Séance du 9 février 1999







M. le président. La parole est à M. Barnier, auteur de la question n° 400, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Michel Barnier. Monsieur le président, je voudrais d'abord remercier M. Gayssot d'être présent pour répondre en personne à une question qui préoccupe un grand nombre d'élus et de citoyens de cette grande région qu'est la région Rhône-Alpes.
M. Charles Descours. Il faut effectivement le relever !
M. Michel Barnier. Je suis sûr, monsieur le ministre, de me faire l'interprète non seulement des élus du département de la Savoie, que je représente ici, notamment du conseil général, mais aussi de nombreux élus rhône-alpins. Je sais que mon collègue Charles Descours, élu du Dauphiné, partage mon sentiment, de même que le député Michel Bouvard, qui s'est exprimé sur le même sujet voilà quelques jours à l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, nous avons besoin de savoir la vérité. Nous avons besoin de savoir quelle est exactement la position du gouvernement auquel vous appartenez sur la liaison, en ce qui concerne tant les voyageurs que les marchandises, entre la France et l'Italie.
Je vous pose cette question avec gravité parce que nous doutons de la volonté politique du Gouvernement. Au demeurant, ce doute, nous ne le nourrissons pas à propos de toutes les liaisons trans-européennes ; nous avons pu en effet apprécier votre engagement personnel dans l'aboutissement du TGV Est. On me dit que vous allez maintenant faire porter votre effort sur le TGV Rhin-Rhône.
Je me demande donc si le fait que la volonté politique se manifeste ici et là mais semble faire défaut lorsqu'il s'agit de notre région ne traduit pas, au fond, la meilleure écoute dont bénéficieraient, au sein du Gouvernement, les ministres originaires d'Alsace et de Franche-Comté par rapport à ceux qui viennent de la région Rhône-Alpes. Et, croyez-le bien, je dis cela sans arrière-pensée.
Ce n'est pas, monsieur le ministre, la dernière fois que nous vous saisirons de ce sujet : ma question d'aujourd'hui n'est que la première étape d'une longue série d'interpellations que nous allons lancer dans l'ensemble de la région Rhône-Alpes, afin de savoir ce que vous pensez exactement de la liaison France-Italie.
En même temps que nous observons cette volonté politique sélective, et défaillante en ce qui nous concerne, nous regardons ce qui se passe autour de nous.
A l'occasion d'un récent référendum, les citoyens de la Confédération helvétique ont donné un feu vert financier pour les tunnels ferroviaires transalpins du Saint-Gothard et du Loetschderg, par lesquels sera acheminée une grande partie des camions vers l'Italie. Cette décision populaire, encouragée par le Gouvernement de la Confédération helvétique, illustre une volonté politique, celle qui, précisément, semble faire défaut dans notre pays.
Nous avons également lu le rapport Brossier, qui nous a été présenté par votre administration comme un simple rapport technique. Certaines de ses conclusions sont mises en oeuvre. Ainsi, en particulier, la SNCF est chargée d'examiner, parmi d'autres hypothèses, le renforcement de la ligne existante, pour le fret, qui conduit d'Ambérieu à l'Italie en passant, après avoir longé le lac du Bourget, en plein coeur des agglomérations d'Aix-les-Bains et de Chambéry.
Permettez-moi de vous dire solennellement aujourd'hui que cette hypothèse qui consisterait, à moyen terme, à créer une troisième voie est totalement inacceptable pour les élus savoyards, alors même qu'ils agissent, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire, pour la reconquête de la dimension naturelle du plus grand lac français : le lac du Bourget.
Nous nous interrogeons enfin, monsieur le ministre, s'agissant de la liaison TGV voyageurs, sur l'hypothèse d'un phasage des travaux - est-ce, d'ailleurs, un phasage ou un « saucissonnage » ? - qui conduirait, dans une première étape, jusqu'à Lépin-le-Lac. Cette solution, mentionnée dans votre décision du 18 septembre 1998, avait été unanimement rejetée lors de la consultation du début de l'année 1998.
Je connais, monsieur le ministre, votre objectivité et votre souci de régler les problèmes ; vous les avez démontrés dans d'autres circonstances. Nous sommes inquiets, je vous le dis sincèrement. Nous voulons savoir si le gouvernement auquel vous appartenez a, oui ou non, la volonté de faire avancer le dossier de cette liaison France-Italie, en donnant une priorité au fret.
Si gouverner c'est bien prévoir, vous êtes obligé de prévoir, tout comme nous, que, dans quelques années, la situation sera insupportable en raison de la densité du trafic de camions, aussi bien dans la vallée de Chamonix, en Haute-Savoie, que dans la vallée de la Maurienne, et, plus en aval, dans toutes les régions qui conduisent à ces deux vallées. Il nous faut prévoir qu'une partie de ces camions en transit vers l'Italie sera mise sur des trains.
Pour cela, il faut qu'une décision stratégique soit arrêtée conformément aux engagements qui avaient été pris lors du lancement des grands travaux européens de communication et lors du sommet franco-italien de septembre 1997, réunissant notamment le Premier ministre italien, le Président de la République française et le Premier ministre du gouvernement auquel vous appartenez. Ces engagements, pour l'heure, ne nous paraissent pas être suivis d'effets. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, permettez-moi d'abord de réagir à la première partie de votre intervention, qui était relative au TGV Est européen ; j'insiste d'ailleurs sur cette dernière dénomination, car cette liaison ferroviaire nous met en relation avec l'Allemagne.
Vous avez laissé entendre que l'écoute du Gouvernement serait sélective en fonction des régions d'où tel et tel ministres sont originaires.
M. Michel Barnier. Nous comptons tout de même deux ministres !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, je n'accepte pas de tels propos, d'une part parce qu'ils sont infondés, d'autre part parce qu'ils sont désobligeants à l'égard de tous les élus d'Alsace, de Lorraine, de Champagne-Ardenne ou d'Ile-de-France qui, avec moi, se sont mobilisés pour faire aboutir ce projet. C'est grâce à cette convergence que nous avons pu réaliser le bouclage financier.
La vérité, c'est que toutes les promesses faites depuis plus de quinze ans, nous les tenons aujourd'hui, et cela est à porter à l'actif du gouvernement auquel j'ai l'honneur d'appartenir.
J'en viens maintenant à l'objet même de votre question. Dans le cadre d'une interrogation générale, tout à fait justifiée, sur le devenir du projet de liaison ferroviaire transalpine, vous rejetez deux hypothèses qui vous paraissent inacceptables.
En premier lieu, vous rejetez l'idée d'un renforcement des capacités de la ligne existante entre Ambérieu et Modane, notamment au droit d'Aix-les-Bains et de Chambéry. Je me dois de préciser que ce renforcement de capacités n'est en rien une alternative aux percées alpines. Il consiste, dans l'attente notamment de l'achèvement du tunnel de base, à se doter des moyens d'acheminer, sans perdre de temps, plus de trafic par la voie ferroviaire. C'est le bon sens qui nous conduit à envisager cette solution, y compris pour les raisons que vous avez vous-même avancées, monsieur le sénateur.
Vous le savez, quelles que soient la teneur du processus d'étude et l'énergie consacrée aux traversées alpines, le délai de réalisation sera long. Cela tient à des considérations et impératifs techniques, qui s'imposeraient à tout gouvernement. Cela étant, il convient, d'ici là, de tout faire pour limiter la progression du trafic routier dans les traversées alpines. Je crois avoir compris que vous partagiez cette préoccupation, monsieur le sénateur.
En revanche, je n'ai pas compris ce que vous proposiez concrètement pour permettre l'absorption d'un accroissement du trafic ferroviaire dans l'attente de la réalisation des percées alpines.
La deuxième hypothèse qui ne trouve pas grâce à vos yeux est celle du phasage des travaux à proximité Lépin-le-Lac.
Cela me donne l'occasion de bien préciser - et cela semble nécessaire - le contenu de la décision du 18 septembre 1998. J'ai décidé du tracé définitif entre Satolas et Lépin-le-Lac et demandé des études complémentaires pour l'entrée à Chambéry depuis Lépin-le-Lac.
A ce stade, il n'est nullement possible de dire si la première phase correspondra à Satolas - Lépin-le-Lac ou à Satolas-Chambéry. C'est justement l'objet des études complémentaires de nous éclairer sur le caractère opérationnel et sur la consistance de cette première phase.
Bien entendu, quelle que soit la solution retenue, comme pour la traversée de Chambéry par les circulations de fret, les questions d'insertion dans l'environnement devront être traitées avec une attention toute particulière.
Sur un plan plus général, rappelons que les gouvernements français et italiens ont confirmé - vous l'avez souligné - en 1997, à Chambéry, leur ambition de transférer sur le fer une part croissante du trafic transalpin de fret.
Lorsque j'ai été amené à me prononcer sur cette question des liaisons à grande vitesse à travers les Alpes et les Pyrénées, j'ai bien précisé, dès le départ, qu'il s'agissait non seulement du trafic voyageurs mais également du trafic de fret.
Cette volonté a d'ailleurs été réaffirmée lors du sommet de Florence, en présence de M. le Président de la République, de M. le Premier ministre et de plusieurs membres du Gouvernement, dont moi-même, en octobre dernier. J'ai pu vérifier que telle était aussi la volonté de mon homologue italien, M. Treu.
En 1997, il a été décidé d'engager, sur la section internationale, un programme d'études bien plus important, devant s'étaler sur trois ans. C'est donc en l'an 2000 que les décisions seront prises, en fonction des résultats de ce programme d'études.
Le fait que la Suisse ait franchi une nouvelle étape dans la réalisation de son développement ferroviaire ne remet nullement en cause le processus en cours, qui se poursuit conformément aux objectifs fixés. A ce propos, je puis vous indiquer que nous travaillons activement, avec nos amis suisses, pour développer les liaisons et la coopération ferroviaire entre la France et la Suisse.
M. Michel Barnier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos explications.
Pour éviter tout malentendu, je précise que je n'ai nullement voulu manquer de correction à l'égard des élus d'Alsace et du grand Est. Au contraire, j'ai rendu hommage à leur mobilisation et à leur efficacité, soulignant l'écoute qu'ils avaient su trouver au sein du Gouvernement. J'ai seulement exprimé le voeu qu'il en aille de même pour les élus rhônalpins, ce dont je ne suis, hélas ! pas sûr.
Vous venez de nous dire, monsieur le ministre, que ce qu'ont décidé les Suisses ne changeait rien. Ce n'est pas tout à fait l'avis de la SNCF, nous le savons, car c'est un sujet que nous suivons attentivement, nous aussi !
A la SNCF, semble-t-il, on considère que la décision suisse pourrait rendre notre tunnel moins rentable, ce qui conduirait éventuellement à le remettre en cause. Voilà pourquoi nous nous exprimons ici, monsieur le ministre ! Sinon, à quoi servirions-nous ?
La priorité doit être donnée au fret. Je pensais d'ailleurs, sur ce sujet-là, obtenir une réponse plus positive de votre part, vous sachant très attaché aux liaisons ferroviaires.
Au-delà de l'affichage et des discours, le fret est la dimension prioritaire de ce projet, et cela pour deux raisons principales.
Tout d'abord, il faut que notre pays et, en particulier, la région Rhône-Alpes puissent bénéficier des échanges économiques attendus de cette liaison transalpine, au lieu d'observer, dans l'avenir, de manière passive, les résultats des initiatives prises par d'autres. Il s'agit d'une véritable bataille économique de positionnement des échanges au sein de l'Europe des années 2020, et la France ne peut pas perdre cette bataille.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je suis d'accord avec vous !
M. Michel Barnier. Ensuite, il faut soulager nos vallées. Ne sous-estimez pas l'inquiétude et même la colère liées aux nuisances qui vont s'accroître dans les vallées alpines : la vallée de l'Arve et la vallée de la Maurienne.
Le trafic des marchandises augmente, contrairement à ce que disent vos alliés de la majorité plurielle. Dans une déclaration tout à fait étonnante que je tiens à votre disposition, les Verts prétendent que le trafic diminue. Or, selon les chiffres dont je dispose - vous pourrez d'ailleurs les communiquer à votre collègue de l'environnement et à ses amis - ce sont plus de 10 millions de tonnes de marchandises qui passent chaque année par la gare de Modane, et ce trafic connaît une progression régulière, à tel point que la ligne devrait atteindre la saturation entre 2005 et 2010, malgré les investissements prévus. Quant au trafic des poids lourds sous le tunnel du Fréjus, il a atteint le chiffre record de 780 000 véhicules en 1998, ce qui a représenté une nouvelle hausse de plus de 2 % en un an.
Comment, devant de tels faits, ne serions-nous pas déterminés ?
Je suis heureux que Mme Voynet nous rejoigne puisque je viens de parler d'elle.
J'en profiterai, si vous le permettez, monsieur le président, pour ouvrir une toute petite parenthèse et dire, à titre personnel, à Mme la ministre de l'environnement...
M. le président. Monsieur Barnier, c'est certainement très intéressant, mais il y a, malgré tout, un horaire à respecter.
M. Michel Barnier. Je respecterai l'horaire, monsieur le président, mais je tiens, en tant qu'ancien ministre de l'environnement, à lui dire publiquement ma solidarité après l'agression que son ministère a subie hier.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire. Merci, monsieur le sénateu !
M. Michel Barnier. Il s'agit d'un acte inadmissible au regard du fonctionnement normal de la République. (Applaudissements sur les travées socialistes et du RPR.)
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre première réponse. A l'occasion de la poursuite de ce dialogue, nous vous demanderons de maintenir cette volonté politique que nous attendons de votre part et qui devrait vous conduire, en liaison avec le gouvernement italien, à l'élaboration d'un futur traité franco-italien concrétisant ce projet. Nous sommes très inquiets.
Cette question se voulait constructive. Elle a été posée avec détermination pour que les étapes soient effectivement franchies en temps voulu et que cette liaison France-Italie donnant priorité au fret soit bien, selon nos voeux, réalisée.

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