Séance du 7 avril 1999







M. le président. « Art. 1er bis . - Après l'article L. 5216-9 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 5216-10 ainsi rédigé :
« Art. L. 5216-10 . - Dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi n° du relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, le périmètre des communautés d'agglomération peut être étendu aux communes dont l'inclusion dans le périmètre communautaire est de nature à assurer la cohérence spatiale et économique ainsi que la solidarité financière et sociale qui sont nécessaires au développement de la communauté d'agglomération.
« Le projet d'extension du périmètre communautaire est arrêté par le représentant de l'Etat dans le département lorsque les communes font partie du même département, ou par arrêté conjoint des représentants de l'Etat dans les départements concernés lorsque le périmètre projeté s'étend au-delà d'un seul département. Le périmètre peut être étendu après accord du conseil de la communauté d'agglomération ainsi que des deux tiers au moins des conseils municipaux de toutes les communes incluses dans le futur périmètre et représentant plus de la moitié de la population totale de celles-ci ou de la moitié au moins des conseils municipaux de ces communes représentant les deux tiers de la population. Cette majorité doit nécessairement comprendre le conseil municipal de la commune dont la population est supérieure à la moitié de la population totale concernée. A défaut de délibération dans le délai de trois mois à compter de la notification du projet d'extension de périmètre, l'accord est réputé donné.
« L'extension du périmètre communautaire est prononcée par arrêté du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements. Cet arrêté vaut retrait des communes auxquelles le périmètre est étendu des établissements publics de coopération intercommunale dont elles sont membres. Dans le cas particulier de syndicats de communes ou de syndicats mixtes, le retrait s'effectue dans les conditions fixées à l'article L. 5216-7.
« L'extension du périmètre entraîne une nouvelle répartition des sièges au conseil de la communauté d'agglomération conformément aux articles L. 5215-6 et L. 5215-7. Elle entraîne l'application à l'ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à l'exercice des compétences transférées, ainsi que des droits et obligations attachés à ces biens, équipements et services à la date du transfert, des dispositions du II de l'article L. 5211-18.
« La procédure peut être renouvelée tous les douze ans. »
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. La coopération intercommunale repose sur un élan vertueux. C'est un choix qui doit demeurer ouvert et sans contrainte. Lors de la discussion, nous avons été très attentifs à ce problème.
Une réforme de l'intercommunalité ne sera valable que si elle va dans le sens de la simplification, nous l'avons rappelé tout au long de nos débats, mais aussi de l'harmonisation, à la fois des politiques de coopération intercommunale et d'aménagement du territoire. Un projet dynamique peut se dresser dans la cohérence.
Or, à la lecture de cet article 1er bis nouveau, on est en droit de se poser deux questions : que fait-on de la libre administration des collectivités territoriales ? Pourquoi vouloir briser un élan vertueux ?
La coopération intercommunale est une démarche que nous savons positive, constructive pour nos communes qui décident ensemble de mettre en oeuvre une communauté de projets.
Je tiens à rappeler que, à l'article 72 de notre Constitution, on peut lire :
« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi.
« Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi. »
Je tiens à ajouter que la libre administration des collectivités territoriales figure en tête du code général des collectivités territoriales.
Cette liberté de décision des collectivités territoriales doit être incontournable. Or certaines dispositions de ce projet de loi, plus précisément à l'article 1er bis , portent gravement atteinte à cette liberté. Il est impensable qu'une commune ou un EPCI, de quelque nature qu'il soit, puisse être absorbé contre sa volonté dans un autre EPCI. Cela aurait inévitablement pour effet de provoquer des réticences fortes, et donc contraires à notre volonté de moderniser l'intercommunalité. Ce serait donc un net retour en arrière de la libre administration des collectivités locales, maîtresses de leur destin.
Voilà pourquoi le groupe du RPR, par la voie d'un amendement de M. Courtois, proposera de supprimer l'article 1er bis. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. le président. Sur l'article 1er bis, je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 25 est présenté par M. Hoeffel, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 239 rectifié est déposé par MM. Courtois, Braye, Cornu, Dufaut, Eckenspieller, Esneu, Fournier, Lassourd, Oudin, Vasselle, Doublet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
L'amendement n° 350 est présenté par MM. Bret, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous trois tendent à supprimer l'article 1er bis.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 25.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. La commission des lois propose de revenir au texte initial du projet de loi. En effet, nous estimons que l'article 1er bis, ajouté par l'Assemblée nationale, va à l'encontre du principe de la libre adhésion.
Autant il est concevable qu'à l'intérieur d'un même périmètre il soit nécessaire de faire jouer une solidarité réelle, autant toute excroissance par intégration forcée d'une commune à l'intérieur du périmètre est une véritable atteinte à la libre adhésion.
Je dirai qu'au-delà même d'un cas particulier qui peut se produire il en résulterait un climat général défavorable à la création de structures intercommunales. Or, paradoxalement, pour préserver un climat de confiance propice à l'intercommunalité, la commission, rejointe par la voie de deux amendements émanant l'un de M. Courtois et l'autre de M. Bret, propose de revenir au texte initial du projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Courtois, pour défendre l'amendement n° 239 rectifié.
M. Jean-Patrick Courtois. Notre collègue M. Cornu a expliqué la position du groupe du RPR face à cet article 1er bis qui va tout à fait à l'encontre de la libre administration des collectivités locales. Sur ce point, je rejoins également M. le rapporteur.
Pour cette raison, nous proposons de supprimer l'article 1er bis .
M. le président. La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 350.
M. Robert Bret. Cet article 1er bis est l'une des dispositions les plus graves qui a été ajoutée par l'Assemblée nationale.
Il permet au préfet d'élargir toujours, sans même consulter les communes membres ou intéressées, le périmètre d'une communauté d'agglomération au nom de la cohérence spatiale et économique des territoires. D'une part, cette notion est très floue. Recoupe-t-elle la définition donnée par l'INSEE des aires urbaines ? D'autre part, cette disposition nie entièrement le principe de libre administration des communes.
Ledit article prévoit d'inclure d'office des communes dans une communauté. Une telle possibilité, qui relève d'un abus d'autoritarisme, est de nature à compromettre toutes coopérations. Cette inclusion vaut retrait de la commune concernée des autres établissements de coopération dont elle pouvait être membre. Le préfet peut ainsi décider de modifier les projets de coopération d'une commune.
Il n'est pas concevable que le développement de l'intercommunalité puisse se faire sans une dose de volontarisme de la part des communes.
Monsieur le ministre, vous nous avez déjà dit, à plusieurs reprises, partager cette opinion et nous nous en félicitons.
Si ce texte a vocation - et nous l'avons bien compris ainsi - à renforcer l'intercommunalité, notamment en milieu urbain, lieu qui connaît un retard certain, il ne doit pas pour autant imposer une contrainte absolue à la coopération. Cette coopération ne peut se révéler qu'inexistante si elle n'est pas décidée par les parties.
Le législateur dépasse, avec cette disposition, les pouvoirs qui lui sont impartis.
Une telle mesure n'est-elle pas par nature anticonstitutionnelle, puisqu'elle déroge aux articles 34 et 72 de la Constitution ?
Aussi, je vous demande, mes chers collègues, de voter la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, le Gouvernement s'en était remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, sans pour autant méconnaître l'intérêt d'une disposition qui va tout de même moins loin que ce qu'a dit M. Bret, il faut le reconnaître.
En effet, gardons-nous des excès. Il s'agit de permettre, pendant trois ans, tous les douze ans, une procédure d'extension, selon les règles de la majorité qualifiée, avec un pouvoir de proposition du préfet.
C'est aussi le souci de l'intérêt général que de bâtir des communautés d'agglomération qui correspondent à des périmètres pertinents.
Je ne veux pas ici défendre une proposition qui n'était pas celle du Gouvernement. Comme à l'Assemblée nationale donc, je m'en remettrai à la sagesse de l'assemblée.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 25, 239 rectifié et 350.
M. Jean Pépin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pépin.
M. Jean Pépin. La réflexion que provoque cet article introduit par l'Assemblée nationale doit aller au coeur des sénateurs, qui sont les représentants des collectivités locales.
Il est en effet nécessaire, tout d'abord, d'estimer que les collectivités locales sont majeures, qu'elles doivent être respectées et qu'on doit leur faire confiance, dans la droite ligne des lois de décentralisation.
Il est impératif, ensuite, d'affirmer que les bons textes de loi sont ceux dans lesquels se rencontrent la vision centrale de l'Etat, représentée par le ministre de l'intérieur, et la vision qui émane du pays, représentée par les sénateurs.
Un bon texte doit faire la synthèse de ces deux visions, dans l'intérêt général de la nation. C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, pour tout ce qui concerne un périmètre défini et comportant des enclaves vides, je comprends la position affirmée de l'Etat en faveur de l'homogénéité d'un territoire qui devra assumer une mission de gestion.
En revanche, s'agissant des communes situées aux franges et qui pourraient être l'objet d'un élargissement qu'elles ne souhaiteraient pas, il faut s'en remettre à la libre détermination des collectivités locales, se fier à leur sens des responsabilités.
Aussi voterai-je pour la suppression de l'article 1er bis introduit par l'Assemblée nationale.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je serai bref, puisque j'ai longuement évoqué cette disposition dans la discussion générale.
Deux politiques s'opposent, celle de l'Assemblée nationale et celle du Sénat.
L'Assemblée nationale soutient une politique de contrainte ; le Sénat, lui, défend une politique de libre adhésion qui est, me semble-t-il, la seule bonne politique possible.
Monsieur le ministre, au moment où tous les élus intercommunaux, ou, tout au moins, une majorité d'entre eux, se convertissent à l'intercommunalité, ce n'est pas le moment de casser la dynamique par la mise en place d'une politique contraignante.
C'est le type même de la fausse bonne idée, parce qu'en croyant corriger la carte de l'intercommunalité et la rendre plus cohérente, nous savons bien que nous allons bloquer le fonctionnement de nombreux EPCI.
Comment imaginer en effet que les responsables de collectivités territoriales regroupées de force puissent concevoir et faire aboutir des projets de territoires communs ? Selon moi, c'est impossible.
Je voudrais donc poser deux questions à M. le ministre.
S'il y a une première correction de la carte de l'intercommunalité par absorption d'une commune dans les trois ans, la communauté d'agglomération pourra-t-elle procéder à une nouvelle correction ? Si la commune a « joué son ticket », est-ce terminé ?
Par ailleurs, ce délai de douze ans est-t-il complètement innocent au vu de la période d'unification des taux ? Il est des coïncidences comme celles-ci dont je ne peux imaginer qu'elles soient complètement innocentes. J'aurais voulu que M. le ministre nous apporte des précisions sur les intentions des auteurs de l'amendement adopté à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je n'espère convaincre personne, puisque tout le monde semble déjà convaincu.
J'indique simplement que le groupe socialiste du Sénat est, lui aussi, très attentif au respect des libertés communales. Il accepte aujourd'hui, après discussion, de contraindre les communes lorsqu'il s'agit de supprimer des enclaves à l'intérieur du périmètre d'une intercommunalité parce qu'il s'agit ici d'un débat sur la liberté des collectivités, d'une part, et la nécessaire solidarité, d'autre part, et nous pensons que, dans ce cas, la solidarité doit l'emporter. Mais il nous semble tout à fait insupportable d'obliger les communes situées à la périphérie du périmètre à subir l'extension de celui-ci. Nous pensons aussi que cela risquerait, au bout du compte, d'entraîner des effets contraires au résultat recherché.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 25, 239 rectifié et 350, pour lesquels le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er bis est supprimé.

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