Séance du 31 mars 1999







M. le président. « Art. 37. - I. - Le premier alinéa de l'article L. 161-2 du code rural est ainsi rédigé :
« L'affectation à l'usage du public est présumée. Elle peut s'établir notamment par la destination agricole ou de promenade du chemin, ou par une circulation générale et continue, ou par des actes réitérés de surveillance et de voirie de l'autorité municipale. »
« II. - L'article L. 161-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dépositions du public lors de l'enquête préalable à sa suppression sont prises en compte pour déterminer l'affectation du chemin. »
« III. - Il est inséré, dans le même code, un article L. 161-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 161-10-1 . - Lorsqu'un chemin appartient à deux ou plusieurs communes, il est statué sur la vente après enquête unique par délibérations concordantes des conseils municipaux.
« Il en est de même quand ces chemins appartenant à deux ou plusieurs communes constituent un même itinéraire entre deux intersections de voies ou de chemins.
« En cas de désaccord, il est statué par le représentant de l'Etat dans le département. Ce dernier fixe, s'il y a lieu, la proportion dans laquelle chacune des communes contribuent aux travaux et à l'entretien. »
« Les modalités d'application de l'enquête préalable à l'aliénation, qui prévoient une large publicité de l'enquête, sont fixées par décret. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 93, MM. Larcher, Belot et Revet. au nom de la commission spéciale, proposent de supprimer cet article.
Par amendement n° 204, MM. François, Blanc et Joyandet proposent de supprimer le paragraphe I de cet article.
La parole est à M. Larcher, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 93.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous abordons, avec l'aménagement des chemins ruraux et des chemins de randonnée, un sujet important pour la vie et pour la valorisation du territoire rural.
La protection des sentiers de randonnée est une priorité patrimoniale mais aussi économique, car les chemins de randonnée sont un élément essentiel du patrimoine rural et naturel dans les territoires ruraux et dans l'espace naturel.
Des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle aux chemins des colporteurs tracés, vers 1850, entre Bourg-Saint-Maurice et le Piémont, des chemins de halage qui traversent la Bourgogne aux Tro Breiz, aux sentiers douaniers qui ont été redécouverts par le GR 4-400, qui traverse la chaîne des Puys, des sentiers bleus de Fontainebleau au sentier des grands crus, notre histoire, notre économie, notre culture sont liées à tous ces chemins.
Protéger les chemins et sentiers de France est également un pari économique, notamment sur le développement du tourisme vert.
Les 31 millions de randonneurs occasionnels sont devenus des vecteurs du développement économique local.
La randonnée répond à une demande nouvelle. La France dispose, avec les 800 000 kilomètres de chemins existant, d'une richesse et d'une variété à la hauteur de la diversité de son territoire. Il nous faut donc protéger ces 800 000 kilomètres de chemins qui existent aujourd'hui et qui, comme le soulignent les auteurs de cet amendement, sont menacés par plusieurs facteurs.
Certains sont transformés en routes impropres à la randonnée. D'autres sont purement et simplement annexés par les propriétaires riverains. Un grand nombre d'entre eux, simplement abandonnés, sont envahis par la végétation. N'oublions pas non plus tous ceux qui, à proximité des villes en expansion sont « grignotés » par l'urbanisation, qu'ils soient futurs terroirs urbains ou paysagers, cher Jean-Pierre Raffarin, ou, tout simplement, espaces définis dans un périmètre autour des villes.
Les plans départementaux des itinéraires de promenades et de randonnée ainsi que les liens entre les parcs nationaux, les parcs naturels régionaux et les plus beaux sentiers de grande randonnée nous semblent être le symbole des efforts qui ont été déjà faits et qu'il faut poursuivre.
La commission spéciale a souscrit à cet objectif, que le texte qui nous est soumis ne semble pas pouvoir atteindre. En effet, les modifications du code rural proposées, si elles sont motivées par des objectifs louables, sont techniquement discutables.
Le paragraphe I dispose que l'affectation d'un chemin rural à l'usage public est présumée, alors même que, selon les termes de l'article L. 161-1 du code rural, un chemin rural est, par définition, affecté au public.
Le paragraphe II de cet article précise que les dépositions du public lors de l'enquête préalable à la suppression d'un chemin rural sont prises en compte. Mais la raison d'être de l'enquête publique relative à la désaffectation d'un chemin rural étant de prendre en compte les dépositions du public, cette précision ne me semble pas tout à fait nécessaire. On voit mal comment une enquête publique pourrait ne pas prendre en compte les dépositions du public !
Plus grave, le paragraphe III nous paraît méconnaître l'une des spécificités des chemins ruraux, à savoir que leur entretien n'est pas une dépense obligatoire des communes. Il habilite le préfet à fixer le montant de la contribution des communes à cet entretien, alors même que cette dépense relève de la libre administration des communes. C'est donc celle-ci qui est mise en cause par le biais de cet amendement.
Pour ces raisons, la commission a estimé que ces modifications devraient s'inscrire, d'une part, dans une réflexion plus approfondie sur les régimes juridiques respectifs des chemins ruraux et des voiries communales, et, d'autre part, dans un plan global de protection des chemins et des sentiers de randonnée.
Voilà pourquoi elle propose la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. François, pour présenter l'amendement n° 204.
M. Philippe François. Mon amendement est presque identique à celui de la commission, et je veux simplement appuyer les propos que vient de tenir M. le rapporteur.
Il est quand même étonnant de lire - c'est le passage essentiel de l'article - que l'affectation d'un chemin rural à l'usage du public est présumée.
Cette précision est très grave, parce que cela signifie que le chemin appartient à la commune. On a indiqué qu'il existait 800 000 kilomètres de chemins de cette nature en France.
Ce serait très grave que ces chemins deviennent propriété de la commune, non pas tellement parce que la commune aurait alors la charge de leur entretien, mais surtout parce que ce serait une atteinte au droit de propriété et, par conséquent, une atteinte au droit des Français.
Je ne suis pas certain d'ailleurs qu'un tel texte échapperait à la censure du Conseil constitutionnel.
Par conséquent, compte tenu de ce qu'a dit M. le rapporteur, qui rejoint parfaitement ma propre position, je retire l'amendement n° 204 au profit du sien.
M. le président. L'amendement n° 204 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 93 ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. S'il n'y avait pas l'urgence, quel bon travail nous ferions !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Nous travaillons dans une urgence toute relative, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
L'article 37 a pour objet non pas de transférer des propriétés...
M. Philippe François. C'est pourtant le cas !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... et des charges aux communes mais de favoriser un bon entretien de ces chemins qui appartiennent au domaine privé de celles-ci.
L'amendement n° 93 a essentiellement pour objet d'éviter le changement d'usage de ces chemins qui disparaissent. Le code rural, en son article L. 161-1, précise que « les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes ». Le même code prévoit, en son article L. 161-3, que « tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé. »
La précision « jusqu'à preuve du contraire » garantit les propriétaires privés de tout risque de spoliation. Nous n'avons pas redit autre chose dans cette proposition de reformulation de l'article L. 161-2 du même code rural.
Je ne nie pas qu'il puisse exister un problème. Je suis prête à envisager des modifications, mais elles devront avoir lieu ultérieurement, monsieur le rapporteur, car je ne suis pas en état, aujourd'hui, de vous faire une proposition qui prenne en compte les remarques que vous avez formulées.
De plus, je dois l'avouer, j'ai accepté cette rédaction de bon coeur à l'Assemblée nationale, et il me semble difficile de me déjuger sans avoir approfondi la réflexion comme vous m'y avez appelée. Pour l'instant, je vous assure de ma disponibilité pour poursuivre cette réflexion dans des phases ultérieures.
M. Philippe François. Très bien ! En deuxième lecture !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 93.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Madame la ministre, je suis moi-même, comme j'imagine nombre d'entre nous, un randonneur passionné, et il m'arrive d'être très malheureux quand je m'aperçois qu'un chemin porté sur une carte a été affecté à une propriété privée, qu'il s'agisse d'ailleurs d'une exploitation agricole, d'un jardin ou d'un enclos.
Au demeurant, madame la ministre, je voudrais appeler votre attention sur le fait que nous traitons en l'occurrence de communes rurales dont les ressources budgétaires sont infiniment modestes ; leur imputer, sans y avoir regardé de près, des charges supplémentaires risque de mettre nombre d'entre elles dans une situation très difficile. Je pense aux plus hauts cantons de mon département, à une commune de 50 habitants dont 4 000 hectares sont en zone boisée : qu'adviendra-t-il si ce texte est voté en l'état ?
Comme je partage l'intention louable des auteurs de l'amendement qui ont introduit cet article dans le texte, je voudrais vous suggérer que, sous votre autorité, l'on inverse la démarche et l'on décide - je sais bien qu'il va falloir batailler avec Bercy, mais ce serait une belle bataille - d'introduire un critère dans la DGF qui permette l'entretien des zones vertes réservées au public et, sous inventaire d'un classement, des chemins destinés à la randonnée.
Nous ferions ainsi, madame la ministre, grandement plaisir aux citadins qui ont besoin d'oxygène et nous réglerions, en même temps, un problème crucial qui se pose à nombre de municipalités. C'est à mon sens la seule façon de sortir de la situation actuelle.
Alourdir les charges unilatéralement, madame la ministre, je vous le dis comme je le pense, va être ressenti comme un geste cavalier par une partie de la population qui entend bien, le dimanche et les jours de vacances, se promener là où elle le veut, quand elle en a envie et sans rien payer.
M. Charles Revet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Revet.
M. Charles Revet. Il s'agit là d'enjeux importants.
Bien sûr, je comprends qu'on souhaite disposer de chemins bien entretenus, où tout un chacun pourra se promener. Cela étant, j'approuve tout à fait ce que vient de dire notre collègue M. Delfau : il faut savoir ce que sont, dans nos communes, la longueur des chemins ruraux et celle des chemins vicinaux !
On risque, avec cette disposition, de placer les communes rurales, qui n'ont pas des moyens importants, devant de graves difficultés financières. Elles seront confrontées à des demandes réitérées d'associations de marcheurs, par exemple, qui, légitimement, réclameront l'application de ce qui aura été voté. Or certaines d'entre elles seront totalement incapables d'assumer cette charge.
Madame le ministre, vous avez indiqué que vous acceptiez le principe d'un réexamen de cette disposition. Il me paraît effectivement très important que, avant de prendre une décision à cet égard, nous allions au fond des choses.
Mme Janine Bardou. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou. Les chemins dont il est ici question se trouvent bien souvent dans des régions déjà largement désertifiées.
Il est aujourd'hui très difficile d'entretenir ces chemins précisément parce que presque plus personne n'y passe. C'est une charge qui incombe aux communes, lesquelles s'en acquittent pour le bien-être des gens qu'elles accueillent.
Comme M. Delfau l'a indiqué, il faudrait éventuellement envisager d'accorder, à ce titre, une aide à ces communes.
Au long de ce débat, je m'aperçois que les espaces ruraux fragiles, ce que nous appelons les zones de revitalisation rurale, ont été un peu oubliés dans les propositions du Gouvernement.
On ne peut pas à la fois souhaiter que des chemins soient bien entretenus et demander aux communes, qui ont déjà de lourdes charges, d'y veiller.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Madame Bardou, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Janine Bardou. Je vous en prie, madame le ministre.
M. le président. La parole est à Mme le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Cet article ne concerne pas seulement les chemins à vocation touristique. M. le rapporteur a peut-être donné un exemple un peu trompeur en évoquant les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.
En réalité, dans l'écrasante majorité des cas, ces chemins ruraux ne sont pas utilisés exclusivement par des touristes qui refuseraient de payer pour leur usage. Ce sont souvent des chemins agricoles, des dessertes du territoire communal, utilisés principalement par les habitants de la commune considérée.
M. le président. Veuillez poursuivre, madame Bardou.
Mme Janine Bardou. Je suis tout à fait d'accord, madame le ministre. Au demeurant, je ne refuse nullement de payer pour les personnes qui empruntent les chemins de randonnée.
Il reste que, en raison des nombreux abandons de terres, sur ces chemins agricoles ne passent plus ni bêtes ni tracteurs, et ils sont fatalement envahis par la végétation, ce qui les rend terriblement difficiles à entretenir.
M. Georges Gruillot. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot. Dans ce dossier, il y a un élément qui n'est pas pris en compte. Du fait des aménagements fonciers et du remembrement, dans de nombreuses communes, on a fait refaire la voirie de desserte des exploitations agricoles et les chemins agricoles par les associations foncières locales. Dès lors, les communes n'ont plus la maîtrise de ces chemins, qui sont souvent maintenant la propriété d'associations foncières regroupant tous les propriétaires du territoire.
Cela pose un problème juridique sans doute plus délicat qu'on ne l'imaginait. Il me paraît donc nécessaire d'y réfléchir plus avant.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 93, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 37 est supprimé.

Article 38