Séance du 19 novembre 1998






LOI DE FINANCES POUR 1999

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 1999 (n° 65, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 66 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous entrons donc dans le cycle budgétaire, ce cycle qui avait été autrefois qualifié par Edgar Faure de trois substantifs qui sont certainement encore dans vos mémoires. Nous allons ainsi entamer ensemble une « liturgie » qui, aux yeux de la majorité sénatoriale, ne laisse aucune place à l'infaillibilité gouvernementale (Sourires.) ; nos propositions secoueront la « léthargie » - du moins l'espérons-nous - de débats trop conventionnels ; enfin, nous voudrions nous concentrer sur l'essentiel, au fil de ces journées, en limitant l'inévitable « litanie » des chiffres. (Nouveaux sourires.)
Vous ayant dit cela en guise d'introduction, mes chers collègues, j'en viens maintenant à l'essentiel.
En présentant les équilibres généraux de ce projet de loi de finances, je vais essayer de vous convaincre des insuffisances de la vision et de l'approche du Gouvernement pour vous inciter à adhérer à une autre logique.
En effet, 1999 va être une année très significative, j'allais dire très stratégique pour notre pays : elle verra s'appliquer le premier budget de la France dans une zone monétaire unifiée, avec toutes les contraintes... mais sans doute aussi toutes les chances que cela représente.
Or, lorsque nous écoutons les membres du Gouvernement, nous pouvons souvent avoir le sentiment d'entendre un certain double langage, car deux discours sont simultanément tenus. L'un est dirigé vers l'opinion publique, vers le Parlement et vers les différentes catégories socio-professionnelles, et met en avant les objectifs de croissance, d'emploi, de solidarité sociale et aboutit le plus souvent à plus de dépenses publiques ; l'autre, qui est distillé dans les rencontres intergouvernementales, en Europe et ailleurs, fait apparaître la nécessité d'une convergence de nos finances publiques, d'un renforcement de la discipline commune, afin de réussir dans le cadre nouveau que nous nous sommes donné. Et, parfois, on peut se demander, en écoutant ces deux discours, lequel est le bon, lequel est le vrai et quelle est la véritable orientation de la politique budgétaire et économique de ce pays.
Nous savons que la zone monétaire intégrée ne sera un socle de stabilité économique que si certaines conditions sont remplies, que si notre monnaie unique est en mesure d'inspirer confiance dans le monde entier et de devenir une monnaie de réserve, choisie librement par les banques centrales d'un très grand nombre de pays dans le monde, bien au-delà de nos frontières.
Nous savons que cette évolution vers une zone monétaire intégrée a notamment pour objet de permettre à notre économie de bénéficier de taux d'intérêt aussi bas que possible, ce qui est un avantage considérable pour la France, qui a longtemps dû ses taux élevés, en termes réels, à la nécessité de défendre sa devise. Nous savons, en effet, que le bas niveau des taux d'intérêt est une condition essentielle à une demande intérieure soutenue, tant de la part des ménages que des entreprises, et donc une condition essentielle pour maintenir une croissance forte, susceptible d'engendrer un maximum d'emplois nouveaux.
C'est une loi de l'économie mondiale que la correspondance de bas niveaux d'intérêt avec la discipline de l'assainissement financier. Mais nous savons que nos économies et nos finances publiques sont grevées par un endettement élevé et que nous devons conduire notre politique économique de manière à alléger la charge de la dette pour les générations futures.
C'est à Amsterdam, en juillet 1997, que l'actuel gouvernement a souscrit à l'engagement d'aller « vers l'objectif à moyen terme d'une position budgétaire proche de l'équilibre ou excédentaire ». Il faut donc également interpréter en ce sens vos propos récents, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, lorsque vous avez dit préférer au couplage politique budgétaire laxiste - politique monétaire restrictive un couplage politique budgétaire rigoureuse - politique monétaire expansionniste.
Comment ne serions-nous pas, pour la plupart d'entre nous, en accord avec ce propos ? Toutefois, face à la réalité de la loi de finances initiale telle que vous nous la soumettez, nous n'avons pas le sentiment que ce budget réponde à la condition que vous avez vous-même posée !
Et c'est parce que nous avons cette conviction que nous nous apprêtons à amender très substantiellement le budget que vous nous soumettez, afin de le rendre compatible avec les objectifs qui sont ceux auxquels la France est tenue vis-à-vis de l'environnement international.
Mme Hélène Luc. Mais quels objectifs avez-vous ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet environnement international, madame Luc, quel est-il ? C'est un environnement très volatile, très complexe et il est émaillé de nombreuses crises. Or nous observons que le cadrage macro-économique que nous soumet le Gouvernement est un cadrage volontariste - cela ne nous déplaît pas nécessairement - mais qu'il a été fixé à la fin du premier semestre de 1998, avant qu'interviennent ou se précisent certains aléas extérieurs.
Je n'insisterai pas sur ces sujets, qui sont connus, et je ferai simplement allusion à l'hypothèse monétaire pour l'année 1999, qui s'établit à 6 francs pour un dollar alors que les prévisionnistes sont plutôt proches du niveau actuel, de l'ordre de 5,50 francs, sans revenir sur les nombreux éléments novateurs qui sont intervenus dans l'environnement économique mondial et européen depuis le mois de juin dernier.
Je souhaite, en revanche, m'arrêter quelque peu sur les aléas intérieurs, car le budget que vous nous proposez, sur fond de croissance substantielle, suppose d'abord la confiance des ménages et des entreprises. Celle-ci suppose elle-même un niveau d'inflation faible - cela nous semble acquis, probablement même à un niveau plus bas que celui de 1,1 %, qui est l'hypothèse gouvernementale. Elle suppose surtout que l'emploi s'améliore, et c'est bien là le noeud gordien de la politique économique, comme de la politique tout court, chacun le sait.
Tout récemment, le Fonds monétaire international faisait remarquer, s'agissant de la France, la forte résistance du chômage à la baisse. Il l'attribuait à une structure inadaptée du marché du travail. Il prévoyait, par ailleurs, un chômage s'élevant à 11,2 % de la population active à la fin de 1999, résultat somme toute médiocre après trois années de forte croissance.
Il faut insister sur un fait : dans notre pays, le contenu en emplois de la croissance demeure faible, surtout au regard des emplois marchands, j'allais dire les vrais emplois.
En 1999, selon les prévisions officielles, chaque point de croissance créérait 110 000 emplois, dont seulement 57 000 emplois marchands. L'amélioration des statistiques de l'emploi provient donc, pour une très large part, de l'emploi administré, de même que les créations d'emplois marchands se concentrent largement sur l'emploi précaire.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale ne remet pas en cause le cadrage macro-économique que vous proposez. Ce cadrage est volontariste, et nous le prenons comme tel.
Nous constatons toutefois que ce budget va nous faire prendre de très grands risques. En effet, nous n'avons pas véritablement de marge d'errreur. Or, vous devrez d'ici quelque temps présenter le programme de stabilité de la France à nos partenaires européens en respectant l'article 5 du règlement du Conseil européen du 7 juillet 1998, lequel prévoit que le Conseil examine si l'objectif à moyen terme fixé par le programme de stabilité offre une marge de sécurité pour assurer la prévention d'un déficit excessif.
Avons-nous cette marge de sécurité ? Pour ma part, je ne le crois pas, car, en face des espérances conjoncturelles que nous affichons, nous chargeons sans cesse la barque de structures supplémentaires, de dépenses pérennes et de lourdeurs pour l'avenir dont nous risquons d'être les prisonniers.
M. Alain Gournac. C'est certain !
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'ai cherché des références et des citations, et, une fois n'est pas coutume, je vais citer l'actuel président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius, qui a dit voilà peu, à propos du projet du budget - mais ce n'est que l'une des expressions d'une majorité plurielle, je le sais bien !...
M. Josselin de Rohan. De plus en plus plurielle !
M. Philippe Marini, rapporteur général... « Le projet de budget ne renferme que peu de capacités d'évolutivité par rapport aux possibles aléas à venir. » Il a tout à fait raison !
M. Paul Loridant. Fabiusien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quel équilibre budgétaire nous proposez-vous ? Vous prévoyez de ramener le déficit de l'Etat, en chiffres ronds, de 258 milliards de francs à 236 milliards de francs. Cette réduction nous semble être à la fois insuffisante et incertaine.
Il aurait été possible, en 1999, compte tenu de l'hypothèse de croissance, de faire bien davantage. D'ailleurs, si l'on considère sur une longue période l'évolution du taux de croissance et celle du déficit de l'Etat, on constate que, dans les périodes de récession économique, le déficit plonge très vite et que, dans les périodes d'amélioration de la conjoncture économique, le déficit ne se réduit que très lentement, très péniblement et par petits paliers.
A nos yeux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes en train de répéter les erreurs qui ont déjà été commises lors d'une phase de croissance significative sous le gouvernement de M. Michel Rocard. En d'autres termes, comme le gouvernement de M. Michel Rocard, le gouvernement de M. LionelJospin se laisser aller à la facilité.
A vrai dire, comment apprécier le déficit affiché pour la loi de finances ? On peut le faire par rapport à l'exécution de l'exercice 1998, et très bientôt, vous nous présenterez d'ailleurs le projet de loi de finances rectificative.
A voir l'évolution des choses, compte tenu d'une marche très favorable de l'économie, on peut penser que logiquement vous pourriez, si vous le vouliez, dégager à la fin de cette année un déficit de 210 milliards de francs. C'est une tendance naturelle, et cela suppose que l'on ne grève pas ce déficit de la présente année de charges et de dépenses susceptibles d'apparaître en anticipation, en quelque sorte, sur l'exercice 1999.
Nous estimons aussi que les efforts dont vous vous glorifiez sont insuffisants en ce qui concerne la dette. En effet, en 1999, si l'on vous suit, nous ne réduirons pas notre endettement par rapport au produit intérieur brut. Nous serons, en Europe, le seul pays à ne pas s'imposer cette discipline. Le seul, ce n'est pas tout à fait vrai, car il y a aussi le Luxembourg, mais la dette de ce pays par rapport au produit intérieur brut ne représente que 8 %, contre près de 60 % pour la France !
Nous observons aussi, en matière d'endettement, que les ressources que l'on va drainer sur les marchés financiers, à hauteur de 520 milliards de francs, vont servir, d'une part, à rembourser des emprunts antérieurs, pour environ 280 milliards de francs, et, d'autre part, à boucler les comptes de fonctionnement, pour 70 milliards de francs, ce qui serait naturellement interdit à quelque commune, département ou région que ce soit.
Au demeurant, chacun sait qu'en Grande-Bretagne et en Allemagne - pour ce qui est de la Grande-Bretagne, c'est encore un projet - des textes fondamentaux visent à réserver de manière explicite et limitative les ressources d'emprunt à la couverture des dépenses d'investissement.
Chez nous, les dépenses d'investissement, de l'ordre de 8 % de la totalité des masses budgétaires, c'est le résidu. On emprunte 520 milliards de francs et l'on n'investit que 170 milliards de francs. Ce n'est certes pas satisfaisant !
Et puis, on peut, bien sûr, se demander, comme l'a fait le président de l'Assemblée nationale - vous voyez que le propos de la commission n'a aucun caractère idéologique - « si l'embellie de notre produit national brut n'aurait pas pu être utilisée davantage pour faire baisser la dette et les impôts ». Cela lui crée sans doute un trouble, et ce trouble, mes chers collègues, nous le partageons ! (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Réduction du déficit insuffisante mais aussi réduction incertaine et rigidité accrue des dépenses !
Les dépenses pour l'emploi, pour la dette publique et pour la fonction publique sont passées de 57 % des recettes fiscales nettes, en 1990, à 88 % en 1998.
Vous ne vous proposez pas - bien au contraire - de limiter cette rigidité. Nous constatons, par exemple, que l'ensemble des charges de la fonction publique et des rémunérations publiques passent de 56,4 % des recettes fiscales nettes, en 1998, à 56,8 %, soit encore un peu plus, en 1999.
A l'examen de l'équilibre des ressources nouvelles et des dépenses nouvelles, que constate-t-on ? La belle croissance - nous voulons y croire - nous apporterait, en 1999, 75 milliards de francs, en chiffres ronds, de recettes d'impôts supplémentaires, et nous trouvons en face 37 milliards de francs de dépenses nouvelles destinés à financer ce que vous appelez vos priorités.
Mais quelle est la première des priorités, en chiffres ? C'est - je n'ai fait que lire le document budgétaire - 22 milliards de francs de surcroît de rémunérations, de surcroît de masse salariale pour la fonction publique. C'est vrai, c'est là la toute première priorité de ce Gouvernement, toutes les autres venant assez largement derrière.
Il y a donc, d'un côté, des recettes « volatiles » et, de l'autre, des emplois rigides. S'y ajoute même le fait que certaines recettes ne se renouvelleront pas, tel le prélèvement de 5 milliards de francs que vous vous proposez de faire sur les fonds propres des caisses d'épargne, avant même de nous soumettre le projet de texte concernant la réforme de leur statut, donc de manière tout à fait prématurée.
Si nous devions vous suivre, nous enregistrerions un déficit structurel des comptes publics beaucoup trop élevé en 1999. En d'autre termes, l'Etat vit au-dessus de ses moyens !
Pour 1999, le déficit structurel, tel que le définissent les spécialistes des finances publiques, serait, selon la direction de la prévision, de 1,8 % du PIB, soit un excès des dépenses permanentes par rapport aux recettes permanentes, toujours selon la terminologie de la direction de la prévision, de 160 milliards de francs par an.
Malgré les difficultés qu'il a rencontrées, le précédent gouvernement a fait mieux que vous, car il a réduit le déficit structurel de 0,8 point de PIB par an, alors que vous ne le réduisez, de 1997 à 1999, que de 0,2 point par an. Ces chiffres montrent, mieux que toute autre démonstration, que vous avez bien de la chance, que vous misez sur la conjoncture et que vous ne réalisez que très peu d'efforts sur les dépenses de structures.
A la vérité, ce constat devrait être encore quelque peu noirci, car il faut bien voir la part des efforts des uns et des autres. Quand on raisonne sur le déficit des administrations publiques, il faut en effet considérer trois sous-ensembles : l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités locales.
Les collectivités locales, en 1999, vont apporter un excédent de 13 milliards de francs.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Un exemple !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui, un exemple !
La sécurité sociale, à supposer que les hypothèses chiffrées de la loi de financement soient fondées, apporterait, elle aussi, un excédent de 13 milliards de francs, soit 26 milliards de francs, auxquels il faut ajouter 8 milliards de francs provenant des organismes divers d'administration centrale.
L'Etat, lui, on le sait, enregistre un déficit de 237 milliards de francs.
Il suffirait donc que les excédents escomptés des collectivités locales et, surtout, de la sécurité sociale se transforment en déficits pour que nous soyons peut-être proches du déficit excessif ou dans le déficit excessif tel que qualifié par les accords européens.
Enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous parlez souvent de vos efforts en matière de réduction des prélèvements obligatoires. A cet égard, je crois pouvoir dire, tout en étant très modéré dans l'expression, que les propositions que vous nous faites sont, pour une très large part, des propositions en trompe-d'oeil. Vous n'êtes pas en mesure d'engager une vraie réforme fiscale comme le fait, par exemple, le nouveau chancelier allemand.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Ah !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais oui, c'est une réalité ! Dès son arrivée au pouvoir, il indique que ses premières priorités sont la réforme de l'impôt sur le revenu et l'abaissement des prélèvements obligatoires. Dieu sait, pourtant, que je ne partage pas toutes les options, toutes les orientations du chancelier allemand !
M. Claude Sautter, secrétaire d'Etat. Il semblerait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je suis toutefois bien obligé de constater que, contrairement à lui, vous n'entreprenez aucune réforme de l'impôt sur le revenu.
Vous cherchez par exemple des modalités un peu étranges pour résoudre des cas particuliers comme la déduction forfaitaire au bénéfice de telle ou telle profession. Vous ne poursuivez pas l'effort de baisse de l'impôt sur le revenu qui avait été engagé par le précédent gouvernement.
M. Marc Massion. Mais si !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous saupoudrez des réductions de TVA alors que, si je ne me trompe, vous aviez, il n'y a pas si longtemps, évoqué une diminution du taux normal. Réductions coûteuses d'ailleurs et dont il faut parier qu'elles ne seront guère perçues par les ménages !
Naturellement, vous faites porter l'effort sur les collectivités territoriales avec une réforme de la taxe professionnelle dont les effets risquent d'être très contradictoires : effets sur nos budgets locaux - cela sera dit tout au long du débat - effets aussi sur les contribuables, car les mesures d'accompagnement de la réforme contrarient cette même réforme !
Les prélèvements obligatoires s'élèveront à près de 46 % en 1999.
M. Marc Massion. En baisse par rapport à vous !
M. Philippe Marini, rapporteur général. S'il y a baisse, ce n'est que par un effet d'optique. En effet, cette baisse part du point haut de 46,1 %, qui a été atteint en 1997, après l'entrée en application de la loi portant diverses mesures urgentes à caractère fiscal et financier. Après avoir taxé de plus de 20 milliards de francs supplémentaires les entreprises, il est facile de faire apparaître une toute petite baisse optique !
Alors, que devons-nous faire, mes chers collègues ? Devons-nous rejeter en bloc ce projet de budget ou devons-nous essayer de l'améliorer ?
Bien entendu, le Sénat étant une maison raisonnable, c'est la seconde voie que nous allons vous proposer.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est tout le sens de nos propositions pour un budget alternatif de responsabilité et de confiance.
Responsabilité, cela veut dire que ce que nous proposons est faisable, à portée de la main, raisonnable ; ce ne sont pas des plans tirés sur la comète. Nous avons d'ailleurs, sur bien des sujets, réfréné nos ardeurs, que ce soit en matière de fiscalité ou de dépenses.
Ce budget alternatif dont nous allons débattre est donc un budget responsable. Mais c'est également un budget de confiance parce que nous pensons aux années futures et aux générations à venir, auxquelles il faut donner tous les moyens de leur liberté, ce qui signifie qu'il faut alléger les charges de structure et de la dette qui viendront amputer leur marge de manoeuvre et leur pouvoir de décision.
Que faut-il faire pour requalifier ce budget et le rendre acceptable ?
En premier lieu, il faut réduire davantage le déficit pour stabiliser la dette publique, et ce par un effort supplémentaire de 14 milliards de francs. Pourquoi 14 milliards de francs ? Parce que ce chiffre correspond, d'une part, au montant nécessaire pour stabiliser la dette en termes de pourcentage du produit intérieur brut, d'autre part, au rendement fiscal d'un point de croissance supplémentaire.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas mis en cause vos hypothèses économiques, mais si, par malheur, elles devaient ne pas se réaliser totalement, mieux vaudrait ne pas placer le pays ou ses finances publiques dans une situation impossible.
Nous savons bien que pèsent sur nos finances publiques des charges futures très lourdes : en 2015, les seules retraites de la fonction publique représenteront 226 milliards de francs alors qu'elles ne s'élevaient qu'à 108 milliards de francs en 1995. Elles feront plus que doubler, et je parle en francs constants, en volume. Nous savons que tout cela nous attend, que tout cela est inéluctable.
Comment l'Etat pourra-t-il faire face à ces énormes charges futures s'il ne s'allège pas fort vigoureusement aujourd'hui qu'il en a les moyens ?
J'ai trouvé une autre citation pour émailler mon propos.
M. Paul Loridant. Mitterrand ? (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, mon cher collègue, mais vous n'êtes pas loin, il s'agit de Jack Lang (Rires), qui s'intéresse aussi aux questions financières et budgétaires. Que déclarait Jack Lang en juin dernier ? « Il faut accélérer la marche vers la réduction des déficits et ramener ce pourcentage à 1,7 % dès 1999. » Nous qui sommes très raisonnables et très modérés, nous nous contenterions d'un taux de 2,15 %, au lieu d'un taux de 2,3 % que vous nous proposez.
Par ailleurs, il faut assurément réduire les charges de structure. Nous proposons donc, dans les 75 milliards de francs de recettes supplémentaires, de n'affecter à la hausse inéluctable des dépenses que 11 milliards de francs au lieu des 37 milliards de francs que vous prévoyez. Vous observez que notre proposition est, je le répète, modérée. Elle n'est pas déflationniste. Elle est responsable. Pour nous, un bon budget, c'est un budget qui permet de dépenser mieux et qui permet à l'Etat d'assumer d'abord ses missions prioritaires.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes, on pourrait toujours discuter sur le point de savoir quel est l'impact des finances publiques sur l'emploi, éternel sujet pour les économistes. Sur ce point, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes beaucoup plus savants que moi !
Je voudrais simplement faire un rappel : entre 1970 et aujourd'hui, la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut est passée de 40 % à 55 % ; dans le même temps, la dette publique, elle, est passée de 0 % à 60 %. Quant au chômage, qu'est-il devenu ? Se serait-il réduit au fur et à mesure de l'augmentation des dépenses publiques et de l'endettement public ? Mais non, nous le savons bien, puisqu'il est passé pendant cette même période de 3 % à 12 % de la population active !
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, si accroître la dépense publique était la solution pour lutter contre le chômage et pour le réduire, ne verrait-on pas cette vérité économique dans les chiffres issus du passé ?
La commission des finances estime qu'il faut s'attaquer au déficit de fonctionnement et au déficit structurel, qu'il faut préserver l'investissement porteur d'avenir et seul justiciable d'un financement par emprunt. Nous estimons donc qu'il faut faire des économies, que nous avons chiffrées, dans notre exercice, à 26 milliards de francs,...
Mme Hélène Luc. Sur le dos des pauvres !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... ce qui conduit à refuser, sous forme d'économies ciblées, un certain nombre de dépenses qui correspondent à des politiques que nous n'approuvons pas. Vous voulez les 35 heures obligatoires à un certain terme et vous y affectez de l'argent : nous refusons de voter ces crédits !
Mme Hélène Luc. Ah bon ?
M. Marc Massion. Vous refusez d'appliquer la loi ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Sur les emplois-jeunes, le Sénat avait voté de nombreux amendements au projet de loi de Mme Aubry.
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous nous avez proposé par ailleurs un certain nombre de nouveaux dispositifs sociaux. Ces dépenses étant des dépenses engagées, nous les acceptons en tant que telles, mais nous estimons qu'il est possible de faire des efforts de redéploiement de plus de 150 milliards de francs dans la masse globale des aides à l'emploi, de même que nous pensons qu'il est possible, sans réduire en rien les droits sociaux, de faire des efforts d'économie et de rigueur sur des crédits comme ceux du RMI, qui représentent 25 milliards de francs. C'est la Cour des comptes qui le dit, et pas seulement nous ! On peut mieux contrôler et faire preuve de plus de rigueur en ce domaine.
Et puis, naturellement, tout exercice budgétaire se traduit - ce n'est pas à M. le secrétaire d'Etat que je vais l'apprendre - par des mesures de caractère forfaitaire ; il n'y a pas de budget sans que l'on doive imposer des limitations de nature globale.
En ce qui nous concerne, nous estimons qu'il ne faut pas toucher aux ministères de souveraineté, c'est-à-dire aux affaires étrangères, à la défense, à la justice et à l'intérieur. Nous estimons qu'il ne faut pas toucher à l'investissement qui est déjà insuffisant, je l'ai dit. Mais nous pensons que l'on peut faire un effort de réduction de 5 % sur le train de vie de l'Etat, c'est-à-dire sur un très grand nombre de dépenses de fonctionnement, et que l'on peut également faire un effort de réduction de 1 % sur la masse salariale globale de l'Etat. Une réduction de 1 % sur la masse salariale globale, cela veut simplement dire que, pour quatre départs à la retraite d'agent public en 1999, trois seulement seraient remplacés. C'est raisonnable...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et c'est à portée de main. Cela ne concerne pas, bien entendu, les ministères de souveraineté que j'ai cités.
Les efforts que préconise votre commission, mes chers collègues, sont modérés : ils portent sur à peine 1,4 % du total des charges de l'Etat. Qui parmi nous, dans la gestion de la collectivité territoriale dont il a la charge, n'a été en mesure de faire un tel effort et, éventuellement, de le répéter sur plusieurs exercices ? Que l'on ne prétende donc pas que l'exercice est impossible ! Même si aujourd'hui nous sommes dans une période de facilité, c'est un exercice auquel, de toute façon, demain ou après-demain, vous ou vos successeurs, monsieur le ministre, seront contraints, nous le savons ; alors, autant commencer le plus vite possible.
Il faut ajouter, bien entendu, que notre vision est une vision responsable. Après avoir amendé les budgets des différents ministères concernés, ainsi que je viens de le dire, la commission des finances vous proposera, mes chers collègues, de voter les budgets ainsi modifiés. Naturellement, nous nous exprimerons largement sur ce que nous pensons de la politique menée dans chacun des secteurs d'activité du Gouvernement. Et il y a beaucoup à dire, et il y a beaucoup de critiques à faire sur le fond !
Nous voulons, enfin, engager une véritable baisse des prélèvements obligatoires, mais sans démagogie, car la baisse des prélèvements doit succéder à l'assainissement et non pas le précéder. On ne peut pas procéder comme nous le voudrions, dès 1999, avec toutes les nouvelles charges de structure, à la réduction de l'impôt sur le revenu que nous appelons de nos voeux ; mais il faudrait le faire par la suite.
La commission a examiné les différentes mesures nouvelles concernant les recettes. Nous avons pris des positions que nous justifierons tout au long du débat. Je dirai simplement en cet instant que nous avons rejeté certaines mesures telles que la taxe générale sur les activités polluantes, qui a de nombreux effets pervers dans divers secteurs d'activité, et l'extension tout à fait déraisonnable et improvisée de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France.
M. Denis Badré. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par ailleurs, sur un certain nombre d'autres sujets, nous vous proposerons, mes chers collègues, de rejeter les mesures nouvelles concernant les recettes qui figurent dans ce projet de loi de finances.
Nous estimons enfin qu'il faut, comme vous le proposez, monsieur le ministre, être très attentif aux risques de délocalisation de l'épargne et des activités économiques. En d'autres termes, il faut, c'est vrai, lutter contre l'évasion fiscale mais la meilleure façon de le faire n'est-il pas d'engager un processus de réduction des prélèvements obligatoires et de revenir, en matière d'impôt sur le patrimoine, par exemple, à un plafonnement raisonnable...
M. Philippe François. Exactement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... de la totalité des charges d'impôts par rapport aux revenus d'un contribuable donné ? Quand on y sera parvenu, on pourra s'opposer sans doute avec encore plus d'efficacité aux risques ou aux tentations d'évasion fiscale vers l'étranger.
Je conclurai ce propos, monsieur le ministre, en invitant nos collègues à réfléchir, au-delà de ce budget, à tout ce qu'il convient de changer en matière de finances publiques.
Nous nous fondons sur l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, texte excellent qui a fait partie de la nouvelle donne de la Ve République. Mais le temps s'est écoulé et nous nous situons aujourd'hui dans un autre contexte économique et européen.
Il conviendra certainement, à l'avenir, de mieux assurer la convergence des prévisions économiques et des hypothèses de croissance entre les économies européennes.
Il conviendra aussi, me semble-t-il, de mieux associer le Parlement à l'exécution de la loi de finances.
Il conviendra également de s'astreindre, comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne, à ce principe de bon sens selon lequel il ne faut plus financer le fonctionnement par l'emprunt.
Il faudra aussi faire preuve de prudence et ne pas cibler les hypothèses de croissance les plus optimistes pour fonder tout l'équilibre budgétaire sur de telles données prévisionnelles.
Enfin, il faudra suivre les conseils qui ont été donnés s'agissant de la réforme de la comptabilité de l'Etat par certains d'entre nous, au premier rang desquels se trouve Jean Arthuis. La comptabilité patrimoniale de l'Etat devra être un guide pour la gestion et pour la prévision des budgets futurs.
N'y a-t-il pas une anomalie, mes chers collègues, à ce que, dans ce projet de loi de finances, l'on n'évoque nulle part le remboursement des emprunts ?
Le budget de la France, et les choses sont ainsi faites depuis toujours, ne fait figurer en dépenses que les intérêts de la dette. L'amortissement du capital, le remboursement des emprunts se trouvent ailleurs, c'est-à-dire dans les mouvements de trésorerie. La direction du Trésor est extrêmement performante, chacun le sait !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans n'importe quelle entreprise c'est pareil !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais n'y a-t-il pas des limites à l'exercice ? Un manque de visibilité, un manque de transparence ? Ne faut-il pas progresser pour l'avenir ? Ne faut-il pas imaginer des méthodes budgétaires plus claires, plus souples et qui concourent à l'indispensable réforme de l'Etat ?
Mes chers collègues, c'est avec le voeu que l'on s'engage courageusement dans cette voie que j'achève cet exposé, en vous remerciant de votre bienveillante et patiente attention. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France porte-t-elle encore une grande ambition ?
Au moment où son économie achève de s'ouvrir au monde, au moment où elle se dote d'une monnaie commune à onze pays de l'Union européenne, la discussion de son budget, au Parlement, doit être un moment fort de vérité et d'affirmation d'une ardente volonté politique.
C'est dans cet esprit que le Sénat engage ce débat budgétaire.
C'est le sens des propositions de sa commission des finances que le rapporteur général, avec le talent que nous lui connaissions déjà mais dont il a fait à nouveau preuve voilà un instant vient de nous exposer, avec une clarté que j'ai trouvé tout à fait convaincante.
Il a su parfaitement décrire, analyser, illustrer le projet de loi de finances qui nous est soumis, il nous a proposé des solutions alternatives. Comme il l'a dit, je les fais miennes et les soutiens sans réserve.
Ces solutions sont dans le droit-fil du débat d'orientation budgétaire que nous avons tenu, dans cette enceinte, au printemps dernier. Je limiterai donc mon propos à quelques points essentiels auxquels on n'échappe pas dans un débat budgétaire : les déficits, hélas ! les dépenses et les prélèvements.
S'agissant des déficits, oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, une réduction plus importante était possible, comme M. le rapporteur général l'a dit.
Pour la première fois, en effet, et depuis longtemps, le solde pouvait être arrêté à un niveau permettant de stabiliser la dette en ratio de produit intérieur brut. Les 74,5 milliards de francs de recettes supplémentaires attendues de la croissance vous le permettaient.
Le déficit budgétaire que vous nous proposez reste donc, à nos yeux, trop élevé, il atteint en effet 237,3 milliards de francs. Il ne diminue que de 20,5 milliards de francs par rapport à l'année dernière, de 20,5 milliards de francs rapportés aux 74,5 milliards de francs de ressources nouvelles, reconnaissez que l'effort est bien modeste !
Or cette facilité à laquelle vous nous conviez, monsieur le ministre, précisément au moment où il était possible de faire autrement, ainsi que cela a été démontré, illustre, je le crains, le retard inquiétant de la France à opérer les réformes structurelles dont elle a pourtant un urgent besoin, alors même que les circonstances le permettaient - nous savons en effet que les réformes sont difficiles en France - et alors que la prochaine échéance électorale est lointaine et que la croissance vous offrait les marges de manoeuvre nécessaires. C'était donc le moment.
Sur les quinze pays de l'Union européenne, la France affiche le plus fort besoin de financement des administrations publiques. Elle sera l'un des seuls pays à ne pas stabiliser sa dette publique par rapport au produit intérieur brut alors qu'une réduction supplémentaire d'environ 15 milliards de francs l'aurait rendu possible.
La commission des finances a donc parfaitement raison de vous proposer de fixer le déficit budgétaire à un niveau qui le permet et d'éviter ainsi que la dette publique ne continue de dériver. Mes chers collègues, le niveau atteint par la dette publique - plus de 5 000 milliards de francs - dévore chaque année en intérêts 20 % de recettes fiscales nettes. Notre devoir absolu, vis-à-vis de nous-mêmes, mais plus encore vis-à-vis des générations futures, est de faire au plus vite refluer cette dette.
J'en viens aux dépenses.
Les dépenses liées à la fonction publique dérivent de 21 milliards de francs soit, à titre d'exemple, 3 milliards de plus que l'évolution du produit de l'impôt sur le revenu des Français. Comment voulez-vous que nos compatriotes puissent croire que leurs impôts pourront baisser un jour, dès lors que toutes les sommes supplémentaires qui sont prélevées sur leurs revenus, chaque année, ne couvrent même pas les suppléments de dépenses de fonction publique ?
Le présent serait moins déprimant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous ne sembliez pas vous satisfaire de cette situation. Vous vous apprêtez en effet à recruter de nouveaux fonctionnaires, même si vous m'objecterez sans doute que le solde de création des emplois civils est à l'équilibre.
A cela s'ajoutent les 100 000 nouveaux emplois-jeunes prévus pour 1999, qui viendront inévitablement, au terme des cinq ans, s'ajouter à des effectifs déjà excessifs.
Au chapitre des dépenses, M. le rapporteur général a eu raison d'évoquer la montée inexorable des charges de retraite de la fonction publique. En 2010, le budget de l'Etat devra supporter plus de 70 milliards de francs constants supplémentaires. Le coût budgétaire total sera à cette époque du même ordre que la charge de la dette aujourd'hui. Cette charge de retraites est donc bien - cela a été dit à cette tribune - la « seconde dette » de l'Etat.
Pour aider les Français à en prendre conscience, il serait indispensable que le Gouvernement montre la voie de la lucidité et de l'audace. La remise en ordre des régimes spéciaux nécessite en effet des décisions courageuses et sans doute impopulaires, mais il ne sert à rien de les retarder.
Or, là encore, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, quel message délivrez-vous ?
Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, vous nous avez proposé d'affecter 2 milliards de francs à un fonds spécial alors que, pendant le même temps, vous autorisez la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, à s'endetter du même montant pour financer des prestations courantes. Or, la CNRACL est aujourd'hui structurellement excédentaire, son déficit étant dû à un désengagement de l'Etat qui remonte à 1985 et sur lequel il va bien vous falloir revenir !
Alors que la branche vieillesse est déjà déficitaire, vous accordez 2 milliards de francs supplémentaires à la revalorisation des retraites. Certes, la mesure est appréciée par les actuels retraités, mais, franchement, est-elle responsable à l'endroit des générations futures ?
Face à ces dérives, je rappelle l'attachement constant du Sénat à la maîtrise de la dépense publique, non par esprit de contradiction mais parce que le niveau de la dépense publique d'un pays est devenu l'un des premiers indicateurs de sa crédibilité.
Or notre niveau de dépense n'est pas crédible. L'Etat dépense trop ; il se révèle incapable de contenir ses dépenses, tant il peine à se réformer. Les chiffres donnés par M. le rapporteur général parlent d'eux-mêmes.
Le reproche majeur qui peut être adressé au Gouvernement est de repousser cet impératif, parfois même de sembler douter de son bien-fondé. Comment, en vérité, se satisfaire d'emprunter l'année prochaine 69 milliards de francs pour financer les dépenses de fonctionnement et reporter sur les générations futures le paiement des dépenses courantes d'aujourd'hui ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Loin de servir la solidarité, l'excès de dépenses la mine.
Contrairement aux apparences et à une dialectique très sommaire, une dépense publique excessive est antisociale : elle alimente les prélèvements obligatoires, elle renchérit les coûts, elle affaiblit la compétitivité de nos entreprises, elle fragilise nos emplois et elle affaiblit peu à peu la cohésion sociale. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les transferts sociaux ne remplaceront jamais des emplois durables. C'est en tout cas ma conviction, et je souhaite l'exprimer.
A qui pourra-t-on faire croire qu'un budget qui consacre 237 milliards de francs aux intérêts de la dette est un budget social alors que, mes chers collègues, cette somme est égale à l'ensemble des crédits du ministère de l'emploi et de la solidarité ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il est urgent et nécessaire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de s'attaquer aux composantes les plus rigides de la dépense publique, d'engager un mouvement progressif de réduction et de redéploiement des effectifs du secteur public et une réforme des régimes de retraites.
Les comparaisons le montrent : les pays qui ont le mieux réussi sont ceux qui ont fait l'effort le plus significatif sur les dépenses.
Inversement, il serait avisé d'endiguer le reflux des dépenses d'équipement public. Si la dépense est une sorte de fatalité socialiste, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, alors, je vous en supplie, concentrez-la sur l'investissement - il en a bien besoin - et réduisez le fonctionnement.
M. Serge Vinçon. Absolument !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ce sera plus conforme aux intérêts des générations futures.
Or nous assistons - chacun le sait - à une nouvelle baisse des dépenses d'équipement de l'Etat. Heureusement que les collectivités locales sont là, et ce ne sont pas les présidents de conseils généraux et les présidents de conseils régionaux qui siègent à la Haute Assemblée qui me contrediront !
M. Denis Badré. Ce ne sont pas les maires non plus !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. J'en viens enfin aux prélèvements obligatoires, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Vous prélèverez 74,5 milliards de francs - environ 75 milliards de francs - supplémentaires tout en annonçant que vous baissez les impôts. Je n'ignore évidemment pas l'effet naturel de la croissance, mais beaucoup de Français penseront qu'il s'agit d'une étrange dialectique !
Vous dénoncez l'augmentation de la TVA pratiquée en 1995, mais vous la maintenez au même niveau en évitant soigneusement de reconnaître que, pour la ramener au niveau antérieur, vous devriez trouver environ 60 milliards de francs d'économies supplémentaires alors que vous peinez tant par ailleurs à diminuer les dépenses.
Parfois - mais rarement - les circonstances économiques permettent de mener de front la baisse des déficits et la réduction des impôts, sans réduire en même temps les dépenses. C'est une illusion dangereuse en vérité, car, au premier retournement de conjoncture, les déficits et la dette s'envolent.
La baisse vraie des impôts - dont je rappelle qu'à mes yeux elle passe par la baisse des dépenses - est une nécessité pour les contribuables, mais elle l'est tout autant pour le pays.
Le passage à l'euro, dont nous nous réjouissons quasiment tous à la Haute Assemblée, révèlera, dès le 1er janvier prochain, d'une manière éclatante mais aussi inquiétante pour nous, les différences de coûts fiscaux et sociaux qui forment les prix des productions françaises, au risque de les pénaliser à l'échelle de l'Europe.
Dans la perspective antérieure du marché unique et de la liberté de circulation des capitaux, ce qu'on a appelé un « désarmement » fiscal a dû être engagé. Il a été chiffré à 221 milliards de francs en 1993 par suite des mesures prises depuis 1985. Un autre « désarmement » est aujourd'hui nécessaire, et il sera très supérieur au précédent lorsqu'on sait que 480 milliards de francs, selon mes calculs - mais j'y inclus, il est vrai, les dépenses sociales - de dépenses publiques nous séparent de la moyenne de nos partenaires européens. Mes chers amis, la baisse de 16 milliards de francs annoncée cette année montre la longueur du chemin qui reste à parcourir.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, se fixer pour objectif la stabilisation des prélèvements en ratio de PIB ne suffira pas. La diminution des déficits et des prélèvements obligatoires ne pourra résulter que d'une politique affirmée de maîtrise des dépenses publiques. De cette manière, notre pays pourra résorber sa dette et pourra ainsi éviter de compromettre l'avenir de ses enfants.
La question des prélèvements me conduit à évoquer brièvement la réforme de la taxe professionnelle présentée comme une amélioration de la fiscalité qui pèse sur les entreprises.
Ce qui a pu apparaître comme une bonne idée au départ se révèle chaque jour une aventure dont personne peut-être ne semble plus vraiment maîtriser les effets.
L'examen des articles nous permettra d'éviter quelques dégâts irrémédiables. Mais nous ne parviendrons pas, malgré le génie du rapporteur général et du Sénat, à évitercomplètement les effets pervers du nouveau dispositif.
Ainsi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat - je ne prends qu'un exemple pour ne pas vous faire perdre inutilement votre temps - ne craignez-vous pas qu'au cours des premières années, certaines entreprises, y compris industrielles, ne voient leur taxe professionnelle substantiellement augmenter ? Est-ce une volonté affirmée de votre part ou, au fond, un effet mal maîtrisé de cette réforme ?
S'agissant de la compensation des pertes de recettes des collectivités locales, si vos intentions sont pures, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat - et je ne doute pas qu'elles le soient - pourquoi vous opposer au système de dégrèvement - avec gel des taux, bien entendu - qui apaiserait, vous le savez, les inquiétudes des élus locaux ?
S'agissant du contrat de solidarité et de croissance, dont vous vantez les mérites comparés au pacte de stabilité arrivant à échéance, pourquoi utilisez-vous les recettes fiscales des collectivités locales pour mener votre politique de péréquation ? Il serait plus judicieux que l'Etat, pour conduire sa politique, utilisât ses propres moyens et pas ceux des collectivités locales. Il ne saurait y avoir de péréquation que sur concours budgétaires. A défaut, ce serait répartir la pénurie et, surtout, déresponsabiliser les élus qui ont tant à faire pour attirer les entreprises et pour maîtriser les dépenses.
J'en viens, mes chers collègues, aux priorités qui doivent être les nôtres en matière de réduction des prélèvements obligatoires. J'en propose trois.
La première vise à réduire les charges sociales qui pèsent sur le travail, sur les bas salaires en particulier. Le passé récent nous a montré que dépenser toujours plus pour l'emploi et prélever toujours plus sur les salaires nous a placés parmi les pays européens les moins performants, sur les fronts aussi bien du chômage que des finances publiques.
On m'a objecté, on m'objectera encore et toujours, que les allégements de charges n'ont pas créé d'emplois. Mais les allégements ponctuels ne doivent pas masquer la tendance longue à l'alourdissement des prélèvements.
La clé de l'indispensable réforme structurelle de notre marché du travail se trouve là, et non, comme le pense Mme Martine Aubry, dans des contraintes supplémentaires sur les entreprises. On ne peut à la fois les dissuader d'embaucher et les obliger à le faire. Le président Poncelet nous a récemment montré la voie sur ce sujet.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. La deuxième priorité est de reprendre le processus engagé de réforme de l'impôt sur le revenu, mais ce point ayant été développé par M. le rapporteur général, je n'y reviendrai pas.
La troisième priorité a pour objet d'alléger la fiscalité de l'épargne et du patrimoine, des ménages comme des entreprises. Dans la course à l'attractivité fiscale, nous ne sommes pas suffisamment compétitifs. Cette situation risque de nous faire perdre des cerveaux, de l'activité et des emplois. Il convient d'y remédier au plus vite.
Mes chers collègues, j'en viens à ma conclusion.
Plusieurs sénateurs socialistes. Ah !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. J'entends des manifestations de soulagement ! (Sourires.)
Nous nous accordons tous à reconnaître que la France est un grand pays, la quatrième puissance industrielle du monde. Elle a un génie propre qui lui a permis d'atteindre l'un des plus élevés niveaux de développement du monde.
Son handicap majeur aujourd'hui, c'est l'Etat, dont vous avez la charge, monsieur le ministre et monsieur le secrétaire d'Etat. Il est coûteux, trop souvent peu efficace, brouillon, tatillon, lent, lourd. S'il ne se réforme pas rapidement, il peut compromettre les chances de la France et des Français.
Pourtant, je ne désespère pas et je ne crois pas que la réforme et la France soient antinomiques.
Il faut simplement à ses gouvernements de la stabilité, vous en avez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, une vision, et nous pouvons ensemble partager celle de l'Europe, une volonté et du courage pour passer de l'Etat omniprésent et omnipotent à l'Etat stratège, c'est-à-dire un Etat qui fixe les objectifs, en définit les moyens et mobilise la nation pour les atteindre.
Tel est le sens de la proposition de la commission des finances : un budget alternatif de responsabilité et de confiance, que M. le rapporteur général vous a présenté et que je vous demande à mon tour d'approuver pour marquer toute la confiance que vous portez en la France. Je veux parler non pas d'une France frileuse, abritée derrière des statuts désuets, mais de la France qui ose, de la France qui livre la bataille de la compétitivité, de la France qui gagne, de la France qui sait dominer sa peur de l'avenir pour enclencher une dynamique de développement et de modernisation, de la France qui porte une nouvelle ambition : concilier dans un monde ouvert efficacité économique et harmonie sociale.
C'est cet esprit, mes chers collègues, qui soufflera dans ces lieux tout au long de cette discussion et qui sera la contribution du Sénat au succès de notre pays ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, je dois vous dire le plaisir que Christian Sautter et moi retrouvons à venir devant vous présenter ce projet de loi de finances.
Le Sénat a cette caractéristique supérieure dans toutes les assemblées de la République qu'il ne cherche pas à surprendre ceux qu'il convie à venir écouter ses débats. Comme à l'accoutunée, avec la même qualité que lorsque le président Poncelet présidait aux destinées de la commission des finances, nous avons pu, Christian Sautter et moi-même, constater que les propos tenus se situaient dans la droite ligne des thèses défendues depuis longtemps par votre assemblée.
Vous ne serez pas surpris que je ne les partage pas intégralement et, dans ces conditions, que je sois amené, sur certains points, à y répondre. Auparavant, permettez-moi de faire un petit tour d'horizon de la situation économique, car c'est bien dans un cadre économique donné que se situe un budget, et non pas dans l'abstrait, en dehors de toute référence à ce qui se passe chez nous et autour de nous. Christian Sautter, quant à lui, interviendra ensuite pour entrer plus longuement dans le détail des mesures tant fiscales que budgétaires que nous aurons à discuter ensemble.
Nous vous présentons donc, tous les deux, le deuxième budget du gouvernement que dirige Lionel Jospin.
Il y a un an, l'économie française n'était pas sortie de l'atonie qu'elle connaissait depuis la crise de 1992-1993. Il y a un an, le chômage augmentait. Il y a un an, la France n'était pas qualifiée pour l'euro et il n'était pas absolument certain qu'elle puisse l'être.
Où en sommes nous ? Il reste évidemment beaucoup à faire, et personne ici ne dira le contraire : le chômage continue à être important, beaucoup de salariés ont des situations précaires, notre pays compte beaucoup d'exclus et il n'y a donc aucune raison de chanter victoire d'une quelconque manière !
Pourtant, en regardant aussi largement que possible un certain nombre d'indicateurs économiques, j'ai le sentiment que nous sommes plutôt sur le bon chemin.
L'année dernière, je vous proposais un budget fondé sur une prévision de croissance de 3 % - vous vous rappelez combien cette prévision était décriée ; non seulement nous respecterons cette prévision, mais nous la dépasserons en atteignant 3,1 %.
L'année dernière, à l'occasion de ce budget, j'annonçais 200 000 créations d'emploi dans le secteur privé. Selon l'INSEE, il y en a 300 000. Ce sont - je le précise en direction de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des finances - des emplois marchands, car je ne parle pas, bien entendu, de ceux qui, par ailleurs, sont susceptibles d'être créés par l'action publique, tels que les emplois-jeunes.
Trois cent mille emplois, ce n'est pas tout à fait rien ! C'est deux fois plus que la moyenne annuelle des années soixante, quand la croissance était sensiblement supérieure, trois fois plus que la moyenne annuelle des années soixante-dix et cinq fois plus que la moyenne annuelle des années quatre-vingt.
Trois cent mille emplois sur un an, cela ne suffit évidemment pas. J'en attends autant pour l'année 1999, mais ce sont 300 000 emplois quand même !
Le chômage ne diminue pas dans les mêmes proportions, on le sait bien. La relation est de l'ordre de 50 %, ce qui est classique dans notre pays. On n'est donc pas surpris que le nombre d'inscrits au chômage n'ait diminué que de 175 000. Evidemment, cela nous paraît à tous insuffisant, mais c'est néanmoins un changement.
Quant à la croissance du pouvoir d'achat, il était prévu l'année dernière à la même époque qu'elle serait de 2,3 % en 1998 ; nous constaterons à la fin de l'année que le pouvoir d'achat aura crû de 3 % en 1998.
Le déficit attendu l'année dernière pour 1998 était de 3 % ; nous constaterons avec le collectif que nous présenterons dans quelques jours qu'il est ramené à 2,9 %.
Les prélèvements obligatoires auront en effet diminué de 0,2 point en 1998. Je reviendrai sur les remarques que M. le rapporteur général faisait sur ce sujet tout à l'heure, me contentant pour le moment de constater cette baisse.
Quant à la dépense publique, que nous sommes tous d'accord pour maîtriser en pourcentage du produit intérieur brut, elle diminuera de un point en 1998, comme d'ailleurs en 1999.
Au total, ces résultats, qui, pris séparément, n'ont pas une signification suffisante, montrent pris tous ensemble que l'économie française va dans la bonne direction.
Certains diront que nous avons eu de la chance. Certes, l'environnement international a été plutôt porteur, mais chacun sait aussi ce que Napoléon disait des réformes politiques et de la chance !
Dans ces conditions, si les Français ont de la chance lorsqu'ils élisent un gouvernement de gauche et n'en n'ont pas quand ils élisent un gouvernement conservateur, leur choix doit être fait pour longtemps ! (Rires sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas vrai pour toujours !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah, on ne sait pas ! En tout cas, c'est vrai maintenant !
Ce qui est sûr, c'est que, depuis 1993, la croissance française était au-dessous de la moyenne européenne. Ainsi, lorsque l'on cumule les années de 1993 à 1997, on s'aperçoit que le déficit de croissance français par rapport à la moyenne européenne est de 1,7 point, ce qui aurait représenté 300 000 créations d'emplois supplémentaires si nous avions connu la croissance européenne de 1993 à 1997 ! Ce n'est pas dû à l'environnement international qui est le même pour tous !
Nous avons donc fait moins bien en moyenne que nos partenaires européens de 1993 à 1997. En revanche, en 1998, nous sommes 0,2 point au-dessus de la croissance moyenne européenne et, en 1999, quelles que soient les prévisions qui se révéleront les bonnes, les différents instituts situant la moyenne plus ou moins haut, nous resterons aussi 0,2 ou 0,3 point au-dessus de la moyenne européenne.
C'est encore le cas avec la prévision récente de l'OCDE, qui met la moyenne générale plutôt bas, autour de 2 %, 2,1 % - je crois d'ailleurs que cette Organisation se trompe -, mais qui met celle de la France à 2,4 %.
Là non plus, ce n'est ni la chance ni l'environnement international qui comptent, c'est la politique économique.
Ou bien, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne croyez pas à la politique économique et vous pensez que tout nous vient de l'extérieur sans que nous puissions rien y faire et, dans ces conditions, nous pouvons nous dispenser d'un débat budgétaire ensemble, ou bien vous croyez - et je suis sûr que c'est le cas - que la politique économique a une influence - c'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous faites des propositions - et alors force est de constater que la politique économique que vous avez conduite pendant quatre ans, de 1993 à 1997, nous a mis au-dessous de la moyenne européenne et que celle qui est conduite cette année et - en prévision seulement - pour l'année prochaine nous met au-dessus de la moyenne européenne. En tout cas, pour 1998, ce n'est plus une prévision, c'est une constatation !
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le budget qui vous est présenté a été beaucoup plus longuement travaillé que le précédent, lequel, chacun s'en souvient, avait été fait dans des conditions de rapidité liées aux aléas politiques.
Cette année, nous avons tenu, M. Christian Sautter et moi-même, à ce que la préparation du débat budgétaire commence très tôt. Cela a été le cas notamment en matière fiscale au sujet de laquelle des rapports ont été demandés à de nombreux parlementaires. C'est vrai aussi de la discussion que nous avons eue sur les orientations budgétaires. C'est vrai encore, et je pense que vous en conviendrez, car beaucoup d'entre vous, individuellement, me l'ont confirmé, du rapport économique et financier pour lequel un effort a été fait afin qu'il soit beaucoup plus nourri et beaucoup plus riche que par le passé, pour qu'il comprenne plus d'analyses et permette donc un débat plus large.
Une des discussions autour de laquelle tourne ce débat budgétaire est évidemment la prévision du taux de croissance.
M. le rapporteur général a eu l'amabilité de dire qu'il ne la remettait pas en cause ; je l'en remercie. Ce n'est pas le cas de l'opposition à l'Assemblée nationale. Mais, je ne jouerai pas, comme vous le faisiez tout à l'heure, au petit jeu de la comparaison des discours au sein de l'opposition nationale en rappelant les paroles éclairées de M. le président de l'Assemblée nationale ou de M. Jack Lang. Je conçois qu'il puisse y avoir une différence entre la sagesse de la majorité sénatoriale et les errements de l'opposition à l'Assemblée nationale.
M. Dominique Braye. C'est pour ça qu'il faut garder le Sénat !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et tel qu'il est !
M. le président. Ces un beau compliment que vous faites làau Sénat, monsieur le ministre, je vous en remercie. Il faudra le dire au Gouvernement pour qu'il soutienne l'institution ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne suis jamais avare de compliments à l'égard du Sénat, ce qui me permet ensuite de dire avec d'autant plus de franchise, et vous ne m'en voulez jamais, ce que je pense des propositions que vous faites ! (Sourires.)
Toujours est-il que vous ne remettez pas en cause la projection de croissance.
Vous dites aussi, monsieur le rapporteur général, que tout repose assez largement sur la confiance. Je suis d'accord avec vous : en matière économique, la confiance fait beaucoup. C'est sans doute parce que le Gouvernement a su, dans la seconde moitié de 1997, rétablir une certaine confiance que nous avons eu, en 1998, la croissance que nous constatons.
Je constate aussi que les indicateurs de la confiance, pour peu fiables qu'ils soient, sont aujourd'hui à des niveaux supérieurs à ce qu'ils étaient voilà un an. C'est vrai, par exemple, pour les indicateurs de confiance des ménages, et cela se traduit dans la consommation.
Donc, si vous pensez vraiment - et c'est aussi mon avis - que la façon dont la confiance s'exprime de la part tant des consommateurs que des entreprises est l'un des facteurs déterminants de la croissance, vous devez alors être relativement rassurés quant à la croissance pour 1999 ; c'est sans doute la raison pour laquelle vous ne remettez pas en cause cette prévision.
Il est vrai qu'au cours de 1998 l'horizon international s'est un peu assombri. Il est vrai aussi que, depuis un mois et demi, chacun a le sentiment que nous sommes plutôt en train de sortir de la période la plus aiguë de la crise - je le dis avec précaution car, en la matière, chacun le sait ici, il peut y avoir des retournements rapides. Enfin, nous avons tous l'impression, en France comme à l'étranger, que la période la plus difficile est derrière nous. Aussi, la prévision de croissance de 2,7 % me semble toujours valable. Elle n'est pas si ancienne, contrairement à ce que certains ont dit parfois ; elle a été établie fin août, comme le veut la tradition. De toute façon, pour que le projet de loi de finances soit déposé sur le bureau du conseil des ministres début septembre, il ne pouvait en être autrement !
Cette prévision de croissance ne me semble pas non plus tenir compte de l'environnement international.
Vous savez que la prévision avait été établie au mois d'avril dernier à 2,8. Puis, elle est passée à 2,4 en raison d'une aggravation de la récession internationale - dans le scénario d'avril, elle n'était pourtant pas considérée comme très bonne, mais enfin, elle s'est aggravée. Elle a finalement remonté à 2,7 en raison d'une appréciation plus positive de la demande intérieure. C'est donc un double mouvement qui l'a conduite de 2,8 à 2,7. Finalement, je ne la crois pas trop optimiste.
Ce qui me frappe, c'est que, au dire des instituts de sondage, le plancher de notre croissance s'est beaucoup relevé depuis deux mois. Auparavant, certains - à tort ou à raison, mais il ne s'agit que de prévisions - envisageaient pour 1999 une croissance de 1,5, parfois 2 ; ceux d'entre vous qui suivent ces questions avec précision s'en souviennent.
Aujourd'hui, toutes les prévisions sont remontées beaucoup plus haut. Certes, ce « beaucoup plus haut » est généralement plus faible que ce que prévoit le Gouvernement, mais même l'OCDE, qui présentait la prévision la plus basse, 2,4, ne cite plus le chiffre de 2 ni, a fortiori, celui de 1,5.
Je vois donc, dans cette amélioration de la situation, une diminution de l'incertitude qui fait que, si l'on n'a pas le fétichisme de la décimale - et, en matière de prévisions, qui peut l'avoir, surtout quand la période est un peu troublée, comme c'est le cas cette année ? - on peut être sûr que la croissance sera forte l'année prochaine.
Une deuxième chose est sûre : la France fera la course en tête car, quels que soient les instituts de prévision, aucun ne met en doute que la France aura la croissance la plus élevée des grands pays d'Europe. Certes, certains pays comme l'Irlande auront une forte croissance, mais leur situation est un peu particulière. En tout cas, parmi les trois pays - la France, l'Allemagne et l'Italie - qui, à eux trois, représentent 75 % du PIB de la zone euro, il est clair que la France sera sensiblement en tête.
Je maintiens donc cette prévision de croissance de 2,7 %, d'autant que le Gouvernement n'est pas un institut de conjoncture - cette idée figurait dans les propos de votre rapporteur - et que, dès lors, la prévision qu'il formule est au moins autant une cible à atteindre. Le Gouvernement n'est pas spectateur de ce qui se passe en matière de croissance, il est un acteur et il s'assigne une politique dont il pense raisonnablement qu'elle peut lui permettre d'atteindre cette croissance de 2,7 %.
Il ne s'agit donc pas simplement d'une prévision ; il s'agit aussi d'un objectif de politique économique auquel doit correspondre une stratégie, stratégie que je vais développer brièvement.
Je ferai tout d'abord remarquer que ce qui s'est passé en 1998 me semble plutôt valider les choix politiques du Gouvernement.
Parmi ceux-ci, je citerai tout d'abord le choix européen, largement suivi par la Haute Assemblée. On en a traité maintes et maintes fois depuis plusieurs mois, et je ne ferai pas perdre de temps sur cette question. Notons cependant que la perspective de l'euro a créé une zone de stabilité dont on peut penser qu'elle n'aurait pas existée sans elle. Si l'on considère la crise de 1994 - la crise mexicaine - ou la crise de 1992 dont certains disent qu'elle était plutôt de moindre ampleur que celle que nous avons vécue, on constate que les fluctuations sur les parités, comme la hausse très importante des taux d'intérêt que ces fluctuations avaient engendrées sont sans commune mesure avec la totale stabilité des parités qui a prévalu dans la zone euro pendant la dernière crise et le niveau très bas des taux d'intérêt que nous pratiquons, puisque nous avons les taux d'intérêt les plus bas du monde, mis à part le Japon, qui est un cas un peu particulier.
Quoi que l'on pense de l'opportunité de la mise en place de l'euro - je ne reviendrai pas sur ce débat - force est de constater que la stabilité a été mise à l'épreuve d'une crise très dure - on se serait passé de cette épreuve, mais puisque la crise a eu lieu, tirons-en au moins les leçons - et que nous avons tous bénéficié, consommateurs pour emprunter ou consommer, entreprises pour emprunter ou investir, de cette stabilité et donc du bas niveau des taux d'intérêt.
Je suis frappé de constater qu'au moment où nous avons vu le yen fluctuer de quelque 15 % en vingt-quatre heures, passant de 132 à 115 yens pour 1 dollar, alors que quelques jours plus tard le gouvernement italien tombait, la lire n'a pas varié de 1 . Voilà une autre manière d'illustrer la stabilité monétaire dans laquelle nous sommes entrés !
Le deuxième choix opéré par le Gouvernement, qui est beaucoup moins partagé, a été de miser sur la demande interne.
Cette orientation avait été affirmée lors de la campagne électorale. Tel a été l'objet de la politique systématiquement mise en oeuvre, et je crois que nous avons eu raison. Si notre croissance a été peu touchée - je ne dis pas qu'elle ne l'a pas été - par un environnement international dégradé, c'est justement parce que nous avons fait en sorte, et nous continuerons en ce sens, qu'elle repose fondamentalement, voire exclusivement, sur la demande interne, consommation et investissement, et non sur les exportations. Malgré l'effet négatif sur la croissance qu'auront ces dernières en 1999, j'espère que notre taux de croissance sera de 2,7 % parce que la demande interne est très vigoureuse.
Notre croissance en matière de consommation est en effet de l'ordre de 4 %. Qu'en est-il, me direz-vous, de l'investissement ? Il progresse moins vite, moins sûrement que la consommation car il existe toujours un décalage, et il est clair que la crise financière que nous avons traversée a ralenti les anticipations d'investissements de la part des entreprises. Je pense toutefois que ceux-ci vont reprendre leur rythme normal dans la mesure où ils reposent essentiellement sur la demande, c'est-à-dire la consommation. La consommation ayant repris - après que la crise financière eut quelque peu retardé le processus - l'investissement repartira.
Il reste que ce choix de fonder la croissance, non par principe mais parce qu'il correspondait, selon notre analyse, à la situation de la France aujourd'hui, sur la demande interne est non pas l'inverse - le mot est un peu excessif - mais assez différent du choix effectué par le gouvernement précédent. En tout cas, il a été validé par les résultats de 1998.
Il faut dès lors mener une politique économique qui nous permette d'avoir la plus forte croissance l'année prochaine. En effet, au-delà de tous les débats comptables sur la diminution ou non du déficit ou bien sur la diminution ou non des prélèvements obligatoires, ce qui importe, nous pouvons tous en être d'accord, c'est la croissance créatrice d'emplois.
Les Français sont avant tout concernés par la baisse du chômage. Certes, ils s'intéressent à d'autres sujets, comme le volume de la dépense publique, celui de la dette publique, les déficits ou les impôts - ce sujet les intéresse encore peut-être davantage d'ailleurs - mais leur moral est avant tout conditionné, nous le savons tous, par les résultats en matière de chômage.
C'est parce que le chômage a tendance à baisser que la confiance des ménages augmente.
Que faire pour atteindre le niveau de croissance le plus élevé possible ? L'histoire récente ne sert pas toujours de modèle. En économie plus qu'ailleurs, on ne peut pas transposer les périodes. Mais on aurait tort de ne pas en tirer quelques leçons.
Tout à l'heure, monsieur le rapporteur général, vous indiquiez par anticipation que vous partagiez la conclusion à laquelle je vais arriver, d'ailleurs rapidement.
Lorsque l'on regarde la politique menée aux Etats-Unis au début des années quatre-vingt par le couple exécutif-banque fédérale, c'est-à-dire MM. Reagan et Volcker, on voit une politique budgétaire qui laisse filer le déficit et, en réaction, une politique monétaire très dure. Dans les années qui suivirent, on a pu constater un écroulement de la croissance américaine.
Lorsque l'on regarde la politique menée par le gouvernement allemand lors de l'unification, on constate que pour des raisons que je n'ai pas à juger, elle a tendu à financer les dépenses de cette unification sans augmenter les impôts, donc par une augmentation du déficit. En réaction, la Bundesbank durcit les taux d'intérêts. Il s'ensuivit un écroulement de la croissance européenne dans la période 1993-1997.
Regardons aussi, je le dis sans polémique, la politique suivie par le gouvernement de M. Balladur. Celui-ci s'était donné l'objectif, que je partage, d'assurer la stabilité de la parité franc - mark en vue de l'euro. Mais, à cette fin, la mécanique a été la même : il fallait des taux d'intérêts élevés, lesquels ont été compensés par une politique budgétaire qui a entraîné des déficits importants. En matière de croissance, cela n'a pas donné de résultats réjouissants.
Voilà donc trois exemples dans lesquels la combinaison entre une politique monétaire dure et une politique budgétaire laxiste a donné de mauvais résultats.
A l'inverse, nous avons sous les yeux les résultats d'une politique symétrique : celle des Etats-Unis, qui ont mené une politique monétaire d'accompagnement et une politique budgétaire de réduction du déficit. Or, après sept ans de croissance, ils bénéficient d'excédents budgétaires, ce qui n'était pas arrivé depuis un certain temps. Il n'y a pas si longtemps que les uns et les autres tempêtions, pour des raisons de circulation de l'épargne mondiale, contre le déficit budgétaire américain. Il s'agit donc d'un changement notable.
C'est cette combinaison que nous devons mettre en oeuvre en Europe, d'autant qu'elle correspond parfaitement aux conditions que nous connaissons aujourd'hui, à savoir : un niveau d'inflation extrêmement faible rendant inutile une politique monétaire trop dure, en France comme en Europe ; des finances publiques qu'il faut continuer d'assainir...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Plus vite !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le rapporteur général, si cette remarque s'adresse à mon discours, je vais vous satisfaire.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, pas du tout.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si elle a trait à la diminution du déficit, il faudra vous contenter de ce que le Gouvernement a prévu.
De toute façon, une politique à taux d'intérêt élevés et une politique d'augmentation du déficit conduiraient à faire monter l'euro par rapport au dollar, ce qui, à l'évidence, n'est pas l'intérêt de nos économies européennes.
Toutes ces raisons concourent donc à cette politique, et il me semble que c'est bien celle que la coordination des politiques économiques que la France a obtenue au sein de la zone euro et qui commence doucement à se mettre en oeuvre devrait permettre de mener.
Je vous rappelle, pour terminer sur ce point, que nous avons des taux d'intérêt faibles, même si l'on peut penser que ce serait mieux s'ils étaient encore plus faibles - plus faibles que ceux des Anglais, que ceux des pays qui restent en dehors de l'euro, plus faibles que ceux des Etats-Unis. Il est tout de même frappant que l'Italie, qui n'est pas réputée pour être un pays de stabilité financière historique, emprunte aujourd'hui moins cher que le Royaume-Uni, qui, à l'inverse, est paré de toutes les vertus en qualité de place financière.
Nous avons donc des taux faibles, qui continuent à baisser en moyenne sur la zone de l'euro, puisque la convergence se fait vers les taux franco-allemands et non pas vers la moyenne. Nous avons vu les baisses italiennes, espagnoles, portugaises, irlandaises, et cela a conduit à une baisse moyenne sur la zone euro, ce qui fera au total une réduction de plus de cinquante points de base. Par ailleurs, ne désespérons pas que les taux des pays du coeur de l'Europe soient amenés à évoluer un jour.
C'est bien dans cette stratégie que nous nous engageons. Mais changer de stratégie ne veut pas dire obligatoirement basculer complètement, en oubliant le caractère mesuré et raisonné qui doit s'attacher aux évolutions.
J'en viens à ce qui fait le coeur de notre débat d'aujourd'hui : la stratégie budgétaire.
Messieurs les sénateurs, j'ai bien entendu les critiques que vous avez formulées. Certaines m'ont fait sourire. Peut-être sourirez-vous de la même manière aux critiques que je ferai à vos propres critiques... En tout cas, lorsque vous évoquez le fait que le déficit structurel a particulièrement baissé au cours de la législature précédente, vous renvoyez à des chiffres qui ne sont pas faux, mais que vous ne souhaitez sûrement pas voir revenir.
Car, si le déficit structurel a baissé, c'est parce qu'il y a eu deux points de pression fiscale de plus. Est-ce cela que vous recommandez ? Certainement pas ! Vous recommandez le contraire ! Donc, ce qu'il faut, c'est faire baisser le déficit structurel, certes, le plus possible, certes, mais pas par la méthode qui consiste à augmenter l'impôt !
Pour ma part, je préfère un déficit structurel qui baisse en 1998 et en 1999, avec des impôts qui n'augmentent pas, voire qui baissent. Bien sûr, vous pouvez dire qu'ils ne diminuent pas assez ; c'est un débat. Mais vous ne pouvez pas renvoyer à ce qui s'est passé voilà quelques années où, pour faire baisser le déficit structurel, on a augmenté de deux points le taux de la TVA, ce qui, tout le monde le reconnaît maintenant, a alors cassé la croissance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est parce que la croissance avait baissé qu'il a fallu augmenter la TVA !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais le taux de croissance résulte largement de la politique économique !
M. Josselin de Rohan. Et en 1993 ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais il n'y avait pas eu de hausse d'impôt avant 1993 !
M. Josselin de Rohan. Elle s'est produite après !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quelle que soit la façon dont vous prenez le problème, vous n'aboutissez pas : si c'est la faute de la hausse d'impôt, c'est bien celle de 1995 qui est en cause ; si c'est la faute de la politique économique, on n'a aucune raison de vouloir reproduire aujourd'hui une politique économique qui a conduit à des taux de croissance aussi faibles.
J'admets parfaitement que l'on me dise : « La réduction du déficit structurel que vous opérez est insuffisante. » Il est légitime d'en débattre. Mais on ne peut pas dire : « Voyez comme on l'a bien fait voilà quelques années » puisque, justement, cela a été fait selon la pire méthode, celle qui a cassé la croissance.
Par ailleurs, s'agissant de la dette, j'ai entendu avec beaucoup de plaisir M. Marini et M. Lambert manifester leur souci pour les générations futures. Je croyais en effet entendre mon discours de l'année dernière à cette même tribune, à la même époque. Je me réjouis de voir que, même si c'est avec un certain retard à l'allumage, le Sénat reprend avec sérénité les thèses que le Gouvernement énonce. Peu-être, l'année prochaine, sur d'autres sujets, nous suivrez-vous aussi ? (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Tirez-en des conséquences !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je dis cela parce que je n'ai pas trouvé trace, dans les précédents débats budgétaires au Sénat, d'un souci aussi grand du ratio dette publique/PIB.
M. François Trucy. Ah si !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'entends : « Ah si ! » sur ma droite. Je ne sais pas à qui l'attribuer.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. On va le retrouver ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si cela a été dit, ma remarque vaut encore pour le fait que celui qui l'a dit n'a pas été écouté. En effet, si le ratio dette publique/PIB diminue en l'an 2000, comme je l'annonce depuis un an, ce sera la première fois depuis vingt-cinq ans.
M. Josselin de Rohan. Cela a commencé en 1994 !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout cas, si ce souci s'est effectivement manifesté plus tôt au Sénat, j'en serai très heureux. Ce serait une raison de plus de féliciter le Gouvernement de réussir à y répondre, plutôt que de regretter brusquement que cela n'ait pas eu lieu un an plus tôt, alors que, pendant des années et des années, le Sénat a voté des budgets qui continuaient à accroître allègrement le ratio dette publique/PIB, qui va maintenant baisser.
M. Michel Caldaguès. De quelles années parlez-vous ? C'est vous qui avez géré la plupart du temps !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je parle de ces années d'enfer, qui sont heureusement de plus en plus loin derrière nous ! Chaque année qui passe nous éloigne des années tristes : 1994-1997 ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan. Et 1993, ça ne vous dit rien ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous croyez sans doute que nous avons oublié les périodes antérieures ! Sûrement pas ! Mais tous les documents montrent que la croissance de la dette publique a été particulièrement forte à partir de 1994.
M. Josselin de Rohan. Lire, c'est dangereux pour vous !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quoi qu'il en soit, je suis ravi de voir que le Sénat reprend la position que le Gouvernement affichait dès l'année dernière. L'année dernière, c'était évidemment plus risqué puisque c'était une prévision sur deux ans ; maintenant, c'est une prévision sur un an. Je le confirme, à partir de l'an 2000, le ratio dette publique/PIB baissera dans notre pays, et ce sera la première fois depuis vingt-cinq ans.
Cela nous a conduit à définir pour 1999 un déficit de 2,3 % du PIB. On peut discuter pendant des heures sur le point de savoir s'il ne fallait pas le fixer à 2,4 % ou à 2,2 %. Il n'existe pas de trébuchet pour déterminer, à la décimale près, le bon déficit. Puisqu'il faut bien s'arrêter à un chiffre, nous avons retenu celui-là.
Il représente, vous l'avez dit, 50 milliards de francs de baisse par rapport au déficit de l'année précédente et le retour, pour la première fois depuis 1991, à l'équilibre primaire que notre pays avait donc quitté depuis sept ans, c'est-à-dire l'équilibre hors service de la dette ; c'est évidemment la première étape d'une gestion saine des finances publiques.
Fallait-il faire plus ? On peut toujours en débattre.
J'ai dit, voilà quelques semaines, devant l'Assemblée nationale, que notre effort en matière de réduction du déficit était l'un des plus importants de la zone euro. Et puis j'ai découvert, en lisant l'excellent rapport de M. Marini, un tableau montrant que c'était en fait « le » plus grand effort de la zone euro en la matière. J'y ai vu comme un satisfecit accordé par votre rapporteur général au Gouvernement.
Evidemment, on peut toujours considérer qu'il faudrait aller encore plus loin.
Moi, je relève surtout que c'est le plus grand effort de la zone euro, même si certains pays nous suivent de près.
Sans doute me direz-vous que c'est parce que, dans les autres pays, le déficit est moins important.
M. Josselin de Rohan. Par exemple !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais cela tient probablement au fait que, dans ces pays, la gauche est au pouvoir depuis plus longtemps... (Rires et exclamations.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ça, c'est risqué ! M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est une vision un peu trop manichéenne !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'au rythme que nous suivons, nous sommes en train de rejoindre un peloton que nous avions lâché par la grâce de gouvernements de diverses couleurs.
Constatons simplement ensemble que l'effort accompli cette année par la France en matière de réduction du déficit est le plus élevé de tous les pays de la zone.
Je reviens maintenant sur les prélèvements obligatoires. Ils sont en diminution de 0,2 point en 1998 et nous prévoyons une nouvelle baisse de 0,2 point en 1999. En 1999, nous verrons si cela se vérifie, mais la baisse de 1998 est en train de se réaliser sous nos yeux.
M. le rapporteur général dit : « Oui, mais c'est parce que vous avez augmenté artificiellement les prélèvements de 1997 avec la MUFF, la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier. Maintenant, vous faites apparaîtres une baisse en 1998, mais cette baisse est factice. »
Quand bien même vous auriez raison, la baisse est constatée, elle est réelle ; ce n'est pas un maquillage des chiffres. Si vous aviez raison, nous n'aurions évidemment guère de mérite. Mais, sans esprit de polémique, je ne crois pas que vous ayez raison, et je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'année 1997.
Que s'est-il passé cette année-là ? Nous avons fini l'exercice que vous aviez commencé - vous, c'est-à-dire la majorité sénatoriale ou le gouvernement qu'elle soutenait - avec le même niveau de dépenses, celui que vous aviez voté. Le gouvernement de Lionel Jospin s'est même offert - petite facétie - le luxe de finir l'année avec des dépenses inférieures de un milliard de francs au niveau que vous aviez voté.
Par ailleurs, le déficit de 3 %, compte tenu de la soulte de France Télécom - mais cela n'est pas en cause - était également celui que vous aviez voté. Le niveau de recettes était donc aussi celui que vous aviez voté. Dès lors, les prélèvements obligatoires de 1997 n'ont en rien été accrus par la nouvelle majorité.
Vous m'objecterez que nous avons augmenté l'impôt sur les sociétés. Certes, mais nous l'avons fait pour financer la baisse de l'impôt sur le revenu que le gouvernement de M. Juppé a mise en oeuvre mais qui n'était pas financée. Et c'est bien le problème ! Si elle avait été financée, nous aurions fini l'année avec cette baisse que nous avons réalisée et dans le cadre que vous aviez prévu : dépenses que vous aviez prévues, déficit que vous aviez prévu et donc recettes que vous aviez prévues.
Cette baisse de l'impôt sur le revenu était d'ailleurs tellement peu financée que, dit-on, cela n'a pas été sans rapport avec la décision de M. le Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale. Vous me direz que ce qui se passe à l'Assemblée nationale est de peu d'importance ici. Soit ! (Sourires.)
En tout cas, je ne peux pas admettre la remarque selon laquelle le niveau des prélèvements obligatoires de 1997 serait imputable au nouveau gouvernement. Soyons honnêtes et logiques ! Quand on réalise les mêmes dépenses que celles que vous avez votées et le même déficit que celui que vous avez voté, c'est bien que l'on a les mêmes recettes que celles que vous aviez votées ! Cependant, ces recettes n'étaient pas au rendez-vous puisque la baisse de l'impôt sur le revenu n'était pas financée. Il a donc fallu reconstituer lesdites recettes en augmentant l'impôt sur les sociétés. Mais, au total, le prélèvement fiscal de 1997 n'est pas différent en masse, même s'il l'est en structure, de celui que vous aviez voté.
Le taux des prélèvements obligatoires de 1997, pardonnez-moi de le dire ainsi, c'est le vôtre. Eh bien, de 1997 à 1998, on constate une baisse de 0,2 point de ce taux. Certes, 0,2 point, ce n'est pas beaucoup, je le reconnais, mais c'est mieux que la hausse de 0,5 point que nous avons connue pendant chacune des quatre années précédentes. Et, l'année prochaine, nous opérerons une nouvelle baisse de 0,2 point.
Bien sûr, il faudrait faire mieux !
Mais reconnaissez tout de même avec moi qu'une majorité ayant soutenu un gouvernement qui, pendant quatre années consécutives, a fait 0,5 point de PIB de prélèvements obligatoires de plus n'est pas forcément la mieux placée pour reprocher à un gouvernement qui, pour la deuxième année consécutive, prévoit 0,2 point de prélèvements obligatoires de moins, de ne pas faire assez.
Cela ne m'empêche pas d'écouter vos conseils avec attention. Nous ferons tout pour que la croissance soit assez forte pour nous permettre d'aller plus vite encore dans cette baisse des prélèvements obligatoires. Si nous continuons à un rythme plus rapide, nous pourrons, avant la fin de la législature, retrouver le niveau de prélèvements obligatoires que la France connaissait avant que la majorité précédente n'accède au pouvoir. (Sourires.)
Pour ce qui est de la dépense publique, nous avons décidé de l'augmenter de 1 % en 1999. C'est un choix politique. Comme tout choix politique, il est évidemment critiquable.
Je rappelle que, pendant la campagne électorale, nous avons défendu certaines propositions en matière de politique économique et sociale. Nous les avons mises en oeuvre en 1998. Nous considérons - mais je sais que ce n'est pas votre cas - qu'elles contribuent à la croissance, notamment par la confiance qu'elles rétablissent.
Nous avons donc pensé que les mesures qui concrétisent ces propositions devaient être financées, non plus seulement pour une demi-année, comme en 1998, mais pour une année pleine. C'est vrai des emplois-jeunes, comme c'est vrai de la réduction du temps de travail, toutes mesures dont vous contestez le bien-fondé. Mais c'est le centre de notre politique. Nous n'avons aucune raison de penser, au vu de l'année 1998, qu'elle donne de mauvais résultats. Il est donc bien légitime que nous la financions.
Nous avons, en conséquence, évalué la progression des dépenses à 1 %, et cela après un examen attentif.
Je signale que, malgré cette croissance de 1 % de la dépense publique, que vous critiquez si fort, monsieur le rapporteur général, le ratio dépense publique/PIB continue de baisser puisque le PIB va augmenter de 2,7 % et la dépense publique de 1 %. Vous pourriez réclamer une baisse plus rapide, mais n'ayez pas à l'esprit que le ratio dépense publique/PIB augmente.
A vrai dire, il s'agit d'une tendance historique observée dans notre pays depuis maintenant une quinzaine d'années, avec seulement une interruption, au cours d'une période que j'ai déjà évoquée tout à l'heure : les années 1994-1997. En effet, au cours des quinze dernières années, la seule période où le ratio de la dépense publique de l'Etat rapportée au PIB a recommencé à augmenter, c'est celle des années 1994-1997.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tout à l'heure, vous parliez en valeur ; maintenant, vous parlez de ratio, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je parle en effet du ratio de la dépense publique rapportée au PIB, qui est bien l'indicateur pertinent pour savoir quelle part puise effectivement l'Etat dans la richesse nationale.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. S'agissant des prélèvements de 1997, vous parliez en valeur.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, j'ai parlé du taux des prélèvements obligatoires sur le PIB de 1997, et j'ai affirmé qu'il vous était imputable.
Pour ce qui est de la dépense publique, on peut souhaiter - mais ce n'est pas mon opinion - qu'elle baisse plus vite par rapport au PIB. En tout cas, ce ratio baisse, et le seul moment où il n'a pas baissé, c'est pendant les années 1994-1997.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'était pas une période de croissance !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Que ce soit ou non une période de croissance, cela n'y change rien ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela change tout au rapport !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, car, chacun le sait bien, en période de croissance, nombre de dépenses augmentent : la rémunération des fonctionnaires, par exemple, parce que ceux-ci souhaitent légitimement bénéficier de la croissance, ou encore les dotations aux collectivités locales, notamment, et pour les mêmes raisons.
Si les dépenses de l'Etat n'avaient pas augmenté au cours de la période considérée, le ratio n'aurait pas augmenté non plus puisque, comme vous le dites, la croissance était faible. Si elle avait été nulle, le dénominateur n'aurait pas changé. Pour que le ratio augmente, il a nécessairement fallu que le numérateur augmente. C'est donc bien que vous avez laissé les dépenses croître trop vite. Mais n'y revenons pas, c'est le passé !
Je souhaite répondre en quelques mots à ce que vous avez dit à propos de l'Allemagne.
Vous avez cité l'Allemagne en exemple. Je ne peux que m'en réjouir, eu égard à tout ce qui peut rapprocher l'actuel gouvernement allemand et l'actuel gouvernement français. Je m'en réjouis d'autant plus que vous avez salué la baisse des impôts en Allemagne. Or, lorsque j'examine ce que le gouvernement allemand a annoncé dans ce domaine, je ne vois rien qui soit très différent de ce que nous faisons.
Il a, en effet, annoncé une baisse d'impôts de 10 milliards de marks, soit 33 milliards de francs, sur cinq ans. Or, 33 milliards de francs en cinq ans, cela fait 6 ou 7 milliards de francs par an, tandis que, cette année, la France connaît, non pas 7 milliards de francs de baisse, mais 16 milliards de francs. Donc, si vous trouvez particulièrement bien ce qu'annoncent les Allemands, combien laudateurs seront alors vos commentaires sur la politique du Gouvernement, car nous ne pouvons pas faire deux fois mieux sans que vous ayez la logique d'applaudir deux fois plus !
Je ne sais pas ce que feront effectivement les Allemands - pour le moment, il ne s'agit que d'annonces - mais, au vu de ces annonces, honnêtement, les Allemands font moins que nous !
M. Marc Massion. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est intéressant !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je terminerai sur le contre-budget que vous avez voulu présenter. Il serait peu courtois de ma part de ne pas le commenter suffisamment et par une sorte de benign neglect, pour reprendre une expression britannique, de le laisser de côté. Vous avez fait l'effort d'entreprendre un travail de ce type et il me semble donc naturel que le Gouvernement, sans en surestimer l'importance, en fasse néanmoins le commentaire.
Tout d'abord, au titre de l'équilibre général, mon sentiment est que le projet de loi de finances, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale, est équilibré. Evidemment, c'est un sentiment subjectif et politique !
Il est équilibré, puisque les excédents de recettes liés à la croissance sont partagés en trois parts à peu près égales : 16 milliards de francs de baisse d'impôt ; 21 milliards de francs de réduction des déficits et 16 milliards d'augmentation des dépenses, soit un peu pour les dépenses, pour financer les priorités - moins que la croissance, donc le ratio baisse -, beaucoup pour la baisse du déficit et pas mal tout de même pour la baisse des impôts.
On aurait pu préférer une autre répartition, mais c'est celle que nous avons choisie. Vous en proposez une autre et, sans remettre en cause la prévision de croissance, vous choisissez d'obtenir 26 milliards de francs de baisse des dépenses par rapport au budget que nous présentons. Honnêtement, je trouve que vous diabolisez de façon un peu ridicule la dépense publique !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous, vous la réhabilitez !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis plus pragmatique : je réfléchis aux moyens de la rendre le plus utile possible. J'admets volontiers que nous sommes dans des économies où le ratio de la dépense publique doit plutôt baisser, et il baisse. De là à diaboliser la dépense publique, comme si toute dépense publique était par nature mauvaise, à tel point qu'un bon budget serait un budget mort, honnêtement, je ne peux pas vous suivre !
En effet, on ne peut pas considérer l'importance de la dépense publique et son intérêt pour la nation sans considérer les services qu'elle rend et son efficacité.
Si la dépense publique était totalement inefficace, alors quand bien même elle ne serait que de la moitié de celle que nous avons, elle serait encore trop importante. A l'inverse, si la dépense publique rend des services à la nation, du point de vue économique comme dans d'autres domaines, alors elle a sa justification. Ensuite, c'est un choix politique de préférer une école publique ou une école privée, une santé publique ou une santé privée. (M. le président de la commission des finances proteste.)
Je ne dis pas que c'est votre cas, je dis que ce sont des choix de nature politique, qui se justifient à condition qu'ils soient efficaces.
Précisément, sur le plan économique, qui nous intéresse ici au premier chef, la dépense publique en France est-elle efficace ?
En matière de réseaux, de routes, de télécommunications, ...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Avec les routes, nous n'avons pas d'ennuis : il ne s'en construit plus dans notre pays !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On en fait de moins en moins !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... en matière de services rendus aux entreprises, est-elle efficace ou non ?
Il est difficile d'avoir un thermomètre pour le mesurer, mais je vous en propose quand même un que, à mon avis, vous ne sauriez récuser : les entreprises étrangères ont-elles envie ou non de venir investir en France, et, surtout, de façon comparée, ont-elles envie ou non d'investir en France plus qu'en Allemagne, en Espagne ou au Royaume-Uni ?
Eh bien ! mais vous le savez, nous sommes le deuxième pays après, justement, le Royaume-Uni, pour l'accueil d'investissements étrangers en Europe, devant l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche et le Danemark. Ces investisseurs viennent en France parce qu'ils trouvent que l'opération est bonne, parce qu'ils veulent des investissements rentables.
Quand on les interroge sur les raisons pour lesquelles ils viennent, ils répondent, c'est vrai, que, pour ce qui est des impôts au sens large, la situation n'est pas terrible ...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous avons des routes, des télécommunications, des services !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et qu'ils vont en payer un peu plus qu'ailleurs mais, comme le disait Mme Beaudeau à l'instant, ils font valoir, à l'inverse, que les services publics qui leur sont offerts sont meilleurs, que les télécommunications sont meilleures, que les personnels sont mieux formés. Sinon, ils ne viendraient pas ! Vous le savez tous, vous les rencontrez comme moi.
On peut donc préférer un haut niveau des dépenses publiques et un haut niveau de services, à un bas niveau de dépenses publiques et un bas niveau de services...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas le sujet !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... mais, pour être honnête, il faut comparer le niveau des dépenses au niveau des services.
On ne saurait en aucun cas dire que, par nature, la dépense publique doit à tout prix être diminuée.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il ne faut pas le dire !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Un haut niveau de dépenses d'investissement, c'est ce que nous voulons !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Lambert, « un haut niveau de dépenses d'investissement », dites-vous ! Mais les dépenses qui font fonctionner les hôpitaux dans notre pays ce sont, pour beaucoup, évidemment, des dépenses de fonctionnement. Et les Français souhaitent avoir de bons hôpitaux. Allez leur dire que vous voulez moins d'infirmières !
Je sais que ce type de réponse est facile, mais c'est tout de même une réalité. Il n'y a pas que l'investissement dans la vie ou plutôt il faut le prendre au sens large : l'éducation et la santé, ce sont aussi des investissements humains.
Donc, n'ayons pas une vision strictement comptable ou patrimoniale de ce qu'est l'investissement. Toute la théorie économique de ces vingt-cinq dernières années tend à montrer que l'éducation, au moins - vous en conviendrez avec moi - est aussi, pour une collectivté, une forme d'investissement. Or la dépense d'éducation, c'est largement de la dépense de fonctionnement, au sens de nos catégories comptables.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Est-elle pour autant efficace ? Ecoutez les lycéens !
M. Marc Massion. Laissez parler le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Est-elle pour autant efficace ? Oui. Notre système de formation est globalement efficace. J'en prends pour juges - le critère vaut ce qu'il vaut - les investisseurs étrangers. Ceux qui nous regardent de l'extérieur ont tendance à considérer que le personnel est, en effet, mieux formé en France que dans beaucoup d'autres pays.
On peut rendre plus efficace encore la dépense publique. Le jour où, à cette tribune, monsieur le rapporteur général, vous commencerez votre rapport en disant : « Il faut baisser la dépense publique, mais voilà ce que je propose, à dépense publique donnée, pour la rendre plus efficace », notre dialogue sera encore plus constructif.
M. Josselin de Rohan. Eh bien, faites-le !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. A en juger par l'évolution des préoccupations vis-à-vis des générations futures, c'est pour l'année prochaine ! (Sourires.) J'attends donc l'année prochaine, de votre part, si vous le voulez bien, des propositions dans ce sens !
En tout cas, 26 milliards de francs de baisse de la dépense, cela fait - au contraire du 1 % d'augmentation en volume que nous proposons - 0,7 % de baisse en volume, ce qui ne s'est tout simplement jamais vu. Je ne dirai pas qu'il faille le faire pour autant, car on a quand même quelques soupçons quand, dans l'opposition, on vous propose une solution qui n'a jamais été tentée par le passé. Cela ne veut pas dire qu'elle est impossible, mais on comprend qu'elle est peut-être plus facile à mettre en oeuvre sur le papier que dans la réalité.
En tout cas, vous n'avez jamais proposé, et encore moins mis en oeuvre une baisse des dépenses publiques de cette ampleur. D'ailleurs, heureusement, car cela aurait eu des conséquences graves !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas une baisse !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais si !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Eh oui ! 27 milliards de francs, c'est une diminution de 0,7 % en termes réels !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais il reste 11 milliards de francs d'augmentation de la dépense.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Avec l'inflation ! Mais je parle, moi, en termes réels.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pardonnez-moi de vous avoir interrompu.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne vois aucun inconvénient à ce que vous m'interrompiez, surtout quand vous me donnez l'occasion de préciser qu'il s'agit bien d'une baisse en termes réels. Bien sûr, il reste l'augmentation liée à l'inflation, mais votre assemblée est assez avertie pour savoir faire la différence entre ce qui est lié à l'inflation et ce qui est une hausse ou une baisse. Ici, en termes réels, il s'agit bien d'une baisse de 0,7 %, ce qui ne s'est jamais vu de mémoire de ministre des finances !
D'ailleurs, monsieur le rapporteur général, vous êtes tellement conscient du caractère peu raisonnable de votre proposition que vous avez dû dire au moins quinze fois à la tribune : « Nous proposons des choses raisonnables ». (Rires sur les travées socialistes.)
Si c'était le cas, vous n'auriez pas besoin de le justifier à ce point. La réalité saute aux yeux. Votre proposition est heureuse, parce qu'elle permet le débat et, de ce point de vue, je vous en remercie, mais son caractère raisonnable a en effet besoin d'être réaffirmé à peu près à toutes les phrases ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Comment répartissez-vous les 26 milliards de francs de baisse ?
M. Josselin de Rohan. C'est un peu facile !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Six milliards de moins pour les emplois-jeunes : autrement dit, dehors !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il y a redéploiement !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas de la baisse, alors ! Attendez ! Moi, je sais ce que veut dire « redéployer » : cela signifie que cela ne baisse pas, mais que l'on se sert de l'argent pour faire autre chose. Dans ces conditions, je me permets de vous interroger, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est le total qui baisse !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Moi, je regarde ce que vous mettez dans les 26 milliards de francs, et je lis, dans votre rapport : moins 6 milliards de francs au titre des emplois-jeunes. Si c'est redéployer pour vous, soit ! Mais alors ils ne sont plus dans les 26 milliards. Donc, où prenez-vous les 26 milliards de francs, monsieur le rapporteur général ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il s'agit des 150 milliards d'aide à l'emploi qui peuvent être mieux gérés ; nous aurons l'occasion d'en reparler, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, nous en reparlerons !
Je constate, moi, que vous proposez de diminuer de 6 milliards de francs les crédits au titre des emplois-jeunes, au moment même où la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, unanime, a soutenu nos propositions en matière d'emplois-jeunes pour l'année prochaine. Je vois bien là, dans votre esprit, les errances des députés de l'opposition ! Je n'insiste pas.
M. Philippe Marini, rapporteur général. N'exagérons pas, monsieur le ministre, c'est excessif !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. « Errances » ? Oui, le mot est peut-être un peu fort ; disons « erreurs » !
Ensuite, vous supprimez 3,5 milliards de francs d'appui à la réduction du temps de travail.
Vous ne croyez pas à la réduction du temps de travail : c'est votre droit. Mais, à mesure que l'année se déroulera et que des centaines, voire des milliers d'accords seront signés et que des emplois seront effectivement créés, les 3,5 milliards de francs seront utilisés et donc vous aurez à répondre, alors, du fait que, si vous les aviez supprimés pour arriver à vos 26 milliards de francs, vous auriez du même coup supprimé les emplois en face !
Vous pouvez être contre ou pour la réduction du temps de travail, dire que c'est une bonne ou une mauvaise méthode, mais vous ne pouvez certainement pas renoncer aux 3,5 milliards de francs sans renoncer aux emplois correspondants. Or, comme je pense que, comme nous, vous recherchez la création du maximum d'emplois, il ne paraît pas très raisonnable de supprimer ces 3,5 milliards de francs.
J'en viens aux 8 milliards de moins pour la rémunération des fonctionnaires. Là, c'est sans débat ! C'est autant de moins dans la consommation, au-delà du problème de la rémunération effective des fonctionnaires, qui, en effet, augmente rapidement dans ce budget, principalement parce qu'il a fallu rattraper le gel de 1996, dont vous reconnaîtrez volontiers que je n'étais pas responsable.
Mais puisque, en 1996, les engagements pris vis-à-vis des fonctionnaires n'ont pas été respectés, il fallait bien le faire un jour. La hausse des fonctionnaires de l'année prochaine ressemble quand même un peu à un apurement des dettes du passé !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous le regrettez ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Effectivement, je le regrette. J'aurais préféré que vous les augmentiez en 1996, comme vous vous y étiez engagés, pour qu'on ait moins besoin de les augmenter cette année, c'est sûr ! Mais, que voulez-vous ? Moi, je me sens comptable de la continuité de l'Etat, et comme celui-ci n'a pas tenu ses engagements vis-à-vis des fonctionnaires en 1996, il fallait bien, à un moment donné, remettre les compteurs à zéro !
Puis - mais peut-être est-ce une faute de frappe, car je ne peux pas y croire - vous proposze de diminuer de 5 % les crédits du RMI ! Alors là, honnêtement, les bras m'en tombent !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la Cour des comptes !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et ils n'augmentent pas pour autant l'impôt sur la fortune, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La remarque est fondée : vous suivez plus volontiers la Cour des comptes quand il s'agit de baisser le RMI que lorsqu'il est question d'augmenter l'impôt de solidarité sur la fortune.
Cela étant, je ne crois pas qu'aucun élu dans cette assemblée puisse se résoudre à admettre que nous soyons dans l'obligation de nous soumettre à une forme de gouvernement des juges...
Ce que la Cour des comptes propose est extrêmement intéressant et important ; il reste que, au bout du compte, les choix politiques, c'est nous et vous qui les faisons ! Quand on propose de diminuer de 5 % les crédits du RMI, il faut avoir le courage de ses propositions et ne pas se cacher derrière la Cour des comptes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est à droits constants !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si c'est à droits constants, cela coûte ce que cela coûte !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut gérer mieux. Il faut moins d'abus ! C'est tout !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le rapporteur général, en toute amitié : au-delà de l'affichage, quand on décompose vos 26 milliards de francs - je ne reviens pas sur la crédibilité d'ensemble, j'ai dit tout à l'heure ce que j'en pensais - on voit bien que, n'ayant pas voulu toucher, et avec raison, aux ministères dits régaliens, vous avez dû vous en prendre principalement aux crédits d'intervention. L'ennui, c'est que les crédits d'intervention servent précisément à intervenir, et que, là où vous les retirez, ils n'existent plus. C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'ils auraient dû servir aux emplois-jeunes, au RMI, à la réduction du temps de travail, ils font défaut !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, nous apprécions tous l'humour, pour ne pas dire l'ironie, des formules que vous utilisez, mais je me dois de rappeler au Sénat que tout exercice de réduction des dépenses doit respecter les règles qui nous régissent, en particulier l'ordonnance organique relative aux lois de finances.
Nous ne pouvons pas inscrire des crédits supplémentaires là où nous pensons qu'ils pourraient être utiles et nous ne pouvons parfois réduire les crédits que là où c'est possible. L'exercice du redéploiement, encore une fois, en fonction des règles qui nous régissent, n'est donc pas commode à présenter. Il est donc un peu facile d'ironiser sur la méthode elle-même. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Lambert, si l'objectif est de montrer au pays que l'on peut faire un budget différent, peu importe les règles de l'ordonnance organique. Vous montrez quel budget vous auriez fait, c'est tout ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Nous sommes légalistes, nous respectons la loi, tout de même ! Vous avez beaucoup d'audace !
M. Paul Loridant. Ce qu'ils sont légalistes, tout de même !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pouvez-vous un seul instant penser que les modifications que je viens de rappeler - mais ce n'était que quelques exemples pris dans votre liste - seraient soutenues par le Gouvernement ou par sa majorité à l'Assemblée nationale ?
Quel est l'intérêt de proposer un contre-budget - exercice que je crois intéressant - sinon celui de dire à la nation : voilà le budget tel que nous le présenterions ? Alors, ne vous abritez pas derrière des arguments juridiques et dites politiquement ce que vous voulez faire.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous prévoyons de réduire 14 milliards de francs le déficit, c'est tout !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Or, ce que je constate politiquement c'est ce que je suis en train de décrire. De toute façon, le problème que pose votre contre-budget, ce ne sont pas tant l'immobilisme, ni même les crédits que vous supprimez, contrairement aux souhaits des Français - qu'ils ont fait connaître par le vote qu'ils ont émis en juin 1997. Non, le vrai problème, c'est que, avec votre contre-budget, qui repose sur une hypothèse de croissance de 2,7 % - vous l'avez d'ailleurs confirmé, sinon vous n'avez plus les recettes - vous n'avez plus 2,7 % de croissance ! C'est en ce sens que votre exercice est assimilable à un tour de passe-passe. En réalité, avec ce budget-là, vous faites ce qui a déjà été fait, ou ce que l'on a déjà tenté de faire, peut-être pas avec cette ampleur mais dans cet esprit, dans des années passées, et vous cassez la croissance.
Ce que le Gouvernement s'efforce d'essayer de vous faire partager, sans succès, j'en conviens, c'est que, pour avoir la plus forte croissance possible, il faut jouer sur toutes les touches du piano et que l'on ne peut tout bousculer d'un coup en misant tout sur la réduction la plus rapide du déficit. Certes, il faut le réduire, mais on ne réduit pas impunément le déficit, à n'importe quel rythme, sinon on casse la croissance. Si on ne le réduit pas du tout ou pas assez, on ne résout pas les problèmes structurels. Mais si on le réduit trop, on casse la croissance. Tout le problème est de trouver - je ne dis pas que nous y sommes arrivés - un équilibre. La grande différence entre votre proposition, au-delà des éléments ponctuels, et le budget proposé par le Gouvernement, c'est l'équilibre.
S'il existe une différence dans ce budget entre la droite et la gauche, ce n'est pas tellement dans le fait de vouloir diminuer les impôts - il est assez facile de réunir une majorité sur ce sujet - mais de savoir à quel rythme, sur quel chemin et comment il est possible effectivement d'atteindre les objectifs. De ce point de vue, honnêtement, la méthode que vous proposez a échoué dans le passé.
Est-ce la seule différence entre ces deux propositions ? Non ! Car, en matière de fiscalité, vous formulez d'autres propositions et je conclurai sur ce point.
Vous proposez, d'abord, de revenir sur la baisse du plafond du quotient familial que propose le Gouvernement. C'est totalement incohérent car, voilà quelques jours, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, vous avez voté la suppression des conditions de ressources pour les allocations familiales. Si vous votez la suppression des conditions de ressources et que vous n'acceptez pas la baisse du plafond du quotient familial, vous augmentez les charges de l'Etat de quelque 4 milliards de francs. Or vous dites vouloir les baisser. Où est la cohérence ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est un choix politique pour la famille ! Ce n'est pas le vôtre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Marini, j'ai le plus grand respect pour la famille. D'ailleurs, j'en ai fondé trois ! (Rires.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tous nos compliments !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour autant, il ne paraît pas obligatoire d'être incohérent en matière budgétaire.
Vous proposez bien de réduire l'impôt sur le revenu, mais comme vous ne disposez pas du premier franc pour le faire, comme en 1997 d'ailleurs, vous suggérez de reporter la disposition à l'an 2000. L'exercice est facile !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Responsable !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Par ailleurs, on sent chez vous une vigueur nouvelle par un éloge vibrant en faveur de la fiscalité écologique,...
M. Alain Lambert, président de la commission de finances. C'est le viagra écologique ! (Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... à tel point que vous proposez d'augmenter de huit centimes, près de dix centimes à la pompe, le prix du gazole. Mais de l'avis des écologistes eux-mêmes - honnêtement, ils sont plus compétents que vous et moi réunis en matière d'écologie...
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est à voir !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais si ! Laissons à chacun ses compétences.
Ce qui fonde, de la part des écologistes eux-mêmes, ce qu'ils appellent, de façon peut-être un peu grandiloquente, l'an I de la fiscalité écologique, c'est la taxe générale sur les activités polluantes. Or, c'est précisément celle que vous supprimez. Il s'agit encore d'une incohérence !
Quant à la justice fiscale, vous rejetez les deux articles qui résultent des travaux de l'Assemblée nationale concernant la lutte contre l'évasion en matière d'ISF. Est-ce bien raisonnable ? Vous rejetez les autorisations que sollicite l'administration afin de pouvoir demander des éclaircissements à un contribuable.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On ne rejette pas !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah bon ? Vous, ce sont 26 milliards de francs de dépenses en moins.
Nous, en matière fiscale, ce sont pour cette année et 1999, 20 milliards de francs de baisse de l'impôt sur les revenus du travail et 28 milliards de francs de hausse de l'impôt sur les revenus du capital. C'est un choix politique. J'admets tout à fait qu'il ne soit pas partagé par la majorité du Sénat. Mais cela montre bien les différences importantes en termes politiques - vous l'avez rappelé à l'instant sur un autre sujet - qui existent entre votre proposition et la nôtre... en dehors de quelques incohérences, que j'ai relevées tout à l'heure.
Je n'entre pas dans le détail des remarques que vous formuliez à propos de la taxe professionnelle, de la TVA ou des droits de mutation. Je n'ai pas entendu que vous critiquiez la baisse de la TVA ni celle des droits de mutation. Par conséquent, ce qui est au coeur de la réforme fiscale de cette année, vous ne l'avez pas remis en cause, et je m'en réjouis.
En ce qui concerne la taxe professionnelle - M. Sautter y reviendra plus longuement - je ne crois pas beaucoup à la proposition de dégrèvement que vous formulez, car elle est très déresponsabilisante pour les communes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est tout le contraire !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La charge est mise sur le dos de l'Etat, quoi qu'il arrive, ce qui, honnêtement, n'est pas très satisfaisant. Je crois que les propositions d'indexation qui ont été faites sont très correctes. Je sens d'ailleurs, dans les différentes assemblées de maires, qu'elles ne sont pas si mal reçues.
La réforme inquiète-t-elle ? Oui, monsieur le rapporteur général, la réforme inquiète toujours. Il faut oser la réforme et, si j'osais, j'irais jusqu'à dire que ce qui fait la différence entre les conservateurs et les progressistes, c'est d'oser la réforme, pas de voir qu'elle ne présente pas de problème. Bien sûr que cela pose des problèmes de réformer, surtout lorsqu'il s'agit de réformer quelque chose d'aussi compliqué, de mal construit au bout du temps, cette usine à gaz, comme on l'a dit, qu'est la taxe professionnelle.
Vous me disiez : ne voyez-vous pas qu'il y a des difficultés ? Oui, je le vois, mais le problème, c'est de savoir si l'on réforme tout de même malgré les difficultés ou si, après avoir appelé les réformes pendant des années, quand celles-ci sont mises en oeuvre, on reste tranquillement dans son fauteuil en disant : « C'est trop difficile. »
Le Gouvernement assume les difficultés de cette réforme. Elle sera favorable à l'emploi et, en fin de compte, aux collectivités territoriales. Nous aurons l'occasion d'approfondir cette question au cours du débat, je n'y reviens donc pas. Il est vrai que c'est une réforme compliquée. J'ai presque tendance à dire que si cela avait été simple, cela aurait été fait depuis un moment.
Je conclus.
J'ai le sentiment que nous avons la croissance en 1998 et que nous l'aurons en 1999, certes parce que l'environnement international n'est pas mauvais - encore que, par ailleurs, certains passent leur temps à dire que l'environnement international n'est pas si bon ; il faudrait tout de même être cohérent et admettre que l'influence extérieure n'est donc pas si forte - mais aussi et surtout parce que nous menons une politique qui conduit à la croissance.
C'est l'engagement de la majorité qui soutient le Gouvernement aujourd'hui : rechercher la croissance maximale, pour plus d'emplois et de pouvoir d'achat. C'est cette politique que nous avons conduite en 1998, laquelle a donné des résultats qui, sans être mirobolants, sont sensiblement plus satisfaisants que ceux qui avaient été obtenus précédemment. C'est cette politique que nous vous proposons de poursuivre.
Vous en proposez une autre. Je constate simplement que lorsque celle-ci était à l'oeuvre, elle n'a pas si bien réussi. Vous vous souciez de problèmes que vous avez aggravés voilà quelques années. Je pense en particulier à la hausse de la dette publique durant les années 1994, 1995, 1996 et même 1997. Je suis heureux que vous vous en souciez. Aussi, je pense que vous vous féliciterez avec nous en l'an 2000 quand, pour la première fois, cette dette baissera.
Ce qui me paraît sûr, c'est que ce budget est exactement l'inverse de celui qui a été fait dans les années précédentes et que vous feriez si vous aviez la majorité aujourd'hui. Il y a bien deux logiques possibles de politique économique comme de politique budgétaire. Je ne suis donc pas surpris que vous ne soyez pas d'accord. Cela est dans l'essence même des choses. Je considère même que, sur un certain nombre de points, vous auriez pu être moins timide dans vos propositions. Cela reste assez conservateur sur un certain nombre de réformes, mais je ne doute pas que, dans un prochain exercice de même nature, vous alliez plus loin.
Ce qui est sûr, c'est que, à ces temps où certains s'interrogent sur les différences qu'il peut y avoir entre une politique économique de droite et une politique économique de gauche, la détermination que vous mettez à défendre vos propositions et à montrer combien elles sont différentes des nôtres, vient conforter l'opinion que j'ai, selon laquelle il y a bien deux politiques. J'espère que tous ceux qui en doutent vous aurons bien entendus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai évidemment pas sur les aspects stratégiques que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vient de rappeler.
Le projet de budget que nous proposons a pour objet de consolider la croissance et de financer les priorités issues des élections de juin 1997, en particulier le développement de l'emploi, le renforcement de la justice sociale et l'amélioration du fonctionnement du service public. Comme l'a dit M. Dominique Strauss-Kahn, nos marges de manoeuvre sont réparties en trois tiers à peu près égaux : 16 milliards de francs pour la baisse des impôts, 16 milliards de francs pour le financement de véritables priorités et 21 milliards de francs de baisse du déficit.
En ce qui concerne les impôts, dans une première partie, je commenterai plus largement les réformes fiscales qui vous sont proposées. C'est une année où nous avons osé modifier beaucoup plus d'impôts que cela n'a été le cas au cours des vingt années précédentes. Je m'attacherai à répondre aux interrogations, aux inquiétudes, que le président Lambert a exprimées sur la taxe professionnelle, et j'irai un peu au-delà en évoquant les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En ce qui concerne les dépenses, je ne reviens pas sur les chiffres globaux : une progression en volume de 1 %, soit 16 milliards de francs. Je souhaite, avant d'entrer un peu dans le détail, dans une deuxième partie, faire deux commentaires.
Le premier : à ces 16 milliards de francs de dépenses supplémentaires, qui apparaissent au grand jour, s'ajoutent, dans l'ombre, si je puis dire, 30 milliards de francs, qui résultent de redéploiements. En matière de réformes structurelles de la dépense publique, que, me semble-t-il, M. le rapporteur général appelait de ses voeux, ces 30 milliards de francs sont la preuve tangible que le Gouvernement en a fait une bonne part. Je reviendrai brièvement, à l'issue de la deuxième partie, sur la partie dépenses du contre-budget que M. le rapporteur général a proposé.
Ma deuxième remarque introductive sur les dépenses est celle-ci : à côté de ces 30 milliards de francs de redéploiements, nous avons procédé, à la demande du Conseil constitutionnel, à une réforme de clarification qui était attendue. Nous avons procédé à une rebudgétisation de recettes et de dépenses publiques qui ne figuraient pas dans le corps même du budget. S'agissant des dépenses, cela représente un montant considérable : 45 milliards de francs. Il s'agit de dépenses qui n'apparaissaient pas dans la loi de finances initiale ou de dépenses qui faisaient l'objet d'une affectation dans le cadre de comptes spéciaux du Trésor. Ainsi, la Haute Assemblée pourra débattre à partir d'une image plus sincère de la réalité de la dépense publique.
Avant d'entrer dans le débat sur la réforme fiscale, je voudrais simplement ajouter une information au développement très précis que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a fait tout à l'heure quant à la dette.
Monsieur le rapporteur général, en matière de progression de la dette, je compare deux années : en 1996, la dette de l'Etat a augmenté de trois points de PIB ; en 1999, elle croîtra, certes, mais seulement de 0,5 point de PIB, pour se stabiliser en l'an 2000, voire pour commencer à fléchir quelque peu.
J'en viens à la fiscalité. Nous vous proposons des réformes fiscales de grande ampleur qui ont un double objet : l'emploi et la justice fiscale. J'y ajoute - M. Strauss-Kahn a déjà insisté sur ce point tout à l'heure - une réforme fiscale en faveur de l'environnement. Je ferai ensuite quelques commentaires en ce qui concerne la volonté de simplification de l'impôt, ce que l'on appelle familièrement « l'allègement de l'impôt-papier » qui est ressenti de manière particulièrement lourde par les petites et moyennes entreprises.
Il s'agit d'une fiscalité plus favorable à l'emploi. Le fer de lance de cette réforme fiscale, c'est effectivement la réforme de la taxe professionnelle. Mais j'indiquerai tout à l'heure que d'autres éléments vont dans le même sens.
La réforme de la taxe professionnelle est attendue depuis très longtemps. Chacun en son temps a critiqué, en employant des adjectifs plus ou moins vigoureux, cet impôt qui joue contre l'emploi, puisque plus une entreprise crée d'emplois, plus elle paie.
Que fallait-il faire ? Une première proposition a été formulée par le Conseil des impôts, cette assemblée d'experts particulièrement qualifiés. Ils ont suggéré de nationaliser la taxe professionnelle, c'est-à-dire de l'établir à un taux unique pour l'ensemble du territoire, cette fiscalité unique étant ensuite répartie entre les diverses collectivités selon des règles à définir.
La proposition que j'ai entendue de la part de M. Fourcade, qui a mentionné une fois l'idée que, peut-être, il faudrait désormais partager l'impôt sur le bénéfice des sociétés entre l'Etat et les collectivités locales, ressortit quelque peu à la même logique.
Nous n'avons pas voulu suivre cette logique de « nationalisation ». Nous avons privilégié une réforme plus sobre mais qui, je crois, est entièrement concentrée sur sa finalité, c'est-à-dire une réforme pour l'emploi.
En effet, la suppression en cinq ans de la part salariale de la taxe professionnelle va alléger substantiellement le fardeau fiscal, attaché à l'emploi, des entreprises qui développent aujourd'hui l'emploi. Si l'allégement sera, en moyenne, de 35 %, puisque la part salariale représente 35 % de l'assiette de la taxe professionnelle, il sera de 50 % dans le bâtiment, activité de proximité absolument insensible aux crises asiatique, russe ou latino-américaine, ainsi que dans les services, et seulement de 20 % dans l'industrie manufacturière. Par conséquent, ce sont les secteurs à fort contenu de main-d'oeuvre qui seront directement intéressés.
Les entreprises les plus bénéficiaires seront les entreprises petites et moyennes, puisque l'allégement sera en moyenne de 40 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est de moins de 50 millions de francs et seulement de 25 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 500 millions de francs. Cette réforme est donc ciblée.
De plus, nous vous proposons que cette réforme, qui s'étalera sur cinq ans, bénéficie d'abord aux entreprises les plus petites, c'est-à-dire celles qui ont moins de 500 000 francs de masse salariale : elles verront disparaître entièrement cette part salariale qui représente, selon les secteurs, 20 %, 40 % ou 50 % de l'assiette de la taxe professionnelle.
Cela signifie concrètement, mesdames, messieurs les sénateurs, que les artisans du bâtiment et les commerçants, s'ils emploient un petit nombre de salariés, verront leur taxe professionnelle baisser de moitié en un an.
Il s'agit donc d'une réforme importante pour l'emploi, dont le Gouvernement attend beaucoup. D'après les contacts que nous avons avec les parlementaires et les chefs d'entreprise, elle apportera aux petites et moyennes entreprises, dès 1999, un signal de confiance important dont on peut attendre une progression de l'emploi.
L'inquiétude des élus locaux porte non pas sur ce point, me semble-t-il, mais sur la compensation, et peut-être, en amont, sur un principe qui est au coeur des réformes de décentralisation de 1982, c'est-à-dire sur l'autonomie fiscale des collectivités locales. Il s'agit là d'une exception française en Europe, exception à laquelle le Gouvernement n'entend pas porter atteinte.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Heureusement !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je vous remercie de cette approbation, monsieur le rapporteur général !
Que se passera-t-il ? Avant la réforme, les concours de l'Etat représentaient 30 % des recettes des communes. Après la réforme, on passera à 36 %. On peut donc affirmer que l'exception française de l'autonomie fiscale des collectivités locales, à laquelle nous sommes tous attachés, perdurera.
J'en viens à la question de la compensation et du dégrèvement.
Le Gouvernement propose un système simple, prévisible et dynamique.
Ce système est simple : on prendra les derniers taux connus, ceux de 1998, et les dernières bases connues, celles de 1999.
Personne ne conteste le mode de compensation pour 1999, qui se fera franc pour franc. Mais, même après 1999, la compensation sera calculée de façon très favorable puisque la base ainsi définie sera ensuite indexée sur le concours le plus avantageux de l'Etat aux collectivités locales, c'est-à-dire sur la dotation globale de fonctionnement qui, vous le savez, croît comme l'inflation, plus la moitié du produit intérieur brut.
En 2004, cette compensation sera intégrée dans l'enveloppe de la dotation globale de fonctionnement et s'ajoutera donc à la DGF actuelle.
On constate par conséquent, de la part du Gouvernement, une volonté de sécuriser cette compensation au contraire de l'invention, en 1987, de la DGCTP, la dotation globale de compensation de la taxe professionnelle, qui a connu une évolution très défavorable.
« Les collectivités locales vont-elles rentrer dans leurs frais et n'y perdront-elles pas ? », me demandez-vous.
Il y a une façon très simple d'examiner ce point : cette réforme va porter sur cinq ans, c'est-à-dire sur les années 1999 à 2003. Examinons ce qui s'est passé pendant les cinq dernières années, c'est-à-dire entre 1992 et 1997 : la base salaires a progressé de 10,5 % ; mais la compensation que nous vous proposons, compte tenu de ses modalités d'indexation, aurait progressé de 12 %, si elle avait été appliquée. Sur les années 1992-1997, le système proposé par le Gouvernement est donc plus avantageux que celui qui existait antérieurement.
« Quid du reste ? » me demanderez-vous, c'est-à-dire des deux tiers demeurant de la pleine compétence des collectivités locales : la base d'investissement.
Même durant cette période 1992-1997 au cours de laquelle l'investissement progressait de façon médiocre, la base d'investissement a cru de 30 %. Par conséquent, la compensation proposée est, me semble-t-il, simple, juste et dynamique. Nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau.
En revanche, toujours en considérant la période 1992-1997, le dégrèvement aurait été moins avantageux. En outre, il aurait eu l'inconvénient d'exiger des entreprises de continuer à faire des déclarations sur leurs effectifs et sur le salaire, sans que cela serve à asseoir l'impôt. Par conséquent, alors que le Gouvernement cherche à simplifier l'impôt papier - je pense d'ailleurs que vous partagez cette volonté - le dégrèvement entraînerait la nécessité de continuer à faire remplir des formulaires inutiles par les entreprises.
Traitant des collectivités locales, je répondrai à une autre interrogation de M. le président de la commission des finances sur l'avenir des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales. La question est très simple : d'où venons-nous ? Où allons-nous ? Nous venons d'un pacte de stabilité et nous allons vers un contrat de croissance et de solidarité.
Le pacte de stabilité, sur la période 1996-1998, était un pacte unilatéral imposé par le gouvernement de l'époque aux collectivités locales : l'enveloppe « normée » de 150 milliards de francs environ vers les collectivités locales était fixée sur la seule inflation. C'était aussi un pacte dans lequel la dotation globale de compensation de la taxe professionnelle servait de variable d'ajustement et connaissait une baisse extrêmement rapide.
Quelle a été la proposition du Gouvernement qui s'est trouvée amplifiée par l'Assemblée nationale en première lecture ?
Premièrement, le Gouvernement propose un contrat : il y a eu une très large concertation à laquelle le président de la commission des finances de l'époque et le rapporteur général de la commission des finances du Sénat de l'époque ont participé. Cette concertation n'est pas une codécision, mais je crois que nous avons débattu amplement sur ces questions !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Merci de le rappeler !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Les associations d'élus des villes, des petites, moyennes et grandes communes, des conseils généraux et des conseils régionaux ont été associées à cette concertation.
Deuxièmement, on est sorti de l'indexation sur la seule inflation pour permettre aux collectivités locales de retrouver une part des fruits de la croissance. Le Gouvernement a proposé 15 % du taux de croissance en volume la première année, c'est-à-dire en 1999, puis 25 %, puis 33 %. L'Assemblée nationale a relevé le chiffre de 15 % pour la première année à 20 %.
Il y a donc eu discontinuité dans la méthode - on est passé d'un pacte imposé à un contrat concerté - et discontinuité dans la progression des dotations, puisque l'on passe de la seule inflation à une partie de la croissance.
Enfin, le Gouvernement, à la demande de l'Assemblée nationale, a complètement exonéré de baisse de la dotation globale de compensation de la taxe professionnelle les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine ainsi que les communes bourgs-centre en milieu rural qui ont ce que l'on appelle des charges de centralité particulières.
Je sais que nous aurons l'occasion de débattre longuement à nouveau des relations entre l'Etat et les collectivités locales, ainsi que de la réforme de la taxe professionnelle ; mais M. le président de la commission des finances ayant posé des questions précises, j'ai voulu lui répondre de la façon la plus détaillée possible.
La baisse de la part salariale n'est pas la seule mesure favorable à l'emploi.
A cet égard, je mentionnerai une série de mesures convergentes en faveur du bâtiment et du logement : outre la baisse de la part salariale qui intéressera, je l'ai dit, l'artisanat du bâtiment, il convient de citer la baisse des droits de mutation à titre onéreux - ces droits que, monsieur le président de la commission des finances, on appelle à tort « frais de notaire » (Sourires) - ainsi que l'institution d'avantages fiscaux pour les bailleurs privés de logements intermédiaires.
En outre, l'Assemblée nationale a ajouté deux mesures : le doublement du crédit d'impôt pour l'entretien des logements par les locataires ou par les propriétaires, et la suppression de la TVA sur les ventes de terrains à bâtir à des particuliers.
Mme Hélène Luc. Tout ne sera pas mis en cause ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le bâtiment sera donc bien l'un des moteurs et, je dois dire, madame Luc, que l'initiative de cette proposition est venue de l'extrême gauche de la majorité plurielle.
Mme Hélène Luc. Ce que je voudrais savoir, c'est si elle ne sera pas remise en cause, comme on le dit dans les journaux.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous aurons l'occasion d'en reparler, madame le sénateur. C'est une bonne proposition, et nous ferons en sorte qu'elle soit répercutée sur le terrain.
Mme Hélène Luc. Je vous remercie.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Enfin, dernier point en matière d'emplois, un certain nombre de mesures sont destinées à accélérer les transmissions des entreprises, car nous savons que c'est un élément favorable au dynamisme de l'emploi et au maintien des centres de décision en France.
Ainsi, en cas de donation, il y aurait un allégement de 50 % des droits de mutation à titre gratuit si le donateur a moins de 65 ans et de 30 % s'il a entre 65 et 75 ans.
La fiscalité sera ensuite plus favorable à la justice sociale.
Nous avons accru - on en a peu parlé, sauf à l'occasion des propositions développées par M. le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'ISF - la fiscalité du patrimoine, notamment afin d'empêcher une évasion fiscale trop fréquente aujourd'hui, car il est clair que plus l'impôt est complexe, plus les puissants ont des facilités pour y échapper.
En conséquence - nous en débattrons - l'impôt de solidarité sur la fortune devrait voir son rendement accru de 30 %, c'est-à-dire qu'il passerait de 11 milliards de francs en 1998 à 14,5 milliards de francs en 1999, sous réserve, évidemment, de l'évaluation des marchés financiers.
Le Gouvernement souhaite aussi adapter l'exonération des droits de succession dont bénéficient les produits d'assurance vie, afin que l'assurance vie, qui est un mode normal de transmission du patrimoine, ne permette pas à certains d'échapper entièrement aux droits de succession.
Nous avons aussi proposé que l'avoir fiscal que les entreprises se versent entre elles soit réduit de 50 % à 45 %, et ce pour encourager les entreprises à privilégier les investissements productifs par rapport aux investissements financiers. Des baisses de la TVA - M. Dominique Strauss-Kahn en a d'ailleurs parlé - constituent également des mesures favorables à la justice fiscale : après les travaux de rénovation dans les logements sociaux, ce sont les abonnements à l'électricité et au gaz, un certain nombre d'appareillages pour personnes handicapées, ainsi que la collecte, le traitement et l'élimination des déchets faisant l'objet d'un tri sélectif qui profiteront de ces baisses.
Au total, il y en a pour plus de 12 milliards de francs sur les deux années 1998 et 1999, et je passe, pour ne pas vous lasser, sur la suppression des droits de timbre sur les cartes d'identité et les permis de conduire, qui représentent 600 millions de francs et qui intéressent quatre millions de bénéficiaires parmi les Français les plus modestes.
Pour ce qui est de la fiscalité écologique, vous savez que le Gouvernement veut ramener, en sept ans, l'écart existant entre le prix du gazole et le prix du super sans plomb à la moyenne européenne, d'où une hausse relative de 7 centimes par an pendant sept ans, soit, en 1999, une hausse du gazole de 7 centimes et, pour la première fois depuis vingt ans, pas de hausse de la fiscalité sur le super sans plomb. Je suis sûr que le Sénat, qui a milité pour ce type de mesure, approuvera ces dispositions !
Quant à la taxe générale sur les activités polluantes, je pense que nous aurons l'occasion d'en parler longuement ! Elle permettra de dégager des moyens accrus et de conduire une lutte plus efficace contre les principales pollutions.
Enfin, pour ce qui concerne la simplification administrative, vous me permettrez de citer le travail remarquable de ma collègue Mme Lebranchu, et plus particulièrement deux mesures : tout d'abord, les entreprises qui réalisent moins de 500 000 francs de chiffre d'affaires seront désormais exonérées du paiement de la TVA, et donc de déclaration en la matière, mais elle seront, évidemment, privées corrélativement de la possibilité de déduire la TVA sur leurs achats ! Cette mesure importante devrait permettre de lutter contre le travail clandestin et donner aux artisans une possibilité de développement plus grande que celle qu'ils ont actuellement. Ensuite, grâce à l'allégement du régime simplifié d'imposition à la TVA - une seule déclaration au lieu de cinq - ce sont, au total, près de quinze millions de formulaires par an qui ne seront plus remplis par les entreprises, mais aussi par les ménages puisque des simplifications en matière de droit de bail vont également intervenir.
J'en viens maintenant aux dépenses pour démontrer, si cela était nécessaire, à M. le rapporteur général que la politique du Gouvernement ne consiste pas à accroître mécaniquement ce qu'il a appelé les « charges de structure », mais à financer de véritables priorités : priorité à l'emploi, à la solidarité, à l'éducation, aux grands services publics.
Ainsi, nous n'avons pas honte - au contraire ! - de faire croître le budget de l'emploi de 3,9 % en 1999, car cela devrait nous permettre de lutter plus efficacement contre le chômage grâce à l'allégement des charges, à la réduction négociée du temps de travail et aux emplois-jeunes.
En ce qui concerne les emplois-jeunes, on en comptera 150 000 à la fin de 1998, et 250 000 à la fin de 1999. A ce sujet, je veux dire à ceux qui ont condamné les emplois-jeunes que, ce matin, devant l'Association des maires de France, j'ai félicité les maires qui ont déjà permis le recrutement de 17 000 jeunes. Sur le terrain, les jeunes de leurs communes ont ainsi trouvé une véritable solution, en assurant, de plus, des services de proximité qui, sans eux, n'auraient pas été assurés.
Par ailleurs, le budget de la santé et de la solidarité progressera de 4,5 %. C'est la conclusion concrète de la loi de lutte contre les exclusions : vous avez voulu la faire, nous l'avons faite, et nous la finançons.
Quant à la politique de la ville, à laquelle vous êtes sensibles, son budget est en hausse de 32 %.
En ce qui concerne l'effort en faveur du logement, les dépenses sont en hausse de 4 %.
Pour ce qui est de l'éducation, secteur dans lequel M. le rapporteur général souhaite opérer des coupes claires en considérant qu'il ne s'agit pas d'une dépense de souveraineté - alors que, pour nous, c'est l'investissement souverain du xxie siècle, mais je vais m'en expliquer dans un instant - le budget de l'enseignement scolaire progresse de 4,1 %, et celui de l'enseignement supérieur de 5,5 %.
Il est vrai que, lorsque M. le rapporteur général propose la suppression de 17 000 emplois, utilisant pour cela une méthode qui a le mérite de la simplicité en ne remplaçant que trois fonctionnaires sur quatre dans les ministères non souverains, cela signifie qu'il s'apprête à supprimer 12 000 postes budgétaires dans l'éducation nationale. Mais je pense que nous aurons l'occasion d'en reparler !
Mme Hélène Luc. Allez expliquer cela dans les lycées !
M. Roland du Luart. Il faut faire revenir à l'éducation nationale ceux qui sont ailleurs !
M. Serge Vinçon. Oui, réintégrez les enseignants dans les classes !
M. Josselin de Rohan. Les « mis à disposition » !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous en reparlerons !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Après le récent mouvement des lycéens, nous allons affecter, au contraire, 14 000 adultes supplémentaires dans les écoles...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous voulons des enseignants, certes ! Mais que les enseignants commencent par enseigner !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... et nous vous demanderons d'approuver une dépense supplémentaire de 431 millions de francs. L'avenir, en matière d'éducation, est donc plutôt de notre côté que du vôtre !
Mme Hélène Luc. On va donc ajouter des crédits !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Les crédits ont été ajoutés à la fin de la première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale : 431 millions de francs. Le Gouvernement tient ses promesses !
S'agissant des grands services publics, ceux que vous qualifiez de souverains, le budget de la justice progresse de 5,6 %. Il est vrai qu'un certain retard devrait être rattrapé et que Mme la garde des sceaux cherche à accélérer les procédures pénales, à développer des modes alternatifs de règlement des litiges et à mettre en place des maisons de justice, tous exemples concrets qui tendent, me semble-t-il, à rapprocher le service public de la justice de nos concitoyens. Le ministère de la justice bénéficiera ainsi de 930 postes budgétaires supplémentaires.
Vous savez que, à la suite de la déclaration de politique générale de M. le Premier ministre, le Gouvernement a décidé de stabiliser les effectifs civils des fonctionnaires, alors qu'ils diminuaient avant 1997 et que vous avez l'intention de poursuivre dans la voie de la diminution. Or les 930 emplois nouveaux attribués au ministère de la justice seront évidemment compensés par une diminution dans d'autres ministères, y compris au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie !
Le budget de la sécurité civile est en hausse de 3 % et vous constaterez, à l'occasion de l'examen du collectif budgétaire, que nous y avons ajouté, en fin de gestion 1998, 400 millions de francs parce que la sécurité est un droit et que ce sont les plus pauvres qui, souvent, en sont le plus dépourvus.
Le budget de la culture rattrape son retard. Il atteindra bientôt le fameux seuil de 1 % des dépenses de l'Etat : 0,97 % l'an prochain.
Le budget de l'environnement, quant à lui, progresse de 15 %, auxquels s'ajoute le produit de la taxe générale sur les activités polluantes.
Telles sont les remarques que je souhaitais présenter à propos de l'examen de ce projet de budget. Sans ajouter aux propos de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le contre-budget de votre commission des finances - nous aurons l'occasion d'en discuter - permettez-moi simplement de souligner un contraste : vous souhaitez - c'est votre droit - diminuer de 5 % les crédits consacrés au RMI ainsi que ceux qui sont affectés à l'allocation de parent isolé. Je laisse aux intéressés le soin de comprendre comment une telle économie forfaitaire peut être réalisée !
Nous, nous menons une politique différente : nous avons revalorisé les minima sociaux, qui avaient été sous-indexés dans le passé. Il y a là deux approches différentes, M. Strauss-Kahn l'a très bien souligné.
En conclusion, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre logique n'est effectivement pas la vôtre, ou du moins celle qui a été développée avec clarté et constance par M. le rapporteur général ainsi que par M. le président de la commission des finances. Nous avons, nous, un objectif de croissance solidaire, nous voulons accompagner le développement des entreprises qui ont créé 300 000 emplois depuis un an, nous voulons répartir plus justement les fruits de cette expansion, comme nous l'avons fait avec un certain succès depuis un an et demi.
Le projet de budget que nous vous présentons pour 1999, et dont nous aurons l'occasion de débattre, va dans le même sens. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Fourcade applaudit également.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 108 minutes ;
Groupe socialiste, 88 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 62 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 57 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 26 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 12 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au cours du récent débat d'orientation budgétaire, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même avions exprimé notre inquiétude au vu de certains choix opérés par le Gouvernement.
Le projet de budget pour 1999 dont est saisi à présent le Sénat constitue la première loi de finances entièrement maîtrisée par le gouvernement actuel et le dernier avant le programme pluriannuel de stabilité qui doit être transmis à la Commission européenne à la fin de cette année.
Ce projet de budget, sorti de son contexte, peut - je dis bien « peut » - apparaître vertueux, avec la réduction du taux des déficits publics qui est prévue en 1999 et 2000.
Or, malheureusement ! au-delà des apparences, la politique économique et budgétaire du Gouvernement souffre de deux défauts majeurs : elle ne tient pas suffisamment compte de l'évolution de la conjoncture internationale et, par ailleurs, le Gouvernement renoue avec un certain laxisme - je le souligne - au niveau de la dépense publique,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Xavier de Villepin. ... d'où une réduction insuffisante des prélèvements obligatoires. Ce n'est assurément pas la meilleure façon de préparer la France à l'entrée, imminente, dans la zone euro !
Une première remarque s'impose : elle concerne le décalage entre les hypothèses économiques, relativement optimistes selon moi car définies au printemps dernier, et l'évolution défavorable de la conjoncture internationale, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat !
Certes, on nous annonce, pour 1998, 24 milliards de francs de recettes budgétaires supplémentaires par rapport aux prévisions. La croissance économique de notre pays est, en effet, littéralement portée par la demande intérieure, par une consommation des ménages et par un investissement soutenus.
Mais, sous l'effet du ralentissement de la demande mondiale, nos exportations connaissent d'ores et déjà un ralentissement brutal. Conséquence de la vigueur de la demande intérieure, de leur côté, les importations progressent plus rapidement, de telle sorte que la contribution des échanges extérieurs à la croissance devrait être légèrement négative cette année, et plus encore en 1999.
La lucidité doit donc être de mise chez l'ensemble des dirigeants européens : la récession et la crise financière, en Asie et dans les pays émergents, ont dès maintenant et auront dans l'avenir un impact hélas négatif sur nos exportations et, donc, sur notre croissance.
La crise asiatique, née en Thaïlande au printemps 1997, s'est intensifiée progressivement pour s'étendre à l'ensemble des pays émergents. Cette récession est d'autant plus forte que la région a connu une croissance économique élevée. Certaines monnaies ont ainsi perdu 75 % de leur valeur.
Quant à la propagation si rapide de la crise, de l'Asie à la Russie en passant par l'Afrique du Sud et le Venezuela, elle est le résultat logique de la mondialisation croissante des marchés et des économies.
La crise asiatique a eu au moins le premier mérite de dévoiler les faiblesses cachées par deux décennies de croissance forte au sein même des économies émergentes, avec des systèmes bancaires et financiers insuffisamment robustes, l'absence de contre-pouvoirs et des mécanismes de surveillance défaillants.
Mais c'est surtout le mode de fonctionnement de l'ensemble de l'économie mondiale qui est en cause : depuis la fin des années quarante, l'économie internationale s'est transformée, passant d'une économie fondée sur l'activité à une économie de crédit, fondée sur l'endettement tant externe qu'interne.
Les économies asiatiques ont eu le tort de reposer leur croissance sur ce système de crédit permanent.
L'ampleur de la crise s'explique d'ailleurs essentiellement par les niveaux de l'endettement atteints - la dette extérieure de la Corée du Sud avoisine 140 % de son PIB - ainsi que par les méthodes utilisées, à savoir l'endettement à court terme pour des financements à long terme et des prêts octroyés pour des surinvestissements en infrastructures ou des placements spéculatifs.
Pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre, ce sont ces pratiques inflationnistes qui constituent une véritable « horreur économique », dont le chômage et la pauvreté sont les résultantes logiques.
Sur le plan international, l'ampleur des conséquences possibles de la crise pour le monde industrialisé s'explique par le fait que les banques occidentales ont massivement investi dans les pays asiatiques, comme en Amérique latine ou en Russie.
Autre source d'inquiétude : des pays comme le Japon et la Corée du Sud détiennent l'essentiel de la dette extérieure américaine, soit 20 % des bons du Trésor des Etats-Unis.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !
M. Xavier de Villepin. En tout état de cause, la croissance en France risque, malheureusement - je regrette de ne pas être d'accord sur ce point avec M. Strauss-Kahn - de ne pas atteindre, en 1999, les 2,7 % prévus dans le projet de loi de finances, le consensus actuel des instituts de conjoncture, y compris ceux qui sont proches de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, se faisant plutôt sur 2,5 %.
Une telle erreur de prévision, avec ses conséquences sur les recettes et les dépenses, pourrait engendrer de sérieux problèmes budgétaires à notre pays en 1999 mais surtout en l'an 2000.
La solution de facilité consistant en un creusement du déficit, retenue au début de l'année 1999, est évidemment à exclure du fait de nos engagements européens.
Le pacte de stabilité, avec son dispositif de sanctions, laissera bien peu de marge de manoeuvre aux gouvernements nationaux soucieux d'utiliser le déficit budgétaire comme outil de mesure économique.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes !
M. Xavier de Villepin. Pour des raisons identiques, il est hors de question de recourir à l'endettement. L'ajustement budgétaire éventuel ne pourra donc se faire que par une contraction des dépenses.
J'en viens à mon deuxième point.
Les deux grandes erreurs de ce nouveau projet de budget sont de laisser augmenter de nouveau les dépenses publiques - on l'a très bien dit tout à l'heure - et, parallèlement, de ne pas réduire significativement la pression fiscale.
L'effort de rigueur budgétaire, est hélas ! plus que jamais indispensable. Le Gouvernement n'a pas voulu l'engager pour des raisons purement politiciennes : il convient avant tout pour lui de satisfaire certaines revendications des diverses composantes de la majorité gouvernementale,...
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Xavier de Villepin. ... une majorité victime de forces centrifuges à la veille de la mise en place de l'euro. Nous n'avions pas besoin de cela !
Les économies que vous ne faites pas aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, seront d'autant plus dangereuses pour les Français dans un an ou deux.
Le Gouvernement a donc choisi d'assouplir la rigueur budgétaire avec un budget en augmentation, officiellement, de 1 % en francs constants, en fait de 1 % à 2 %. Cette hausse est beaucoup plus rapide que celle qui a été enregistrée en 1997, dernière année exécutée, et que celle qui est actuellement constatée pour l'année 1998.
Les principales augmentations de crédits concernent la revalorisation des salaires de la fonction publique, pour 15 milliards de francs en 1999 et pour 23 milliards de francs en 2000, sans oublier les aides liées à l'application des 35 heures, qui représenteront 7 milliards de francs en 1999, et les emplois-jeunes, à hauteur de 5 milliards de francs. On atteint au total près de 27 milliards de francs, qui auraient été sans doute plus efficacement employés en réductions de charges sociales, ainsi que dans la réduction du déficit et de la dette !
MM. Josselin de Rohan et Serge Vinçon. Très bien !
M. Xavier de Villepin. La stabilisation, dès 1999, de la dette totale des administrations publiques nécessiterait, en effet, que l'on affecte au moins 14 milliards de francs supplémentaires à la réduction du déficit budgétaire. C'est ce que propose, dans son projet de budget alternatif, la commission des finances, à laquelle je rends hommage.
A défaut, le ratio entre la dette publique et le PIB devrait encore se dégrader d'un demi-point du PIB, la dette de l'Etat stricto sensu augmentant de près de 1 % du PIB.
Autre fait inquiétant, la croissance des charges de personnel au sein du budget de l'Etat : 42 milliards de francs de plus par rapport à la loi de finances initiale pour 1998 ! Les dépenses de la fonction publique représentent désormais plus de 50 % des charges publiques.
Contrairement au gouvernement d'Alain Juppé, qui avait eu le courage de réduire les effectifs de la fonction publique, avec 5 000 postes supprimés en 1996, le pouvoir actuel préfère stabiliser les effectifs budgétaires tout en revalorisant les traitements de façon substantielle. Là aussi, la vertu du Gouvernement n'est qu'apparente.
Il en est de même, par ailleurs, pour les prélèvements sur les entreprises ! Le budget affiche une réduction d'impôts de 12 milliards de francs sur les entreprises en 1999, alors même que le secteur productif est ponctionné de près de 40 milliards de francs cette année, si l'on intègre les premières mesures prises durant l'été 1997.
S'agissant des prélèvements obligatoires, nous lisions récemment, dans une étude d'un organisme que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, le Conseil d'analyse économique, que « les prélèvements ne sont qu'en apparence plus forts en France qu'à l'étranger... ». Cette étude prend pour référence les Etats-Unis, où les statistiques ne tiennent pas compte des prélèvements sociaux !
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, il suffit de regarder le récent classement effectué par Eurostat pour constater le réel retard pris par la France dans ce domaine : elle fait bien partie des pays les plus taxés au sein de l'Union européenne, occupant la cinquième place derrière les trois partenaires scandinaves et la Belgique.
Avec plus de 46 % du PIB de prélèvements, la France devance nos principaux partenaires, l'Allemagne fédérale, qui n'est qu'à 41,6 %, ainsi que le Royaume-Uni, qui est à 35,9 %. Or, c'est bien sur le plan de la fiscalité et des prélèvements sociaux que les pertes de marges de manoeuvre devraient être les plus sensibles avec la mise en place de l'euro.
Dès le 1er janvier prochain, la monnaie unique et les diverses harmonisations réglementaires vont inéluctablement mettre en évidence les disparités fiscales, ce qui risque d'intensifier le mouvement de délocalisation des activités, des personnes et de l'épargne. Ainsi, c'est à une véritable « révolution copernicienne » que nous allons assister dans les prochaines années.
La France ne pourra donc pas vivre durablement avec un taux de prélèvement supérieur à celui de ses principaux partenaires et néanmoins concurrents.
Il en est ainsi pour l'impôt sur les sociétés qui devra baisser d'ici à l'an 2000, et surtout pour les charges sociales, qui représentent 19,2 % du PIB, taux le plus élevé de l'Union européenne.
Or, les mesures fiscales proposées dans ce budget ne sont pas à la hauteur des défis que notre pays va devoir relever. C'est la seconde grande lacune de ce budget pour 1999.
Le montant des réductions d'impôt permet juste de stabiliser l'évolution des recettes fiscales en proportion du PIB.
Simultanément, on attend toujours l'allégement des cotisations patronales, si souvent annoncé par la majorité gouvernementale. Objet de profondes divergences au sein de la gauche plurielle - le Sénat l'a encore constaté à l'occasion du tout récent débat sur le financement de la sécurité sociale ! - cette réforme est renvoyée à 1999.
Mme Hélène Luc. Ça avance !
M. Xavier de Villepin. Rappelons que, dès 1995, le gouvernement d'Alain Juppé avait prévu près de 40 milliards de francs d'allégements de charges sociales.
Au-delà de l'insuffisance relative de l'effort de réduction des prélèvements, certains choix d'allégements paraissent peu convaincants. Je pense aux mesures disparates de réduction de la TVA, dont l'influence sur la consommation restera probablement très limitée.
Je n'insisterai pas sur les défauts de la réforme de la taxe professionnelle ; mon collègue Yves Fréville en reparlera au cours de cette discussion générale. En tout état de cause, les 7 milliards de francs de réduction d'impôts concernés seraient mieux utilisés sous forme d'abaissements de charges sociales.
A ce stade de mon intervention, je souhaite rendre hommage à la démarche courageuse de la commission des finances du Sénat. Pour la deuxième année consécutive, et ce en concertation, je tiens à le souligner, avec les autres commissions et les groupes de la majorité, elle est parvenue à définir un projet de contre-budget.
Les deux grandes priorités de ce contre-projet sont la réduction du déficit budgétaire et le désendettement de notre pays, d'une part, l'allégement des charges pesant sur le secteur productif, d'autre part.
Le projet de budget alternatif du Sénat allie donc lucidité et rigueur face aux différents défis auxquels notre pays est confronté, en premier lieu la mise en place de l'euro, que les intervenants précédents n'ont pratiquement pas évoquée, et la mondialisation des marchés.
Il est primordial de réformer dès que possible nos structures économiques et sociales. L'Etat doit, en particulier, réduire son train de vie et instaurer de nouvelles règles de gestion à caractère patrimonial, idée chère à notre collègue Jean Arthuis. A ce propos, le Parlement doit jouer pleinement son rôle et engager, dès qu'il le peut, des procédures d'enquête sur l'utilisation des deniers publics. Je pense, en particulier, à la commission d'enquête qui vient d'être mise en place au Sénat, sur l'initiative du groupe de l'Union centriste, pour étudier l'affectation des personnels de l'éducation nationale.
Il appartient à l'opposition et à sa représentation parlementaire au sein du Sénat de présenter aux Français un projet économique et budgétaire alternatif. Ce sera l'objet de nos débats jusqu'au 8 décembre prochain.
Sous le bénéfice de ces observations, et après avoir rendu de nouveau hommage à l'excellent travail réalisé par la commission des finances, son président, Alain Lambert, et son rapporteur général, Philippe Marini, le groupe de l'Union centriste soutiendra le budget corrigé proposé par l'ensemble de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, porté par la croissance espérée, le projet de loi de finances pour 1999 aurait pu, aurait dû prendre une inflexion indispensable pour l'évolution de nos finances publiques. Malheureusement, cette occasion unique n'a pas été saisie, et j'ai le sentiment que le Gouvernement est de nouveau inspiré par l'esprit de « réhabilitation de la dépense publique », dont nous connaissons pourtant les effets malencontreux.
L'analyse rigoureuse à laquelle se sont livré le rapporteur général et le président de la commission des finances le démontre avec clarté et pertinence. En effet, en prenant le parti d'augmenter de 1 % les dépenses en volume, et peut-être de plus de 1 % si l'inflation continue sur son rythme actuel, le Gouvernement accentue les rigidités structurelles du budget.
Certes, la croissance soutenue que nous pourrions enregister l'année prochaine en masquera temporairement les effets. Toutefois, dès que la croissance s'essouflera, nous retrouverons le mécanisme de « ciseaux » : les recettes diminueront, les dépenses poursuivront sur leur lancée et, mécaniquement, le déficit recommencera à s'accroître.
Ce n'est pas autrement, mes chers collègues, que les dépenses « Rocard » ont créé les déficits « Balladur » et « Juppé » !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Roland du Luart. Il est tout de même piquant, sinon navrant, de constater qu'un gouvernement peut bénéficier de l'effet politique de dépenses accrues alors qu'il passe le « mistigri » à son successeur, qui devra se dépêtrer des déficits.
En revanche, il est réconfortant de constater que des membres éminents de la majorité actuelle, notamment MM. Laurent Fabius ou Jack Lang, ont pris conscience de cette mécanique inexorable et pris publiquement position en faveur d'une maîtrise accrue des dépenses et des déficits.
Je constate en effet que les dépenses nouvelles que le Gouvernement soumet à notre appréciation sont non pas des dépenses occasionnelles, mais des dépenses structurelles qui se répèteront d'année en année, qu'il s'agisse des emplois jeunes - dont chacun sent bien qu'ils seront pérennisés d'une manière ou d'une autre - des trente-cinq heures qui, au mieux, stabiliseront l'emploi tout en étant budgétairement coûteuses, ou de la politique d'embauche et de rémunérations dans la sphère publique.
J'ai trop le souvenir d'avoir vivement critiqué, dans le projet de loi de finances pour 1996, la création nette de trois mille emplois de fonctionnaires pour ne pas réitérer mes observations.
Certes, le solde de création des emplois civils est à l'équilibre, si l'on ne tient pas compte, bien entendu, des emplois-jeunes - alors même qu'à l'éducation nationale ou à l'intérieur il s'agit quasiment d'emplois publics - mais je constate qu'il y a création nette de 5 000 emplois de militaires de carrière, par application de la professionnalisation des armées.
Je constate aussi que le coût des rémunérations publiques, la revalorisation des retraites comprise, s'accroîtra de 21 milliards de francs l'an prochain, soit pour fixer un ordre de grandeur, à peu près l'équivalent du budget de la justice !
Nous continuons donc, sur notre lancée, si je puis dire, alors que nous savons bien que des réformes structurelles s'imposent. Sans doute notre fonction publique est-elle la meilleure du monde, mais c'est aussi de loin la plus coûteuse, et la plus importante.
Chacun s'accorde à penser que des réformes de fond s'imposent, qu'il s'agisse de la déconcentration des décisions, de la rationalisation du nombre de corps de fonctionnaires, de l'introduction hardie des technologies nouvelles, de l'âge de la retraite, de l'intéressement aux performances ou de la durée effective du travail. Mais ces réformes sont toujours esquissées et jamais mises en oeuvre.
Nous savons tous, par exemple, qu'il a un fort pourcentage d'enseignants consciencieux, mais nous savons aussi que le système en vigueur à l'éducation nationale ne permet ni de récompenser les bons éléments ni de sanctionner les médiocres. Dans le monde ouvert que nous connaissons, une telle situation n'est plus concevable.
Je conclurai sur ce point par une phrase qu'Alain Minc avait écrite en 1994 dans un rapport qui avait fait quelque bruit à l'époque : « La fonction publique a le choix entre évoluer aujourd'hui ou subir demain un séisme statutaire. » Quatre ans plus tard, son intuition me semble toujours d'actualité !
Plus encore, je suis inquiet de voir poindre, sur le moyen et le long terme, des risques considérables de dérapage des dépenses publiques, tout d'abord en ce qui concerne les charges de pensions publiques, qui constituent, comme l'a fort bien rappelé le président de la commission des finances, M. Alain Lambert, la deuxième dette de l'Etat ; ensuite, pour ce qui a trait aux entreprises publiques structurellement et lourdement déficitaires, SNCF, réseau ferré de France, Charbonnages de France ou les structures de défaisance du Crédit lyonnais et du comptoir des entrepreneurs.
Nous finançons aujourd'hui ces entreprises en vendant - et j'y suis favorable - les « bijoux de la République » qu'il s'agisse de France Télécom ou, dans les conditions que l'on sait, du Crédit lyonnais. Comment ferons-nous demain quand ces entreprises auront été privatisées entièrement et que subsisteront les entreprises structurellement déficitaires ?
Il y a aussi le problème, qui ne cesse de s'aggraver, des prises en charge d'impôts locaux par le budget de l'Etat. L'an dernier, c'était plusieurs milliards de francs au titre de la taxe d'habitation, cette année ce sont plusieurs autres milliards de francs au titre de la taxe professionnelle. Quel que soit par ailleurs le bien-fondé de ces prises en charge, je dois constater qu'elles vont rigidifier encore plus nos dépenses publiques.
Je pense enfin aux relations financières entre la France et la Communauté européenne.
Il me semble évident que la contribution de la France risque de s'accroître - ce sont les demandes des « gros » contributeurs nets qui nous y conduiront - et que les retours en notre faveur diminueront par suite de l'élargissement de l'Union européenne et de la réforme de la politique agricole commune.
Il y aura à mon sens une forte pression sur les finances publiques nationales pour compenser les conséquences de cet autre « effet de ciseaux ».
Retraites publiques, entreprises publiques, prise en charge d'impôts locaux, retours communautaires : voilà autant de sujets qui me rendent perplexe et qui m'inquiètent. Bien entendu, ils ne datent pas d'hier et ils continueront à se poser demain. Mais je dois immédiatement ajouter que les conditions étaient remplies pour que le Gouvernement s'y attaque avec détermination. La croissance attendue le permettait, mais des choix différents ont été opérés.
Il importait de le dire et de souligner combien le budget alternatif proposé par le président de la commission des finances et M. le rapporteur général s'imposait. Je le soutiens sans réserve, ainsi que la majorité de la commission des finances et l'ensemble du groupe des Républicains et Indépendants.
Il me paraît sage de regretter l'insuffisante décrue des prélèvements obligatoires : 16 milliards de francs d'impôts en moins, c'est appréciable mais bien peu après les 50 milliards de francs de prélèvements sociaux et fiscaux supplémentaires résultant des décisions prises en 1997 et 1998, et, me direz-vous, monsieur le secrétaire d'Etat - et j'en conviendrai - après les 120 milliards de francs de la loi de finances initiale de 1996.
M. Paul Massion. Très bien !
M. Roland du Luart. Il faut être objectifs !
M. Marc Massion. C'est suffisamment rare pour le souligner !
M. Roland du Luart. L'excès, aujourd'hui, nécessite un retour à une fiscalité normale.
Je demeure en effet persuadé qu'une réforme d'ensemble de notre fiscalité demeure plus que jamais d'actualité. Il faudra l'aborder de manière pragmatique mais résolue, par une approche commune des prélèvements fiscaux et sociaux.
La promotion de l'effort et la récompense de l'audace et de l'innovation devront être encouragées. Nous avons trop vécu avec des systèmes de taux élevés et d'assiette minorée par des réductions spécifiques. Des taux élevés pour l'affichage, des « niches » fiscales pour préserver le goût de l'initiative.
Ce système un peu hypocrite, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu ou sur les mutations à titre gratuit, est remplacé, depuis l'année dernière, par un système moins hypocrite : les taux élevés ont été maintenus, mais les exemptions ont disparu.
Cette surfiscalisation ne sera pas tenable longtemps. La face visible de cette évolution est bien connue : les retraités et l'abattement de 10 % dont la suppression est planifiée, les journalistes qui souffrent toujours de mal-être fiscal.
Mais la face invisible est beaucoup plus préoccupante et manifestera progressivement ses effets regrettables sur notre économie. J'observe déjà sur le terrain, je suis sûr que vous partagez cet avis, mes chers collègues, les effets de la réforme de la CSG. Nos compatriotes, qui reçoivent les avis d'imposition à ce titre, prennent enfin conscience des mesures fiscales et sociales prises depuis l'année dernière.
J'observe aussi, comme tous mes collègues ici présents, que nos enfants, au sortir de l'université, hésitent aujourd'hui à rester en France et commencent à préférer tenter leur chance à l'étranger.
Je crois devoir attirer l'attention du Gouvernement - avec quelque solennité - sur la situation des cadres français. Premières victimes de prélèvements sociaux sur l'épargne, de la réforme de l'impôt sur le revenu, par le biais des emplois familiaux notamment, de la stagnation des salaires dans le secteur privé et de variables d'ajustement dans la problématique des 35 heures, ils sont appelés à augmenter leurs cotisations retraites et, dans le même temps, ils sont privés d'un système attractif de stock options. Ces cadres constituent pourtant le fer de lance de notre économie.
Nous leur devons cet hommage et nous devons, du même élan, prendre conscience du découragement qui, progressivement, les gagne. Il y a là un sujet d'une extrême importance, et nous nous devons de l'aborder.
Un second sujet de préoccupation a trait à la fiscalité de la famille. Les volte-face du Gouvernement sur ce sujet nous inquiètent et inquiètent les familles françaises.
Sans entrer dans la problématique d'une politique nataliste - ce n'est pas le sujet aujourd'hui - je constate néanmoins que les familles n'ayant qu'un enfant seront pénalisées par le projet de loi de finances. En effet, elles n'auront pas droit, bien entendu, aux allocations familiales, mais, de surcroît, elles verront considérablement réduite la légitime compensation que constitue le quotient familial.
A titre personnel, je suis choqué de constater que, dans le même temps, des avantages fiscaux seront consentis à des couples que je ne saurais qualifier de familles.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes !
M. Roland du Luart. Il y a là un choix politique implicite que je ne puis que rejeter catégoriquement.
M. Josselin de Rahan. Il faut fonder trois familles, comme le ministre !
Pour conclure sur ce sujet fiscal, je constate que, d'ores et déjà, des frottements apparaissent entre les pays de l'euro et que l'harmonisation fiscale qui se dessine livre ses premiers enseignements.
Je ne prendrai pour exemple que la fiscalité de l'épargne. Le consensus européen semble se fixer vers un prélèvement maximal de 20 %, alors que la fiscalité française est bien supérieure.
Après avoir surtaxé l'épargne au plan fiscal et social en 1997, le Gouvernement va-t-il nous proposer des allégements dans le projet de loi de finances pour l'an 2000 ? Ce serait le chemin de la raison, et je souhaite vivement qu'il puisse l'emprunter ! J'ai cru comprendre que M. le ministre de l'économie et des finances s'engagerait peut-être dans cette voie lors du projet de budget pour l'an 2000.
Plus généralement, j'ai la conviction que nous n'avons pas encore correctement apprécié les conséquences formidables de la concurrence que va susciter la mise en oeuvre de l'euro dans une économie mondiale de plus en plus ouverte. Concurrence fiscale, mais aussi concurrence sociale, car les coûts de revient seront de plus en plus comparables et les rigidités structurelles et psychologiques de moins en moins fortes !
Bien entendu, il n'y aura pas de révolution au 1er janvier 1999, pas plus qu'au 1er janvier 2002, mais il y aura la poursuite d'une évolution qui peut être inquiétante, car l'exaspération fiscale de nos concitoyens ne doit pas être sous-estimée. Démotivation, évasion fiscale, délocalisation des cerveaux et des activités constituent le triple risque auquel nous serons ... auquel nous sommes déjà confrontés.
Pour stopper la croissance de ces prélèvements obligatoires, et le faire d'une manière durable et crédible aux yeux des opérateurs économiques, il n'y a pas d'autre solution que de maîtriser et de réduire les dépenses publiques.
Je me rappelle, l'an dernier, combien le rapport Nasse et Bonnet avait été utilisé pour justifier la politique budgétaire du Gouvernement. Je regrette tout simplement qu'il n'ait pas été suivi d'effets. Il se concluait, en effet, par un plaidoyer sans ambiguïté en faveur tant d'une maîtrise de la dépense publique que d'une réforme ambitieuse de l'Etat, et ce dans le cadre de prélèvements obligatoires trop lourds.
Je ne saurais donc que me réjouir de l'appel au courage et à la volonté que nous lancent notre président et notre rapporteur général en proposant de réduire les dépenses publiques. J'ai entendu leur appel et je les soutiendrai, et avec moi le groupe des Républicains et Indépendants, quelles que soient, par ailleurs, les contraintes juridiques qui ne nous permettent pas d'être aussi clairs et ambitieux que nous le souhaiterions.
Comme eux, je regrette que l'accent ne soit pas mis sur les dépenses d'investissement. Pour 1999, les dépenses civiles des titres V et VI, comme celles des comptes d'affectation spéciale, sont orientées à la baisse, alors même que, de 1993 à 1997, ces dépenses ont déjà décru de 9,4 % en exécution.
Cette orientation croissante du budget de l'Etat vers les dépenses de fonctionnement au détriment des dépenses d'investissement ne laisse pas d'être préoccupante. Elle ne fait que mieux ressortir le rôle prépondérant des collectivités locales en faveur de l'investissement.
S'agissant des collectivités locales, qui, on l'oublie trop souvent, contribuent à nos grands équilibres économiques, je souhaite formuler plusieurs remarques de nature budgétaire et fiscale.
Tout d'abord, si la croissance des dotations de l'Etat atteint 2,5 milliards de francs l'année prochaine, au titre de la DGF, il convient de souligner que l'effet des décisions du Gouvernement en matière de rémunérations publiques va se traduire, pour ces collectivités, par un surcroît de dépenses de personnel de près de 4 milliards de francs. Le rapprochement entre ces deux chiffres me paraît particulièrement éclairant.
En second lieu, le nouveau pacte dit « contrat de solidarité et de croissance », s'il contient des dispositions qui sont intéressantes et qui seront améliorées par les amendements de notre commission, recèle également des mesures qui pénaliseront certaines collectivités. En effet, compte tenu du rôle d'ajustement de la DCTP, des communes verront leur attribution de DGF croître moins vite que ne baissera leur dotation de DTCP. Bref, elles seront perdantes.
De plus, les charges non décidées par les collectivités - et elles sont nombreuses en matière sociale, environnementale ou fiscale - ne sont pas prises en compte par le contrat de croissance. A ce titre, les collectivités pourront, là aussi, voir leurs charges dictées par des mesures réglementaires ou législatives augmenter plus vite que les dotations qu'elles recevront au titre de l'enveloppe dite normée.
D'une manière insidieuses - et cela depuis plusieurs années, il faut le reconnaître - se développe un mouvement régulier de perte de l'autonomie des collectivités locales, perte qui, je le crains, sera renforcée par les conséquences à terme de la réforme de la taxe professionnelle.
En effet, mes chers collègues, la réforme que nous allons voter, même après les excellents amendements de notre commission, porte en elle les germes d'une mort annoncée de cet impôt. En créant un impôt à taux toujours élevé et à base beaucoup plus étroite, car limitée aux seuls investissements, on créé en effet les conditions objectives d'une suppression à terme de cet impôt.
Comment imaginer qu'il puisse perdurer alors que, dès l'an prochain, nous verrons monter au créneau toutes les entreprises qui investissent et qui viendront nous expliquer, parfois à juste titre, qu'elles préfèrent se délocaliser plutôt que d'avoir à supporter ces impôts qui les pénalisent dans la sphère du marché unique et de l'euro marquée par une concurrence toujours plus vive ?
Le problème de l'autonomie fiscale des collectivités locales va donc se poser avec acuité dans quelques années et probablement plus vite qu'on ne peut aujourd'hui l'imaginer.
Comme le déclarait avant-hier le président du Sénat, Christian Poncelet, devant les maires de France : « Un lien devra toujours exister entre l'économie d'un territoire et les gestionnaires locaux, qui ont aujourd'hui vocation à être des aménageurs de l'avenir. »
M. Serge Vinçon. Très bien !
M. Roland du Luart. Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principales réflexions que m'inspire ce projet de loi de finances pour 1999. Je regrette sincèrement que, collectivement, le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat ne fassent pas preuve de plus de responsabilité et de courage politique, car l'avenir risque de ne pas être rose pour les générations futures ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'a brillamment rappelé tout à l'heure M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le budget est l'expression d'une politique. Il s'est exprimé avec beaucoup de talent, mais le talent ne peut masquer l'histoire !
Quand on compare la période allant de 1993 à 1997 à celle qui va de 1997 à nos jours, il ne faut pas oublier que, de 1988 à 1993, l'Etat a connu un déficit croissant dans des proportions considérables en raison d'une dépense publique non maîtrisée, d'une prévision non tenue.
Il a bien fallu, sauf à mettre en cause l'appartenance de la France au système de la monnaie unique européenne, prendre des mesures d'urgence en 1993. Il est bon, dans un tel débat, de rester convenables, objectifs et de ne pas travestir la réalité !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de budget que vous nous avez présenté comporte trois zones d'ombre. Je remercie M. Marini de son excellent rapport et M. le président de la commission des finances de sa remarquable contribution qui ont permis de les mettre en évidence.
Première zone d'ombre : on a peine à croire que ce projet de budget est le dernier avant la mise en place de l'euro. En effet, il est clair, comme l'a très bien noté mon collègue M. de Villepin, qu'il y a discordance entre les orientations de ce texte et les contraintes auxquelles nous seront soumis dans quelques mois, du fait de l'euro.
Ce projet de budget, qui aurait dû préparer la mise en oeuvre de la monnaie unique, rapprocher les fiscalités et effacer un certain nombre de distorsions de taux, ne va donc pas dans le bon sens.
La deuxième zone d'ombre concerne l'objectif de croissance.
Pour être atteint, il suppose, M. Strauss-Kahn l'a dit, une forte augmentation de la demande intérieure, donc des revenus salariaux. L'objectif de croissance de la masse salariale retenu pour le budget à la fois de l'Etat et de la sécurité sociale est en progression de 3,4 %. Mais, là encore, il est difficile de penser que cet objectif sera atteint alors que la généralisation des 35 heures ne peut réussir que si elle est accompagnée d'une modération de la croissance des salaires. C'est une deuxième contradiction que la commission des finances a parfaitement relevée.
Sans juger du caractère optimiste ou non de la prévision, car, je suis d'accord avec le Gouvernement, ce n'est pas une prévision qu'il faut viser, c'est un objectif qu'il faut avoir, j'ai peur néanmoins que tout dérapage, tout mécompte en matière de conjoncture, n'entraîne une réduction moins forte du déficit budgétaire de l'Etat.
La troisième zone d'ombre - et la troisième contradiction relevée - de ce projet de budget concerne le déficit de l'Etat, qui est encore très fort. En effet, si l'on enlève la contribution positive apportée par les collectivités locales, par la sécurité sociale et par les autres organismes publics, le déficit de 1999 atteindra 2,7 % du PNB, pourcentage qui est très proche de la barrière des 3 %. Cela signifie que le Gouvernement n'a pas beaucoup de marge de manoeuvre.
Je consacrerai ma brève intervention - puisque M. Paul Girod interviendra après moi - au traitement réservé aux collectivités locales dans ce budget, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ces dernières ont maîtrisé leur endettement, et beaucoup mieux que l'Etat. Elles ne sont pas asphyxiées par le poids de leurs dettes, qu'elles ont bien renégociées. Elles sont engagées aujourd'hui dans un processus vertueux, que l'Etat n'envisage que pour 2000, qui consiste à faire moins d'emprunts dans l'année considérée qu'il n'y a de remboursements.
De plus, elles assurent 75 % des investissements de vie collective et, par conséquent, elles représentent un facteur important de la croissance.
Enfin, elles sont pour l'ensemble du pays, sur le plan de la proximité, par les actions qu'elles consentent en matière de fonctionnement, par la coopération qu'elles apportent à l'Etat, à l'ANPE, en matière de chômage, un relais essentiel, qui est d'ailleurs le seul qui ne subisse pas les critiques de nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le premier point de désaccord, c'est la sortie du pacte de stabilité. Nous étions tous les deux, ce matin, devant l'assemblée générale des maires, et nous avons eu l'occasion d'en parler. Vous avez inventé un très beau nom : « pacte de croissance et de solidarité ».
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. « Contrat » !
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas un PACS ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade. « Contrat de croissance et de solidarité ». Que c'est joli ! Ce contrat a fait l'objet de concertations, ce dont je vous donne acte, mais il comporte un point positif et deux points négatifs.
Le point positif, c'est l'effort fait en direction des communes bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine et des bourgs-centres recevant la première part de la dotation de solidarité rurale. En effet, le Gouvernement a consenti une majoration de 500 millions de francs hors enveloppe normée, ce qui va se traduire par une augmentation, je vous en donne acte. C'est donc un point positif, qui est d'ailleurs ressenti comme tel par ceux qui bénéficieront d'une telle majoration.
J'en viens aux deux points négatifs.
D'abord, la discordance mathématique entre l'indexation de la dotation globale de fonctionnement et celle de l'enveloppe normée du contrat de croissance et de solidarité entraîne une réduction de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, devenue variable d'ajustement. Or, mes chers collègues, d'après les études faites par le comité des finances locales, l'actuelle compensation de douze milliards de francs va être amputée de 25 % au cours des trois prochaines années et les collectivités locales perdront 4 milliards de francs.
De plus, en dépit des modifications adoptées par l'Assemblée nationale concernant le partage de cette perte, il faut que vous le sachiez, ce sont près de 500 villes de plus de 10 000 habitants ne bénéficiant pas de la dotation de solidarité urbaine - et qui ne sont pas des bourgs ruraux - qui supporteront dès 1999 une amputation de près de 25 % de la DCTP. Cela signifie une diminution des concours de l'Etat pour un certain nombre de communes, de bourgs et de villes qui constituent pourtant le maillage de notre pays. Il faut le savoir !
Pour les autres collectivités, groupements de communes, départements et régions, coexistent de bonnes choses et de moins bonnes.
La réduction des droits d'enregistrement va dans le sens de la mobilité du marché immobilier, mais les modalités retenues pour la compensation sont quelque peu forfaitaires et parfois confiscatoires.
Quant à l'innovation proposée en Ile-de-France pour les entrepôts et les locaux commerciaux, il vaudrait mieux y renoncer, monsieur le secrétaire d'Etat, tant la mesure est mal étudiée et mal adaptée aux besoins de la collectivité régionale.
Il existe d'autres moyens de trouver de l'argent que d'aller taxer les entrepôts. De plus, c'est malvenu dans une période de forte concurrence, où il est précisément question de réduction des prélèvements obligatoires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'en viens à la réforme de la taxe professionnelle : c'est le grand dossier qui va voir s'affronter le pouvoir central et les collectivités locales.
Je ne peux pas nier, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'assiette de cet impôt et le rôle que l'Etat a été contraint d'assurer pour son financement posent problème. Je crédite le Gouvernement de son initiative. Mais je veux présenter cinq observations essentielles sur cette réforme, et je terminerai mon intervention en précisant ce qui, de mon point de vue, aurait été préférable.
Premier point : le mécanisme ingénieux d'effacement progressif de la base salariale de l'assiette de la taxe professionnelle crée, dans notre système fiscal, un nouveau principal fictif.
Nous savons tous ce que sont les principaux fictifs ; nous en avons assez souffert pendant un certain nombre d'années. Il crée donc un nouveau principal fictif puisque la compensation se fera sur la référence des salaires effectivement versés en 1997, et cela quelle que soit l'évolution de la matière économique de base, de la matière salariale de base.
Le mécanisme rompt également le lien entre le développement de l'activité et le rendement de l'impôt. Il va favoriser les industries de main-d'oeuvre, mais défavoriser celles qui font appel aux technologies nouvelles nécessitant d'importants investissements. Je reviendrai sur ce point.
Le deuxième point a trait aux quatre mesures annexes de la réforme. En vérité, la commission des finances en a trouvé cinq, ce dont je la félicite.
Les mesures annexes proposées - pérennisation du plafonnement par rapport à la valeur ajoutée, majoration du plancher, majoration de la cotisation de péréquation et suppression en deux ans de la réduction pour embauche et investissement - vont modifier la situation relative des entreprises et atténuer, pour beaucoup d'entre elles - on ne l'a pas assez dit - les bénéfices de la réforme.
En effet, nombre d'entreprises vont à la fois bénéficier d'une réduction de la taxe sur la part salaires et subir la majoration d'un certain nombre d'autres cotisations. Dès lors, l'effet de la réforme sera pratiquement annihilé.
C'est pourquoi, vous entendant tout à l'heure nous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'objectif central de la réforme était l'emploi, je me suis demandé s'il ne dissimulait pas un objectif second, tout aussi important, qui consistait pour l'Etat à récupérer un peu de ce qu'il verse au titre de la taxe professionnelle. Si je compte bien, au bout de cinq ans, le relèvement de la cotisation minimale au fonds de péréquation et le relèvement du plancher en matière de valeur ajoutée ne vont-ils pas, en effet, rapporter à l'Etat une dizaine de milliards de francs : c'est toujours ça de pris ! Et bien entendu, cette somme viendra en « déduction » des abattements prévus par la réforme.
J'en arrive à ma troisième remarque.
L'intégration, au terme de la période, de la compensation globale de 55 milliards de francs dans la DGF et l'affectation au budget de l'Etat des deux majorations dont je viens de parler inquiètent les élus locaux.
Un examen plus attentif fait apparaître que tout se passe comme si la péréquation - tant au niveau département, qu'au niveau national - reculait au profit d'un gigantesque mécanisme budgétaire national où il sera bien difficile de connaître les entrées et les sorites. Le transfert de 55 milliards de francs, c'est-à-dire du tiers du produit de l'actuelle taxe professionnelle, d'un impôt à un concours de l'Etat constitue, quoi qu'on en dise, une réduction significative de la marge de manoeuvre des quatre niveaux de collectivités locales.
A vous entendre, monsieur le secrétaire d'Etat, l'effet se limite à faire passer l'importance des concours de l'Etat dans les budgets locaux de 30 % à 36 %. Or, pour un grand nombre de collectivités, loin de représenter quelques points de pourcentage, cela signifie un changement complet de stratégie.
Quatrième remarque : comme vient de le souligner très justement M. du Luart, le risque de voir compromettre l'ensemble de l'impôt n'est pas écarté.
La taxe professionnelle repose aujourd'hui sur quatre éléments : la valeur locative des installations, les investissements, les recettes pour les professions libérales et la part salaires des entreprises.
La suppression de l'un d'entre eux va entraîner un débat très difficile sur les autres et, à terme, les collectivités locales risquent de ne disposer que d'impôts obsolètes, contestés ou trop ciblés : l'automobile, l'immobilier et les investissements des entreprises. C'est un risque majeur et, dans cinq ou dix ans, il se peut que nous perdions la totalité de cette imposition des entreprises.
Dernière observation sur ce sujet : l'objectif proclamé de supprimer un obstacle à la création d'emplois ne nous paraît guère convaincant. Tous les économistes, qu'ils soient de gauche ou de droite, comme dirait M. Strauss-Kahn, s'accordent aujourd'hui à considérer que le vrai blocage de l'emploi réside dans le poids trop élevé des charges sociales concernant les salaires les plus modestes.
A examiner ce qui s'est passé dans l'économie française depuis dix ans, on constate qu'au cours des années de faible croissance la création d'emplois a été elle-même très faible : 10 000 emplois nets ont été créés au cours des mauvaises années que furent 1992 et 1993.
Or 300 000 emplois viennent d'être créés ; M. Strauss-Kahn l'a indiqué tout à l'heure. Si vraiment la taxe professionnelle était un obstacle à l'emploi, nous n'aurions pas constaté la création de 300 000 emplois au moment où la conjoncture redémarrait. La véritable corrélation, elle est entre création d'emplois et conjoncture, non pas entre création d'emplois et taxe professionnelle.
M. Josselin de Rohan. Bien vu !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'espère que le Sénat, suivant les propositions de sa commission des finances, corrigera largement les aspects dangereux ou préoccupants des réformes que je viens d'évoquer.
Est-ce à dire, comme nous l'a reproché M. Strauss-Kahn, que nous serions incapables de procéder à la moindre réforme ?
Compte tenu de la conjoncture, qui est certes bien orientée, mais qui suscite néanmoins quelques inquiétudes pour la fin de 1999 et l'an 2000, compte tenu de la mise en place de l'euro, comme l'a rappelé très justement M. de Villepin, et compte tenu de l'ensemble des précautions qu'il faudrait prendre, j'aurais, pour ma part, en premier lieu, limité la croissance de la dépense publique à l'augmentation des prix. C'est d'ailleurs ce que propose la commission des finances. Une augmentation de 1 % en volume de la dépense publique, c'est exactement celle qu'avaient fixée M. Fabius puis M. Rocard. On a vu ce qu'il en est résulté sur les déficits et sur les comptes extérieurs !
J'aurais, en deuxième lieu, indexé le pacte de croissance et de solidarité sur les bases qui ont été retenues par le législateur pour la dotation globale de fonctionnement, c'est-à-dire le taux d'augmentation des prix augmenté de la moitié du taux de croissance.
J'aurais enfin, en troisième lieu, engagé la réforme de la taxe professionnelle, non pas comme vous le faites, c'est-à-dire en agissant sur la part salaires qui, comme vous l'avez reconnu, diminue au sein de l'assiette, mais en agissant sur ce qui bloque à l'heure actuelle le développement de l'activité en France, à savoir le coût trop important de la part investissement.
J'aurais donc, comme le propose le conseil des impôts, modifié la variable investissement, en acceptant que, dans l'évaluation de la part investissement, on tienne compte de l'amortissement, ce qui va dans le bon sens, car cela engage les entreprises à investir. Comme j'aurais, par ailleurs, mieux indexé le pacte de croissance et de solidarité, les collectivités locales auraient accepté cette modification de fond de la taxe professionnelle.
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous devons tous ensemble travailler à la réduction du poids des charges sociales touchant les salaires compris entre un smic et un smic et demi et il faut pérenniser cette réduction. C'est elle qui permettra aux petites et moyennes entreprises d'embaucher davantage et qui réduira la précarité de certains contrats de travail.
Donner un peu plus aux collectivités locales, engager la réforme de la taxe professionnelle en commençant par l'investissement et non pas par la part salaires, faire porter l'effort sur la réduction des charges sociales sur les bas salaires, ne pas augmenter la dépense publique de manière à faire apparaître une réduction plus sensible du déficit de l'Etat : tout cela constitue, je le reconnais, une autre logique, une autre politique. Mais c'est une politique que nous pouvons proposer et dont nous pouvons légitimement être fiers.
On finira bien un jour par reconnaître que nous avons raison, ne serait-ce que parce que nous sommes engagés dans l'euro et que, de ce fait, nous devons faire converger notre politique économique et sociale avec celles des autres pays européens.
Ce n'est plus le moment de mener des opérations « à la française » en regardant le passé. Il faut au contraire s'occuper de l'avenir. Or l'avenir, ce sont les jeunes, c'est l'abandon d'une fiscalité trop forte, telle celle qu'ont connue les pays nordiques autrefois, ce sont les technologies nouvelles qui supposent de gros investissements. C'est dans ce sens qu'il faut aller.
Le Gouvernement, je le crains, a cherché un effet rapide sur les entreprises et sur les médias. J'ai peur que, à terme, cela ne se traduise par une recentralisation.
C'est ce risque qui m'empêchera, comme la plupart des membres de mon groupe, de voter ce budget tel qu'il nous est soumis et c'est la raison pour laquelle la majorité de ce groupe soutiendra les propositions de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Avant d'aborder le projet de loi de finances pour 1999, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de me faire l'écho de l'émotion qui a saisi la population de Morlaix et même de toute la Bretagne à la suite de l'annonce de la fermeture de la manufacture de Morlaix, qui va priver la ville de 187 emplois.
Nous avons pris acte de l'intention du Gouvernement d'intervenir auprès de la SEITA pour qu'elle rapporte sa décision ou que des compensations soient apportées à la ville de Morlaix.
Nous vous demandons de veiller à ce que cette collectivité locale, qui est déjà très éprouvée, comme toute la région, par des restructurations industrielles délicates et douloureuses, ne soit pas encore pénalisée par la fermeture d'une manufacture qui a trois cents ans d'existence.
Le projet de budget pour 1999 soumis à notre examen doit être mesuré à l'aune de trois critères : sa capacité à conforter le développement de notre économie et de l'emploi, le respect de nos engagements européens, l'adaptation de l'économie française à l'évolution de l'économie mondiale.
Nous nous prononçons sur des orientations, sur une politique, sachant combien est étroite notre marge de manoeuvre en raison de la structure budgétaire et du poids des services votés.
Parce que nous sommes sans illusion sur le sort ultime réservé à nos amendements, nous avons fait le choix d'opposer un projet alternatif au projet gouvernemental, montrant par là qu'il existe, pour stimuler et conforter notre économie, d'autres voies et d'autres moyens que ceux qui sont proposés au pays.
Je félicite et je remercie M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, de l'exercice pédagogique et politique auquel ils se sont livrés avec le talent que tous leur reconnaissent. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Je forme le voeu que leurs remarques comme leurs suggestions profitent à ceux qui oeuvrent pour une autre approche économique, mais également à l'information de nos concitoyens et des élus locaux.
Le projet de loi de finances pour 1999, sous la forme présentée par le Gouvernement, ne recueille pas notre assentiment parce qu'il n'allège pas suffisamment les charges et les contraintes qui pèsent sur notre économie et parce qu'il ne prépare pas véritablement l'avenir.
Serge Vinçon. Hélas !
M. Josselin de Rohan. Alléger les charges qui pèsent sur les contribuables comme sur les entreprises, mettre un terme aux pesanteurs et aux rigidités qui découragent et paralysent les initiatives, pénalisent l'investissement, réduisent les marges d'action des collectivités locales : telle devrait être notre ambition ; telle n'est malheureusement pas l'orientation prise par le Gouvernement.
Nous éprouvons, en premier lieu, des inquiétudes quant à la possibilité de maintenir le déficit budgétaire dans les limites fixées par le ministre de l'économie et des finances, du fait de l'évolution de l'environnement international. La perspective d'un taux de croissance de l'économie établi à 2,7 % et d'un dollar maintenu à 6 francs, hypothèses sur lesquelles a été fondé le projet budgétaire, semble quelque peu hasardeuse.
Nous sommes moins alarmés par les prévisions discordantes des instituts de prévision, qui se sont souvent trompés, il faut bien le dire, que par le tassement de la confiance en l'avenir de nos industriels, qui, à travers la réduction de leurs carnets de commandes, sont bien placés pour mesurer la bonne santé de notre appareil productif.
M. Xavier de Villepin. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Par ailleurs, nous notons que le rythme d'abaissement du chômage tend à faiblir.
Un tiers environ de l'économie mondiale est frappé par la récession, et rien ne nous garantit contre une manipulation du dollar au cas où la croissance américaine tendrait à diminuer.
La plupart de nos partenaires européens ont révisé à la baisse leurs perspectives de croissances ; nous sommes les seuls à ne l'avoir pas fait. Puisse, monsieur le secrétaire d'Etat, votre optimisme être fondé !
Permettez au Huron que je suis de vous poser une question : pourquoi, si vous ne craignez pas une récession des économies occidentales, insistez-vous avec tant de force pour obtenir des banques centrales une baisse des taux d'intérêt ? Peut-on à la fois faire pareille demande et maintenir un taux de croissance prévisionnel plus élevé que celui de nos partenaires ?
M. Xavier de Villepin. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Comment, par ailleurs, financerez-vous le déficit sans réduction sensible des dépenses publiques ou sans accroissement significatif de la fiscalité si les recettes que vous avez prévues venaient à manquer ?
C'est bien sur ce point, en effet, que pèche votre projet de budget : le poids de la dépense publique et l'ampleur des prélèvements obligatoires vous priveront, en cas de retournement de la conjoncture, de possibilités de manoeuvre et, si vous ne voulez pas alourdir les charges fiscales et sociales, vous serez contraint de laisser filer le déficit.
Vous aurez alors répété l'erreur de vos prédécesseurs de 1988 en ne profitant pas des acquis de la croissance pour désendetter le pays et alléger la fiscalité. Cette constatation n'est pas le fait des seuls opposants : elle a été faite aussi par d'éminentes personnalités issues de vos propres rangs.
La dépense publique augmente d'un point de plus que l'inflation prévisionnelle. Cette augmentation sera plus forte si, contrairement à ce qui est escompté, le niveau des prix baisse dans les prochains mois.
Avec près de 54 % du PIB, le montant de nos dépenses publiques est nettement supérieur à celui de nos partenaires de l'Union européenne. La moyenne de l'Union européenne était de 5,9 points inférieure au niveau français en 1997, et l'écart sera de 6,4 points en 1999. Or, lors de la conclusion du traité d'Amsterdam, nous avons souscrit au pacte de stabilité, qui postule un retour rapide à l'équilibre budgétaire assorti, rappelons-le, de sanctions financières pour les Etats déficitaires.
Comment ferez-vous pour ramener le déficit de 2,3 % à 1,5 % du produit intérieur brut d'ici à 2002 sachant que, selon les experts, même avec une croissance de 2,5 % de notre économie en moyenne pendant les trois prochaines années, le déficit atteindrait encore 2 % du produit intérieur brut ?
Pouvez-vous espérer y parvenir quand, sur les 75 milliards de francs de recettes induits par la croissance, vous affectez 21 milliards de francs aux rémunérations de la fonction publique et 37 milliards de francs à des dépenses nouvelles dont beaucoup seront consacrées aux financements d'emplois publics et ne sont assorties d'aucune mesure de redéploiement ou de réduction d'effectifs ?
Selon les experts, pour satisfaire aux critères du pacte de stabilité, il faudrait désormais ne remplacer aucun des agents publics partant en retraite. On doute fort que vous puissiez souscrire à une telle politique.
Dès lors, la structure budgétaire continuera de se rigidifier, les dépenses reconduites automatiquement, singulièrement celles de fonctionnement, prenant une part croissante dans le budget de l'Etat au détriment des dépenses d'investissement. En vérité, en réhabilitant la dépense publique, vous êtes - ne le prenez pas en mauvaise part monsieur le secrétaire d'Etat - un bon et fidèle disciple de M. Michel Rocard ! (Sourires.)
Le Premier ministre a lui-même reconnu l'ampleur des prélèvements obligatoires qui frappent les Français et s'est engagé à les diminuer.
Qu'en est-il dans les faits ?
Vous nous aviez annoncé l'an dernier une stabilisation des prélèvements or, selon EUROSTAT, l'office statistique des Communautés européennes, la France a connu en 1997 un niveau record avec un prélèvement qui représentait 46,3 % du produit intérieur brut.
M. Marc Massion. C'est votre héritage !
M. Josselin de Rohan. Héritage ou pas, vous aviez pris des engagements et vous ne les avez pas tenus !
Nous, nous avons hérité de Pierre Bérégovoy un déficit qui était très supérieur à celui qu'il avait annoncé. Entre nous, en ce qui concerne les héritages, il vaut beaucoup mieux nous succéder que vous succéder ! (Rires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes !
M. Josselin de Rohan. Notre pays se situe loin au-dessus de la moyenne européenne et l'Etat continue d'accroître ses ponctions quand nos partenaires européens stabilisent les leurs.
Les entreprises ont dû supporter 59 milliards de francs de prélèvements supplémentaires sur trois ans - 19,5 milliards de francs en 1997, 29,8 milliards de francs en 1998 et 9,5 milliards de francs en 1999.
Pour les ménages, vous nous avez indiqué que, après la ponction de 11,5 milliards de francs en 1998, la pression fiscale se relâcherait en 1999. Vous ne mentionnez pas les 5,15 milliards de francs supplémentaires pris aux ménages l'an prochain, ce qui porte à 16,7 milliards de francs, en deux ans, les prélèvements fiscaux !
Les familles, quant à elles, ne sont pas bien traitées. Dans la définition qu'il donne des allégements fiscaux, le Gouvernement ne mentionne pas l'abaissement de l'avantage maximum en impôt résultant du quotient familial, qui accroît les prélèvements de 4 milliards de francs. Prétendre que cette mesure, qui frappe 600 000 familles, compense l'annulation de la mise sous condition de ressources des allocations familiales est pour le moins osé, car la mise sous condition de ressources n'avait été prise que pour une année et les deux mesures mises en parallèle sont juridiquement de nature différente : l'une est une imposition et l'autre, une allocation. Certaines familles seront doublement pénalisées. Elles auront vu leurs allocations familiales supprimées en 1998 et leur quotient familial baisser en 1999.
A l'occasion de sa déclaration de politique générale, en juin 1997, le Premier ministre s'était promis de faire baiser la TVA. Dix-huit mois plus tard, force est d'observer que les baisses sont homéopathiques, alors que le redémarrage de la croissance aurait dû permettre d'amorcer la décrue des taux.
La baisse de la TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité permettra à chaque famille de récupérer 130 francs par an, soit 0,2 % du SMIC mensuel, pour un montant de 4 milliards de francs. La baisse en faveur des bailleurs de logements sociaux représente pour l'Etat une perte de recettes de 200 millions de francs. Tout cela doit être rapporté au montant global annuel de la TVA, qui représente 675 milliards de francs, ou de la CSG, qui rapporte 334 milliards de francs.
La vérité est que vous êtes quelque peu piégés. Vous vous rendez compte que l'excès d'impôt conduit à l'évasion fiscale ou à la fraude comme l'excès de charges sociales conduit à freiner l'embauche et nuit à l'emploi. L'excès fiscal et l'excès de charges sociales amoindrissent la compétitivité de nos entreprises dans un contexte de concurrence internationale avivée.
Le seuil de tolérance est sans doute atteint pour les contribuables et pour les assurés sociaux.
Mais vous ne pouvez à la fois accroître sans cesse les dépenses pour les trente-cinq heures, les emplois-jeunes, la lutte contre l'exclusion et, demain - excusez du peu - pour l'audiovisuel public, et diminuer la pression fiscale directe ou indirecte, a fortiori quand une croissance de notre économie est loin d'être assurée, sauf à augmenter ces déficits que vous vous proposez de réduire. Cela étant, peut-être comptez-vous sur l'intention prêtée à nos voisins de laisser filer leurs déficits pour justifier vos difficultés à réduire le nôtre !
Les collectivités locales, quant à elles, peuvent nourrir quelques sujets d'inquiétude. En effet, pour la troisième année consécutive, le Gouvernement s'appuie sur les excédents dégagés par les collectivités locales pour afficher une baisse du déficit budgétaire français. Or, comme cela a été fort bien dit tout à l'heure, sans ces excédents et ceux des organismes sociaux, le déficit pour 1999 atteindrait 2,7 % du produit intérieur brut.
La baisse proclamée des prélèvements obligatoires implique une réduction de la pression fiscale des communes, des départements et des régions. Comment une telle baisse est-elle possible quand des lois votées à votre initiative appellent expressément les collectivités locales à prendre une large part dans le financement des emplois-jeunes, des actions de lutte contre l'exclusion et des trente-cinq heures ?
Vos amis, monsieur le secrétaire d'Etat, nous pressent, que dis-je, nous somment de relayer l'action de l'Etat ou de suppléer ses défaillances dans des domaines qui relèvent principalement de sa compétence. Céder à leurs instances a pour conséquence inéluctable un relèvement de la fiscalité locale.
Quant aux revalorisations des traitements de la fonction publique, elles entraînent une hausse parallèle des rémunérations des agents publics territoriaux et la hausse des frais de fonctionnement des budgets locaux.
Vous ne pouvez pas nous demander d'être vertueux à votre place et nous mesurer les moyens de souscrire aux disciplines auxquelles vous vous dérobez !
Peut-on tenir le projet de budget pour progressiste dans la mesure où il contribuerait à fonder l'avenir ? La réponse est négative, ce texte n'amorçant aucune des réformes de structure indispensables à la modernisation et à l'adaptation de notre économie à un environnement international instable.
Des chroniqueurs qui vous sont favorables s'émerveillaient, il n'y a pas longtemps, de ce que vous aviez procédé à plus de privatisations que le gouvernement précédent. Je ne sais, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous avez apprécié ce compliment, car ce n'est pas ce que M. Lionel Jospin nous avait annoncé dans sa déclaration de politique générale.
M. Serge Vinçon. Reculs et reniements !
M. Josselin de Rohan. Mais regardons-y d'un peu plus près !
Malgré vos dénégations, le récent rapport sur la mise en oeuvre des opérations de transfert au secteur privé d'entreprises publiques a montré que vous y preniez goût. En 1997, comme certainement en 1998, le montant des cessions constatées en fin d'année est supérieur à celui qui fut annoncé en loi de finances.
Certaines de ces privatisations sont imposées par l'Union européenne et vous n'aviez pas d'alternative. « Le mendiant n'a pas le choix », dit un proverbe anglais !
Cependant, en atermoyant dans des secteurs comme celui des industries, celui de la défense, pour les restructurations notamment, en maintenant un contrôle étroit de l'Etat sur la gestion des entreprises, on s'expose à perdre des batailles majeures.
C'est bien le souhait de nos partenaires allemands et britanniques de ne pas avoir pour interlocuteur direct ou indirect le gouvernement français qui les a conduits à opérer un regroupement de leur industrie aéronautique qui exclut pour l'instant la France. Si, demain, nous ne pouvons rejoindre ce nouveau pôle, il y a fort lieu de redouter qu'il contractera des alliances avec des partenaires d'outre-Atlantique qui fragiliseront notre propre industrie. Il est urgent pour vous d'agir pour éviter notre marginalisation.
M. Serge Vinçon. Certainement !
M. Josselin de Rohan. Autre exemple où l'ont voit que l'ouverture trop timide du capital risque d'obérer l'avenir de l'entreprise, celui d'Air France. Il est clair que des accords sont en train de se constituer pour des partages de trafic, la mise en pool de certaines ressources ou l'exploitation commune de certaines lignes qui lieront entre elles de grandes compagnies aériennes ayant d'autres soucis, d'autres pratiques et d'autres logiques qu'une entreprise nationale. Dans ce domaine aussi, je crains que notre singularité n'entraîne notre mise à l'écart et nous prive de perspectives de développement.
Il est un point, enfin, que je voudrais évoquer et qui pourrait constituer pour la France un revers majeur, l'accord boursier entre les places de Londres et de Francfort auquel Paris, jusqu'à ce jour, n'était pas partie. A quelques semaines du passage à l'euro, cette alliance entre les deux premières bourses d'Europe concentrera sur ces deux places la plus grande partie des transactions et consacrera leur prééminence absolue sur les marchés financiers.
Le Gouvernement, au moment où l'accord a été conclu, ne m'a guère paru s'être ému de cette situation. Nous avons appris aujourd'hui que Paris et Milan deviendraient parties à l'accord. Nous aimerions savoir s'ils jouiraient des mêmes droits et prérogatives que les membres fondateurs, et dans quelles conditions.
Dans le domaine fiscal, vous aviez annoncé une large réforme de la taxe d'habitation et de la taxe foncière résultant de la réforme des bases locatives. Il n'y aura aucune réforme, ni de la taxe d'habitation, ni de la taxe foncière, ni des bases cadastrales. On devine les raisons de ce recul : à quelques mois des élections municipales de 2001, le très grand nombre de contribuables locaux ayant vu leur imposition augmenter plus significativement manifestera son vif mécontentement à l'égard du pouvoir ; il vaut mieux se prémunir de ce genre de colère.
La réforme de la taxe professionnelle, telle qu'elle est conçue, aboutit par le biais de la compensation, via la subvention, à priver les collectivités locales d'une recette autonome et porte atteinte à la libre administration de ces collectivités.
Nous savons ce qu'il advient dans le temps des compensations. A propos de cette « réforme », deux questions se posent. Premièrement, des collectivités locales dont plus de 60 % des recettes dépendent d'une subvention de l'Etat, ou d'une compensation via une subvention, sont-elles encore autonomes ? Deuxièmement, la réforme de l'intercommunalité que doit nous présenter M. le ministre de l'intérieur, et qui repose essentiellement, dans le domaine fiscal, sur la taxe professionnelle, a-t-elle encore vraiment un sens ?
Le pacte de croissance et de solidarité qui est substitué au pacte de stabilité entre l'Etat et les collectivités locales prévoit, pour 1999, une indexation des concours de l'Etat sur la croissance qui ne portera que sur 20 % de celle-ci. Il s'ensuit une diminution moyenne de la dotation de compensation de la taxe professionnelle de 11 %. Les communes rurales non éligibles à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, enregistreront une baisse de 17 %, car elles ne bénéficieront pas de la modulation en fonction de la DSU.
Ces « bricolages » de la fiscalité sont d'autant plus regrettables que tout le monde s'accorde sur la nécessité de revoir l'imposition sur le revenu et l'imposition locale.
Il n'est plus possible de cumuler une CSG dont le taux ne cesse de croître et un impôt sur le revenu dont on n'aménage pas les tranches. Il faudra bien un jour faire un choix.
Si l'on veut réformer la taxe professionnelle, il faut non pas procéder par étapes ou par petites touches, mais réfléchir sérieusement et sereinement sur les perspectives et les modalités d'une imposition de remplacement qui ne déconnecte pas les collectivités locales de leur environnement économique.
Vous disposez du temps nécessaire pour étudier de telles réformes dans la concertation avec toutes les parties intéressées. Pourquoi n'engagez-vous pas le dialogue sur ce point ?
Il est un domaine, enfin, qui, je le reconnais volontiers, échappe à votre responsabilité, mais qui ne peut pas ne pas retentir sur notre économie : je veux parler de notre système de sécurité sociale.
Le financement futur des retraites et particulièrement des régimes spéciaux ne peut manquer d'avoir des conséquences sur nos finances publiques. Il est grand temps d'ouvrir ce chantier, car les réformes sont inéluctables si l'on veut garantir les retraites sans ponctions considérables sur les cotisants et les contribuables.
La gestion, laxiste, de l'assurance maladie a conduit à accroître les contributions pour les professions de santé intéressées. Si des réformes structurelles ne sont pas entreprises avec détermination, c'est l'ensemble de l'économie qui sera pénalisé, les particuliers comme les entreprises, du fait de l'alourdissement des prélèvements sociaux.
Mes chers collègues, il paraît que nous avons tout lieu de nous rassurer et de nous réjouir puisque l'Europe devient sociale démocrate. (Sourires.) Seule, la malheureuse Espagne est aujourd'hui réfractaire. Mais ce scandale ne saurait sans doute durer !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. On l'espère comme vous !
M. Josselin de Rohan. Pour dire le vrai, nous souhaiterions, quant à nous, que la France, à tant faire, devînt un peu plus socialle-démocrate, ce qui constituerait un progrès ! (Nouveaux sourires.) M. Henri Emmanuelli a proclamé que M. Lionel Jospin était « imblairable ». C'est fort dommage, car M. Blair, lui, ne croit pas que l'avenir du Royaume-Uni passe par une extension du secteur public et une hausse de la fiscalité. Figurez-vous qu'il envisage même de privatiser... le métro !
En Grande-Bretagne, les allocations chômage sont supprimées après trois offres refusées et les abus traqués.
Si le Premier ministre, à défaut d'être « blairisable », devenait « schrödérisable », nous bénéficierions d'une baisse des impôts dans le secteur marchand et non principalement dans le secteur public. Hélas ! M. Lionel Jospin n'est pas social-démocrate ; il est socialiste, et son gouvernement avec lui. Son budget, quels que soient ses défauts, a au moins le mérite de refléter toutes les caractéristiques d'une gestion socialiste. Vous comprendrez que ce soit la raison essentielle pour laquelle nous n'en voulons pas.
Comme l'an dernier, la majorité sénatoriale n'a pas voulu rejeter purement et simplement le projet de loi de finances, elle a souhaité montrer que l'on pouvait gérer mieux et autrement les finances publiques.
Le grand mérite de la démonstration remarquable effectuée par le président de la commission des finances et par le rapporteur général est d'avoir fait ressortir qu'il était possible, avec les dividendes de la croissance, de diminuer le train de vie de l'Etat, de stabiliser la dette publique et d'alléger les charges fiscales.
Parce que nous sommes convaincus que les pistes qu'ils ont ouvertes, comme les solutions qu'ils proposent, sont viables et raisonnables, parce que l'on ne peut considérer comme irréalistes ou excessives les orientations qu'ils ont présentées, nous soutiendrons leur démarche et nous voterons le budget alternatif qu'ils nous proposent, avec l'espoir qu'un jour il nous sera possible d'adopter non plus des budgets virtuels, mais des budgets réels, qui permettront à notre pays de s'engager dans la voie de la modernité et du progrès, et non d'entrer à reculons dans l'avenir. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)

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