Séance du 1er avril 1999






RENFORCEMENT ET SIMPLIFICATION
DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 220, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. [Rapport n° 281 (1998-1999) et avis n° 283 (1998-1999)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale vient devant le Parlement, après une longue phase de préparation et de concertation à laquelle certains d'entre vous ont été associés.
Avant même d'être adopté par le conseil des ministres du 28 octobre 1998, un avant-projet a été présenté au comité des finances locales ainsi qu'aux associations d'élus locaux et il a fait l'objet d'une longue concertation au milieu de l'année dernière.
Ce projet de loi est un texte d'apparence modeste, mais qui comprend des dispositions pratiques, porteuses d'effets importants à moyen et long terme. C'est, en effet, une nouvelle étape de la décentralisation visant à mobiliser des moyens accrus au niveau de décision le plus pertinent, afin d'assurer le développement du territoire et de réduire les inégalités sociales, tout en respectant, bien entendu, la libre décision des communes et les rythmes adaptés à chaque situation locale.
Je souhaite que nous ayons, comme à l'Assemblée nationale, un débat de fond sur l'intercommunalité, afin d'aboutir à un texte qui connaisse un vrais succès dans son application, sur l'initiative des élus, car c'est de cela qu'il s'agit.
La forte identité de l'institution communale n'a pas empêché la création de nombreuses structures de coopération à fiscalité propre depuis 1992, sur la base de la loi du 6 février 1992 d'orientation pour l'administration territoriale de la République. On compte ainsi, au 1er janvier 1999, 1 679 établissements publics à fiscalité propre, regroupant près de 34,5 millions d'habitants et 18 876 communes, soit la moitié des communes de France.
Cette relance de la solidarité entre les communes est venue heureusement compléter la coopération syndicale, laquelle remonte à la loi du 22 mars 1890 qui a institué le syndicat intercommunal à vocation unique. Nos communes, qui puisent leur permanence dans l'histoire, ont su depuis longtemps se regrouper, d'abord pour gérer des services spécialisés, ensuite, et de plus en plus, pour orienter le développement local.
Ce succès masque toutefois des déséquilibres. Des régions entières, et surtout les villes, sont restées à l'écart du mouvement. La répartition géographique est encore inégale. On relève depuis deux ans un fléchissement de la progression du nombre d'établissements publics de coopération intercommunale créés : 131 créations en 1997 et 103 en 1998, contre 211 en 1996, et davantage encore les années précédentes. Il est vrai que le mouvement a naturellement tendance à s'amortir. L'intercommunalité dans la période récente a surtout profité aux petites unités et au milieu rural. Aux districts et aux communautés urbaines ne sont venues s'ajouter que cinq communautés de villes et le partage de la richesse, à travers la taxe professionnelle unique, n'a pas rencontré le succès espéré, il faut bien le dire.
Les moyens institutionnels et financiers de l'intercommunalité paraissent aujourd'hui insuffisants, il convient de le reconnaître.
Alors même que les charges financières des agglomérations s'accroissent, celles-ci éprouvent les plus grandes difficultés à développer les ressources. Les disparités de taux de taxe professionnelle au sein d'une même agglomération et les inégalités cumulatives que cette situation génère accentuent les déséquilibres existants. Ces inégalités témoignent de l'absence de solidarité au sein de territoires qui devraient au contraire avoir pour objectif de rechercher et d'organiser leurs complémentarités.
Sur le plan institutionnel, on ne peut pas non plus considérer que le fait urbain bénéficie d'une reconnaissance satisfaisante. Au côté des syndicats, les formules de coopération à fiscalité propre prennent ainsi souvent en charge la gestion de services d'intérêt communautaire soit du fait de la volonté du législateur - c'est le cas de certaines communautés urbaines et des syndicats d'agglomération nouvelle - soit en raison de la volonté des communes qui les composent.
La distinction entre la coopération urbaine et rurale s'est perdue au fil du temps. La communauté de communes, qui est la formule de coopération intercommunale à fiscalité propre la plus souple, est certes utilisée, surtout en milieu rural, mais elle l'est aussi en milieu urbain. Je pense à la ville de Marseille et aux communes périphériques.
De même, il existe des districts en milieu rural. La communauté de villes, dotée de compétences plus intégrées et d'outils fiscaux plus puissants, reste une formule exceptionnelle. Cela doit nous faire réfléchir, mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu'il est évident que les formules trop étudiées, trop encadrées ne connaissent que rarement le succès. Les élus locaux entendent avoir leur mot à dire sur les formes d'organisation de la coopération intercommunale.
La communauté urbaine, formule très intégrée sur le plan des compétences, est peu à peu détournée de sa vocation initiale du fait d'une dotation globale de fonctionnement très incitative et d'un seuil démographique de création trop bas.
Partant de ces constats, le projet de loi poursuit quatre objectifs : développer l'intercommunalité en milieu urbain tout en la consolidant en milieu rural ; promouvoir la taxe professionnelle unique ; simplifier les outils mis à la disposition des élus locaux ; renforcer la démocratie des structures intercommunales.
Le premier objectif est à la fois de repenser notre organisation urbaine et de sauvergarder nos communes rurales.
Le projet de loi vise à rendre plus cohérente la situation confuse que je décrivais. Le Gouvernement vous propose une architecture de l'intercommunalité simplifiée autour de trois grandes formes, alors qu'il en existe huit actuellement, avec des communautés urbaines pour les agglomérations de plus de 500 000 habitants, des communautés d'agglomération pour les agglomérations de plus de 50 000 habitants et des communautés de communes.
Le fait urbain - et sa traduction, l'agglomération - est devenu aujourd'hui un trait dominant de la société française. Jusqu'en 1931, la majorité de notre population vivait encore dans les communes rurales de moins de 2 000 habitants. A l'heure actuelle, les trois quarts des Français vivent dans des aires urbaines. La crise sociale, le chômage, l'insécurité, les déséquilibres économiques et les fractures sociales, culturelles et scolaires se concentrent, il faut bien le dire, dans les agglomérations. Certains quartiers se sont ainsi transformés, au fil des ans, en quasi-ghettos où la montée des communautarismes bat en brèche l'expression des valeurs républicaines.
Ainsi s'édifie sous nos yeux un modèle de société inégalitaire qui est aux antipodes de ces valeurs. La ségrégation spatiale redouble la ségrégation sociale, et c'est le projet de citoyenneté, censé fonder notre République, qui, de plus en plus, est menacé de tourner à vide.
Il faut donc se donner tous les moyens de lutter sur le long terme contre l' apartheid social, et, puisque celui-ci revêt de plus en plus la forme d'un apartheid spatial, il faut repenser notre organisation urbaine, afin de défendre à l'échelon pertinent le modèle de citoyenneté auquel nous sommes attachés.
A la réalité physique des agglomérations, de leurs villes-centres, de leurs communes périphériques, de leurs cités agrégées au fil de la croissance urbaine, ne correspond plus aujourd'hui, il faut bien le dire, aucune entité politique et juridique capable de prendre les décisions qui engagent le long terme : nouvelle répartition de l'habitat, remodelage des banlieues, dédensification de certains quartiers par la destruction des barres et des tours, reconstitution du tissu urbain, politiques ciblées de formation et d'emploi, plans de circulation et de transports publics. L'agglomération est, de toute évidence, le niveau le plus pertinent pour la définition et la mise en oeuvre d'une politique de la ville efficace sur le long terme.
Le projet de loi vise à forger l'outil nécessaire.
Il s'agit de structurer les agglomérations comptant plus de 50 000 habitants autour d'une ville-centre de 15 000 habitants au moins, pour créer une nouvelle sorte d'établissements publics : la communauté d'agglomération, dotée obligatoirement d'une taxe professionnelle unique.
Pour créer ces nouveaux espaces de solidarité, il faut, bien sûr, fixer des compétences et des périmètres. A un noyau dur de compétences - développement économique et aménagement de l'espace, habitat, politique de la ville, organisation des transports - pourront s'ajouter au moins trois autres : assainissement et qualité de l'eau, collecte et traitement des déchets, gestion d'équipements collectifs.
Quant au périmètre, il est assez logique de le faire coïncider avec celui de l'aire urbaine au sens de l'INSEE, soit un espace comptant au moins 5 000 emplois et où au moins 40 % de la population résidente a un emploi. Les seuils ont été fixés pour déterminer cent quarante et une aires urbaines qui concentrent 75 % de la taxe professionnelle et 70 % de la taxe d'habitation. Mais la loi n'imposera pas cette notion d'aire urbaine et il appartiendra aux élus et au préfet de discuter les périmètres pertinents.
La création des communautés d'agglomération va de pair avec le relèvement du seuil de création des communautés urbaines, désormais fixé à 500 000 habitants au lieu de 20 000 ; comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, c'est le bon sens même.
Il ne convient cependant pas d'opposer le rural et l'urbain.
L'un et l'autre ont leurs problèmes, qui requièrent des traitements adaptés, des solutions spécifiques. Si les fractures au sein des agglomérations doivent être prises en compte, car il en va de la cohésion sociale de notre pays, je n'en suis pas moins attentif aux espaces ruraux. Ils doivent être structurés autour d'un bourg-centre ou d'une petite ville. Il leur faut trouver la bonne taille pour être capable d'investir : dans le domaine des services de base aux habitants, ainsi en matière d'eau, d'assainissement, de déchets ; dans celui du développement économique et du soutien à la création d'emplois ou encore en matière d'aménagement de l'espace.
Il s'agit aussi de mettre en commun des moyens de fonctionnement que n'ont pas les communes de très petite taille. Les sénateurs sont bien placés pour le savoir. Les maires dépourvus de moyens doivent pouvoir trouver un appui auprès des bourgs et des petites villes pour résoudre leurs problèmes, de plus en plus complexes, dont provient une partie du malaise que ressentent certains d'entre eux.
J'en suis persuadé : l'intercommunalité constitue le seul avenir de nos communes rurales. Pour ma part, je suis très attaché au devenir de ces dernières, car je sais que l'une de nos forces par rapport à nos voisins européens est justement l'étendue de son territoire.
La recomposition de l'intercommunalité urbaine permet ainsi à la communautés de communes de retrouver sa vocation initiale.
Elle redevient, comme cela était prévu en 1992, la structure institutionnelle tournée d'abord vers le milieu rural et adaptée à une intercommunalité de petite taille.
Elle s'affirme ensuite comme la structure intercommunale de référence pour les communes qui souhaitent organiser leur coopération avec prudence et progressivité. Elle sera ainsi la structure d'accueil des districts et des communautés de villes qui ne pourront ou ne voudront devenir une communauté d'agglomération.
Et vous savez que le financement de la dotation globale de fonctionnement des communautés d'agglomération se fera à part, sur des ressources nouvelles et non sur la base actuelle de la DGF, notamment celle qui est réservée aux commuautés de communes.
C'est en cela, et j'y insiste parce que ce n'est pas toujours bien compris, que le projet de loi concourt à une logique de développement et d'aménagement du territoire qui ne se fait pas au détriment du monde rural, qui n'oppose pas l'urbain et le rural car il distingue les sources de financement et il permet le développement harmonieux de l'intercommunalité, aussi bien dans le milieu rural que dans le milieu urbain.
J'en viens au deuxième objectif : il s'agit d'encourager la taxe professionnelle unique, la TPU. C'est un objectif de bon sens et je suis persuadé que je n'aurai pas besoin de faire un gros effort pour vous convaincre.
En effet, il n'y a pas de solidarité territoriale sans mutualisation des ressources.
La loi doit offrir les moyens de lutter contre un certain campanilisme, c'est-à-dire contre le repli sur elles-mêmes des communes riches ou qui, simplement, se croient favorisées, à tort ou à raison, et souvent à tort, bref contre le refus des règles de solidarité qui, seules, peuvent permettre une vie démocratique et civilisée.
Je sais qu'il faut convaincre les citoyens, et d'abord les élus, que la mise en commun des resources et, à terme, une certaine mixité sociale, comportent beaucoup moins d'inconvénients que le développement de la ségrégation urbaine, qui est la mère de toutes les violences. Nous pouvons faire progresser cet objectif en faisant appel au bon sens, à l'esprit républicain, au souci de l'intérêt général.
C'est pourquoi les communautés d'agglomération comme les nouvelles communautés urbaines doivent obligatoirement bâtir leur projet commun à partir de la taxe professionnelle unique d'agglomération. Par amendement, l'Assemblée nationale en a fait le régime fiscal de plein droit pour tous les groupements de plus de 500 000 habitants : communautés urbaines et districts existants ainsi que communautés de communes existantes ou à venir.
Les agglomérations sont en effet plus particulièrement confrontées au problème de la grande dispersion des taux entre communes. Je vous le disais à l'instant : la taxe professionnelle unique reste trop peu répandue, puisque seuls cent groupements l'ont adoptée, ce qui équivaut à près de 7 % du produit total de taxe professionnelle. C'est peu. La réforme de la taxe professionnelle adoptée en loi de finances n'a en rien réglé ce sujet. En matière de développement économique et d'aménagement du territoire, le partage volontaire de la taxe professionnelle sera plus efficace que sa nationalisation, qui avait été prônée en 1995 par le Conseil national des impôts.
L'unification de la taxe professionnelle doit être progressive, et s'effectuer sur douze ans, c'est-à-dire la durée de deux mandats, si les conseils municipaux le décident.
Pour réussir le passage à la taxe professionnelle unique, il est indispensable de garantir la sécurité budgétaire des communautés d'agglomération et des communautés urbaines nouvelles.
Comment y parvenir ? Le choix s'est porté sur un mécanisme de fiscalité additionnelle qualifié de « fiscalité mixte », qui figurait déjà dans le projet préparé par M. Perben en 1997, dont celui que je vous propose reprend une grande partie des orientations.
Contre l'avis du Gouvernement, l'Assemblée nationale a levé l'encadrement qui visait à limiter cette possibilité aux cas de déséquilibres budgétaires liés à des pertes de taxe professionnelle. Les députés ont fait valoir que le développement des services collectifs et la gestion d'équipements confiés aux communautés urbaines et aux communautés d'agglomération concernaient toute la population.
Le projet vise également à permettre une déliaison des taux entre la taxe professionnelle et les « impôts ménages ». Ces derniers doivent en effet pouvoir diminuer, là où ils sont très élevés, sans que le groupement perde des ressources de taxe professionnelle, comme on a pu le constater ces dernières années. Il serait en effet paradoxal que le transfert de certaines charges communales ne puisse pas, si l'occasion se présente, se traduire par une moindre pression fiscale sur les ménages.
L'Assemblée nationale, contre l'avis du Gouvernement, a étendu ces nouvelles libertés fiscales aux communautés de communes adoptant la taxe professionnelle unique. Nous aurons à en débattre.
Enfin, la péréquation volontaire des charges et des ressources sera sans doute plus difficile à réaliser en Ile-de-France, notamment dans la partie la plus densément peuplée de l'aglomération, même si des projets y ont déjà vu le jour. C'est pourquoi il est prévu de renforcer le mécanisme du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, qui organise un prélèvement sur les recettes des communes les plus riches en taxe professionnelle et une redistribution aux communes à faible potentiel fiscal et aux charges, notamment sociales, élevées.
Il reste que ces deux mesures fiscales ne sauraient être suffisantes sans qu'une DGF fortement incitative complète l'effort des communes.
Les communautés d'agglomération qui seront créées d'ici au 1er janvier 2005 bénéficieront d'une dotaton globale de fonctionnement fixée à 250 francs par habitant, soit plus du double de celle qui est accordée aujourd'hui aux communautés de villes. L'objectif du projet de loi s'inscrit dans la durée : à horizon de cinq ans, il s'agit d'atteindre 40 % de la cible potentielle, soit une bonne cinquantaine de communautés d'agglomération, sans que soit remis en cause par ailleurs le financement des créations de groupements issus de la loi de 1992. Le coût de la réforme créant les communautés d'agglomération est estimé à 2,5 milliards de francs sur cinq ans, soit 500 millions de francs par an en moyenne. C'est là le financement spécifique dont je vous parlais tout à l'heure.
Le projet de loi prévoit que ce financement est assuré par un prélèvement sur les recettes de l'Etat et non à partir de l'enveloppe de dotation globale de fonctionnement. Ainsi le partage entre la DGF réservée auc communautés de communes et celle qui est réservée aux dotations de solidarité allouées aux communes - DSU et DSR - sera-t-il plus facile. Ainsi, surtout, l'intercommunalité en milieu rural pourra-t-elle être encore mieux soutenue, le comité des finances locales pouvant faire progresser la dotation moyenne.
Je sais que vous souhaitez une réduction plus importante des écarts. Votre volonté n'est pas passé inaperçue lorsque j'ai eu l'occasion d'exposer le projet devant vos commissions.
Vous le savez, le Gouvernement a accepté de relever à 150 francs par habitant la DGF attribuée aux communautés de communes d'au moins 3 500 habitants qui, sans atteindre le seuil des 50 000 habitants, ont néanmoins la taille et les compétences pour fournir les services nécessaires à notre temps et ont adopté la taxe professionnelle. Ne pas exiger de telles compétences serait en effet favoriser une intercommunalité d'aubaine. Nous devons au contraire promouvoir des structures viables et suffisamment intégrées pour permettre un réel aménagement du territoire et des politiques efficaces pour lutter contre la désertification du tissu rural.
A cet égard, le plancher de 3 500 habitants répond à une forte logique si nous voulons atteindre cet objectif.
S'agissant du montant de la dotation, aller beaucoup plus loin que 150 francs - et je me tourne particulièrement vers MM. les rapporteurs - pourrait menacer les équilibres de la répartition de la DGF que j'évoquais et compromettre notamment la progression de la dotation de solidarité rurale. Je leur demande d'y réfléchir.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Avec M. Hoeffel, nous sommes l'équilibre même !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je connais, monsieur le rapporteur pour avis, votre souci de l'équilibre et donc votre capacité à mettre le curseur au bon endroit ; je vous fais confiance.
Le troisième objectif du projet de loi, c'est la simplification des outils mis à disposition des élus locaux.
C'est un projet qui améliore la décentralisation par le nombre de dispositions tendant à simplifier et à rationaliser les règles d'organisation et de fonctionnement des groupements. Nombreuses sont celles qui avaient été préparées par M. Perben en 1997 et que le Gouvernement a bien volontiers reprises, tant elles allaient dans le bon sens.
Il s'agit de rendre les règles de l'intercommunalité plus lisibles pour les élus et pour les citoyens. D'abord, il convenait de simplifier le code général des collectivités locales, dont 71 articles sont supprimés. Ensuite, il fallait harmoniser les règles de création et de dissolution, celles des majorités qualifiées et celles qui portent sur la désignation des délégués, leur statut et la durée de leurs mandats. Ces règles seront, le plus souvent possible, communes aux trois formes d'intercommunalité. Ce sera une simplification considérable.
Je l'ai déjà dit, ce projet de loi réduit le nombre de catégories juridiques à fiscalité propre à trois grandes formes : les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines. Grâce à des amendements adoptés à l'Assemblée nationale, les SAN, syndicats d'agglomérations nouvelles, pourront en effet être aisément transformés en communautés d'agglomération, aujourd'hui ou à l'achèvement de leur mission.
Enfin, diverses dispositions encouragent à limiter les superpositions de périmètres et de compétences entre les syndicats et les groupements à fiscalité propre, source de complexité et, parfois, d'opacité pour les citoyens.
Le quatrième objectif du projet de loi, c'est le renforcement de la démocratie et de la transparence dans le fonctionnement des structures intercommunales.
La plupart d'entre vous sont, comme moi, très attachés aux libertés communales et à ce que la coopération soit librement décidée.
Si le projet est volontariste, il repose aussi sur le volontariat et sur le contrôle démocratique. Il est en cela très respectueux des principes de la décentralisation.
La création autoritaire de communautés d'agglomération me semblerait remettre en cause les principes d'une décentralisation qui implique la responsabilité.
Le projet de loi prévoit seulement la possibilité pour le préfet de proposer des périmètres cohérents et d'être l'initiateur de projets de regroupements. Mais ces derniers resteront décidés par les conseils municipaux, selon les règles de majorité qualifiée déjà instituées en 1992.
M. Jean-Pierre Plancarde. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Chacun a compris que l'élection au suffrage universel des délégués communautaires n'était pas à l'ordre du jour.
Ce serait mettre la charrue devant les boeufs et ériger les établissements publics de coopération en collectivités territoriales avant même qu'une véritable communauté d'intérêts soit réalisée. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, et je le répète ici même au Sénat : le mieux est souvent l'ennemi du bien. Ce serait se donner une contrainte qui risquerait de rebuter le volontariat et de porter ainsi préjudice à l'ensemble du projet.
L'Assemblée nationale a souhaité que, pour les seules communautés urbaines, les conseillers communautaires soient distingués parmi les candidats aux conseils municipaux lors des élections municipales. Il est vrai que les communautés urbaines, structures très intégrées et dotées d'une forte identité, se prêtent mieux à cette transparence. En aucune façon cette disposition ne menace l'existence des communes, qu'il convient au contraire de préserver.
Pour les autres catégories, tâchons plutôt d'introduire davantage de démocratie et de transparence.
Ainsi, il est prévu de ne déléguer dans les structures intercommunales que les conseillers municipaux. Cette exigence pourrait d'ailleurs être étendue, si le Parlement le souhaitait, aux syndicats intercommunaux. Vous admettrez que la gestion et le coût des compétences exercées par ces syndicats, considérables en matière d'assainissement, d'eau, de déchets ou de transports, ne connaissent pas toujours, aujourd'hui, le contrôle démocratique nécessaire.
Le texte prévoit d'autres mesures permettant un fonctionnement plus transparent des structures intercommunales et un renforcement de la participation et de l'information des habitants, par la création de comités consultatifs et par l'organisation systématique de débats. Je suis prêt à examiner avec vous tout ce qui pourrait encore développer la démocratie locale.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les dispositions que le Gouvernement soumet à la représentation nationale.
C'est une réforme d'ampleur de la coopération intercommunale qui, je pense, peut rassembler une large majorité au Parlement, avant d'être appliquée, dans les villes et les campagnes, par les élus de toutes les rives républicaines.
Je sais que, grâce à la grande expérience de ces sujets qu'ont vos rapporteurs, MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, le Sénat saura apporter à ce texte toute l'autorité dont il sait faire preuve en matière de décentralisation.
L'intercommunalité disposera désormais de formules mieux ciblées et mieux adaptées au développement local et à la diversité des territoires. Les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines correspondent, en effet, à des niveaux d'intégration et de compétences qui tiennent compte des particularités économiques, humaines, spatiales et physiques de notre pays.
Cette réforme est inspirée du double souci de faire vivre la démocratie locale et de redonner du souffle à la décentralisation, laquelle, vous le comprenez aisément, doit répondre aux besoins de notre temps pour trouver toute sa légitimité.
C'est donc un grand acte de confiance, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous accomplissons à l'égard des élus locaux à travers ce projet de loi et un grand acte de foi dans les vertus de la décentralisation. J'espère que vous saurez le reconnaître. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur le projet de loi relatif à l'intercommunalité a lieu à un moment où, dans le pays, des voix s'élèvent pour évoquer la nécessité de rationaliser les structures territoriales françaises, à commencer par l'échelon communal. Ce débat a lieu aussi à un moment où il faut constater qu'il existe en Europe, s'agissant des collectivités territoriales, une spécificité française qui est caractérisée par une très grande diversité et par un émiettement communal.
Concilier la recherche d'une plus grande efficacité dans la gestion des collectivités locales avec le respect de cette exception française sur ce plan aussi, tel est le but recherché par cette nouvelle et nécessaire étape.
Je ne reviendrai pas sur l'historique ; la lecture du rapport écrit de la commission des lois pourra utilement compléter votre information à cet égard. Je mentionnerai simplement six caractéristiques du présent projet de loi, qu'il est nécessaire de connaître avant d'aborder le débat de fond.
Premièrement, toutes les initiatives gouvernementales qui ont été prises au cours des dernières décennies ont été orientées essentiellement vers l'intercommunalité et non vers les fusions, à une exception près bien connue : celle de la loi de 1971.
Deuxièmement, le libre choix a toujours été privilégié par rapport à la contrainte, sauf dans la loi de 1966 relative à la création des premières communautés urbaines.
Troisièmement, la stimulation financière a été un facteur d'incitation fort, mais l'expérience montre que la solidité des structures intercommunales dépend d'abord de la capacité de fédérer les communes autour d'un projet.
Quatrièmement, le développement intercommunal à la carte a abouti à une superposition de structures et à une complexité de la nouvelle carte intercommunale. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il existe huit catégories différentes de structures.
Cinquièmement, malgré cette complexité, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ont connu un réel développement dans notre pays, en particulier depuis six ans, puisque, aujourd'hui, ils regroupent environ 19 000 communes et 33 millions d'habitants.
Enfin, sixièmement, le succès de l'intercommunalité a été, peut-être paradoxalement, plus réel dans les zones rurales que dans beaucoup de zones urbaines, alors que la nécessité d'une coopération intercommunale se révèle aussi grande en milieu urbain qu'en milieu rural.
Aujourd'hui, sur cet arrière-plan, il est nécessaire d'essayer de simplifier, de rationaliser, d'accentuer la solidarité, de privilégier l'intercommunalité de projet par rapport à l'intercommunalité circonstancielle,...
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... mais - et ce sera important tout au long de ce débat - en dégageant les moyens financiers en fonction de toutes ces caractéristiques.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement a déposé son projet de loi. C'est dans cet esprit également que la commission des lois, à travers un groupe de travail présidé par notre collègue M. Delevoye, a formulé, en 1996 et en 1997, un certain nombre de propositions en liaison étroite avec le ministre de l'époque, M. Dominique Perben.
De ce groupe de travail ont été dégagées trois grandes propositions. Elles visent à réduire le nombre des structures, à créer un tronc commun de règles applicables à toutes les structures dans le code général des collectivités territoriales et, enfin, à favoriser l'intercommunalité de projet.
C'est dans ce cadre que s'inscrit votre projet de loi, monsieur le ministre, projet à propos duquel j'évoquerai rapidement six caractéristiques majeures.
La première concerne la structuration de l'intercommunalité.
Les districts et les communautés de villes sont appelés à disparaître. Sont créés trois niveaux de communautés : les communautés de communes, qui ont vocation à constituer prioritairement des regroupements de moins de 50 000 habitants, les communautés d'agglomération avec plus de 50 000 habitants et les communautés urbaines nouvelles à partir de 500 000 habitants. Les syndicats intercommunaux à vocation multiple, SIVOM, et les syndicats intercommunaux à vocation unique, SIVU, sont maintenus, car ils peuvent être considérés souvent comme étant un stade de préparation à l'esprit intercommunal et, parfois aussi, comme étant susceptibles d'apporter une réponse concrète et efficace à des problèmes spécifiques.
A ce propos, on peut se poser une question : était-il nécessaire de prévoir trois catégories de communautés dans ce texte ? Deux n'auraient-elles pas été suffisantes ? Je pense aux communautés de communes et, pour les formules plus élaborées, aux communautés urbaines. Des raisons d'ordre financier n'ont probablement pas été totalement étrangères à ce choix !
M. Jacques Peyrat. C'est bien évident !
M. Louis Souvet. Quel euphémisme !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Compte tenu des contraintes budgétaires qui n'épargnent aucun gouvernement, un minimum de compréhension s'avère nécessaire.
Dans cet ensemble structurel, la grande novation est représentée par les communautés d'agglomération. Le seuil minimal est fixé à 50 000 habitants, à condition que la ville-centre compte 15 000 habitants et plus. La commission des lois propose un assouplissement à cette règle.
Par ailleurs, les communautés d'agglomération doivent être d'un seul tenant et homogènes. Encore faut-il, sur ce plan aussi, tenir compte de la réalité du terrain, qui est diverse d'une région et d'une zone géographique à une autre.
La deuxième caractéristique est le grand problème de l'option entre volontariat, libre choix ou contrainte. Il s'agit d'un véritable débat de fond,...
M. Jacques Peyrat. Oui !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... que nous aurons probablement à engager au cours de cette discussion.
Ce qui est prévu pour les trois catégories de communautés, c'est que le préfet ait un pouvoir d'initiative dans la création, outre son pouvoir d'appréciation sur le périmètre ; ce qui est aussi prévu, c'est que la solidarité ne soit pas mise en échec par l'existence d'un certain nombre d'enclaves à l'intérieur d'un périmètre. La commission des lois formule trois observations à ce propos.
D'abord, elle dit « oui » au pouvoir d'initiative du préfet, mais elle demande qu'il y ait un avis obligatoire de la commission départementale de coopération intercommunale, qui, à ce propos, pourrait sans dommage subir une cure de jouvence et à qui l'on pourrait donner une impulsion nouvelle pour qu'elle joue effectivement le rôle correspondant à l'esprit dans lequel elle a été créée.
Ensuite, si la commission des lois est favorable à l'absence d'enclave à l'intérieur d'un périmètre, elle est cependant opposée à l'extension du périmètre sans accord exprès des communes concernées. Cela pourrait éviter un certain nombre d'extensions de circonstance, sans que je me sente obligé de donner à ce terme la définition que chacun pourra formuler lui-même.
Enfin, la commission des lois estime que l'adhésion à un établissement public de coopération intercommunale doit non pas se faire par défaut, c'est-à-dire en l'absence d'une réponse, mais faire l'objet d'un acte de volonté. Une absence de réponse n'est pas suffisante pour donner l'élan et le contenu à un groupement intercommunal.
La troisième caractéristique est le problème important des compétences.
Il est prévu dans le projet de loi quatre compétences obligatoires et deux compétences optionnelles au départ pour les communautés d'agglomération. L'objectif est incontestablement judicieux.
Mais la commission se demande si six compétences dès le départ ne représentent pas un dispositif trop lourd et si cela ne risque pas d'être dissuasif pour la création d'un certain nombre de structures intercommunales.
Elle propose donc, sans remettre en cause l'objectif de ces compétences, qu'il puisse y avoir une dévolution progressive des compétences pendant la période d'unification des taux de la taxe professionnelle.
L'objectif visé est le même, monsieur le ministre, mais la voie nous paraît plus sûre pour permettre à un maximum de vocations intercommunales de se dégager dès le départ.
La commission estime, en outre, qu'un certain nombre de compétences mériteraient d'être revues en fonction des expériences qui ont été réalisées sur le terrain.
Ainsi, pour ce qui concerne les ordures ménagères, elle opère une distinction entre la collecte, d'une part, et le traitement, d'autre part, les périmètres retenus pour ces deux actions ne coïncidant pas, bien souvent.
Elle estime également qu'en matière d'eau et d'assainissement il existe, à l'échelon départemental, un certain nombre de syndicats qui fonctionnent bien, ...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... qui répondent à ce que l'on attend et qui mériteraient d'être préservés.
La commission, par ailleurs, n'a pas très bien compris ce que signifiait la « compétence énergétique », et elle propose, à cet égard, d'alléger la liste des compétences proposées.
M. Dominique Braye. Qui l'a compris ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Enfin, en ce qui concerne la politique de la ville et l'action sociale, il nous paraît souhaitable de favoriser une bonne harmonisation des compétences avec l'échelon départemental, la clarification des compétences étant pour vous, monsieur le ministre, comme pour le Sénat, un objectif permanent.
La quatrième caractéristique touche à la démocratie et à la transparence.
Il est évidemment nécessaire d'améliorer au maximum l'information : l'information entre les structures intercommunales et les conseils municipaux, mais aussi l'information entre les EPCI et la population.
Nous sommes également favorables au fait que, désormais, le choix des délégués intercommunaux se limitera aux seuls conseillers municipaux élus. C'est un élément de légitimité auquel il faut adhérer, mais là se pose le problème que vous avez soulevé, monsieur le ministre, sur l'élection ou non des délégués intercommunaux au suffrage universel.
A titre personnel, je suis persuadé que ce sera probablement une évolution réaliste pour l'avenir mais, dans l'immédiat - nous sommes totalement d'accord avec votre vision des choses - il y a un risque de rivalité entre une structure communale élue au suffrage universel et une structure intercommunale élue au suffrage universel, ...
M. Louis Souvet. Ce sera pareil dans le futur !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... ce qui serait une entrave et un obstacle au développement de l'intercommunalité.
L'Assemblée nationale a fait, à propos des communautés urbaines, une proposition consistant à prédésigner, sur la liste des conseillers municipaux, les personnes qui siégeraient au conseil de la communauté urbaine.
C'est une proposition ingénieuse, mais les applications pratiques s'avéreront excessivement difficiles sauf si, au cours du débat, une réponse peut être apportée quant à la mise en oeuvre de cette mesure. A défaut, la commission des lois propose d'en revenir au projet de loi initial.
La cinquième caractéristique concerne les finances. Je serai bref sur ce point puisque c'est notre collègue M. Michel Mercier qui l'abordera, mais la commission des lois se devait d'évoquer le sujet.
Deux incitations sont prévues : l'une fiscale, par l'intermédiaire de la taxe professionnelle unique, assortie d'une fiscalité additionnelle et d'une déliaison des taux, l'autre financière, par le biais des dotations globales de fonctionnement soumises à trois niveaux chiffrés différents selon la nature des communautés prévues.
A ce propos, la commission estime souhaitable que l'écart de montant de la DGF entre les communautés de communes et les communautés d'agglomération soit resserré. En effet, un écart trop grand risquerait de donner le sentiment que nous voulons traiter de façon trop différente l'intercommunalité en milieu rural et les autres intercommunalités en sachant, en particulier, que les communautés d'agglomération doivent créer une symbiose entre la ville centre et les zones rurales environnantes. Tout ce qui ira dans le sens d'une réduction de cet écart, si cela se situe dans des proportions raisonnables - et qui pourrait prétendre que la commission des finances ne l'est pas ? - ira dans le bon sens.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Nous nous interrogeons aussi sur l'avenir de la DGF intercommunale dans l'ensemble de la DGF. Nous nous posons également la question de l'avenir de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, DCTP, qui joue le rôle de variable d'ajustement depuis des années. Je ne suis pas certain que l'abondement actuellement prévu par le projet de loi pour financer la réforme soit de nature à préserver les missions qui doivent incomber depuis l'origine à la DCTP.
A propos des finances, je livrerai une dernière observation d'ordre général. Nous ne sous-estimons pas les contraintes budgétaires, monsieur le ministre. Il faut avoir conscience du fait que tout élargissement du financement par de multiples assouplissements de seuils rendrait impossible le respect d'autres engagements financiers dans le cadre du même texte.
Puisse ce texte, y compris dans les amendements qui lui seront apportés, faire en sorte que toutes les missions incombant à la DGF soient respectées.
Comment ne pas évoquer en cet instant les craintes qui peuvent naître dans les milieux économiques quant à une superposition de fiscalité locale.
A cela, je répondrai que les élus locaux ont montré leur sens des responsabilités et que nous sommes certains que leur sens du devoir saura éviter que la fiscalité locale ne constitue une entrave au développement économique.
Enfin, je terminerai mon intervention en évoquant la simplification en général.
La simplification est un objectif...
M. Christian Bonnet. Jamais atteint ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. C'est un objectif jamais atteint, et ce depuis longtemps ! (Nouveaux sourires.)
La simplification figure dans l'intitulé du projet de loi ; c'est une aspiration généralement éprouvée.
Puissent les textes qui sortiront de nos débats - et cela ne dépend pas que du Gouvernement ; cela dépend aussi de nous tous - préserver l'objectif global de simplification.
Il n'est probablement pas inutile, en guise d'introduction, que tous, nous nous assignions cet objectif. Je suis persuadé que chacun, pour sa part, veillera à y apporter sa contribution.
En conclusion, je dirai que l'intercommunalité est un objectif indispensable. Le projet de loi qui nous est présenté va globalement dans la bonne direction, et les modifications qui vous sont suggérées par la commission des lois amélioreront encore le texte à travers des propositions plus réalistes, plus attractives et plus simples.
Monsieur le ministre, la commission des lois a la volonté d'être constructive dans ce débat. A ce propos, je me devais tout de même de souligner qu'il est regrettable que la procédure d'urgence réduise les possibilités de navette, qui sont toujours un facteur d'amélioration et de perfectionnement.
Toutefois, nous gardons l'espoir qu'un accord pourra intervenir à l'issue de cette discussion pour qu'une nouvelle étape constructive soit franchie sur la longue voie d'une simplification et d'une meilleure efficacité des structures territoriales françaises. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord, au nom de la commission des finances, remercier la commission des lois et son rapporteur, M. Hoeffel, d'avoir aussi largement et aussi pleinement associé la commission des finances à l'étude de ce texte et à la préparation de sa discussion.
Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir laissé à la commission des finances jouer pleinement son rôle. Merci également d'avoir su le faire dans un esprit de bonne entente et de bonne coopération, ce qui nous a permis de bien préparer la discussion de ce texte important.
Le projet de loi que nous soumet le Gouvernement constitue, en effet, une étape marquante de la construction de la coopération intercommunale ; c'est sa première caractéristique.
C'est aussi un texte qui sera marqué du sceau du réalisme et qui verra souvent son ambition limitée par le financement budgétaire.
Nous aborderons la discussion des dispositions techniques et financières de ce texte avec le même souci de réalisme que le Gouvernement.
Il est vrai que ce projet constitue une étape dans l'édification de la coopération intercommunale, en s'appuyant sur une construction institutionnelle classique mais en prévoyant - c'est là, me semble-t-il, le point essentiel - une intégration financière qui doit suivre l'intégration des compétences.
Il s'agit d'une architecture institutionnelle classique, M. Daniel Hoeffel vient de le démontrer, parce qu'elle s'appuie sur deux institutions : l'une est destinée au monde rural, ce sont les communautés de communes, et l'autre s'adresse au monde urbain. Mais votre architecture, monsieur le ministre, tient compte des réalités financières. C'est la raison pour laquelle vous n'avez pas retenu la communauté urbaine comme structure de droit commun dans le domaine urbain et que vous nous proposez, à ce titre, la communauté d'agglomération.
En effet, les communautés urbaines constituent en quelque sorte, dans votre texte, une catégorie spéciale. Nous le comprenons, car les réalités spécifiques aux grandes agglomérations peuvent conduire à cela. Mais plus encore que ces réalités spécifiques, ce sont probablement les réalités financières qui justifient essentiellement la constitution d'une catégorie relativement fermée et restreinte.
La commission des finances estime que, dès lors qu'il s'agit de vraies restrictions financières qui s'imposent à tous, il convient de bien encadrer cette catégorie spécifique, tout en veillant à ce qu'elle ne déborde pas financièrement sur les autres catégories de groupements de communes.
Toutefois, ce qui constitue la nouveauté du texte qui nous est soumis, c'est l'idée selon laquelle l'intégration financière doit accompagner la mise en commun des compétences. Il s'agit là d'un apport important et intéressant.
La taxe professionnelle unique ou d'agglomération devient ainsi l'impôt de l'intercommunalité.
Nous ne pouvons qu'être d'accord avec cette idée, mais, là encore, la réalité nous montrera très vite les limites de cette réforme.
La taxe professionnelle unique sera le régime fiscal de droit pour toutes les communautés d'agglomération et pour les nouvelles communautés urbaines. Les autres communautés urbaines et tous les groupements de plus 500 000 habitants sont fortement incités à recourir à la taxe professionnelle unique puisqu'il faudra qu'une décision négative prise à la majorité qualifiée des conseils de ces groupements s'y oppose pour que ce régime ne devienne pas leur régime fiscal.
Le Gouvernement essaie, en outre, de faciliter l'accès à la taxe professionnelle unique en allongeant la période d'unification des taux et en restreignant les capacités pour les groupements à recourir à la taxe professionnelle de zone. Cela devrait les conduire tout naturellement à mettre en place la taxe professionnelle unique.
Enfin, le Gouvernement a accepté que les communautés de communes à taxe professionnelle unique se voient attribuer une DGF moyenne supérieure à celle des autres communautés de communes.
On voit bien là l'affirmation d'un principe sur lequel on a beaucoup travaillé au cours des années passées, celui de la spécialisation de l'impôt : la taxe professionnelle, c'est l'impôt économique, et l'impôt de l'agglomération a aussi un rôle économique. Il y a là une belle construction, mais cette construction trouve au moins deux grandes limites.
Une première limite tient à l'incertitude quant au rendement de la taxe professionnelle. Cette incertitude tient elle-même à l'inconvénient qu'il y a pour le Gouvernement et pour nous tous de mener deux réformes à la fois : d'une part, la réduction de la taxe professionnelle, qui est intéressante et dont on peut comprendre la logique par la diminution de la part salaires ; d'autre part, la transformation de la taxe professionnelle en impôt de l'intercommunalité. L'addition de ces deux réformes présente quelques difficultés, d'autant que les compensations prévues seront au franc le franc la première année, mais évolueront ensuite indépendamment de la conjoncture économique.
Cette incertitude est renforcée par la crainte que peut susciter le fait de mettre les groupements de communes les plus intégrés face à un seul contribuable. C'est d'autant plus dangereux que la taxe professionnelle unique s'ajoute, pour la plupart des groupements intégrés, à la compétence en matière de transport, compétence financée par le versement transport acquitté par les entreprises. Les groupements très intégrés, jouissant de compétences lourdes, n'auraient ainsi en face d'eux que le contribuable économique.
Face à cette relative incertitude, la belle idée intellectuelle de spécialisation de l'impôt doit reculer. Cette réalité a conduit le Gouvernement et l'Assemblée nationale, lors de l'examen de ce projet en première lecture, à s'orienter vers ce que l'on a appelé la fiscalité mixte, dont l'objectif est de permettre aux groupements financés par la taxe professionnelle unique d'utiliser les trois autres taxes locales.
Ce recours à la fiscalité mixte apparaît comme un secours providentiel, certes, mais qui fait appel à la responsabilité des élus si l'on veut éviter la surfiscalisation locale.
C'est le même appel à la responsabilité des élus que réalise en quelque sorte, de façon très technique, ce que l'on appelle la « déliaison » des taux des impôts entre eux.
Il est bien certain que, si l'on fait de la taxe professionnelle d'agglomération l'impôt du groupement, on ne peut pas faire dépendre le montant de l'impôt du groupement de décisions des communes membres et qu'il faut accepter la « déliaison » des taux, au moins lorsque les communes membres baisseront le taux de leur impôt.
Il convient de souligner que ces dispositions fiscales conduisent finalement à un véritable appel à la responsabilité des élus locaux. C'est, d'un certain point de vue, un approfondissement de la décentralisation auquel nous ne pouvons que souscrire.
Si l'échafaudage édifié par ce projet de loi quant à l'organisation institutionnelle et fiscale nous paraît entrer tout à fait dans la ligne des textes précédents, comme avec ceux-ci, nous nous heurtons aux difficultés du financement par l'Etat de l'intercommunalité. Ces difficultés sont celles que rencontrent tous les gouvernements, et nous les étudierons de façon ouverte et responsable.
La dotation globale de fonctionnement est le mode de financement normal par l'Etat des collectivités territoriales et de leurs groupements. C'est donc autour de cette dotation globale de fonctionnement qu'il nous faut appréhender ce financement.
Je voudrais tout d'abord rappeler une réalité, et examiner quels espoirs on peut tout de même nourrir s'agissant de ce financement de l'intercommunalité.
La réalité, c'est que la dotation globale de fonctionnement constitue une enveloppe financière fermée et que ce que l'on donne aux uns, c'est très naturellement ce que l'on enlève aux autres. En outre, les règles qui régissent l'évolution du montant de la dotation globale de fonctionnement sont étroitement liées à la fois à l'évolution des prix et à celle de la croissance. Tout cela enferme et le Gouvernement et le Parlement dans un système très contraint, où les marges de manoeuvre sont des plus faibles.
C'est donc en ayant pleinement conscience de cette réalité que je voudrais présenter les dispositions que contient le projet de loi que nous soumet le Gouvernement. C'est parce que ce système est soumis à de sévères contraintes que le Gouvernement nous propose, en quelque sorte, de « décoincer » les mécanismes de comparaison qui déterminent la répartition de la DGF allouée aux groupements.
Deux mécanismes très techniques, sur lesquels nous reviendrons, commandent la répartition de la DGF entre les groupements.
Le premier, c'est ce que l'on appelle le coefficient d'intégration fiscale. Nous aurions d'ailleurs souhaité, sur ce point, que l'on mette plutôt en place un coefficient d'intégration budgétaire, mais je reconnais les difficultés techniques de l'entreprise. Ce coefficient d'intégration fiscale doit servir à mesurer exactement le financement des compétences transférées par les communes au groupement. Si l'on veut éviter tout regroupement « d'aubaine », toute recherche artificielle de versements de DGF, et continuer à servir aux communes une DGF qui s'accroît, il faut un coefficient d'intégration fiscale qui soit le plus exact possible.
Nous sommes prêts à suivre le Gouvernement sur ce point s'il est lui-même prêt à aller jusqu'au bout de son idée. Nous aurons, là encore, monsieur le ministre, l'occasion d'en reparler.
La garantie de la dotation globale de fonctionnement est ramenée à 80 % pour tous les groupements. Je dois le dire, c'est une bonne chose, car c'est la seule façon de faire en sorte que les mécanismes de répartition liés au potentiel fiscal et à l'intégration puissent jouer. Toute garantie à 100 % de la DGF pour les groupements conduit à vitrifier les situations : un tel maintien des droits acquis ne conduit pas à un progrès de l'intercommunalité.
Un espoir, cependant, dans cette situation extrêmement bloquée : je veux parler du financement partiel de la dotation d'intercommunalité des communautés d'agglomération.
Nous reconnaissons tout à fait, monsieur le ministre, l'effort que vous avez dû fournir pour obtenir du Gouvernement un prélèvement sur recettes de 500 millions de francs par an afin de financer la dotation des communautés d'agglomération.
Nous savons aussi que, si le succès suit vos espérances - et, sur ce point, elles sont aussi les nôtres - ces 500 millions serviront à financer, en partie, les dotations des nouvelles communautés d'agglomération et la partie supplémentaire de DGF pour les groupements qui se transformeront. Mais, vous le savez comme nous, ce sera insuffisant. C'est pourquoi vous avez prévu d'aller chercher dans la dotation de compensation de la taxe professionnelle le financement manquant. Vous allez donc puiser dans une ressource communale les crédits nécessaires pour éviter que le financement des communautés d'agglomération ne conduise à une baisse de la DGF des communes.
Il existe là une réelle difficulté que nous devons essayer d'examiner ensemble. C'est la raison pour laquelle la commission des finances estime qu'il faut limiter dans le temps le recours à la dotation de compensation de la taxe professionnelle afin qu'on puisse remettre celle-ci à plat lorsque le contrat de solidarité et de croissance que le Gouvernement a conclu l'an dernier avec les collectivités territoriales arrivera à échéance.
Mais cette réalité concernant la dotation globale de fonctionnement justifie-t-elle une intercommunalité à deux ou trois vitesses ? Les communautés urbaines perçoivent, en effet, un peu plus de 450 francs de DGF en moyenne par habitant, contre 250 francs pour les communautés d'agglomération, 123 francs pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique et maintenant 150 francs pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique de plus de 3 500 habitants et exerçant certaines compétences.
Si nous pensons qu'il est normal que le financement par l'Etat de l'intercommunalité en milieu urbain soit différent de celui de l'intercommunalité en milieu rural, nous estimons qu'un tel écart ne se justifie pas.
M. Louis Souvet. Très bien !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Aussi la commission des finances proposera-t-elle de réduire de façon responsable cet écart, c'est-à-dire sans mettre en cause l'équilibre général de la DGF mais en utilisant simplement les marges de manoeuvre dégagées, dans la DGF des groupements, par la transformation de communautés de communes existantes en communautés d'agglomération afin de porter, au minimum, à 175 francs la dotation moyenne par habitant des communautés de communes à taxe professionnelle unique.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, comme tout projet, comporte un certain nombre de dispositions diverses dont nous aurons à débattre.
Pour ce qui concerne les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, nous avons bien compris qu'il s'agissait, en quelque sorte, d'un accord intérimaire, avant la réforme prévue de ces fonds sur lesquels la loi de finances pour 1999 oblige le Gouvernement à déposer, à l'automne, un rapport devant le Parlement.
S'agissant du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, nous avons également compris que vous souhaitiez, en créant un deuxième prélèvement, favoriser la coopération intercommunale entre les communes d'Ile-de-France. Sur ce dernier point, nous présenterons au Sénat un système un peu plus équilibré que celui qui ressort de la première lecture à l'Assemblée nationale.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, ce projet de loi, qui s'inscrit pleinement dans ce qu'on peut appeler aujourd'hui « la tradition française de la construction de l'intercommunalité », apporte un certain nombre d'innovations, surtout dans le domaine de l'intégration financière à travers la taxe professionnelle unique.
Dès lors que les dispositions proposées reposent sur l'adhésion volontaire des élus municipaux et des conseils des groupements et qu'elles vont dans le sens d'une plus grande responsabilisation des élus, donc d'un approfondissement de la décentralisation, elles apparaissent comme devoir être accueillies dans notre droit positif.
La commission des finances, en remerciant encore la commission des lois de l'honneur qu'elle lui a fait en l'associant à son travail, est d'avis d'engager la Haute Assemblée à étudier le texte qui lui est proposé de façon ouverte, sur les bases que je viens de rappeler. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en entendant les excellents rapports qui viennent de nous être présentés par nos collègues MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, excellence dont nul ne sera surpris, je suis persuadé que chacun, s'il en était besoin, aura saisi l'importance particulière que présente, aux yeux du Sénat, ce projet de loi relatif à l'intercommunalité. Cette importance me fait regretter, une fois de plus, la procédure retenue par le Gouvernement pour l'examen de ce texte.
Monsieur le ministre, vous avez décrété l'urgence. Or, cette urgence ne repose sur aucun motif de fond. Au nom de la commission des lois tout entière, j'ai demandé, en conférence des présidents, que le Gouvernement veuille bien modifier sa conception première mais je me suis heurté à une fin de non-recevoir.
J'indique, une fois de plus, que décréter l'urgence ne conduit pas obligatoirement à accélérer les débats.
Dans le domaine dont nous débattons aujourd'hui, l'inconvénient de cette procédure, qui ne me paraît donc pas justifiée, aurait pu être atténué si le Gouvernement avait songé - l'idée lui a échappé - à soumettre ce texte en premier lieu au Sénat et non à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la compétence qui est la nôtre en ce domaine, nous aurions peut-être pu éviter que quelques erreurs techniques ne soient commises lors de la lecture par l'Assemblée nationale, erreurs sur lesquelles il faudra revenir, ce qui ne facilitera pas notre tâche.
De toute manière, il serait indispensable que, sur un texte de cette nature, circule entre les deux chambres une information réciproque qui aurait pu être d'une grande utilité. Compte tenu des nombreuses divergences qui subsistent par rapport au texte de l'Assemblée nationale, le travail en commission mixte paritaire s'annonce considérable et difficile. Rien ne nous permet de dire que nous pourrons parvenir à un accord.
La lettre des textes a été parfaitement analysée. Des correctifs sont toujours possibles. Nous en proposons dans le domaine de la réglementation et dans celui des dispositions financières. Nous verrons ce qu'il en est au cours de nos débats et de la suite de la procédure. Mais laissons de côté ce que je me permets d'appeler des détails, mais qui, hélas ! n'en sont pas.
Trois questions essentielles paraissent se poser. Tout d'abord, certains d'entre nous, moi-même en particulier, s'interrogent sur le véritable état d'esprit qui a présidé à l'élaboration de ces dispositions.
Ensuite, il est évident que de nombreuses questions se posent quant à la pertinence des procédures retenues pour la mise en place des futures intercommunalités.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Enfin, la définition des compétences paraît d'une imprécision telle que le transfert de l'une d'entre elles peut entraîner une dépossession quasi totale de la collectivité de base.
Revenons, tout d'abord, sur la finalité. Ce texte, qui pourrait sembler d'apparence technique et qui s'inscrit dans une certaine tradition, est un texte politique...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... au sens noble du terme et, tout comme le Gouvernement, semble-t-il, nous le prenons pour tel. Nous sommes donc, sur ce point au moins, en plein accord avec lui.
En effet, la structure territoriale de la France, telle qu'elle existe, est ancrée dans notre tradition et dans notre culture. N'oublions jamais que le mérite essentiel du nombre, jugé trop important par certains, des communes est de générer un corps de 500 000 hommes et femmes et de 36 000 maires qui acceptent - et la chose est suffisamment rare pour être soulignée - de s'occuper des affaires de leurs concitoyens.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Regrouper les structures, soit ! Mais le texte proposé conduira presque inévitablement à terme à un regroupement généralisé à l'échelle du territoire. Est-ce cela que l'on veut ?
Dans le même temps, en a-t-on bien pesé toutes les conséquences, ne serait-ce que dans le domaine de la libre volonté, de la libre détermination de ceux qui acceptent de s'occuper des affaires des autres ? Compte tenu des contraintes qui pèsent sur eux, à quel résultat aboutira-t-on si l'on vide de leur substance les affaires communales ?
N'oublions pas ce qui a été accompli en matière d'équipements et d'action sociale par les communes dans le cadre de leur autonomie actuelle. Et veillons, je le répète, à ne pas aboutir, au travers de la mise en commun des efforts, à un fléchissement qui serait à la fois légitime et dangereux de l'intérêt qui se manifeste actuellement pour l'action communale.
Cette véritable réécriture de la carte territoriale française, qui va la décider ?
Dans le projet actuel, un rôle déterminant est reconnu aux représentants de l'Etat. Une telle capacité d'action, compte tenu de ses conséquences, est difficilement acceptable, et ce d'autant plus qu'une telle décision, prise, en substance, par le préfet, est génératrice de transferts de compétences extrêmement importants. J'ai déjà indiqué le caractère très imprécis de la définition de certaines d'entre elles.
Cependant, une question doit d'ores et déjà être posée : compte tenu de l'ampleur des transferts qui vont être réalisés, si une décision est imposée à une commune contre sa volonté, n'organise-t-on pas, en fait, une atteinte directe et inconstitutionnelle au principe fondamental de libre administration des collectivités territoriales ?
En conclusion, il est clair, mes chers collègues, qu'il est de notre devoir de nous montrer extrêmement attentifs à ce qui nous est proposé.
Le nombre des amendements extérieurs à ses propres travaux que la commission des lois se dispose à examiner montre l'intérêt que ce texte a suscité sur les différentes travées de la Haute Assemblée.
Nous ne refusons pas une évolution sans doute nécessaire, mais nous veillerons à ce que les caractéristiques à nos yeux essentielles de notre vie locale ne s'en trouvent pas fondamentalement bouleversées. Dans une époque où l'on dit à l'envi qu'il existe une véritable fragilisation de l'esprit démocratique, nous ne pouvons prendre le risque de porter atteinte à ce qui constitue un élément fondamental de notre vie démocratique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le ministre, le texte que vous nous présentez est très attendu. J'ajouterai que si, par moment, il est forcément d'une grande technicité, en particulier en matière fiscale, son architecture est pourtant simple et claire. On sent bien que, pour le préparer, vous n'avez pas cru bon d'avoir recours aux génies éthérés qui peuplent un grand organisme prétendument chargé d'aménager notre territoire. (Sourires.) En effet, il est bien difficile de ne pas établir la comparaison avec le volet territorial, pour s'en tenir à ce seul volet, du projet de loi dont nous avons poursuivi la discussion la nuit dernière.
De votre côté, c'est limpide et simplifié, comme il était demandé par tous et ainsi que le projet de M. Perben, dont vous retenez bien des aspects, avait commencé à le faire. De l'autre côté, c'est flou et incertain. De votre côté, on trouve une architecture des pouvoirs locaux de la République ordonnée, hiérarchisée, avec des chiffres et des seuils. Je ne reviens pas sur les trois niveaux qui ont été largement développés. On peut, bien sûr, contester ces chiffres, discuter des seuils. Nous-mêmes, constatant que certains départements pourraient ne pas bénéficier même d'une seule communauté d'agglomération en raison de leur faible densité de population, nous proposerons un amendement prévoyant une mesure dérogatoire.
Mais enfin, tout cela est cohérent et vous fixez fermement le cadre administratif dans lequel vivent, nous dit-on, 80 % de la population - c'est bien l'objet principal de votre projet de loi - sur 20 % du territoire. De l'autre côté, on organise dans 80 % du territoire à partir de pays dont on ne sait toujours pas s'ils seront des ectoplasmes - finalement, c'est sans doute l'hypothèse la plus vraisemblable - ou s'ils seront, comme certains l'ont imaginé, malgré leur dénégation, des structures administratives nouvelles ou « émergentes », comme ils disent.
Mais quel « projet » pour ces pays ? L'expression est à la mode, mais il ne suffit pas d'avoir sans cesse le mot à la bouche pour créer la chose ; on peut réellement douter de la pertinence de nombre de ces pays regroupant cent, deux cents communes, voire davantage, sur un territoire peu peuplé. Quel projet global - je parle bien d'un projet global - peut-on avoir dans ces cas-là autre que de satisfaire la frustration de tel élu en mal de présidence de conseil général ?
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, et M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. De votre côté, on parle de niveau de peuplement, de mode de désignation, de compétences, de collaboration, de concertation entre les différents niveaux d'administration locale. Vous avez pris la précaution d'écouter les élus locaux autant que nationaux, de tenir compte des travaux antérieurs, aussi bien ceux de M. Perben que ceux du Sénat. En plaisantant, je vous dirai : merci, monsieur le ministre, d'être revenu à Balzac ou, peut-être mieux, à Flaubert, après ce détour vers la littérature ésotérique. (Sourires.)
Ma critique de fond, pour être, je crois, majeure, ne vous concerne pas. En fait, si vous organisez les territoires urbains - car c'est bien l'objet de votre projet de loi, comme l'intitulé initial le prouve et malgré la relative ruralisation opérée par l'Assemblée nationale - c'est qu'il fallait bien le faire. Vous avez raison d'agir. Mais si nous en sommes là, n'est-ce pas le résultat d'une politique du laisser-faire, de l'économie de marché sans entrave, ou presque, qui a conduit, par facilité, à toujours plus de concentration des activités et donc des hommes, sans se soucier des surcoûts collectifs induits ?
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Ce laisser-faire, on le justifie - les mêmes que tout à l'heure le justifient - après coup, en feignant d'en avoir été les organisateurs, alors qu'ils ne prennent acte que d'une situation de fait, résultat de leurs propres carences et impuissance.
En d'autres termes, on parle de l'aménagement du territoire depuis quarante ans au moins, mais en fait, en cette fin de siècle, on ne parle plus du tout de la même chose que dans les années soixante. Jadis, on s'essayait, même, avec beaucoup d'utopie, à organiser l'ensemble du territoire, ce qui voulait dire développer la vie partout, et donc mieux répartir les activités et les hommes.
M. Dominique Braye. Changer la vie !
M. Jean-Claude Peyronnet. C'est très antérieur !
Aujourd'hui, on prend acte de l'afflux des populations depuis cinquante ans dans les villes, afflux que l'on n'a en aucune façon freiné, ni d'ailleurs accéléré, mais pas plus organisé, ce qui, en fin de compte, est le signe manifeste de l'échec.
Les choses en sont donc là, et je n'ai nulle nostalgie. Mais enfin, lequel de nos gouvernants influents dira un jour que la civilisation urbaine est à un tournant et que, s'il est avéré qu'au fil des millénaires la ville a toujours apporté la lumière et le progrès, il n'est plus sûr du tout qu'il en soit ainsi en ce qui concerne les grandes conurbations dans lesquelles les inconvénients l'emportent désormais à l'évidence sur les avantages, ici et ailleurs ? (Applaudissements sur plusieurs travées socialistes.)
De là découle la justification d'un type d'organisation à la française autour de la ville ou de l'agglomération moyenne - de 50 000 à 400 000 habitants - qui, je le crois, est profondément d'avenir et qu'il est donc essentiel de conforter ; votre projet de loi y contribue. C'est un type d'organisation dans lequel la prétendue opposition entre urbain et rural est en voie de dépassement, si ce n'est déjà fait, du fait de l'interpénétration étroite des populations en raison de leur lieu de travail, qui est souvent urbain, et de leur lieu de résidence, qui est souvent rural.
M. Dominique Braye. Périurbain, et non rural !
M. Jean-Claude Peyronnet. Ces « rurbains », comme on dit parfois, veulent disposer à la campagne, ce qui n'est pas sans soulever des problèmes, du maximum de services de type urbain. Il existe donc, malgré les conflits conjoncturels, une évidente communauté d'intérêts entre la ville et son plat pays ; ils se confortent l'un l'autre, les modes de vie s'uniformisent et les aspirations s'égalisent.
Monsieur le ministre, votre texte, avec son innovation que sont les communautés d'agglomération, qui vise à reconnaître et à renforcer les agglomérations moyennes, sur un spectre de population assez large, répond, me semble-t-il, à cette réalité de notre temps et à cette spécificité française dont il faut faire une chance et qui est, hors l'exception francilienne, l'absence de mégalopole. Peut-être n'est-il pas encore trop tard pour sauver ce modèle que seule peut permettre la mise en oeuvre harmonieuse d'une partie importante de notre territoire, un territoire vaste qui est, vous l'avez dit vous-même, notre chance de demain. Dommage que l'autre texte considère le reste du territoire précisément comme un reste, un solde encombrant qui risque de devenir un vaste conservatoire. Mais, je l'ai dit, ce n'était pas vraiment votre sujet.
Je sais bien cependant que le fait de définir des structures, de mettre sur pied des constructions administratives ne suffit pas à permettre le développement et à résoudre les problèmes sociaux ou d'équipement, même s'il peut y contribuer. Il y faudra beaucoup plus, il y faudrait beaucoup plus, et d'abord une volonté politique forte. Je souhaite que le Gouvernement l'affirme et se donne les moyens de la mettre en oeuvre.
J'ai dit tout le bien que je pense de votre projet de loi. Cela ne va pas jusqu'à l'admiration inconditionnelle et béate. Quelques ajustements seraient sûrement nécessaires. J'en ai déjà cité quelques-uns. J'ai par ailleurs lu les excellents rapports de nos collègues MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier. A priori , nous ne sommes pas complètement hostiles à certaines remarques et propositions.
Nous devons veiller à ne pas casser ce qui existe, qui a fait ses preuves et qui fonctionne. C'était vrai hier pour les départements face à l'offensive des prétendus progressistes. C'est tout aussi vrai aujourd'hui s'agissant des formes de coopérations de services. Il faut trouver les moyens d'éviter qu'un transfert automatique des compétences d'une partie des communes, d'un syndicat par exemple, vers une communauté d'agglomération ne laisse le syndicat dépouillé et les autres communes qui le composent nues et crues !
Nous ne sommes pas opposés à positiver par un vote explicite toute adhésion à une forme ou à une autre de coopération. Une adhésion par défaut laisserait très mal augurer de la suite ; les communes ne coopèrent pas entre elles de façon efficace si elles traînent les pieds.
MM. Gérard Delfau et Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Voilà pourquoi l'obligation de continuité territoriale pose aussi problème, et ce pour les mêmes raisons que précédemment - il faut une adhésion à un projet - et pour des raisons de fond qui tiennent tout simplement aux libertés communales proclamées par la grande loi fondatrice de 1982, qui tiennent peut-être aussi, dans certains cas, à leur existence même. Nous sommes nombreux sur ces travées à être très attachés à l'existence des communes. Notre volonté est grande de ne pas les contraindre,...
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... même si je sais bien qu'il est souvent insupportable d'accepter qu'une commune prétendument riche refuse de coopérer avec d'autres communes moins favorisées. Il y a là un vrai débat.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. M. Hoeffel a évoqué la progressivité des transferts de compétences. Dans son rapport écrit, il souligne que sa principale crainte tient à l'insuffisance possible des ressources nécessaires à l'absorption de toutes les compétences prévues, et donc au danger d'augmentation inconsidérée de la pression fiscale. Je crois que la question peut être posée en gardant aussi à l'esprit un autre élément, à savoir la réticence de nombre de communes à se défaire de certaines de leurs compétences ou d'un nombre d'entre elles qui leur paraîtrait trop important. On ne doit donc pas perdre de vue qu'une trop grande précipitation pourrait avoir un effet contraire à celui qui est recherché, et finalement freiner le développement de l'intercommunalité.
M. Hoeffel a également insisté sur le rôle, qu'il souhaite renforcé, de la CDCI, la commission départementale de coopération intercommunale. Votre texte, monsieur le ministre, renforce singulièrement le fonctionnement démocratique des organismes de coopération, ne serait-ce que par l'obligation de rapport devant les conseils municipaux. Il me semble que l'avis sollicité de la CDCI, composée d'élus, va dans le même sens sans entraver les prérogatives du préfet.
Enfin, dans un tout autre domaine, le montant de la DGF attribué, avec votre appui, aux communautés de communes - certains de mes collègues reviendront sur ce point - nous semble bien faible et insuffisamment incitatif. On m'objectera que c'est dans le milieu rural que la coopération intercommunale a, de très loin, été la plus active depuis 1992 : cela fonctionne tout seul, en quelque sorte. Certes, mais combien y a-t-il eu de communautés d'aubaine ?
M. Jean-Pierre Plancade. C'est vrai !
M. Jean-Claude Peyronnet. Vous voulez lutter contre ces communautés d'aubaine et vous avez parfaitement raison. Si l'on veut donc inciter à une vraie coopération, avec les contraintes de compétences que vous imposez très justement, je crois qu'un petit effort au niveau de la DGF serait nécessaire.
Je terminerai par une interrogation de fond. Votre construction, que M. le rapporteur pour avis a bien soulignée, et de façon brillante, est fondée globalement sur l'incitation, les contraintes que l'on trouve dans le texte qui résulte des travaux de l'Assemblée nationale ayant plutôt été ajoutées par nos collègues députés. Ces incitations ont un préalable et un moteur, une sorte de levier : la TPU, la taxe professionnelle unique. C'est bien et, là encore, c'est simple et clair. Mais que se passera-t-il si la taxe professionnelle continue d'évoluer vers sa disparition ? J'ai un peu de mal à imaginer comment se passeraient les choses avec une TPU virtuelle remplacée par une compensation d'Etat.
Monsieur le ministre, sur tous ces points qui méritent des débats approfondis, nous attendons en particulier vos explications avant de nous prononcer. Cependant, vous l'avez compris, ces ajustements souhaitables ne sauraient remettre en cause une adhésion très forte au texte que vous venez de présenter devant nous. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste. - M. Braye applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)