Séance du 8 décembre 1998







M. le président. « Art. 70. _ I. _ Il est rétabli, dans le code général des impôts, un article 123 bis ainsi rédigé :
« Art. 123 bis . _ 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable, établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.
« Pour l'application de l'alinéa qui précède, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206.
« 2. Les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus indirectement par la personne physique mentionnée au 1 s'entendent des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus par l'intermédiaire d'une chaîne d'actions, de parts, de droits financiers ou de droits de vote ; l'appréciation du pourcentage des actions, parts, droits financiers ou droits de vote ainsi détenus s'opère en multipliant entre eux les taux de détention desdites actions ou parts, des droits financiers ou des droits de vote successifs. Toutefois, ces actions, parts ou droits financiers ou droits de vote ne sont pas pris en compte pour le calcul du revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, mentionné au 1.
« La détention indirecte s'entend également des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus directement ou indirectement par le conjoint de la personne physique, ou leurs ascendants ou descendants.
« 3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable établi ou constitué hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le présent code comme si les personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables étaient imposables à l'impôt sur les sociétés en France. L'impôt acquité localement sur les bénéfices ou revenus positifs en cause par la personne morale, l'organisme, la fiducie ou l'institution comparable est déductible du revenu réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la proportion mentionnée au premier alinéa du 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les sociétés.
« Toutefois, lorsque la personne morale, l'organisme, la fiducie ou l'institution comparable est établi ou constitué dans un Etat ou territoire n'ayant pas conclu de convention d'assistance administrative avec la France, le revenu imposable de la personne physique ne peut être inférieur au produit de la fraction de l'actif net ou de la valeur nette des biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable, calculée dans les conditions fixées au 1, par un taux égal à celui mentionné au 3° du 1 de l'article 39.
« 4. Les revenus distribués ou payés à une personne physique mentionnée au 1 par une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable ne constituent pas des revenus imposables au sens de l'article 120, sauf pour la partie qui excède le revenu imposable mentionné au 3.
« 5. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application des dispositions qui précèdent et notamment les obligations déclaratives des personnes physiques. »
« II. _ Les dispositions du I s'appliquent à compter de l'imposition des revenus de l'année 1999. »
Par amendement n° II-128, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'article 70 prévoit d'imposer les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France au titre des revenus procurés par des actifs monétaires ou financiers détenus par l'intermédiaire de structures implantées à l'étranger et bénéficiant d'un régime fiscal privilégié, même lorsque les revenus ne sont pas distribués.
Ce dispositif est, du point de vue de la commission des finances, tout à fait exorbitant du droit commun.
Il appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, ainsi que je vous l'indiquais, il s'agit d'imposer des revenus non perçus par leurs titulaires.
En deuxième lieu, certains de ces revenus feraient l'objet, selon l'article 70, d'une évaluation forfaitaire minimale et, en contrepartie, l'imputation des pertes qui devraient pouvoir être constatées n'est pas prévue.
En troisième lieu, ce dispositif, ce qui est inédit, pose une présomption irréfragable d'évasion fiscale. C'est là une innovation en droit fiscal à laquelle vous nous conviez subrepticement.
En quatrième lieu, ladite disposition est, selon notre analyse, contraire au droit international, vraisemblablement, et au droit communautaire, certainement.
De plus, dans votre dispositif, pas moins de sept cas de cumul d'imposition pourraient être recensés. Je suis en mesure de vous apporter des précisions sur ce point, si vous le souhaitez, mais je vous demande de vous reférer à la page 137 du rapport écrit de la commission, où ils sont très précisément indiqués. C'est, là encore, mes chers collègues, du totalement inédit, du jamais-vu.
Par ailleurs, c'est un dispositif rétroactif - vraiment, il a tout, tout pour plaire ! - pour les exercices clos entre le 1er décembre et le 31 décembre 1998.
Enfin - il faut bien en terminer avec cette liste ! - ce dispositif est inopérant.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, malgré tout l'arsenal de mesures contraignantes que vous vous ménagez ainsi, ce dispositif, nous pouvons vous le dire, est très probablement inopérant, car il n'apporte aucune réponse au vrai problème concret que vous rencontrez et qui est celui de la connaissance des revenus perçus à l'étranger.
Malgré tout ce fatras juridique dont vous voudriez ainsi vous entourer, vous n'aurez toujours pas plus de moyens d'action sur les intermédiaires financiers, les gestionnaires de capitaux, les banques établies à l'étranger et, hormis le cas où des accords internationaux permettraient de s'assurer de la transmission des informations, vous n'aurez toujours pas plus de moyens d'action concrets pour obtenir les informations que vous estimez nécessaires.
Au total, il s'agit d'un dispositif inéquitable, contraire aux règles de droit international, contraire au droit communautaire, inopérant, rétroactif... Bref, je ne vais pas en ajouter, mes chers collègues : il est clair que la commission des finances souhaite la suppression de l'article 70.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'ai trouvé, dans l'intervention de M. le rapporteur général, une vivacité particulièrement intéressante, car cet article 70, que le Gouvernement propose à l'approbation du Sénat, n'a pas tous les péchés qu'il lui a attribués !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Des péchés capitaux !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Des péchés capitaux ? C'est à voir !
Il s'agit, monsieur le rapporteur général, de prévenir un moyen d'évasion fiscale qui consiste à faire en sorte, pour échapper à l'impôt sur le revenu, de domicilier un certain nombre de ses actifs à l'étranger, dans des pays qui offrent un régime fiscal privilégié - d'une façon familière, disons dans un « paradis fiscal » - et de laisser les revenus de ce patrimoine placé à l'étranger se capitaliser en échappant à toute fiscalité.
Ce dispositif est utilisé par certaines personnes fortunées qui ont suffisamment d'argent de côté en France pour ne pas avoir besoin de tirer sur les revenus de ce patrimoine à l'étranger.
Vous me dites que c'est une disposition scélérate. Pas du tout ! C'est l'application, en France, d'un dispositif qui existe en Allemagne, en Suède, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et chez plusieurs autres de nos partenaires, et qui a été recommandé par l'OCDE que, monsieur le rapporteur général, vous la prenez souvent en exemple sur d'autres sujets, dans un rapport sur les pratiques fiscales dommageables, rapport qui a été adopté le 9 avril dernier et qui a recommandé aux Etats d'instituer une telle procédure de lutte contre l'évasion fiscale.
Nous ne sommes donc pas en train d'innover du point de vue fiscal en faisant preuve de je ne sais quel acharnement que vous dénoncez avec des mots vibrants ; nous sommes en train, avec retard, de nous adapter au droit international en matière d'évasion fiscale dans des paradis fiscaux.
Il est surprenant que vous citiez l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis lorsque cela vous arrange pour dénoncer tel ou tel projet du Gouvernement, et, lorsque ces pays ont des dispositions fiscales qui ont pour objet de créer un minimum de moralité en matière d'impôt sur le revenu - comme M. Charasse, j'aurai la tentation de citer à nouveau l'article xiii de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, particulièrement en ce jour où nous honorons le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme - chaque fois que nous voulons aligner nos pratiques sur les pratiques internationales reconnues en matière de lutte contre l'évasion fiscale, vous développez une argumentation qui est davantage passionnée que convaincante.
Vous dites qu'il s'agit d'une mesure rétroactive. Non ! Si vous adoptez cet article - c'est ce que vous allez faire, j'en suis sûr, soucieux que vous êtes de lutter contre l'évasion fiscale - ce seront les revenus de 1999 qui seront imposés en l'an 2000 : il n'y aura donc pas de rétroactivité.
Vous prétendez que c'est une mesure inopérante. On verra ! Une fois que cet article 70 aura été adopté, les contribuables français sauront qu'ils sont en situation de fraude s'ils capitalisent à l'étranger des revenus indemnes de tout impôt.
Je ne mets pas dans la défense de l'article 70 une passion particulière. Il s'agit simplement d'adopter, en France, des dispositifs qui existent dans des pays qui sont aussi démocratiques et aussi libéraux - parfois plus - que le nôtre, dispositifs qui ont pour objet de lutter contre l'évasion fiscale, ce qui est un des objectifs prioritaires du Gouvernement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. J'avais demandé la parole avant que M. le secrétaire d'Etat ne dise qu'il s'exprimait sans aucune passion. Je souhaitais, moi-même, que nous puissions examiner de tels sujets sans passion.
Tous autant que nous sommes, sur quelque travée que ce soit, nous sommes attachés à ce que la fiscalité soit équitable, à ce que les redevables acquittent justement leur contribution.
En revanche, ce qui est particulier à votre gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est de vouloir donner à la moralisation des traductions juridiques inopérantes, allant souvent à l'encontre de l'objectif que vous visez sincèrement.
Dans cette démarche de moralisation, il faut nous doter des instruments internationaux qui ont fait leurs preuves, qui sont efficaces. Vouloir utiliser des outils qui ont plus l'apparence de l'efficacité qu'une véritable efficacité tend à donner à notre pays une mauvaise réputation, à inciter nos compatriotes les plus performants, ceux qui créent, à choisir d'autres pays pour mener leurs activités. En l'occurrence, nous devons être réalistes.
Les propositions formulées par M. le rapporteur général ne visent pas à faire de la France un paradis fiscal. Mes chers collègues, si la France était un paradis fiscal, cela se saurait ! (Marques d'approbation sur diverses travées du RPR.)
Je n'ai pas connaissance que nous devions faire face à une invasion de contribuables internationaux qui auraient choisi notre territoire au motif que la France serait devenue une passoire extraordinaire permettant d'échapper à l'impôt ; certains disent que ce serait plutôt le contraire.
Dans notre pays, nous attachés à une certaine idée de la justice, et personne n'a envie d'y renoncer.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mon intention n'est pas de vous froisser, mais je dois vous dire que vos propositions ne sont pas habiles. Elles sont parfois d'une naïveté telle qu'elles en sont touchantes. Mais elles sont tellement inefficaces que j'éprouve la crainte que la France n'y perde un peu de sa réputation de grand pays et que sa fiscalité n'apparaisse comme brouillonne et, pour tout dire, quelque peu dérisoire.
Mes chers collègues, je vous donne rendez-vous : regardons de très près ce que les grands spécialistes de la fiscalité, à la réputation internationale et qui se trouvent hors du champ politique et politicien, diront de la législation fiscale que nous avons été appelés à voter ces derniers mois. Elle est mauvaise. Elle présente beaucoup de défauts. Elle est spécifique. Elle est destinée à quelques contribuables seulement, au risque de pénaliser tous les autres. Elle est génératrice d'insécurité juridique et fiscale. Bref, elle a tous les défauts. En tout cas, elle ne remplit pas son objectif, en l'occurrence la justice fiscale ; elle n'aboutit qu'à rendre notre territoire moins compétitif. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-128.
M. Bernard Angels. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Je ne comprends pas très bien pourquoi M. le rapporteur général présente cet amendement de suppression.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah !
M. Bernard Angels. Dans son rapport, M. Marini reconnaît que le contrôle portant sur l'évasion fiscale internationale est difficile à mettre en oeuvre.
M. Marini reconnaît également que les procédures de coopération administrative internationale ne sont pas efficaces et ignorent même les paradis fiscaux.
Il reconnaît encore que l'objectif du Gouvernement est de dissuader les très grosses fortunes privées de se délocaliser dans des paradis fiscaux.
Il reconnaît enfin que l'OCDE recommande aux Etats de prendre des « dispositifs anti-abus » - vous voyez que je vous ai bien lu, monsieur le rapporteur général !
Dans ces conditions, vous pourriez très bien émettre des critiques techniques sur l'article. Pourquoi n'avez-vous pas proposé de le modifier pour y apporter les améliorations qui auraient répondus à vos interrogations ? Supprimer l'article n'est pas raisonnable, compte tenu des enjeux que vous avez vous-même relevés.
Vous comprendrez donc, monsieur le rapporteur général, que nous ne puissions pas vous suivre dans cette voie.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. C'est en toute sérénité que je souhaite intervenir sur cet article.
Je dois dire que l'idée d'améliorer le dispositif comme le suggère M. Angels nous a effleurés. C'est vrai, nous aurions pu essayé d'établir un certain nombre de distinctions entre les opérations visées. Nous aurions également pu envisager de modifier la date, de manière à éviter les effets de rétroactivité dont nous avons parlé tout à l'heure. Enfin, nous aurions pu nous efforcer de distinguer selon les localisations.
En effet - et c'est l'argument principal qui me conduit à voter l'amendement de la commission - le dispositif est véritablement anti-européen.
On parle de spéculateurs et de paradis fiscaux, mais regardons ce qui se passe en Europe !
On a affaire à un certain nombre d'acteurs économiques, souvent des groupes industriels, qui ont réparti leurs capitaux et qui opèrent à partir de la Belgique ou du Luxembourg : il n'est pas question de paradis fiscaux exotiques, ni de spéculateurs qui ont déposé de l'argent qui dort - ce peut être le cas, c'est pourquoi il aurait fallu établir une distinction - dans quelques coffres extrêmement rentables. Il s'agit d'opérateurs qui, pour le compte de la France, en liaison d'ailleurs avec des acteurs internationaux d'origine française, travaillent à des acquisitions, à des extensions et à des fusions.
Il est quand même un peu paradoxal de prévoir un tel dispositif au moment où un système de bourses européennes s'installe, au moment où s'instaure la liberté des capitaux. Il vaudrait beaucoup mieux que la France s'engage, à la fois, dans le combat contre la fraude fiscale et dans la mise en oeuvre d'un dispositif d'harmonisation fiscale européenne de manière à traiter ces opérateurs industriels de manière égale sur le plan fiscal, qu'ils soient localisés chez nous, en Belgique ou au Luxembourg - je cite ces pays parce qu'ils sont très proches de la France.
Par ailleurs, je doute vraiment - j'ai été convaincu par l'argumentation de la commission des finances - que ce dispositif soit conforme à la réglementation européenne, et je pense qu'il risque d'être rejeté par la Cour de justice européenne.
Il est aussi un point important sur lequel M. le secrétaire d'Etat n'a pas fourni d'explications : je veux parler de la possibilité ouverte de taxer des revenus virtuels non distribués.
Si les revenus ne sont pas distribués, l'administration fiscale pourrait donc procéder à une évaluation forfaitaire. Pour la première fois, un contribuable se verrait ainsi taxer sur des revenus virtuels latents. En tant que citoyen contribuable très attaché à une répartition égale des charges entre les citoyens, je m'insurge contre ce procédé jamais vu. C'est une innovation juridique et fiscale tout à fait extraordinaire.
C'est cette raison supplémentaire qui me conduit à voter l'amendement de suppression de la commission des finances car, tel qu'il est, le dispositif n'est pas amendable. Je n'ai d'ailleurs pas senti non plus, dans les déclarations de M. le secrétaire d'Etat, une volonté de l'améliorer, de corriger ses imperfections au regard de notre appartenance européenne, ni au regard du droit fiscal ou des principes généraux du droit que je viens de rappeler.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, le Gouvernement ayant été interpellé par M. le président de la commission des finances comme par M. Lachenaud, je voudrais leur répondre tout de suite pour éclairer le débat.
Monsieur le président de la commission des finances, vous avez fait un exposé vibrant portant, non pas sur l'article 70 en cours de discussion, mais sur l'ensemble de la politique fiscale du Gouvernement. Je respecte vos convictions, mais je ne les partage pas.
En la matière, il s'agit simplement de mettre notre droit en conformité avec le droit international, notamment avec les recommandations de l'OCDE, qui sont très précises.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est faux !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je vous rappelle, monsieur le rapporteur général, et vous pouvez le vérifier, que ce dispositif existe en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie, c'est-à-dire dans de très nombreux pays européens.
S'agissant de l'harmonisation européenne, point sur lequel m'a interrogé M. Jean-Philippe Lachenaud, je tiens à dire que la France, avec ses partenaires - la présidence allemande entend y prendre une part active - compte faire beaucoup progresser ce dossier durant le premier semestre de 1999. L'action doit être menée sur deux fronts.
Il s'agit d'abord d'élaborer un code de bonne conduite afin d'éviter, dans les pays de l'Union européenne, des pratiques fiscales qui induisent des distorsions de concurrence.
Par ailleurs, un projet de directive vise à faire en sorte que l'épargne non résidente, c'est-à-dire l'épargne d'un ressortissant de la Communauté placée dans un autre pays que celui où il réside, ne bénéficie pas de fait d'une exonération d'impôt. Nous envisageons d'instituer une retenue minimale au bénéfice du pays d'accueil sur l'épargne anonyme qui y serait déposée.
J'évoquerai un troisième chantier : le travail collectif qui est mené pour lutter contre la fraude et contre l'évasion fiscales, aussi bien au niveau européen qu'à celui de l'OCDE.
Vous dites, monsieur Lachenaud, qu'on ne peut taxer des revenus non encore perçus. Mais je peux vous répondre qu'aucun principe ne l'interdit. Il existe plusieurs exemples de taxation de revenus non perçus : c'est le cas des résultats des sociétés de personnes. Cette possibilité a été confirmée par un arrêt du Conseil d'Etat en 1973.
Le vrai débats, monsieur le président de la commission, c'est...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est celui de l'efficacité !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En fait, il y a deux débats : l'un sur l'équité, l'autre sur l'efficacité.
Je ne vous ferai absolument pas de procès d'intention, messieurs, en supposant que la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ne serait pas votre fait,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous l'avons prouvé par nos votes.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... même si vous avez eu à mon égard une attitude amicalement condescendante, que je mets sur le compte de votre grande expérience en tant que sénateur...
Je veux simplement dire que nous devons lutter ensemble contre l'évasion fiscale parce que c'est à la fois une question d'équité et une question d'efficacité, parce que les impôts qui ne sont pas payés par ceux qui profitent de toutes ces brèches dans le dispositif fiscal, eh bien, ils sont payés par d'autres ! Ils sont payés par ceux qui ne peuvent pas louer les services de conseillers fiscaux, qui ne disposent pas de capitaux nomades, etc.
Par ailleurs, le fait que nous reprenions intégralement, dans l'article 70, un dispositif qui existe dans d'autres pays, que j'ai cités, montre bien qu'il ne s'agit pas de création de tel ou tel remarquable technicien de l'administration fiscale : c'est la pure et simple transposition d'un dispositif qui est déjà mis en oeuvre ailleurs.
Le jour où tous les grands pays de l'OCDE auront adopté les mêmes dispositions, il sera bien difficile de blanchir de l'argent et de frauder le fisc. La France ne doit pas être le dernier pays à se conformer aux normes internationales en matière de lutte contre l'évasion fiscale.
Par conséquent, j'engage très sincèrement la Haute Assemblée à voter l'article 70, et donc à rejeter l'amendement visant à la supprimer.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'avez pas, en matière de lutte contre l'évasion fiscale et en particulier contre les délocalisations de patrimoine, je vous le dis tout à fait amicalement,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et sans condescendance !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... de leçons de morale à donner au Sénat, car nous vous avons exposé, lors de la discussion de la première partie, la façon dont nous abordions ce sujet. D'ailleurs, sur plusieurs points, des éléments précis me conduisent à penser que certaines des décisions que nous avons prises, certaines modifications que nous avons opérées sont plus efficaces en matière de lutte contre l'évasion fiscale que votre propre dispositif. Je suis à votre disposition pour vous le démontrer par A plus B.
En cette matière, nous n'avons donc, je le répète, absolument aucune leçon à recevoir. (Manifestations d'incrédulité sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) C'est la stricte vérité, mes chers collègues !
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre dispositif n'est pas bon et nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de l'incorporer dans le code général des impôts. Pourquoi ? M. Jean-Philippe Lachenaud l'a dit : ce qui est visé à l'article, ce sont des participations - cela figure à la page 135 du rapport - mais entendues au sens large ; il peut donc s'agir aussi bien de participations opérationnelles de contrôle d'entreprises tout à fait réelles, avec de vrais risques d'entreprise. Non, monsieur le secrétaire d'Etat, décidément, je ne comprends pas !
Je comprends d'autant moins que vous visez des bénéfices ou revenus non distribués, qui sont réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers. C'est cette présomption irréfragable de faute que vous établissez dans ce texte qui nous semble tout à fait hors de propos.
Nous avons bien fait ressortir, à l'issue d'une étude que je crois tout à fait honnête, les raisons pour lesquelles nous ne souhaitions pas vous suivre.
Certes, l'OCDE recommande aux Etats de mettre en place certains dispositifs anti-abus, mais il convient de remarquer que le modèle de convention fiscale proposé par l'OCDE ne prend pas en compte les revenus non distribués.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je persiste à le dire, personne n'y avait pensé avant vos services !
Et je persiste aussi à dire que votre dispositif n'est pas efficace. Il vous donnera bonne conscience, il vous permettra de faire de grands effets de manche, mais il ne vous permettra pas d'aller au coeur des choses, car, ce qui vous le permettrait, c'est la signature de bonnes conventions fiscales avec de vraies clauses d'assistance administrative.
Vous êtes là dans le domaine de l'international, monsieur le secrétaire d'Etat ! Vous n'êtes pas souverain au sens où vous êtes souverain sur le code général des impôts ! Il s'agit de transmission d'informations d'un Etat à un autre et, quelle que soit leur rigueur, les dispositions du code général des impôts ne peuvent être que de nul effet si vous n'avez pas les moyens d'obtenir les remontées d'informations dont vous avez besoin.
Nous ne souhaitons pas, avec cet amendement de suppression, aller à l'encontre de la lutte contre l'évasion fiscale, c'est bien évident, et il faut que ce soit clairement perçu par chacun de nos collègues.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, vous faites un amalgame entre deux types de placements à l'étranger qui n'ont absolument aucun rapport entre eux.
Le premier consiste à prendre une participation dans une société étrangère. En général, ces sociétés étrangères sont situées dans des Etats qui sont liés avec la France par des conventions fiscales visant à éviter la double imposition. L'article 70 ne vise pas ce cas, dans la plupart des hypothèses, puisque, lorsqu'il existe une convention fiscale, l'article ne s'applique généralement pas. Si les revenus en question sont taxés dans le pays avec lequel nous avons une convention fiscale, ils ne sont, en principe, pas taxés en France.
Ce n'est absolument pas de cela qu'il s'agit et vous êtes trop averti de ces affaires pour faire cette confusion.
Ce dont il est question, c'est de revenus qui sont perçus sur des patrimoines qui, en général, ne sont pas des patrimoines industriels et qui sont placés dans des pays avec lesquels il n'existe pas de convention fiscale, et ce pour une raison toute simple : parce que ce sont des paradis fiscaux ! Si vous regrettez que nous n'ayons pas conclu de conventions fiscales avec de tels pays, pardonnez-moi de vous le dire, mais la naïveté est plus de votre côté que du mien.
Devrions-nous passer des conventions avec des paradis fiscaux ? Certainement pas ! Ce que le monde est précisément en train de faire, par le truchement de l'OCDE et de l'Union européenne, c'est enserrer peu à peu les paradis fiscaux qui échappent à toute règle fiscale internationale dans un réseau d'obligations extérieures.
Je le répète, l'article 70 ne vise absolument pas à décourager le placement de l'épargne française dans des investissements productifs à l'étranger. Ceux qui pensent que l'investissement productif à l'étranger est une mauvaise chose pour notre pays ne sont pas au Gouvernement. En revanche, on en trouve certains à la Haute Assemblée.
Ce qui est ici en cause, c'est le placement délibéré de capitaux dans des paradis fiscaux qui n'ont généralement pas de conventions fiscales avec la France.
Par conséquent, je vous en supplie, ne faisons pas d'amalgame ! Ne mélangeons pas deux choses qui sont parfaitement différentes, à savoir, d'une part, le placement légitime de capitaux dans des pays qui ont une fiscalité sérieuse et qui ont des conventions fiscales avec notre pays et, d'autre part, le placement de capitaux dans des pays qui, fiscalement, sont peu sérieux et qui sont en fait des paradis fiscaux. L'article 70 a précisément pour but, conformément à la volonté internationale, de réduire peu à peu le champ de ces derniers.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-128, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 70 est supprimé.

Article 70 bis