Séance du 15 juin 1999






FAMILLE

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 410, 1998-1999) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi (n° 396, 1998-1999) de MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan relative à la famille.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lieu privilégié de l'éducation des enfants et de la solidarité entre les générations, la famille est l'une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée notre société. C'est sur elle que repose l'avenir de la nation.
Notre pays a toujours souligné l'attachement qu'il portait à la famille. Le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 affirme ainsi que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il précise en outre que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
La famille n'est pas simplement une affaire privée, elle est aussi une affaire publique. Elle a besoin d'être soutenue par une politique familiale volontariste, dont témoigne par exemple, la loi famille de 1994.
Force est pourtant de constater que le Gouvernement auquel nous avons affaire n'a pas toujours fait de la politique familiale l'une de ses priorités. Depuis son arrivée au pouvoir, en juin 1997, ce gouvernement a au contraire multiplié les mesures défavorables aux familles.
Il a certes renoncé à la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, qui constituait une erreur majeure. Mais ce recul s'est accompagné d'une nouvelle mesure très critiquable : la diminution brutale du quotient familial.
Le bilan de ces allers et retours est accablant pour les familles. Ainsi, en 1999, leur situation restera plus défavorable qu'elle ne l'était en 1997, avant la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Beaucoup de familles auront perdu les allocations familiales en 1998 et verront leur impôt sur le revenu augmenter en 1999. Enfin, dans un contexte de prétendue stabilisation des prélèvements obligatoires, seules les familles subiront une augmentation de leur charge fiscale.
J'ajoute que la réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, votée par l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, a rendu plus difficile, pour bien des familles, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Comme l'a montré notre collègue M. Jacques Machet lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le Gouvernement mène en réalité une politique familiale en trompe-l'oeil qui consiste essentiellement à reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a été à cet égard très révélatrice : malgré le retour à l'excédent de la branche famille, les rares mesures positives ont été financées par de nouvelles économies réalisées au détriment des familles, telles que le recul des majorations pour âge des allocations familiales et la très faible revalorisation des prestations familiales en 1999.
Au moment même où la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité vient fragiliser l'institution familiale, notre pays manque à l'évidence d'une politique familiale à la hauteur des enjeux.
Pourtant, l'évolution de notre situation démographique justifie les efforts accomplis dans le cadre de la politique familiale.
S'il est naturellement toujours hasardeux d'établir une corrélation entre politique familiale et situation démographique d'un pays, il faut cependant souligner que la France connaît aujourd'hui une situation démographique plus favorable que celle de ses principaux partenaires.
Selon le bilan démographique de l'INSEE pour 1998, le nombre de naissances a augmenté de nouveau en 1998, avec 740 300 nouveau-nés, soit 1,9 % de plus qu'en 1997. Ce chiffre est à peu près égal au nombre de naissances enregistré vingt ans plus tôt, en 1978 : 737 100. Par ailleurs, le nombre absolu des moins de vingt ans se stabilise enfin, après vingt-quatre ans de baisse ininterrompue.
L'indicateur conjoncturel de fécondité, qui remonte à 1,75 enfant par femme en 1998, est le plus élevé de ces sept dernières années. La France figure désormais parmi les pays de l'Union européenne ayant les indicateurs conjoncturels de fécondité les plus élevés.
Les Françaises nées avant le début des années soixante sont parmi les plus fécondes de l'Union européenne, après les Irlandaises. Ainsi, les femmes de la génération 1958 ont assuré leur remplacement bien avant la fin de leur vie féconde en ayant eu, en moyenne, 2,08 enfants chacune à trente-neuf ans, soit autant que les femmes de la génération 1948 au même âge, alors qu'à vingt-six ans elles présentaient un retard de 0,22 enfant.
Le rattrapage reste possible pour les générations du début des années soixante, qui auront certainement plus de deux enfants en moyenne. Pour les plus jeunes, il est encore trop tôt pour conclure.
La commission des affaires sociales considère que ces éléments positifs ne sont pas sans lien avec les efforts importants que notre pays a accomplis en matière de politique familiale.
Ces efforts doivent maintenant être confirmés. Tel est précisément l'objet de la présente proposition de loi, déposée le 2 juin dernier par les quatre présidents des groupes de la majorité sénatoriale, MM. Arthuis, Cabanel, de Raincourt et de Rohan.
Cette ambitieuse proposition de loi vise à donner une nouvelle impulsion à la politique familiale.
Elle répond ainsi au souhait exprimé par le Président de la République, le 31 mai dernier, de « replacer la famille au premier rang des priorités », de voir la France se doter « d'une nouvelle ambition familiale » et redonner « souffle et vigueur à sa politique de la famille, une politique qui doit se traduire non par une redistribution entre familles, mais par un accroissement régulier des ressources que la nation leur consacre ».
A l'occasion de cette déclaration, un certain nombre de mesures concrètes ont été évoquées par le Président de la République. Elles figurent dans la proposition de loi.
Cette proposition de loi répond à trois exigences : permettre aux parents de concilier vie professionnelle et vie familiale ; assurer le renouvellement des générations en aidant les familles à réaliser leur désir d'avoir un deuxième ou un troisième enfant ; permettre aux familles de jouer pleinement leur rôle d'éducation des enfants en revalorisant la fonction parentale.
Après avoir réaffirmé, dans l'article 1er, la place essentielle que joue la famille dans notre société, la proposition de loi s'organise autour de six axes.
Il s'agit, en premier lieu, d'encourager l'accueil du deuxième et du troisième enfant.
La proposition de loi met ainsi l'accent sur la nécessité de ne plus faire porter exclusivement l'effort de la politique familiale sur le troisième enfant. Elle vise à encourager également l'accueil du deuxième enfant, dont le coût pèse considérablement sur le niveau de vie des familles et auquel ces dernières tendent aujourd'hui à renoncer.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit la création d'une allocation universelle d'accueil de l'enfant versée sans conditions de ressources à toutes les familles, à partir du deuxième enfant, et dont l'objectif est de compenser le surcoût de la venue de l'enfant.
Cette prestation serait versée dès la naissance et pendant les dix premiers mois de l'enfant, pour un montant de 1 000 francs par mois pour le deuxième enfant et de 2 000 francs par mois pour le troisième et les suivants.
Cette prestation pourrait se cumuler à l'allocation parentale d'éducation et se substituerait à l'allocation pour jeune enfant pendant les dix premiers mois de l'enfant.
Le deuxième axe de la proposition de loi vise à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Les articles 3, 4 et 5 prévoient un retour aux conditions d'attribution de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, antérieures à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. L'AGED serait désormais attribuée sans conditions de ressources et son montant permettrait la prise en charge intégrale des cotisations sociales payées pour l'emploi d'une personne qui garde l'enfant à domicile.
L'article 6 crée une réduction d'impôt spécifique pour la garde d'un enfant à domicile. Cette réduction d'impôt correspondrait à 50 % des sommes versées pour la garde de l'enfant, plafonnées à 45 000 francs. Elle serait naturellement cumulable avec la réduction d'impôt qui existe déjà pour l'emploi d'une personne à domicile et qui est plafonnée au même montant.
Les articles 7 et 8 prévoient la création d'un congé de solidarité familiale. D'une durée d'un an maximum, ce congé de six mois minimum constituerait un droit pour toute personne qui en ferait la demande pour motif familial dûment justifié.
Ce congé pourrait être accordé, par exemple, pour motifs médicaux, en cas d'échec scolaire des enfants, de séparation ou de divorce du couple, de soutien aux personnes âgées.
L'article 9 prévoit une extension jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant du droit au temps partiel, qui est aujourd'hui limité au troisième anniversaire de l'enfant.
Afin d'inciter les pères à jouer un rôle plus actif dans la vie de la famille et l'éducation des enfants, les articles 10 et 11 majorent les droits à congés familiaux offerts aux deux parents de la moitié du temps de congé pris par les pères, dans la limite d'un an.
L'article 12 prévoit que les recrutements auxquels procéderont les entreprises pour remplacer les salariés bénéficiant d'un congé de solidarité familiale donneront lieu à une exonération de charges sociales. Selon les auteurs de la proposition de loi, cette exonération serait de 1 000 francs par mois, soit 12 000 francs par an.
L'article 13 prévoit par ailleurs que les fonds d'action sociale des caisses d'allocations familiales bénéficient d'une dotation de l'Etat, fixée chaque année en loi de finances et destinée à soutenir la mise en oeuvre d'accords d'entreprise permettant d'améliorer la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, en particulier la création de crèches d'entreprises.
Le troisième axe de la proposition de loi vise à généraliser l'allégement et l'enrichissement des rythmes scolaires.
L'article 14 prévoit la généralisation, dans les établissements de l'enseignement primaire, de l'allégement et de l'enrichissement de ces rythmes sur la base d'une semaine de cinq jours, en réservant une demi-journée quotidienne aux disciplines dites de la sensibilité : éveil à la nature, travaux manuels, sports, activités artistiques.
Le quatrième axe de cette proposition de loi tend à aider les jeunes adultes.
L'article 15 instaure un prêt à taux zéro pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans afin de les aider à la réalisation d'un projet professionnel. Ce prêt serait accordé par les établissements de crédit auxquels la Caisse nationale des allocations familiales verserait une subvention destinée à compenser l'absence d'intérêt.
Ce prêt serait attribué pour financer un cursus d'études ou de formation, un projet professionnel ou une création d'entreprise. Son montant maximal serait de 24 000 francs par an, remboursable avec un différé de trois à cinq ans.
Quant à l'article 16, il facilite la transmission anticipée du patrimoine. Il prévoit une exonération fiscale particulière en cas de donation des grands-parents à leurs petits-enfants âgés de seize à trente ans, sous la forme d'un abattement de 200 000 francs sur la part de chacun des petits-enfants pour la perception des droits de mutation à titre gratuit.
Le cinquième axe de la proposition de loi vise à compenser l'effort financier des familles.
L'article 17 revient sur l'abaissement du plafond du quotient familial voté par l'Assemblée nationale dans la loi de finances pour 1999. Il prévoit par conséquent que la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 16 380 francs contre 11 000 francs aujourd'hui.
Les articles 18 et 19 visent à garantir l'évolution des prestations familiales.
L'article 18 procède au rattrapage de revalorisation des prestations familiales au titre de l'année 1999. En effet, celles-ci n'ont été revalorisées que de 0,71 % au 1er janvier 1999 alors que les retraites ont été parallèlement revalorisées de 1,2 %, soit l'équivalent de l'évolution prévisionnelle des prix. L'article 18 prévoit par conséquent une revalorisation supplémentaire des prestations familiales à hauteur de 0,49 % en 1999.
L'article 19 pose quant à lui pour principe que les prestations familiales seront revalorisées chaque année à un taux qui ne peut être inférieur au taux de revalorisation des retraites du régime général.
Le sixième axe de la proposition de loi tend à garantir les ressources de la branche famille.
L'article 20 reconduit pour cinq ans, du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2003, une disposition qui figure dans la loi « famille » de 1994 et qui est relative à la garantie des ressources dont bénéficie la branche famille. Chaque année, les ressources de cette branche doivent être au moins égales à ce qu'elles auraient été à la fin de l'année en cas de maintien des dispositions législatives et réglementaires applicables le 1er janvier 1993.
L'article 21 prévoit que la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, décidée chaque année par le Gouvernement, ne peut être mise à la charge de la branche famille. Cet article réaffirme donc le principe selon lequel la majoration de cette allocation doit être intégralement financée par le budget de l'Etat qui rembourse son montant à la branche famille.
Enfin, l'article 22 constitue le gage financier de la proposition de loi ; il prévoit que les pertes de recettes pour l'Etat résultant de la présente proposition de loi seront compensées par une augmentation à due concurrence des droits sur le tabac.
Par la diversité des thèmes abordés et l'ampleur des mesures proposées, cette proposition de loi se veut à l'évidence un projet cohérent, ambitieux et porteur d'espoir pour les familles.
Il n'est pas abusif de dire que ce texte s'apparente par bien des aspects à une « nouvelle loi famille ».
Tout cela a naturellement un coût, estimé par les auteurs de la proposition de loi à 8,8 milliards de francs par an. Ce coût se partagerait entre 2,2 milliards de francs de dépenses supplémentaires pour la branche famille et 6,6 milliards de francs d'allégements fiscaux supportés par le budget de l'Etat.
La commission considère que le coût réel de cette proposition de loi pour la branche famille est difficile à évaluer. Le chiffrage du coût de l'allocation universelle d'accueil de l'enfant est en effet délicat en raison de la difficulté à prendre en compte de manière statistique le rang des enfants.
La commission observe cependant que les dépenses supplémentaires résultant pour la branche famille de la présente proposition de loi devraient pouvoir être amorties par les excédents de cette branche tels qu'ils apparaissent dans les comptes prévisionnels annexés à la loi de financement de la sécurité sociale.
L'amélioration de la situation financière de la branche famille - elle devrait connaître des excédents croissants dans les prochaines années : 2,3 milliards de francs en 1999, 4,8 milliards de francs en 2000 et 8,3 milliards de francs en 2001 - permettra en effet de dégager les marges de manoeuvre nécessaires au financement de l'« ardente obligation » que constitue une politique familiale ambitieuse.
La présente proposition de loi garantit en quelque sorte que ces excédents bénéficieront bien aux familles.
S'agissant des conséquences pour le budget de l'Etat des dispositions contenues dans la proposition de loi, votre commission juge indispensable que les diminutions de recettes fiscales soient compensées par des économies sur les dépenses.
La commission souhaite enfin réaffirmer solennellement qu'il est des coûts que notre pays se doit d'assumer. La politique familiale n'est pas un coût pour la collectivité, c'est un investissement indispensable pour l'avenir de la nation.
MM. Henri de Raincourt et Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Convaincue que ce texte constituait, tel qu'il est, une avancée considérable pour les familles, la commission n'a apporté à la proposition de loi que des modifications mineures tendant à rectifier des erreurs matérielles ou à améliorer la rédaction de certaines dispositions.
Elle vous suggère d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses conclusions. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes ici pour examiner une proposition de loi déposée par la majorité sénatoriale et relative à la famille.
Chacun se réjouira du fait que la représentation nationale s'intéresse à la famille, car celle-ci constitue une référence centrale pour nos concitoyens, une réalité à laquelle ils sont particulièrement attachés, comme l'on dit.
M. Alain Gournac. Qu'est-ce à dire ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Bien vivre en famille, tel est légitimement le premier souhait exprimé par les Français.
Au-delà des aspirations de chacun, nous savons tous que la famille joue un rôle essentiel dans la société. Elle permet à l'enfant de se construire affectivement et intellectuellement. C'est l'endroit privilégié où il peut trouver les repères et les valeurs qui l'aident à se construire. La famille est un lieu d'apprentissage du respect de l'autre et de découverte de la société. Elle est un espace de solidarité. Même s'il faut se garder de toute idéalisation - la famille peut aussi être un lieu de violence -, nous savons bien que la vie serait bien plus difficile, le lien social plus distendu s'il n'y avait pas l'heureuse présence des familles.
M. Alain Gournac et Jacques Machet. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Ça commence bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Attendez, cela n'est qu'un début !
M. Henri de Raincourt. C'est un bon échauffement !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. C'est dans cet esprit que le Gouvernement a fait de la politique de la famille une de ses priorités.
M. Jean Chérioux. On ne s'en est pas aperçu !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le 12 juin dernier, à la conférence de la famille, le Premier ministre a engagé une démarche résolue en faveur des familles dans le triple objectif de conforter les parents dans leur fonction éducative, de faciliter la vie quotidienne des familles et de faire évoluer notre système de prestations sociales dans le sens d'une plus grande justice sociale.
Tous les engagements pris à la conférence de la famille ont été tenus, qu'il s'agisse, par exemple, du retour à l'universalité des allocations familiales - monsieur le rapporteur, vous venez d'en témoigner -, de l'extension de l'allocation de rentrée scolaire, de la généralisation des prestations familiales pour tous les enfants à charge de moins de vingt ans, de l'accroissement du budget du FNAS de la CNAF pour améliorer la prestation crèche et alléger la charge des communes pauvres. Il faut remarquer, il est vrai, que le refus - incompréhensible - du patronat et d'un syndicat a conduit à différer la mise en oeuvre de cette dernière mesure. J'espère que cette situation sera corrigée sans retard ; mais elle ne dépend pas du Gouvernement.
Au 1er juillet, la première étape de l'alignement en trois ans de l'allocation logement sur l'APL sera réalisée et nous continuerons en 2000 et 2001. Des moyens nouveaux importants sont mis en place dans les budgets des CAF et dans le budget de l'Etat pour développer, de façon très partenariale, un réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents.
La délégation interministérielle à la famille - dont je salue le délégué ici présent -, chargée d'animer et de coordonner l'action des pouvoirs publics en ce qui concerne la politique de la famille et de permettre ainsi qu'elle s'inscrive dans la durée, a été créée conformément aux souhaits du mouvement familial et s'est rapidement mise au travail, avec tous les ministères concernés, sur cinq axes prioritaires : l'appui à la fonction parentale, l'articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle, les jeunes, le logement et les solidarités intergénérationnelles.
Tout cela sera débattu début juillet, à l'occasion de la conférence de la famille 1999 et donnera lieu à des décisions qui trouveront leur traduction concrète notamment dans le PLFSS et le PLF présentés au Parlement à l'automne prochain.
Comme vous le verrez plus clairement encore dans les toutes prochaines semaines, nous travaillons avec le souci non de gérer des effets d'annonces, mais de construire une action cohérente, durable, qui réponde aux préoccupations concrètes des familles, en respectant les rythmes et les procédures fixés par nos institutions.
Que penser, dès lors, de cette proposition de loi débattue à la va-vite en commission, inscrite précipitamment à l'ordre du jour de votre assemblée, sans souci de la charge du travail parlementaire ? (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Nogrix. Le Gouvernement a donné l'exemple avec l'aménagement du territoire, l'intercommunalité...
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est la séance réservée à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je vous en donne acte, monsieur Delaneau.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, justement, que penser de la nature du débat de ce soir, lorsqu'on sait que votre commission s'est saisie de ce projet de loi quelques jours à peine après son dépôt et qu'au cours de la même séance de commission vous avez désigné votre rapporteur et débattu du rapport ?
M. Henri de Raincourt. C'est qu'il est très fort !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Félicitations pour cette célérité !
Que penser encore lorsque l'on sait qu'entre le dépôt de la proposition de loi et le débat de ce soir en séance publique moins de quinze jours se sont écoulés ?
M. Jean Chérioux. Efficacité sénatoriale bien connue !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Exact, vous êtes au-dessous de votre réputation, c'est sûr !
Il n'appartient pas au Gouvernement de plaider le renvoi en commission, bien entendu. Mais, que chacun le sache sur ces bancs, si une majorité se dégageait pour le suggérer, le Gouvernement ne s'y opposerait pas ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Vous avez vu comme en termes galants ces choses-là sont dites !
Pour en venir au fond, je m'arrêterai un instant sur certaines caractéristiques générales, car elles révèlent l'état d'esprit de la majorité sénatoriale et, de ce fait, elles intéressent les Français.
Je m'étonne ainsi que ce texte fasse si peu de cas des besoins des familles. En mettant, à juste titre, l'accent sur l'enjeu que représente l'accueil de l'enfant à sa naissance, ce texte souligne en même temps que l'aide à « l'accueil du premier enfant ne saurait être une priorité de la politique familiale », comme si un jeune couple qui se pose la question du premier enfant n'était confronté à aucune difficulté et pouvait être ignoré.
C'est moins les besoins des familles que l'équilibre démographique qui préoccupe les auteurs des textes.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas vrai du tout !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ce n'est pas notre approche.
Pour nous, la priorité de la politique familiale, c'est de répondre aux préoccupations concrètes des familles : avoir les moyens de se loger, pouvoir s'occuper de son enfant sans renoncer à son travail... C'est de cette façon qu'on permettra à chaque femme et à chaque homme d'avoir le nombre d'enfants qu'il souhaite. C'est un débat de fond. Nous n'avons pas d'objectif démographique. Nous avons l'ambition de donner à chacun les moyens de construire la famille dont il rêve, dans le respect de la diversité des projets familiaux.
M. Louis Boyer. Y compris aux homosexuels ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Pourquoi pas ? Mais nous ne sommes pas allés jusque-là !
Il est significatif d'ailleurs que ce texte ne fasse aucune référence au logement, comme si ce n'était pas un besoin prioritaire des familles et un levier d'action centrale de toute politique familiale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez très bien que le logement, pour les jeunes en particulier, s'il était plus facilement accessible, leur permettrait de s'émanciper beaucoup plus vite de la famille et de créer cette famille que vous souhaitez et que je souhaite avec vous.
Quelles sont les raisons qui poussent des couples à avoir des enfants, en dehors des raisons d'ordre privé, sur lesquelles le législateur n'a, fort heureusement, aucun pouvoir ? Je vous renvoie à une étude de l'INSEE publiée ces derniers jours et qui relève que, parmi les raisons d'avoir « peu ou pas d'enfants » - c'est une expression de l'INSEE - seule la crainte face à l'avenir est jugée très importante par plus de la moitié des personnes, soit 55 %.
Lorsque la question est posée aux futurs parents de savoir quels sont les préalables qu'ils fixent à la paternité et à la maternité, hommes et femmes invoquent, après les caractéristiques psychologiques, la stabilité de leur situation professionnelle ; 72 % des futures mères de moins de vingt-cinq ans jugent « très important » pour une femme le fait d'avoir un travail stable avant d'avoir un premier enfant - et l'INSEE n'est pas un organisme que l'on peut taxer de partialité ; 61 % de l'ensemble des mères partagent ce point de vue. Il va presque sans dire que les hommes considèrent à 79 % leur propre situation comme le préalable indispensable à l'arrivée d'un enfant.
Comment mieux dire que les comportements en matière de fécondité sont liés, d'une part, au souhait personnel des femmes d'avoir le nombre d'enfants leur permettant de poursuivre leur activité professionnelle et, d'autre part, à la représentation de l'avenir que se font les ménages, notamment au regard de l'emploi ?
Je crains que le parti pris par la proposition de loi qui vous est soumise ce soir ne réponde pas au problème posé par nos concitoyens.
Le parti pris de ce texte est en effet de privilégier les aides financières indifférenciées, de prôner la disparition des conditions de ressources plutôt que le renforcement des services concrets qui peuvent aider les familles.
La garde des enfants est abordée à travers l'allocation de garde d'enfants à domicile, l'AGED, qui concerne, mesdames, messieurs les sénateurs, 2 % à 3 % des familles.
M. Guy Fischer. Les privilégiés ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Tout de suite les grands mots !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais l'action en faveur des assistantes maternelles est ignorée.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Cette proposition de loi contredit même parfois très directement les aspirations profondes de nos concitoyens.
Même si le titre II, je le reconnais, monsieur le rapporteur, s'intitule : « Conciliation entre vie familiale et vie professionnelle », l'approche proposée, notamment dans le titre Ier, marquerait un recul lourd par rapport à notre bataille, si essentielle, pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Le texte renforce, en effet, l'incitation à l'arrêt complet de l'activité, à travers la majoration proposée de l'APE, avec toutes les difficultés qu'implique la reprise du travail, au bout de trois ans, dans un environnement professionnel qui a souvent été bouleversé. Et l'on sait très bien que cette disposition touche quasi exclusivement - à 99 % les femmes.
M. Jean Chérioux. Elles ne s'en plaignent pas. De plus, ne les obligeons pas !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ensuite, vous les obligeriez, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux. Oh non !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Par cette mesure, vous acculez les femmes à un choix impossible entre l'emploi et l'enfant. C'est tout le contraire de notre démarche, qui vise à reconnaître conjointement le droit de chacun, homme et femme, à l'activité et au développement professionnels et l'importance de la fonction parentale partagée entre le père et la mère.
C'est le sens de notre double action pour le développement des services d'accueil de la petite enfance et pour une meilleure articulation des temps familiaux et professionnels. C'est un des objectifs de notre démarche de réduction du temps de travail. Et j'espère, dès lors, que tous les défenseurs de la famille se retrouveront pour soutenir la deuxième loi sur le temps de travail.
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas certain !
M. Guy Fischer. Cela, on l'attend !
M. Jean Chérioux. Le temps de travail, c'est lapanacée !
M. le président. Mes chers collègues, ne répondez pas aux provocations de M. le secrétaire d'Etat !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Sur ce terrain de l'organisation des temps, je dois noter, il est vrai, que le texte qui nous est présenté aborde quelques sujets qui méritent attention : la possibilité de s'absenter lorsqu'un enfant a un problème grave ou pour soutenir un parent âgé est une réelle aspiration de nos concitoyens et donc une question qu'il nous faut prendre en compte.
M. Alain Gournac. Tiens !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mais la méthode proposée dans ce texte est irréaliste.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Oui, c'est sûr !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Comment comptabiliser, par exemple, les congés pris tout au long de la vie professionnelle, au moment où la mobilité devient la règle générale ? Ce point doit d'abord être pris en compte dans la négociation collective sur le temps de travail, à laquelle, vous le savez, le Gouvernement attache une particulière importance, et je crois qu'il faut, en particulier, s'appuyer, dans ce domaine, sur toutes les possibilités qu'ouvre l'épargne-temps, qui doit être utilisée dans l'intérêt des salariés, et en particulier de leur vie familiale.
Le droit au temps partiel pour des parents est une idée féconde, aux modalités de mise en oeuvre de laquelle il nous faut réfléchir. Mais pourquoi l'arrêter aux six ans de l'enfant ? Surtout, pourquoi faudrait-il indemniser les entreprises qui mettent en place des dispositifs permettant l'articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale ? Ce doit être la règle commune ! L'entreprise doit prendre en compte les exigences de la société et, en particulier, l'exigence tout à fait indispensable de consolider les familles.
Le prêt à taux zéro pour les jeunes est aussi une idée qui mérite examen. Mais elle n'est opératoire que si on trouve des modalités originales de remboursement. Surtout, elle doit s'inscrire dans une politique d'ensemble vis-à-vis des jeunes.
Mais ce ne sont pas ces points particuliers qui font l'ossature de ce texte, qui est surtout le texte du retour en arrière et de l'injustice sociale.
Retour en arrière sur la garde au domicile du parent. Pourtant, était-il normal que la collectivité accorde, pour ce mode de garde, près de 100 000 francs d'aide annuelle, alors que l'aide totale pour les crèches était de l'ordre de 50 000 francs et ne dépassait pas 30 000 francs pour les assistantes maternelles ?
M. Jean Chérioux. C'est réservé à l'enfant !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Serait-ce une mesure juste de rétablir cette disposition, alors que, selon les statistiques de la caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, les ressources moyennes mensuelles des bénéficiaires de l'AGED dépassent 31 000 francs tandis que les ressources des usagers des crèches ou des assistantes maternelles sont inférieures à 17 000 francs ?
Retour au passé, c'est aussi l'objectif de ce texte en ce qui concerne le plafond du quotient familial. On sait pourtant que cette mesure ne touche qu'un très petit nombre de familles, celles qui ont les revenus les plusélevés.
M. Alain Vasselle. Ce ne serait que justice !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Le rapport Thélot, que vous invoquez, le soulignait lui-même : le plafond de 11 000 francs ne serait atteint que par les familles dont le salaire mensuel serait supérieur à 38 600 francs, si elles ont deux enfants. S'il rappelait qu' « en principe le quotient familial relève de l'équité fiscale », il soulignait en même temps qu'une partie pouvait « être interprétée comme une aide à la famille » et que c'étaient les foyers à revenu le plus élevé qui en bénéficiaient.
Mme Gisèle Printz. Voilà !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Retour en arrière, injustice sociale, approche passéiste de la politique familiale, méconnaissance des besoins des familles, tel est, en définitive, le sens du texte qui vous est présenté.
De plus, son financement n'est pas assuré. Son coût est sous-évalué : par exemple, l'allocation universelle d'accueil de l'enfant coûterait, au minimum, 4,2 milliards de francs, et non 800 millions de francs comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi qui a été déposée. Où trouver les recettes nécessaires au financement de votre projet, mesdames, messieurs les sénateurs ?
Je m'étonne de l'approximation budgétaire de cette proposition de loi, alors qu'à écouter le Sénat toute nouvelle détérioration des comptes de la sécurité sociale est à proscrire.
Je m'étonne que le rapporteur, M. Lorrain, ait changé d'approche budgétaire en deux semaines.
Mme Gisèle Printz. En effet !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Lors du débat sur le projet de loi portant création de la CMU, la couverture maladie universelle, M. le rapporteur expliquait en effet que « mettre fin à l'exclusion des soins » est « certes un objectif légitime et indiscutable, mais cela coûte cher, très cher » et, craignait-il, « beaucoup plus cher qu'il n'a été dit ».
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Il concluait son intervention - excellente ! - en soutenant le projet sénatorial permettant selon lui de « tempérer les effets pervers de la CMU », « tant dans ses conséquences pour les finances publiques que quant aux inégalités qu'il aurait engendrées ».
Que faut-il penser ce soir, monsieur le rapporteur ? Que les conséquences ne sont à redouter pour les finances publiques que lorsqu'il s'agit des plus pauvres, mais que de telles préventions disparaissent lorsque le rétablissement de prestations pour les 2 % de familles les plus aisées est en jeu ? Ou faut-il considérer - je préfère pour ma part, cette interprétation - que ce texte est venu trop vite en discussion pour refléter fidèlement la pensée de votre assemblée ?
Pour sa part, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut adhérer, sur la forme comme sur le fond, à une initiative qui reste non financée et très éloignée des préoccupations des familles. Il vous appelle en conséquence à rejeter le texte qui vous est soumis ce soir. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Marques de déception sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 31 minutes ;
Groupe socialiste : 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « la famille est une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée notre société. C'est sur elle que repose l'avenir de la nation. » C'est ce que proclame d'emblée l'article 1er de la présente proposition de loi et, pour vous avoir entendu tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, je crois que vous souscrivez à cette affirmation.
Néanmoins, depuis 1981, je n'ai eu de cesse de dénoncer l'absence de politique familiale des gouvernements de gauche ; je parle d'une politique familiale digne de ce nom, car une politique familiale ne peut être que globale, ce que la proposition de loi rappelle dans le deuxième alinéa de l'article 1er.
Ce que vous appelez une politique familiale, nous l'avons constaté en vous écoutant, n'est en fait qu'une politique sociale redistributive. Nous ne contestons pas la valeur de celle-ci, mais elle est insuffisante et ne répond pas aux besoins de la famille pour assurer son épanouissement et son développement.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Chérioux. C'est d'ailleurs la position prise par le Conseil économique et social en 1991. M. Hubert Brin, actuel président de l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, proclamait dans son avis que la politique familiale ne peut être qu'une politique globale. Les politiques économique, sociale et culturelle doivent donc tenir compte équitablement, en permanence, des réalités et des intérêts familiaux.
Ce rapport insistait notamment sur le fait qu'une politique familiale doit concerner toutes les familles, même si des modalités d'application différenciées peuvent répondre à certaines spécificités, et qu'elle doit aller bien au-delà de la seule compensation des charges familiales. Elle doit par exemple permettre aux parents de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale.
Mais vous et votre gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, au fond, et je le regrette, vous n'aimez pas la famille. Si vous l'aimiez, vous ne mettriez pas en oeuvre une politique essentiellement axée sur le niveau des ressources. Or, vous êtes encore comme hanté, nous l'avons constaté tout à l'heure, par la crainte que des familles insuffisamment modestes à vos yeux puissent bénéficier d'aides qui vous semblent indues.
Si vous aimiez la famille, vous n'auriez pas prix récemment des mesures qui en remettent en cause les fondements mêmes.
Aussi, vous ne vous en étonnerez pas, je me réjouis de l'initiative des présidents des groupes de la majorité sénatoriale.
En effet, même dans l'opposition, nous n'abandonnons pas la famille, qui demeure notre principale priorité. Vous nous avez même fortement encouragés en prenant les mesures que mon collègue Alain Vasselle détaillera tout à l'heure. Une politique de la famille ne se fait pas contre ou même sans la famille, elle se bâtit avec elle et pour elle.
Cela peut paraître bien simple, et pourtant il s'agit de l'essentiel, à côté de quoi nos présidents de groupe ont eu la sagesse de ne pas passer.
Une proposition de loi sur la famille doit s'inscrire, aujourd'hui, dans une conception dynamique et moderne de la famille, elle doit tenir compte en particulier des aspirations nouvelles des femmes. Il ne s'agit pas de réduire le choix de celles-ci à la simple alternative, comme vous le disiez tout à l'heure, entre travail et foyer ! Le rôle des politiques est non pas d'imposer un choix, mais d'offrir le maximum de possibilités pour que ce choix s'effectue en pleine liberté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
Ce texte répond à cette définition.
Tout d'abord, il est responsable, car il tient compte de la situation inquiétante de la natalité dans notre pays. Je sais hélas ! monsieur le secrétaire d'Etat, que ce n'est pas votre affaire, mais c'est tout de même un problème pour notre pays. Les auteurs de la proposition de loi s'efforcent d'y apporter des éléments de solution.
Quelle France voulons-nous pour nos enfants ? Il serait suicidaire de ne pas se préoccuper de notre avenir.
Ensuite, ce texte est raisonnable, car il rejette résolument le recours à l'assistance généralisée. Il ne suffit pas, comme vous l'avanciez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, de mettre en place des cellules d'écoute pour pallier le désengagement de certaines familles. Ce qu'il faut, c'est donner des moyens à la famille, sans pour autant se substituer à elle.
Enfin, les dispositions prévues par cette proposition de loi ne devraient pas vous étonner ou vous choquer, puisqu'elles s'inscrivent dans la droite ligne de la loi du 25 juillet 1994 que nous avions adoptée ici et qui était une véritable « loi-programme », dont toutes les dispositions n'avaient hélas ! pu être mises en oeuvre.
Cette loi avait néanmoins permis, rappelons-le, d'améliorer la situation de près de 1 500 000 familles, pour le bonheur des enfants et de leurs parents.
Sur le fond, notre texte rétablit le montant de l'AGED au niveau que fixait la loi de 1994 : c'est de nouveau l'intégralité des cotisations sociales qui serait désormais prise en charge. De même, il permet de nouveau à un grand nombre de familles de bénéficier d'une déduction fiscale totale comme le prévoyait la loi de 1994, puisqu'il institue une déduction supplémentaire plafonnée à 50 % des sommes consacrées à la garde d'un enfant à domicile - il y a là seulement une légère différence avec la loi de 1994 - dans la limite de 45 000 francs.
Nous espérons ainsi revenir sur les situations que vous avez créées, à savoir le retour forcé au foyer de femmes ne pouvant plus assumer la charge des salaires d'une garde d'enfant et, que vous le vouliez ou non, le travail au noir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes certainement favorable aux droits des femmes ; vous l'avez d'ailleurs affirmé tout à l'heure. Dès lors, vous ne pouvez être contre la conciliation de leur vie professionnelle avec leur vie familiale. Or, vous le savez comme moi, il est impossible, en particulier à des femmes cadres, de réussir cette harmonie sans recourir à une garde d'enfants à domicile en raison des contraintes de leur vie professionnelle. C'est de cette possibilité que vous les avez privées !
Suivant la logique de la loi de 1994, qui tendait, dans son titre II, à concilier la vie professionnelle et la vie familiale des parents, nous proposons la création d'un congé de solidarité familiale et la généralisation du temps partiel « choisi ».
J'insiste, monsieur le secrétaire d'Etat, sur ce dernier terme, car vous laissez toujours entendre que le travail à temps partiel est une situation subie en raison des difficultés du marché de l'emploi,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Parce que c'est très souvent le cas !
M. Jean Chérioux. ... alors que, bien souvent, il est une solution choisie par les parents qui souhaitent concilier leur activité professionnelle et leur vie familiale.
M. Philippe Arnaud. Très bien !
M. Jean Chérioux. De surcroît, plutôt que d'imposer autoritairement à l'ensemble des salariés de notre pays de travailler 35 heures sans tenir compte des situations individuelles de chacun, il serait bien plus profitable d'accorder davantage de liberté à ceux pour qui une réduction du temps de travail correspond à un vrai choix personnel de vie. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
La loi de 1994, répondant à un souci majeur des associations familiales, instituait notamment un relèvement progressif des limites d'âge d'accès aux prestations familiales de dix-huit à vingt ans, puis à vingt-deux ans. Hélas ! nous n'avons pas eu le temps d'aller jusque-là.
Ce qui est proposé aujourd'hui, c'est notamment la mise en place d'un prêt à taux zéro pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Je crois d'ailleurs, avoir compris monsieur le secrétaire d'Etat, que vous considériez cela comme une bonne solution.
Evidemment, il s'agit d'une politique ambitieuse, qui nécessite des moyens financiers importants. C'est pour cette raison que la loi de 1994 avait créé une garantie des ressources de la CNAF pendant les cinq ans suivant son adoption. Il est proposé aujourd'hui de reconduire cette mesure pour une nouvelle période de cinq ans, jusqu'en 2003, afin d'assurer le financement de la politique familiale dans les années à venir.
Bien entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'allez pas manquer de nous accuser - vous ne vous en êtes d'ailleurs pas privé tout à l'heure - de mener une politique à crédit, comme vous nous aviez déjà accusé de le faire à l'occasion de la loi de 1994.
Il est vrai que le coût total de ces mesures - celles de 1994 - s'est révélé supérieur à celui qui était prévu initialement. Cette loi devait avoir un coût total estimé de 9,3 milliards de francs à la fin de l'année 1998 ; le chiffre final est proche de 15,7 milliards de francs. Mais, en fait, cette politique a été victime de son succès : il y a eu un rush des femmes vers l'APE, ce qui prouvait bien que celle-ci répondait aux besoins et aux attentes de la population.
De cela, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne pouvez vous enorgueillir, étant donné le peu de succès remporté par les emplois-jeunes et les 35 heures, mesures fort coûteuses pour un bénéfice qui se fait beaucoup attendre !
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jean Chérioux. L'origine de ces dérapages tient essentiellement à l'accueil rencontré par l'APE, qui a séduit nettement plus de bénéficiaires que ce qui était initialement prévu : sur les 6,4 milliards de francs de surcoût en 1998, 5,7 milliards de francs sont imputables à l'APE.
Cependant, dans son rapport de septembre 1997, la Cour des comptes a souligné qu'il en avait résulté, en compensation, un allégement des charges de l'UNEDIC.
Il est étonnant que cet aspect des choses vous ait échappé, alors que vous essayez par des moyens autrement plus coûteux, et malheureusement inefficaces, de réduire les chiffres du chômage.
Par ailleurs, il ne faut pas non plus perdre de vue que ces déficits que vous avez dénoncés ont été largement organisés par le pillage systématique de la branche famille avant 1994.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Celle-ci, avant cette date, a connu des excédents réguliers, qui ont bien souvent permis de financer les déficits des autres branches : 3,5 milliards de francs d'excédents en 1989 ; 3,8 milliards en 1990 ; 4,6 milliards en 1991 ; 6,8 milliards en 1992 ; 10,7 milliards en 1993.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Ce sont donc près de 30 milliards de francs d'excédents cumulés qui se sont dilués dans les comptes du régime général de la sécurité sociale au détriment de la branche familiale.
Heureusement, une autre loi, publiée le même jour que la « loi famille », le 25 juillet 1994, a institué la séparation financière des branches de la sécurité sociale, mettant fin aux prélèvements de toutes sortes effectués aux dépens de la branche famille, qui a, hélas !, rencontré ses premières difficultés à partir de cette époque.
Or, des excédents de la branche famille étant de nouveau annoncés par la commission des comptes de la sécurité sociale, pour un montant proche de 2,3 milliards de francs, vous faites fi, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'autonomie financière légale des branches. Vous vous empressez de compenser les déficits de l'assurance maladie par les excédents de la branche famille afin d'améliorer l'apparence des comptes sociaux que vous n'avez pas su maîtriser, malgré les incessantes leçons que vous donnez sur l'excellence de votre méthode.
S'agissant du financement de la présente proposition de loi, il est vrai que les dispositions de l'ordonnance de 1959 nous contraignent à prévoir un gage pour en assurer la recevabilité. Mais nous pensons qu'il vous serait aisé de trouver d'autres sources de financement, si cela se révélait nécessaire, en plus des excédents de la branche famille, ne serait-ce qu'une partie des sommes que vous affectez à une « loi 35 heures » bien peu productive d'emplois et qui va contraindre le Gouvernement à lever des impôts supplémentaires sur les entreprises (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste) et celles que vous consacrez à une « loi emplois-jeunes » dont on n'entend déjà presque plus parler.
M. Josselin de Rohan. Et c'est tant mieux !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. C'est parce qu'elle marche !
M. Jean Chérioux. Heureusement, la majorité sénatoriale voit les choses autrement. Ce qu'elle veut, c'est assurer l'avenir, encourager nos enfants et nos familles.
En apportant à la politique familiale de nouveaux moyens financiers, nous entendons dynamiser l'emploi, stimuler la consommation et investir dans la jeunesse de demain.
C'est pourquoi, les présidents des quatre groupes de la majorité sénatoriale ont pris l'initiative de ce texte. C'est pourquoi le groupe RPR, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, entend voter cette proposition de loi en suivant les conclusions de notre excellent rapporteur, Jean-Louis Lorrain. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, si vous aimez véritablement les familles, comme vous l'avez laissé entendre tout à l'heure, si le Gouvernement veut vraiment leur apporter son soutien, il ne doit pas les faire attendre plus longtemps, surtout après avoir manifesté autant d'empressement pour soutenir et adopter un certain texte que je n'ai pas besoin de décrire davantage. (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer. Ah ! le PACS ! La voilà la raison !
M. Alain Gournac. Bravo, Jean ! Quel dynamisme !
M. Alain Vasselle. Quel punch !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Cette pointe de perfidie à la fin !
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la famille fait partie, dans notre société, de ces réalités qui nous semblent évidentes. Chacun affirme vouloir la protéger, sans d'ailleurs trop se soucier de chercher les moyens les plus opportuns, tellement, au fond de soi, réside une forme de certitude qui assurerait à la famille une sorte d'immortalité susceptible de supporter toutes les agressions, sans jamais en être ébranlée.
Ainsi a-t-on entendu des plaidoyers vigoureux en faveur du PACS ou du concubinage homosexuel, promu à la dignité du code civil, de la part de ceux qui prétendaient simultanément ne porter aucun préjudice à la cellule familiale et qui, au fond, aiment sincèrement la famille, au point de vivre eux-mêmes selon les exigences les plus classiques de l'amour familial.
La famille paraît être une valeur tellement universelle qu'il semble possible de nier l'unicité de son modèle, faisant alors de l'accident et de la pathologie une fatalité, et donc une quasi-norme, dont on s'efforce ensuite de panser les plaies trop visibles socialement, sans jamais oser étudier les chemins de la prévention.
Telle est en effet, apparemment, la situation dans des sociétés qui, ayant longuement cultivé les valeurs de l'amour familial, ont fini par oublier, en cette fin de siècle, que leur pérennité n'était pas une donnée naturelle garantie et que tous les environnements, tous les comportements ne se valaient pas pour permettre à la famille d'exister et de se développer.
Il est vrai que nombreuses sont les familles qui, dans la dignité et sans bruit, vivent comme tout naturellement un amour conforme à la sagesse des siècles, c'est-à-dire délibérément choisi et aspirant donc à l'unicité et à la pérennité, malgré un environnement peu favorable, quelles que puissent être, sur le chemin, les difficultés rencontrées. Elles sont même la majorité.
Cependant, nous ne pouvons pas, s'agissant d'humanité, nous contenter d'un bonheur statistique. Trop de drames, de suicides, de misères sont engendrés par les blessures familiales pour qu'on se contente de dire qu'elles ne représenteraient que tel ou tel pourcentage des familles recensées. Il faut essayer de prévenir ces accidents et, pour cela, aider les familles à être et à devenir ce qu'elles doivent être pour être heureuses.
Comment le faire quand la philosophie juridique dominante se refuse à choisir entre les comportements pour orienter ne serait-ce que l'éducation première des enfants et des adolescents ?
La simple sagesse suggère déjà que la stabilité du milieu affectif est préférable pour l'enfant si l'on veut minimiser les risques de traumatismes affectifs et les sous-développements dont on ne mesurera jamais complètement la portée, faute de pouvoir procéder à la contre-épreuve.
Combien de drames résultent d'une vie sexuelle prématurée, sans aucune éducation à la reponsabilité de la relation ?
Mme Nicole Borvo. Qu'est-ce que cela vient faire ?
M. Bernard Seillier. Dans des familles où, apparemment, toutes les conditions sont réunies pour développer un climat affectif ou éducatif conforme à ce que l'on pourrait théoriquement conseiller, on observe aussi des échecs et des souffrances graves.
Tout cela ne justifie pas un pluralisme sans réserve face aux comportements sexuels et éducatifs. Et pourant, on semble paralysé devant ce type de problèmes. On en reste à la dimension financière de la politique familiale, nécessaire, importante, mais pas suffisante.
Il est étonnant qu'au plan politique on accepte sans difficulté les jugements de valeur pour classer les régimes politiques les uns par rapport aux autres selon le critère de la démocratie, alors qu'en matière d'éthique familiale il paraît incongru, dans nos sociétés, de privilégier des comportements plus favorables que d'autres.
Face à ces paradoxes déroutants, et aussi pour minimiser la souffrance des uns et des autres, enfants, adolescents ou adultes, on pense peut-être qu'en relativisant les exigences on évitera les pathologies, comme si celles-ci venaient d'un idéal trop élevé, alors que c'est l'inverse qui est vrai.
On pense peut-être aussi que la liberté impose cet état d'indifférence en attendant le jour mythique où un consensus pourrait se réaliser. Les anciens savaient fort bien qu'une règle de droit ne peut pas rencontrer l'unanimité. Mais la sagesse de l'expérience avait conduit à accepter cet Etat modeste qui voulait qu'on fixe pour règle commune celle qui s'était révélée à l'usage comme le plus favorable au bien commun. Rien de tel aujourd'hui. Oserait-on même mettre en évidence, comme on le fait pour l'alcool ou le tabac, les conséquences néfastes pour les enfants de tel ou tel comportement irresponsable des parents, ou de tel ou tel principe éducatif erroné ?
Le mot « famille », par sa globalité même, est peut-être la cause de cet obscurcissement des jugements de valeur sur ce qui la concerne. Qu'à cela ne tienne : distinguons en son sein les différentes relations, car c'est bien d'elles qu'il s'agit.
Examinons les différents stades qui conduisent l'enfant à son autonomie par rapport à ses parents, sans d'ailleurs la postuler prématurément. C'est peut-être le problème le plus fondamental autour duquel gravitie toute la problématique familiale : conduire le nouveau-né à l'exercice responsable de la liberté de l'adulte.
Examinons concrètement les jeux variés de responsabilité des conjoints l'un par rapport à l'autre et à l'égard des enfants, depuis leur engagement matrimonial initial jusqu'à leur vieillesse pour voir comment la société à laquelle ils participent peut les aider à construire leur existence ou au contraire les pénaliser.
Etudions les relations réciproques de droits et de devoirs entre les familles et les institutions pour développer une connaissance objective de la réalité familiale en lien avec l'avenir de la société et fonder une politique globale qui ne sépare pas le bien familial et le bien social, car les deux sont interdépendants.
Je crois que la situation de ceux qui vivent dans la misère peut nous mettre sur la voie des valeurs authentiques de la famille. Nous avons beaucoup à apprendre de ceux pour qui le droit de vivre en famille est souvent une ambition fondamentale mais tellement fragile du fait même de notre propre législation, jusqu'à devenir parfois un rêve impossible à réaliser.
Il nous faudra peut-être faire ce détour pour retrouver le sens des valeurs familiales.
Le texte qu'il nous est donné d'étudier ce soir constitue une étape sûrement importante sur ce chemin. Mais gardons présents à la conscience tous les domaines où il faudra aussi nécessairement agir un jour si l'on veut encore pouvoir parler d'humanisme à propos de nos sociétés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la veille d'une conférence de la famille, certainement ulcérés par les récents débats relatifs au pacte civil de solidarité, dont on dit qu'il fragiliserait l'institution familiale...
M. Jean Chérioux. Parce que c'est le cas !
M. Guy Fischer. ... et auquel M. Chérioux a fait allusion dans sa conclusion,...)
MM. Alain Gournac et Alain Vasselle. A juste titre !
M. Guy Fischer. ... désireux surtout de relayer les propos de M. le Président de la République, qui a souhaité replacer la famille au premier rang des priorités,...
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Il a raison !
M. Guy Fischer. ... les quatre présidents de groupe de la majorité sénatoriale ont déposé précipitamment la présente proposition de loi.
Sur la forme, tout d'abord, permettez-moi, mes chers collègues, de déplorer que cette proposition de loi, qui a pour ambition d'être une nouvelle « loi famille », n'ait fait l'objet d'aucune audition au sein de la commission des affaires sociales...
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. C'est faux !
M. Guy Fischer. ... qu'à la hâte, presque à la hussarde... (Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Ce n'est pas vrai !
M. Guy Fischer. Il n'y a que la vérité qui vous fait réagir !
M. le président. Monsieur Fischer, ne vous laissez pas interrompre ! Poursuivez !
M. Guy Fischer. Il m'en faut plus, vous savez ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
C'est à la hâte, dis-je, que vous avez arraché son inscription à l'ordre du jour de notre assemblée. Sénateur depuis quatre ans, cela ne fait que quatre ans, c'est la première fois que je vais organiser une discussion sur une proposition de loi dans des conditions aussi déplorables !
M. Alain Vasselle. Quatre ans, c'est peu !
M. Guy Fischer. Erigés en hérauts de la « famille honorable », vous nous proposez d'examiner en séance de nuit une trentaine d'articles, tous idéologiquement très marqués, pour, paraît-il, améliorer le sort des familles.
En fait, vous tentez de réorienter la politique familiale en faveur d'un petit nombre : les familles « traditionnelles », nombreuses et aisées de préférence ! (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Bernard Murat. C'est faux !
M. Louis Boyer. Vous préférez les familles homosexuelles ! Chacun ses goûts !
Mme Nicole Borvo. Ce que vous dites est honteux !
M. Guy Fischer. Je préfère ne pas relever !
Pour traiter de cette question essentielle de l'évolution de notre société, de la cellule familiale qui demeure un lieu privilégié de construction, de structuration tant sociale qu'affective de l'individu, d'éducation et parfois aussi un lieu d'extrême violence, je regrette vivement que la droite, pourtant si attachée à ce thème, ne nous ait pas offert la possibilité d'un grand débat dégagé de toute tactique politicienne et de quelconque arrière-pensée.
Sur le fond, pourquoi faire le choix d'ignorer les réalités de notre temps, de ne pas prendre la dimension de l'évolution des comportements sociaux ?
M. Robert Bret. Ils en sont incapables !
M. Guy Fischer. Ne vous en déplaise, tous les couples ne choisissent pas le mariage ! Les recompositions familiales sont multiples.
Autre trait de la mutation de la famille que vous négligez, la généralisation, d'une part, des couples bi-actifs découlant des nécessités économiques, mais aussi de l'accession à l'autonomie des femmes, et, d'autre part, du modèle de la famille de deux enfants, de la famille monoparentale.
Le fait qu'actuellement les familles nombreuses soient de plus en plus rares semble vous être insupportable : 8 % des femmes nées en 1950 ont eu quatre enfants, conte 25 % de celles qui sont nées en 1930. Pourtant, ce sont essentiellement sur ces familles que vous centrez votre action !
La politique « volontariste » proposée reste ciblée sur les deuxième et troisième enfants et sur les suivants. Outre le fait que cette démarche laisse de côté un grand nombre de familles, le grief fait en d'autres temps à M. Jospin lorsqu'il a décidé de mettre sous condition de ressources les allocations familiales, portant ainsi atteinte au principe d'universalité, reste entier.
En effet, dès l'article 2 de cette proposition de loi, la contradiction apparaît : vous prétendez décider de mesures applicables sans discrimination à toutes les familles, alors que l'allocation universelle d'accueil de l'enfant sera uniquement versée au deuxième enfant, avec une prime au troisième !
Dès l'exposé des motifs, les constats à dessein orientés vicient les choix ultérieurs.
Considérant à tort qu'il est extrêmement rare que des couples renoncent au projet d'avoir leur premier enfant pour des raisons financières, vous en déduisez que l'aide à l'accueil du premier enfant ne saurait être une priorité de la politique familiale.
Décidément, votre conception de la famille est radicalement opposée à la nôtre. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Ça, c'est vrai !
M. Francis Giraud. Radicalement, en effet !
M. Guy Fischer. Les quatre rapports remis au Gouvernement avant la conférence de la famille de juin dernier ont permis de faire émerger une idée forte à laquelle le groupe communiste républicain et citoyen est très attaché : c'est l'enfant qui fait la famille.
La politique familiale doit permettre de compenser les charges et alléger les contraintes découlant de la venue de l'enfant.
De plus, la priorité doit aussi être de garantir à tous les enfants un niveau de vie minimal, des droits réels à l'éducation, à la santé, aux loisirs.
Il est incontestable que certains couples retardent aujourd'hui la venue du premier enfant. Tout le monde ne construit pas la famille de son choix au moment voulu ; un décalage demeure entre le désir d'enfant et le taux de natalité. Nous savons que c'est la crainte de l'avenir qui justifie de tels comportements.
Depuis de nombreuses années, lorsque nous débattons notamment du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le groupe communiste républicain et citoyen renouvelle sa demande de voir attribuer des allocations familiales, « droit de l'enfant », dès le premier enfant et jusqu'au dernier.
Messieurs, en ne marquant aucun intérêt pour le premier enfant, vous ne favorisez pas le début de la constitution de la cellule familiale ; vous réduisez la portée universelle de la politique familiale.
L'objet de votre proposition de loi est uniquement nataliste. Soit ! Mais d'autres aspects, pourtant indispensables pour la globalité et l'efficacité de la politique familiale, manquent cruellement. La politique familiale doit aussi être un facteur de justice sociale.
Selon l'Institut national d'études démographiques, l'INED, les incidences du niveau de prestations sur le taux de natalité sont infimes. D'autres facteurs expliquent la stagnation du taux de natalité : le recul de la première naissance, le travail des femmes, mais aussi, et surtout, la situation économique. Il s'agit là d'aspects essentiels que vous occultez ou que vous traitez sélectivement.
A aucun moment, le texte proposé ne fait référence au réexamen de la politique du logement pour répondre aux besoins des familles. Le problème de l'éducation est abordé, mais uniquement sous l'angle des rythmes scolaires !
La prise en compte de la dimension familiale dans la politique de l'emploi n'est pas envisagée ; vous passez sous silence les effets bénéfiques de la réduction du temps de travail. (M. Gournac s'exclame.) Plus grave encore, vous proposez de développer un peu plus le temps partiel...
M. Jean Chérioux. Il est choisi !
M. Guy Fischer. ... en étendant ce « droit » jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant.
Permettez-moi de rappeler que le nombre de femmes qui exercent une activité à temps partiel est en constante augmentation, alors que ce temps partiel est de moins en moins choisi, monsieur Chérioux !
Imposé, il contraint les femmes à supporter des horaires atypiques, imprévisibles, difficilement conciliables avec le suivi et l'éducation des enfants.
M. Alain Gournac. Que fait le Gouvernement ?
M. Guy Fischer. Vous êtes loin des réalités, monsieur Gournac ! Vous méconnaissez ce monde-là !
M. Alain Gournac. Ça, c'est sûr !
M. Guy Fischer. Pourtant, vous souhaitez conforter, à juste titre d'ailleurs, le rôle éducatif des familles !
S'agissant de l'allocation parentale d'éducation, l'APE, votre appréciation ne varie pas : c'est un succès ! Toutefois, toutes les études montrent que, pour les mères qui connaissent de réelles difficultés d'insertion et qui, faute de moyens ou de mode de garde adaptés, ont été contraintes de choisir l'APE, cette mesure se révèle être une cause d'éloignement durable du marché de l'emploi. Si, pour certaines mères, l'APE apparaît comme une alternative satisfaisante, l'objet de cette mesure coûteuse est d'inciter les femmes à retourner au foyer !
Pour concilier vie professionnelle et vie familiale, les dispositions proposées sont parcellaires, destinées à un petit nombre de familles.
Vous privilégiez un mode de garde, la garde à domicile, au mépris de la liberté de choix de chaque parent d'adopter celui qui lui convient. Vous ne prévoyez rien pour diversifier, améliorer les modes d'accueil des jeunes enfants, facteur bien souvent décisif dans la socialisation de l'enfant.
En ce qui concerne l'AGED, vous proposez un retour aux conditions d'attribution en vigueur avant 1998, c'est-à-dire sans condition de ressources, et la prise en charge intégrale par l'AGED des cotisations sociales dues pour l'emploi de la personne.
Enfin, vous créez une réduction d'impôt spécifique pour la garde d'un enfant à domicile, garde à domicile présentée comme une panacée.
M. Jean Chérioux. Elle est importante pour les cadres !
M. Guy Fischer. Nous avons soutenu la volonté du Gouvernement de réduire les avantages exorbitants de cette allocation dans le souci de rétablir une certaine égalité entre les familles, l'effort des familles modestes étant aujourd'hui supérieur à celui des familles fortunées.
L'option choisie ne peut nous convenir ; elle est discriminatoire !
En fait, pour l'essentiel, vous préconisez des mesures fiscales. Vous défaites avec plaisir tout ce que l'actuel gouvernement a eu raison d'entreprendre. Je pense, bien sûr, à l'abaissement du plafond du quotient familial.
Vous ne tirez aucun enseignement de l'application de la loi « famille » de 1994 (M. Chérioux s'exclame) qui, je vous le rappelle, se limitait à compenser les charges familiales et qui, suite à la montée en puissance de plusieurs de ces mesures, a contribué aux dérapages de la branche famille.
M. Jean Chérioux. Elle a été un grand succès !
M. Guy Fischer. Suite à la conférence de la famille de l'an dernier, le Gouvernement s'est engagé dans la définition d'une autre politique familiale globale...
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. Guy Fischer. ... plus lisible, plus juste pour les familles les plus défavorisées. Nous pensons cependant que celle-ci doit être encore améliorée. (Ah ! sur les travées du Rassemblement pour la République.)
M. Alain Gournac. Ça, c'est bien !
M. Guy Fischer. Sur certains points, je souhaiterais donc que le Gouvernement aille plus loin, notamment en ce qui concerne les jeunes adultes - Nicole Borvo y reviendra tout à l'heure.
Conscient du fait que vous cherchez avant tout, au travers de ce texte dont la plupart des dispositions sont inacceptables, à améliorer non pas le sort de toutes les familles, mais uniquement celui de quelques-unes, et surtout à polémiquer sur le thème de la famille, le groupe communiste républicain et citoyen, étranger à votre démarche, ne s'inscrira pas dans ce débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le secrétaire d'Etat, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.