Séance du 4 décembre 1998







M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant les transports terrestres, les routes et la sécurité routière.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 32 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 33 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Le projet de budget des transports terrestres que vous nous présentez, monsieur le ministre, marque, une nouvelle fois, la politique volontariste du Gouvernement en matière de développement des transports, de tous les modes de transports.
Tout en ayant la nécessité d'une gestion rigoureuse et stricte des finances publiques, vous avez, comme lors du budget de 1998, maintenu vos priorités sans pénaliser financièrement les autres axes de votre politique.
En préambule, je dirai que ce budget satisfait le groupe socialiste, puisqu'il répond à notre souhait d'un développement d'une politique de transports multimodale respectueuse de l'environnement, pour un aménagement équilibré et intelligent du territoire.
Cependant, j'aurais aimé qu'un effort plus important soit traduit dans le développement du transport de fret par le rail.
Si les crédits budgétaires des transports terrestres n'augmentent que de 0,6 %, la progression est supérieure à 5 % en tenant compte du Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, du Fonds pour l'aménagement de la région d'Ile-de-France et de la dotation en capital de Réseau ferré de France, RFF.
Votre budget marque, en premier lieu, un soutien fort au transport ferroviaire, et je m'en réjouis pleinement.
Je voudrais souligner, d'abord, la dotation complémentaire de 13 milliards de francs en 1999 à RFF, qui, même si elle ne lui permettra pas de résorber sont déficit, stabilisera celui-ci. Cela répond à une logique que le groupe socialiste avait longuement défendue lors de la création des deux établissements. En effet, il ne voulait pas désendetter la SNCF en endettant RFF.
A ce sujet, monsieur le ministre, vous venez de réviser le montant des péages. L'exercice était périlleux mais vous êtes parvenu, je crois, à un bon équilibre puisque, en 2001, la SNCF paiera 8,9 milliards de francs, soit 1,2 milliard de francs de plus sur trois ans.
Un rééquilibrage financier entre le rail et la route permettra de réaliser un programme maîtrisé de construction de lignes nouvelles à grande vitesse, tout en modernisant le réseau existant.
Le développement du réseau TGV national et international est capital pour la SNCF, comme le montre le nombre croissant de voyageurs sur les réseaux Nord-Sud-Est, Thalys et Eurostar.
Demain, l'allongement du réseau jusqu'à Marseille, Montpellier, plus tard la réalisation du TGV Est seront autant de facteurs qui renforceront la place du transport ferré comme mode de transport des passagers.
Mais le TGV n'est pas un tout, et l'intérêt général que nous devons avoir pour référence nous impose de travailler sur le réseau existant.
La modernisation du réseau par l'octroi d'un matériel roulant plus performant, notamment pendulaire, doit être étudiée chaque fois qu'il peut constituer une solution alternative à la création d'une infrastructure nouvelle.
Nous devons avoir pour souci permanent l'intérêt de tous les voyageurs, mais aussi un développement harmonieux des transports ferrés. L'électrification de certaines lignes est obligatoire. Cela répond à un dossier qui me tient particulièrement à coeur, et qui fait beaucoup parler de lui actuellement, celui qui concerne le transport du fret.
Depuis deux ans, l'activité du fret a connu une progression des plus remarquables ; les résultats de 1998 devraient dépasser, en volume, les 53 milliards de tonnes par kilomètre, le meilleur résultat depuis la mise en oeuvre de la déréglementation routière en 1985.
Pour accompagner cette progression et améliorer la qualité, la SNCF, et notamment sa division fret, s'est donné les moyens de son ambition, par l'embauche supplémentaire de conducteurs et l'affectation de nouvelles locomotives.
Cependant, à quoi bon les moyens si le réseau ne peut absorber la progression du trafic ?
Les investissements d'infrastructures pour le fret restent insuffisants pour répondre à ces besoins.
Vous savez, comme moi, monsieur le ministre, que nous frôlons, depuis plusieurs mois, le niveau de saturation au niveau des agglomérations de Lyon, Nîmes et Montpellier. Leur contournement devient capital.
Cela est primordial, car la part importante du fret réalisé par le biais du transport combiné ne cesse de s'accroître. Il serait dommage de modérer le développement de ce type de transport, car le transport combiné est l'une des solutions répondant le mieux à la sécurité, au respect de l'environnement, face au « tout-autoroute ».
Aussi, une question se pose : qu'en est-il des plates-formes multimodales ? Comment vont-elles s'intégrer dans ce schéma ?
Une autre question nous interpelle : le personnel, auquel nous avons toujours été très attentif, prendra-t-il véritablement conscience de l'évolution inéluctable de son entreprise ?
Dans son rapport sur le bilan 1997, M. Gallois déclarait : « Pour maîtriser ses grands défis et répondre efficacement à ses missions, notamment celles de service public, la SNCF entreprendra de profondes mutations internes. La première concerne le dialogue social. Le niveau de conflictualité actuel est un obstacle majeur au développement de l'entreprise ; tous les acteurs concernés - direction, encadrement, organisations syndicales, personnels - doivent en prendre clairement conscience et réfléchir - pourquoi pas ensemble ? - aux moyens de surmonter cette difficulté. Faire d'un dialogue social plus serein, plus productif, le levier des progrès de l'entreprise et de ses personnels peut être un objectif commun à tous au sein de la SNCF. D'autres ont mieux avancé que nous dans cette voie ; ils montrent en tout cas que c'est possible et que tout le monde "s'y retrouve". » Je fais miens de tels propos.
Nonobstant ces questions, sachez, monsieur le ministre, que votre projet de budget me satisfait, car il a le mérite d'inscrire clairement une volonté politique de développement du transport collectif et ferroviaire.
S'agissant maintenant des voies navigables, des routes et de la sécurité routière, là encore, l'action et l'engagement du Gouvernement sont clairs et positifs.
Les différents accords inscrits dans le cadre de la modernisation et l'adaptation des entreprises de transports routiers de marchandises sont repris, qu'il s'agisse du contrat de progrès, des accords sur les congés de fin d'activité pour les conducteurs routiers de marchandises ou de ceux qui ont été étendus en avril 1998 aux conducteurs routiers de voyageurs.
Votre projet de budget prévoit une augmentation de plus de 10 % de la dotation pour le fonctionnement et l'aménagement des services et des infrastructures de contrôle routier pour renforcer les dispositifs de contrôle prévus par la loi de février 1998.
Nous savons tous, monsieur le ministre, combien vous êtes attentif à l'évolution du transport routier, notamment au sein de la Communauté européenne. Aussi, sachez que nous vous soutenons dans votre engagement destiné à harmoniser la législation sociale à l'échelon européen.
En ce qui concerne les voies navigables, les crédits sont à la hauteur. En effet, même si les crédits qui sont consacrés à la voie fluviale restent inchangés par rapport à 1998, il faut relever que, au titre du FITTVN, 450 millions de francs lui seront consacrés, sans compter les crédits alloués à l'établissement public Voies navigables de France.
L'ensemble de ces fonds permettront de continuer les études sur les liaisons grand gabarit Seine-Nord et Seine-Est, et, bien entendu, les travaux utiles et nécessaires de restauration du réseau.
Enfin, l'autre grand volet, et non le moindre, de votre projet de budget, concerne, bien sûr, le réseau routier et autoroutier et la sécurité routière.
S'agissant des routes, on constate immédiatement, au travers des crédits qui y sont affectés, que votre projet de budget est plus axé sur l'amélioration et l'entretien du réseau existant que sur celui du développement de réseaux nouveaux.
Cependant, cela n'affecte en rien les opérations engagées et la réalisation des contrats de plan à hauteur de 81 %, à la fin de 1999.
Enfin, les crédits de la sécurité routière sont en hausse de 4 % ; il faut s'en féliciter d'autant plus fortement que nous avons tous pu constater, ces derniers mois, une augmentation du nombre d'accidents graves.
L'information, la formation et l'apprentissage dès le plus jeune âge des règles de sécurité routière sont essentiels. Nous ne pouvons plus perdre sur la route plus de 8 000 concitoyens chaque année ; je sais que le Gouvernement s'est donné l'objectif de diviser par deux le nombre des tués, et c'est tant mieux.
L'ensemble des constructeurs automobiles a consenti des efforts importants pour renforcer la protection et la sécurité des automobilistes. Il faut, aujourd'hui, mobiliser et sensibiliser davantage les conducteurs, mais il faudra intensifier aussi le nombre de contrôles.
Telles sont, monsieur le ministre, les réflexions que je voulais présenter à propos de votre projet de budget.
Parce que ce projet de budget reprend un grand nombre d'orientations que le groupe socialiste a toujours portées et défendues, parce qu'il fait une plus large part aux transports collectifs et ferrés, parce qu'il offre une perspective de développement intéressant pour le transport du frêt, parce qu'il vise à rétablir un équilibre entre les différents modes de transports, le groupe socialiste vous apportera son soutien en le votant et en s'opposant à l'amendement de réduction des crédits proposés par la droite sénatoriale qui, à nos yeux, est inadmissible. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une politique d'aménagement du territoire implique nécessairement une politique d'infrastructures et de transports adaptée. C'est vrai dans le cadre national, mais cela l'est plus encore sur le plan européen, comme l'ont bien mis en relief, tout à l'heure, M. le rapporteur spécial et MM. les rapporteurs pour avis, que je remercie tous quatre pour la qualité de leurs documents.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Au fur et à mesure que l'espace européen s'élargit vers l'Est, nous devons veiller à ce que notre territoire ne soit pas marginalisé et à ce qu'il soit relié dans de bonnes conditions au centre de gravité de l'Europe. Réseau autoroutier, réseau ferroviaire classique et à grande vitesse et réseau de voies navigables doivent y contribuer.
Je regrette, alors que la loi du 4 février 1995 a prévu la réalisation de la liaison fluviale Rhin-Rhône et son financement hors budget et que cette loi est toujours formellement en vigueur, que cette liaison ait été purement et simplement rayée. Elle reste, qu'on le veuille ou non, plus que toute autre, un maillon manquant dans le réseau des voies navigables européennes qui, tôt ou tard, devra être réalisé. J'en ai la ferme conviction, car je crois profondément que la voie navigable est un mode de transport d'avenir.
Mais cette parenthèse étant fermée, mon propos d'aujourd'hui concernera plus particulièrement le projet de TGV Est européen, complémentaire du TGV Rhin-Rhône et non incompatible avec ce dernier.
Le TGV Est européen a été à maintes reprises évoqué ici même au Sénat, et, en dernier lieu, sur l'initiative du président Poncelet. La détermination des élus du Nord-Est reste à cet égard intacte, monsieur le ministre : nous demandons la réalisation d'une liaison nouvelle de Paris à Strasbourg, et au-delà. Aucune expérimentation technologique suggérée par ailleurs ne saurait infléchir notre détermination ni être considérée comme une alternative crédible conforme aux intérêts véritables des marches de l'Est.
Quatre arguments viennent étayer cette position.
Tout d'abord, le quart Nord-Est de la France, dans l'état actuel de la situation, est la seule partie du territoire national considérée comme ne méritant pas de liaison ferroviaire à grande vitesse. Nous étions réduits au rôle de glacis entre 1918 et 1945. Aujourd'hui, semble-t-il, le rôle de région charnière dans la perspective du développement et de l'insertion dans l'Union européenne nous est refusé, alors que ce rôle est évident pour des raisons géographiques et économiques et que le TGV Est n'est qu'un élément de la grande liaison entre la région d'Ile-de-France et l'Europe centrale. Strasbourg est, en l'occurrence, non pas un terminus, mais une étape.
M. Joseph Ostermann. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Le deuxième argument qu'on ne saurait passer sous silence concerne précisément la vocation européenne de Strasbourg.
Faut-il rappeler que la France a voulu et accepté que Strasbourg soit le siège du Conseil de l'Europe, du Parlement européen et de la Cour européenne des droits de l'homme ?
En défendant cette position, la France s'est engagée à améliorer les liaisons aériennes et ferroviaires à grande vitesse, qui sont indissociables de la mission européenne de Strasbourg.
Le manque trop fréquent de fiabilité des liaisons aériennes en raison d'une ponctualité de plus en plus rare, de retards de plus en plus réels sans compter les grèves répétitives à Air France et à la SNCF, ainsi que l'absence de liaison par TGV fragilisent la position de Strasbourg. Ils valent à la France - j'en suis témoin à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - des critiques répétées de la part des délégations étrangères, critiques qui confortent ceux qui cherchent à mettre en cause la mission incombant à Strasbourg.
Comment ne pas approuver Mme Edith Cresson, commissaire européen, qui déclare aujourd'hui même, dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace : « Bien sûr, tout serait plus facile avec le TGV Est européen pour lequel je continue de militer. »
Le troisième argument est d'ordre psychologique mais a son poids dans les régions de l'Est qui gardent, à juste titre, la réputation de croire en la parole de l'Etat.
Tous les présidents de la Ve République sans exception se sont prononcés clairement en faveur de la liaison fluviale Rhin-Rhône. Tous les présidents et tous les premiers ministres ont dit oui au TGV Est.
Quel crédit peut-on encore accorder à un Etat qui, malgré les engagements formels, laisse se multiplier les prétextes - monsieur le ministre, en l'occurrence, je ne mets pas en cause le pouvoir politique - pour expliquer la non-rentabilité et l'inutilité d'infrastructures concernant le Grand Est, alors que l'Etat ne lésine jamais lorsqu'il s'agit de combler certains déficits ou de réaliser des infrastructures plus discutables en terme d'aménagement du territoire, telle - je serai direct ! - une ligne de métro coûtant 7 milliards de francs ? Je partage, à cet égard, les interrogations du rapporteur spécial, M. Cazalet.
M. Joseph Ostermann. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Une telle situation place les élus républicains que nous sommes, au-delà de toutes les tendances, dans une position pour le moins inconfortable ; elle explique certains phénomènes regrettables.
Le quatrième et dernier facteur qu'il m'appartient d'évoquer est, évidemment, l'aspect financier.
Je ne minimise pas, monsieur le ministre, les contraintes et les servitudes qui sont celles de tout ministre des transports. Il convient de rappeler à ce propos que le projet de TGV Est européen faisait appel - il était le seul à le faire - à un cofinancement important des collectivités locales concernées - et je me suis personnellement engagé à cet égard à la tête de mon conseil général - en contrepartie de la promesse que ce cofinancement contribuerait à une réalisation plus rapide du projet. La réciprocité des engagements n'a pas été tenue.
Cela m'amène, monsieur le ministre, à évoquer brièvement quelques questions.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je vous répondrai !
M. Daniel Hoeffel. En 1994, le Gouvernement, par lettre du ministre chargé des transports d'alors, avait garanti à la SNCF des contributions publiques permettant au projet d'atteindre un taux de rentabilité de 8 %. C'est ce qui avait permis le lancement de l'enquête, puis la déclaration d'utilité publique de mai 1996. Il s'agissait là d'avancées concrètes et d'un engagement financier précis.
Cette année, et je vous en remercie, la convention pour le financement de l'avant-projet détaillé est intervenue et, par une décision du 4 février 1998, le Gouvernement a marqué sa volonté de relancer le projet, comme le rapport de M. Berchet le rappelle à juste titre.
Mais cette annonce, malgré la nomination d'un chargé de mission, n'a pas encore été suivie du plan de financement réellement finalisé de la première phase, pour laquelle il manque à ce jour, autant que l'on puisse en juger, entre 2 et 3 milliards de francs.
Lors des réunions préalables à la signature du protocole d'accord relatif à l'avant-projet détaillé et aux travaux préliminaires, il avait été entendu que les études, les acquisitions foncières et les opérations de remembrement seraient menées sur l'ensemble du tracé dès la première phase du chantier. Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer aujourd'hui l'accord du Gouvernement sur ce point précis ?
La première phase de travaux, telle qu'elle a été annoncée le 4 février, prévoit la construction d'un nouveau pont ferroviaire entre Strasbourg et Kehl, la ville jumelle de Strasbourg, de l'autre côté du Rhin, pour réaliser l'interconnexion de notre réseau national avec le réseau à grande vitesse allemand. L'expérience nous montre - la plus récente que j'ai vécue est la réalisation du deuxième pont routier sur le Rhin, au sud de Strasbourg - que les délais préalables à la mise en chantier de tels ouvrages internationaux sont nécessairement très longs. En effet, aux procédures réglementaires de chacun des deux pays s'ajoutent celles qui sont liées au caractère international de l'ouvrage, lequel nécessite un véritable accord franco-allemand.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer si des démarches diplomatiques à ce sujet ont déjà été engagées par vos soins, et quel calendrier peut être envisagé pour ces négociations ?
Au cours du dernier sommet européen de Pörtschach - cette petite ville autrichienne qu'il ne faut pas confondre avec Potsdam - les dirigeants des quinze pays de l'Union européenne ont exprimé la volonté de réactiver les réseaux transeuropéens, régulièrement évoqués sommet après sommet depuis celui qui s'est tenu à Essen.
Y a-t-il une perspective de voir enfin ces réseaux passer de l'incantation à la concrétisation ? Ne serait-ce pas le moment, pour l'Union européenne, alors que les taux d'intérêt sont plus bas que jamais, de prendre une initiative qui serait concrète et visible aux yeux des habitants de l'Europe ?
A-t-on réservé une place, dans ces projets, pour le TGV Est européen, authentiquement transeuropéen ?
Telles sont quelques-unes des questions qui restent en suspens, telles sont les interrogations qui demeurent les nôtres. Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des réponses que vous pourrez nous donner, soit aujourd'hui soit plus tard, et qui seront autant de tests quant à la volonté de la France de respecter ses engagements et quant à l'aptitude de notre pays à entrer dans l'espace européen en se dotant à cet effet des infrastructures modernes qui sont nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu'on demande à quelqu'un s'il a peur de prendre l'avion, la réponse est oui. Mais, si l'on demande à la même personne si elle a peur lorsqu'elle prend sa voiture, en général, elle vous regarde d'un air ahuri : « Pourquoi une telle question ? »
C'est un fait, et un fait important, que la voiture ne fait pas peur, alors même que l'avion est un moyen de transport beaucoup plus sûr. Il n'y a d'ailleurs guère qu'un seul moyen de déplacement qui, avec un seul accident corporel pour 50 millions de passagers, est moins dangereux que l'avion. Je ne sais pas si vous le savez, monsieur le ministre : c'est le téléski. (Sourires.)
C'est ainsi. On mesure mal les dangers de la route alors que la seule considération des chiffres est édifiante : 8 000 personnes tuées, dont plus de 2 000 jeunes de quinze à vingt-quatre ans, et 170 000 blessés, dont 36 000 graves, sur nos routes, pour la seule année 1997.
Ce bilan est proprement terrifiant, et je m'associe à notre collègue Gérard Miquel, rapporteur spécial de la commission des finances, pour considérer qu'il est décevant par rapport aux années précédentes.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que c'est aussi votre sentiment, puisque vous vous êtes fixé pour objectif de réduire de moitié en cinq ans le nombre de morts sur les routes.
Le 7 avril dernier, alors que nous débattions du projet de loi relatif à la sécurité routière, je rappelais que l'on dénombrait 17 000 tués sur les routes en 1972 et qu'il avait donc fallu un quart de siècle pour diviser ce chiffre tragique par deux, et ce grâce à l'effet cumulé de mesures préventives et de mesures répressives.
Fort de cet enseignement, je forme très sincèrement le voeu, monsieur le ministre, que vous parveniez à atteindre votre objectif, et donc à accomplir en cinq ans ce que d'autres n'ont pu réaliser qu'en vingt-cinq ans.
Mais je ne veux pas ici entrer dans une polémique, car je crois que le temps est venu d'engager une grande réflexion nationale sur la sécurité routière, même si je déplore que celle-ci n'ait pas été préalable à la présentation de votre projet de loi.
En la matière, je serais tenté de plagier François Mitterrand lorsque, parlant du chômage, il disait : « Tout a été essayé. » Mais ce n'est pas une incitation à accepter la fatalité, bien au contraire : il n'y a pas de fatalité à voir trois fois plus de Français que de Britanniques mourir sur les routes chaque année.
Toutes les études montrent d'ailleurs que près de neuf accidents sur dix - c'est-à-dire ceux qui ont pour origine un comportement dangereux ou inadapté - pourraient aisément être évités.
Aussi, j'approuve globalement les dispositions du projet de loi de finances pour 1999 concernant la sécurité routière, même si je regrette la diminution tendancielle des moyens affectés aux campagnes nationales de prévention.
Je ne reprendrai pas le détail des mesures, les rapporteurs nous les ont excellemment présentées et certaines, telles que le contrôle technique des véhicules, ont largement fait leur preuve.
Je voudrais simplement insister sur l'implication de la jeunesse, pour laquelle les accidents de la circulation représentent la première cause de mortalité.
Il a été démontré que l'euphorie de la Coupe du monde de football a suscité une augmentation de 15 % du nombre de tués sur les routes au mois de juillet. Mais il y a aussi l'euphorie du samedi soir et, plus largement encore, des soirées de week-end, qui est à l'origine de dizaines d'accidents mortels chaque fin de semaine.
Toutes nos régions sont concernées, même si certaines paient un plus lourd tribut : je pense à l'Aquitaine, où les derniers chiffres dans les départements du Lot-et-Garonne, de la Gironde ou, pis encore, des Landes sont proprement dramatiques.
Je crois que l'on ne peut pas être hypocrite sur ce point : nous savons tous que l'alcool en est le facteur principal.
Certes, la répression existe mais, au vu des résultats, ses modalités méritent pour le moins d'être revues.
Les gérants des débits de boissons et des discothèques sont les premiers sensibilisés à cette terrible question. Mais je crois vraiment que nous ne pouvons pas en dire autant des consommateurs eux-mêmes, qui n'hésitent pas à prendre le volant tant il est vrai qu'il n'est pas dans nos moeurs de voir une personne membre d'un groupe rester sobre, seule à ne pas boire, pour ramener tout le monde à bon port.
Pourtant, des initiatives associatives ont vu le jour et des expériences existent. Je pense en particulier à certaines férias du sud de la France, grandes manifestations populaires par excellence, qui ont développé des actions préventives ou « curatives », si j'ose dire, aux résultats vraiment excellents. Ainsi, la commission des fêtes populaires de la ville de Dax a mis en place des « Points alcoolémie », tenus par des bénévoles, aux sorties stratégiques de la cité. L'alcool y est dépisté, le café servi et le sommeil assuré.
Après trois ans d'existence, cette initiative a permis de ne dénombrer, en 1998, aucun accident de la circulation consécutif à la féria. J'ajoute, parce que c'est certainement un exemple à suivre, que le procureur de la République de cette ville envisage de recruter des bénévoles, sur la base d'une peine d'intérêt général qu'effectueraient des gens ayant commis une infraction à la législation sur l'alcool au volant.
Aussi, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, quelles actions spécifiques vous envisagez pour réduire cette hécatombe de la jeunesse sur nos routes.
En outre, il est incontestable que l'amélioration des infrastructures routières, particulièrement la résorption des points noirs, participe activement à la sécurisation de la circulation.
De même, la répression a une utilité tout aussi incontestable. Faut-il encore que cette répression ne soit ni aveugle ni arbitraire, alors qu'aujourd'hui bon nombre de nos concitoyens la perçoivent comme telle !
A cet égard, nous savons tous que les contrôles s'appliquent plus facilement dans des zones où le danger est moindre et que certains points dangereux, ou plus exactement certaines conditions de circulation, mettent les conducteurs à l'abri quasi absolu de toute répression.
En fait, la répression s'exerce plus facilement sur les autoroutes, pourtant quatre fois plus sûres, que sur le réseau secondaire, où la probalité de rencontrer les forces de l'ordre est beaucoup plus faible, alors que la dangerosité est bien plus élevée, ce que traduit d'ailleurs la nouvelle augmentation des accidents mortels constatés en rase campagne.
M. François Gerbaud ! Très bien ?
M. Bernard Plasait. Je voudrais insister sur ce qui devrait être le maître mot d'une politique de sécurité routière à la fois efficace et juste : la responsabilisation des conducteurs, et plus largement de tous les usagers de la route, quel que soit le mode de transport.
Les efforts de formation sont certes toujours plus nécessaires, mais la responsabilisation de chacun l'est encore davantage.
Je ne peux que vous redire, monsieur le ministre, que la responsabilité classique de l'automobiliste, c'est le bonus à l'assurance.
C'est pourquoi il me paraît urgent de développer une notion de responsabilité par rapport à l'accident, que pourrait très utilement concrétiser la constitution d'un fichier national des automobilistes ayant causé un accident - dont la gravité serait à apprécier - et sur lesquels serait concentré un effort particulier de sensibilisation et de formation.
Ma conclusion tiendra en quelques mots : sanction sans responsabilisation n'est que ruine de la sécurité. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gerbaud.
M. François Gerbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la météo est mauvaise, le temps incertain, et c'est aujourd'hui sous un ciel lourd...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je n'y peux rien ! (Sourires.)
M. François Gerbaud. ... que le budget des transports terrestres, celui des routes et, plus tard, celui de l'aviation civile vont, tour à tour, livrer à notre discussion leurs efforts, leurs insuffisances, leurs perspectives et aussi leurs contraintes.
Dans ce grand débat qui touche à l'essentiel de l'activité économique des transports, auxquels sont liés les très grands projets d'infrastructures, vous êtes, monsieur le ministre, dans l'oeil du cyclone.
Ministre du « tout-en-un », comme le disait autrefois Larousse, la route, le rail, les canaux, les aéroports et le ciel - celui des avions bien sûr ! - sont sous votre responsabilité.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous oubliez la météo !
M. François Gerbaud. De ce fait, vous êtes, en quelque sorte, intermodal, dans un monde où l'intermodalité est désormais une réponse attendue, impérative et logique, dans la conception moderne du transport et dans l'objectif d'y privilégier le rail, dont le siècle nouveau confirmera, en France et en Europe, le rôle prééminent dans l'organisation des transports terrestres.
Ces choix partagés, vous les assumez avec votre conviction et votre expérience personnelles, dans un dialogue permanent avec les élus des deux assemblées qui sont en charge de ces grands dossiers ; nous y sommes sensibles et nous vous en remercions.
Cela dit, c'est du ferroviaire que je souhaite vous parler en cet instant du débat.
La grève des conducteurs puis, en relais, celle des contrôleurs SNCF pénalisent lourdement des millions de personnes pour lesquelles le train est un outil quotidien indispensable à leur mobilité et à leur travail.
Pour la énième fois, ils subissent, et je ne suis pas certain que les sondages qui affichent une adhésion aux mouvements en cours soient l'exact reflet du vécu quotidien de bien des gens !
Il ne faudrait pas que de telles épreuves à répétition saccagent les liens privilégiés que l'histoire, la légende, l'héroïsme et la technique ont tissés entre les Français et leur rail.
C'est la raison pour laquelle - on peut rêver - je suggère que ce soit à l'intérieur même de l'entreprise, dans la concertation et le dialogue, que se définisse, en cas de grève, ce service de secours et d'assistance à ce que j'appelle les « naufragés des quais ».
Librement débattue, acceptée et appliquée, une telle mesure concilierait à la fois l'expression de la revendication et l'incontournable exigence du service public, dans le cadre de l'intérêt général, en ce domaine comme en d'autres. Une figure libre est en effet toujours moins contraignante qu'une figure imposée.
Au moment où des négociations s'engagent, puissent cette modeste suggestion et cet espoir avoir valeur de voeux et puissiez-vous, monsieur le ministre, en être le messager ! Lorsque, en 1996, j'ai eu l'honneur de rapporter devant notre assemblée le projet de réforme de la SNCF que nous imposait l'Europe, j'étais convaincu - et je le reste - que cette réforme, qui séparait par la création de RFF le réseau de son exploitation, donnait toutes ses chances au ferroviaire français.
Tous les ingrédients étaient en effet réunis pour permettre à la SNCF de s'insérer dans l'évolution du ferroviaire européen. Il s'agissait, en vérité, de la meilleure riposte pour faire face à la concurrence qui guette et aux tentations permanentes et perverses de déréglementation de Bruxelles, dérégulation dont on a bien vu ce qu'elle a imposé et coûté au transport aérien. N'oublions jamais que, déjà en 1991, Bruxelles avait adopté une directive autorisant la concurrence entre les entreprises ferroviaires européennes.
Cette directive est restée relativement inappliquée, mais c'est une intention qui en dit long. Tous les ingrédients étaient en effet réunis : une énorme partie de la dette SNCF - 134 milliards de francs - transférée à RFF, le statut du cheminot intact, tous les avantages heureusement sauvegardés, tous les acquis sociaux maintenus, les conditions de travail analysées de manière neutre par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, l'ANACT, élément de base peu connu mais nécessaire au dialogue au moment où s'engage la discussion sur les 35 heures.
A cela s'ajoutaient la perspective du redressement économique, la reconquête de la clientèle fret et voyageurs, tout le projet commercial du président Gallois et le respect de cette unicité à laquelle je tiens, à laquelle les cheminots tiennent tant. Un amendement qui m'avait été refusé à l'époque viendra, je l'espère, renforcer cette unicité lorsque vous aurez, comme vous avez, semble-t-il, l'intention de le faire, créé ce conseil supérieur du ferroviaire.
Le positif était donc au bout de la ligne : le déficit de cette année était ramené à 500 millions de francs, auquel il faut ajouter, hélas ! aujourd'hui, les 500 millions de francs que coûte la grève. Nous espérons que l'équilibre annoncé pour 1999, sera atteint et nous souhaitons que cette grève qui n'en finit pas de continuer ne compromettra pas plus gravement les finances de l'entreprise, dont nous souhaitons tous ardemment, où que nous siégions sur ces travées, le redressement.
Il semble, hélas ! qu'à cet ensemble ait manqué le troisième élément, à savoir l'adhésion du corps social à ce projet.
C'est dommage, car rien ne se fait sans l'adhésion des personnels, et c'est d'eux, de leur technicité, de leur reponsabilité, de leur volonté que dépend la crédibilité de la SNCF dans la recherche des partenariats européens, qui seuls peuvent la mettre à l'abri des menaces bruxelloises de dérégulation, de l'ouverture du réseau et de la concurrence.
Cette concurrence n'est pas un vain mot, lorsque l'on voit les autres pays de l'Europe sceller des alliances : les Belges et les Italiens ont créé une filiale commune pour leurs trains de marchandises ; les Suisses projettent de s'allier avec les Italiens et les Allemands ; les Allemands ont annoncé la fusion de leur fret avec les Néerlandais. Il ne faudrait pas que nous soyons, un jour, condamnés à regarder passer les trains des autres.
On peut se réjouir du fait que 1 890 millions de francs soient inscrits au chapitre « Subventions d'investissements en matière de transport ferroviaire et de transport combiné ». C'est un indispensable effort dans un marché du fret éminemment volatil, où il faut se dire sans arrêt que ce qui n'est pas capté par le rail peut être un retour vers la route. Ce sont alors des millions de francs perdus pour la SNCF !
Sans doute est-ce la raison pour laquelle il est désormais urgent de mettre en place ces points nodaux, sorte de hubs de regroupement et d'éclatement du fret, et de se dire sans arrêt que, paradoxalement, l'avenir de la route, c'est le rail - si le rail ne sait pas résister.
Une grande partie des équipements nouveaux et nécessaires sont désormais de la responsabilité de Réseau ferré de France. On note avec satisfaction que la dotation de 13 milliards de francs pour la gestion de la dette transférée est annoncée avec une reconduction sur trois ans.
C'est bien. C'est peut-être aussi indispensable, mais c'est peut-être insuffisant. C'est en effet de RFF que dépend, pour partie, une grande modernisation du réseau, et l'on peut se réjouir que 1 100 millions de francs soient, dans votre projet de budget, destinés aux études développement du réseau TGV Méditerranée, du TGV Est et du TGV Rhin-Rhône.
Je tiens d'ailleurs à indiquer, à ce point de mon propos, que j'approuve pleinement le plaidoyer pour le TGV Est que vient de nous faire M. Hoeffel et que nous présentera sans doute tout à l'heure M. Ostermann.
Je suis en effet de ceux qui pensent que les TGV sont et seront en France et en Europe des liens privilégiés et qu'ils seront techniquement beaucoup plus fédérateurs que les textes européens de Bruxelles.
Une telle politique ne doit cependant pas être conçue au détriment de la modernisation du réseau classique. Si 400 millions de francs - c'est peu - y sont consacrés cette année, sans doute faudra-t-il faire plus et adapter cette modernisation à l'arrivée des trains pendulaires, sur lesquels je me permets, monsieur le ministre, de vous interroger.
Où en sommes-nous, de ce point de vue ? Qu'en est-il de la modernisation de la ligne Paris-Vierzon-Châteauroux-Limoges-Brive ? Un agent de la SNCF a cru devoir affirmer, devant la chambre de commerce de l'Indre, que ce projet avait du « plomb dans l'aile »
Non seulement je regrette de tels propos, et l'interprétation qui en a été donnée, mais, comme les études sont en cours, je vous demande, monsieur le ministre, de préciser ce qu'il en est, de confirmer que le projet n'est nullement abandonné et que vous-même restez très attaché à la modernisation de ce réseau, élément essentiel d'une politique d'aménagement du territoire pour plusieurs régions du Centre, du Limousin et du Massif central.
S'agissant des péages que le propriétaire du réseau RFF demande à l'exploitant SNCF, ils doivent être, en ce qui concerne les lignes TGV, à la mesure de leur rentabilité. Ils doivent permettre à RFF de contribuer au financement des investissements nouveaux.
Par ailleurs, sur ces lignes, à la suite d'accords réciproques, d'autres trains du même type, venus d'Allemagne, de Grande-Bretagne ou d'ailleurs, peuvent circuler - c'est le cas de l'Eurostar et de l'ICE allemand - et il serait paradoxal que les droits de péage sur le réseau français soient inférieurs au péage sur leur propre territoire.
On en trouve un exemple flagrant avec Eurostar, dont les péages sur la partie française sont trois fois moins chers que les péages sur le réseau britannique, dont la qualité n'est pas, c'est le moins qu'on puisse dire, de manière diplomatique, exceptionnelle.
Il est par ailleurs exclu, à mon sens, comme le pensent certains, que l'on puisse modérer ou péréquer les péages TGV en augmentant les péages des autres lignes du réseau, notamment les TER. Ce serait une erreur et une injustice.
De toute façon, il faudra revoir à court terme, avant l'an 2000, le problème de la tarification. Cela se fera au terme des trois années d'exploitation dans les six régions expérimentales.
Aujourd'hui RFF reçoit 6 milliards de francs de la SNCF. Il faudra rapidement passer de 9 milliards de francs à 12 milliards de francs, si l'on veut que RFF puisse répondre aux objectifs des grandes infrastructures et aux investissements indispensables à la modernisation du réseau.
Après avoir franchi plus d'un siècle et demi, le ferroviaire est devenu un élément majeur de l'aménagement du territoire national et européen. Par sa spécificité, son histoire, le réseau français, s'il doit se fondre, par des partenariats, avec les autres réseaux riverains, ne saurait en aucun cas s'y confondre. Il lui faut gagner cette autre bataille du rail. Chacun de ses acteurs doit s'y sentir engagé, lucide et responsable. C'est, en fait, la seule manière de faire face à ce que Paul Valéry disait : « L'ère du fini commence. » (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le ministre, les crédits concernant les transports terrestres, les routes et la sécurité routière pour 1999, s'ils sont en cohérence avec les choix que vous avez opérés il y a dix-huit mois, ne constituent, bien évidemment, à nos yeux, qu'une première étape du changement attendu.
Aussi, le groupe communiste républicain et citoyen souscrit aux priorités fixées par ce budget, tout en souhaitant que l'effort soit maintenu et renforcé dans la future loi de finances.
Il est vrai que votre politique est soumise à des choix européens que ni vous ni moi n'avons désirés.
Dans ce cadre, les crédits relatifs aux transports terrestres, avec 45,182 milliards de francs, progressent seulement de 1 % par rapport à 1998.
La nouvelle hiérarchie en faveur des investissements en matière ferroviaire au sein du FITTVN - ils enregistrent une augmentation de 55 % depuis deux ans - et le plan triennal de 37 milliards de francs concernant l'allégement de la dette de RFF témoignent de la volonté du Gouvernement d'équilibrer et d'harmoniser notre politique des transports en faveur du ferroviaire. Pour autant, l'entretien et la réhabilitation du réseau routier, dont le financement progresse, pour 1999, de 88 millions de francs, ne sont pas remis en cause.
La priorité donnée au transport ferroviaire correspond aux aspirations de la société.
Monsieur le ministre, vous le savez, les cheminots sont, à l'heure actuelle, très mécontents. Ils apprécient que leur SNCF sorte de nombreuses années de déclin. L'augmentation du trafic voyageurs et du fret est importante. Mais ils regrettent que, tous les jours, des marchés soient refusés, faute de moyens, faute d'effectifs et faute de matériels tracteurs et tractés. Cela, les cheminots, qui aiment tant répondre aux missions de service public, ne peuvent l'admettre, comme ils ne peuvent admettre que soit remis en cause leur droit de grève sous couvert d'un service minimum, quand bien même ce serait le Président de la République qui le suggérerait.
Les derniers mouvements de cheminots, tant sur le plan national qu'au niveau européen, doivent vous aider, monsieur le ministre, à faire valoir une alternative au modèle libéral de la Commission de Bruxelles.
L'ampleur et le caractère historique de « l'eurogrève » du 23 novembre dernier montrent, s'il en était encore besoin, le refus, tant de la part des cheminots que des usagers, d'une déréglementation européenne des chemins de fer conçue en des temps révolus. Oui à la coopération, non à l'intégration !
Le seul exemple de l'échec de la privatisation du chemin de fer britannique renforce le choix que vous avez fait d'un service public fort, capable de promouvoir des rapports d'échange et de réciprocité avec des opérateurs étrangers, à l'instar, d'ailleurs, du corridor de fret Lyon-Anvers, bientôt prolongé jusqu'à l'Italie et l'Espagne.
Je sais, monsieur le ministre, que vous travaillez d'arrache-pied, dans le cadre des négociations communautaires, à une révision de la directive 91-440, et notamment de son article 10, qui ouvre le réseau ferroviaire à la concurrence.
La réunion des ministres des transports européens s'étant tenue la semaine dernière, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer où vous en êtes sur cette question ?
La décision récente de relever le niveau des péages versés à RFF n'est-elle pas une façon détournée de faire porter une partie de cette charge sur la SNCF au détriment des usagers et du personnel ?
Nous nous félicitons de voir encourager la modernisation et la rénovation des réseaux de lignes classiques délaissées ces dernières années au profit d'une stratégie du « tout-TGV ».
En effet, les lignes à grande vitesse ne peuvent être créatrices d'aménagement du territoire que si, par ailleurs, on développe un maillage suffisant de l'espace régional.
Enfin, je souhaiterais vous entendre, monsieur le ministre, sur la réalisation des efforts engagés depuis 1997 en direction du transport combiné et de la mise en oeuvre de plates-formes multimodales, tant il est vrai que ce procédé doit réconcilier efficacité économique, aménagement du territoire et respect de l'environnement.
Ne conviendrait-il pas, à cet égard, de revoir à la hausse le soutien de l'Etat aux transports publics, compte tenu du relèvement de la TIPP sur le gazole et du nécessaire renouvellement du parc d'autobus en faveur des véhicules propres ?
Enfin, je veux remarquer, monsieur le ministre, que les crédits de sécurité routière sont en augmentation de 4 %. C'est l'ensemble des postes de ce budget qui progresse avec, notamment, un développement des actions d'incitation ou des dépenses de fonctionnement de moyens d'exploitation et d'alerte et des dépenses d'information des jeunes.
La libéralisation du cabotage étant effective depuis le 1er juillet dernier, il y a urgence à tendre au niveau communautaire vers une harmonisation des règles sociales dans cette profession.
Après vous avoir demandé où en est le programme de suppression des passages à niveau lancé il y a un an, je voudrais dire le grand désarroi qui règne dans la batellerie artisanale où, les uns après les autres, les artisans sont obligés de déposer leur bilan.
Le groupe communiste républicain et citoyen approuve ce budget dans la mesure où il s'inscrit dans une perspective de réorientation profonde de la politique des transports dans notre pays sur la base de la complémentarité et de la coopération des modes de transports. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le ministre, le budget que vous nous proposez est incontestablement un budget volontariste en faveur du développement des transports collectifs. Il comporte notamment un accroissement significatif des moyens consacrés aux transports collectifs de province, puisque les autorisations de programmes, qui progressent de plus de 11 % par rapport à 1998, s'établissent à 694,5 millions de francs. Grâce à cette revalorisation, qui conforte celle que vous aviez accordée pour 1997, les crédits de paiement de 1997 à 1999 seront en augmentation de 40 %.
C'est donc bien la confirmation de l'effort souhaité par le gouvernement de Lionel Jospin et par vous-même en direction des transports urbains.
Les besoins de nos villes, de nos agglomérations sont importants, puisque les investissements prévus pour les seuls projets recensés en matière de transport en commun en site propre devraient atteindre, voire dépasser, le milliard de francs à la fin de l'année 1999, particulièrement avec les nouvelles opérations urbaines menées à Caen, à Valenciennes, à Rouen, et dans l'agglomération toulousaine avec le prolongement de la première ligne de métro et la mise en oeuvre de la seconde.
J'en profite pour rappeler que, pour ces vingt dernières années, les équipements collectifs en matière de transports en commun représentent une dépense d'un montant global cumulé de 65 milliards de francs, dont seulement 12 milliards de francs ont été à la charge de l'Etat.
La précision est d'importance quand on sait que, dans le même temps, 10 % de la population est venue vivre en ville, ou plutôt dans la périphérie des villes. En dehors de la région parisienne, ce sont 10 millions de personnes qui sont concernées et qui, tous les jours, doivent se déplacer pour le travail, l'école, les loisirs dans nos agglomérations.
Or nous constatons que, dans ces zones périurbaines, l'offre de transports collectifs est insuffisant. Des estimations nous indiquent qu'il faut investir plus de 80 milliards de francs pour rattraper le retard.
Il s'agit donc d'investissements particulièrement lourds pour les collectivités locales, qui y consentent malgré tout pour améliorer la circulation et la qualité de l'air dans nos villes.
C'est pourquoi on ne peut que se réjouir de la mise en place de la taxe sur le gazole, qui nous semble parfaitement justifiée sur le plan écologique, mais qui nous préoccupe pour l'incidence qu'elle ne manquera pas d'avoir sur les dépenses d'exploitation de nos différents réseaux.
En effet, pour la province seule, le surcoût de cette mesure est estimé à 45 millions de francs par an, soit une dépense supplémentaire, sur sept ans, supérieure à 600 millions de francs. Si rien ne change, ce surcoût sera entièrement supporté par les collectivités locales.
Le Gouvernement a accepté un dégrèvement partiel de la taxe intérieure sur les produits pétroliers sur le gazole pour les transporteurs routiers, les taxis et la navigation aérienne. En revanche, aucune compensation n'est prévue pour les collectivités locales.
Nous pensons, monsieur le ministre, qu'il faudrait prévoir, pour les autorités organisatrices - au moins pour celles qui font l'effort de s'équiper en véhicules propres - une compensation financière pour les aider à l'acquisition de véhicules moins polluants. Ce fonds pourrait d'ailleurs être alimenté par la taxation supplémentaire sur le gazole.
Nous y voyons là une logique complémentaire en faveur de l'écologie, qui encouragerait les collectivités locales à s'équiper de véhicules propres.
Bien sûr, monsieur le ministre, il s'agit d'une proposition, mais aussi et surtout de l'expression d'une attente des autorités organisatrices.
Cependant, nous avons pris bonne note de vos déclarations d'intention à votre arrivée au ministère, puisque vous avez annoncé que le développement des transports collectifs constituait une priorité. Ce budget le prouve, car les moyens supplémentaires que vous proposez permettront d'honorer les engagements de l'Etat à l'égard des collectivités locales.
C'est donc volontiers, monsieur le ministre, compte tenu de la priorité accordée par votre budget aux transports collectifs, qu'ils soient ferroviaires ou urbains, que le groupe socialiste l'adoptera. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est sur le temps de parole de mon groupe que j'ai souhaité m'exprimer, afin de pouvoir le faire en mon nom personnel et non pas au nom de la commission des finances, en cet instant si bien représentée par nos deux éminents rapporteurs spéciaux, Auguste Cazalet et Gérard Miquel. Chacun ici a pu apprécier la qualité de leur rapport et de leur présentation.
Monsieur le ministre, à la même époque, l'année dernière, j'étais intervenu pour vous dire, avec franchise, comme on dit dans le langage diplomatique, ce que je pensais de la manière dont l'Etat gérait le secteur autoroutier concédé.
Mes critiques - vives, j'en conviens - étaient, à mes yeux, fondées. Mais j'avais insisté sur le fait qu'elles ne visaient pas un gouvernement plus qu'un autre puisque, depuis 1981, cinq alternances se sont produites.
Alors, ce soir, je m'appliquerai à me projeter au-delà de ces critiques en vous posant plusieurs questions destinées à vous permettre, par vos réponses, de nous éclairer sur vos intentions dans ce domaine et de nous éclairer sur les bienfaits de la politique que vous allez mener.
Afin de ne pas perdre le sens concret qui est celui de la Haute Assemblée, je vais illustrer mon propos d'un exemple, choisi parmi d'autres, celui de l'autoroute A 28, qui conduit de Calais à Bayonne et plus précisément de son tronçon Rouen-Alençon.
Je vous rappelle, mes chers collègues, pour que vous en ayez une idée, très brièvement le calendrier : cette autoroute est décidée lors d'un CIAT qui se tient en 1987 ; elle est inscrite au schéma directeur routier national en mars 1988, réaffirmée en 1992 ; elle est déclarée d'utilité publique par décret du 5 décembre 1994, dont l'échéance viendra le 5 décembre 1999 - il nous reste un an.
Onze ans se sont déjà écoulés, et aucun acte d'exécution tangible ne s'est encore produit.
Monsieur le ministre, ma première question consiste à vous demander de bien vouloir nous confirmer - je fonde beaucoup d'espoir dans votre réponse - du haut de cette tribune, avec la solennité requise devant la Haute Assemblée, que la publicité au niveau communautaire sera faite avant le 31 décembre prochain, c'est-à-dire dans quelques jours.
Ma deuxième question porte sur le calendrier prévisionnel possible des suites de l'opération qui doivent conduire jusqu'à la mise en service de l'infrastructure. Tant il est vrai, mes chers collègues, que nos compatriotes ne roulent pas sur les mises en publicité, ne roulent pas sur les appels d'offres, ne roulent pas sur les cartes, ils roulent sur des routes ; ce qu'ils attendent, c'est que les routes soient faites.
Compte tenu de la date de mise en publicité, monsieur le ministre, pensez-vous que le choix du candidat puisse être effectué dans le délai de six à sept mois, disons avant le 30 juin 1999 ?
Quel sera ensuite le calendrier des travaux ?
Quelle sera la date de mise en service ? C'est la réponse qu'attendent nos compatriotes qui veulent emprunter cette autoroute entre le nord de l'Europe et la péninsule ibérique.
Ma troisième question vise, monsieur le ministre, à vous demander de lever dès à présent toute ambiguïté sur le choix autoroutier concédé pour ce tronçon.
Soyons francs entre nous. Le retard important qui a déjà été pris pour la réalisation de cet équipement, les procédures longues et délicates - je pense en particulier aux déclarations d'utilité publique - ne laissent plus aucune place à l'ambiguïté, sauf à faire perdre confiance à ceux qui attendent avec grande impatience la mise en service de cette autoroute.
Les solutions qui ont été qualifiées d'alternatives ne sont pas viables, chacun le sait déjà ; alors, pourquoi continuer à les évoquer ? Elles brouillent la lecture que nos compatriotes peuvent avoir du calendrier de réalisation de cette infrastructure. Ces solutions alternatives seraient administrativement fragiles et, en tout cas, elles sont financièrement impossibles. De surcroît, elles ne sont politiquement demandées par aucun élu, de quelque sensibilité politique que ce soit. Je ne connais en effet aucun parlementaire, aucun élu territorial d'un niveau équivalent à celui de maire qui en fasse aujourd'hui la demande. S'il en était autrement, monsieur le ministre, faites la transparence et dites-nous de qui il s'agit.
J'ai eu la chance d'accueillir récemment les présidents de communautés urbaines, et parmi eux les Premiers ministres, MM. Mauroy, Fabius et Juppé, M. Delebarre, le maire du Mans que vous connaissez bien, M. Jean Delaneau, qui est président du conseil général d'Indre-et-Loire : tout le monde veut une autoroute concédée. Les solutions alternatives apparaissent sur le terrain au fond comme des prétextes, des tentatives dilatoires qui visent à retarder encore la mise en chantier de l'ouvrage.
Ma quatrième question s'adresse au Gouvernement ; je dis bien au Gouvernement, car je crains que vous ne soyez pas seul à décider de cette question et que votre collègue ministre de l'économie et des finances n'ait un rôle important à jouer dans ce domaine. Cette question vise à demander au Gouvernement de mettre en place au plus vite les outils de financement adaptés.
Je me réfère à l'excellent rapport de notre collègue M. Gérard Miquel sur le sujet. Nous avons besoin d'outils de financement adaptés pour notre secteur autoroutier et cela passe, vous le savez, par l'allongement de la durée des concessions et des financements.
S'agissant des concessions, la prolongation des contrats actuels est indispensable pour garantir l'équilibre du système, en tenant compte de la durée nécessaire à l'amortissement des ouvrages.
Les difficultés juridiques que cette prolongation soulève ne doivent pas vous conduire à la résignation ; ce qu'une loi - je pense en particulier à la loi Sapin - a édicté, une autre peut l'assouplir. Quant aux règles communautaires, il ne serait pas sage de s'en prévaloir pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas.
Ce que la Commission européenne reproche au Gouvernement français, vous le savez bien, monsieur le ministre, ce n'est pas de vouloir des durées de concession économiquement réalistes. Qui pourrait s'opposer à quelque chose d'économiquement réaliste ?
Ce que la Commission européenne reproche au Gouvernement, ce n'est pas de vouloir entretenir son réseau. C'est tellement de bon sens.
Ce que la Commission européenne reproche au Gouvernement, c'est d'utiliser le réseau autoroutier concédé pour effectuer des prélèvements fiscaux excessifs.
S'agissant de la durée des financements, le moment est venu de mettre en place des outils plus longs, enfin en rapport avec la durée de vie des autoroutes. Mes chers collègues, émettre des obligations de quinze ans, alors que les infrastructures ont une durée de vie de cinquante ans ou cent ans, n'a aucun sens, ...
M. Joseph Ostermann. Tout à fait !
M. Alain Lambert. ... sauf à vouloir condamner les opérateurs à amortir leurs investissements sur des durées trop brèves ou, comme cela s'est produit pour des sociétés dont l'Etat était l'unique actionnaire, à dégrader dramatiquement leurs comptes.
Cet aspect des outils de financement appliqué à l'A 28 me conduit à vous demander, monsieur le ministre - c'est important, parce que les choix que vous allez faire pour ce tronçon autoroutier induiront vos pratiques ultérieures - si le cahier des charges de l'appel d'offres proposera aux sociétés soumissionnaires de fournir elles-mêmes les conditions de l'équilibre financier de l'opération ou si vous fixerez la durée de la concession ainsi que les éléments financiers d'équilibre que cette durée entraînera. Envisagez-vous, dès à présent, pour le cas où un versement d'équilibre se révèlerait nécessaire, de le répartir sur la durée de l'emprunt souscrit par l'opérateur ?
Ces questions sont très importantes, et au travers des réponses que vous nous apporterez, monsieur le ministre, nous saurons dans quel état d'esprit vous entendez désormais que le réseau autoroutier concédé puisse vivre dans des conditions économiquement réalistes.
J'en viens à ma cinquième question, qui vise à vous demander, monsieur le ministre, si votre lecture des directives européennes est identique à celle du Sénat ?
Il n'est pas bon que le Gouvernement donne au Parlement le sentiment d'utiliser la réglementation européenne pour remettre en question le schéma directeur routier national.
La commission d'enquête présidée par Jean François-Poncet et dont le rapporteur était Gérard Larcher a démontré que la directive « marchés publics de travaux » ne remet pas en cause le financement des constructions nouvelles par les recettes des tronçons déjà amortis.
Rien ne démontre en effet que la technique dite de « l'adossement » soit interdite par cette directive. Celle-ci exige seulement, et c'est parfaitement compréhensible, que les aides d'Etat aux attributaires de concessions soient transparentes.
Ces aides peuvent prendre la forme de subventions directes ou celle d'allongement de concessions sur le réseau exploité par ailleurs. Il n'y a pas de concurrence déloyale dès lors que des règles claires sont établies.
Si vous partagez cette analyse, monsieur le ministre - et je serai très attentif à votre réponse - vous devez affirmer et défendre cette interprétation à Bruxelles, sans laisser, par absence de combat, condamner notre système ; le Sénat vous soutiendra, pour peu que vous l'informiez de vos démarches.
Vous le savez, et je le répète une dernière fois, monsieur le ministre, ce que la Commission européenne reproche au gouvernement français - à celui dont vous faites partie, mais aussi à ceux qui l'ont précédé - ce n'est pas le système de l'adossement, ce sont les prélèvements, trop élevés, opérés par l'Etat sur le secteur. Ces prélèvements sont excessifs et aveugles. Ils sont, eux, contraires à la directive sur les péages qui n'admet qu'une logique de réseau, une logique, mes chers amis, que vous ne pouvez pas combattre, car c'est celle du bon sens ; la ressource tirée du péage doit exclusivement revenir à l'exploitant du réseau pour le construire, l'entretenir et le faire fonctionner.
La discussion budgétaire, monsieur le ministre, doit être l'occasion solennelle de confirmer, le cas échéant, notre identité de vue sur cette lecture de la réglementation communautaire, afin que celle-ci ne puisse être l'objet d'un malentendu entre nous.
J'en viens, après ces questions que je me suis efforcé de rendre aussi précises que possible, à ma conclusion : monsieur le ministre, je veux vous dire que le rôle que vous avez à jouer et qui vous a été confié par le Premier ministre est essentiel pour la compétitivité de la France, à la veille de l'euro et donc à la veille d'une accélération prodigieuse des échanges intra-européens.
Nous, provinciaux, nous savons que l'accès à l'autoroute est un élément déterminant du développement économique, un élément déterminant de l'aménagement du territoire, en matière de création d'emplois.
Une ambition forte, un système de financement habilement conçu permettront à la France, dans des délais très courts, de se mettre au niveau de ses partenaires et concurrents européens et de donner ainsi leurs chances à tous nos territoires.
Il dépend de vous, monsieur le ministre, que notre pays devienne ou non « la plaque tournante » des échanges entre l'Europe du Nord et l'arc méditerranéen.
J'espère donc, monsieur le ministre, que vos réponses seront fortes, claires et précises, à la hauteur de l'attente de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à m'associer aux félicitations qui viennent d'être adressées à nos rapporteurs et à souligner la pertinence de leur argumentation.
Le budget des transports terrestres dont nous débattons aujourd'hui est pour moi, monsieur le ministre, l'occasion d'attirer votre attention sur deux aspects majeurs de votre politique qui touchent particulièrement l'élu alsacien que je suis : hélas ! vous allez être obligé de subir encore un peu de TGV Est européen !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous avez eu raison de dire européen.
M. Joseph Ostermann. J'évoquerai ensuite la libéralisation du cabotage en vigueur depuis juillet dernier.
Tout d'abord, monsieur le ministre, j'aimerais de tout coeur, ne plus avoir à vous parler du TGV Est européen, sujet qui est devenu un grand classique et que, comme l'ensemble de mes collègues du grand Est, je souhaiterais voir rouler.
M. Daniel Hoeffel a évoqué des arguments forts. Permettez-moi d'en ajouter quelques-uns.
Je reconnais que vous ne restez pas inactifs sur ce dossier puisque vous avez d'ores et déjà accru la participation de l'Etat au financement de la première phase.
Malheureusement, malgré les engagements pris et les assurances données lors du débat sur la question orale de M. Poncelet en avril dernier, plusieurs points demeurent en suspens, sur lesquels je souhaiterais obtenir des éclaircissements de votre part.
Si vous pouviez nous les donner aujourd'hui, cela nous arrangerait bien, car une bonne nouvelle avant Noël est toujours bonne à prendre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. On n'est pas à Noël !
M. Joseph Ostermann. Je parlerai, premièrement, de l'épineuse question de la participation européenne.
J'étais tenté de ne point voter la participation de notre pays au fonctionnement des institutions européennes. Déduire 2 milliards de francs est sans doute plus facile que de les récupérer par la suite.
Dans le cadre du projet de règlement financier 2000-2004, l'objectif est par conséquent d'aboutir à une subvention de 2 milliards de francs conformément au maximum autorisé par les règlements communautaires.
Je vous fais grâce des détails, mais pourriez-vous nous indiquer l'état d'avancement des négociations que vous menez avec M. Kinnock ? Depuis le mois d'avril, elles ont certainement dû progresser.
Le deuxième point d'interrogation sur lequel je souhaiterais obtenir des éclaircissements a trait à la participation du Grand-Duché de Luxembourg.
Je souhaiterais, là encore, connaître les conclusions du groupe de travail bilatéral mis en place pour préciser les engagements réciproques de nos deux pays.
La troisième question en suspens concerne la participation de la région d'Ile-de-France. On attend d'elle un financement de 500 millions de francs mais, à ma connaissance, jusqu'à présent, elle ne s'est engagée sur aucun montant.
Vous attendiez, pour la solliciter, les résultats des élections régionales. C'est aujourd'hui chose faite.
Par conséquent, pouvez-vous nous indiquer l'état d'avancement de ce dossier ?
Enfin, lors du débat sur une question orale, vous nous avez annoncé la mise en place d'une mission spécifique chargée de piloter l'opération financière de la première phase et d'en assurer le bouclage financier. Son objectif étant, je vous cite : « de déterminer, d'ici à la fin de 1998, les modalités précises du financement permettant de signer une convention finale de réalisation des travaux ».
La fin de l'année étant dans trois semaines, pourriez-vous nous apporter des éclaicissements sur les résultats de ces travaux ?
J'avoue être particulièrement inquiet sur ce point, après les propos tenus par votre collègue M. Christian Sautter, à l'occasion de l'examen en première partie de l'amendement, peut-être maladroit, d'Hubert Haenel. Nous n'allons tout de même pas solder les industries alsaciennes pour construire le TGV ! M. Sautter a souligné que l'unique but de cette mission était de convaincre les collectivités locales d'accroître leur participation, l'Etat n'ayant, pour sa part, nullement l'intention d'accroître la sienne pour faciliter le bouclage du projet. Le propos est invraisemblable !
Je crains, une fois encore, que le dossier n'avance nullement. Pour l'instant, les collectivités locales alsaciennes ne disposent d'aucune garantie quant à la poursuite du projet de la plaine d'Alsace, dans la mesure où, la déclaration d'utilité publique n'est pas prononcée pour l'achat de ces terrains.
Tant que cela ne sera pas prévu, comment demander aux collectivités alsaciennes un engagement financier ?
Des interventions financières supplémentaires semblent souhaitées. J'ai une solution à proposer : outre une somme de 1,5 milliard de francs, les collectivités alsaciennes paient près de 100 millions de francs au titre de la solidarité inter-départementale et inter-régionale ; ne serait-il pas envisageable de les exonérer de cette participation ? Cela permettrait de dégager une marge financière supplémentaire, Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?
Le Gouvernement a-t-il une véritable ambition ferroviaire dans l'est de l'Alsace ? Faut-il vraiment qu'en Alsace, et ce serait vraiment une première, on s'inspire de l'action menée par les lycéens qui, eux, ont su dégager des produits nouveaux ?
Le second aspect de votre politique, qui touche particulièrement les régions frontalières, réside dans les conséquences de la libéralisation du cabotage, ainsi que dans l'harmonisation européenne des législations nationales sur le transfert qui l'accompagne et de l'application du contrat de progrès.
Le transport routier est un secteur économique dynamique de notre économie, dynamisme que cette libéralisation ne doit pas freiner.
Ainsi, il est tout d'abord fortement créateur d'emplois puisque les effectifs salariés du transport ont globalement augmenté en 1996 de 2 % pour atteindre 808 500 personnes.
Le transport routier est, en outre, profondément ancré dans le tissu économique local : 48 % des tonnages acheminés par la route sont transportés à moins de 50 kilomètres. Le transport routier est donc majoritairement une activité de proximité bien répartie sur le territoire.
Il convient, par conséquent, de veiller à ce que cette activité importante, déjà bouleversée par le contrat de progrès et l'adoption des 35 heures, ne paie pas le prix fort de la libéralisation du cabotage du fait d'une harmonisation européenne mal négociée.
Je prendrai quelques exemples significatifs à l'appui de mon propos.
En matière de temps de travail, tout d'abord, je considère que le problème principal reste autant l'harmonisation de la durée du travail que l'harmonisation du renforcement des contrôles.
Or je viens d'apprendre que la nouvelle génération de tachygraphes électroniques, dits « boîtes noires », présentée comme étant infalsifiable, ne serait obligatoire qu'à compter du 1er juillet 2000 seulement.
Par ailleurs, il convient de veiller non seulement à renforcer et à harmoniser les contrôles sur le plan européen mais, également, à harmoniser les sanctions en cas de dépassement des durées de conduite et de non-respect du repos journalier.
Là encore, les disparités sont particulièrement inquiétantes pour les entreprises de mon département, ainsi que pour celles des autres départements français mais, surtout, pour celles des départements proches de l'Allemagne.
Alors qu'en France le chef d'entreprise assume seul la responsabilité en cas d'infraction, en Allemagne, celle-ci est partagée entre le chauffeur et le chef d'entreprise. Les dépassements n'étant pas toujours imposés par l'entreprise, cette législation apparaît plus favorable.
L'harmonisation européenne est, enfin, urgente en matière de normes dimensionnelles. La France risque encore d'être, sur ce point, pénalisée.
Ainsi, les remorques immatriculées aux Pays-Bas sont carrossées à 16,5 mètres contre 15,4 mètres pour les françaises, ce qui leur permet de charger trois palettes supplémentaires.
Autre exemple : les bus allemands peuvent être longs de 14 mètres contre 12 mètres pour les français. Les premiers peuvent ainsi transporter 15 à 20 personnes de plus.
Les distorsions de concurrence des deux côtés du Rhin sont donc flagrantes et conduisent de plus en plus d'entreprises françaises installées en zone frontalière à envisager la possibilité de délocaliser leur activité, soit en Allemagne, soit au Luxembourg.
Au vu de ces perspectives un peu négatives, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer la position que vous entendez défendre face à nos partenaires européens sur chacun de ces sujets et nous informer de l'état d'avancement des négociations ?
Je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. A la demande de M. le ministre, nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures, est reprise à vingt-trois heures quinze.)