Séance du 2 février 1999







M. le président. « Art. 45 bis . _ Le premier alinéa de l'article 16-1 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement est complété par les mots : ", à l'exception des carrières de marne de dimension et de rendement faibles utilisées, sans but commercial, dans le champ même des exploitants ou dans la carrière communale". »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 396 est présenté par M. Pastor, Mme Boyer, MM. Bony, Courteau, Lejeune, Piras, Plancade, Raoult, Tremel, Bellanger, Besson, Demerliat, Désiré, Dussaut, Fatous, Godard, Journet, Percheron, Rinchet, Signé, Teston, Vidal, Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 431 est déposé par M. Hérisson.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 84, M. Souplet, au nom de la commission des affaires économiques, propose de rédiger ainsi cet article :
« Le premier alinéa de l'article 16-1 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement est complété par les mots : ", à l'exception des carrières de marne de dimension et de rendement faibles utilisées, sans but commercial, dans le champ même des exploitants ou dans la carrière communale, soumises aux dispositions applicables aux installations relevant du régime de la déclaration figurant au titre III de la loi précitée.". »
La parole est à M. Pastor, pour défendre l'amendement n° 396.
M. Jean-Marc Pastor. L'Assemblée nationale a jugé bon d'introduire cet article, qui exclut du champ d'application de l'article 16-1 de la loi de 1976 sur les installations classées les « carrières de marne de dimension et de rendement faibles utilisées sans but commercial ».
Je l'avoue, cette disposition me semble gênante, et cela pour deux raisons.
Tout d'abord, ces petites carrières posent des problèmes au regard de la protection de l'environnement. On constate aujourd'hui, sur une partie du territoire national, un mitage de ces petites carrières, qu'il convient donc de soumettre à la réglementation si l'on ne veut pas laisser faire n'importe quoi.
Ensuite, en ne soumettant pas les petites carrières au régime des installations classées, on reporte indirectement la responsabilité, notamment en matière de sécurité, sur les maires des petites communes qui abritent de telles carrières. Il serait tout de même extrêmement préoccupant de voir ces élus locaux assumer, là aussi, la responsabilité de tout accident qui pourrait se produire dans ces petites carrières.
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Hérisson, pour défendre l'amendement n° 431.
M. Pierre Hérisson. Les carrières relèvent du régime juridique des installations classées, cela a déjà été rappelé.
Les travaux qui, en 1993, ont précédé le vote de la loi sur les carrières ont fait clairement apparaître la volonté du législateur : protéger l'environnement pour éviter le mitage et un certain nombre de problèmes liés à une exploitation désordonnée.
La profession s'était alors largement engagée et avait permis d'élaborer un texte réglant, précisément, le problème des petites exploitations de carrière.
Le régime des installations classées comprend, d'une part, le régime d'autorisation pour les exploitations importantes et, d'autre part, le régime déclaratif, qui est, en quelque sorte, un régime simplifié. Dans ce dernier cas, le dossier à constituer est un peu moins important, mais il existe tout de même un contrôle. Ainsi, toutes les carrières, quelle qu'en soit l'importance, sont identifiées.
La commission des affaires économiques a choisi de confirmer le régime déclaratif mais il serait extrêmement dommageable de revenir à un régime dérogatoire pour ces petites carrières, sachant que c'est justement ce régime qui a rendu possible, dans le passé, un certain nombre d'abus.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 84 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements n° 396 et 431.
M. Michel Souplet, rapporteur. La commission propose, elle, une nouvelle rédaction de l'article 45 bis, rédaction présentant des garanties qui devraient permettre à MM. Pastor et Hérisson de retirer leurs amendements.
L'article 16-1 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement est en fait un apport de la loi n° 93-3 du 4 janvier 1993. Il a trait aux dispositions applicables aux exploitations de carrière. Il prévoit que « les exploitations de carrière sont soumises à l'autorisation administrative prévue à l'article 3 ».
Cette autorisation administrative ne peut excéder trente ans. Elle ne peut excéder quinze ans pour les terrains dont le défrichement est autorisé en application des articles L. 311-1 ou L. 312-1 du code forestier. Toutefois, lorsque l'exploitation de ces terrains est associée à une industrie transformatrice nécessitant des investissements lourds, la durée de l'autorisation d'exploiter peut être portée à trente ans, après avis conforme de la commission départementale des carrières.
L'autorisation est renouvelable dans les formes prévues à l'article 5.
Toute autorisation d'exploitation de carrière est soumise, dans les vignobles classés « appellation d'origine contrôlée », « vins délimités de qualité supérieure » et dans les aires de production de vins de pays, à l'avis du ministre de l'agriculture, après avis de l'Institut national des appellations d'origine et de l'Office national interprofessionnel des vins.
L'article 45 bis tend à compléter le premier alinéa de cet article en excluant du régime des installations classées les carrières de marne de dimension et de rendement faibles utilisées « sans but commercial » dans le champ même des exploitants agricoles ou dans la carrière communale.
Ces petites carrières permettent en effet aux maires des petites communes d'entretenir leurs chemins à moindres frais. De même, les agriculteurs qui ont sur leur exploitation une carrière - généralement à ciel ouvert - peuvent ainsi marner leur terre sans être soumis à des contraintes administratives très lourdes.
Nous tenons au système de l'autorisation mais nous proposons de ne soumettre les petites carrières qu'au système de la déclaration.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 396 et 431 ainsi que sur l'amendement n° 84 ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Après réflexion, le Gouvernement est plutôt favorable aux amendements de suppression. En effet, le problème de la responsabilité des élus locaux est tout à fait réel.
J'ai été sensible aux arguments avancés par MM. Pastor et Hérisson. Toutefois, si ces amendements de suppression étaient repoussés, je préférerais l'amendement de la commission au texte adopté par l'Assemblée nationale. Il reste que, selon moi, la suppression serait plus sage.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l'amendement n° 84 est-il maintenu ?
M. Michel Souplet, rapporteur. Oui, monsieur le président.
Je pense notamment à tous ces exploitants agricoles qui veulent amender leur sol et qui ont sous leurs pieds le matériau leur permettant de le faire. Pourquoi faudrait-il leur infliger une démarche administrative compliquée, en vue d'obtenir une autorisation, alors que la simple déclaration suffit ?
Je me mets aussi à la place des maires des petites communes propriétaires de carrières à ciel ouvert. Celles-ci ne vont pas dénaturer le site, au contraire ! Ces maires ont besoin d'un peu de marne pour combler des trous sur les chemins municipaux. Il me paraît logique qu'ils puissent extraire cette marne en faisant simplement une déclaration.
La commission tient à cet amendement.
M. le président. Monsieur le rapporteur, je vous fais cependant observer que, si les amendements de suppression n°s 431 et 396 sont adoptés, votre amendement n° 84 deviendra sans objet.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 431 et 396.
M. Hilaire Flandre. Je demande la parole contre les amendements.
M. le président. La parole est à M. Flandre. M. Hilaire Flandre. Je vois que les carriers professionnels ont fait une opération de lobbying auprès d'un certain nombre de mes collègues ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Je reste, quant à moi, partisan des petites carrières communales ouvertes, qui n'ont aucun but lucratif, dont les dimensions représentent à peu près le quart de cet hémicycle, dont les hauteurs de taille sont très modestes, mais qui permettent d'extraire les matériaux nécessaires à l'entretien des chemins d'exploitation agricole.
J'ai même invité le ministre de l'environnement à venir chez moi, où se trouve une telle carrière : elle a, certes, été ouverte en toute illégalité, mais elle est parfaitement propre. Au fur et à mesure de l'extraction, on remet de la terre végétale, on replante des arbres. En outre, le terrain ainsi dégagé a servi d'aire de stockage des betteraves : un aménagement tout à fait utile pour les agriculteurs.
Il est scandaleux d'obliger les agriculteurs ou les associations foncières à débourser de l'argent pour acheter des matériaux que des carriers viennent extraire sur leurs terres pour les leur revendre ensuite.
C'est pourquoi je suis contre les deux amendements de suppression et voterai l'amendement de la commission.
M. Michel Souplet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Souplet, rapporteur. La commission demande que le Sénat se prononce par priorité sur l'amendement n° 84.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix la demande de priorité formulée par la commission et repoussée par le Gouvernement...
La priorité est ordonnée.
Je vais donc mettre aux voix, par priorité, l'amendement n° 84.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je veux bien me résigner à cet amendement n° 84 parce que, en tout état de cause, il représente un progrès.
Il reste que le problème n'est pas celui de la liberté des agriculteurs, une liberté que personne ici ne veut mettre en cause. Le problème, c'est la dangerosité.
M. Gérard César. Voilà !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. C'est pourquoi je parlais de la responsabilité des élus locaux. Il y a tout de même beaucoup d'accidents dans ces carrières !
Plusieurs sénateurs du RPR. Exactement !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Par conséquent, monsieur le rapporteur, je vous propose une nouvelle modification, dans le souci de faire avancer les choses.
Il s'agirait, dans le texte que vous proposez, après les mots : « à l'exception des carrières de marne de dimension et de rendement faibles utilisées », d'ajouter les mots : « à ciel ouvert ». Cela permettrait déjà de limiter le nombre des accidents. (Manifestations d'approbation sur plusieurs travées du RPR.) J'ai l'impression de recueillir une certaine approbation ! Ce pourrait être un compromis acceptable.
M. le président. Monsieur le rapporteur, rectifiez-vous votre amendement conformément à la suggestion de M. le ministre ?
M. Michel Souplet, rapporteur. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 84 rectifié, présenté par M. Souplet, au nom de la commission des affaires économiques, et tendant à rédiger ainsi l'article 45 bis :
« Le premier alinéa de l'article 16-1 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement est complété par les mots : « , à l'exception des carrières de marne de dimension et de rendement faibles utilisées à ciel ouvert, sans but commercial, dans le champ même des exploitants ou dans la carrière communale, soumises aux dispositions applicables aux installations relevant du régime de la déclaration figurant au titre III de la loi précitée. »
Je vais mettre aux voix cet amendement.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je comprends tout à fait l'émoi que provoque un tel amendement auprès de ceux de nos collègues qui ont une sensibilité environnementale forte ainsi que de ceux qui n'oublient pas qu'ils ont également une casquette de maire. Cela montre bien, au passage, que le cumul des mandats permet d'avoir une approche tout à fait utile de certains dossiers ! (Sourires.)
Dans les circonstances actuelles, compte tenu de la multiplication des contentieux mettant en cause la responsabilité des maires, il est légitime que nous soyons préoccupés.
A partir du moment où vous avancez des arguments de cette nature, vous suscitez chez l'ensemble des membres du Parlement des questions. On peut être amené à se demander : « Dans le fond, n'est-on pas en train de faire une erreur en adoptant un tel amendement ? »
Cela étant, il est évident que le problème des carrières ou des marnières ne se pose pas avec la même acuité suivant les régions. Il ne se présente pas de la même façon en zone de montagne, dans le sud de la France, dans les régions viticoles ou dans les régions de plaine, comme celle dont je suis issue.
Vous reconnaîtrez que ceux qui plaident pour le maintien de l'activité de ces carrières proviennent plutôt des zones de plaine, car c'est en ces lieux que le problème est le plus aigu.
Je pense que M. le ministre a eu raison de demander la rectification de cet amendement, afin qu'il puisse être adopté par la Haute Assemblée. En effet, avec le système déclaratif, dans l'hypothèse d'un accident mettant en cause la responsabilité du maire, celle-ci serait définie par la voie réglementaire.
Dans nos régions, nous faisons la distinction entre les carrières et les marnières.
Les carrières ont une vocation industrielle entraînant une activité lourde, impliquant une véritable atteinte à l'environnement, et cela sur différents plans : il y a l'impact sur le paysage, mais aussi le bruit, le trafic routier provoqué par ces allées et venues incessantes des camions, qui traversent d'ailleurs aussi les villages. Ces carrières sont bannies par la population et doivent faire l'objet d'une réglementation très stricte, ce que la profession agricole approuve.
En revanche, les marnières agricoles que nous connaissons et qui sont ancestrales - certaines ont un siècle d'existence ! - sont intégrées dans les paysages. Elles ne posent pas de problèmes environnementaux et ne font pas l'objet d'une exploitation préjudiciable à la population. Elles rendent au contraire de signalés services, notamment à la profession agricole ; elles jouent un rôle économique essentiel et ont même une grande utilité au regard de la sécurité.
Dans les zones de plaine où les agriculteurs doivent mettre en bordure des routes leur silo de betteraves, aujourd'hui, nombre de présidents de conseils généraux, compte tenu des problèmes de sécurité qui se posent sur nos routes départementales de plus en plus fréquentées, ont obligé la profession agricole à procéder à des aménagements le long des voies communales - ce qui renvoie le problème vers les maires - ou sur leur propre domaine routier, ce qui les oblige à réaliser des plates-formes. Ces plates-formes, avec quoi sont-elles faites ? Avec les produits de ces carrières et de ces marnières !
Si vous interdisiez cette exploitation, qui n'est pas fréquente, vous créeriez une difficulté supplémentaire pour les professions agricoles.
Au moment où le Sénat se préoccupe de donner un caractère économique au texte de loi d'orientation agricole, je crois qu'il serait mal venu de ne pas retenir la proposition qui est faite par M. le rapporteur.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut laisser faire n'importe quoi ! Je fais confiance, de ce point de vue, au pouvoir réglementaire pour faire en sorte que les inquiétudes que certains ont manifestées soient atténuées par un certain nombre de dispositions.
La sagesse consiste à voter cet amendement.
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Je souhaite attirer l'attention de M. le rapporteur sur le fait que la loi sur les installations classées vise l'ensemble des carrières du territoire national.
Si vous voulez que cet amendement tienne devant un recours inévitable des organisations professionnelles des carrières, ne visez que les marnières et supprimez la références aux carrières. Sinon, je ne donne pas cher de la durée de vie des mesures contenues dans cet amendement. C'est l'ancien président de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux qui vous parle.
M. Gérard César. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Je suis très sensible aux arguments de M. le ministre et de M. Hérisson.
Il est vai qu'il existe un grand danger si l'on peut creuser une carrière n'importe où, au prix d'une simple déclaration. Et encore faut-il que cette déclaration soit faite ! Voilà quelques jours, j'ai pu vérifier qu'il n'y avait qu'un seul agent pour surveiller l'ouverture de carrières dans cinq départements !
Comme l'a dit M. le ministre, c'est la responsabilité des maires qui risque d'être mise en cause. Bien souvent, ces carrières se transforment en plan d'eau ; si, par malheur, un enfant se noie, c'est le maire qui est responsable !
M. Jean-Marc Pastor. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. J'approuve tout à fait les propos qui viennent d'être tenus par mes collègues Gérard César et Pierre Hérisson.
Je comprends parfaitement la préoccupation de M. Flandre, qui veut que les agriculteurs puissent extraire, sur leur exploitation, les matériaux dont ils ont besoin.
Il n'en demeure pas moins que, avec des dispositions de ce type, nous engageons indirectement la responsabilité des élus locaux. Je tiens ici à tirer la sonnette d'alarme : aujourd'hui, ils en ont assez !
Si nous pouvons faire en sorte que ces carrières et marnières soient soumises à la réglementation existante, ne compliquons pas les choses et supprimons cet article.
M. Michel Souplet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Souplet, rapporteur. Que les choses soient bien claires : nous ne demandons pas que n'importe qui puisse faire n'importe quoi. Mais je ne me plie pas non plus au diktat des grands carriers, qui veulent tout couvrir. Les maires ont des responsabilités qu'ils assument. Dans de nombreuses communes rurales, ils ont besoin d'exploiter des petites marnières. Les agriculteurs en ont également besoin.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 84 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 45 bis est ainsi rédigé, et les amendements n°s 396 et 431 n'ont plus d'objet.

Article 46