Séance du 6 mai 1999







M. le président. « Art. 10. - La Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, constituée selon les modalités définies à l'article 26 de la présente loi, est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance régie par les articles 118 à 150 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 précitée, dont les caisses d'épargne et de prévoyance détiennent ensemble 60 % au moins du capital et des droits de vote. Elle est un établissement de crédit au sens de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 précitée. Elle est autorisée à fournir les services d'investissement prévus aux articles 4 et 5 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières.
« Le conseil de surveillance de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance comprend notamment des membres élus par les salariés du réseau des caisses d'épargne dans les conditions prévues par ses statuts. La nomination du président du directoire de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance est soumise à un agrément du ministre chargé de l'économie. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 13, M. Marini, au nom de la commission, propose, dans la première phrase du premier alinéa de cet article, de remplacer le pourcentage : « 60 % » par les mots : « la majorité ».
Par amendement n° 180, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans la première phrase du premier alinéa de l'article 10, de remplacer le pourcentage : « 60 % » par le pourcentage : « 70 % ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 13.
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous abordons un aspect tout à fait important sur lequel je me suis permis de mettre l'accent lors de mon intervention dans la discussion générale.
M. Jean-Louis Carrère. On a bien entendu !
M. Philippe Marini, rapporteur. D'ailleurs, monsieur le ministre, puisque vous nous disiez hier, lorsque nous évoquions les fameux GLE, qu'il fallait faire confiance à M. Charles Milhaud, président du directoire du Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance, le CENCEP, je serais à la limite tenté, sur plusieurs autres sujets, de vous prendre au mot : monsieur le ministre, suivons les avis exprimés...
M. Jean-Louis Carrère. Pauvre dialectique !
M. Philippe Marini, rapporteur. « Pauvre dialectique », dites-vous, mon cher collègue ! Mais il y a des procès-verbaux, il y a des comptes rendus qui ont été publiés au bulletin des commissions, avec les positions exprimées par les personnalités que la commission a auditionnées !
M. Milhaud a été auditionné ; il s'est exprimé clairement sur trois points, que je vais vous rappeler.
Effectivement, sur les GLE, il a exprimé l'opinion que M. le ministre a indiquée après avoir tenu dans le passé d'autres positions et en étant encore susceptible d'en changer.
En ce qui concerne le dividende social et les projets d'intérêt général, d'économie locale, sociale, etc., M. Milhaud a dit - je suis prêt à vous communiquer l'extrait de l'audition - qu'il fallait en revenir au texte initial du Gouvernement.
Monsieur le ministre, si le Gouvernement considère que, sur les points concernant la gestion des caisses d'épargne, il faut faire confiance à ce qui est dit dans le réseau par les bons techniciens, par les gestionnaires, eh bien ! sur ce point aussi, il devrait ajuster sa position sur celle de M. Milhaud, qui s'est toutefois prononcé « pour un plafond de dépenses d'intérêt général en pourcentage du résultat net comptable des caisses plutôt que pour un plancher ». Les propos qu'il a tenus sont écrits noir sur blanc !
Enfin, s'agissant du point qui fait l'objet de notre amendement n° 13, là aussi, M. Milhaud, lors de son audition par la commission, a considéré qu'un contrôle à 50 % de la future Caisse nationale était amplement suffisant pour déterminer son contrôle et sa stratégie et que le seuil de 60 % prévu actuellement dans le projet de loi risquait de handicaper le devenir du réseau en restreignant la place possible pour d'éventuels échanges de capital dans le cadre d'alliances avec d'autres groupes et d'autres établissements de crédit.
La commission considère que la détention par les caisses d'épargne de 60 % au moins du capital et des droits de vote de la Caisse nationale est une disposition ou trop bénigne ou excessive.
En d'autres termes, il existe, en droit des sociétés, deux seuils significatifs : le seuil de 50 % et celui des deux tiers. Mais prévoir un pourcentage se situant entre les deux n'a pas de sens, car de deux choses l'une : ou bien l'on assigne aux caisses d'épargne un contrôle et, alors, la Caisse nationale étant une société anonyme de droit commun - certes à conseil de surveillance et directoire, mais une société anonyme tout de même - le pouvoir de décision en assemblée générale est de 50 % des actions plus une ; ou bien l'on souhaite verrouiller davantage le système, et c'est la majorité statutaire, celle qui est nécessaire pour modifier les statuts en assemblée générale extraordinaire, qui est le bon seuil, c'est-à-dire les deux tiers des actions plus une. Mais le pourcentage de 60 % n'a, de notre point de vue, pas de légitimité particulière.
C'est pourquoi cet amendement n° 13, sur lequel, d'ailleurs, bon nombre de personnes s'étant exprimées sur ce sujet me semblent d'accord, est soumis à la sagacité de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter l'amendement n° 180.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, si vous le permettez, j'exposerai également les amendements n°s 181 rectifié et 182.
M. le président. Je vous en prie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cette série d'amendements concerne la question, moins importante, de la propriété du capital de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, capital dont la répartition peut d'ailleurs être un élément indicatif de l'orientation stratégique future du réseau dans son ensemble.
Il pourrait en effet sembler contradictoire avec nos propositions initiales que nous souhaitions mettre en quelque sorte en position minoritaire la Caisse des dépôts et consignations, eu égard au rôle que cette institution est sans doute appelée à jouer dans les années à venir.
Je voudrais aussi souligner que ces missions tout à fait particulières de la Caisse des dépôts et consignations sont un peu, depuis sa création et, singulièrement, depuis la Libération, le fil rouge ou le fil conducteur de son action.
Je ne voudrais pas que vous considériez notre amendement portant sur la part du capital détenue dans la Caisse nationale par la Caisse des dépôts et consignations comme une marque de défiance à l'égard de cet établissement. ll s'agit bien plutôt d'un complément indispensable à notre position de principe : les caisses d'épargne locales et/ou régionales doivent disposer, en termes de propriété, de l'essentiel du capital de la Caisse nationale.
Cette position - on l'aura remarqué - va de pair avec l'affirmation du rôle régulateur déterminant de la Caisse nationale auprès de l'ensemble des caisses du réseau, rôle que nous affirmons dans l'amendement n° 181 rectifié visant à compléter le premier alinéa de l'article 10.
Evidemment, vous pourriez nous objecter que cette orientation générale pourrait fermer la porte à toute association entre le réseau des caisses d'épargne et des réseaux équivalents au niveau européen ou d'autres partenaires de la place.
Je ferai simplement observer que la coopération entre institutions financières, comme d'ailleurs entre entreprises de manière générale, peut présenter d'autres formes que celle de la participation au capital et que cette participation n'est donc pas nécessairement le passage obligé pour la mise en oeuvre d'une synergie de moyens.
Evidemment, la présentation de ces trois amendements nous amène à considérer également les amendements déposés par la commission des finances, qui souhaite réduire au simple critère de détention de la majorité du capital la part prise par les caisses locales dans le capital de la Caisse nationale.
Je voudrais quand même faire ici un bref rappel des positions de M. le rapporteur depuis le début de ce débat.
On soulignera, par exemple, que cette volonté de réduire à 51 % la part du capital de la Caisse nationale détenue par les caisses locales va de pair avec la volonté de faire disparaître la notion de dividende social dans l'affectation du résultat des caisses et, évidemment, l'affirmation de la nécessité de majorer d'autant la rémunération des parts sociales.
L'ensemble de ces propositions illustre donc clairement, monsieur le rapporteur, le choix qui a été opéré par la commission des finances et qui consiste à prendre appui sur l'ouverture que représente le débat sur la mutation statutaire des caisses d'épargne pour pervertir, en fin de compte, les missions assumées par celles-ci au service de la collectivité, en banalisant de plus en plus leur mode de fonctionnement.
Cette démarche va d'ailleurs de pair avec une remise en cause de la quotité de leurs ressources propres, au-delà du débat déjà ancien sur le niveau des rémunérations des livrets défiscalisés.
Nous ne pouvons donc que proposer à la Haute Assemblée de voter plutôt nos amendements que ceux qui ont été déposés par M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 180 ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Je rejoins tout à fait Mme Beaudeau, dont la logique est imperturbable. Cependant, cette logique n'est pas celle de la majorité de la commission, et celle-ci ne peut donc qu'émettre un avis défavorable sur l'amendement n° 180.
Je crois que vouloir instaurer un contrôle à plus des deux tiers peut se comprendre, même si je suis opposé à cette thèse. En revanche, vouloir mettre en place un contrôle à 60 %, c'est-à-dire rester au milieu du gué, me semble inadéquat, je le répète, et la proposition de Mme Beaudeau vient conforter celle de la commission : il faut choisir entre la majorité simple et la majorité qualifiée, mais on ne peut opter pour une solution intermédiaire.
En tout cas, la commission est opposée à l'amendement n° 180,
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 13 et 180 ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le Gouvernement est plus conservateur que la majorité sénatoriale.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est pas étonnant ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il a en effet estimé souhaitable, puisque les caisses détiennent aujourd'hui 60 % de la caisse centrale, d'en rester là.
Le juridisme, ou plutôt l'extrémisme - attitude que nous avons déjà rencontrée hier - qui conduit à vouloir tout ou rien me semble être, en matière financière et notamment sur un sujet aussi sensible, la meilleure manière de faire échouer le projet. Or je ne crois pas que ce soit l'objectif du Sénat, même si cela y ressemble !
Aller au-delà du seuil de 60 % conduirait à faire disparaître toute marge pour de possibles alliances, sauf à diminuer considérablement la part de la Caisse des dépôts, ce qui conduirait à diminuer la maîtrise publique, et donc le soutien qu'il faudra pourtant que la Caisse apporte pendant un certain temps au nouveau réseau, parce que, hélas ! on ne peut aller au-delà de 100 %.
C'est d'ailleurs en ce sens que l'amendement n° 180 me surprend. Mme Beaudeau a d'ailleurs elle-même relevé les contradictions qu'il comprend : on ne peut pas vouloir à la fois plus pour les caisses, un certain partenariat, suffisamment de parts pour la Caisse des dépôts, et conserver une signification au pôle public qu'elle appelle de ses voeux.
Dans ces conditions, on ne peut pas aller au-delà de 60 %. Doit-on diminuer ce seuil ? Ce serait contraire à ce qui se passe dans tous les réseaux ! Vous avez cité hier, monsieur le rapporteur, l'exemple du Crédit agricole pour ce qui est de la possibilité de conserver un capital variable et d'émettre néanmoins des CCI. Je vous renvoie à cet exemple, comme vous m'avez renvoyé tout à l'heure à celui du président du directoire.
Au Crédit agricole, 75 % du capital sont détenus par les caisses. Aucun organisme de type mutualiste ou coopératif n'a moins de 60 % !
M. Marcel Deneux. C'est faux !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vois donc mal pourquoi nous irions jusqu'à une situation de simple majorité. Avec 60 %, nous sommes déjà en bas de la fourchette ; il ne semble pas souhaitable de descendre plus bas.
La réforme a pour vocation de favoriser le développement des caisses d'épargne, elle n'a pas vocation à tout « chambouler » pour le plaisir. Aujourd'hui, nous sommes à 60 % et il existe plutôt des inconvénients à augmenter ou à diminuer ce pourcentage. Dans ces conditions, je suis d'avis d'en rester à 60 %.
De là, découle la position du Gouvernement sur les différents amendements : il est défavorable tant à celui de la commission qu'à celui de Mme Beaudeau.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
M. Marcel Deneux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Je suis quelque peu étonné de la manière dont cette discussion s'instaure. Nous sommes quand même bien en train de doter d'un statut une structure qui sera peut-être, à l'avenir, l'une des premières banques importantes de ce pays ! Or nous nous comportons comme si ces statuts ressortissaient à la loi de 1901 sur les associations ! Nous sommes pourtant dans le cadre de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales !
Cela étant, permettez-moi de rectifier au passage quelques-unes des erreurs que j'ai relevées, notamment dans les propos de M. le rapporteur.
Des seuils techniques sont fixés dans cette loi, et 50,1 % comme 66,1 % sont des pourcentages qui ont une signification ; tout le reste n'a aucune signification en matière de gestion de société !
A cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi de souligner que les caisses régionales détiennent non pas 75 % mais 92 % de la Caisse nationale du Crédit agricole, et le personnel les 8 % restants.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Votre formulation est plus exacte, mais les statuts prévoient « au moins 75 % ».
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est pas la loi !
M. Marcel Deneux. Quoi qu'il en soit, j'insiste : nous dotons d'un statut juridique une société qui deviendra l'une des grandes banques du pays, et il est nécessaire de lui donner les moyens de fonctionner. Or les seuil que nous retenons ne le permettent pas. Détenir 60 % ou 70 % ne présente aucun intérêt ! Je suis d'ailleurs étonné que M. Loridant, qui a une très bonne compétence technique en la matière, présente des propositions qui n'entrent pas dans la logique des sociétés commerciales.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce qui est proposé par la commission, c'est un plancher. Soyons donc bien clairs ! Lors de la promulgation de la réforme, quand la caisse nationale sera constituée, elle sera effectivement détenue au départ à 60 % par les caisses d'épargne et à 40 % par la Caisse des dépôts et consignations. Ce sera conforme à la loi telle que nous la concevons, 60 % étant supérieurs à 50 %.
Mes chers collègues, il ne faut pas travestir les positions de la commission. Nous estimons que la loi doit fixer un plancher représentant une garantie de contrôle pérenne des caisses d'épargne sur leur outil. C'est bien la fonction de la loi !
On s'est référé au Crédit agricole, mais les dispositions dont on a parlé sont, je crois, de nature non pas législative mais statutaire.
Que l'on veuille apporter des garanties supplémentaires de contrôle pérenne à la Caisse nationale des caisses d'épargne, je comprends bien, mais il s'agit d'un plancher, et tout taux de participation au-delà de 50 % nous convient.
Cependant, monsieur le ministre, le jour où une opération de partenariat supposant de faire évoluer rapidement tout le système se présentera, au plan européen, par exemple, faudra-t-il venir au Parlement en toute urgence ? Faudra-t-il déposer nuitamment un amendement gouvernemental dans un texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier ou dans le premier collectif qui viendra en discussion ? Est-ce une bonne façon de gérer l'évolution des phénomènes économiques ou d'éventuelles restructurations ?
Franchement, sur le fond, nous ne sommes pas du tout en désaccord, mais l'amendement de la commission se veut réaliste : nous voulons afficher avec beaucoup de fermeté et de clarté que la caisse nationale doit - et vous ne me contredirez pas - être contrôlée par les caisses d'épargne. C'est bien notre volonté, je crois, sur toutes ces travées. Qu'on l'écrive clairement et qu'on évite de devoir ultérieurement faire appel, dans l'urgence, au législateur parce que cela se révélerait indispensable pour parvenir à gérer la respiration naturelle des organismes économiques.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Deneux a raison, la formule que j'ai employée tout à l'heure était un peu cursive : les caisses régionales du Crédit agricole ne détiennent pas 75 %, elles détiennent « au moins 75 %. » En réalité, vous l'avez dit, c'est plutôt 90 % aujourd'hui.
M. Marcel Deneux. C'est 92 %, et 8 % pour le personnel.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela étant, pour ma démonstration, le fait qu'elles doivent détenir au moins 60 % suffisait.
M. Marini nous a dit que cela relevait des statuts et non pas de la loi. Je suis au regret de devoir - c'est rare, mais cela peut arriver - le prendre en défaut : aux termes de l'article 17 de la loi de 1988 relative à la mutualisation du Crédit agricole, les caisses régionales ne peuvent disposer à elles toutes de moins de 75 %. C'est donc bien dans la loi que cela est inscrit !
Si cela vaut pour le Crédit agricole, cela vaut aussi pour les caisses d'épargne. Toute votre démonstration sur l'activité économique est donc intéressante, mais elle ne résiste pas au fait que, le Crédit agricole ayant sans conteste une activité économique florissante, il est prévu pour cet établissement un seuil supérieur à celui que nous voulons introduire pour les caisses d'épargne.
En réalité, détenir 50,1 % ou 60 % du capital, ce n'est pas la même chose, ou alors il vous faudra expliquer à tous les entrepreneurs privés qui détiennent entre 50 % et 66 % du capital qu'il ne sert à rien de détenir ces actions supplémentaires et qu'ils immobilisent leurs fonds pour rien. Je serais alors heureux d'entendre les réponses de MM. Arnault, Pinault, Bolloré, Bouygues ou d'autres, à qui vous êtes en train d'expliquer qu'ils gèrent mal leur entreprise.
En choisissant 60 %, nous laissons ainsi une plus grande latitude aux caisses d'épargne que celle qui était prévue en 1988 pour le Crédit agricole dans la loi de mutualisation. Mais les temps ont changé et il est bon de ne pas retenir un taux plus bas en prévoyant, par exemple, que les caisses d'épargne détiendront une part du capital supérieure à 50 %. Pourquoi, me direz-vous, n'avons-nous pas retenu 55 %, 56 % ou 57 % ? Ne chicanons pas à 1 % près ! Nous avons préféré retenir un taux rond, et celui de 60 % me paraît une bonne solution.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Personnellement, je ne souhaite jamais entrer dans ce jeu qui consiste à choisir des modèles. Hier, c'était le président du directoire ; aujourd'hui, c'est la loi sur le Crédit agricole.
Nous sommes ainsi, au hasard des amendements, soupçonnés d'extrémisme. La commission des finances affiche une position constante, que je connais et pratique depuis six ans : elle souhaite que la loi soit dépouillée de tout ce qui n'est pas absolument indispensable, alors que nous sommes, mes chers collègues, harcelés en permanence pour introduire dans notre ordre du jour des textes destinés à régler des problèmes liés à un balayage trop fin de nos textes, ce qui nous oblige à légiférer en permanence.
Il me semble qu'il n'y a aucune divergence de points de vue sur le sujet qui nous occupe ce matin. Comme M. le rapporteur l'a indiqué voilà un instant, il convient en effet que le sociétariat puisse avoir une majorité suffisante pour pouvoir garantir l'orientation des caisses, mais la suggestion que vous nous soumettez, monsieur le ministre, nous fait prendre le risque de devoir légiférer un jour dans la hâte pour répondre à une opportunité qui se présenterait et que tout le monde jugerait utile pour l'avenir des caisses d'épargne.
Je me tourne donc vers la majorité sénatoriale : si nous voulons être fidèles aux principes de Portalis sur la manière de rédiger la loi, faisons en sorte que celle-ci ne contienne que ce qui est absolument indispensable. N'ajoutons pas des seuils supplémentaires qui n'apporteraient aucune sécurité par rapport aux préoccupations des uns et des autres et qui ne feraient sans doute que surcharger l'ordre du jour futur de nos assemblées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 180 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 181 rectifié, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter in fine le premier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée : « Elle joue le rôle de banque de référence des caisses d'épargne, sur mandat de la Fédération nationale des caisses d'épargne. »
Mme Beaudeau a déjà présenté cet amendement.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Cet amendement précise que la Caisse nationale joue le rôle de banque de référence des caisses d'épargne, sur mandat de la Fédération nationale des caisses d'épargne. Je crois que, si l'on incluait une disposition de cette nature, on créerait une véritable dyarchie dans le système en imposant un partage des responsabilités difficile à caractériser. Il pourrait en résulter des contestations, des luttes d'influence qui nuiraient à l'harmonie et aux capacités de développement du groupe.
Le rôle et la place de la Fédération nationale - nous y reviendrons - seront suffisamment définis dans le texte qui devrait résulter de nos travaux.
Voilà pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis heureux de constater que M. le rapporteur reprend l'argumentation que j'ai développée dans mon propos liminaire, à savoir que l'un des objets de ce projet de loi est de supprimer la dyarchie, ou la confusion des rôles, qui existe aujourd'hui entre les deux organes, l'organe décisionnel et l'organe opérationnel, en réunissant le tout au sein de la Caisse nationale des caisses d'épargne. Or, si l'on précise que celle-ci agit sur mandat de la fédération, on retombe dans la même confusion.
Reste alors simplement l'énonciation du principe que la Caisse nationale est la banque de référence du réseau, ce qui est une évidence. C'est l'ensemble qui est construit de cette manière.
Voilà pourquoi je demande à Mme Beaudeau de bien vouloir retirer l'amendement, faute de quoi je ne pourrai que m'y opposer.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, madame Beaudeau ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Sensible aux arguments de M. le ministre sur la confusion des responsabilités, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 181 rectifié est retiré.
Par amendement n° 14, M. Marini, au nom de la commission, propose de supprimer la seconde phrase du second alinéa de l'article 10.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Dans sa logique, la commission estime qu'il faut faire du réseau des caisses d'épargne un réseau coopératif de droit commun.
M. Jean-Louis Carrère. C'est la banalisation !
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, dans notre esprit, c'est un réseau coopératif de droit commun qui obéit à la loi que nous sommes en train de faire, qui définit les missions, la répartition du résultat, qui définit toute une architecture, avec des sections locales, des caisses d'épargne régionales, une Caisse nationale, et le contrôle de la Caisse nationale par les caisses d'épargne régionales.
Nous avons bien entendu M. le ministre, hier soir, nous dire qu'il cherchait une voie médiane, en quelque sorte un juste milieu, entre le statu quo impossible et pénalisant et la banalisation complète, qui serait contraire à l'esprit des caisses d'épargne.
Je crois que, sur cette voie, nous pouvons nous rejoindre.
M. Jean-Louis Carrère. Non, non !
M. Philippe Marini, rapporteur. Reportez-vous à toutes nos prises de position, relisez le rapport écrit, mon cher collègue : la commission des finances n'est pas en désaccord avec cette stratégie de par la voie médiane. Certes, nous ne plaçons pas la voie tout à fait au même endroit.
M. Jean-Louis Carrère. Ah ! Voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous déplaçons légèrement les curseurs.
M. Jean-Louis Carrère. C'est une voie médiane de droite !
M. Philippe Marini, rapporteur. Ne politisez pas toujours le débat, monsieur Carrère !
M. Jean-Louis Carrère. C'est vous qui le politisez !
M. le président. Laissez parler M. le rapporteur, monsieur Carrère !
M. Jean-Louis Carrère. Il parle beaucoup et longtemps !
M. le président. Vous aurez vous-même la possibilité de parler d'abondance, tout à l'heure, si vous le souhaitez.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est tout de même un méridional comme vous, monsieur Carrère, qui va critiquer le droit à la parole dans les assemblées ! Ayez au moins la patience d'entendre ce que j'ai à vous dire au nom de la commission des finances.
Je disais donc - je pensais que cela vous serait plutôt agréable - que nous n'étions pas en désaccord avec la stratégie de la voie médiane.
Toutefois, il faut donner à ce nouveau groupe, au travers de sa gestion, toutes ses chances de succès dans la compétition. En effet, qu'on le veuille ou non, ce groupe sera ouvert à la compétition, même s'il n'est pas strictement identique au Crédit agricole, au Crédit mutuel ou aux Banques populaires. Chacun de ces groupes a ses spécificités fortes, sa culture propre, sa façon à lui d'adhérer au terrain, sa représentativité des milieux socio-professionnels et économiques, mais il y a bien compétition entre eux.
Il faut donc que le groupe des caisses d'épargne puisse concevoir, mettre en oeuvre, développer sa propre stratégie selon les usages de la profession financière et bancaire.
Et, de ce point de vue, nous ne pouvons pas admettre qu'il faille, aux termes de la loi, l'agrément du ministre pour la désignation du président du directoire de la future Caisse nationale des caisses d'épargne. C'est une question de principe : le président du directoire de la Caisse nationale ne doit pas être traité différemment du directeur général de la Caisse nationale du Crédit agricole ou des dirigeants du Crédit mutuel ou des Banques populaires.
Cette position semble conforme à la nature même du projet qui nous est soumis.
En conclusion, je vais, moi aussi, me référer aux saints patrons en la matière. C'est en effet M. Raymond Douyère, dans son rapport au Premier ministre, qui émettait des critiques sévères - je ne sais si elles étaient d'essence libérale ou ultralibérale ! - sur ce principe de l'agrément au motif, disait-il, que cela affaiblissait l'autorité de l'organe central auprès du réseau.
Telles sont les raisons d'être de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ne vous en déplaise, monsieur le rapporteur, votre position me paraît complètement incohérente. Si vous voulez la banalisation, dites-le. Mais il vous faut alors refuser l'article 1er, que votre assemblée a adopté.
En effet, le début de cet article fait référence aux missions d'intérêt général. Par conséquent, la comparaison avec le président du Crédit agricole ou du Crédit mutuel n'a pas lieu d'être. S'il y a mission d'intérêt général, il y a intervention de la puissance publique, et il y a donc accord du Gouvernement pour la nomination du président du directoire.
S'il s'agissait d'un réseau coopératif comme les autres, comme vous venez de vous évertuer à le dire, vous auriez sans doute raison. Mais tel n'est pas le cas, en raison des missions d'intérêt général, que le Sénat a approuvées. Suivez donc la voie que le Sénat vous indique !
Le fait qu'il y ait des missions d'intérêt général a des conséquences, le dividende social par exemple, et entraîne un contrôle de la puissance publique, qui, jusqu'à nouvel ordre, est garante de l'intérêt général.
Pour ce qui est du rapport Douyère, il faut toujours lire le dogme dans sa dernière version, car le dogme évolue ! Vous aurez sans doute noté comme moi que, ce à quoi vous faites référence, une fois de plus, c'est le rapport au Premier ministre, mais que, depuis, dans son rapport à l'Assemblée nationale, M. Douyère en est revenu à des considérations plus sages et qu'il ne critique plus l'agrément du Gouvernement pour la nomination du président du directoire.
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous l'avez ramené à la sagesse !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Bernard Angels. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Sur ce point, nous sommes en désaccord complet avec la commission. L'agrément donné par M. le ministre de l'économie à la nomination du président du directoire est essentiel en ce qu'il participe du refus de la banalisation du réseau des caisses d'épargne.
M. Joël Bourdin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Je voterai, bien sûr, cet amendement, car la procédure de l'agrément me paraît être d'un autre temps.
M. le ministre a exprimé le souci que l'intérêt général soit respecté. J'observe que la Caisse des dépôts et consignations sera tout de même largement représentée au sein du conseil de la Caisse nationale des caisses d'épargne. Voilà qui est de nature à nous rassurer.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 182, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter l'article 10 par un alinéa ainsi rédigé :
« Le solde du capital de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance pourra être détenu par la Caisse des dépôts et consignations et d'autres investisseurs sans qu'aucun d'entre eux ne puisse dépasser le seuil de 25 %. »
Cet amendement a déjà été défendu par Mme Beaudeau.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. L'un des points positifs du projet est que le taux de participation de la Caisse des dépôts et consignations dans le capital de la Caisse nationale des caisses d'épargne n'y figure point. Cela permet, dans le cadre des relations de partenariat, de faire évoluer les choses, le cas échéant, en fonction des nécessités de la vie économique.
De ce fait, la commission ne peut qu'être défavorable à la position strictement contraire que défend ici le groupe communiste républicain et citoyen.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'ai en partie répondu sur cet amendement tout à l'heure.
Je suis surpris de son contenu, compte tenu de son origine : en effet, s'il était adopté, il empêcherait la Caisse des dépôts et consignations de détenir plus de 25 % du capital, ce qui diminuerait la part publique dans le réseau des caisses d'épargne.
Cela ne me semble pas être en cohérence avec la volonté de créer ce pôle public dont nous avons tant débattu. Dans la mesure où, pour ma part, je tiens à ce pôle public, je suis défavorable à l'amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 182, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10, modifié.

(L'article 10 est adopté.)

Article 11