Séance du 26 novembre 1998







M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, lundi dernier, lors du vote du conseil des ministres européens de l'agriculture relatif à la levée de l'embargo sur le boeuf britannique, la France s'est abstenue, comme d'ailleurs l'Autriche, l'Espagne et le Luxembourg. L'Allemagne, elle, a voté contre.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même comprenons mal la position du Gouvernement. Vous savez pourtant que des incertitudes subsistent.
Les responsables professionnels jugent prématurée la levée de cet embargo et l'Union française des consommateurs a fait part de ses inquiétudes.
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à penser que l'application du principe de précaution est la seule ligne directrice possible et que les impératifs de santé publique doivent prévaloir sur toute autre considération. Comment ne pas s'étonner d'une telle attitude ?
Par ailleurs, les scientifiques, largement consultés par Bruxelles au début de la crise, disent aujourd'hui ne pas savoir ce qu'il en est précisément de la situation en Grande-Bretagne, où 1 567 cas ont été répertoriés au cours de l'année et où environ 100 cas sont attendus pour l'an prochain.
Monsieur le ministre, lors de la séance de questions d'actualité de mardi dernier à l'Assemblée nationale, vous avez essayé de justifier l'injustifiable en prétendant que c'était grâce à l'abstention de la France qu'une majorité qualifiée n'avait pu être réunie et que la décision revenait, à défaut, à la Commission. Vous avez également osé dire que, si l'Allemagne avait voté contre, c'était à contrecoeur en raison des efforts accomplis par les Britanniques.
Il est bien évident que voter contre la levée d'un embargo, quel qu'il soit, est toujours une décision difficile à prendre vis-à-vis des intéressés. Mais que répondez-vous par ailleurs aux légitimes préoccupations des consommateurs français, inquiets pour leur sécurité alimentaire, notamment dans les cantines scolaires, sachant que la viande anglaise ne sera pas officiellement étiquetée avant l'an 2000 ?
A l'heure où les agriculteurs français font un effort sans précédent en matière de qualité et de sécurité, notamment grâce à la traçabilité, au nom de quoi avez-vous pu, monsieur le ministre, prendre une telle décision ?
Je tiens, au nom des éleveurs et des négociants, à vous faire part des propos tenus par les Britanniques. Ils ont dit que c'était pour eux le plus beau cadeau de Noël. Je souhaite, monsieur le ministre, que ce soit également un beau cadeau de Noël pour les éleveurs français, mais j'en doute ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, j'ai écouté avec beaucoup d'attention vos propos. L'attitude du Gouvernement français dans cette affaire a été guidée par le respect et la recherche du principe de plus grande précaution, et je vais vous expliquer de quelle manière.
Dans les informations, je lisais ce matin qu'il n'y a aucune raison de changer d'avis puisque la science et les connaissances n'ont pas changé depuis la crise de 1996. C'est exact, la science n'a pas fait de progrès depuis 1996 sur ce point.
Ce qui a changé, c'est d'abord l'attitude des Britanniques, qui sont membres à part entière de l'Union, que vous le vouliez ou non. Ils ont abattu 2 800 000 bêtes depuis 1996, y compris des bêtes qui n'étaient même pas atteintes par l'encéphalopathie spongiforme bovine, mais qui pouvaient avoir été nourries par des farines animales.
Nous exportons vers leur pays de nombreux produits, qu'ils soient agricoles ou non. Nous ne pouvons donc pas faire comme si leur revendication était irrecevable par nature.
Ce qui a changé surtout, c'est le dispositif mis en place par la Commission européenne, qui est tout entier axé sur la sécurité sanitaire et alimentaire.
Je résume en quelques phrases ses principaux éléments : création d'un fichier individualisé d'identification de l'ensemble des bêtes existant en Grande-Bretagne ; institution d'un passeport individuel pour faciliter la traçabilité de chacune des bêtes ; obligation de passage par des abattoirs spécialisés pour l'exportation ; limitation de l'exportation aux seules bêtes nées après le 1er août 1996, c'est-à-dire après la date d'interdiction de toute nourriture par des protéines animales ; enfin limitation de l'exportation aux viandes dénervées et désossées, c'est-à-dire aux muscles purs, lesquels, de l'avis de tous les scientifiques, n'ont jamais été contaminés.
Ce qui a changé, c'est que ce dispositif ait fait l'objet d'une large approbation par le Conseil agricole.
Ce qui a changé, c'est que, toujours guidée par le principe de plus grande précaution, la France a demandé plus. Elle a notamment demandé que des contrôles supplémentaires soient effectués et que le Conseil agricole soit informé de leurs résultats.
Cette demande a été prise en compte par la Commission. C'est d'ailleurs pourquoi, contrairement à ce que disent certains, le dispositif de levée de l'embargo ne sera pas instantané. Il va prendre des mois et des mois.
M. Jean Arthuis. Alors, pourquoi l'abstention ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Nous attendons le résultat de ces contrôles ! La France a demandé à être non seulement informée de ces résultats mais aussi de pouvoir donner son avis et qu'il soit entendu au sein du Conseil agricole.
Tel est le sens de notre abstention : nous demandons des contrôles supplémentaires et, dans l'attente du résultat, nous nous abstenons. (Exclamations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je répète ce que j'ai dit devant l'Assemblée nationale : quel qu'ait été notre vote, de toute façon, l'embargo aurait été levé. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Notre abstention a permis d'éviter l'expression d'une majorité qualifiée contre, de sorte que la responsabilité reste à la Commission, conformément à ce qui avait été souhaité en 1996 par le Président de la République et par le Premier ministre au sommet de Florence. L'engagement avait alors été pris que la Commission prendrait ses responsabilités et que le Conseil agricole serait juge de ses décisions. Nous sommes donc dans la ligne du sommet de Florence de 1996. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

SERVICE MINIMUM À LA SNCF