, une bien plus haute idée. De plus, cette vocation n'aurait plus aucun sens dès lors que l'Assemblée nationale serait de droite ! C'est d'ailleurs aux électeurs d'en décider.
Mais encore faut-il que les grands électeurs soient suffisamment représentatifs. C'est pourquoi il faut proposer des mesures plus audacieuses, adaptées à la volonté des citoyennes et des citoyens de participer au plus près à l'élection de leurs élus.
Ce sera le meilleur moyen de ne pas laisser à l'Assemblée nationale le soin d'apporter les modifications qui s'imposent pourtant, à l'aube du troisième millénaire, si l'on veut que le Sénat soit de plain-pied dans la vie, avec une proportion d'ailleurs beaucoup plus forte de femmes et de jeunes.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent, eux, au travers de l'amendement n° 19, d'améliorer encore l'adéquation entre la représentation sénatoriale et la réalité démographique des grandes collectivités territoriales, en proposant de désigner un grand électeur pour 300 habitants.
Cette proposition permettrait, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'une part, d'accorder une véritable légitimité démocratique au Sénat, en accroissant le collège électoral de manière significative, ce qui vivifierait le débat, et, d'autre part, d'affiner l'adéquation, notamment pour les petites villes, tout en garantissant la représentation des communes les moins peuplées.
M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 1, Paul M. Girod, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Dans le dernier alinéa de l'article L. 284 du code électoral, les mots : "des alinéas 2 à 6 de l'article 10 du code de l'administration communale" sont remplacés par les mots : "des articles L. 2113-6 et L. 2113-7 du code général des collectivités territoriales". »
Par amendement n° 19, Mme Luc, MM. Duffour, Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le deuxième alinéa du I de l'article 1er, de remplacer le nombre : « 500 » par le nombre : « 300 ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 1.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Hier, dans la discussion générale, j'ai présenté la philosophie qui avait inspiré la commission des lois pour définir sa position sur ce texte.
J'ai dit notamment que, s'il convenait, certes, de tenir compte du déplacement de la population, depuis 1958, en direction des communes de plus de 9 000 habitants, qui regroupent maintenant la moitié de la population française, il ne fallait pas pour autant négliger la spécificité du Sénat, qui est de représenter les collectivités territoriales. Il s'agit d'un deuxième type d'expression de la citoyenneté, qui consiste à gérer les affaires locales, en fonction de leurs difficultés propres, des solutions que nos concitoyens y apportent, toutes choses qui supposent une certaine modération par rapport aux grandes orientations nationales.
Il y a un instant, madame Luc, vous venez de nous faire une démonstration éblouissante. A un détail près ! Citant mon rapport - je suis très honoré de la lecture que vous en avez faite ! -...
Mme Hélène Luc. Je l'ai cité longuement !
M. Paul Girod, rapporteur. ... vous avez déclaré que tous les parlementaires, députés ou sénateurs, avaient les mêmes pouvoirs et le même rôle.
Mme Hélène Luc. Oui !
M. Paul Girod, rapporteur. Effectivement, mais pas les assemblées !
L'Assemblée nationale a un certain nombre de pouvoirs que le Sénat n'a pas.
Mme Hélène Luc. Bien sûr !
M. Paul Girod, rapporteur. En revanche, le Sénat dispose d'une certaine permanence que l'Assemblée nationale n'a pas. De plus, si les parlementaires représentent tous l'ensemble du peuple, ils le font avec des pouvoirs différents et, par conséquent, des missions différentes.
Et c'est le fait que ces missions soient différentes qui explique un mode de scrutin particulier pour la désignation de chacune des deux assemblées, le Sénat étant élu au scrutin indirect - nous sommes des élus d'élus, nous y reviendrons ultérieurement - au moins le plus largement possible, et représentant les collectivités territoriales, qui ont à gérer une population, un territoire et des difficultés locales particulières.
D'ailleurs, quel serait le vécu de l'administration locale si ne siégeaient pas au Sénat, pour la défendre face à Bercy, un certain nombre de spécialistes de la question, qui rendent compte à des élus locaux investis de pouvoirs décisionnels ?
Mme Hélène Luc. Cela vaut pour tous les parlementaires !
M. Paul Girod, rapporteur. Cet aspect de notre mission est d'ordre constitutionnel, et donc absolument incontournable.
Voilà pourquoi la commission des lois n'a pas voulu suivre la logique purement mathématique et démographique du Gouvernement ; cette logique qui prévaut pour l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel ayant décidé que les députés devaient être élus sur des bases essentiellement démographiques. Les sénateurs, qui représentent les collectivités territoriales, devraient, selon le Gouvernement, être élus suivant des bases exclusivement - et non essentiellement - démographiques, ce qui serait tout de même un peu excessif.
Nous avons donc maintenu l'idée que toutes les collectivités, même les plus petites, devaient être représentées, et sur ce point tout le monde est d'accord.
Nous avons également maintenu l'idée que le collège électoral sénatorial devait traduire la réalité du terrain, la réalité de notre type de civilisation et, donc, que l'on ne pouvait pas négliger le rôle des communes comptant de 2 000 à 9 000 habitants, qui seraient les premières victimes du texte du Gouvernement.
C'est la raison pour laquelle, ne voulant pas entrer dans cette logique, la commission des lois proposera de supprimer de l'article 1er sa disposition essentielle tendant à fixer la représentation des communes à 1 délégué pour 500 habitants, et présentera un amendement visant à introduire un article additionnel pour combler le vide juridique ainsi créé, encore que, après tout, s'il n'y a pas de réforme, il n'y aura pas de vide juridique puisque le système actuel restera en vigueur.
M. le président. La parole est à M. Duffour, pour défendre l'amendement n° 19.
M. Michel Duffour. Mme Luc, pour l'essentiel, a déjà présenté cet amendement.
Je veux tout de même répondre à M. le rapporteur que ni le projet de loi ni notre amendement ne mettent en cause le mode de scrutin sénatorial et son originalité.
Remettons-nous en cause le scrutin indirect ? Pas du tout : ce sont bien les collectivités locales qui désigneront les grands électeurs et ces derniers qui éliront les sénateurs.
Les collectivités locales seront-elles dessaisies d'un quelconque pouvoir ? Absolument pas : nous restons dans la même logique. Nous considérons simplement que les collectivités locales à forte densité de population ne doivent pas être sous-estimées s'agissant du nombre de leurs délégués qui élisent les sénateurs. D'ailleurs, l'autorité du Sénat ne sortirait que renforcée de l'élargissement de l'assise de ceux qui nous élisent.
Je prendrai trois exemples très précis. Entre une commune de 300 habitants, une commune de 3 500 habitants et une commune de 18 000 habitants, nous savons bien qu'il existe aujourd'hui de très grandes distorsions : la commune de 300 habitants désigne un grand électeur, la commune de 3 500 habitants en désigne quinze, mais celle de 18 000 habitants n'en désigne que trente-trois.
La modification que nous proposons ne bouleverserait pas la situation actuelle : simplement, la petite commune, au lieu d'avoir un grand électeur, en aurait deux, la commune de 3 500 habitants n'aurait plus quinze grands électeurs mais douze, en revanche, celle de 18 000 habitants, particulièrement sous-représentée actuellement avec ses trente-trois grands électeurs, en compterait, aux termes de notre amendement, soixante.
Le mode de scrutin du Sénat ne serait donc en rien bouleversé. La philosophie reste la même, nous essayons simplement d'introduire un peu plus de justice et de corriger une anomalie s'agissant du collège des grands électeurs.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 19 ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission n'a pas suivi le raisonnement brillant de notre collègue M. Duffour...
Mme Hélène Luc. C'est bien dommage !
M. Paul Girod, rapporteur. ... malgré la sympathie que sa personne nous inspire et le respect que nous avons pour la présidente de son groupe.
J'ai en effet relevé une contradiction entre l'exposé de Mme Luc et celui de M. Duffour : en commission, M. Duffour nous a expliqué que l'amendement n° 19 avait pour ambition de favoriser la représentation des petites communes, et Mme Luc tout à l'heure nous a dit qu'il s'agissait d'exalter la représentation des grandes communes.
Mme Hélène Luc. Pas du tout !
M. Paul Girod, rapporteur. Dans l'incertitude, nous avons préféré donner un avis défavorable à l'amendement n° 19.
Mme Hélène Luc. Vous n'abordez pas le fond, monsieur le rapporteur !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1 et 19 ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je suis naturellement défavorable à l'amendement de la commission puisqu'il vise à rejeter le dispositif fondamental du projet de loi, qui substitue à l'actuel mode de désignation des délégués des conseils municipaux un nouveau régime simplifié amenant l'ensemble des conseils municipaux à élire un délégué par tranche de population de 500 habitants ou par fraction de ce nombre.
M. le rapporteur ne s'étonnera donc pas de cet avis défavorable, quelles que soient les améliorations matérielles qu'il apporte à la rédaction du texte. Mais le fond l'emporte sur la forme !
Quant à la proposition de Mme Luc, j'en comprends l'esprit : elle vise à faire en sorte qu'il n'y ait pas de diminution du nombre de délégués dans les communes comptant de 3 500 à 16 000 habitants. Toutefois, si on suivait la proposition que présente le groupe communiste républicain et citoyen, nous aurions un collège de grands électeurs qui augmenterait de plus de 50 % !
C'est pourquoi le Gouvernement, s'il n'est pas opposé au fait de regarder de plus près ce que peut être l'application de la proportionnelle, ne peut pas vous suivre jusque là, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Pour aujourd'hui peut-être. Mais cela peut progresser à l'Assemblée nationale...
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. J'attendais avec intérêt la réponse de M. le ministre à l'argumentation de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Luc m'a taquiné sur le fond ; je vais donc lui répondre sur le fond.
Nous sommes élus au scrutin indirect, donc, théoriquement, majoritairement élus d'élus. Or, aux termes de l'amendement du groupe communiste, nous commencerions à être des élus de non-élus très bas dans l'échelle !
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Paul Girod, rapporteur. En effet, la masse énorme que représenteraient alors ces plus de 200 000 grands électeurs serait largement composée de non-élus ! Ce simple constat suffit à lui seul à motiver notre avis défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. En commission, j'ai dit que je trouvais « sympathique » l'amendement présenté par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, et je l'ai voté. Pourquoi ?
J'ai plaidé, hier, pour une plus large représentativité du Sénat. Plus une assise électorale est large, mieux nous sommes élus. Je disais, pour appuyer mon argumentation - je l'ai constaté dans mon propre département et je suppose que c'est un peu partout la même chose - que les citoyens qui étaient désignés comme grands électeurs étaient fiers de participer à ce collège électoral sénatorial.
Je voudrais dire à notre rapporteur, suite à la réponse qu'il vient d'apporter, que, si nous sommes certes des élus d'élus, le collège électoral sénatorial est composé de grands électeurs. Il est écrit non pas « élus » mais « grands électeurs », pour les différencier de ceux qui sont élus au suffrage universel direct.
J'ajoute que l'on n'est pas plus mal, ou moins bien élu, ou mieux élu selon que l'on représente un département où il y a des grandes villes, qui désignent beaucoup de citoyens grands électeurs, ou un département qui ne compte que des élus grands électeurs en quelque sorte. Gardons-nous de cet argument.
C'est la raison pour laquelle j'ai émis un vote favorable sur la proposition de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
Monsieur le ministre, vous nous dites que cet amendement aura pour conséquence de faire presque doubler le nombre de délégués ; mathématiquement, c'est une évidence. J'ai même craint, à un moment donné, que l'article 40 de la Constitution ne soit invoqué...
M. Jean-Jacques Hyest. Il peut l'être !
M. Guy Allouche. ... au motif que, les grands électeurs percevant une indemnité, l'augmentation de leur nombre entraînerait une charge supplémentaire pour l'Etat. Cet argument est un peu tiré par les cheveux ? Certes, je le reconnais !
Pourquoi maintenant suis-je opposé à l'amendement de la commission ?
Monsieur le rapporteur, nous partageons tous le souci de préserver ce qui fait la richesse et la diversité de notre pays : l'existence de communes de petite dimension qu'on appelle des communes rurales. J'ai, pour ma part, toujours vécu en milieu urbain...
M. Dominique Braye. Ça se voit !
M. Jean-Jacques Hyest. Ah oui !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, je n'ai aucune honte à dire que je suis né dans une ville de 400 000 habitants...
M. Dominique Braye. Ça se voit !
M. Guy Allouche. ... même si j'habite actuellement dans une commune qui n'en compte que 9 000.
M. Jean-Jacques Hyest. Ah ?
M. Guy Allouche. J'aime beaucoup les communes rurales - ce n'est pas une simple clause de style - et je reconnais la nécessité de les préserver. Toutefois, mes chers collègues, les problèmes de la ruralité, de l'aménagement du territoire, ne relèvent en rien d'un mode de scrutin. En rien ! En quoi dix grands électeurs de plus par petite commune changeraient-ils les difficultés de celle-ci ? En quoi un ou deux sénateurs de plus par département rural résoudraient-ils les problèmes de l'aménagement du territoire ?
M. Jean-Jacques Hyest. Cela joue aussi en sens inverse !
M. Guy Allouche. Ce n'est pas parce que trois ou quatre avocats s'occupent d'une affaire qu'ils feront triompher leur cause.
Le projet du Gouvernement, d'une parfaite lisibilité juridique, respecte le principe constitutionnel de l'égalité des suffrages.
En outre, je l'ai dit hier, rien ne changera pour les communes de un à 3 500 habitants.
M. Jean-Jacques Hyest. Si !
M. Guy Allouche. Non. Elles désignent actuellement, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept grands électeurs, selon leur importance, ce que le projet du Gouvernement ne modifie pas. La majorité sénatoriale reconnaît elle-même que l'écart vient des communes moyennes et des grandes communes, dont il faut renforcer la représentativité.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons pas l'amendement de la commission. Une fois de plus, c'est faire un mauvais procès que de considérer que le projet de loi porte atteinte à la représentativité des petites communes ou des communes rurales, alors qu'en réalité, celles-ci ne sont pas touchées puisqu'elles conservent le même nombre de grands électeurs.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je convie M. Allouche à lire certains « papiers ». Quelles sont les victimes du système proposé par le Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Hyest. Les communes moyennes !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce sont les communes qui se situent entre 3 500 et 16 000 habitants.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce sont celles-là qui perdent des délégués !
M. Guy Allouche. L'amendement du groupe communiste républicain et citoyen répond à ce problème !
M. Paul Girod, rapporteur. Renforcer un peu - voire sensiblement - la représentation de la population qui vit dans des communes de plus de 9 000 habitants, la réponse est oui ; mais que, pour autant, nous réduisions la représentation de toutes les communes sur lesquelles repose le véritable maillage de notre territoire, la réponse est non.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le rapporteur, vous avez parlé des rôles spécifiques des deux assemblées. Nous les connaissons bien. Là n'est pas le problème, et personne ne les remet en cause.
Ce que nous constatons, c'est que les grands électeurs sont en nombre tout à fait insuffisant. Et Michel Duffour a bien démontré que nous proposons non pas une révolution, mais simplement un élargissement du collège des grands électeurs, afin que plus de Français se sentent concernés par cette élection.
Vous le savez très bien, nos concitoyens ne savent pas comment on élit les sénateurs. S'ils sont plus nombreux à voter, nous serons plus représentatifs, et cela ne pourra qu'être bénéfique à notre assemblée.
Vous avez dit qu'il y aurait une « masse » de grands électeurs. Mais vous avez vous-même déposé une proposition de loi. Vous estimez donc qu'une réforme est nécessaire. Nous vous demandons seulement d'aller un tout petit peu plus loin.
En réalité, vous ne faites qu'un tout petit pas, parce que vous y êtes obligés. Le Sénat, je le redis parce que je le pense foncièrement, se serait grandi de l'avoir fait il y a plusieurs années, lorsque nous avons déposé notre proposition de loi. Votre attitude prouve que vous n'êtes pas prêts à entrer de plain-pied dans le troisième millénaire. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Cela n'a rien à voir avec le millénaire.
Mme Hélène Luc. Vous ne franchissez pas le pas qu'il faut franchir ! La preuve, c'est que vous allez même voter contre la proposition du Gouvernement, qui est encore plus modeste que celle du groupe communiste républicain et citoyen.
M. Patrick Lassourd. Oui, on se demande pourquoi !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. D'abord, je ne suis pas absolument certain que le Christ ait subi son martyre uniquement pour que nous changions le scrutin sénatorial à l'aube de l'an 2000 !
Cela dit, si vous voulez vraiment augmenter le nombre des grands électeurs, il y a beaucoup plus simple, et avec une augmentation encore plus importante ! Il suffit de dire : « tous les élus municipaux sont grands électeurs ».
Mme Hélène Luc. Pourquoi pas ?
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. En ce qui concerne la dernière remarque de M. le rapporteur, j'aurais presque l'immodestie de lui dire qu'il aurait dû reprendre l'une des parties de la proposition de loi que j'avais présentée et qui tendait, effectivement, à ce que, pour les communes de 3 500 à 20 000 habitants, tous les conseillers municipaux soient grands électeurs. Cela compensait la faiblesse qu'il souhaite corriger par ailleurs.
Hier, je faisais état de la constance du discours un peu figé de la droite sénatoriale...
M. Dominique Braye. Dites ringard !
M. Jean Chérioux. Toujours des leçons !
M. Guy Allouche. Vous avez du mal à entendre certaines vérités !
M. Jean Chérioux. Non, on a du mal à entendre des gens qui veulent toujours donner des leçons aux autres ! Gardez vos leçons pour vous !
M. le président. Monsieur Allouche, ne relevez pas les interruptions ! Poursuivez votre intervention !
M. Guy Allouche. J'ai connu - je ne suis pas le seul - le discours qui consistait à dire que, pour bien représenter la population, les territoires, pour bien parler des difficultés des départements, de celles des circonscriptions, il fallait que les députés soient élus de façon inégalitaire.
J'ai encore le souvenir qu'à une époque où le député de l'Essonne, par exemple, représentait 200 000 habitants, alors que tel autre député ne représentait que 45 000 habitants, tout le monde trouvait cela normal, eu égard aux spécificités de tel département ou de telle région. Jusqu'au jour où le Conseil constitutionnel - à la vérité après la décision prise en 1986 par M. Pasqua, alors ministre de l'intérieur - a décrété, d'une part, que toute représentation devait être exclusivement basée sur des données démographiques et, d'autre part, que, pour les circonscriptions législatives, il convenait de respecter un seuil de population, avec une fluctuation de plus ou moins 20 % pour tenir compte du découpage cantonal et administratif.
Nous souhaitons qu'il en soit de même pour l'élection des sénateurs, afin que la population soit équitablement représentée, même si l'on admet que 20 % des membres du Sénat sont élus grâce au « plus » donné aux petites communes. Mais, n'oublions pas que 25 000 communes au moins comptent moins de 3 000 habitants et qu'elles ne représentent pas la majorité de la population française.
Nous sommes dans deux logiques différentes.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean Chérioux. Heureusement pour nous !
M. Guy Allouche. Nous verrons, à terme, laquelle des deux l'emportera !
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. J'ai bien entendu les arguments des uns et des autres, et je voudrais remercier M. Allouche, d'abord, d'avoir reconnu devant notre Haute Assemblée qu'il était un « rat des villes » et qu'il avait une grande méconnaissance du milieu rural et, ensuite, d'avoir confirmé que l'amendement présenté par M. Duffour au nom du groupe communiste était « sympathique » et destiné à faire plaisir à un plus grand nombre de grands électeurs.
Notre motivation n'est pas la même, monsieur Allouche, M. le rapporteur l'a très bien dit : l'Assemblée nationale et le Sénat ont manifestement des missions différentes, ce qui justifie un mode d'élection différent. Or, le groupe socialiste et le groupe communiste républicain et citoyen souhaitent faire de notre assemblée un clone de l'Assemblée nationale.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Dominique Braye. Nous ne suivons pas cette logique, monsieur Allouche. Nous souhaitons conserver à la Haute Assemblée ses missions et ne pas en faire - ce qui serait politiquement opportun pour vous - un clone de l'Assemblée nationale.
Selon moi, il est souhaitable que le Sénat reste le représentant des collectivités territoriales et que les sénateurs soient élus par des élus de façon que nos collectivités territoriales, nos départements, dont certains sont en train de se vider, soient représentés. Monsieur Allouche, les départements ruraux sont en train de se vider de leur population : 80 % des Français vivent aujourd'hui en milieu urbain, et ils seront 90 % dans dix ans. Et peut-être les citadins seront-ils eux aussi contents que les départements où il ne restera plus que 10 % de la population soient représentés et aient une chance de faire entendre leur voix, notamment en matière d'aménagement du territoire.
Nous ne nous plaçons pas dans la même logique que vous, je tiens à le redire. Nous souhaitons que le Sénat conserve ses missions propres, qu'il ne soit pas demain un clone de l'Assembée nationale, ce que vous souhaitez, ce pour quoi vous vous battez aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Hier, M. le ministre nous a confié qu'il aimait les mathématiques. Effectivement, on peut faire des mathématiques.
A partir du moment où les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants sont élus au scrutin proportionnel avec prime majoritaire pour la liste arrivée en tête, cela entraîne bien entendu, pour le scrutin sénatorial, une déformation excessive du corps électoral. En effet, comme les délégués sénatoriaux sont élus sous le régime du scrutin proportionnel avec répartition à la plus forte moyenne, le phénomène est accentué, et plus vous baissez le seuil, plus cela introduit une disparité dans le corps électoral. A cette objection, personne ne répond.
En ce qui me concerne, ce n'est pas du tout pour donner raison aux uns ou aux autres que je prends la parole : je crois que ce qu'on nous propose ici risque d'introduire une déformation inquiétante pour la démocratie.
On parle d'égalité du suffrage : ici, en fait, il n'y a plus d'égalité du suffrage. C'est le motif pour lequel il faut garder un équilibre, d'autant que le système proposé par le Gouvernement et le système proposé par nos collègues communistes...
M. Michel Duffour. Qui est le même !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, il a le même effet en ce sens qu'il déforme les choses et défavorise une fois de plus les communes moyennes. En fait, il leur donne moins de poids, alors que, justement, l'aménagement du territoire et l'évolution démographique de nos pays font que ce sont ces communes-là qui se développent le plus. C'est un paradoxe, un paradoxe qu'il faudra expliquer.
Voilà pourquoi je pense que la position de la commission des lois est beaucoup plus équilibrée : elle tient compte de la démographie et de l'évolution du territoire et elle ne provoque pas une déformation du corps électoral, contraire au principe d'égalité du suffrage.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai déjà exposé mon point de vue : le projet de loi vise à concilier le principe de l'égalité du suffrage et celui de la représentation par le Sénat des collectivités territoriales.
Il y parvient parfaitement ; plus exactement, il y parvient dans une certaine mesure pour ce qui concerne l'égalité et il y parvient du point de vue de la représentation des collectivités territoriales puisque les petites communes continueront à bénéficier d'une prime importante par les mécanismes que j'ai déjà exposés. A cet égard, je crois que l'examen des données chiffrées est tout à fait clair et se suffit à lui-même.
C'est une mauvaise cause qui est plaidée par la majorité sénatoriale. Il faut savoir se mettre un peu au goût du jour, avancer au moins autant qu'il est raisonnable - mais pas plus loin. Je vous l'accorde, il était temps de procéder à cette réforme.
Je ne veux pas en dire davantage, toutes les explications ont été données.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
M. Guy Allouche. Le groupe socialiste vote contre.
M. Michel Duffour. Le groupe communiste républicain et citoyen également.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé et l'amendement n° 19 n'a plus d'objet.

Article additionnel après l'article 1er