Séance du 6 mai 1999







M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adressait à M. le Premier ministre.
Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, un préfet et son directeur de cabinet ont été mis, hier soir, en examen et écroués à la prison de la Santé, à Paris.
Le juge a donc officiellement désigné ces personnes comme les auteurs probables, à ses yeux, de l'infraction de complicité de destruction volontaire d'un bien appartenant à autrui, par incendie en bande organisée. Que l'on ne me parle pas de la présomption d'innocence, car j'emploie les termes mêmes du code de procédure pénale !
Personne ne peut nier désormais qu'il s'agit d'une affaire d'une gravité extrême qui frappe l'autorité de l'Etat, et non d'actions isolées.
Est-il imaginable qu'un préfet de la République ait pu agir de son propre chef sans en informer, à un moment ou à un autre, sa hiérarchie ?
M. Alain Gournac. Impossible !
M. Jean-Jacques Hyest. Est-il imaginable qu'une absence de contrôle ait pu mener à des actions criminelles au nom justement de la restauration de l'autorité de l'Etat ?
En réalité, les termes de l'alternative sont simples.
M. Marc Massion. Mais non !
M. Jean-Jacques Hyest. Soit le Gouvernement ne savait pas, et c'est une grave défaillance, et alors, où est l'Etat ?
Un sénateur du RPR. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Soit il savait, et nous sommes, comme l'a dit l'un de nos collègues, en présence d'un mensonge d'Etat. Dans les deux cas, la responsabilité du Gouvernement est engagée.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. Quand allez-vous en tirer les conséquences ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Mahéas. Pitoyable !
M. Claude Estier. C'est assez lamentable ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Un sénateur de l'Union centriste C'est vous qui êtes pitoyables !
M. Claude Estier. Vous oubliez d'autres périodes ! (Nouvelles protestations sur les travées du RPR.)
Un sénateur du RPR. C'est grave !
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est en effet une affaire grave, très grave - M. le Premier ministre l'a dit lui-même, tant à l'Assemblée nationale que devant le pays, l'autre soir - non seulement parce qu'il s'agit d'un incendie criminel, mais également parce que ce sont les responsables précisément chargés de faire respecter la loi qui sont soupçonnés...
M. Charles de Cuttoli. Et en prison !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... d'avoir violé la loi. Par conséquent, il s'agit effectivement d'une affaire très grave.
Par ailleurs, M. le Premier ministre a dit, devant le pays, que, en effet, aucun membre du Gouvernement ni aucun de ses collaborateurs n'avait été informé auparavant de cette opération. D'ailleurs, l'enquête judiciaire et l'audition du préfet Bonnet donneront certainement des éclaircissements sur ce point, en provenance de la justice. (Murmures sur les travées du RPR.)
Enfin, monsieur le sénateur, vous soulevez dans cette affaire la question de la responsabilité. Je dirai tout d'abord que la responsabilité pénale est une responsabilité personnelle...
M. Jean-Jacques Hyest. Je n'ai pas parlé de cela !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et, par conséquent, nous ne parlons que de responsabilité politique. (Vives exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Le Gouvernement a pris cette responsabilité politique immédiatement. En effet, parallèlement à l'enquête judiciaire qui, bien évidemment, je le rappelle, n'a souffert et ne souffrira aucune entrave - et c'est nouveau parce qu'il fut un temps, en effet, où l'on demandait aux magistrats d'agir avec circonspection,...
M. Claude Estier. Très bien !
M. Jean Chérioux. Par exemple, le Rainbow Warrior !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et, en Corse, on se souvient de circulaires, d'instructions ; en tout cas, la justice agit avec rapidité et sans aucune entrave - parallèlement à l'enquête judiciaire, disais-je, des décisions administratives ont été prises : envoi de deux inspections, l'une par le ministre de la défense, l'autre pas le ministre de l'intérieur, décision de dissolution du GPS, suspension des fonctions du colonel Mazères et du préfet de Corse. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Tout cela ne doit pas nous faire oublier que nous devons respecter non seulement la loi, mais également les procédures. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Nous ne devons pas oublier, s'agissant d'une affaire grave en effet - car nous voulons poursuivre notre politique de respect de la loi en Corse - ce qui a été fait dans ces départements.
Je voudrais rappeler ici que, en 1995, il y a eu 602 attentats ; en 1998, 198 attentats ont été commis,...
Un sénateur du RPR. C'est trop !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... c'est-à-dire cinq fois moins. (Murmures sur les travées du RPR.)
En 1995, sur ces 602 attentats, 59 personnes ont été interpellées et 28 personnes écrouées alors que, en 1998, pour 198 attentats, 430 personnes ont été interpellées et 55 personnes écrouées : cinq fois moins d'attentats, quatre fois plus de personnes déférées devant la justice ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe François. Honneur aux gendarmes !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En ce qui concerne le terrorisme corse - le Sénat, qui fait un travail sérieux, est friand d'informations précises, et je vous communique donc des chiffres qui n'ont jamais été rendus publics jusqu'à présent -...
M. Philippe François. Honneur aux gendarmes !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... au 12 février 1999, il y avait 107 dossiers d'information ouverts, 25 détenus provisoires, 165 personnes mises en examen. Les affaires sont non seulement instruites, mais elles sont également jugées.
Je vous indique que, dans les semaines à venir, la Cour d'assises spécialement composée ou le tribunal correctionnel de Paris aura à statuer de sept affaires liées au terrorisme.
N'oublions pas non plus que les assassins du préfet Erignac ne sont encore ni confondus ni déférés devant la justice...
Un sénateur du RPR. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... malgré la persévérance menée dans l'enquête. En conséquence, nous devons soutenir les personnels de police et de lutte contre l'action terroriste liés à cette enquête.
Par ailleurs, nous devons garder présent à l'esprit que la politique, c'est non seulement le rétablissement du respect de la loi mais aussi, pour les Corses qui ont le droit de vivre en paix et dans la sérénité, une action interministérielle : seize visites ministérielles ont eu lieu dans l'île... (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean-Claude Carle. Avec quel résultat ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... depuis un an et demi, avec la volonté de développer ces départements.
Croyez bien que cet épisode pénible ne fera pas oublier au Gouvernement la nécessité absolue de mettre la priorité sur le contrat de plan, qui doit être négocié,...
Un sénateur du RPR. Ah oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et sur la politique d'aménagement du territoire en Corse. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Quelle autosatisfaction !

RESPONSABILITÉ DU GOUVERNEMENT
DANS LA SITUATION EN CORSE